• ENQUÊTE. La Caisse des allocations familiales utilise un algorithme pour détecter les allocataires « à risque »
    https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/entreprendre/aides/enquete-la-caisse-des-allocations-familiales-utilise-un-algorithme-pour

    « On est devenu une mini-PME. On n’est plus là pour aider les gens, mais pour faire du chiffre. » Ainsi parle un « technicien conseil » qui travaille depuis plusieurs années au sein de l’une des 101 Caisses des allocations familiales (Caf) en France. « Notre prime d’intéressement est calculée en fonction des objectifs atteints par les caisses locales, explique le représentant CGT dans les instances nationales de la Sécurité sociale, Yves Alexis. Or parmi ces objectifs, il y a les délais de traitement, l’accueil… mais aussi la détection de fraudes. »

    Et pour détecter ces fraudes, la Cnaf a recours à une méthode au nom très anglais : le « datamining ». C’est une technique numérique de statistiques prédictives qui, en croisant différentes données dans différentes administrations, est censée identifier les risques d’erreurs ou de fraude dans un dossier d’allocataire. Elle s’est généralisée au sein de la Cnaf à partir de 2010, avec l’utilisation d’algorithmes. « La Cnaf a été le laboratoire, le bon élève du datamining au sein des administrations françaises », explique le sociologue Vincent Dubois, professeur à l’Institut d’études politiques (IEP) de Strasbourg et auteur de l’ouvrage Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre (Ed. Raisons d’Agir). « Elle a développé une politique d’automatisation du déclenchement des contrôles. »

    « Le tournant se situe au milieu des années 90, poursuit l’universitaire. Les organismes de protection sociale vont être poussés par le pouvoir politique à renforcer les contrôles. » À l’époque, l’État lance en effet une politique volontariste de lutte contre la fraude. « Nous avons décidé d’engager une action résolue contre les fraudes sociales, déclare Nicolas Sarkozy, le 15 novembre 2011, à Bordeaux. C’est la fraude qui mine les fondements même de cette République sociale que les frères d’armes de la Résistance ont voulu bâtir pour la France et qu’ils nous ont légué. Frauder la Sécurité sociale, ce n’est pas simplement abuser du système, profiter de ses largesses, c’est voler chacun et chacune d’entre nous. »

    • un très bon article où l’on voit l’influences de lectures faites avec les premier.es concerné.es sur le travail des journalistes (par l’entremise de structures collectives) ce qui est pas du luxe !

      "Contrairement à un contrôle aléatoire où chaque personne aurait la même probabilité d’être contrôlée, cet algorithme entraîne un score de risque élevé pour les personnes les plus précaires, parce qu’à leur statut sont associés des facteurs de risque qui sont en fait des facteurs de précarité, affirme un membre de l’association La Quadrature du net. °C’est la raison pour laquelle, parmi les personnes contrôlées, on retrouve une surreprésentation de personnes aux minima sociaux. Plus quelqu’un est précaire, plus il est considéré comme ’risqué’."_

      Punch line étendue qui va bien mais de fait les « contrôles aléatoires » visaient déjà auparavant des catégories, extrêmement nombreuses, parmi les plus précaires, saucissonnés selon des dizaines de critères en fonction desquels augmentait la probabilité de contrôle, avec des pourcentage de contrôles à effectuer par « catégories ». Ce que les algos raffinent.
      L’argument d’évidence est qu’il faut augmenter la productivité des contrôles, c’est à dire qu’ils débouchent bien sur la récupération d’indus en faveur de la CAF (et surtout pas l’inverse !), des diminutions et des coupures de droits. Cela passe par une meilleure attribution par exemple des moyens humains consacrés aux contrôles domiciliaires (les agents de contrôle assermentés) qui sont à la fois une base (l’intrusion, la #terreur) et la honte de l’institution qui en a le privilège, pas très éloigné de celui de la police lorsqu’elle agit en flagrant ou sur procédure judiciaire (une modalité de « viol » du domicile d’un degré inférieur à la perquise mais d’une rare violence ).

      edit

      [#datamining] la Caf minimise l’utilisation de cette technologie. Selon elle, seuls 6 % de l’ensemble des contrôles seraient issus de l’outil datamining, tout en reconnaissant que 70 % des contrôles effectués en présence de l’allocataire, qui ont entraîné un remboursement d’allocation, ont bien été initiés par lui

      Peu de place toutefois accordées aux tactiques défensives des ayant droits (ici, faire appel à de très rares asso ou assumer une procédure de plusieurs années au T.A), ce qui assombrit un tableau déjà terrible. Au lieu de les diffuser.

      bon, je dis ça, mais je me retrouvé radié de chez policemploi, RSA coupé, factures en déshérence, faut que je retourne mouliner du recours ha ha ha

      #toctoc nonobstant la diffusion d’une ambiance de peur qui contribue à la force d’institutions qui marchent à la trouille, au fait de se faire passer passer pour toute puissantes (ce qu’elles sont en partie : 0 thune, c’est pas rien)

      #Caf #contrôles #minima #guerre_aux_pauvres

    • Tu peux avoir droit aussi à la dénonciation par le propriétaire de ton logement, même insalubre, comme cela m’est arrivé avec à la clef contrôle au domicile qui n’a rien donné, j’étais en règle d’après eux.

      Et surtout dans cet algo, qui décide des critères, quels sont-ils, personne ne le sait, c’est l’#opacité_totale. Je vois des jeunes qui font des tests en ligne pour savoir à combien s’élèvent leurs #droits_sociaux pour prendre un logement en fonction et à qui la CAF annonce ensuite bien moins que sur l’évaluateur en ligne.

  • Au procès de l’attentat de Nice, le président juge que la procédure pour violences conjugales qui visait le terroriste a été « bâclée »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/27/au-proces-de-l-attentat-de-nice-le-president-juge-que-la-procedure-pour-viol

    Le président n’a pas eu de mot assez dur, jeudi, pour qualifier la négligence du policier qui avait entendu le tueur en audition libre, trois semaines avant l’attentat.

    La déclaration spontanée du témoin du jour a tenu en une dizaine de mots à peine : « J’ai entendu l’auteur des faits le 20 juin 2016 », a simplement dit Joël C., qui témoignait par visioconférence. Joël C. est fonctionnaire de police à Nice, et il n’a manifestement pas envie de s’étendre sur les faits pour lesquels il a été cité, jeudi 27 octobre, au procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Trois semaines avant le carnage, ce fonctionnaire de police avait auditionné dans son bureau Mohamed Lahouaiej Bouhlel, futur tueur de la promenade des Anglais, dans le cadre d’une plainte pour violences conjugales déposée deux ans plus tôt par son épouse.

    Le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Laurent Raviot, va se charger de lui rafraîchir la mémoire. Sortant de sa réserve, le magistrat n’aura pas de mots assez durs pour étriller la négligence du policier et une procédure qu’il n’hésitera pas à qualifier de « bâclée ». « Oui…, reprend le président après la brève déclaration du témoin. Vous l’avez entendu à la suite d’une plainte déposée par son épouse, le 26 août 2014. Elle dénonçait des violences quasi quotidiennes de la part de son mari depuis trois ans… »

    Laurent Raviot procède alors à la lecture de la plainte de l’épouse du terroriste :

    « Aux alentours de 6 h 10 et alors qu’il s’apprêtait à partir travailler, mon mari est entré dans notre chambre un verre de vin à la main. Il s’est mis à rire et l’a vidé sur moi en disant : “Je veux le divorce, je veux le divorce !” Il a ensuite sorti son sexe et a uriné sur mes pieds et sur mes jambes (…). Le soir venu, alors que nous étions chez nous avec nos enfants, mon mari m’a dit : “Tu devrais aller voir dans la chambre, j’ai une surprise pour toi.” Je m’y suis rendue et j’ai constaté qu’il avait déféqué sur le sol de notre chambre. Je l’entendais rire derrière la porte (…). Il se comporte ainsi avec moi depuis de nombreux mois (…). Je ne peux plus supporter ses agissements. Il me jette régulièrement des objets au visage, n’a de cesse de nous menacer, mes enfants et moi. Il s’adresse à nous en ces termes : “Quand je reviens, si je vous trouve ici, je vous tue, toi et tes filles.” Les filles dont il parle sont nos filles, âgées de 4 et 1 an (…). Il a pour habitude de les appeler “mes merdes” (…). Une autre fois, il a pris un couteau et a poignardé l’ourson de notre fille en plein cœur en criant : “Tu crois que je vais m’arrêter là ?” »

    « Pourquoi il n’est pas placé en garde à vue ? »

    L’épouse battue avait pris la peine de joindre à sa plainte des photos de l’ourson poignardé et des traces de défécation de son époux sur le carrelage de la chambre afin d’appuyer ses dires. A l’issue de cette lecture éloquente, le président fait remarquer que le mari violent devenu terroriste ne sera entendu « que deux ans plus tard… » Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui n’avait pas répondu à ses deux premières convocations, en 2014 et en mai 2016, ne sera finalement auditionné que le 20 juin 2016 par le témoin du jour, en audition libre…

    « J’ai une petite question, reprend le magistrat. Pourquoi il n’est pas placé en garde à vue ? »

    Le policier reste sans voix, bras croisés, lèvres serrées.

    « On ne peut pas dire qu’il y ait eu une grande rapidité pour l’entendre, continue M. Raviot. Pourquoi il n’a pas été placé en garde à vue quand il l’a été, sachant que sa femme avait déjà porté plainte une première fois en 2011, et qu’il avait été condamné en mars 2016 à six mois de prison avec sursis pour des faits de violence sur la voie publique…

    – Je n’étais pas au courant de ces faits, je n’étais pas chargé de ce dossier, je remplaçais un collègue, ânonne le policier.

    – Son audition dure 22 minutes, poursuit le président, _c’est ce que je vais appeler une audition bâclée, je ne vais pas peser mes mots… 22 minutes pour entendre une personne accusée de violences graves à l’égard de sa compagne et qui a fait défaut à plusieurs convocations, je trouve que c’est une façon un peu cavalière de traiter une procédure.

    – Je n’ai aucune réponse à vous donner…

    – On ne peut pas refaire l’histoire à l’envers, mais le 20 juin 2016, s’il avait été placé en garde à vue, il aurait fait l’objet d’un examen médical qui aurait donné quelques indications sur son état de santé. Et donc, s’il avait présenté des problèmes psychiatriques, on l’aurait vu…

    – Je n’ai pas d’explication…

    – Quelle est la pratique aujourd’hui pour les violences sur conjoint ?

    – Actuellement, c’est un placement en garde à vue systématique.

    – Et à l’époque ?

    – C’était à l’appréciation du fonctionnaire de police. »

    « Les violences conjugales, on en parlait déjà beaucoup »

    Le président procède alors aux déclarations du futur terroriste durant cette audition éclair. Confronté aux photos du « doudou » poignardé et des traces de défécation, Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait nié avoir déféqué ou uriné sur sa femme, et affirmé n’avoir jamais vu le « doudou » en question.

    « Pourquoi vous ne vérifiez pas ses antécédents ? », s’enquiert Laurent Raviot.

    On croit un instant qu’une coupure de réseau a figé l’image du témoin sur l’écran. Le policier, d’une immobilité de statue, regard fixe et bras éternellement croisés, reste interdit.

    « Rétrospectivement, on se dit que c’est une procédure ratée, vous voyez… Quand on sait que le 14 juillet au soir, il va commettre un attentat de masse et tuer 86 personnes et faire des centaines de blessés… En 2016, les violences conjugales, on en parlait déjà beaucoup… On parlait déjà de ces femmes qui dénonçaient des violences, sans qu’il ne se passe rien, et qui se faisaient ensuite assassiner par leur conjoint… »

    L’image sur l’écran n’a pas bougé. Aucun son ne sort des haut-parleurs. L’interrogatoire du policier par le président Raviot est terminé.

    #femmes #police #terreur #Nice

    • Quel baltringue ce président  ! Comme si tu pouvais savoir que le gus allait tuer des gens plus tard.
      Les trucs du dossier, c’est le quotidien banal des violences conjugales.
      Et les #Violences_masculines c’est un fait de société, c’est systémique et (bien heureusement) ça ne fait pas de chaque bitard un tueur de masse. (même si).

      T’as l’impression qu’on charge le planton pour ne pas regarder des responsabilités plus lourdes et plus haut dans la hiérarchie de la sécurité. Ou pour ne pas dire qu’une caméra tous les 20 mètres, ça ne sert pas à grand chose, en fait.

    • peut-être. peut-être pas. ça illustre l’acceptation de la violence sexiste (domestique) par la police, certes, mais des gars qui poignardent le doudou de leur gosse au lieu de « simplement » les taper et chient dans leur appart au lieu de « simplement » casser de la vaisselle ou des meubles, il doit falloir être assez débile comme flic (toujours prêt à buter qui exprimerait des troubles de l’humeur de manière trop manifeste sur la voie publique, cf. d’innombrables exemples) pour ne pas y prêter attention..

  • #Peine-de-mort #guillotine #barbarie #Révolution #Terreur #anarchisme

    ★ Contre la logique de la guillotine

    ★ Pourquoi la Commune de Paris a brûlé la guillotine – et nous devrions faire de même.

    « Il y a 148 ans cette semaine, le 6 avril 1871, des participant·e·s révolutionnaires armé·e·s de la Commune de Paris ont saisi la guillotine qui était entreposée près d’une des prisons de Paris. Ils et elles l’ont apporté au pied de la statue de Voltaire, l’ont brisée en morceaux et l’ont brûlée dans un feu de joie, le tout, sous les applaudissements d’une immense foule... »

    https://www.socialisme-libertaire.fr/2022/10/contre-la-logique-de-la-guillotine.html

    Communards brûlant la guillotine à Paris en 1871. ★ Contre la logique de la guillotine : Pourquoi la Commune de Paris a brûlé la guillotine – et nous devrions faire de même (2019). « Il y a 148 ans cette semaine, le 6 avril 1871, des participant·e·s révolutionnaires...

  • #Taïwan, #Ouïghours : les dérives nationalistes de la #Chine de #Xi_Jinping

    Xi Jinping se prépare à un troisième mandat de cinq ans et à une démonstration de force au cours du 20e #congrès_du_Parti_communiste_chinois. Alors que son nationalisme exacerbé se traduit à la fois à l’intérieur des frontières, avec la répression des Ouïghours, et dans son environnement proche, en #Mer_de_Chine_du_sud, avec une pression accrue sur Taïwan, nous analysons les enjeux de ce congrès avec nos invité·es, Laurence Defranoux, journaliste et autrice des Ouïghours, histoire d’un peuple sacrifié, Noé Hirsch, spécialiste de la Chine, Maya Kandel, historienne spécialiste des États-Unis, et Inès Cavalli, chercheuse en études chinoises.

    https://www.youtube.com/watch?v=U4wiIwCaSY8


    #nationalisme #constitution #révision_constitutionnelle #pensée_Xi_Jinping #paternalisme #colonialisme #Xinjiang #colonialisme_Han #déplacements_de_population #exploitation_économique #limitation_des_libertés #enfermement #rééducation_politique #emprisonnement #répression #Nouvelles_Routes_de_la_soie #ressources #ressources_naturelles #Tibet #surveillance #surveillance_de_masse #terreur #camps_de_rééducation #folklore #assimilation #folklorisation #ethnonationalisme #supériorité_de_la_race #Han #culture #camps_de_concentration #réforme_par_le_travail #réforme_par_la_culture #travail_forcé #peuples_autochtones #usines #industrie #industrie_textile #programmes_de_lutte_contre_la_pauvreté #exploitation #paramilitaires #endoctrinement #économie #économie_chinoise #crimes_contre_l'humanité #torture

  • #Sémiologie : la #police dans l’épicentre de la #violence

    Compte tenu des preuves et des liens de ces mêmes #symboles avec les milieux extrémistes et violents, la négligence du gouvernement et de la hiérarchie s’accorde dans une résolution ; celle de l’acceptation de la violence et l’#extrémisme chez la police républicaine.

    Le pouvoir d’un symbole réside dans sa capacité à produire du sens et à communiquer ce sens. Loin d’être une entité floue, le sens réfère à quelque chose d’extérieur à soi, plus exactement un objet, qui devient existant par le truchement d’une relation interpersonnelle.

    C’est au travers d’une large panoplie de #signes, #insignes, symboles, #slogans, etc, que des policier·ères visiblement sans honte ni crainte de leur hiérarchie, affichent publiquement, leur amour de la violence, du thème de la vengeance, et parfois, du racisme, de la mort, voire des idéologies fascistes ou nazis.

    Dans le monde des images, certaines nous font sourire, d’autres nous font pleurer, provoquent le choc, la peur, l’incompréhension ou l’amour et l’espoir. La sémiologie a pour objectif de cerner le sens général qui se dégage quand on voit un logo, un insigne, et de prévoir les réactions sensorielles ou émotionnelles occasionnées.

    Les expert·es s’appuient sur le fait que les symboles ne viennent pas de nulle part, ils portent une histoire. Ces armoiries, logos, blasons, symboles, drapeaux, couleurs et formes, ont été depuis la nuit des temps, un moyen de communication, chargés d’une puissance conceptuelle mais aussi émotionnelle dont émanent valeurs éthiques et morales.

    La production et la circulation de formes symboliques constituent des phénomènes centraux dans la recherche en sciences sociales et les psychologues sociaux ont plus particulièrement étudié les processus par lesquels le sens est construit, renforcé et transformé dans la vie sociale.

    L’intérêt pour la fonction symbolique a permis l’émergence de nouveaux courants de recherche conceptuel et empirique dédiés à la compréhension de l’engagement des individus quand ils construisent du sens sur le monde dans lequel ils vivent et communiquent avec d’autres à ce sujet.

    Ces écussons, comme celui dans l’image suivante, en contact avec les citoyenne·s, se traduisent par un réflexe inconscient pour la majorité et un terrible constat pour les plus informés. D’une manière ou d’une autre, une signification se crée automatiquement, malgré la volonté de chacun·e.

    En rapport à la politique des symboles, chez le·a policier·ère tout est une représentation. Selon l’écrivain Arnaud-Dominique Houte "Au-delà de l’utilité pratique du costume, policiers et gendarmes affichent une prestance militaire qui renforce leur prestige. Mais ils montrent aussi qu’ils travaillent en toute transparence, en assumant leurs actes et en se plaçant au service du public". Le code vestimentaire du policier, son armement et sa posture font état d’une logique d’autorité et d’obéissance à la loi. Juger le port de ces écussons qui "appellent à la mort" comme inoffensifs ou insignifiants, comme l’excuse parfois la hiérarchie, révèle de la négligence politique. Si chaque interaction entre le public et la police "doit être conçue comme une expérience socialisatrice" contribuant à consolider la confiance et la légitimité de l’action policière, en quoi le port de tels symboles additionne un point positif à l’équation ?

    Devoir d’obéissance bafoué ou négligence de la hiérarchie ?

    La loi est précise. Néanmoins des policiers continuent à exhiber dans l’exercice de leurs fonctions et sur la place publique, leur affection aux "symboles repères" associés aux néo-nazis et à l’extrême droite. Au cours des dernières années, à plusieurs reprises, la police a été dans le collimateur de l’opinion publique consécutivement à la quantité importante de scandales qui ont émergés dans les médias et les réseaux sociaux. Comme pour les violences policières, de plus en plus de citoyens et de journalistes commencent à capter des images des insignes qui ornent parfois l’équipement de la police.

    Au large dossier des photos de cagoules/foulards tête-de-mort, écussons, tatouages, locutions, s’ajoutent les enquêtes de StreetPress ou Mediapart qui ont révélé, l’existence de groupes Facebook ou Whatsapp, où des policiers pour se divertir, nourrissent la violence virtuelle et propagent du racisme et du suprémacisme blanc à travers les réseaux sociaux. Le port de ces symboles pendant le temps de travail devient-il un prolongement des convictions politiques quotidiennes de certains policiers ?

    Selon la terminologie gouvernementale, ce sont des "signes faibles" d’une tendance vers "l’idéologie de la violence" qui s’intensifie dans la police et qui, coïncidence ou pas, s’aligne sur un mandat répressif, l’escalade de la violence, la logique punitive et liberticide. Une tendance politique favorisée et propagée par la Macronie ou des syndicats de police, synchrone aux logiques d’extrême droite, et qui malheureusement, modèle la doctrine des forces de l’ordre, ses intérêts et ses croyances. Enfin, elle matérialise un nouveau monde libéral, où légitimer la violence apparaît être plus qu’une nécessité mais une obligation.

    A la vue du défilé de scandales associés aux symboles d’extrême droite dans la police, il est difficile de croire que les policier·ères concerné·es puissent utiliser ces symboles par pure naïveté. Une simple recherche sur internet et il est possible de trouver facilement des informations qui attestent de l’utilisation de ces mêmes symboles par l’extrême droite, en France et notamment aux États-Unis. Frédéric Lambert, Professeur des universités et de l’Institut français de presse, également chercheur en Sémiologie et sémiotique des images d’information et de communication, nous explique très pragmatiquement que :

    « Les représentants de la loi et les professionnels qui doivent faire appliquer la loi, dont les policiers, travaillent pour l’État français. À ce titre, ils doivent porter les signes de l’institution qu’ils représentent, un uniforme réglementaire. Si certains policiers s’autorisent d’ajouter à leur tenue de service des signes qui ne sont pas autorisés, ils deviennent hors-la-loi eux-mêmes.

    Hélas cette dérive a pu s’observer en France, et l’on a vu des policiers municipaux porter le symbole du Punisher, héros de bande dessinée, puis insigne de certains groupe militarisés nazis, adopté par certains policiers aux États Unis. Deux remarques : les récits fictionnels envahissent nos réalités sociales, et il faudrait à ces policiers et à leur tutelle revenir dans la réalité de la justice sociale. La République française peut rêver mieux que de voir ses représentants porter des menaces en forme de tête de mort. Les signes au sein de la vie sociale sont bien trop importants pour que des policiers même municipaux s’en saisissent avec arrogance. »

    A chaque scandale, un rappel à la loi. Des policier·ères de différentes compagnies (police nationale, CRS ou BAC) se sont vus demander de respecter le code de déontologie et de retirer leurs écussons non-réglementaires. Néanmoins, malgré tous ces rappels et articles de presse, le Ministre de l’Intérieur et les préfets de police, n’arrivent pas à purger ces agents qui méprisent les principes de la neutralité politique.

    Le ministère de l’Intérieur Christophe Castaner en 2018, interpellé par Libération, au sujet d’un écusson ΜΟΛΩΝ ΛΑΒΕ, du grec - "viens prendre" sur l’uniforme d’un policier, clarifie.

    « Le RGEPN (règlement de la police nationale, ndlr) prohibe le port sur la tenue d’uniforme de tout élément, signe, ou insigne, en rapport avec l’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative. On ne sait pas à quelle référence l’insigne renvoie, mais il ne devrait pas figurer sur l’uniforme du CRS. »

    Ces dérives ne devraient pas exister. Cependant, depuis 2018, nous avons recensé plus d’une vingtaine de cas où les policiers affichent explicitement des insignes, signes, drapeaux, cagoules ou écussons à têtes de mort, tee-shirts BOPE (Batalhão de Operações Policiais Especiais - Brazil), etc ; symboles de référence majoritairement chez l’extrême droite, mais aussi chez les nationalistes, intégristes, militaristes, hooligans, etc.

    La tête de mort Punisher, le Totenkopf moderne.

    Le Punisher est un héros issu des comics Marvel, ancien soldat du corps des Marines, consumé par le désir de vengeance suite à l’assassinat de sa famille dans le Central Park. Il fut créé par le scénariste Gerry Conway en 1974.

    Le crâne ou tête-de-mort, a été utilisé dans plusieurs domaines depuis la Grèce antique soit dans le milieu littéraire, où il était associé à la sagesse, ou dans le milieu médical, funèbre, etc. L’un des premiers récits enregistré du "crâne et des os croisés" remonte à l’histoire militaire allemande et à la guerre de Trente Ans, lorsque les soldats bavarois, connus sous le nom "d’Invincibles", portaient des uniformes noirs avec des Totenkopfs blancs sur leurs casques.

    La tête-de-mort sera utilisée ainsi par les forces militaires allemandes à partir du XVIIe siècle jusqu’aux Nazis, où elle sera reconnue comme un "symbole de terreur", inscrit dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

    Dans un monde belliqueux dédié à la violence et à la mort, les symboles qui visent à inspirer la peur, l’horreur et la terreur, passent de main en main, d’époque en époque, et se répandent dans les forces militaires en guerre partout dans le monde.

    Le surprenant by-pass est que les forces militaires post-WorldWar II (en ce qui touche le War-Comics comme source de moral pour le troupes), éviteront de s’inspirer directement de la Totenkopf Nazie "crâne et des os croisés" étant donnée la charge historique ; mais le feront sous la forme de la tête-de-mort symbole du Punisher. Un malheureux choix, car elle aussi s’inspire de la Totenkopf Nazie, comme l’a révélé le magazine Forbes dans l’article :The Creator Of ‘The Punisher’ Wants To Reclaim The Iconic Skull From Police And Fringe Admirers.

    Parallèlement, la tête de mort nazie, continuera à être utilisé par des groupuscules extrémistes de droite et néo-nazis aux États-Unis, comme l’a démontré l’organisation ADL (Anti-Defamation League, créée 1913) dans une de ses enquêtes Bigots on Bikes-2011.

    Ce processus de récupération des symboles des personnages DC Comics et Marvel par des forces militaires pendant les guerres d’Irak et d’Afghanistan, appelés "Morale Patches non-réglementaires", fascine et donne encore aujourd’hui lieu à des thèses et des mémoires universitaires.

    Dans une étude pour la Loyola University of Chicago, Comics and Conflict : War and Patriotically Themed Comics in American Cultural History From World War II Through the Iraq War ; Cord A. Scott, cerne le moment ou la tête de mort Punisher commence à décorer les uniformes militaires pendant la guerre en Irak.

    (en 2003, NDLR), une unité de Navy SEAL en Irak a conçu des patchs avec l’emblème du crâne au centre, avec le slogan “God will judge our enemies we’ll arrange the meeting – Dieu jugera nos ennemis, nous organiserons la réunion.” Cela était cohérent avec le rôle original du personnage : comme une arme pour punir les coupables de leurs crimes contre la société, une mission qui reste la même qu’ils soient mafieux ou fedayin.

    Au fil de l’histoire, l’utilisation de la tête-de-mort Punisher ne se restreint pas aux forces militaires mais, au contraire, elle va se propager d’abord chez l’extrême droite puis dans la police américaine.

    Le phénomène s’extrapole en Europe vers 2010 et les premières photos de policier·ères français·es portant la tête de mort, datent de 2014, à Nantes. Cependant, des dizaines de policier·ères furent photographié depuis, affichant l’écusson, des foulards ou t-shirts avec la tête-de-mort Punisher.

    Récemment, dans une interview pour le Huffingtonpost, Gerry Conway l’auteur du comic Punisher, regrette le fait que cet insigne soit utilisé par les forces de police en France. Il explique pourquoi :

    “C’est assez dérangeant pour moi de voir les autorités porter l’emblème de ‘Punisher’ car il représente l’échec du système judiciaire. Ce symbole, c’est celui de l’effondrement de l’autorité morale et sociale. Il montre que certaines personnes ne peuvent pas compter sur des institutions telles que la police ou l’armée pour agir de manière juste et compétente”.

