C’est le dernier produit dont on parle, à mots à peine couverts, dans les dîners en ville. Il existe depuis plus d’un siècle mais faisait office d’antiquité jusqu’à ce que la hausse des impôts pour les plus hauts revenus, le durcissement de l’ISF et la traque aux comptes non-déclarés à l’étranger le remettent en selle.
Il figure désormais en bonne place dans la « boîte à outil » des techniques préférées des conseillers en optimisation fiscale. Son nom ? Le crédit lombard. En 5 ans, le nombre des Français qui y ont recours est passé de quelques centaines à plusieurs milliers, l’an dernier. Cette année, c’est l’explosion : il devrait s’en signer entre 20 et 30.000, pour des sommes qui dépasseraient la dizaine de milliards. Explication et plongée dans un monde trouble : les MPR, autrement les « méga-problèmes de riches ».
Un montage parfaitement légal
Le crédit Lombard est un produit en apparence tout ce qu’il y a de plus banal. « Il s’agit, explique Edouard Petitdidier, associé fondateur de la société de gestion Allure Finance, d’un prêt de 1, 2 ou 3 ou 4 ans gagés sur des actifs d’assurance vie ou des valeurs mobilières en dépôt dans l’établissement prêteur ».
Si l’emprunteur vient à ne plus rembourser sa dette, la banque devient automatiquement propriétaire de la garantie, ce qui apure la dette. Proposé par toutes les filiales des grandes banques suisses installées en France, mais aussi par d’autres établissements comme KBL-Richelieu et Banque 1818, ce produit est très apprécié par les utilisateurs les plus fortunés. Car beaucoup savent que le Lombard ne livre ses vrais avantages que si l’on pousse à bout sa logique…
Voilà comment ça marche
Prenons un cas concret. Monsieur Georges -appelons-le comme cela- nous a été présenté par un conseiller en gestion de patrimoine. C’est un patron d’entreprise française qui paie beaucoup d’impôts sur le revenu. Ou plutôt qui en payait beaucoup. En contrat avec l’Etat, il aurait pu choisir de faire comme ses amis et partir s’installer à Bruxelles. Mais il a préféré rester à Paris. Mais les 300.000 euros qu’il laissait au fisc chaque année (sur ses revenus de plus de 800.000 euros et son patrimoine personnel évalué à 4 millions) le faisaient néanmoins enrager.
Le crédit Lombard a calmé sa colère : en réduisant à presque rien son salaire, il a divisé son impôt par dix. Comment vit-il ? Tout simplement grâce à l’argent que lui a prêté sa banque –un de ces fameux « crédits lombards » -. Il est gagé sur un contrat d’assurance d’un million d’euros qui servira à rembourser, dans trois ou quatre ans, les 800.000 euros qu’elle lui aura versé sur son compte courant dans lequel il peut puiser à sa guise. Versements qui seront, forcément, exempts de tout impôt, puisqu’il ne s’agit pas d’un revenu ! L’opération peut être renouvelée plusieurs fois, mais notre chef d’entreprise n’en doute pas : »D’ici là, la majorité aura changé, et le nouveau gouvernement aura mis fin à la sur-taxation des chefs d’entreprises… »
On ne prête qu’aux riches
Autre avantage de cette formule : vivre à crédit, grâce à un Lombard, ne coûte pas très cher : le taux appliqué est généralement celui de l’Euribor 3 mois + une marge comprise entre 1,2 et 1,6 point. Soit, au taux d’aujourd’hui, environ 2,5%. Gardiner, une société suisse de gestion de portefeuille se vante même de prêter à 1,9%…
Obtenir un prêt Lombard coute donc moins cher que ce que rapporte le (bon) contrat d’assurance-vie que l’on apporte en contrepartie. Autrement dit, vivre à crédit ne coute rien et en plus permet d’économiser sur ses impôts ! Quant au salaire qu’il se versait, il le réinvestit dans l’entreprise, qui n’a jamais été aussi prospère… Rien d’étonnant, donc, à ce que de plus en plus de chefs d’entreprises soient tentés. « C’est vrai, certains clients nous l’ont demandé » reconnaît Bruno Cellier, responsable de l’offre patrimoine de KBL Richelieu. « Mais s’ils l’ont fait, c’est contre notre avis. » Trop près de l’abus de droit ? En tout cas, en France, créer un montage destiné uniquement à échapper à l’impôt est puni par la loi…
Faire « disparaître » un compte en Suisse
Mais si le crédit lombard connaît un tel succès auprès des Français aisés, ce n’est pas seulement du fait de quelques patrons salariés un peu trop imposés. La traque aux comptes non déclarés en Suisse lui a aussi donné un beau coup de fouet. C’est en effet une des grandes techniques des banques françaises pour rapatrier l’argent non déclaré de leurs clients au nez et à la barbe de Moscovici.
Pour le banquier genevois « repenti », Pierre Condamin-Gerbier, le prêt lombard est l’une des techniques préférées des filiales françaises de banques suisses pour filouter le fisc. Leur méthode est simple : un client français ayant un compte en suisse achète un bien en France. Pour cela, il sollicite un prêt d’une banque suisse installée en France. Celle-ci se garantit par une hypothèque, mais, parallèlement, prévoit une autre garantie, « hors livres » comme on dit dans le jargon bancaire, qui est donnée par la maison mère à sa filiale parisienne.
Là encore, en cas de défaut de remboursement -ce qui ne manquera pas d’arriver, puisque c’est le but de la manoeuvre- la banque saisira le compte non-déclaré de l’emprunteur et la propriété de ses actifs suisses passera donc à la banque. Le montage est d’autant plus astucieux, précise Pierre Condamin-Gerbier que « l’établissement ne déclarera pas nécessairement cette saisie ».
Les apparences sont donc sauves et tout le monde y gagne : la banque car elle a fait une double opération qui lui a permis de prélever, à chaque étape, des frais, et le particulier qui peut ainsi faire disparaître de son patrimoine des avoirs qui commençaient à lui brûler les doigts. Simple et radical pour résoudre le principal méga-problème du moment pour quelques milliers de riches…