    Il est important de reconnaitre que la symbolique derrière ces insignes est très méconnue d’une grande partie de la population. Dans une situation où la police intervient, le calme, le respect et la neutralité religieuse, politique, de genre, sont des valeurs exigées pour éviter l’escalade de la violence. Lorsqu’un·e citoyen·ne face à la police aperçoit une tête-de-mort sur la tenue d’uniforme du policier et la locution « Le pardon est l’affaire de Dieu - notre rôle est d’organiser la rencontre » , que peut-ielle interpréter ? Une menace, un appel à la mort ?

    Le port de cet écusson bafoue le principe constitutionnel de neutralité auquel sont astreints tous les agents publics, ainsi que le code de la sécurité intérieure, lequel précise à son article R515-3 : « Les agents de police municipale s’acquittent de leurs missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois. ». De plus,L’affirmation « nous organisons la rencontre » est extrêmement inquiétante.

    Notre histoire, nos symboles, le ressort du repli identitaire.

    Le rapprochement entre la tête-de-mort Punisher et l’ancienne locution du commandant Arnaud-Amalric en 1209, " Tuez-les. Le Seigneur connaît ceux qui sont les siens", reprise et modifiée en "Dieu jugera nos ennemis, nous organisons la rencontre" n’est pas une coïncidence. Ces deux cultures qui semblent complètement éloignées, s’unissent dans un univers commun, celui du suprémacisme blanc, du nationalisme, du pan-européanisme et de la guerre des religions.

    Retrouvé, le fil perdu, l’histoire de ce "Morale Patche" Punisher avec sa locution qui fait référence aux croisades, se construit d’abord par la croissante islamophobie après les attentats de 2001 en Amérique. Puis il se matérialise pendant les incursions militaires en Irak et en Afghanistan. Dans l’image suivante, issue du magazine 1001mags-2009-Afganistan 2005, une panoplie d’écussons racistes, suprémacistes, font revivre à nouveau les croisades au Moyen Orient.

    L’affection identitaire aux Templiers et l’éloge des croisades catholiques au cœur de l’extrême droite sont bien connus. L’aspect inquiétant et qui semble de plus en plus une preuve que l’extrême droite s’investit dans les rangs policiers se dessine lorsque que nous corroborons que les deux idolâtrent les mêmes symboles.

    La dernière tragédie qui a frappé les agents de la paix doit sans l’ombre d’un doute interroger le Ministre de l’Intérieur sur l’utilisation de ce type de écussons. Un templier sur le bras d’un policier et un homme qui les attaque et leur crie "Allah Akbar", ne sont pas une pure coïncidence. La hiérarchie de police est responsable pour ce genre de dérives.

    A Paris, un agent de la BAC se balade comme un gangster à côté des manifestants, avec son holster super personnalisé et son tatouage représentant le bouclier du Captain America. Ce dernier renvoie d’abord à l’identité chrétienne puis au nationalisme. Historiquement, les guerriers Templiers ont anéanti la menace musulmane en Europe et au Moyen-Orient et ont permis au christianisme de se renouveler. Mais, ce policier ignore-t-il que les croisades ont fauché quelques 3.000.000 de vies en près de 200 ans ? Les croisades sont-elles vraiment un événement à glorifier et faire valoir dans la police ? Sommes-nous là devant un policier islamophobe ?

    A Marseille à l’été 2019, un autre policier de la BAC, qui au-delà de porter ses grenades (CS et GMD) dans les poches arrières de son pantalon, de manière non-réglementaire, exhibe ses tatouages. Le tatouage sur son bras droit est un des symboles les plus connus du christianisme, le Chrisme ("le Christ") avec l’Α-Alpha et l’Ω-Omega (le Christ est le début et la fin).

    Lorsqu’un.e citoyen.ne face à la police aperçoit le holster avec un guerrier templier, ou des tatouages chrétiens, cela peut être choquant et déclencher la peur. Encore pire, pour les communautés musulmanes en France, les réfugié·es, les sans-papiers, les gens du voyage, souvent victimes de contrôles au faciès par la police.

    Pour conclure ce sujet, qu’il s’agisse des Templiers ou du Punisher, tous deux exacerbent la violence, la vengeance, la suprématie blanche, des valeurs religieuses et l’éthique occidentale. Un code de conduite qui a été dans l’histoire imposé au monde à travers la violence, la mort, la colonisation et évidemment l’assimilation. En fin de compte, la grande question reste : quel est l’objectif de ces forces de l’ordre qui portent ces symboles dans la police républicaine ?

    Spartiates, les gardiens de la paix se trompent

    Ces agents de la police aveuglé·es par le repli identitaire, deviennent des Templiers mais aussi des Spartiates. Le "Force et Honneur" répondant à l’inspiration romaine, le “si vis pacem para bellum”, le ΜΟΛΩΝ ΛΑΒΕ et d’autres slogans repris depuis longtemps par l’extrême droite, débordent au sein de la police. D’autres agents arborent aussi la fleur de lys, symbole de la monarchie française et de la chrétienté.

    Pendant l’année de 2018, plusieurs symboles associés à l’Antiquité seront identifiés sur la tenue d’uniforme de policier·ères. En mai, sur une photo du journaliste Taha Bouhafs, on voit un CRS qui décore son uniforme avec l’insigne, ΜΟΛΩΝ ΛΑΒΕ, du grec - "viens prendre", référence à la bataille des Thermopyles. Un insigne, comme le "Lambda", très en vogue chez les groupuscules d’extrême droite comme la "Génération Identitaire".

    Dans le cas des écussons décorés avec le casque spartiate et qui définissent les unités d’intervention, ils sont pour la plupart réglementés et autorisées par les services de police. L’amalgame est plus insidieux, puisque le casque spartiate est utilisé en Grèce par les forces militaires, mais aussi par la police depuis plusieurs siècles. Le problème que pose l’utilisation de ce symbole nationaliste est que ces signes et insignes sont devenues depuis une cinquantaine d’années des slogans du lobby pro-arme américain, le symbole de milices, mais est aussi très répandu dans l’extrême droite haineuse.

    Le portrait plus angoissant et pervers de cet amour aux symboles est la violence que va avec. La hiérarchie se trompe et les gardiens de la paix aussi, quand ils acceptent de porter ce genre de symboles sans les questionner.

    La création de l’uniforme et des insignes, avaient comme objectif primaire le renforcement de l’image sociale et psychologique des anciens Sergents ou la Maréchaussée, et à partir du XIXe siècle des policiers, dans l’office de la répression et obéissance à la loi. Porter un écusson du roi était un symbole d’autorité, de la même façon que porter la Totenkopf dans le nazisme aspirait à la terreur.

    L’insigne officiel d’une des compagnies présentes le jour où les lycéen·nes de Mantes la Jolie ont été mis à genoux, portait l’écusson avec le casque spartiate. Effectivement, on parle de violence et de punition "in situ ", valeurs très éloignées de l’idée de gardien de la paix.

    Sur Checknews de Libération, au sujet du casque spartiate : “Rien d’étonnant à cela, puisque selon la préfecture des Yvelines, il s’agit « depuis très longtemps » de l’insigne officiel de la CSI (compagnie de sécurisation et d’intervention) du département, qui est intervenue hier. « C’est une compagnie de maintien de l’ordre, ils travaillent parfois avec des casques. Ils ont un casque sur leur uniforme, quel est le problème ? », dit la préfecture.”

    Un autre article du Figaro, Une petite ville bretonne s’inquiète d’une possible réunion néonazie, qui touche le sujet des franges radicales de l’extrême droite, identifie le même casque spartiate comme symbole de la “division nationaliste“.

    En Amérique, le mouvement suprémaciste blanc Identity Evropa, n’échappe pas au scan de PHAROS. Lors des manifestations de Berkeley en avril 2017, la plate-forme colaborative PHAROS (espace où les érudits et le public en général, peuvent s’informer sur les appropriations de l’antiquité gréco-romaine par des groupes haineux) explique que ces symboles sont utilisés par “les partisans de la théorie du « génocide blanc », soutenant des opinions anti-gay, anti-immigrés, antisémites et anti-féministes”., sont les mêmes symboles ou le même drapeau raciste “confédéré” affiché par des agents de police en France.

    Si dans le passé ces écussons spartiates avaient un sens, aujourd’hui leur utilisation parait complètement réactionnaire, et même dangereuse. Permettre que ce genre de concepts violents soit associé au travail des "gardiens de la paix" reflète un énorme manque de respect pour la profession, mais aussi pour la population française.

    Compte tenu des preuves et des liens de ces mêmes symboles avec les milieux extrémistes et violents, la négligence du gouvernement et de la hiérarchie s’accorde dans une résolution ; celle de l’acceptation de la violence et de l’extrémisme au sein de la police républicaine.

    Article sur : https://www.lamuledupape.com/2020/12/09/semiologie-la-police-dans-lepicentre-de-la-violence

    https://blogs.mediapart.fr/ricardo-parreira/blog/091220/semiologie-la-police-dans-l-epicentre-de-la-violence

    #vengeance #mort #tête_de_morts #racisme #fascisme #nazisme #écussons #signification #politique_des_symboles #légitimité #confiance #loi #code_vestimentaire #symboles_repères #néo-nazis #extrême_droite #suprémacisme_blanc #signes_faibles #idéologie #forces_de_l'ordre #France #dérive #Punisher #CRS #BAC #police_nationale #déontologie #neutralité_politique #uniforme #ΜΟΛΩΝ_ΛΑΒΕ #RGEPN #dérives #Batalhão_de_Operações_Policiais_Especiais (#BOPE) #Totenkopf #Marvel #Gerry_Conway #crâne #peur #horreur #terreur #Anti-Defamation_League (#ADL) #Morale_Patches_non-réglementaires #escalade_de_la_violence #Templiers #croisades #Captain_America #tatouages #Chrisme #Α-Alpha #Ω-Omega #contrôles_au_faciès #Spartiates #Force_et_Honneur #slogans #Lambda #génération_identitaire #nationalisme

    ping @karine4

    déjà signalé en 2020 par @marielle :
    https://seenthis.net/messages/890630

  • #Ukraine : « La dévastation de l’environnement est une #bombe à retardement »
    https://reporterre.net/Guerre-en-Ukraine-La-devastation-de-l-environnement-est-une-bombe-a-reta

    Le 25 février, au lendemain seulement de l’#invasion_russe, l’Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS) dressait déjà un premier bilan, non exhaustif, des dégâts. Dans des dizaines de villes — Kalynivka, Krasnopillia, Krivoy Rog, Dnipro, Zhitomir, Hostomel, Chuhuyev, Chernobaevka, etc. —, des incendies sur des infrastructures militaires et des aérodromes ont libéré « une pollution atmosphérique nocive » composée de gaz toxiques, de particules fines et de métaux lourds qui se sont répandus ensuite dans des zones où résident des civils. Sur le long terme, les dommages pourraient être conséquents et les sols durablement contaminés.

    « En #guerre, l’#empoisonnement et la destruction de l’#environnement n’ont rien de marginal, analyse Ben Cramer, chercheur en sécurité environnementale. Elle s’inscrit dans une #stratégie plus générale de l’envahisseur cherchant à déployer ses capacités de nuisance : la #terreur et la #pollution sont des #armes parmi d’autres. »

  • Nouveaux témoignages accablants pour Patek Philippe
    https://www.letemps.ch/economie/nouveaux-temoignages-accablants-patek-philippe

    Le décor n’a pas changé : une salle de la permanence d’Unia à Genève. Sauf que cette fois, aucun témoin direct n’est là pour décrire le climat de travail jugé « toxique » chez Patek Philippe. « La plupart des personnes qui nous ont contactés suite à la conférence de presse du 8 juin travaillent encore dans l’entreprise. Elles ont peur pour leur emploi et ne sont pas en mesure de parler pendant les heures de travail », indique aux médias présents Alexis Patiño, secrétaire syndical chargé de l’horlogerie chez Unia Genève.


    Début juin, six personnes avaient raconté aux journalistes, sous couvert de l’anonymat, les situations de harcèlement, de mobbing et de discrimination qu’elles estimaient avoir subies en travaillant pour la prestigieuse marque horlogère. Certaines d’entre elles avaient aussi fait part de leur incompréhension : en faisant remonter des possibles dysfonctionnements, elles s’étaient retrouvées elles-mêmes fragilisées au sein de l’organisation.

    Pressions, racisme et sexisme
    « Nous pensions que ces problèmes concernaient surtout un ou deux secteurs, signale Alexis Patiño. Le nombre de réactions que notre première intervention a suscitées nous a réellement surpris. Elle montre que le problème est plus grave que nous ne le croyions. » Le syndicat dit avoir reçu une cinquantaine de témoignages. Il en a retenu une quarantaine et en a transmis 17 à l’Office cantonal genevois de l’inspection et des relations du travail (OCIRT)

    Alerté par des employés, l’office est déjà intervenu une première fois en début d’année. Pointant des risques « psychosociaux » dans une division, il a demandé à la direction de la manufacture une mise en conformité. Le droit du travail impose en effet à l’employeur de veiller à la santé et à l’intégrité de ses employés. Chez Patek Philippe, ils sont quelque 1600, sur le site de Plan-les Ouates.

    Que se passe-t-il dans les ateliers et les bureaux de l’horloger ? Pressions, remarques sexistes ou dévalorisantes, harcèlement, propos racistes… Le spectre des critiques est large. Leur dénominateur commun paraît être une grande souffrance ressentie par une partie de son personnel. Il en résulte des démissions, des licenciements et des arrêts maladie prolongés. Comme il l’avait fait en juin, Unia insiste sur la passivité dont la direction semble faire preuve dans le traitement de ces dysfonctionnements.

    Sollicitée par Le Temps, l’entreprise a également envoyé une prise de position en début de soirée. Tout en se montrant « surprise » par ces nouvelles révélations, elle dit regretter « toute atteinte à la personnalité qui a pu se produire dans son entreprise et présente ses excuses aux personnes qui ont pu souffrir de comportements inadéquats ». Patek Philippe assure par ailleurs que tout sera mis en oeuvre pour comprendre pourquoi ses outils de prévention n’ont pas permis d’identifier les problèmes signalés. 

    Confiance rompue
    Mandatés par certains employés, Unia a désormais qualité de partie dans la procédure, ce qui implique qu’il pourra consulter le dossier monté par l’OCIRT. Alexis Patiño ne cache pas trouver ce dernier un peu « frileux », surtout parce que les personnes chargées de prendre des mesures sont celles en qui les employés n’ont plus confiance. « Peut-être faudrait-il un audit externe comme cela a été le cas par exemple à la RTS », ajoute le syndicaliste. Celui-ci dit ne pas forcément vouloir que des têtes tombent au sein de l’entreprise, mais surtout voir la situation réglée. 

    Le service cantonal est lié par le secret de fonction et ne peut s’exprimer sur cette affaire, a-t-il indiqué au Temps. Il a pour mission d’identifier pourquoi une situation a créé de la souffrance au travail et d’aider à mettre en place le dispositif adéquat pour résoudre le problème. « C’est à l’entreprise d’identifier les facteurs qui ont amené à une situation conflictuelle, mais nous posons des jalons de l’analyse à faire et fixons ensuite les mesures à mettre en place », souligne Christina Stoll, directrice générale de l’office.

    Les décisions managériales sont en revanche de la compétence de l’employeur. « Nous, nous fixons des délais pour mettre en œuvre les mesures et nous contrôlons que cela soit fait », ajoute la responsable. Dans son communiqué, Patek Philippe dit « procéder actuellement à des travaux d’analyse des risques psychosociaux avec la collaboration de la commission du personnel et l’aide d’une société spécialisée externe ». 

    A ce stade, aucune nouvelle action en justice n’est entreprise, même si de telles options ne sont pas exclues, certaines personnes ayant vu leur licenciement suspendu à la suite d’un arrêt maladie. Pour mémoire, le tribunal des prud’hommes a été saisi pour deux licenciements opérés par l’horloger genevois. Une première séance en conciliation vient d’échouer.

    Le #management par la #terreur et le #harcèlement c’est aussi dans le #luxe
     #sexisme #travail #suisse #violence #domination #pouvoir#Surveillance #violence #dévalorisation #racisme #Philippe_Patek

  • Cinq ans de manifestations disséquées : comment les forces de l’ordre usent des grenades au mépris des règles

    Enquête de fond par Sébastien Bourdon, Emile Costard et Antoine Schirer | Mediapart - 5 juillet 2021
    https://www.mediapart.fr/journal/france/050721/cinq-ans-de-manifestations-dissequees-comment-les-forces-de-l-ordre-usent-

    Cette semaine doivent se tenir de nouvelles tables rondes du « Beauvau de la sécurité ». Au programme, le maintien de l’ordre et le contrôle interne de la police notamment. Après plusieurs années d’opérations caractérisées par un nombre important de blessés et de mutilés, chacun connaît désormais la dangerosité des armes en dotation. Les usages en manifestation de « LBD », « GMD », « GLI-F4 » et autres armes dites de « forces intermédiaires » font débat. Leurs mésusages beaucoup moins.

    Le ministère de l’intérieur ne dispose d’aucune donnée sur cette problématique pourtant centrale. Mediapart a enquêté sur cet angle mort institutionnel pour savoir si l’utilisation de ces armes sur le terrain est conforme à ce que prévoient les textes. Après avoir disséqué et analysé cinq années d’images d’opérations de maintien de l’ordre, nous avons pu établir que plus d’un jet sur deux de grenades de désencerclement (GMD) est non réglementaire. Près d’un tir sur cinq de lance-grenades contrevient également aux réglementations en vigueur. Afin que notre travail ne puisse souffrir de contestations, nous avons décidé de rendre public l’ensemble de notre base de données.
    Contactée par Mediapart, la police nationale rappelle l’existence du « traitement relatif au suivi de l’usage des armes » (TSUA). Chaque fonctionnaire ayant fait usage d’une arme doit indiquer dans ce fichier le lieu, la date et l’heure du tir, ainsi que son motif et ses conséquences. Le tout est validé par un supérieur hiérarchique avant transmission à l’IGPN, qui mentionne ces chiffres dans son bilan annuel. Des données qui ne renseignent néanmoins pas sur le caractère réglementaire de l’utilisation des armes. Et dont sont exclues les grenades lacrymogènes, et donc l’utilisation de lance-grenades.

    À partir des images réalisées par l’agence de presse Line Press et disponibles en ligne sur YouTube, nous avons répertorié et isolé les séquences montrant l’utilisation de grenades de désencerclement et de lance-grenades dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre. Pour ces deux armes, une analyse visuelle permet d’estimer la fréquence à laquelle leur usage est contraire aux textes encadrant leur emploi.

    Au total, notre base de données s’appuie sur plus de 145 heures d’images filmées entre mai 2016 et décembre 2020, qui couvrent donc les grands mouvements sociaux de ces dernières années : manifestations contre la loi travail, contre la loi sécurité globale, mobilisation contre la réforme des retraites, et nombreux « actes » des « gilets jaunes ». Des luttes locales ou sectorielles également : ZAD de Notre-Dame-des-Landes, manifestations de pompiers, soignants, agents pénitentiaires, cheminots… ou bien encore les mouvements contre les violences policières autour des « affaires » Théo, Adama Traoré, Liu Shaoyo… [la liste des vidéos consultées, ainsi que la base de données de cette enquête sont à retrouver dans l’onglet Prolonger ou directement ici accessible ici https://docs.google.com/spreadsheets/d/1vOxy7TTBW35YsoaN7PDXIjMjGZUkzlJkrgVJWA4pEYY/edit#gid=1144164338 ].

    #violences_policieres #maintien_de_l'ordre #armes #grenades #lance-grenades #manifestations #Police #zad #gilets_jaunes #controle_social #terreur

  • Une meute de chasseurs terrorise un cerf jusque dans une gare en bloquant les trains plusieurs heures.
    https://actu.orange.fr/france/sncf-un-cerf-traque-par-des-chasseurs-bloque-la-circulation-des-trains-m

    Selon un témoin interrogé par France 3 Hauts-de-France, les chasseurs ont poursuivi le cerf « avec leurs chiens jusque dans la gare ». La même source rapporte que les forces de l’ordre ont dû intervenir pour repousser les chasseurs, et garder les curieux à distance.

    #chasseurs
    #france_de_merde
    #terreur

  • Entretien avec #Mathieu_Rigouste : une #généalogie coloniale de la police française
    (2017 —> pour archivage)

    L’entretien qui suit est la transcription d’une conversation ayant eu lieu le 23 septembre 2016 afin de figurer dans le 8ème numéro de The Funambulist (disponible en ligne et dans certaines librairies) dedié a une critique de la police dans differents contextes politiques et géographiques (États-Unis, Palestine, Égypte, Allemagne, Brésil, France). https://thefunambulist.net/magazine/police

    LÉOPOLD LAMBERT : Mathieu, ton travail consiste à beaucoup d’égards de mettre à jour la #généalogie_coloniale déterminante de la #police_française. J’aimerais donc commencer cette conversation avec le #massacre du #17_octobre_1961 qui a vu la police parisienne tuer entre 40 et 100 algérien-ne-s lors de manifestations ayant rassemblé environ 30 000 personnes en solidarité avec le #FLN. Lorsque nous évoquons la répression sanglante de l’état français au moment de la révolution algérienne, nous pensons souvent aux #violences commises en Algérie mais pas nécessairement en « métropole » ; c’est pourtant là que ce se détermine la police française d’aujourd’hui en relation à la partie de la population provenant d’anciennes colonies de « l’Empire » (nous en parlerons plus tard). Peux-tu nous décrire cette relation, ainsi que de la figure déterminante de #Maurice_Papon, préfet pour le régime Vichiste, puis à #Constantine en Algérie et enfin à l’œuvre à Paris donnant l’ordre d’un tel massacre ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Il y a plusieurs racines de l’#ordre_sécuritaire. L’axe de mes recherches, c’est la #restructuration_sécuritaire qui accompagne la restructuration néolibérale du #capitalisme à l’époque contemporaine. Dans tous mes travaux je retombe sur ce mécanisme dans lequel on voit la société impérialiste française importer dans son système de #contrôle, de #surveillance, de #répression des dispositifs qui viennent des répertoires coloniaux et militaires. Au sein de l’Algérie qui est la colonie de peuplement et d’expérimentations d’une gestion militaire de la population colonisée la plus poussée, sont développés des répertoires d’#encadrement qui vont influencer en permanence, depuis 1830, la restructuration du contrôle de la population « en métropole ». Notamment par l’application de ces dispositifs sur les populations directement désignées comme étant la continuité des indigènes en Algérie, c’est-à-dire principalement les #arabes à #Paris. On a donc des répertoires particuliers, des #régimes_policiers de #violences appliqués aux colonisés « en #métropole » qui font un usage régulier de pratiques de #coercition, d’#humiliation, de #rafles, d’#assassinats, de #tortures longtemps avant la #guerre_d’Algérie et de manière continue. On a déjà une police dans les années 30 qui s’appelle #Brigade_de_surveillance_des_Nord-Africains (#BNA) qui est donc une police opérant sous critères racistes, chargée par l’utilisation de la coercition d’encadrer les français de souche nord-africaine. Ces répertoires vont se transmettre. La continuité de l’état, ça veut dire la continuité des personnels, des administrations, des bureaucraties. Et à travers la restructuration des unités de police, se transmettent des systèmes de #discours, d’#imaginaires, d’#idéologies, et de #pratiques.

    Donc au moment du 17 octobre 1961, il y a déjà tous ces répertoires qui appartiennent à l’arsenal de l’encadrement normal et quotidien des arabes à Paris. J’essaye d’alimenter une piste un peu nouvelle qui apporte un regard supplémentaire aux travaux critiques qui avaient été faits sur la question et qui essaye de montrer comment les doctrines de #contre-insurrection dominaient la pensée militaire de l’époque et comment elles ont été importées et réagencées après leur application industrielle pendant la guerre d’Algérie, notamment à partir de 1956, pour passer du répertoire militaire et colonial dans le répertoire policier de l’écrasement des arabes à Paris. Tu l’as dit, ça passe par des personnels ; on pense à la figure de Maurice Papon en effet, mais aussi à des « étages » moyens et inférieurs de la police, les #CRS, les #gendarmes_mobiles… tout le monde fait son séjour en Algérie pendant la guerre en tant que policier en formation ou pour servir puisqu’on avait utilisé la plupart des effectifs militaires et policiers disponibles à l’époque. Il y a donc déjà une masse de policiers et de gendarmes qui ont été faire la guerre aux colonisés et ils se sont appropriés le modèle de contre-insurrection, le modèle de #terreur_d’Etat. Et puis, il y a aussi tout le contingent, les « #appelés », toute une génération de jeunes mâles qui vont se construire – certains, en opposition, mais une minorité – dans cette guerre d’Algérie, et à travers toute l’économie psychique que ça suppose, les #peurs et la #férocité que ça va engendrer dans toute une génération qui prendra ensuite les manettes de la #Cinquième_République.

    Ce que j’essaye de montrer donc, et que l’on voit bien dans le discours de Maurice Papon à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) en 1960, c’est que lui en tant que #IGAME, c’est-à-dire super préfet itinérant en Algérie, se forme à la contre-insurrection – c’était déjà un spécialiste des mécanismes de #purges, il s’était illustré par la #déportation des juifs de Bordeaux pendant l’occupation – et donc, assez logiquement, est nommé super préfet en Algérie pour organiser l’écrasement de la #révolution_algérienne. Il se forme ainsi à la contre-insurrection et expériment une forme de remodelage d’une contre-insurrection militaire et coloniale en contre-insurrection militaro-policière et administrative. Il se fascine completement pour cette doctrine qui exhorte à se saisir de l’ennemi intérieur pour pacifier la population, qui dit que le guérillero, le partisan, est comme un poisson dans l’eau, l’eau étant la population, et donc qu’il faut se saisir de la population. Ce système idéologique et technique va être élevé au rang de doctrine d’état et devenir hégémonique dans la pensée militaire francaise à partir de 1956. Dès lors, la doctrine « de la guerre (contre) révolutionnaire » alimente la restructuration des appareils de défense intérieure, « la #défense_intérieure_du_territoire » à l’époque, c’est-à-dire les grands plans de #militarisation_du_territoire en cas d’invasion soviétique. #Papon fait partie de la plateforme de propulsion d’une analyse qui dit que probablement une invasion soviétique – c’est la grille de lecture générale de toute la pensée militaire de l’époque – serait certainement précédée de manifestations géantes communistes et nord-africaines. Papon a en quelque sorte ouvert les plans de défense intérieure du territoire le 17 octobre. Il n’y avait eu que très peu de renseignements du côté de la Préfecture et ils ont été pris au dépourvu ; lorsqu’ils se sont rendus compte le 16 au soir, ou le 17 au matin qu’il y allait il y avoir des manifestations, ils sont allés chercher dans les répertoires disponibles, en l’occurrence la défense intérieure du territoire qui sont donc des plans de gestion militaire de la métropole en cas d’invasion soviétique. Ca explique pas mal de choses sur la puissance du dispositif mis en œuvre. Sur la radio de la police, on diffusait des messages d’#action_psychologique, on disait que les arabes avaient tué dix policiers à tel endroit, etc. pour exciter la #férocité des policiers. Il y a encore un autre aspect qu’il faut prendre en compte – j’y travaille en ce moment – c’est le soulèvement des masses urbaines de décembre 1960 en Algérie. C’est un peu la réponse à la #bataille_d’Alger, c’est-à-dire la réponse du peuple colonisé à la contre-insurrection. C’est un déferlement des masses (avec des enfants, des vieux, des femmes, etc.) dans les rues des grandes villes algériennes qui déborde la militarisation, déborde la contre-insurrection militaire et policière et emporte le versant politique de la guerre d’Algérie alors que le versant militaire était quasiment perdu. Le FLN et l’#Armée_de_Libération_Nationale étaient quasiment K.O. technique, militairement parlant et c’est donc le plus petit peuple qui remporte l’aspect politique de la guerre d’Algérie. Ça va marquer très très fort les administrations, les états-majors politiques, militaires et policiers et quand Papon se fait « ramener » à Paris c’est parce qu’il est reconnu comme un spécialiste de la gestion des arabes aux colonies et qu’on lui demande de faire la même chose à Paris. Il emporte donc cette mémoire avec lui et au moment où son état-major obtient l’information qu’il va il y avoir des manifestations organisées par le FLN et que des algériens vont marcher, depuis les périphéries vers le centre-ville – c’est-à-dire le même mouvement qu’en décembre 1960 en Algérie – il va utiliser l’arsenal d’écrasement qui est à sa disposition.

    Bien entendu, tout cela va semer des graines dans toute la Cinquième République qui est fondée autour du coup d’état militaire qui porte De Gaulle au pouvoir en 1958 et à travers toute cette grammaire idéologique qui considère les arabes et les communistes comme un #ennemi_intérieur dont il faudrait se saisir pour protéger la France et « le monde libre ». Voilà pour le contexte idéologique.

    LÉOPOLD LAMBERT : Dans le livre qu’est devenu ta thèse, L’ennemi intérieur (La Découverte, 2009), tu décris cette généalogie dans de grands détails. Peux-tu nous parler en particulier de la manière dont la doctrine de contre-insurrection coloniale française, élaborée d’abord par des militaires comme le Maréchal #Bugeaud au moment de la colonisation de l’Algérie, puis par d’autres comme #Roger_Trinquier, ou #Jacques_Massu au moment de la guerre de son indépendance a par la suite influencé d’autres polices et armées à l’échelle internationale – on pense notamment à Ariel Sharon ou David Petraeus ?

    MATHIEU RIGOUSTE : On peut dire que c’est à l’origine même de la construction de l’Etat. L’Etat se forge comme #contre-révolution. C’est un appareil qui permet aux classes dominantes de refermer soit le mouvement révolutionnaire soit le temps et l’espace de la guerre pour asseoir leur domination. Tout état se forme donc sur des appareils de contre-insurrection. Du coup, on trouve une pensée contre-insurrectionnelle chez #Sun_Tzu ou dans toute autre philosophie politique. Mais effectivement avec l’avènement de l’état nation moderne, du capitalisme et de sa version impérialiste, la contre-insurrection va elle-même prendre des formes modernes, industrielles, va se mondialiser, va se techniciser, va se rationaliser, et va évoluer en même temps que les systèmes technologiques. Du coup on a des formes modernes de doctrines de contre-insurrection chez le Maréchal Bugeaud en effet. Lui-même, son parcours et sa pensée reproduisent le mécanisme de restructuration impériale, c’est-à-dire l’importation de dispositifs issus de l’expérimentation coloniale et militaire vers le domaine du contrôle. Il va ainsi pouvoir expérimenter des pratiques contre-insurrectionelles à travers la conquête de l’Algérie avec toute sortes de dispositifs qui vont perdurer, comme les rafles, les déplacements de population, etc. et d’autres qui vont être mis de côté comme les enfumades, mais il y reste bien une logique d’extermination durant toute la conquête de l’Algérie.

    Pendant les dernières décennies de sa vie, Bugeaud ne cesse d’insister sur le fait qu’il a constitué une doctrine de contre-insurrection applicable au mouvement ouvrier en métropole. Il passe également beaucoup de temps à démontrer les similarités qu’il y aurait entre le processus révolutionnaire – ce que lui appelle « les insurrections » – au XIXe siècle en métropole et les révoltes aux colonies. À la fin de sa vie, il écrit même un livre (qui ne sera pas distribué) qui s’appelle La guerre des rues et des maisons dans lequel il propose de transférer son répertoire de contre-insurrection à la guerre en ville en métropole contre le peuple et dans lequel il développe une théorie d’architecture qui va se croiser avec toute l’hausmannisation et qui correspond à l’application de la révolution industrielle à la ville capitaliste. On va donc voir des doctrines militaires et coloniales passer dans le domaine policier en même temps que Hausmann « perce la citrouille » comme il dit ; c’est-à-dire en même temps qu’il trace les grandes avenues qui permettent à la police ou l’armée de charger les mouvements ouvriers. On introduit également tout cet imaginaire de la tuberculose, des miasmes, etc. On assimile les misérables à une maladie se répandant dans Paris et il faudrait donc faire circuler l’air. C’est comme aujourd’hui dans la rénovation urbaine, on ouvre des grands axes pour que la police puisse entrer dans les quartiers populaires le plus facilement possible et aussi pour les enfermer. Et on invoque la circulation de l’air. On a donc ces logiques avec tout un imaginaire prophylactique, hygiéniste, qui se met en place en même temps qu’on importe le répertoire contre-insurrectionnel dans le domaine de la police sur toute la seconde partie du XIXe siècle.

    Avec la restructuration impérialiste, les Etats-nation, les grandes puissances impérialistes du monde occidental vont s’échanger en permanence leurs retours d’expériences. On en a des traces dès 1917 après la révolution russe, où on voit donc les polices et les armées du monde occidental se faire des comptes rendus, s’échanger des synthèses d’expérience. Et c’est comme ça tout au long du XXe siècle. Tu parlais d’Ariel Sharon ; on a des traces du fait que des envoyés spéciaux de l’armée (et peut-être aussi de la police) israélienne qui ont été en contact et qui ont sans doute été également formés au Centre d’Instruction à la Pacification et à la contre-Guérilla (CIPCG) en Algérie. Les spécialistes de la contre-insurrection français et israéliens s’échangent donc, dès la guerre d’Algérie, des modèles d’écrasement de leurs ennemis intérieurs respectifs. On a donc une sorte de circulation permanente des textes révolutionnaires et contre-révolutionnaires. J’avais travaillé là-dessus pour une préface que j’ai écrite pour la réédition du Manuel du guérillero urbain ; on pense que ce manuel a beaucoup plus circulé dans les milieux contre-insurrectionnels que dans les mouvements révolutionnaires – ceux-ci disaient d’ailleurs qu’il n’avaient pas vraiment eu besoin d’un manuel de guérilla urbaine dans les années 1970. On a donc une circulation permanente et parfois paradoxale des textes révolutionnaires et contre-révolutionnaires, et des expériences.

    LÉOPOLD LAMBERT : Et des films comme La bataille d’Alger !

    MATHIEU RIGOUSTE : Exactement ; j’allais y venir. Ce film est d’abord censuré les premières années mais il va circuler en sous-main et il va être validé très rapidement par l’armée française qui dit que les choses se sont passées de manière très proche de ce qu’on voit dans le film. Celui-ci va donc à la fois permettre d’introduire la question contre-insurrectionnelle et le modèle français notamment. Bien que ça n’ait pas forcément forcé l’application exacte de ce modèle dans toutes les armées occidentales, on retrouve ce film dans beaucoup de formations militaires étrangères. On retrouve le film dans des mouvements révolutionnaires également : on sait par exemple que les zapatistes le projettent de temps en temps et s’en servent, d’autant que l’armée mexicaine est une grande collaboratrice de l’armée française. La gendarmerie mexicaine qui a tué des enseignants à Oaxaca il y a trois mois venait d’être formée par la gendarmerie française à ce modèle de gestion des foules, mais aussi au maniement des armes que la France vend avec.

    LÉOPOLD LAMBERT : Dans un autre livre, La domination policière (La Fabrique, 2012), tu dédies un chapitre entier à une branche de la police française qui est sans doute celle contribuant le plus à la continuation de la ségrégation coloniale de la société française, en particulier dans les banlieues, la Brigade AntiCriminalité (BAC). Quelqu’un comme Didier Fassin a fait une étude anthropologique très utile mais, somme toute assez académique puisque venant de l’extérieur, mais toi-même a vécu la plus grosse partie de ta vie en banlieue parisienne, à Gennevilliers et tes écrits peuvent ainsi nous donner un regard plus incarné à la violence raciste (et souvent sexiste et homophobe) qu’une telle branche de la police développe. Peux-tu brièvement nous retracer l’histoire de la BAC et nous parler de son action en banlieue ces dix dernières années (cad, depuis les révoltes de 2005) ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Les Brigades AntiCriminalités représentent assez bien ce que j’essaye de démontrer dans mes travaux sur le capitalisme sécuritaire parce qu’elle a deux origines ; c’est la fusion des polices endo-coloniales et de la restructuration néolibérale de l’État. Ce sont des polices qui vont être formées au début des années 1970 et qui vont aller puiser dans les personnels, dans les grilles idéologiques, dans les boites à outils pratiques des polices endocoloniales. Je dis endocolonial pour parler de ces polices comme la Brigade de surveillance des Nord-Africains, et par la suite les Brigades Agression et Violence qui déploient les repertoires coloniaux sur des populations internes au pays sur des critères socio-racistes. Je parle d’endocolonialisme car ce ne sont pas les mêmes régimes de violence que ce qui est appliqué aux colonies et ce ne sont pas les mêmes régimes de violence appliqués aux classes populaires blanches – les Black Panthers ne se prenaient pas tellement la tête ; ils parlaient juste de colonies intérieures. Et parce que la société impérialiste a besoin de maintenir la surexploitation et la surdomination d’une partie des classes populaires, la partie racisée, elle a aussi besoin d’une police spécifique pour ça. C’est pour ça qu’après 1945, c’est-à-dire après le vrai-faux scandale de la collaboration de la police française à la destruction des juifs d’Europe, la bourgeoisie Gaulienne invente « la France résistante » et tente de faire croire que ce racisme a été renvoyé aux oubliettes. Mais bien-sûr on va reproduire les mêmes types de dispositifs avec souvent les mêmes personnels – on va aller rechercher les gens qui étaient dans les BNA vu qu’ils savent faire et qu’on va leur refiler le même boulot – et on va trouver une nouvelle dénomination, celle des Brigades Agression et Violence. Un appareil de gestion socio-raciste va ainsi être mystifié par cette dénomination, ce qu’on retrouve également dans la dénomination d’AntiCriminalité aujourd’hui dans cette rhétorique de la « guerre à la délinquance » qui permet de cacher les appareils de production du socio-apartheid derrière des mythes légalistes.

    On se retrouve donc avec une police qui fait à peu près la même chose, qui se rationalise, se modernise, et au tout début des années 1970, c’est-à-dire juste après 1968 – parce que dans tous ces ennemis intérieurs, il y a aussi le gauchiste, la figure qui n’avait jamais complètement disparue du révolutionnaire qu’incarnait la figure du fellagha – on considère qu’il faut des polices modernes qui vont aller dans les quartiers populaires installer la nouvelle société rationnelle, optimisée, néolibérale, etc. On va donc aller chercher dans les répertoires d’idées, de pratiques, de personnels, pour forger une nouvelle police. La première expérimentation se fait en Seine-Saint-Denis, c’est pas un hasard et en 1973, on file à un ancien des Brigades Agression et Violence la charge de policer les quartiers populaires de Seine-Saint-Denis et son unité va donc s’appeler la Brigade AntiCriminalité. Il va mettre à profit tout ce qu’on apprend à l’époque dans les grandes écoles de la nouvelle société, c’est-à-dire, ce qui s’appellera bientôt le néomanagement : l’application aux appareils d’état de la restructuration néolibérale dans les entreprises en quelques sortes. D’ailleurs, la doctrine de la guerre contre-révolutionnaire va elle-même être transposée dans les théories néolibérales et on parlera de doctrines de « guerre économique » par exemple. Il s’agit de détruire l’entreprise ennemie, en l’empoisonnant, en quadrillant son marché, en utilisant des agents de renseignement, tout ça nait au cours des années 1970. Cette première BAC va influencer la naissance d’autres unités sur le même mode dans différente villes et on va ainsi appliquer aux quartiers populaires des méthodes de gestion endocoloniales ce qui va mener aux premières grandes révoltes contre les violences policières dans les cités.

    Il apparait également une nouvelle logique comptable qu’on va appeler aujourd’hui « la politique du chiffre » qui consiste à optimiser le rendement, la productivité de la machine policière. Faire du chiffre, ça veut dire faire le plus possible de « bâtons », c’est-à-dire des « mises-à-disposition ». Ils appellent ça « faire une affaire » ; une affaire, c’est ramener quelqu’un et une histoire à traiter pour l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) et si cette histoire est suffisamment utilisable pour en faire une affaire auprès du procureur et du coup aller jusqu’en justice et mettre cette personne en prison ou en tout cas essayer, ça fera un « bâton ». Ces bâtons gonflent une carrière et donc par exemple un commissaire qui veut « grimper », devenir préfet ou je ne sais quoi, il a tout intérêt à développer des unités de BAC dans son commissariat parce que celles-ci font beaucoup de mises-à-disposition puisqu’elles fonctionnent sur le principe du flagrant délit – les Brigades Nord-Africaines fonctionnaient déjà sur cette idée. Le principe du flagrant délit, c’est un principe de proaction. On va laisser faire l’acte illégal, on va l’encadrer, voire l’alimenter, voire même le suggérer ou le produire complétement pour pouvoir se saisir du « délinquant » au moment où il passe à l’action. La BAC est donc un appareil qui tourne beaucoup autour de la production de ses propres conditions d’extension. Cette logique de fond, c’est notamment ça qui va faire que les BAC vont se développer dans l’ère sécuritaire, c’est parce qu’elles font beaucoup de chiffre et qu’elles produisent également beaucoup de domination socioraciste, dont l’Etat a besoin pour contenir le socio-apartheid. Ceci se trouve dans le fait que le plus facile pour faire des mises-à-disposition et remplir ainsi cette mission néolibérale consiste à « faire » des ILS et des ILE : des Infractions à la Législation sur les Stupéfiants – des mecs qui fument des joints – et des Infractions à la Législation sur les Étrangers – des sans-papiers. Comment on trouve du shit et des gens qui n’ont pas de papiers ? Eh bien on arrête les noirs et les arabes. On traine donc autour des quartiers populaires pour faire des arrestations au faciès sur les classes populaires de couleur.

    Voilà comment nait en gros la BAC dans les années 1970 ; elle s’est ensuite développée tout au long des années 1980, d’abord par l’intermédiaire des BAC de Surveillance de Nuit (BSN) et au début des années 1990 et l’avènement de Charles Pasqua – le symbole le plus caricaturale des logiques politiques, policières et militaires de la guerre d’Algérie et dont la carrière politique est structurée autour de la chasse à l’ennemi intérieur – au Ministère de l’Intérieur, il va intensifier cette utilisation des répertoires de contre-insurrection et va être à la pointe de la genèse du système sécuritaire français. C’est lui notamment qui va rendre possible que toutes les villes de France puisse développer des BAC. Ce qui est à nouveau très intéressant du point de vue du capitalisme sécuritaire c’est que les BAC sont des unités qui utilisent beaucoup de matériel, et qui en revendiquent beaucoup, qui « gueulent » pour être de plus en plus armées. Ça c’est très intéressant pour les industriels de la sécurité. Pour les flashballs par exemple ; les BAC ont demandé à en être armées très vite, elles veulent les nouveaux modèles et elles participent avec les industriels à créer les nouveaux modèles et, bien-sûr, c’est elles qui utilisent le plus de munitions : le flashball est utilisé tous les soirs pour tirer dans les quartiers populaires de France. C’est la même chose pour les grenades lacrymogènes ; on en voit beaucoup dans le maintien de l’ordre des manifestations de mouvements sociaux dans les centre-villes mais les gaz sont utilisés quotidiennement dans les quartiers populaires.

    Le phénomène continue de se développer dans les dix dernières années. La BAC semble vraiment caractéristique de ce capitalisme sécuritaire, notamment par sa férocité mais aussi par son aspect ultralibéral, ultraproductif, ultraoptimisé, ultraviril, ultramédiatique : la BAC se met en scène, les agents s’inspirent énormément de ce qu’ils voient à la télévision… On a même une extension de ce qu’elle a inventé comme système de domination et d’écrasement des quartiers populaires vers la gestion des autres mouvements sociaux, comme récemment des luttes contre la loi travail. Généralement, la BAC est utilisée comme dispositif de pénétration, de saisie, de capture et elle est de plus en plus combinée à des dispositifs d’encerclement, d’enfermement, d’étranglement dans lesquels on utilise plutôt les CRS, les gardes mobiles. On a vu pendant le mouvement contre la loi travail, les BAC qui étaient employées à faire « du maintien de l’ordre ». À Toulouse, on a vu les effectifs des BAC sont utilisés dans l’expérimentation de nouveaux dispositifs hybrides : capable de faire et du maintien de l’ordre et de la capture, de l’intervention, de passer de l’un à l’autre en permanence, et de passer à des niveaux d’intensité très hauts très rapidement. La BAC rejoint ainsi la logique de restructuration de tous les appareils en ce moment qui consiste à devenir rhéostatique : être capable de s’adapter comme le mode de production toyotiste, c’est-à-dire s’adapter le plus instantanément à la demande, avec le moins de stock et de dépenses possibles et de la manière la plus rationalisée qui soit.

    LÉOPOLD LAMBERT : Tout comme Hacène Belmessous dans le deuxième numéro de The Funambulist, tu décris la manière dont « la rénovation urbaine » enclenchée en 2003 constitue à beaucoup d’égards une manière pour la police de s’approprier l’espace urbain des banlieues. Peux-tu nous en dire plus ? Cela intéressera sans doute beaucoup la moitié (ou le tiers) des lecteurs/-trices de The Funambulist qui sont architectes ou urbanistes !

    MATHIEU RIGOUSTE : Il y a effectivement un sursaut en 2003, mais ça avait commencé bien avant. Un des premiers grands quartiers qui est soumis à une politique de ce qu’ils appellent « la rénovation urbaine », mais ce qui est en fait de la destruction et du réaménagement, c’est le quartier où je suis né ; le Luth à Gennevilliers. Il s’agissait d’une coopération du Plan Pasqua et du Parti Communiste Français (PCF) qui gère la ville depuis les années 1930, tous deux ravis de se débarrasser des familles les plus pauvres et d’essayer une nouvelle forme de gestion des quartiers populaires. C’est un processus constant : la ville capitaliste au gré des crises de suraccumulation du capital, se restructure pour continuer à concentrer des masses de travailleurs pauvres autour de ses centres d’accumulation du capital. Et dans ces quartiers populaires, ces campements, ces bidonvilles, ces territoires misérables, les dominé-e-s, les exploité-e-s, les opprimé-e-s, les damné-e-s, inventent en permanence des formes d’auto-organisation, d’autonomisation, de fuites et de contre-attaques, des cultures d’insoumission et des manières de se rendre ingouvernables. Il faut donc en permanence, pour le pouvoir, à la fois une police qui permette de détruire cette dynamique d’autonomisation récurrente et de survie – parce qu’en fait les gens n’ont pas le choix – et un réaménagement des territoires : il faut à la fois ségréguer et pénétrer ces territoires pour aller y détruire tout ce qui peut émerger de subversif. Et l’urbanisme tient un rôle fondamental dans la restructuration sécuritaire de la ville capitaliste. Cette logique est déjà à l’œuvre dans les bidonvilles durant la guerre d’Algérie ; on a des polices spécialisées à la gestion des bidonvilles, c’est-à-dire au harcèlement, à la brutalisation, à la surveillance, au fichage, parfois à la torture, parfois même aux assassinats et aux disparitions d’habitants du bidonville et qui détruisent les cabanes des habitant.e.s parce que même dans le bidonville, on voit ré-émerger des formes de mises-en-commun, d’auto-organisation, de politisation révolutionnaire, de colère, d’entraide, toute sorte de choses qui menace le pouvoir et qui nécessite donc une intervention. En plus d’intervenir avec de l’idéologie, du divertissement ou de l’aménagement, il faut intervenir avec de la coercition.

    On retrouve ce processus dans toute l’histoire de la ville capitaliste ; c’est une dialectique permanente. Sauf que ce qui nait dans les années 1970, c’est un schéma qu’on va voir apparaître ; à partir du moment où on met des polices féroces, comme la BAC, autour des quartiers populaires, celles-ci produisent de la violence policière et donc produisent de la colère. Les dominé-e-s, face à ça, vont produire des tactiques, des techniques, des stratégies, des pratiques de résistance et de contre-attaque. Ça va donner lieu à des révoltes, parfois très spontanées, parfois plus organisées : une histoire des contre-attaques face à la police nait dans les années 1970 et on se rend compte, au gré de ces révoltes et de leur répression et de leur gestion médiatique que des municipalités en collaboration avec la police et les média sont capables de désigner aux pouvoirs publics et au reste de la population en général un quartier populaire comme ingérable, infâme, irrécupérable. Ceci s’accompagne d’une logique humanitaire ; aller « sauver des gens » alors que les revendications pour des meilleures conditions de vie sont permanentes et que les habitants n’obtiennent jamais rien.

    Toute cette logique va activer au cours des années 1970 la reconnaissance par les pouvoirs publics et par le capital industriel et financier du fait que lorsqu’on est capable de désigner un quartier populaire comme infâme, on va pouvoir activer un circuit de capitaux financiers d’abord, puis industriels, liés à ce qu’on va appeler de manière publicitaire « la rénovation urbaine », c’est-à-dire un protocole de restructuration de ce quartier qui peut aller jusqu’à sa destruction complète. Il va ainsi apparaitre beaucoup de régimes de restructuration : certains consistent à éloigner les populations les plus pauvres ou les moins gouvernables, d’autres vont organiser l’évacuation totale de ces populations, d’autre encore qu’on observe beaucoup depuis le début des années 2000 à travers la mystification de la mixité sociale consistent à parler de réhabilitation mais à en fait déplacer les plus pauvres, sans détruire le quartier. On fait ça à la fois avec de la police et de la prison, mais aussi avec la hausse des loyers provoquée par l’arrivée de nœuds de transports en commun qui permet de faire venir des cadres qui ne se seraient pas déplacés jusque-là ; la petite bourgeoisie à laquelle on veut permettre de venir s’installer à la place des quartiers populaires. Bref, à travers tout ce programme publicitaire qu’est la rénovation urbaine, la transformation des quartiers populaires en quartiers petits-bourgeois va attirer des flux de capitaux gigantesques, notamment liés au fait que depuis le début des années 2000, l’État investit énormément pour appuyer les pouvoirs locaux dans leur politiques de restructurations urbaines. C’est de l’argent qui va retomber immédiatement dans les poches des industriels du bâtiment et aussi dans celles des industriels de la sécurité, encore une fois, parce qu’on voit qu’une fois que la police, les média, la prison et les autorités municipales ont réussi à « déblayer le terrain », le réaménagement des quartiers se fait en partenariat avec tous les industriels du bâtiment mais aussi des technologies de surveillance, de design – les cliques du néo-urbanisme – les publicitaires, les commerces, bref tout un système d’entreprises qui vivent autour de ça. La logique de fond est à la fois le renforcement du socio-apartheid, mais aussi une forme de colonisation interne à travers l’expansion de la ville capitaliste et l’invention de nouvelles formes d’encadrement de la vie sociale.

    LÉOPOLD LAMBERT : À l’heure où nous parlons, l’état d’urgence promulgué par François Hollande au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 a déjà été renouvelé trois fois. Pour un certain nombre de francais-e-s blanc-he-s de classe moyenne ou riches, cela ne représente qu’une nuisance négligeable mais pour la population racisée française, en particulier ceux et celles que l’on nomme pudiquement « musulman-ne-s d’apparence » ce régime légal donnant une latitude encore plus importante à la police insiste encore d’avantage sur l’existence d’une sous-citoyenneté qui ne dit pas son nom. Travailles-tu actuellement sur la manière dont l’état d’urgence agit comme précédent à la fois légal et dans les pratiques policières ? Peux-tu nous en parler ?

    MATHIEU RIGOUSTE : Je ne travaille pas précisément sur cet aspect des choses mais bien-sûr, je suis ce qui est en train de se passer, notamment au sein des luttes dans lesquelles on avance et on réfléchit sur cet aspect-là. Et effectivement, tu le résumes bien, il y a toute une partie des strates privilégiées, même des classes populaires qui ne se rend pas compte de ce à quoi sert l’état d’urgence parce qu’il ne le voit pas et les média ont vraiment un rôle fondamental là-dedans. C’est ça aussi le socio-apartheid : les vies sont séparées, elles ne se croisent pas. Effectivement l’état d’urgence a permis une intensification de la ségrégation mais aussi de mécanismes d’oppression contre les quartiers populaires, ce qui peut rester complétement invisible pour le reste de la population. L’angle d’attaque, c’est l’Islam et les violences, ce sont des perquisitions fracassantes : explosion de la porte, on met tout le monde a terre et en joue, parfois on gaze à l’intérieur des appartements, parfois on tabasse. Ca provoque des traumatismes très forts dans les familles ; on a des récits de perquisitions en pleine nuit et les enfants, la maman, la grand-mère, plusieurs mois après, cherchent à être suivis par des psychologues. À l’école, c’est dramatique, les enfants n’y arrivent pas, après que des unités militaro-policières ont débarqué chez eux en mode anti-terrorisme. Les violences, ce sont aussi des assignations à résidence ; on a du mal à le saisir lorsqu’on ne le vit pas, mais il s’agit d’un système d’encadrement très dur car il faut aller pointer régulièrement. La plupart de ces histoires, je tiens à le dire, se dégonflent après ; il y a déjà des victoires dans les tribunaux parce que l’immense majorité de ces assignations à résidence sont fondées sur rien du tout, surtout par le fait que la personne a été désignée par quelqu’un comme étant « très pratiquante », possiblement « radicalisée », c’est de l’ordre de la délation. Ce sont donc des violences très fortes et très profondes dans les familles, principalement musulmanes à travers ces perquisitions, ces assignations à résidence et ces procédures judiciaires qui durent bien-sûr et qui épuisent. Les noms des gens sont lâchés dans la presse, toute une ville peut d’un seul coup vous considérer comme un probable terroriste.

    Donc voilà, l’état d’urgence permet l’intensification du socio-apartheid, de l’islamophobie et des racismes d’état, ce qui se conjugue assez bien à la gestion quotidienne des quartiers populaires dans la France impérialiste.

    https://blogs.mediapart.fr/leopold-lambert/blog/200117/entretien-avec-mathieu-rigouste-une-genealogie-coloniale-de-la-polic
    #colonialisme #colonisation #bac #police #Algérie #France #histoire #entretien #interview

  • Je suis prof. Seize brèves réflexions contre la terreur et l’obscurantisme, en #hommage à #Samuel_Paty

    Les lignes qui suivent ont été inspirées par la nouvelle atroce de la mise à mort de mon collègue, Samuel Paty, et par la difficile semaine qui s’en est suivie. En hommage à un #enseignant qui croyait en l’#éducation, en la #raison_humaine et en la #liberté_d’expression, elles proposent une quinzaine de réflexions appelant, malgré l’émotion, à penser le présent, et en débattre, avec raison. Ces réflexions ne prétendent évidemment pas incarner la pensée de Samuel Paty, mais elles sont écrites pour lui, au sens où l’effort de pensée, de discernement, de nuances, de raison, a été fait en pensant à lui, et pour lui rendre hommage. Continuer de penser librement, d’exprimer, d’échanger les arguments, me parait le meilleur des hommages.

    1. Il y a d’abord eu, en apprenant la nouvelle, l’#horreur, la #tristesse, la #peur, devant le #crime commis, et des pensées pour les proches de Samuel Paty, ses collègues, ses élèves, toutes les communautés scolaires de France et, au-delà, toute la communauté des humains bouleversés par ce crime. Puis s’y est mêlée une #rage causée par tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, et avant même d’en savoir plus sur les tenants et aboutissants qui avaient mené au pire, se sont empressés de dégainer des kits théoriques tendant à minimiser l’#atrocité du crime ou à dissoudre toute la #responsabilité de l’assassin (ou possiblement des assassins) dans des entités excessivement extensibles (que ce soit « l’#islamisation » ou « l’#islamophobie ») – sans compter ceux qui instrumentalisent l’horreur pour des agendas qu’on connait trop bien : rétablissement de la peine de mort, chasse aux immigré.e.s, chasse aux musulman.e.s.

    2. Il y a ensuite eu une peur, ou des peurs, en voyant repartir tellement vite, et à la puissance dix, une forme de réaction gouvernementale qui a de longue date fait les preuves de son #inefficacité (contre la #violence_terroriste) et de sa #nocivité (pour l’état du vivre-ensemble et des droits humains) : au lieu d’augmenter comme il faut les moyens policiers pour enquêter plus et mieux qu’on ne le fait déjà, pour surveiller, remonter des filières bien ciblées et les démanteler, mais aussi assurer en temps réel la protection des personnes qui la demandent, au moment où elles la demandent, on fait du spectacle avec des boucs émissaires.

    Une sourde appréhension s’est donc mêlée à la peine, face au déferlement d’injures, de menaces et d’attaques islamophobes, anti-immigrés et anti-tchétchènes qui a tout de suite commencé, mais aussi face à l’éventualité d’autres attentats qui pourraient advenir dans le futur, sur la prévention desquels, c’est le moins que je puisse dire, toutes les énergies gouvernementales ne me semblent pas concentrées.

    3. Puis, au fil des lectures, une #gêne s’est installée, concernant ce que, sur les #réseaux_sociaux, je pouvais lire, « dans mon camp » cette fois-ci – c’est-à-dire principalement chez des gens dont je partage plus ou moins une certaine conception du combat antiraciste. Ce qui tout d’abord m’a gêné fut le fait d’énoncer tout de suite des analyses explicatives alors qu’au fond on ne savait à peu près rien sur le détail des faits : quel comportement avait eu précisément Samuel Paty, en montrant quels dessins, quelles interactions avaient eu lieu après-coup avec les élèves, avec les parents, qui avait protesté et en quels termes, sous quelles forme, qui avait envenimé le contentieux et comment s’était produit l’embrasement des réseaux sociaux, et enfin quel était le profil de l’assassin, quel était son vécu russe, tchétchène, français – son vécu dans toutes ses dimensions (familiale, socio-économique, scolaire, médicale), sa sociabilité et ses accointances (ou absences d’accointances) religieuses, politiques, délinquantes, terroristes ?

    J’étais gêné par exemple par le fait que soit souvent validée a priori, dès les premières heures qui suivirent le crime, l’hypothèse que Samuel Paty avait « déconné », alors qu’on n’était même pas certain par exemple que c’était le dessin dégoutant du prophète cul nu (j’y reviendrai) qui avait été montré en classe (puisqu’on lisait aussi que le professeur avait déposé plainte « pour diffamation » suite aux accusations proférées contre lui), et qu’on ne savait rien des conditions et de la manière dont il avait agencé son cours.

    4. Par ailleurs, dans l’hypothèse (qui a fini par se confirmer) que c’était bien ce dessin, effectivement problématique (j’y reviendrai), qui avait servi de déclencheur ou de prétexte pour la campagne contre Samuel Paty, autre chose me gênait. D’abord cet oubli : montrer un #dessin, aussi problématique soit-il, obscène, grossier, de mauvais goût, ou même raciste, peut très bien s’intégrer dans une #démarche_pédagogique, particulièrement en cours d’histoire – après tout, nous montrons bien des #caricatures anti-juives ignobles quand nous étudions la montée de l’antisémitisme, me confiait un collègue historien, et cela ne constitue évidemment pas en soi une pure et simple perpétuation de l’#offense_raciste. Les deux cas sont différents par bien des aspects, mais dans tous les cas tout se joue dans la manière dont les documents sont présentés et ensuite collectivement commentés, analysés, critiqués. Or, sur ladite manière, en l’occurrence, nous sommes restés longtemps sans savoir ce qui exactement s’était passé, et ce que nous avons fini par appendre est que Samuel Paty n’avait pas eu d’intention maligne : il s’agissait vraiment de discuter de la liberté d’expression, autour d’un cas particulièrement litigieux.

    5. En outre, s’il s’est avéré ensuite, dans les récits qui ont pu être reconstitués (notamment dans Libération), que Samuel Paty n’avait fait aucun usage malveillant de ces caricatures, et que les parents d’élèves qui s’étaient au départ inquiétés l’avaient assez rapidement et facilement compris après discussion, s’il s’est avéré aussi qu’au-delà de cet épisode particulier, Samuel Paty était un professeur très impliqué et apprécié, chaleureux, blagueur, il est dommageable que d’emblée, il n’ait pas été martelé ceci, aussi bien par les inconditionnels de l’ « esprit Charlie » que par les personnes légitimement choquées par certaines des caricatures : que même dans le cas contraire, même si le professeur avait « déconné », que ce soit un peu ou beaucoup, que même s’il avait manqué de précautions pédagogiques, que même s’il avait intentionnellement cherché à blesser, bref : que même s’il avait été un « mauvais prof », hautain, fumiste, ou même raciste, rien, absolument rien ne justifiait ce qui a été commis.

    Je me doute bien que, dans la plupart des réactions à chaud, cela allait sans dire, mais je pense que, dans le monde où l’on vit, et où se passent ces horreurs, tout désormais en la matière (je veux dire : en matière de mise à distance de l’hyper-violence) doit être dit, partout, même ce qui va sans dire.

    En d’autres termes, même si l’on juge nécessaire de rappeler, à l’occasion de ce crime et des discussions qu’il relance, qu’il est bon que tout ne soit pas permis en matière de liberté d’expression, cela n’est selon moi tenable que si l’on y adjoint un autre rappel : qu’il est bon aussi que tout ne soit pas permis dans la manière de limiter la liberté d’expression, dans la manière de réagir aux discours offensants, et plus précisément que doit être absolument proscrit le recours à la #violence_physique, a fortiori au #meurtre. Nous sommes malheureusement en un temps, je le répète, où cela ne va plus sans dire.

    6. La remarque qui précède est, me semble-t-il, le grand non-dit qui manque le plus dans tout le débat public tel qu’il se polarise depuis des années entre les « Charlie », inconditionnels de « la liberté d’expression », et les « pas Charlie », soucieux de poser des « #limites » à la « #liberté_d’offenser » : ni la liberté d’expression ni sa nécessaire #limitation ne doivent en fait être posées comme l’impératif catégorique et fondamental. Les deux sont plaidables, mais dans un #espace_de_parole soumis à une autre loi fondamentale, sur laquelle tout le monde pourrait et devrait se mettre d’accord au préalable, et qui est le refus absolu de la violence physique.

    Moyennant quoi, dès lors que cette loi fondamentale est respectée, et expressément rappelée, la liberté d’expression, à laquelle Samuel Paty était si attaché, peut et doit impliquer aussi le droit de dire qu’on juge certaines caricatures de Charlie Hebdo odieuses :

    – celles par exemple qui amalgament le prophète des musulmans (et donc – par une inévitable association d’idées – l’ensemble des fidèles qui le vénèrent) à un terroriste, en le figurant par exemple surarmé, le nez crochu, le regard exorbité, la mine patibulaire, ou coiffé d’un turban en forme de bombe ;

    – celle également qui blesse gratuitement les croyants (et les croyants lambda, tolérants, non-violents, tout autant voire davantage que des « djihadistes » avides de prétextes à faire couler le sang), en représentant leur prophète cul nul, testicules à l’air, une étoile musulmane à la place de l’anus ;

    – celle qui animalise une syndicaliste musulmane voilée en l’affublant d’un faciès de singe ;

    – celle qui annonce « une roumaine » (la joueuse Simona Halep), gagnante de Roland-Garros, et la représente en rom au physique disgracieux, brandissant la coupe et criant « ferraille ! ferraille ! » ;

    – celle qui nous demande d’imaginer « le petit Aylan », enfant de migrants kurdes retrouvé mort en méditerranée, « s’il avait survécu », et nous le montre devenu « tripoteur de fesses en Allemagne » (suite à une série de viols commis à Francfort) ;

    – celle qui représente les esclaves sexuelles de Boko Haram, voilées et enceintes, en train de gueuler après leurs « allocs » ;

    – celle qui fantasme une invasion ou une « islamisation » en forme de « grand remplacement », par exemple en nous montrant un musulman barbu dont la barbe démesurée envahit toute la page de Une, malgré un minuscule Macron luttant « contre le séparatisme », armé de ciseaux, mais ne parvenant qu’à en couper que quelques poils ;

    – celle qui alimente le même fantasme d’invasion en figurant un Macron, déclarant que le port du foulard par des femmes musulmanes « ne le regarde pas » en tant que président, tandis que le reste de la page n’est occupé que par des femmes voilées, avec une légende digne d’un tract d’extrême droite : « La République islamique en marche ».

    Sur chacun de ces dessins, publiés en Une pour la plupart, je pourrais argumenter en détail, pour expliquer en quoi je les juge odieux, et souvent racistes. Bien d’autres exemples pourraient d’ailleurs être évoqués, comme une couverture publiée à l’occasion d’un attentat meurtrier commis à Bruxelles en mars 2016 et revendiqué par Daesh (ayant entraîné la mort de 32 personnes et fait 340 blessés), et figurant de manière pour le moins choquante le chanteur Stromae, orphelin du génocide rwandais, en train de chanter « Papaoutai » tandis que voltigent autour de lui des morceaux de jambes et de bras déchiquetés ou d’oeil exorbité. La liste n’est pas exhaustive, d’autres unes pourraient être évoquées – celles notamment qui nous invitent à rigoler (on est tenté de dire ricaner) sur le sort des femmes violées, des enfants abusés, ou des peuples qui meurent de faim.

    On a le droit de détester cet #humour, on a le droit de considérer que certaines de ces caricatures incitent au #mépris ou à la #haine_raciste ou sexiste, entre autres griefs possibles, et on a le droit de le dire. On a le droit de l’écrire, on a le droit d’aller le dire en justice, et même en manifestation. Mais – cela allait sans dire, l’attentat de janvier 2015 oblige désormais à l’énoncer expressément – quel que soit tout le mal qu’on peut penser de ces dessins, de leur #brutalité, de leur #indélicatesse, de leur méchanceté gratuite envers des gens souvent démunis, de leur #racisme parfois, la #violence_symbolique qu’il exercent est sans commune mesure avec la violence physique extrême que constitue l’#homicide, et elle ne saurait donc lui apporter le moindre commencement de #justification.

    On a en somme le droit de dénoncer avec la plus grande vigueur la violence symbolique des caricatures quand on la juge illégitime et nocive, car elle peut l’être, à condition toutefois de dire désormais ce qui, je le répète, aurait dû continuer d’aller sans dire mais va beaucoup mieux, désormais, en le disant : qu’aucune violence symbolique ne justifie l’hyper-violence physique. Cela vaut pour les pires dessins de Charlie comme pour les pires répliques d’un Zemmour ou d’un Dieudonné, comme pour tout ce qui nous offense – du plutôt #douteux au parfaitement #abject.

    Que reste-t-il en effet de la liberté d’expression si l’on défend le #droit_à_la_caricature mais pas le droit à la #critique des caricatures ? Que devient le #débat_démocratique si toute critique radicale de #Charlie aujourd’hui, et qui sait de de Zemmour demain, de Macron après-demain, est d’office assimilée à une #incitation_à_la_violence, donc à de la complicité de terrorisme, donc proscrite ?

    Mais inversement, que devient cet espace démocratique si la dénonciation de l’intolérable et l’appel à le faire cesser ne sont pas précédés et tempérés par le rappel clair et explicite de l’interdit fondamental du meurtre ?

    7. Autre chose m’a gêné dans certaines analyses : l’interrogation sur les « #vrais_responsables », formulation qui laisse entendre que « derrière » un responsable « apparent » (l’assassin) il y aurait « les vrais responsables », qui seraient d’autres que lui. Or s’il me parait bien sûr nécessaire d’envisager dans toute sa force et toute sa complexité l’impact des #déterminismes_sociaux, il est problématique de dissoudre dans ces déterminismes toute la #responsabilité_individuelle de ce jeune de 18 ans – ce que la sociologie ne fait pas, contrairement à ce que prétendent certains polémistes, mais que certains discours peuvent parfois faire.

    Que chacun s’interroge toujours sur sa possible responsabilité est plutôt une bonne chose à mes yeux, si toutefois on ne pousse pas le zèle jusqu’à un « on est tous coupables » qui dissout toute #culpabilité réelle et arrange les affaires des principaux coupables. Ce qui m’a gêné est l’enchaînement de questions qui, en réponse à la question « qui a tué ? », met comme en concurrence, à égalité, d’une part celui qui a effectivement commis le crime, et d’autre part d’autres personnes ou groupes sociaux (la direction de l’école, la police, le père d’élève ayant lancé la campagne publique contre Samuel Paty sur Youtube, sa fille qui semble l’avoir induit en erreur sur le déroulement de ses cours) qui, quel que soit leur niveau de responsabilité, n’ont en aucun cas « tué » – la distinction peut paraitre simple, voire simpliste, mais me parait, pour ma part, cruciale à maintenir.

    8. Ce qui m’a gêné, aussi, et même écoeuré lorsque l’oubli était assumé, et que « le système » néolibéral et islamophobe devenait « le principal responsable », voire « l’ennemi qu’il nous faut combattre », au singulier, ce fut une absence, dans la liste des personnes ou des groupes sociaux pouvant, au-delà de l’individu #Abdoullakh_Abouyezidovitch, se partager une part de responsabilité. Ce qui me gêna fut l’oubli ou la minoration du rôle de l’entourage plus ou moins immédiat du tueur – qu’il s’agisse d’un groupe terroriste organisé ou d’un groupe plus informel de proches ou de moins proches (via les réseaux sociaux), sans oublier, bien entendu, l’acolyte de l’irresponsable « père en colère » : un certain #Abdelhakim_Sefrioui, entrepreneur de haine pourtant bien connu, démasqué et ostracisé de longue date dans les milieux militants, à commencer par les milieux pro-palestiniens et la militance anti-islamophobie.

    Je connais les travaux sociologiques qui critiquent à juste titre l’approche mainstream, focalisée exclusivement les techniques de propagande des organisations terroristes, et qui déplacent la focale sur l’étude des conditions sociales rendant audible et « efficace » lesdites techniques de #propagande. Mais justement, on ne peut prendre en compte ces conditions sociales sans observer aussi comment elles pèsent d’une façon singulière sur les individus, dont la responsabilité n’est pas évacuée. Et l’on ne peut pas écarter, notamment, la responsabilité des individus ou des groupes d’ « engraineurs », surtout si l’on pose la question en ces termes : « qui a tué ? ».

    9. Le temps du #choc, du #deuil et de l’#amertume « contre mon propre camp » fut cela dit parasité assez vite par un vacarme médiatique assourdissant, charriant son lot d’#infamie dans des proportions autrement plus terrifiantes. #Samuel_Gontier, fidèle « au poste », en a donné un aperçu glaçant :

    – des panels politiques dans lesquels « l’équilibre » invoqué par le présentateur (Pascal Praud) consiste en un trio droite, droite extrême et extrême droite (LREM, Les Républicains, Rassemblement national), et où les différentes familles de la gauche (Verts, PS, PCF, France insoumise, sans même parler de l’extrême gauche) sont tout simplement exclues ;

    – des « débats » où sont mis sérieusement à l’agenda l’interdiction du #voile dans tout l’espace public, l’expulsion de toutes les femmes portant le #foulard, la #déchéance_de_nationalité pour celles qui seraient françaises, la réouverture des « #bagnes » « dans îles Kerguelen », le rétablissement de la #peine_de_mort, et enfin la « #criminalisation » de toutes les idéologies musulmanes conservatrices, « pas seulement le #djihadisme mais aussi l’#islamisme » (un peu comme si, à la suite des attentats des Brigades Rouges, de la Fraction Armée Rouge ou d’Action Directe, on avait voulu criminaliser, donc interdire et dissoudre toute la gauche socialiste, communiste, écologiste ou radicale, sous prétexte qu’elle partageait avec les groupes terroristes « l’opposition au capitalisme ») ;

    – des « plateaux » sur lesquels un #Manuel_Valls peut appeler en toute conscience et en toute tranquillité, sans causer de scandale, à piétiner la Convention Européenne des Droits Humains : « S’il nous faut, dans un moment exceptionnel, s’éloigner du #droit_européen, faire évoluer notre #Constitution, il faut le faire. », « Je l’ai dit en 2015, nous sommes en #guerre. Si nous sommes en guerre, donc il faut agir, frapper. ».

    10. Puis, très vite, il y a eu cette offensive du ministre de l’Intérieur #Gérald_Darmanin contre le #CCIF (#Collectif_Contre_l’Islamophobie_en_France), dénuée de tout fondement du point de vue de la #lutte_anti-terroriste – puisque l’association n’a évidemment pris aucune part dans le crime du 17 octobre 2020, ni même dans la campagne publique (sur Youtube et Twitter) qui y a conduit.

    Cette dénonciation – proprement calomnieuse, donc – s’est autorisée en fait d’une montée en généralité, en abstraction et même en « nébulosité », et d’un grossier sophisme : le meurtre de Samuel Paty est une atteinte aux « #valeurs » et aux « institutions » de « la #République », que justement le CCIF « combat » aussi – moyennant quoi le CCIF a « quelque chose à voir » avec ce crime et il doit donc être dissous, CQFD. L’accusation n’en demeure pas moins fantaisiste autant qu’infamante, puisque le « combat » de l’association, loin de viser les principes et les institutions républicaines en tant que telles, vise tout au contraire leur manque d’effectivité : toute l’activité du CCIF (c’est vérifiable, sur le site de l’association aussi bien que dans les rapports des journalistes, au fil de l’actualité, depuis des années) consiste à combattre la #discrimination en raison de l’appartenance ou de la pratique réelle ou supposée d’une religion, donc à faire appliquer une loi de la république. Le CCIF réalise ce travail par les moyens les plus républicains qui soient, en rappelant l’état du Droit, en proposant des médiations ou en portant devant la #Justice, institution républicaine s’il en est, des cas d’atteinte au principe d’#égalité, principe républicain s’il en est.

    Ce travail fait donc du CCIF une institution précieuse (en tout cas dans une république démocratique) qu’on appelle un « #contre-pouvoir » : en d’autres termes, un ennemi de l’arbitraire d’État et non de la « République ». Son travail d’#alerte contribue même à sauver ladite République, d’elle-même pourrait-on dire, ou plutôt de ses serviteurs défaillants et de ses démons que sont le racisme et la discrimination.

    Il s’est rapidement avéré, du coup, que cette offensive sans rapport réel avec la lutte anti-terroriste s’inscrivait en fait dans un tout autre agenda, dont on avait connu les prémisses dès le début de mandat d’Emmanuel Macron, dans les injures violentes et les tentatives d’interdiction de Jean-Michel #Blanquer contre le syndicat #Sud_éducation_93, ou plus récemment dans l’acharnement haineux du député #Robin_Réda, censé diriger une audition parlementaire antiraciste, contre les associations de soutien aux immigrés, et notamment le #GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés). Cet agenda est ni plus ni moins que la mise hors-jeu des « corps intermédiaires » de la société civile, et en premier lieu des #contre-pouvoirs que sont les associations antiracistes et de défense des droits humains, ainsi que les #syndicats, en attendant le tour des partis politiques – confère, déjà, la brutalisation du débat politique, et notamment les attaques tout à fait inouïes, contraires pour le coup à la tradition républicaine, de #Gérald_Darmanin contre les écologistes (#Julien_Bayou, #Sandra_Regol et #Esther_Benbassa) puis contre la #France_insoumise et son supposé « #islamo-gauchisme qui a détruit la république », ces dernières semaines, avant donc le meurtre de Samuel Paty.

    Un agenda dans lequel figure aussi, on vient de l’apprendre, un combat judiciaire contre le site d’information #Mediapart.

    11. Il y a eu ensuite l’annonce de ces « actions coup de poing » contre des associations et des lieux de culte musulmans, dont le ministre de l’Intérieur lui-même a admis qu’elles n’avaient aucun lien avec l’enquête sur le meurtre de Samuel Paty, mais qu’elles servaient avant tout à « #adresser_un_message », afin que « la #sidération change de camp ». L’aveu est terrible : l’heure n’est pas à la défense d’un modèle (démocratique, libéral, fondé sur l’État de Droit et ouvert à la pluralité des opinions) contre un autre (obscurantiste, fascisant, fondé sur la terreur), mais à une #rivalité_mimétique. À la #terreur on répond par la terreur, sans même prétendre, comme le fit naguère un Charles Pasqua, qu’on va « terroriser les terroristes » : ceux que l’on va terroriser ne sont pas les terroristes, on le sait, on le dit, on s’en contrefout et on répond au meurtre par la #bêtise et la #brutalité, à l’#obscurantisme « religieux » par l’obscurantisme « civil », au #chaos de l’#hyper-violence par le chaos de l’#arbitraire d’État.

    12. On cible donc des #mosquées alors même qu’on apprend (notamment dans la remarquable enquête de Jean-Baptiste Naudet, dans L’Obs) que le tueur ne fréquentait aucune mosquée – ce qui était le cas, déjà, de bien d’autres tueurs lors des précédents attentats.

    On s’attaque au « #séparatisme » et au « #repli_communautaire » alors même qu’on apprend (dans la même enquête) que le tueur n’avait aucune attache ou sociabilité dans sa communauté – ce qui là encore a souvent été le cas dans le passé.

    On préconise des cours intensifs de #catéchisme_laïque dans les #écoles, des formations intensives sur la liberté d’expression, avec distribution de « caricatures » dans tous les lycées, alors que le tueur était déscolarisé depuis un moment et n’avait commencé à se « radicaliser » qu’en dehors de l’#école (et là encore se rejoue un schéma déjà connu : il se trouve qu’un des tueurs du Bataclan fut élève dans l’établissement où j’exerce, un élève dont tous les professeurs se souviennent comme d’un élève sans histoires, et dont la famille n’a pu observer des manifestations de « #radicalisation » qu’après son bac et son passage à l’université, une fois qu’il était entré dans la vie professionnelle).

    Et enfin, ultime protection : Gérald Darmanin songe à réorganiser les rayons des #supermarchés ! Il y aurait matière à rire s’il n’y avait pas péril en la demeure. On pourrait s’amuser d’une telle #absurdité, d’une telle incompétence, d’une telle disjonction entre la fin et les moyens, si l’enjeu n’était pas si grave. On pourrait sourire devant les gesticulations martiales d’un ministre qui avoue lui-même tirer « à côté » des véritables coupables et complices, lorsque par exemple il ordonne des opérations contre des #institutions_musulmanes « sans lien avec l’enquête ». On pourrait sourire s’il ne venait pas de se produire une attaque meurtrière atroce, qui advient après plusieurs autres, et s’il n’y avait pas lieu d’être sérieux, raisonnable, concentré sur quelques objectifs bien définis : mieux surveiller, repérer, voir venir, mieux prévenir, mieux intervenir dans l’urgence, mieux protéger. On pourrait se payer le luxe de se disperser et de discuter des #tenues_vestimentaires ou des #rayons_de_supermarché s’il n’y avait pas des vies humaines en jeu – certes pas la vie de nos dirigeants, surprotégés par une garde rapprochée, mais celles, notamment, des professeurs et des élèves.

    13. Cette #futilité, cette #frivolité, cette bêtise serait moins coupable s’il n’y avait pas aussi un gros soubassement de #violence_islamophobe. Cette bêtise serait innocente, elle ne porterait pas à conséquence si les mises en débat du #vêtement ou de l’#alimentation des diverses « communautés religieuses » n’étaient pas surdéterminées, depuis de longues années, par de très lourds et violents #stéréotypes racistes. On pourrait causer lingerie et régime alimentaire si les us et coutumes religieux n’étaient pas des #stigmates sur-exploités par les racistes de tout poil, si le refus du #porc ou de l’#alcool par exemple, ou bien le port d’un foulard, n’étaient pas depuis des années des motifs récurrents d’#injure, d’#agression, de discrimination dans les études ou dans l’emploi.

    Il y a donc une bêtise insondable dans cette mise en cause absolument hors-sujet des commerces ou des rayons d’ « #alimentation_communautaire » qui, dixit Darmanin, « flatteraient » les « plus bas instincts », alors que (confère toujours l’excellente enquête de Jean-Baptiste Naudet dans L’Obs) l’homme qui a tué Samuel Paty (comme l’ensemble des précédents auteurs d’attentats meurtriers) n’avait précisément pas d’ancrage dans une « communauté » – ni dans l’immigration tchétchène, ni dans une communauté religieuse localisée, puisqu’il ne fréquentait aucune mosquée.

    Et il y a dans cette bêtise une #méchanceté tout aussi insondable : un racisme sordide, à l’encontre des #musulmans bien sûr, mais pas seulement. Il y a aussi un mépris, une injure, un piétinement de la mémoire des morts #juifs – puisque parmi les victimes récentes des tueries terroristes, il y a précisément des clients d’un commerce communautaire, l’#Hyper_Cacher, choisis pour cible et tués précisément en tant que tels.

    Telle est la vérité, cruelle, qui vient d’emblée s’opposer aux élucubrations de Gérald Darmanin : en incriminant les modes de vie « communautaires », et plus précisément la fréquentation de lieux de culte ou de commerces « communautaires », le ministre stigmatise non pas les coupables de la violence terroriste (qui se caractérisent au contraire par la #solitude, l’#isolement, le surf sur #internet, l’absence d’#attaches_communautaires et de pratique religieuse assidue, l’absence en tout cas de fréquentation de #lieux_de_cultes) mais bien certaines de ses victimes (des fidèles attaqués sur leur lieu de culte, ou de courses).

    14. Puis, quelques jours à peine après l’effroyable attentat, sans aucune concertation sur le terrain, auprès de la profession concernée, est tombée par voie de presse (comme d’habitude) une stupéfiante nouvelle : l’ensemble des Conseils régionaux de France a décidé de faire distribuer un « #recueil_de_caricatures » (on ne sait pas lesquelles) dans tous les lycées. S’il faut donner son sang, allez donner le vôtre, disait la chanson. Qu’ils aillent donc, ces élus, distribuer eux-mêmes leurs petites bibles républicaines, sur les marchés. Mais non : c’est notre sang à nous, petits profs de merde, méprisés, sous-payés, insultés depuis des années, qui doit couler, a-t-il été décidé en haut lieu. Et possiblement aussi celui de nos élèves.

    Car il faut se rendre à l’évidence : si cette information est confirmée, et si nous acceptons ce rôle de héros et martyrs d’un pouvoir qui joue aux petits soldats de plomb avec des profs et des élèves de chair et d’os, nous devenons officiellement la cible privilégiée des groupes terroristes. À un ennemi qui ne fonctionne, dans ses choix de cibles et dans sa communication politique, qu’au défi, au symbole et à l’invocation de l’honneur du Prophète, nos dirigeants répondent en toute #irresponsabilité par le #défi, le #symbole, et la remise en jeu de l’image du Prophète. À quoi doit-on s’attendre ? Y sommes-nous prêts ? Moi non.

    15. Comme si tout cela ne suffisait pas, voici enfin que le leader de l’opposition de gauche, celui dont on pouvait espérer, au vu de ses engagements récents, quelques mises en garde élémentaires mais salutaires contre les #amalgames et la #stigmatisation haineuse des musulmans, n’en finit pas de nous surprendre ou plutôt de nous consterner, de nous horrifier, puisqu’il s’oppose effectivement à la chasse aux musulmans, mais pour nous inviter aussitôt à une autre chasse : la #chasse_aux_Tchétchènes :

    « Moi, je pense qu’il y a un problème avec la #communauté_tchétchène en France ».

    Il suffit donc de deux crimes, commis tous les deux par une personne d’origine tchétchène, ces dernières années (l’attentat de l’Opéra en 2018, et celui de Conflans en 2020), plus une méga-rixe à Dijon cet été impliquant quelques dizaines de #Tchétchènes, pour que notre homme de gauche infère tranquillement un « #problème_tchétchène », impliquant toute une « communauté » de plusieurs dizaines de milliers de personnes vivant en France.

    « Ils sont arrivés en France car le gouvernement français, qui était très hostile à Vladimir Poutine, les accueillait à bras ouverts », nous explique Jean-Luc #Mélenchon. « À bras ouverts », donc, comme dans un discours de Le Pen – le père ou la fille. Et l’on a bien entendu : le motif de l’#asile est une inexplicable « hostilité » de la France contre le pauvre Poutine – et certainement pas une persécution sanglante commise par ledit Poutine, se déclarant prêt à aller « buter » lesdits Tchétchènes « jusque dans les chiottes ».

    « Il y a sans doute de très bonnes personnes dans cette communauté » finit-il par concéder à son intervieweur interloqué. On a bien lu, là encore : « sans doute ». Ce n’est donc même pas sûr. Et « de très bonnes personnes », ce qui veut dire en bon français : quelques-unes, pas des masses.

    « Mais c’est notre #devoir_national de s’en assurer », s’empresse-t-il d’ajouter – donc même le « sans doute » n’aura pas fait long feu. Et pour finir en apothéose :

    « Il faut reprendre un par un tous les dossiers des Tchétchènes présents en France et tous ceux qui ont une activité sur les réseaux sociaux, comme c’était le cas de l’assassin ou d’autres qui ont des activités dans l’#islamisme_politique (...), doivent être capturés et expulsés ».

    Là encore, on a bien lu : « tous les dossiers des Tchétchènes présents en France », « un par un » ! Quant aux suspects, ils ne seront pas « interpellés », ni « arrêtés », mais « capturés » : le vocabulaire est celui de la #chasse, du #safari. Voici donc où nous emmène le chef du principal parti d’opposition de gauche.

    16. Enfin, quand on écrira l’histoire de ces temps obscurs, il faudra aussi raconter cela : comment, à l’heure où la nation était invitée à s’unir dans le deuil, dans la défense d’un modèle démocratique, dans le refus de la violence, une violente campagne de presse et de tweet fut menée pour que soient purement et simplement virés et remplacés les responsables de l’#Observatoire_de_la_laïcité, #Nicolas_Cadène et #Jean-Louis_Bianco, pourtant restés toujours fidèles à l’esprit et à la lettre des lois laïques, et que les deux hommes furent à cette fin accusés d’avoir « désarmé » la République et de s’être « mis au service » des « ennemis » de ladite #laïcité et de ladite république – en somme d’être les complices d’un tueur de prof, puisque c’est de cet ennemi-là qu’il était question.

    Il faudra raconter que des universitaires absolument irréprochables sur ces questions, comme #Mame_Fatou_Niang et #Éric_Fassin, furent mis en cause violemment par des tweeters, l’une en recevant d’abjectes vidéos de décapitation, l’autre en recevant des #menaces de subir la même chose, avec dans les deux cas l’accusation d’être responsables de la mort de Samuel Paty.

    Il faudra se souvenir qu’un intellectuel renommé, invité sur tous les plateaux, proféra tranquillement, là encore sans être recadré par les animateurs, le même type d’accusations à l’encontre de la journaliste et chroniqueuse #Rokhaya_Diallo : en critiquant #Charlie_Hebdo, elle aurait « poussé à armer les bras des tueurs », et « entrainé » la mort des douze de Charlie hebdo.

    Il faudra se souvenir qu’au sommet de l’État, enfin, en ces temps de deuil, de concorde nationale et de combat contre l’obscurantisme, le ministre de l’Éducation nationale lui-même attisa ce genre de mauvaise querelle et de #mauvais_procès – c’est un euphémisme – en déclarant notamment ceci :

    « Ce qu’on appelle l’#islamo-gauchisme fait des ravages, il fait des ravages à l’#université. Il fait des ravages quand l’#UNEF cède à ce type de chose, il fait des ravages quand dans les rangs de la France Insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire. »

    Il faudra raconter ce que ces sophismes et ces purs et simples mensonges ont construit ou tenté de construire : un « #consensus_national » fondé sur une rage aveugle plutôt que sur un deuil partagé et un « plus jamais ça » sincère et réfléchi. Un « consensus » singulièrement diviseur en vérité, excluant de manière radicale et brutale tous les contre-pouvoirs humanistes et progressistes qui pourraient tempérer la violence de l’arbitraire d’État, et apporter leur contribution à l’élaboration d’une riposte anti-terroriste pertinente et efficace : le mouvement antiraciste, l’opposition de gauche, la #sociologie_critique... Et incluant en revanche, sans le moindre état d’âme, une droite républicaine radicalisée comme jamais, ainsi que l’#extrême_droite lepéniste.

    Je ne sais comment conclure, sinon en redisant mon accablement, ma tristesse, mon désarroi, ma peur – pourquoi le cacher ? – et mon sentiment d’#impuissance face à une #brutalisation en marche. La brutalisation de la #vie_politique s’était certes enclenchée bien avant ce crime atroce – l’évolution du #maintien_de l’ordre pendant tous les derniers mouvements sociaux en témoigne, et les noms de Lallement et de Benalla en sont deux bons emblèmes. Mais cet attentat, comme les précédents, nous fait évidemment franchir un cap dans l’#horreur. Quant à la réponse à cette horreur, elle s’annonce désastreuse et, loin d’opposer efficacement la force à la force (ce qui peut se faire mais suppose le discernement), elle rajoute de la violence aveugle à de la violence aveugle – tout en nous exposant et en nous fragilisant comme jamais. Naïvement, avec sans doute un peu de cet idéalisme qui animait Samuel Paty, j’en appelle au #sursaut_collectif, et à la #raison.

    Pour reprendre un mot d’ordre apparu suite à ce crime atroce, #je_suis_prof. Je suis prof au sens où je me sens solidaire de Samuel Paty, où sa mort me bouleverse et me terrifie, mais je suis prof aussi parce que c’est tout simplement le métier que j’exerce. Je suis prof et je crois donc en la raison, en l’#éducation, en la #discussion. Depuis vingt-cinq ans, j’enseigne avec passion la philosophie et je m’efforce de transmettre le goût de la pensée, de la liberté de penser, de l’échange d’arguments, du débat contradictoire. Je suis prof et je m’efforce de transmettre ces belles valeurs complémentaires que sont la #tolérance, la #capacité_d’indignation face à l’intolérable, et la #non-violence dans l’#indignation et le combat pour ses idées.

    Je suis prof et depuis vingt-cinq ans je m’efforce de promouvoir le #respect et l’#égalité_de_traitement, contre tous les racismes, tous les sexismes, toutes les homophobies, tous les systèmes inégalitaires. Et je refuse d’aller mourir au front pour une croisade faussement « républicaine », menée par un ministre de l’Intérieur qui a commencé sa carrière politique, entre 2004 et 2008, dans le girons de l’extrême droite monarchiste (auprès de #Christian_Vanneste et de #Politique_magazine, l’organe de l’#Action_française). Je suis prof et je refuse de sacrifier tout ce en quoi je crois pour la carrière d’un ministre qui en 2012, encore, militait avec acharnement, aux côtés de « La manif pour tous », pour que les homosexuels n’aient pas les mêmes droits que les autres – sans parler de son rapport aux femmes, pour le moins problématique, et de ce que notre grand républicain appelle, en un délicat euphémisme, sa « vie de jeune homme ».

    Je suis prof et j’enseigne la laïcité, la vraie, celle qui s’est incarnée dans de belles lois en 1881, 1882, 1886 et 1905, et qui n’est rien d’autre qu’une machine à produire plus de #liberté, d’#égalité et de #fraternité. Mais ce n’est pas cette laïcité, loin s’en faut, qui se donne à voir ces jours-ci, moins que jamais, quand bien même le mot est répété à l’infini. C’est au contraire une politique liberticide, discriminatoire donc inégalitaire, suspicieuse ou haineuse plutôt que fraternelle, que je vois se mettre en place, sans même l’excuse de l’efficacité face au terrorisme.

    Je suis prof, et cette #vraie_laïcité, ce goût de la pensée et de la #parole_libre, je souhaite continuer de les promouvoir. Et je souhaite pour cela rester en vie. Et je souhaite pour cela rester libre, maître de mes #choix_pédagogiques, dans des conditions matérielles qui permettent de travailler. Et je refuse donc de devenir l’otage d’un costume de héros ou de martyr taillé pour moi par des aventuriers sans jugeote, sans cœur et sans principes – ces faux amis qui ne savent qu’encenser des profs morts et mépriser les profs vivants.

    https://lmsi.net/Je-suis-prof

    #Pierre_Tevanian

    –—

    –-> déjà signalé sur seenthis :
    https://seenthis.net/messages/882390
    https://seenthis.net/messages/882583
    ... mais je voulais mettre le texte complet.

  • L’attente
    Dimitris Alexakis - Ou la vie sauvage

    Cinq ans de procédure, de collecte minutieuse de témoignages, de preuves et de mobilisations quotidiennes pour que le lien entre salle d’audience et société ne soit pas rompu mais demeure riche et vivant ; plus de 20 ans de crimes — et une victoire, hier : la condamnation du parti néo-nazi Aube Dorée, à Athènes, reconnu comme une organisation criminelle.

    La géographie de la terreur répandue par Aube Dorée pendant les « années de crise » se confond presque avec celle de votre quartier. Cette rue est celle au bout de laquelle ils s’étaient mis à quatre contre un immigré pakistanais, à coups de chaînes. Ce tunnel au-dessous de la station Attikí est celui où un des leurs avait poignardé un jeune homme à la peau sombre. Le jeune homme s’était effondré contre le carrelage et avait lancé un cri, quelqu’un avait filmé la scène de loin sur son portable, à l’autre bout du tunnel un homme en uniforme était demeuré immobile.
    Cette place — où se trouve une des aires de jeux préférées de ta fille — était « leur place ».

    https://oulaviesauvage.blog/2020/10/08/lattente

    #Grèce #procès #aube_dorée #antifascisme #extrême_droite #mafia #athènes #jailgoldendawn #terreur #victoire

    • ... il est 11 heures 22, c’est le 454e jour du procès, tu ne penses plus à rien, l’imminence du verdict et l’angoisse annihilent provisoirement tout ce que tu peux conserver de souvenirs de cette lutte et de cette histoire-là — 5 ans de procès, de collecte minutieuse de témoignages, de preuves et de mobilisations quotidiennes pour que le lien entre salle d’audience et société ne soit pas rompu mais demeure riche et vivant ; plus de 20 ans de crimes, d’opérations commando contre migrants et opposants, de terreur, de malversations mafieuses, d’impunité largement imputable au parti aujourd’hui au pouvoir et de collusion entre néo-nazis et services, commissariats de quartier, dirigeants politiques, journalistes — ta mémoire est comme paralysée, seul compte l’instant d’après, qui n’est pas encore là.

    • Le verdict final (incarcération immédiate de la presque totalité des prévenus, appel suspensif pour 12 d’entre eux seulement, notamment au motif du "jeune âge") est tombé hier après quelques journées d’audiences tumultueuses, qui ont notamment vu la procureure, représentante de l’État selon le droit pénal grec (calqué sur le droit français) réclamer pour tous les prévenus (à l’exception de l’assassin de Pavlos Fyssas, condamné à perpétuité) la liberté jusqu’au jugement d’appel. La partie civile du mouvement antifasciste, qui représentait lors de ce procès les pêcheurs égyptiens, a publiquement accusé (hors tribunal) la procureure de collusion avec le parti néonazi ; la question centrale de l’implication de membres et secteurs de l’appareil d’État dans le soutien à Aube Dorée a ainsi été portée à jour à un moment crucial. Le pari pouvait sembler risqué mais était parfaitement cohérent avec la démarche suivie depuis le début par ce collectif d’avocats : faire constamment le lien entre salle d’audience et mouvement politique, tribunal et société. La présidente du tribunal a le lendemain choisi de suivre sur ce point la partie civile - plutôt que les avocats d’Aube Dorée qui réclamaient des mesures disciplinaires contre les avocats des victimes (et en particulier contre Thanasis Kampagiannis). La procureure a été sommée de revoir sa copie, de revenir sur sa réclamation initiale et, en fait, sur les mensonges flagrants que ses réclamations contenaient. C’est une victoire réaffirmée, après le premier jugement du 7 octobre reconnaissant Aube Dorée comme une organisation criminelle. L’aboutissement d’une stratégie de long cours débutée au milieu des années 90 à l’initiative du mouvement antifasciste, stratégie qui a en partie constitué à porter systématiquement plainte contre les auteurs de violences du parti néonazi grec (lequel, prenant là pour modèle le parti nazi lui-même, a développé en parallèle à sa présence parlementaire des groupes chargés de semer la terreur dans les rues). Le processus ne s’est pas achevé hier (un des dirigeants de l’organisation est notamment en fuite, en tous cas "introuvable", malgré le "dispositif policier exceptionnel" que les autorités grecques sont censées avoir déployé depuis des jours...), les audiences reprendront pour l’appel, mais une victoire a été obtenue, à la fois juridique, politique et symbolique. La presse aux ordres paraissait hier soir sidérée, sonnée presque.

      “How Do You Fight the Devil With a Lawyer ?” (Max Romeo)

  • La nuit des longs couteaux - Regarder le documentaire complet | ARTE
    https://www.arte.tv/fr/videos/086122-000-A/la-nuit-des-longs-couteaux
    https://api-cdn.arte.tv/api/mami/v1/program/fr/086122-000-A/940x530

    https://www.youtube.com/watch?v=cyR7Sctoguk

    À l’été 1934, Hitler, qui a liquidé la démocratie allemande en un temps record, se retrouve pourtant pris en étau entre deux forces antagonistes : d’un côté, la frange révolutionnaire de son parti, le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands), incarnée par son ami Ernst Röhm, le chef de la Sturmabteilung (SA), formation paramilitaire du parti nazi ; de l’autre, les milieux conservateurs, révulsés par les excès de cette faction qui menace la Reichswehr, l’armée régulière. Cofondée par Hitler et Röhm en 1921 à Munich, la SA a joué un rôle fondamental dans l’ascension des nazis. Si le putsch manqué du 9 novembre 1923, qui a amené le futur dictateur à viser une conquête du pouvoir par les urnes, avait éloigné ce dernier de Röhm, les deux hommes se sont retrouvés en 1930. Surfant sur les ravages de la Grande Dépression, le premier a fait campagne devant des foules grandissantes, pendant que le second tenait la rue par la terreur.

    Basculement
    Mais en juin 1934, les services rendus ne comptent plus. Göring, le numéro deux du régime, Himmler, le chef de la SS, et Heydrich, son adjoint, pressent le Führer de neutraliser Röhm, en inventant un projet de coup d’État. Au matin du 30 juin, à Bad Wiessee, Hitler, revolver au poing, procède à l’arrestation de son ancien frère d’armes – abattu le lendemain dans sa cellule – et déclenche une vague d’assassinats à travers le pays, qui se déchaînera jusqu’au 2 juillet, ciblant les dignitaires de la SA mais aussi des opposants conservateurs et catholiques. Présentés comme une purge interne, ces meurtres seront légalisés rétroactivement. Après la mort du président Hindenburg, le 2 août 1934, Hitler, désormais soutenu par les élites conservatrices et l’armée régulière, peut précipiter l’Allemagne dans la barbarie.
    Entrelaçant images d’archives et passionnantes analyses d’historiens français et allemands, ce documentaire retrace l’ascension commune, mêlée de fascination réciproque, d’Hitler et de Röhm, le tribun et le militaire. Il déroule la chronologie détaillée et expose les conséquences de ces trois jours sanglants qui, par des compromissions insidieuses au plus haut sommet de l’État, ont légitimé la #terreur_nazie .

    #Troisième_Reich #histoire

    • Vu cette semaine, j’ai apprécié, j’ai noté vers la fin cette quasi impossibilité de rompre l’enchainement fasciste avec la mise en place de l’obligation des militaires de prêter serment de fidélité à Hitler lui même plutôt qu’à leur pays.
      #obéissance
      #militaires

    • La fabrique du cauchemar « Journal fictif d’Adolf Hitler », de Haris Vlavianos
      https://www.monde-diplomatique.fr/2020/09/DE_MONTJOYE/62162

      D’emblée, dans son avant-propos, Haris Vlavianos pose la vieille et obstinée question : « Comment un homme falot, pétri d’obsessions, inculte et d’origine modeste, a-t-il fait pour séduire autant d’Allemands et les entraîner dans son sillage ? » Des centaines d’ouvrages ont donné leur version et accumulé les clichés : Adolf Hitler, petit caporal, peintre raté, médiocre « poilu » ; ou bouffon maniaque, monstre débile, tueur en série de masse, incarnation d’un mal absolu… Vlavianos choisit la forme du journal intime. C’est hardi, c’est risqué. Il effectue une plongée dans le quotidien de #Hitler au moment où les vociférations hystériques de ce petit chef de bande vont devenir élaboration d’un programme politique destiné à conquérir le pouvoir, quand, à la suite de son putsch manqué (novembre 1923), il est emprisonné (jusqu’en décembre 1924) à Landsberg, une captivité de plus d’un an qui aboutit à la rédaction des premiers chapitres de Mein Kampf. Avec ce « document fictionnel » qui transforme Hitler en « vrai » personnage, il n’est plus de fascination possible, il y a là juste un pauvre type.

      Vlavianos use d’une langue simple, simpliste, syntaxe minimale, vocabulaire réduit, pour ce pauvre type prétentieux, qui commente des livres où il n’est capable de voir que ses obsessions. Et qui ressasse sa vision de l’Europe : décadente, perverse, infestée par le Juif et le communiste, et dont le « honteux traité de Versailles » est à la fois effet et cause, aboutissant à l’humiliation de l’Allemagne. Autant d’idées banales et haineuses qui circulaient alors largement dans une partie de la population, et tant pis si le peuple allemand est sacrifié à l’idée qu’il a de l’Allemagne, tant pis pour le peuple — tout comme les femmes, grand objet de son dégoût —, qui a besoin d’être guidé… Oscillant entre auto-apitoiement — « Je suis un minable » — et exaltation obsessionnelle, il commence à tisser les liens avec et entre les individus de sa sphère politique, courriers, entretiens, visites d’admiratrices (qu’il méprise), et c’est ainsi que se prépare la suite… Le procès va lui permettre de se tester « pour de vrai » : ce qui devait être affaire de justice tourne en meeting, dont chaque parole et chaque geste sont amplifiés, commentés, par la presse et les politiques, offrant à ce qui n’était qu’une idée fumeuse et paranoïaque une consistance publique. Hitler apparaît comme cristallisant l’inconscient collectif, la machine s’enclenche, les liens tissés commencent à être utiles, le désir fou d’un pouvoir absolu s’appuie sur un mouvement soigneusement planifié dont les moteurs sont la détestation viscérale de la vie, le mépris absolu de l’autre, et la conquête du consentement populaire, par le biais de gesticulations « démocratiques » destinées à l’anéantissement du système parlementaire. Pour ce faire, tous les moyens seront bons, et ce sont les multiples « ficelles » de ce succès que le livre rend visibles et sensibles. Écrit par un historien qui est aussi un poète célèbre, l’auteur notamment de Vacances dans la réalité (Circé, 2011), grand traducteur (de Walt Whitman, Wallace Stevens, William Blake…), ce « journal fictif » est l’un de ces livres-outils qui permettent, au-delà de l’émotion ou de la morale, de déconstruire les mécanismes identitaires et totalitaires dont notre époque se montre assez friande.

      Arnaud de Montjoye

  • La police sème et elle récolte

    Trois jeunes surpris en train de cracher sur les poignées des portières des voitures de police : ils espéraient « rendre les policiers malades »
    https://www.sudinfo.be/id193667/article/2020-05-21/trois-jeunes-surpris-en-train-de-cracher-sur-les-poignees-des-portieres-des

    Trois jeunes ont été attrapés par la police de Molenbeek en train de cracher sur les portières de combis.

    Pris sur le fait. Ces trois jeunes ont été surpris la semaine dernière par la police de Molenbeek alors qu’ils crachaient sur les portières de combis. « Ils l’ont fait » dans l’espoir « d’être eux-mêmes infectés par le coronavirus et ainsi de rendre à leur tour les policiers malades », explique une source policière au Nieuwsblad.

    Le pire dans cette histoire, c’est que ces trois jeunes faisaient partie des « gilets blancs ». Un groupe composé de jeune de la commune devant « sensibiliser les habitants contre le coronavirus » contre rémunération. Leur mission est notamment d’avertir les gens en rue pour qu’ils gardent leurs distances et respectent une bonne hygiène des mains.

    #Violence #haine en retour #ingéniosité #terreur #covid #coronovirus #police retour de bâton

  • Fascist legacy

    Fascist Legacy ("L’eredità del fascismo") è un documentario in due parti sui crimini di guerra commessi dagli italiani durante la seconda guerra mondiale, realizzato dalla BBC e mandato in onda nei giorni 1 ed 8 novembre 1989.

    https://www.youtube.com/watch?v=2IlB7IP4hys

    #film #film_documentaire #documentaire

    #Mussolini #Pietro_Badoglio #Ethiopie #guerre_chimique #Rodolfo_Graziani #gaz_moutarde #colonialisme #Italie #Libye #fascisme #massacres #crimes_de_guerre #Mario_Roatta #Yougoslavie #camps_de_concentration #Rab #destruction #terreur #impunité

    voir aussi :
    https://en.wikipedia.org/wiki/Fascist_Legacy

    ping @wizo @albertocampiphoto

  • https://lundi.am/Le-coronavirus-et-l-etat-d-exception-en-chacun

    Rappel pour les élèves du premier rang : le contrat social qui a inspiré et inspire le plus le réseau de pouvoir n’est pas celui de Jean-Jacques Rousseau mais bien celui de Thomas Hobbes - « Le Léviathan » - ayant engendré entre autres le courant utilitariste dont le panoptique de Jeremy Bentham. Ce brillant ouvrage d’urbanisme (Le Panoptique !) à l’usage de nos gouvernants a enfanté l’architecture de la plupart de nos prisons mais aussi de nos écoles. Peu intéressés par la science-politique et l’urbanisme carcéral, vous vous demandez quel est le rapport entre ce contrat social et le caractère terrorisant de cette grippe ?

    #coercition #terreur_d'état #gestionnaires_du_cheptel_humain

  • Césars : « Désormais on se lève et on se barre » | Virginie Despentes
    https://www.liberation.fr/debats/2020/03/01/cesars-desormais-on-se-leve-et-on-se-barre_1780212

    Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Source : (...)

    • Et vous savez très bien ce que vous faites - que l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent.

    • https://medias.liberation.fr/photo/1297226-adele-haenel-walked-out-of-the-cesars-paris.jpg?modified_a

      oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n’aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.

    • Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout.

      Le public a été voire en masse le dernier Polansky, la cérémonie ne se foute pas du tout du public. C’est le public qui se fout des violé·es. Le public se branle sur du porno plusieurs fois par semaine et il est aussi misogyne et violophile que le jury des césars.
      Le public ce qu’il a préféré du cinéma franças c’est « Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? » qui à la 4eme place au Box office, Polansky est 32eme un peu derrière Nicky Lason, autre fleuron du ciné français.
      –----
      On se casse, Ok, c’est bien mais ou on va si on quitte la Macronie avec nos talons hauts et notre robe de soirée de femmes-cis-non-dominée ? on va en Trumpie, en Poutinie, ou en Sevrerinie ? Ou il est ce pays sans viol et sans violophiles ou on irait si on se casse ? Il n’existe même pas en rêve !

    • Césars : « Désormais on se lève et on se barre », par #Virginie_Despentes

      Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le #respect entier et constant. Ça vaut pour le #viol, les exactions de votre #police, les #césars, votre #réforme des #retraites. En prime, il vous faut le #silence de #victimes.

      Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi #mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de #49-3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer #Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais #patrons, les gros #caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de #consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des #puissants s’il fallait tenir compte du consentement des #dominés ? Et je ne suis certainement pas la seule à avoir envie de chialer de #rage et d’#impuissance depuis votre belle #démonstration_de_force, certainement pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie d’#impunité.

      Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise #Roman_Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est #grotesque, c’est #insultant, c’est #ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu : Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS, Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs #prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la #puissance de vos grosses fortunes : avoir le #contrôle_des_corps déclarés #subalternes. Les #corps qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le #respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à l’#Assemblée_nationale ou dans la #culture - marre de se cacher, de simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, ça vaut pour les exactions de votre #police, ça vaut pour les césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il faut nous transmettre le message par la #terreur vous ne voyez pas où est le problème. Votre #jouissance_morbide, avant tout. Et vous ne tolérez autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’#argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le #cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez - à travers lui c’est votre puissance qu’on doit respecter.

      Il serait inutile et déplacé, dans un commentaire sur cette cérémonie, de séparer les corps de cis mecs aux corps de cis meufs. Je ne vois aucune différence de comportements. Il est entendu que les grands prix continuent d’être exclusivement le domaine des #hommes, puisque le message de fond est : #rien_ne_doit_changer. Les choses sont très bien telles qu’elles sont. Quand #Foresti se permet de quitter la fête et de se déclarer « écœurée », elle ne le fait pas en tant que meuf - elle le fait en tant qu’individu qui prend le risque de se mettre la profession à dos. Elle le fait en tant qu’individu qui n’est pas entièrement assujetti à l’#industrie_cinématographique, parce qu’elle sait que votre #pouvoir n’ira pas jusqu’à vider ses salles. Elle est la seule à oser faire une blague sur l’éléphant au milieu de la pièce, tous les autres botteront en touche. Pas un mot sur Polanski, pas un mot sur #Adèle_Haenel. On dîne tous ensemble, dans ce milieu, on connaît les mots d’ordre : ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu’une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu’Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d’enfant actrice, de son point de vue.

      Alors tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le #pouvoir_absolu des puissants. Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants. On ne les aime pas malgré le viol et parce qu’ils ont du talent. On leur trouve du #talent et du style parce qu’ils sont des violeurs. On les aime pour ça. Pour le courage qu’ils ont de réclamer la #morbidité de leur #plaisir, leur #pulsion débile et systématique de destruction de l’autre, de #destruction de tout ce qu’ils touchent en vérité. Votre plaisir réside dans la #prédation, c’est votre seule compréhension du style. Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre #délinquance. C’est cette exigence qui fait que lors de la cérémonie tous les corps sont soumis à une même #loi_du_silence. On accuse le #politiquement_correct et les réseaux sociaux, comme si cette #omerta datait d’hier et que c’était la faute des féministes mais ça fait des décennies que ça se goupille comme ça : pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : #respect et #solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les #castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C’est toujours la loi du silence qui prévaut. C’est au respect de cette consigne qu’on sélectionne les employés.

      Et bien qu’on sache tout ça depuis des années, la #vérité c’est qu’on est toujours surpris par l’outrecuidance du pouvoir. C’est ça qui est beau, finalement, c’est que ça marche à tous les coups, vos saletés. Ça reste #humiliant de voir les participants se succéder au pupitre, que ce soit pour annoncer ou pour recevoir un prix. On s’identifie forcément - pas seulement moi qui fais partie de ce sérail mais n’importe qui regardant la cérémonie, on s’identifie et on est humilié par procuration. Tant de silence, tant de #soumission, tant d’empressement dans la #servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier. On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. Himself. Dans nos gueules. Vous n’avez décidément #honte de rien. Vingt-cinq millions, c’est-à-dire plus de quatorze fois le budget des Misérables, et le mec n’est même pas foutu de classer son film dans le box-office des cinq films les plus vus dans l’année. Et vous le récompensez. Et vous savez très bien ce que vous faites - que l’#humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent. Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le #prix est taché par votre #ignominie - même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’#industrie_du_cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c’est le #spectacle des césars. Et les hasards du calendrier font que le message vaut sur tous les tableaux : trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : « Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss. »

      Alors quand Adèle Haenel s’est levée, c’était le sacrilège en marche. Une employée récidiviste, qui ne se force pas à sourire quand on l’éclabousse en public, qui ne se force pas à applaudir au spectacle de sa propre humiliation. Adèle se lève comme elle s’est déjà levée pour dire voilà comment je la vois votre histoire du réalisateur et son actrice adolescente, voilà comment je l’ai vécue, voilà comment je la porte, voilà comment ça me colle à la peau. Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste - toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le #corps_violé et le #corps_créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.

      Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de #colère et les épaules ouvertes. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie - Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde. Je donne 80 % de ma bibliothèque féministe pour cette image-là. Cette leçon-là. Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone pour cette sortie-là. Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’#arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n’aurez pas notre #respect. #On_se_casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre #mascarade_de_respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’#imbéciles_funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/03/01/cesars-desormais-on-se-leve-et-on-se-barre_1780212

    • Il y a une sorte de dimension religieuse dans ces cérémonies cinéphiles. Comme chez les Aztèques dans leur rites sacrificiels où l’on droguait les prisonnier·ères avant de les allonger sur un autel pour leur ouvrir la poitrine et en extirper leur cœur palpitant. Les « dieux » aiment le sang et si si on se laisse convaincre par leurs prêtres qu’on va gagner l’éternité en se soumettant à leurs fantasmes, on se fera fatalement arracher le cœur. C’est à dire déposséder de notre part la plus intime d’êtres vivants et pensants et donc nous briser. Les aristocrates, de quelque obédience soient-ils, exigent avant toute chose la soumission de leurs subordonné·es. Et ils ont même poussé leur perversité sans limite à faire accepter au langage commun le qualificatif de « nobles ».
      Et si toutes ces célébrations dilatoires n’étaient qu’une mise en abyme du mauvais scénario que nous subissons depuis 2016, année précédant la dernière élection présidentielle en date ?

      #aristocratie_guerrière #théocratie #nos_bons_maîtres #R.A.G.E.

    • Césars : ce que veut dire #quitter_la_salle

      La « #honte » exprimée par Adèle Haenel vendredi, lors de la cérémonie, est une expérience morale et politique qui permet de sortir du statut de victime pour construire une résistance collective.

      De la 45e cérémonie des césars, il ne faudra retenir que l’« exit » de plusieurs femmes dont Adèle Haenel qui quitte la salle en se fendant d’un « c’est une honte », Florence Foresti qui refuse de venir clôturer la soirée et qui écrira ce mot sur Instagram : « écœurée ». Ce sont des mots de l’émotion et aussi du discernement. De la honte à l’écœurement se déploie une contre-scène à la masculinité affirmée des césars : une même puissance de nommer le mal, de faire jaillir l’indécence d’une situation.

      Généralement la honte est du côté de la personne vulnérable qui, non seulement, est victime d’une violence mais ne parvient pas à s’extirper de la honte d’être violentée. La honte s’y affirme alors en honte d’avoir honte. Une personne agressée est traversée par les souffrances dont elle est l’objet mais elle est aussi saisie par l’incapacité de s’extirper de cette scène de violence qui se met à vivre dans la vie psychique sous forme de rumination mélancolique ou d’état de paralysie hypothéquant l’avenir.
      Un dispositif masculiniste

      La honte peut cependant avoir une autre signification : dans le jugement « c’est une honte », le terme de honte est renvoyé au lauréat du césar, Polanski, mais plus profondément encore au dispositif masculiniste des césars comme dispositif de pouvoir qui maintient les femmes à leur place et annule les scandales de genre. Surtout, la phrase d’Adèle Haenel contribue à désingulariser la situation des césars pour la projeter sur toutes les autres situations de ce type. La honte est alors une expérience morale et politique qui permet de sortir de la singularité de la victime pour construire une résistance collective et politique. Elle est le discernement du juste à même la perception d’une injustice typique d’un état des rapports de pouvoir.

      Le terme d’écœurement parachève cette forme de résistance. Il indique l’écart entre ce qui aurait dû être (tout sauf Polanski meilleur réalisateur) et ce qui est ; il le dénonce pour construire la possibilité d’une voix collective du refus. Albert Hirschman, dans un livre important, Exit, Voice and Loyalty avait, en 1970, souligné que, face aux défaillances des institutions, les individus ont le choix entre trois comportements : prendre la porte de sortie (exit), prendre la parole (voice) ou se résigner (loyalty). Adèle Haenel, Cécile Sciamma, Florence Foresti et toutes les personnes qui sont sorties de la salle ont montré que l’« exit » était bien le commencement de la voix.

      Face au courage de celles qui partent, il y a le cynisme de ceux qui verrouillent toutes les positions et se cramponnent pour que rien ne change. Le débat sur l’indépendance de l’œuvre face à l’artiste risque alors fort d’être un leurre. Tout d’abord, Roman Polanski a toujours affirmé jusqu’à J’accuse (en se comparant à Dreyfus à travers les rouages de persécution qu’il affirme lui-même vivre) que son cinéma était en lien avec sa vie, ce qui est le cas de bien des artistes d’ailleurs. Ensuite, il n’est pas sûr que le terme d’œuvre soit le plus adéquat pour évoquer un film tant l’industrie culturelle y est présente. L’Académie des césars elle-même incarne cette industrie puisque les quelque 4 700 votants, dont la liste est confidentielle, appartiennent aux différents métiers du cinéma. Pas plus que l’œuvre, la défense de l’artiste en être d’exception ne tient.
      De la reconnaissance des « grands hommes »

      Et les femmes ? On sait combien elles ont du mal à convaincre dès qu’elles souhaitent faire un film ; elles ne disposent jamais des mêmes budgets que les hommes. La remise du prix de meilleur réalisateur à Roman Polanski relève du maintien d’un ordre des grandeurs, lequel impose la reconnaissance des « grands hommes » envers et contre tout ; le film qui coûte cher et mérite d’être honoré est masculin. Tout ceci a été rappelé au milieu du cinéma qui s’y est largement plié, hormis la sortie d’Adèle Haenel, de Cécile Sciamma, de l’équipe du film et d’une centaine de personnes. Malgré les sketches de Florence Foresti et le discours d’Aïssa Maïga sur la diversité, il a été réaffirmé que le monde du cinéma appartient aux hommes hétérosexuels et qu’à ce titre, il repose sur un schéma précis quant aux positions les plus visibles : les hommes comme metteurs en chef ou acteurs, les femmes comme actrices.

      Dans le milieu des réalisateurs, les « grandes femmes » n’existent pas et il n’est pas d’actualité qu’elles commencent à apparaître. On se souvient qu’en 1979, Ariane Mnouchkine fut nommée pour « le meilleur réalisateur » et pour le meilleur film. Elle n’obtint aucun des deux prix ; ils furent attribués à Christian de Chalonge et à son film l’Argent des autres. Molière est resté dans notre imaginaire culturel mais qui se souvient encore de l’Argent des autres ? Une seule femme a pu tenir dans ses bras la fameuse statuette pour la réalisation, Tonie Marshall en 2000 pour Vénus Beauté (Institut), un film qui semble porter sur des questions de femmes ! Roman Polanski l’avait déjà obtenu quatre fois (en 1980, 2003, 2011 et 2014). J’accuse avait déjà tout eu : un battage médiatique exceptionnel, un succès dans les salles. Ce prix du réalisateur, attribué pour la cinquième fois, a servi à rappeler aux femmes leur place dans le milieu du cinéma comme dans la société : elles sont le deuxième sexe et destinées à le rester, ce qui autorise tous les abus de pouvoir, et bien évidemment les faveurs sexuelles pour ceux qui détiennent un pouvoir qui est aussi symbolique. Non seulement les violences faites aux femmes ne doivent pas compter mais les femmes qui sont dans le milieu du cinéma ont intérêt à ne pas sortir des places que l’on a définies pour elles : rester dans l’ombre des hommes quitte à les faire rêver.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/03/02/cesars-2020-ce-que-veut-dire-quitter-la-salle_1780305

    • Dommage, pas un mot sur #Aissa_Maiga qui va prendre cher. #Nadine_Morano lui a déjà dit de rentrer en Afrique si elle n’était pas contente...

      Aux César 2020, Aïssa Maïga livre un plaidoyer pour plus de diversité au cinéma
      Huffington Post, le 28 février 2020
      https://www.huffingtonpost.fr/entry/aissa-maiga-plaidoyer-cesar-2020-diversite_fr_5e598d41c5b6450a30be6f7

      On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées... Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille.

      César 2020 : Nadine Morano somme l’actrice Aïssa Maïga de « repartir en Afrique »
      BERTRAND GUAY, La Dépêche, le 2 mars 2020
      https://www.ladepeche.fr/2020/03/02/cesar-2020-nadine-morano-somme-a-aissa-maiga-de-repartir-en-afrique,876904

      #Césars

    • Cinéma français : la nuit du déshonneur
      Camille Polloni et Marine Turchi, Médiapart, le 29 février 2020
      https://seenthis.net/messages/828230

      À Mediapart, Adèle Haenel explique qu’« alors que la cérémonie avait plutôt bien débuté, qu’il se passait quelque chose », avec plusieurs prises de parole fortes « comme Lyna Khoudri [meilleur espoir féminin – ndlr], Aïssa Maïga, l’équipe du film Papicha [de Mounia Meddour, qui traite du combat des femmes en Algérie – ndlr], et le numéro d’équilibriste réussi de Florence Foresti », la soirée s’est ensuite « affaissée dans les remerciements ». « Comme si, cette année, il n’y avait pas autre chose à dire : sur les violences sexuelles, sur le cinéma qui traverse actuellement une crise, sur les violences policières qui s’intensifient, sur l’hôpital public qu’on délite, etc. » « Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes du monde », résume l’actrice à Mediapart.

      (...)

      Comme quelques autres, l’actrice Aïssa Maïga a quitté la salle après l’annonce de l’attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski. « J’étais d’abord un peu clouée sur place. Et puis une minute après, je n’étais pas bien, je suis partie, réagit-elle auprès de Mediapart en sortant. J’ai été terrassée, effrayée, dégoûtée, à titre vraiment personnel, dans mes tripes. J’ai vu la réaction d’Adèle Haenel, très forte, et honnêtement, j’ai pensé à toutes ces femmes. Toutes ces femmes qui voient cet homme plébiscité et je pense, au-delà de ces femmes, à toutes les autres, toutes les personnes victimes de viols, de violences sexuelles. J’imagine quel symbole cela peut revêtir pour elles. Et pour moi l’art n’est pas plus important que tout. L’humain d’abord. »

      L’actrice marque une pause, puis reprend : « Vous savez, c’est comme dans une famille : on croit se connaître un petit peu et puis, parfois, à la faveur d’une extrême révélation, on découvre qui sont les gens, ce qui est important pour eux, et parfois on constate avec un peu d’amertume qu’on n’a pas tout à fait les mêmes valeurs. » « Ce n’est pas grave, il faut le savoir et pouvoir avancer avec ça. Et moi, là, j’ai envie d’aller rejoindre les manifestantes dehors, c’est tout. J’aime beaucoup le cinéma, les tapis rouges, les films, les cinéastes, j’aime tout ça, mais moi je suis une fille qui n’a pas été éduquée dans l’élite, ni dans un esprit d’élitisme, je me sens une citoyenne comme les autres et là je vais aller les rejoindre », conclut-elle en se dirigeant vers le rassemblement des féministes face à la salle Pleyel. À quelques mètres du tapis rouge, les cris des militantes, parquées derrière les barrières, redoublent : « Polanski violeur, César complices ! » ; « Mais vous n’avez pas honte ? ».

      (...)

      Remettant le César du meilleur espoir féminin, l’actrice Aïssa Maïga, membre du collectif Noire n’est pas mon métier, a elle jeté un pavé dans la marre avec sa longue intervention sur l’invisibilisation des personnes non blanches dans le monde du cinéma.

      « Je peux pas m’empêcher de compter le nombre de Noirs dans la salle, a-t-elle ironisé à la tribune. Je sais qu’on est en France et qu’on n’a pas le droit de compter. C’est douze ce soir, le chiffre magique ? [...] On a survécu au whitewashing, aux blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, aux rôles de terroristes, de filles hypersexualisées... On refuse d’être les bons Noirs. On est une famille, non ? On se dit tout. L’inclusion, elle ne va pas se faire toute seule. Ça ne va pas se faire sans vous. Pensez inclusion. […] Faisons une maison qui soit fière d’inclure toutes les différences. »

      À Mediapart, après la cérémonie, elle relate « l’effroi dans la salle » qu’elle a constaté au moment de sa prise de parole. « Je ne savais pas très bien comment l’interpréter. J’avais l’impression de plonger dans un bain de glaçons, de dire des choses qui pourtant me paraissent assez évidentes et audibles. J’ai eu l’impression que chez certains, il y a une sorte de ras-le-bol, comme si on les gavait avec la question de la diversité, qui n’est autre qu’une question de justice sociale. Et on a une responsabilité qui est énorme. Je ne pense pas que les artistes ou les décideurs ou les techniciens puissent se soustraire à cette question de l’identification du public aux films qu’on fait. Ça me paraît totalement aberrant. » Et la comédienne d’« assumer pleinement » ses propos : « J’avais besoin de dire ce que j’avais à dire. Aucun des mots que j’ai choisis n’était un accident. Je me sens aussi portée par une lame de fond. »

    • « À propos de l’impunité des artistes criminels, réflexions autour du cas de Roman Polanski en France. »
      https://lisefeeministe.wordpress.com/2020/02/15/a-propos-de-limpunite-des-artistes-criminels-reflexions-au
      source : #Christine_Delphy
      https://christinedelphy.wordpress.com/2020/03/02/lise-bouvet-a-propos-de-limpunite-des-artistes-criminels-
      je l’ai pas encore lu mais comme je suis abonné au blog de Delphy, je transmets. Abonné aussi à @tradfem et Seenthis, ça commence à faire beaucoup et j’ai pas que ça à foutre, j’ai aussi ma #tenue_de_soirée à repriser, entre autres !

    • Pour le texte de libé sur la honte l’accroche est mal fichu. j’ai l’impression qu’elle n’a pas été faite par une personne qui n’a pas compris le texte car elle réintroduit de blâme sur la victime en sous entendant que la victime ne peut pas être résistante, ce que le texte ne fait pas.
      #phallosophe #victime_blaming #victimophobie #grand_homme #grands_hommes

      La « honte » exprimée par Adèle Haenel vendredi, lors de la cérémonie, est une expérience morale et politique qui permet de sortir du statut de victime pour construire une résistance collective.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/03/02/cesars-2020-ce-que-veut-dire-quitter-la-salle_1780305

    • Interessant le texte sur le site de C.Delphy

      Patrizia Romito classe en premier lieu ce qu’elle appelle les tactiques d’occultation : euphémisation (notamment dans le langage) des faits, déshumanisation de la victime, culpabilisation de la victime, inversion victime-agresseur, accusation de mensonge (ou d’exagération), psychologisation de l’affaire (réduction à des passions individuelles hors champ d’analyse sociale ou politique), naturalisation des actes (invocation de « pulsions » notamment), tactique de distinction- séparation (relativisation, enfouissement de l’acte criminel dans une masse d’autres considérations futiles).

      En second lieu, P. Romito présente ce qu’elle nomme des stratégies d’occultation : légitimations de la violence, négation des faits, discours pédophile sur la prétendue sexualité consentie des enfants et jeunes adolescentes, disparition de l’agresseur dans le récit journalistique et social, concentration de l’attention médiatique sur les victimes et/ou ce qu’elles auraient fait ou mal fait (dérivation de l’attention qui protège l’agresseur). Ce classement s’applique parfaitement à l’analyse de nos quatre dossiers, même si tous les éléments n’y figurent pas à chaque fois en même temps. Typiquement, il est difficile de remettre en cause la matérialité des faits dans le dossier Marie Trintignant qui a été tuée par Bertrand Cantat ni même dans celui de Samantha Geimer puisque Roman Polanski a plaidé coupable. On montre que les tactiques et les stratégies du « discours agresseur » varient et s’adaptent en fonction des violences dont il est question. Ce discours n’est d’ailleurs pas forcément conscient, il est énoncé par un certain nombre de locuteurs, puis repris, ou non, par les médias. Cependant, nous le verrons, on observe au fur et à mesure des affaires une véritable évolution du discours médiatique et une prise de conscience grandissante par certains journalistes des travers de ce discours, notamment grâce à la mobilisation et aux dénonciations d’acteurs sociaux tels que les associations ou personnalités féministes.

      Malheureusement je n’ai qu’un temps limité ici et je ne pourrai pas parler de tout aujourd’hui, à ce titre je vous renvoie à notre ouvrage. Pour résumer le propos très rapidement je dirais que l’impunité se déploie sur trois niveaux . C’est d’abord celle de tous les agresseurs en France et c’est ce que nous avons découvert dans l’analyse statistique qui a révélé ceci : l’impunité est quasi totale et la justice ne fonctionne quasiment pas. Le deuxième niveau d’impunité c’est celle d’hommes célèbres et puissants qui ont les moyens financiers d’organiser non seulement leurs défenses mais aussi la destruction des plaignantes. Ici encore faute de temps je vous renvoie à notre ouvrage et ma co·autrice qui est juriste en parle beaucoup mieux que moi. C’est du troisième niveau d’impunité dont je vais parler aujourd’hui, qui est celui du différentiel artiste – politique.

      En effet, en analysant a posteriori nos quatre dossiers nous avons réalisé que les plus intouchables des intouchables ce sont les artistes , contrairement aux hommes politiques qui, si ils arrivent à échapper à une condamnation judiciaire, ne peuvent pas esquiver l’opprobre sociale.

      Le papier à été écrit avent l’affaire Matzneff, et l’affaire Adèle Haenel, il manque donc l’info que l’artiste est protégé selon son degrès de notoriété, car si Polansky, Cantat, Besson et tant d’autres trouvent toujours des soutiens, c’est pas le cas pour les « has been » qui servent de cache-sexe aux complices des violeurs par exemple Matzneff, Ruggia, Brisseau ne sont pas autant soutenus car ils sont moins connus ou moins puissants que leur victimes.

      –----
      Question du « génie » de l’artiste, statut qui le place au niveau du divin, du surnaturel =

      Dans un essai passionnant (1), De l’humanisation de la création divine à la divinisation de la création humaine, l’historienne de l’art Lucile Roche analyse avec brio ce thème du dieu-artiste dans la théorie esthétique moderne Occidentale. Elle écrit : « C’est alors dans son éloignement du modèle divin au profit d’un recentrement de l’artiste, soumis au seul caprice de ses vues et exigences téléologiques, focalisé sur ses propres aptitudes créatrices – l’originalité, l’imagination – que se referme l’analogie Artiste-Dieu et Dieu-Artiste. Source inépuisable d’une créativité dont il est l’unique source, l’artiste romantique relève du divin (avec lequel il partage le ex-nihilo) sans pour autant s’y soumettre. Dans son humanité, l’artiste est alors, paradoxalement, divinisé ». Tout est dit : les jusqu’au-boutistes dans la défense d’auteurs tels que Polanski sont pris dans une représentation sociale surannée qui porte une vision profondément romantique de l’artiste, que l’on illustrera par cette phrase de Victor Hugo : « L’art est à l’homme ce que la nature est à Dieu ». Si ces hommes sont au niveau des dieux alors ils échappent à la justice des hommes, voilà l’impensé fondamental des défenseurs de Polanski, et autres artistes criminels, non seulement gardiens de leurs castes sociales et de ses corollaires impunités, mais surtout, selon nous, enlisés dans des conceptions de l’art dépassées, qui sont mises au service de l’impunité.

      La théoricienne de l’art Carole Talon-Hugon (2) dans une récente interview a éclairé ces impensés autour de l’artiste : « Un viol commis par un anonyme et un viol commis par un artiste, c’est à la fois la même chose – parce que le crime est tout autant répréhensible – et pas la même chose. Parce qu’il fait notamment figure d’exemple, l’artiste bénéficie d’un statut particulier dans la société. En tout cas, depuis le XVIIIe siècle. À cette époque-là, on va commencer à considérer l’art comme un domaine à part, totalement distinct, soumis à la seule règle de la beauté et indépendant de la question du bien. Ainsi, pour Diderot, « il y a une morale propre aux artistes qui peut être à rebours de la morale usuelle ». On retrouve cette idée chez Oscar Wilde (XIXe siècle) ou André Breton (XXe siècle). L’artiste devient alors une individualité sauvage et singulière, en rupture, en opposition et totalement indépendante de la morale ordinaire. Cette image-là, construite sur plus de 200 ans, nous empêche de regarder la réalité de ces agressions en face. »

      C’est ici que, selon nous, le roi apparait nu : en contradiction profonde avec nos valeurs démocratiques, les artistes sont devenus la nouvelle aristocratie au-dessus des lois. Non seulement, en consacrant les uns au détriment des autres on abdique la communauté des citoyens et l’on dit qu’il y a des valeurs supérieures à la vie humaine, mais en outre, l’on comprend désormais la thèse sous jacente des « amis de Polanski » qui est que le talent exceptionnel de cet homme devrait pouvoir se transcrire dans un statut politique dérogatoire exceptionnel. On fera remarquer avec ironie que ces gens là se réclament souvent de gauche, alors qu’ils portent la vision féodale d’une société où le talent et le statut des uns leur accorderait des droits particuliers sur les autres, et leur corps, a fortiori des personnes mineures. Position d’autant plus fragile quand on a compris que les demandes d’exceptionnalité de traitement pour le cinéaste Roman Polanski ne reposent finalement que sur des conceptions discutées comme discutables de théories de l’art. Et après tout, les amis de Polanski ont bien le droit de s’attacher à une théorie particulière que nous ne partageons pas. Ce qui est en revanche indiscutable, c’est que nous vivons dans un régime politique où les artistes, aussi doués soient-ils, sont des citoyens et des justiciables comme les autres.
      ...
      L’impunité de ces hommes repose en grande partie sur une conception non seulement de l’artiste démiurge, mais d’un public passif et docile dans sa réception d’une œuvre vue comme sacrée, et, comme par hasard ces qualités recouvrent les valeurs traditionnellement associées au masculin et au féminin… On voit là qu’on se trouve en plein dans une pensée religieuse et réactionnaire, paradoxalement portée par des « gens de gauche » .

      La dernière phrase fait écho à ta remarque sur la religiosité de tout ca @sombre

      #talent #génie #surhomme #caste #privilège #démiurge #virilité #mâle-alphisme #mérite #star #lumière

      Le comble selon nous est que par exemple, China Town est une oeuvre remarquable sur l’inceste et le viol… Peut-être que nous effleurons ici la plus grande injustice sociale et le plus grand privilège masculin : ces hommes, non seulement violent en toute impunité, mais ensuite, de ces viols, font des chefs-d’oeuvre, acclamés, primés et applaudis. Et, à jamais c’est le chef-d’oeuvre du violeur qui restera gravé dans l’histoire de l’art, alors que, poussière, la vie dévastée des victimes retournera à la poussière. Ceci nous amène à un point important à propos des films de ces réalisateurs notamment pédocriminels. Parmi les injonctions dont on nous accable, il y a l’interdiction corollaire de ne pas juger les films de l’homme, qu’on nous conjure de ne pas condamner (particulièrement en France comme l’a dénoncé le critique de cinéma Paul Rigouste (6). Or la critique de genre, c.a.d en terme d’analyse de rapports sociaux de sexe, s’est développée comme champ théorique universitaire autonome depuis bien longtemps, y compris en France grâce aux travaux de Geneviève Sellier, et bien entendu ce qui chagrine nos fans, qui sont dans la dévotion, c’est que l’on puisse mener une critique cinématographique impertinente des œuvres de ces hommes. Par exemple, un visionnage attentif des films de Woody Allen permet de repérer son obsession pédophile pour les très jeunes filles, de même qu’il me semble que Polanski affronte sans détour dans son œuvre des problématiques très personnelles de crimes et culpabilités, et ce, de manière quasi systématique. Par définition, le travail de la pensée et de l’analyse ne peut être limité, la critique doit adresser l’ensemble de l’oeuvre et il semble aussi invraisemblable que contre productif de limiter le champ des études cinématographiques par des interdictions sous peine de « lèse génie ». Il faut dénoncer cette double injonction sur laquelle repose la défense de ces criminels : non seulement l’institution judiciaire n’aurait pas son mot à dire sous prétexte qu’ils sont des artistes, mais leurs œuvres elles-mêmes seraient comme immunisées de toute lecture en lien avec leurs crimes , lecture qui pourtant me semble très intéressante d’un point de vue de théorie de l’art. Nous avons là l’occasion inouïe d’analyser des œuvres de criminels qui précisément n’hésitent pas à créer à partir de leur propre criminalité, donc au nom de quoi se priver de ces recherches ? On voit là qu’on doit aller frontalement à contre sens de l’opinion commune : Non seulement on ne peut pas séparer l’homme de l’artiste comme on vient de le voir, mais il est spécifiquement ici pertinent de rattacher l’artiste à ses crimes afin d’étudier son œuvre à partir de son activité criminelle, sans pour autant l’y réduire bien entendu.

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      Enfin, un aspect qui me semble également important et à prendre en compte dans l’analyse de ces discours de défense des cinéastes criminels, c’est le phénomène de la fascination du grand public pour ces agresseurs. Fascination dont ils jouent pour faire valoir leur défense, qui bien entendu ne peut que bénéficier de sentiments confus, qu’il faut déconstruire.

      Dans La Photographie, le théoricien de l’art André Rouillé fait une analyse remarquable de ce qu’est une « star » dans nos sociétés contemporaines. Star en anglais signifie étoile, c’est-à-dire un objet qui brille même dans la nuit, à l’image de cette aura qui repose sur l’exposition médiatique, véritable machine optique d’exposition. Les stars sont des êtres à part, des êtres de lumière, qui scintillent, éclairées en réalité par la machine « people » qui selon nous fonctionne sur une ambivalence fondamentale : ces gens nous sont familiers, ils nous ressemblent mais ils sont différents, ils vivent dans une sphère sociale supérieure qui suscite crainte et respect. Ce jeu de reflets permet des identifications-évasions, des phénomènes confusants mais gratifiants, et surtout, profondément duels. Le public est saisi dans des positions contradictoires : entre l’admiration et la dévotion pour ces stars mais aussi le sentiment d’injustice que leur inspire le fait que contrairement à lui, elles échappent à un système judiciaire qui frappe plus durement les modestes et les anonymes. De plus, comme le note la philosophe Michela Marzano, les hommes et les femmes ne sont pas affectés de la même façon dans ce phénomène : dans un contexte patriarcal les hommes sont tentés de s’identifier aux accusés célèbres et puissants, quand les femmes sont piégées dans plusieurs conflits d’allégeance.

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      La chercheuse Judith Herman nous met en garde que « C’est très tentant de prendre le parti de l’agresseur. La seule chose qu’il demande au témoin est de ne rien faire. Il en appelle à notre désir universel de rester neutre et ne pas condamner. La victime au contraire nous demande de prendre part à sa douleur. La victime nous demande d’agir, de nous engager et de nous rappeler pour elle. »

      On l’observe en chacun de nous dans ces cas précis : il existe un conflit entre le citoyen et le spectateur. Le citoyen condamne les crimes de l’artiste mais le spectateur veut continuer à jouir de l’oeuvre de l’artiste criminel. Parce que nous avons aimé ces œuvres, parce qu’elles font partie de notre vie désormais, de notre culture. Parce que l’oeuvre d’art est considérée comme unique et qu’on voue un quasi culte à son auteur, parce que les créateurs sont les nouveaux dieux de notre société sécularisée. Cette résistance autour de l’artiste tient selon nous à une imprégnation puissante d’un télescopage de conceptions de l’art des siècles derniers et de mythes néolibéraux ultra contemporains ; l’artiste incarnant dans notre mythologie capitaliste, à la fois l’individu exceptionnel, la liberté, la transgression, l’exception morale et une forme de sacré archaïque.

      #art #artiste

    • « Les César 2020 consacrent l’extraordinaire impunité de Roman Polanski »

      « À ce jour, le cinéaste Roman Polanski est accusé de viols et d’agressions sexuelles par 12 femmes, notamment alors qu’elles étaient mineures. Le réalisateur a reconnu avoir drogué puis violé l’une d’entre elles, une jeune fille âgée de 13 ans en Californie, puis a fui la justice.

      Il a ensuite tourné librement de nombreux films, reçu tous les grands honneurs et récompenses de sa profession, ainsi que le soutien de la quasi-totalité de l’establishment, pouvoirs publics compris, au point qu’il a obtenu les financements pour tourner en 2019 un film sur le capitaine Dreyfus, dont il prétend – par un renversement qui laisse pantois – que leurs destins sont similaires. Ce film a obtenu 12 nominations aux César, c’est-à-dire autant que le nombre de femmes accusant le réalisateur de « J’accuse ».

      publié par l’Express le 28/02/2020, en intégralité sur le blog de Lise’s B.
      https://lisefeeministe.wordpress.com/2020/03/02/les-cesar-2020-consacrent-lextraordinaire-impunite-de-roma

      « L’impunité repose sur une conception de l’artiste démiurge et d’un public passif », estiment Yael Mellul et Lise Bouvet , coautrices de Intouchables ? People, Justice et impunité, ouvrage dédié notamment aux affaires Polanski, Cantat, DSK et Tron.

      Juriste et ex-avocate, Yael Mellul est coordinatrice juridique du pôle d’aide aux victimes de violences du centre Monceau. Politiste et philosophe de formation, Lise Bouvet est traductrice de textes féministes anglophones et autrice.

    • Je recommande ce texte qui pointe certains défauts du texte de Despentes en particulier le féminisme blanc mais ne parle pas de l’aspect misogyne de l’idéologie trans et proxénète qui s’y est glissé. https://seenthis.net/messages/828705

      Sur le texte de Lise B pointé par @vanderling

      « Les amis de Polanski » nous disent, entre autres, qu’il n’est pas un justiciable ordinaire car c’est un auteur accompli, un grand artiste, créateur d’une œuvre sublime. On peut tout d’abord relever un lien logique suspect entre son talent (qui est indéniable) et le rapport de ce dernier avec la justice criminelle. A écouter ces gens-là, ce talent aurait pour conséquence qu’il serait hors de question de porter un quelconque jugement sur sa consécration ni qu’il perde une journée de plus de sa vie en prison. Mais qui décide de cette utilité sociale extra-ordinaire ?

      Prenons un exemple particulièrement saillant en ce moment : en plein mois de février, quand nous avons froid et que notre chaudière tombe en panne, qui peut se passer d’un bon plombier-chauffagiste ? Nous serions sûrement très fâchées que notre excellent chauffagiste, lui aussi nommé Roman Polanski, aille en prison pour le viol d’une jeune fille de 13 ans précisément en plein hiver, mais la loi est ainsi faite en démocratie que même les professionnels exceptionnels et indispensables sont comme tous les autres citoyens, passibles des mêmes peines pour les mêmes crimes.

      Personne ne parle du talent perdu de ces 12 victimes de Polanski. Si Polanski avait été arrêté pour les 12 viols qu’il a commis, ces films n’auraient pas été fait et on ne s’en serait pas plus mal sorti. Mais le talent (qui est indéniable) de Polanski c’est un talent qui compte car on ne dénie pas le talent des phallopores qu’ils soient cis ou femmes-trans. Le talent qui ne compte pas c’est celui des femmes cis et des hommes-trans, car personne ne parle du talent perdu de ces 12 femmes (et peut être plus) qui s’est peut être perdu à cause de Polanski. Ca me fait pensé à la sœur de Sheakspear dont parle Virginia Woolf. Qui pleur le talent perdu de toutes ces filles et femmes que les hommes détruisent à coup de bite ? Combien de génie au féminin avons nous perdus à cause des violences masculines ? aucune en fait car contrairement au talent de Polanski qui est INDENIABLE, le talent des femmes cis et des hommes-trans est toujours DENIABLE. Les Césars l’ont montré très clairement à Adèle Haenel et à Sciamma et illes le montrent jours après jours aux femmes d’Alice Guy à aujourd’hui.

      Il y a aussi cet exemple du talent du plombier chauffagiste ou du boulanger qui serait non reconnu au pretexte qu’il violerait. Ca me fait pensé que pour le talent d’une boulangère ou d’une plombière-chauffagiste on ne se pose même pas la question. Elle n’aura pas besoin de commetre des crimes pour se voire dénier son talent, il suffit qu’elle ne sois pas belle, qu’elle ne sois pas mère, qu’elle ne sois pas douce, et son « talent » de boulangère-plombière,chauffagiste ne vaudra pas tripette.
      #déni #talent

    • « Seul le bras de Lambert Wilson fait de la résistance, seul ce bras sait s’il tremble de peur ou de colère, ou des deux ».
      https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/et-le-bras-du-general-trembla

      Un bras tremble, ce matin, sur mon Twitter. C’est pourtant un bras ferme, un bras qui ne devrait pas trembler, le bras du général. Du général ? De Gaulle, bien entendu. Ou plutôt, le bras de Lambert Wilson, qui incarne le général dans un film du moment. Le général de 40, celui de l’Appel, dont le bras, justement, n’a pas tremblé. Et pourtant ce bras tremble, alors que sa partenaire Isabelle Carré (Yvonne de Gaulle dans le film) vient de prendre la parole, pour répondre à une question sur Polanski...

    • « Général de Gaulle, tu es notre idooole,
      A toi nos cœurs, nos braaas,
      Général de Gooaaal..! »
      J’ai entendu, l’autre matin à la radio, Lambert Wilson s’étonner de qui étaient ces gens ?

      « Je suis très en colère, c’est n’importe quoi ! Si on estime qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le fait que Polanski ait des nominations, alors on ne vient pas ! Oser évoquer un metteur en scène en ces termes… Parler d’Atchoum, montrer une taille… Et en plus, qu’est-ce qu’on va retenir de la vie de ces gens par rapport à l’énormité du mythe de Polanski ? Qui sont ces gens ? Ils sont minuscules. »

      Qui sont ces gens sur le plateau de #CàVous ? Qui est Lambert Wilson ? Qui est Atchoum ? Qui a engrossé blanche-neige ?


      Fluide Glacial n°515 (avril 2019)avec une couverture de Relom qui signe son retour dans le magazine avec une #BD de 7 pages " Petit avec des grandes oreilles " qui vaut bien le meilleur des Polanski !
      #Lambert_Wilson #2_mètres_de_connerie_avec_des_grandes_oreilles

    • Oui, c’est vrai, Despentes mélange tout. Oui, elle aligne dans la même colère les abus sexuels, la domination économico-politique (le 49.3) et la répression policière. Oui, elle superpose le manifestant qui défend sa future retraite dans la ligne de mire du LBD du policier de Macron, et la fillette de 13 ans sodomisée par Polanski. En apparence, c’est vrai, un esprit rationnel devrait s’efforcer de distinguer les situations. Ce qui les rapproche pourtant, s’appelle la domination. Sans guillemets. Et ce qui atteste le mieux de cette domination, c’est l’impunité. Le manifestant et la fillette, livrés à plus puissant qu’eux, savent que la justice ne leur sera jamais rendue. Qu’il y aura toujours des avocats retors, des arrangements financiers, une machine à enterrer les enquêtes nommée IGPN, pour que justice ne leur soit pas rendue. Et que le reste est littérature.

      Celà s’appelle, une analyse systémique. C’est grossier, c’est simpliste, ça ne fait pas le détail, désolé. Il y a bien entendu toujours des contre-exemples. Il y a des miracles. Il y a des puissants punis. Il y a de sublimes résiliences. Il y a des trèfles à quatre feuilles. Il y a des coincées moches qui deviennent des reines des chaînes d’info. Vu à l’échelle de l’individu, c’est d’ailleurs toujours plus compliqué, et il y a dans chaque individu du dominant et du dominé (Polony est femme ET bourgeoise reine des medias). C’est d’ailleurs cette complexité, qui fait le bonheur de la littérature, et le sel de la vie. Mais l’illusion proclamée que ces contre-exemples invalident les lois économico-sociales classe simplement Polony à droite (ce n’est pas moi qui le dis, c’est un certain Deleuze). Ce qui d’ailleurs n’est pas infâmant. Il faut bien une droite, pour que la gauche se souvienne pourquoi elle est la gauche.

      https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/natacha-polony-reine-des-medias-ex-coincee

    • Vu à l’échelle de l’individu, c’est d’ailleurs toujours plus compliqué, et il y a dans chaque individu du dominant et du dominé (Polony est femme ET bourgeoise reine des medias).

      L’ndividu « résilient » est l’arbre qui cache la forêt de la misère absolue.

    • Virginie Despentes responds to the Césars and Roman Polański
      by: Virginie Despentes translated by Lauren Elkin , March 2, 2020
      https://maifeminism.com

      I’m going to begin like this: don’t worry. O you great and powerful leaders, you lot who are in charge: it hurts. No matter how well we know you, no matter how many times we’ve taken your power on the chin, it always hurts. All weekend we’ve listened to you whinging and whining, complaining that you’ve had to resort to passing your laws by decree instead of by vote [à coups de 49.3] and that we haven’t let you celebrate Polański in peace, and that we’re ruining the party, but behind your moans, don’t worry—we can hear your pleasure at being the big bosses, the big shots, and the message comes through loud and clear: you don’t plan to let this idea of consent take hold. Where would be the fun in being in charge if you always had to ask permission from the people you rule over? And I am certainly not alone in wanting to scream with rage and impotence ever since your magnificent show of force, certainly not the only one to feel defiled after the spectacle.

      It is not at all surprising that the César Academy would award Roman Polański the prize for best director in 2020. It’s grotesque, it’s insulting, it’s vile, but it’s not surprising. When you award 25 million euros to a guy to make a TV film, the message is in the budget. If the fight against anti-Semitism interested French cinema, we’d know it by now. However, the voice of the oppressed who seize the change to tell their story, we can understand how that might bore you. So when you heard people talking about the subtle comparison between a filmmaker being heckled by a hundred feminists in front of three movie theatres and Dreyfus, a victim of French anti-Semitism at the turn of the last century, you jumped on board. 25 million euros to make this comparison. Amazing. We ought to acknowledge the investors, because to pull together that kind of budget, everyone had to be in on the game: Gaumont Distribution, the CNC, France 2, France 3, OCS, Canal +, RAI… everyone reached into their pockets, and deeply, for once. You closed ranks, you defended one of your own. The strongest defend their rights: it’s part of your elegance, rape is even the foundation of your very style. The law protects you, the courtroom is your domain, the media belongs to you. And that’s exactly what a major fortune is there for: to control the bodies of those who have been declared subaltern. Bodies that clam up, that don’t tell stories from their point of view. The time has come for the richest to hear this message: the respect we owe them will from now on extend to their dicks, stained with the blood and the faeces of the children they’ve raped. Whether at the Assemblée Nationale or in the culture—enough hiding, enough pretending not to be upset. You require entire and constant respect, whether we’re talking about rape, the brutality of your police, the Césars, your retirement reform. That is your politics: that victims remain silent. It comes with the territory, and if you have to get the message to us through terror you don’t see what the problem is. Your sick pleasure, above all. And the only people you tolerate around you are the most docile of lackeys. There is nothing surprising in the fact that you’ve thus sanctified Polański: it’s always money we’re celebrating; in these ceremonies we don’t give a shit about the cinema. Or the audience. It’s the striking capability of your own monetary power that you are worshipping. It’s the massive budget you’ve given him as a sign of support that you were saluting—and through him, your own power that must be respected.

      It would be pointless and inappropriate, in a comment on this ceremony, to separate the bodies of cis men from those of cis women. I don’t see any difference of behaviour. It is understood that these major prizes continue to be the exclusive domain of men, because the underlying message is: nothing must change. Things are very good as they are. When [the comedian and mistress of ceremonies Florence] Foresti left the awards and declared herself ‘disgusted’, she didn’t do it as a woman—she did it as an individual who was taking the risk of turning the profession against her. And she did it as an individual who is not entirely at the mercy of the film industry, because she knows you don’t have the power to deprive her of an audience. She was the only one who dared make a joke about the elephant in the room; everyone else avoided mentioning it. Not a word about Polański, not a word about Adèle Haenel. We all dine together, in this milieu; we all know how it goes. For months you have had your panties in a twist that part of the public is being listened to, and for months you have suffered because Adèle Haenel has spoken up about her experience as a child actress, from her own point of view.

      So all the bodies in that room that evening had been gathered together with one end in mind: to validate the absolute power of the men in charge. And the men in charge love rapists. That is, those who are like them, who are powerful. They don’t love them in spite of the rapes, because they have talent. They find them talented and stylish because they are rapists. They love them for that. For the courage they have to acknowledge the sickness of their pleasure, their idiotic and systematic drive to destroy the other, the destruction, in truth, of everything they touch. Your pleasure dwells in preying, that is your only understanding of style. You know very well what you are doing when you defend Polański: you demand to be admired even in your delinquency. It is this demand which results in everyone at the ceremony being subject to a law of silence. They blame political correctness and social media, as if this code of silence were something recent, the fault of the feminists, but it’s gone on like this for decades. During French cinematic ceremonies, you never joke about the bosses’ sensitivities. So everyone shuts up, everyone smiles. If the child rapist were the bin man there would be no mercy—police, prison, thunderous proclamations, victim defence and general condemnation. But if the rapist is a powerful man: respect and solidarity. Don’t speak in public of what goes on doing castings or pre-production or during filming or promotion. It’s well-known. The law of silence prevails. Respect for this advice is how you choose whom to hire.

      And although we’ve known this for years, the truth is we’re always surprised by the overconfidence of power. That’s what’s so amazing, in the end—it’s that you get away with your dirty tricks every time. Every time, it’s humiliating to see the participants take their place on stage, whether it’s to announce or to receive a prize. We see ourselves in them—not only me because I’m an insider, but anyone watching the ceremony. We identify with them and are humiliated by proxy. So much silence, so much submission, so much pressing into servitude. We recognise ourselves. We want to die. Because at the end of the night, we know that we are all the employees of this whole heap of shit. We are humiliated by proxy when we see them keep quiet even though they know that Portrait of a Lady on Fire won’t receive a single one of those big prizes at the end, and only because Adèle Haenel spoke up and because somehow they have to make the victims understand that though they might want to tell their stories, they would do well to think twice before breaking the vow of silence. Humiliated by proxy that you dared to nominate two female directors who have never received and probably never will receive the prize for best director so that you can give it to Roman fucking Polański. Himself. [Both words in English in the original] In your face! You are, decidedly, ashamed of nothing. 25 million, that’s more than fourteen times the budget of Les Misérables [dir. Ladj Ly, which won best film], and the guy can’t even claim his film was one of the five most-seen films of the year. And you reward him. And you know very well what you’re doing—that the humiliation experienced by an entire segment of the population who got your message loud and clear will spill over into the following prize, the one you gave to Les Misérables, when you bring onto the stage the most vulnerable bodies in the room, the ones which we know risk their lives at the slightest police inspection, and if there are no girls among them at least we see they are intelligent and can tell there is a direct link between the impunity of the famous director that night and the situation in the neighbourhood where they live. The female directors who awarded the prize of your impunity, the directors whose awards are stained with your dishonour— same struggle. They each are aware that as employees of the film industry, if they want to work tomorrow, they have to shut up. No joke. That’s the spectacle of the Césars. And what timing—three months of strikes to protest reforms to the retirement system that we don’t want, which you passed by force. The same message conveyed to the people at the same time: ‘Shut up, keep your mouths shut, shove your consent up your ass, and smile when you pass me in the street because I am powerful, because I have all the money, because I am the boss.’

      So when Adèle Haenel got up, it was a sacrilege on the move [en marche, a nice dig at Macron’s political party]. A repeat offender of an employee, who didn’t force herself to smile when her name was dragged through the mud in public, who didn’t make herself applaud the spectacle of her own humiliation. Adèle got up, as she had already to say look, this is how I see the story of the filmmaker and the adolescent actress, this is how I lived it, how I carry it with me, how it sticks to my skin. Because you can tell us about it any way you like, your idiotic distinction between the man and the artist—all victims of rape know there is no miraculous division between the body that is raped and the body that creates. We carry around what we are and that’s that. Explain to me how I should take advantage of her and then shove a violated girl out the door of my office to get down to work, you bunch of clowns.

      Adèle got up and left. On the 28th of February we didn’t learn much we didn’t already know about the French film industry, but we did learn how to wear an evening gown: like an Amazon [guerrière]. How to walk in high heels: as if we were going to tear the whole building down. How to walk with our heads held high, our necks rigid with anger, and our shoulders bare. The most beautiful image in forty-five years of the ceremony: Adèle Haenel going down the stairs to leave, while you’re all applauding. Now we know how it works, someone who walks out while telling you to fuck off. I would trade 80% of my feminist books for that image. That lesson. Adèle, I don’t know if I’m male gazing you or female gazing you but I keep love gazing you [all in English and as verbs] on my phone for that exit. Your body, your eyes, your back, your voice, all your gestures say it: yes, we are dumb bitches, we are the ones who’ve been humiliated, yes, we only have to shut our mouths and take your blows, you’re the boss, you have the power and the arrogance that goes with it, but we will not remain seated without saying anything. You do not have our respect. We’re getting the hell out. Enjoy your bullshit on your own. Celebrate yourselves, humiliate each other, kill, rape, exploit, smash everything that falls between your hands. We’re getting up and we’re getting out. It’s probably a prophetic image of the days to come. The real difference is not between men and women, but between the dominators and the dominated, between those who intend to suppress the story and impose their decisions and those who are going to get up and get out while complaining, loudly. It’s the only possible response to your politics. When it’s no longer tenable, when it goes too far, we’re going to get up and get out while hurling insults at you. Even if we are your subalterns, even if we take your shitty power on the chin, we despise you. You make us want to vomit. We have no respect for the mockery you make of respectability. Your world is disgusting. Your love of the strongest is sick. Your power is sinister. You are a gruesome bunch of imbeciles. The world you created to reign over the wretched lacks oxygen. We’ve been getting up and we’re getting the hell out. It’s over. We’re getting up. We’re getting out. We’re shouting: Go fuck yourselves.

    • Vendredi dernier, pour la première fois depuis un paquet de temps, les flics ont mis les casques et tiré les lacrymos à un rassemblement féministe ; pour la première fois depuis longtemps, on les a débordés même si c’est rien qu’un peu. Ce soir-là, on s’est senties puissantes ensemble, entre meufs, on a mis nos corps ensemble, pour que de victimes nous nous changions en menace et en vengeance : parce que si certain.es se lèvent et se cassent, nous, de plus en plus nombreuses, on se soulève et on casse.

      https://paris-luttes.info/il-y-a-ceux-qui-se-taisent-il-y-a-13599

      Le jour où les hommes auront peur de se faire lacérer la bite à coups de cutter quand ils serrent une fille de force, ils sauront brusquement mieux contrôler leurs pulsions “masculines”, et comprendre ce que “non” veut dire.

      Virginie Despentes, King Kong Théorie, 2006.

  • Nous devons revenir aux théories anarchistes d’autogestion

    « (…) Dans l’histoire, les cycles ne se répètent jamais pour la
    simple et bonne raison que le contexte est toujours différent ; pour
    le dire autrement, l’histoire ne frappe jamais deux fois au même
    endroit. C’est pourquoi nous devons nous attendre à quelque chose de nouveau, que nous ne connaissons pas. Et cela ira sans doute très
    vite, si cela devait arriver, car comme vous l’avez très justement
    fait remarquer : pour paraphraser Lénine, d’un côté, les élites ne
    peuvent pas, de l’autre les masses ne veulent pas, et personne
    n’arrive à rien. Beaucoup de mouvements demeurent sans aboutissements, dirait-on. Des mouvements au sens propre, au sens politique. Les mouvements politiques fleurissent comme jamais. Pourquoi ? C’est évident : la terreur n’est plus de mise, les élites ont peur de recourir à la terreur, même dans les proportions de la fin du XXe siècle – la junte au Chili, les militaires en Turquie… À peine
    quelques débordements dans la répression des révolutions arabes, et
    encore. Et en Occident, il n’en est même pas question.

    Pourquoi ? Je pense que c’est parce que les élites se souviennent des
    conséquences de la terreur, en particulier pour elles-mêmes. Les
    élites se retiennent ouvertement d’avoir recours à la violence, même
    en Chine, curieusement. De l’autre côté, les mouvements de
    contestation ne sont pas du tout prêts à la violence, car même si les
    gens sont contre le système, ils ne sont pas en mesure de formuler ce qu’ils veulent, ni la forme qu’aurait un “après”, comment cela
    fonctionnerait.

    (…)

    Sauf qu’à l’époque on avait l’impression qu’il existait une
    alternative au système. Différente pour chaque cas. Alors
    qu’aujourd’hui il est très difficile d’imaginer un système alternatif.
    C’est là précisément que se trouve, selon moi, la grande inconnue. Car encore récemment, au XXe siècle, tout le monde, à gauche comme à droite, attendait la chute du capitalisme. Les socialistes et les communistes, bien sûr, mais aussi Joseph Schumpeter dans son célèbre essai Capitalisme, socialisme et démocratie.

    Au XXIe siècle, plus personne n’attend la chute du capitalisme, et
    c’est précisément maintenant qu’il pourrait “casser sa pipe”.
    Justement à cause de cette règle historique selon laquelle les
    événements qui se produisent sont ceux auxquels on ne s’attend pas.

    Les élites sont plutôt perspicaces et rusées. Mais l’histoire est
    pleine d’événements qui ne se seraient jamais produits si leur
    probabilité avait été prise au sérieux par ne serait-ce qu’une
    personnalité sérieuse.

    (…)

    C’est pourquoi j’enjoins à chacun de prendre au sérieux l’éventualité
    d’un événement inattendu important, et de s’y préparer. Un gros
    imprévu peut désemparer les élites face aux problèmes qui surgissent alors. Et c’est très dangereux. Parce qu’il y a pire qu’un régime réactionnaire, c’est la situation de non-régime. Or ces situations se multiplient à travers le monde : verra-t-on de notre vivant un semblant de retour à la normale en Libye ou en Syrie ou une renaissance du Congo ? Comme disait [le sociologue] Immanuel
    Wallerstein, “personne n’apprécie particulièrement l’État, mais sans
    État, qui assurera notre sécurité ?”

    (…)

    Nous voici donc aujourd’hui avec ces énormes machines étatiques et
    corporatistes, elles soulèvent la contestation et sont devenues
    inutiles du fait des nouvelles technologies. Que signifie par exemple
    l’imprimante 3D ? Eh bien que la ligne de production, enfer de
    l’humanité au XXe siècle, va pouvoir disparaître. Sur quoi vont
    déboucher toutes ces expériences qui nous amusent aujourd’hui, ces
    steaks hachés que les romantiques américains fabriquent avec des
    protéines de soja et qu’ils fabriqueront avec de la viande de synthèse
    en laboratoire ? Et si ça marchait ? Cela marchera sans doute, et dans
    trente ou cinquante ans l’agriculture telle que nous la connaissons
    n’existera plus.

    Ce qui ouvre la perspective de l’apparition d’une immense masse de
    gens sans emploi. Un phénomène déjà observable avec la surproduction d’universitaires – conséquence d’une expansion démesurée de l’enseignement supérieur. Démesurée parce que personne ne se demande ce qui va advenir ensuite de ces jeunes. Même si, par exemple, dans les pays scandinaves, où il y a un nombre aberrant de jeunes historiens de l’art, on considère plus facile et honorable de les payer pour faire de l’histoire de l’art que de leur verser des allocations. Que deviendront ces innombrables managers que nous préparent toutes ces écoles de commerce ? D’un côté, c’est le résultat d’une volonté de soustraire les jeunes au marché de l’emploi : il vaut mieux qu’ils étudient. D’un autre, c’est une niche sur le marché de l’emploi pour des enseignants que ce système produit en masse. Mais que va-t-on faire d’eux en si grand nombre ?

    (…)

    Je crois que nous allons devoir revenir à certaines théories
    anarchistes d’autogestion, très anciennes et oubliées depuis
    longtemps. Il va falloir remettre en circulation les idées de Pierre
    Kropotkine [1842-1921, voir encadré ci-contre].

    Que proposaient les anarchistes ? Pensez à toutes ces questions qui
    nous occupent au XXIe siècle : prendre soin des personnes âgées,
    éduquer les enfants, soigner – peut-être – les toxicomanes et les
    exclus, planter des arbres. Qui arrive le mieux à faire tout cela : la
    bureaucratie ou des citoyens en autogestion ? L’autogestion,
    l’expérience l’a démontré.

    C’est ce que feront les citoyens libérés. D’ailleurs, l’autogestion
    est de plus en plus utilisée pour assurer des fonctions étatiques
    telles que la collecte de fonds pour répondre à des besoins
    collectifs. Aujourd’hui cela s’appelle le crowdfunding (financement
    participatif). Ainsi, différentes formes d’autogestion se diffusent de
    plus en plus dans la société contemporaine.

    (…)

    Partout le combat fait rage pour le droit à élire et à contrôler ceux
    que l’on a élus et pour savoir qui aura le droit de jouir des biens
    générés par l’État. Ces cinquante dernières années, les élites,
    particulièrement en Occident, ont incontestablement gagné cette
    bataille face aux citoyens. La question est ailleurs : pourquoi les
    élites n’avaient-elles pas le dessus durant les cent cinquante années
    précédentes ? Parce qu’elles avaient peur des guerres extérieures. De
    façon générale, n’importe quelle élite a peur de trois choses. De la
    guerre extérieure : on n’a pas le droit de perdre, donc il faut
    exalter son peuple, le nourrir et l’éduquer. De la révolution
    intérieure : il faut encore une fois exalter les siens tout en
    maintenant des forces policières. Et de la peur de ses semblables : la
    peur d’être évincé.

    (…)

    C’est pour cela que si quelque chose advient, ce sera brutal et
    fondamental tout à la fois. C’est tout ce que je peux prédire.
    Pouvons-nous l’imaginer ? Sans doute pas mieux qu’un paysan ne pouvait imaginer la vie dans une ville moderne : que les gens allaient être malades en raison des excès alimentaires et de l’inactivité, qu’il y aurait trop de marchandises et trop peu d’enfants, que personne ne
    prendrait soin des vieux, et ainsi de suite. Et que d’un autre côté
    les maris ont cessé de battre leurs femmes.

    (…)

    Le meilleur livre qui a été écrit à propos de 2008, c’est Crashed,
    d’Adam Tooze [Crashed - Comment une décennie de crise financière a changé le monde, éd. Les Belles Lettres]. Lorsqu’on lui demande si
    c’était un complot ou un échec cuisant, il répond : non, ça ressemble
    plutôt au déraillement d’un train surchargé et lancé à pleine vitesse.
    Il démontre de façon limpide comment les élites ont sans hésiter
    piétiné deux valeurs fondamentales : la démocratie et l’économie de
    marché ; comment, sans consulter le Congrès, la Réserve fédérale
    américaine [Fed] a autorisé toute une série de banques étrangères, de fait, à imprimer des milliards de dollars américains et à en faire
    crédit.

    C’est stupéfiant : sans consultation, la direction de la Fed a
    simplement organisé ça avec quelques coups de fil. Cela s’est fait
    dans un état d’urgence, un branle-bas que peuvent imaginer ceux qui ont connu l’économie soviétique : dans les moments de crise, le cycle de prise de décision est écourté ; quelques personnes ont dû prendre des décisions dans l’instant. Ce qu’ils ont fait (…). »

    https://www.courrierinternational.com/article/interview-nous-devons-revenir-aux-theories-anarchistes-dautog

  • Des #lycéens interdits de se présenter à une épreuve de contrôle continu du bac pour avoir manifesté

    Dix-sept élèves d’un #lycée de #La_Rochelle n’ont pas eu le droit de participer à une épreuve de #rattrapage en histoire-géo, après avoir manifesté et tenté de bloquer leur lycée le 20 janvier.


    https://www.liberation.fr/checknews/2020/01/31/des-lyceens-interdits-de-se-presenter-a-une-epreuve-de-controle-continu-d

    #résistance #répression #blocage #enseignement #éducation

    • « Pour faire suite à votre demande en date du 22 janvier 2020 par laquelle vous souhaitez que votre enfant soit autorisé à se présenter à l’épreuve de rattrapage en histoire-géographie, j’ai le regret de vous faire savoir que je ne peux pas donner une suite favorable », peut-on lire dans ce courrier.

      De fait, après des manifestations le 20 janvier devant l’établissement, auxquelles avaient pris part certains lycées, un grand nombre d’élèves n’avaient pu participer à cet examen. Une épreuve de rattrapage a été organisée dix jours plus tard. Mais, parmi les élèves n’ayant pu participer à l’examen d’origine, 17, se sont vus refuser le droit de participer au rattrapage. Sanctionnés pour avoir manifesté, participé au blocage du lycée...ou s’être abonnés à un compte Instagram appelant au blocage du lycée.

      Tout commence donc le lundi 20 janvier au matin, devant le lycée Valin, où des barricades avaient été installées devant l’établissement en signe de protestation contre la tenue des nouvelles épreuves communes de contrôle continu, les E3C, comme le raconte le quotidien régional Sud-Ouest. Même si le passage n’était pas totalement bloqué, la tenue de l’épreuve d’histoire-géographie a été fortement perturbée. « L’établissement a maintenu l’épreuve alors que les conditions d’accès n’étaient pas assurées, donc il y a eu beaucoup d’absences », observe un parent d’élève. « Le proviseur nous a envoyé un courriel en nous disant que les conditions d’accès seraient garanties et que notre enfant devait être présent à l’épreuve. Si ce n’est pas le cas, c’est un zéro assuré sans recours possible au rectorat. Ce matin, il est venu dire qu’il fallait entrer à tout prix. Je ne vais pas envoyer ma fille sur les barricades », expliquait ainsi une maman d’élève à Sud-Ouest.

      De fait, le proviseur Fabrice Pelletier avait envoyé un mail à l’attention des élèves concernés, avertissant des sanctions en cas d’absence : « Depuis le début de la semaine, nous observons quelques manifestations de protestation et notamment un appel à bloquer l’établissement lundi matin. Les E3C sont programmées et vont bien se dérouler comme prévu. Les absents se verront réglementairement attribuer la note de zéro. Aucun recours au rectorat ne pourra modifier cette règle. »

      Le lendemain, 19 minutes avant le début des épreuves, le proviseur réitère son avertissement : « Nous sommes à une demi-heure des épreuves, je vous rappelle que tous les élèves absents aux épreuves E3C sans justificatif valable ne seront pas admis à la session de rattrapage. Je vous invite à rejoindre maintenant les salles d’examen. » Sur une photo prise par Xavier Léotye et publiée dans Sud-Ouest, on aperçoit Fabrice Pelletier au milieu des élèves mobilisés en train d’aider une jeune fille à passer par dessus la grille. « Il a réussi à en faire passer quelques-uns », remarque le photographe.

      17 élèves non autorisés à participer au rattrapage
      Au total, sur les 450 élèves convoqués ce jour-là, 27% d’entre eux ont été absents à l’examen, soit environ 120 élèves. D’où la tenue d’une épreuve de rattrapage en histoire-géographie, qui avait lieu ce jeudi. A laquelle 17 élèves se sont donc vu refuser par courrier le droit de se présenter.

      Pour justifier cette décision, le proviseur s’appuie sur l’article 12 de l’arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d’organisation du contrôle continu, qui précise : « En cas d’absence pour cause de force majeure dûment constatée à une épreuve commune de contrôle continu, le candidat est convoqué à une épreuve de remplacement dans les conditions fixées à l’article 4. »

      Dans 17 cas, le proviseur a donc estimé que l’absence lors de la première épreuve n’était pas motivée par une raison de « force majeure ». Parmi les arguments invoqués pour justifier cette décision, expliqués dans les différents courriers envoyés : le fait d’avoir participé aux manifestations ou/et au blocage du lycée. Mais aussi, de façon plus surprenante, le fait de s’être abonné au compte Instagram @BlocusValin, toujours en ligne à l’heure où nous écrivons ces lignes et qui appelait au blocage du lycée Valin il y a déjà deux semaines.

      « Par ailleurs, son profil Instagram s’est abonné ce jour-là au compte @BlocusValin. Ainsi, le caractère imprévisible n’est pas démontré », écrit dans plusieurs courriers envoyés le proviseur du lycée, en s’appuyant sur les trois critères prouvant qu’une absence relève d’un cas de force majeure : elle doit être « extérieure », « irrésistible » et « imprévisible ».

      Les 17 courriers envoyés se terminent de la même façon : « Il convient dès lors d’appliquer le dernier alinéa de l’article 12 de l’arrêté du 16 juillet 2018 », qui explique que l’absence ne relève pas d’un cas de force majeur, « la note zéro est attribuée au candidat pour l’épreuve auquel il n’a pas assisté ».

      Contacté par CheckNews, un parent d’élève explique : « Ils ont décidé de faire un tri entre les élèves qui ont participé et ceux qui ont subi. Parmi les élèves qu’ils ont reconnus comme bloqueurs, le fait qu’ils soient membres du groupe Instagram a été perçu comme une circonstance aggravante. »

      Plusieurs élèves interrogés par CheckNews ne comprennent pas non plus comment le choix a été fait parmi les manifestants, entre ceux qui sont autorisés à participer au rattrapage et ceux qui ne le sont pas. « Moi, par exemple, j’étais abonné au compte Instagram, mais on ne me l’a pas reproché », dit l’un, qui explique également s’être présenté ce jeudi matin à l’examen de rattrapage, mais s’être vu refuser l’accès car non inscrit sur les listes. « Nous, on manifestait pour avoir des examens plus justes. Et on nous répond avec plus d’injustice encore. Je savais que je risquais un zéro, mais je ne comprends pas pourquoi seulement une vingtaine d’élèves ont été pénalisés. J’ai l’impression qu’ils ont choisi un peu au pif », estime une autre élève de première, qui n’a pas non plus pu participer au rattrapage.

      Joint par CheckNews, le proviseur du lycée nous a redirigés vers le rectorat de Poitiers. Qui n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations.

    • Répression policière contre des lycéens à Strasbourg

      200 lycéens et des enseignants, soutenus par des gilets jaunes et des militants CGT, bloquaient le lycée Marie-Curie ce matin vers 7h pour protester contre le nouveau bac. La police est intervenue violemment et a interpellé trois jeunes.
      Pendant ce temps, le ministre Blanquer, attendu à Strasbourg ce jeudi, décommandait sa venue. Courageux mais pas téméraire, d’autant que cet après-midi à 14 h rendez-vous avait été donné pour une nouvelle manifestation intersyndicale et Gilets jaunes, place de la Bourse. L’occasion de crier notre refus de la casse des retraites solidaires et de protester contre la répression policière.

      https://la-feuille-de-chou.fr/archives/104338

      #Strasbourg #répression_policière

  • « Si je suis aux Restos du coeur, c’est parce que j’ai été mutilé par la police » | StreetPress
    https://www.streetpress.com/sujet/1579018259-restos-coeur-mutile-par-police-violences-blesses-gilets-jaun

    Mutilés par la police, ces Gilets jaunes ont perdu un oeil, une main ou des dents. S’ajoute le traumatisme psychologique mais aussi souvent l’extrême précarité financière. Ils racontent leur quotidien entre arrêt-maladie, chômage et restos du coeur.

  • @davduf #violences_policieres #maintient_de_l’ordre #doctrine
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/07/8-decembre-2018-recit-d-une-journee-incandescente-ou-la-doctrine-du-maintien
    “Je ne suis pas tombé, j’ai tenu mon #oeil dans ma main, mon pote m’a dit “tu n’as plus d’œil”. Je l’ai jeté par terre. Après, une dame nous a ouvert le sas de son immeuble pour qu’on se réfugie, on était deux ou trois, mais j’étais l’un des plus gravement atteints, on m’a laissé passer un barrage parce que je pissais le sang, ils ont vu la gravité”
    #harcor #grr #mais_putain !

    • « Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants » : le jour où la doctrine du maintien de l’ordre a basculé
      Par Yann Bouchez , Samuel Laurent et Nicolas Chapuis
      Publié le 07 décembre 2019 à 11h51, mis à jour hier à 06h51

      RÉCIT
      Après le saccage de l’Arc de triomphe, les autorités modifient leur stratégie face aux « gilets jaunes » : arrestations sur des motifs flous, dispersions et tirs de LBD. Le 8 décembre 2018, 126 personnes sont blessées à Paris. « Le Monde » a reconstitué la journée.

      La pluie glaçante qui s’abat sur Paris a des relents acides de gaz lacrymogène. Elle chasse les dernières silhouettes qui s’attardaient encore place de la République. Quelques flammèches s’élèvent çà et là des carcasses fumantes qui parsèment les rues, vestiges d’une journée incandescente. Il est 23 h 30, ce samedi 8 décembre 2018, et le sol jonché de douilles, cartouches et autres éclats de grenades, témoigne de la violence des affrontements entre les forces de l’ordre et les « gilets jaunes », qui ont secoué toute la journée la capitale.

      Sur son compte Twitter, Emmanuel Macron publie un message de félicitations adressé aux policiers et gendarmes mobilisés : « Merci pour le courage et l’exceptionnel professionnalisme dont vous avez fait preuve. » Le chef de l’Etat respire : la Préfecture de police a remporté la « bataille » de la rue face aux manifestants. Les autorités, qui avaient vécu le saccage de l’Arc de triomphe la semaine précédente comme une humiliation, voulaient reprendre la main. C’est désormais chose faite.

      Lire aussi :
      « Gilets jaunes » : le 1er décembre, le jour où tout a basculé avec la « prise » de l’Arc de triomphe
      Mais à quel prix ? Plus d’un millier de personnes ont été interpellées à Paris sur des motifs flous, souvent avant même de prendre part au rassemblement prévu sur les Champs-Elysées. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris dénombre 126 blessés. Douze personnes ont été touchées à la tête par un tir de lanceur de balles de défense, le fameux LBD 40. Parmi elles, quatre ont perdu un œil. Côté forces de sécurité, on dénombre 17 blessés dans la capitale.

      Si le 1er décembre et ses dégradations symboliques restent dans toutes les mémoires, le 8 décembre constitue un véritable tournant qui a fixé dans la durée de nouveaux standards. Les évolutions tactiques mises en place lors de l’acte IV des « gilets jaunes » par la police et la gendarmerie ainsi que l’arsenal législatif répressif utilisé servent désormais de référence aux opérations de maintien de l’ordre. A l’aide de témoignages de manifestants, de policiers, ainsi que de nombreux documents inédits, Le Monde a reconstitué cette journée hors norme dans la capitale à plus d’un titre.

      Vendredi 7 décembre : « Une opération exceptionnelle »
      « Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci ! », clame un haut gradé. A la salle de commandement de la Préfecture de police, sur l’île de la Cité à Paris, le dernier briefing a des allures de veillée d’armes, vendredi 7 décembre. Le matin même, six personnes liées à l’ultradroite et soupçonnées d’avoir participé à des dégradations sur l’Arc de triomphe ont été perquisitionnées. La pression est forte sur les épaules de Michel Delpuech. Le préfet de police sait que son siège est en jeu après le fiasco du 1er décembre.

      Les réunions se sont succédé toute la semaine. Une fois n’est pas coutume, les ministères de l’intérieur et de la justice ont travaillé main dans la main pour définir le cadre légal dans lequel opéreront les forces de l’ordre. L’objectif ? Des vagues d’interpellations massives menées en amont de la manifestation, qui s’appuient sur une série de réquisitions délivrées par les procureurs, aux contours inhabituellement larges. Ces documents, que Le Monde s’est procurés, constituent la pierre angulaire du dispositif.

      Le parquet de Paris évoque ainsi le 6 décembre, une « opération exceptionnelle » en raison de la manifestation des « gilets jaunes ». Exceptionnels, les contrôles le sont par leur durée et leur ampleur. Là où de telles réquisitions sont en général localisées dans le temps et l’espace, elles portent cette fois-ci sur une grande partie de la région parisienne, sur les principaux axes routiers et même sur les départements limitrophes de l’Ile-de-France. Les autorisations, émises à partir du jeudi 6 décembre, se chevauchent pour étendre la durée des contrôles sur plusieurs jours, jusqu’aux dernières heures du samedi 8 décembre.

      Du côté policier, on cherche à innover en rendant les troupes plus mobiles. La stratégie très statique du 1er décembre avait fait l’objet de toutes les critiques. La direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), qui gère l’ensemble des commissariats de Paris et de la petite couronne, propose de réquisitionner les motos pour déplacer plus rapidement les effectifs et procéder à des interpellations. C’est la création des détachements d’action rapide (DAR), qui deviendront bientôt les brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M). Ces unités, qui rappellent à certains les fameux voltigeurs interdits après la mort de Malik Oussekine, en 1986, se sont peu à peu imposées comme des pièces centrales des dispositifs de maintien de l’ordre.

      Samedi 8 décembre, 6 heures : « On nous a fait mettre les mains sur la tête »
      Cet acte IV, Marie B. ne voulait le manquer à aucun prix, après avoir participé trois semaines plus tôt au mouvement sur le rond-point de l’aéroport de Dole. Dès le vendredi soir, un peu après 23 heures, cette jeune femme blonde énergique de 32 ans, alors intérimaire dans l’industrie, a rejoint une cinquantaine de « gilets jaunes » du Jura pour parcourir en bus les sept heures de trajet jusqu’à Paris. Onze euros l’aller-retour, le budget transport est modeste, à l’image des revenus des manifestants.

      Une arrestation de « gilets jaunes », à Paris le 8 décembre 2018. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
      Comme nombre de « gilets jaunes » déjà présents le 1er décembre à Paris, ils ont pris des casques et des lunettes pour se protéger des gaz lacrymo ou d’éventuels tirs de LBD. Ils n’auront pas l’occasion de se servir de ces équipements de fortune. Arrivés près de la gare de Lyon vers 6 heures du matin, ils sont interpellés par des policiers, à la descente du bus. Sans un mot d’explication. « On nous a fait mettre les mains sur la tête dos à eux, face à la vitrine d’un magasin, raconte Marie B. Ils nous ont pris en photo un par un, sur le trottoir, et ont pris nos pièces d’identité. »

      Après de longues minutes d’attente, les quelque 50 passagers du car sont répartis entre plusieurs commissariats. « J’ai été placée en cellule de dégrisement avec cinq filles », raconte Marie, qui se souvient de « la puanteur, la crasse sur les murs » et de « l’humiliation en permanence ». Privés de leurs gilets jaunes et de leur matériel, les manifestants sont libérés dans la soirée, avec souvent un simple rappel à la loi. « Il est minuit, personne n’a dormi depuis plus de vingt-quatre heures. Au retour, pas un mot dans le bus pendant sept heures. Et chacun retourne à sa petite vie de contestataire frustré. »

      9 h 30 : « Si on gaze, c’est pour que vous partiez »
      Les « gilets jaunes » sont des lève-tôt. Confrontées à des tensions dès l’aube, le 1er décembre, les forces de l’ordre se sont positionnées aux premières heures de la journée autour des Champs-Elysées. « Dès 9 h 30, ça gazait de partout, ça piquait sur la place de l’Etoile », se souvient Maximilien Deroubaix. Ce paysagiste de 31 ans est venu en train depuis Mantes-la-Jolie (Yvelines). « On s’était donné rendez-vous gare Saint-Lazare. De la gare aux Champs-Elysées, on a eu une dizaine de contrôles. » Très vite, son masque de protection lui est confisqué par les forces de l’ordre. « Ils nous ont dit mot pour mot : “Si on gaze, c’est pour que vous partiez.” » Il se fera interpeller quelques heures plus tard.

      Sur les Champs-Elysées, le 8 décembre 2018.
      Sur les Champs-Elysées, le 8 décembre 2018. ZAKARIA ABDELKAFI / AFP
      Les comptes rendus policiers auxquels Le Monde a eu accès permettent de mesurer l’ampleur des interpellations opérées : au total, 1 082 personnes dont 974 placées en garde à vue. Un record dans l’histoire moderne de la police. Les motifs sont multiples : « port d’armes », de « brise-glace », d’une « lampe shocker » (lampe torche puissante), « détention de stupéfiants », « port de masque », « outrage »… « Le principe est simple, on ramasse tout ce qui est vindicatif et tout ce qui porte des équipements de protection, si vous êtes habillé comme un footballeur américain, c’est que vous voulez en découdre », explique un policier.

      A 10 h 35, la police embarque ainsi 78 personnes au métro Quai de la Rapée, proche de la place de la Bastille. Motif : ils sont « issus d’un groupe à risque » dont « certains porteurs de masque ». Une source policière assure que plusieurs membres de l’ultradroite avaient été identifiés dans le groupe. Le cadre juridique est toujours le même : « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations et des violences ». Un délit créé sous Nicolas Sarkozy, peu utilisé jusque-là, qui permet de condamner quelqu’un sans même que l’acte ait été commis.

      12 heures : « C’est une taule, c’est pas beau à voir là-dedans »
      Il est aux alentours de midi lorsque la situation se tend soudainement sur le haut de l’avenue des Champs-Elysées. Après la « défaite » symbolique du 1er décembre, pas question de perdre le match retour pour les forces de l’ordre. Sur des vidéos tournées par Pedro Da Fonseca, un journaliste reporter d’images présent sur place, et consultées par Le Monde, on voit des sections de CRS et des groupes de policiers en civil copieusement insultés par les manifestants. Des pavés volent dans leur direction. Les fonctionnaires courent sous les projectiles, certain d’entre eux tirent à l’aveugle. C’est dans cette zone qu’Axelle Marquise, une manifestante de 28 ans venue du Var qui filme la scène, reçoit une cartouche de LBD en plein visage. Elle témoignera de sa double fracture à la mâchoire auprès du site Reporterre : c’était sa première manifestation.

      Au même moment, Thomas Belmonte, étudiant nîmois venu pour la première fois à Paris, est lui aussi victime d’un tir de LBD au visage, pour un total de 25 points de suture. Alors qu’il s’effondre, il assure en avoir reçu un second au thorax. Les tirs se multiplient, de même que les victimes, qui n’ont pas toutes un gilet jaune. A 12 h 15, un journaliste, Paul Conge, est touché par des éclats de grenades désencerclantes. A 12 h 20, un autre photoreporter, Yann Foreix, reçoit un tir de LBD en pleine nuque, heureusement arrêté par son casque.

      Les arrestations se poursuivent à un rythme effréné. Le commissariat de la rue de l’Evangile, dans le 18e arrondissement, où sont emmenées les personnes interpellées, est rapidement saturé. Mais la Préfecture a vu grand pour l’occasion. Le « dépôt », l’ancienne prison située sous le palais de justice sur l’île de la Cité, a été décrassé. Depuis le déménagement du tribunal dans le 17e arrondissement de Paris, les cellules, dans un état lamentable, ne sont quasi plus utilisées que pour les étrangers en situation irrégulière qui passent devant la cour d’appel. « C’est une taule, c’est pas beau à voir là-dedans », souffle un policier. Ce sera le principal centre de traitement judiciaire – baptisé « CTJ Horloge », en référence à la tour du même nom qui domine la Conciergerie.

      13 heures : « Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter »
      Une heure plus tard, la situation n’est pas apaisée, bien au contraire. Le commandement, installé à la Préfecture, dispatche ses unités avec une obsession, éviter que les manifestants érigent des barricades sur le haut de l’avenue des Champs-Elysées. La gendarmerie a ressorti pour l’occasion ses blindés, très efficaces quand il s’agit de déblayer des barrières en feu. « Honnêtement, on n’était même pas sûrs qu’ils étaient en état de rouler », s’amuse un haut gradé.

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      A la radio, les ordres fusent dans tous les sens. A 13 h 04, « Lutèce », l’indicatif du commandement, demande à « Vulcain 9 », une unité de CRS présente sur les Champs, d’empêcher « l’installation d’obstacles de chaussée ». A 13 h 06, « Lutèce » encourage les CRS, qui progressent sur l’avenue : « Oui, vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants. »

      Lors de l’acte IV des « gilets jaunes » à Paris, le 8 décembre 2018.
      Lors de l’acte IV des « gilets jaunes » à Paris, le 8 décembre 2018. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
      Autour de 13 h 30, les manifestants parviennent à bloquer l’avenue de Friedland, qui mène à l’Arc de triomphe, avec du mobilier urbain. Le photographe Nicolas Descottes, qui travaille pour Libération, reçoit alors un tir de LBD au visage. « J’avais déjà suivi des manifestations contre la loi travail, cette fois je sentais que ce serait violent, j’ai donc pris un casque avec un sticker presse », raconte-t-il au Monde. Avec d’autres reporters, il s’accroupit derrière un muret. La dernière photo de son appareil montre un groupe de policiers en civil, casqués, dont un, accroupi, semble pointer son arme sur lui. « C’est évident qu’il m’a visé », assure-t-il. Il est touché quelques centimètres sous l’œil, à la joue et à la pommette, dont l’os explose.

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      Accompagné d’un autre photographe, il se « réfugie derrière un barrage de gendarmes mobiles », qui le prennent en charge et le confient aux pompiers. Admis en urgence à la clinique Ambroise-Paré à Neuilly, puis à la Pitié-Salpêtrière, il subit une opération de plusieurs heures. Nicolas Descottes s’en sort avec soixante jours d’interruption temporaire de travail (ITT) et des broches en titane dans le visage.

      13 h 45 : « J’ai tenu mon œil dans ma main, je l’ai jeté par terre »
      A la même heure, sur l’avenue, la situation reste confuse. Sur plusieurs vidéos consultées par Le Monde, on voit des grappes de manifestants reculer lentement face aux policiers qui descendent depuis l’Arc de triomphe. Un groupe de policiers en civil, qui ne semblent pourtant pas menacés sur les images, tirent plusieurs fois au LBD et touchent au bras Marie-Hélène Drouet, une septuagénaire. Elle s’écroule. « On s’apprêtait à partir, on a même souhaité bon courage au peloton de CRS, assure-t-elle au Monde. Depuis, mon sentiment vis-à-vis de la police a changé, ils ont “tiré dans le tas” et peu importe que j’aie eu 70 ans. Je ne suis plus retournée manifester depuis, on ne sait pas de quoi ils sont capables. » Un canon à eau est déployé sur l’avenue. A 13 h 45, c’est à nouveau un photographe, Boris Kharlamoff, qui est touché au torse.

      Quinze minutes plus tard, Alexandre Frey, intermittent du spectacle en gilet jaune, originaire de la région parisienne, reçoit un tir de LBD à la tête. « Je ne suis pas tombé, j’ai tenu mon œil dans ma main, mon pote m’a dit “tu n’as plus d’œil”. Je l’ai jeté par terre. Après, une dame nous a ouvert le sas de son immeuble pour qu’on se réfugie, on était deux ou trois, mais j’étais l’un des plus gravement atteints, on m’a laissé passer un barrage parce que je pissais le sang, ils ont vu la gravité », raconte ce jeune père de famille. Finalement transporté à l’hôpital par les pompiers, il assure qu’« aucun policier ne [l’a] aidé ».

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      Quelques minutes après, une autre manifestante, Fiorina Lignier, 20 ans, est éborgnée à son tour, cette fois par une grenade lacrymogène. Un troisième manifestant, Patrice Philippe, chauffeur routier originaire des Pyrénées-Atlantiques, perdra lui aussi un œil à la suite d’un tir de LBD, dans l’après-midi, toujours sur les Champs-Elysées. Interrogé par Le Monde sur ces blessures graves, un haut fonctionnaire de la Préfecture ne biaise pas : « On savait qu’il y avait du dégât. »

      15 h 30 : « Les LBD, ça n’arrive pas qu’aux autres »
      Avocat de plusieurs « gilets jaunes » et cofondateur du collectif Robes noires et gilets jaunes qui verra le jour par la suite, Philippe de Veulle est venu en curieux assister à la manifestation, en milieu d’après-midi. « C’est vrai que c’était violent, les manifestants envoyaient des trucs, les flics envoyaient des gaz. » Soudain, « il y a dispersion, les gens courent, on suppose qu’il y a une charge. Je sens un coup dans le dos, ça ressemble à un coup de paintball en dix fois plus puissant. C’est la même sensation qu’une balle, mais qui ne pénètre pas. » Le lendemain, l’avocat se réveille avec des douleurs dans tout le corps. « Je me suis dit ce jour-là : “Bon sang, les LBD, ça n’arrive pas qu’aux autres.” J’étais sidéré par cette violence. Si vous recevez un LBD dans le dos, c’est qu’on peut imaginer qu’ils utilisaient ça pour disperser les gens. Pour faire peur. »

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      Au même moment, à quelques centaines de mètres de là, Maximilien Deroubaix tente de quitter la zone des Champs-Elysées. « Les CRS ont chargé, je me suis retrouvé à terre parce que j’ai glissé sur un pavé », mouillé par les lanceurs d’eau. Il est interpellé, « brutalement », selon lui, et se retrouve en garde à vue. Les cellules sont faites pour deux. « On était six, sept dedans, explique-t-il. Il faisait tellement chaud et personne ne voulait ouvrir la porte, du coup on devait sans cesse demander d’aller aux toilettes pour faire entrer un peu d’air. »

      Au « CTJ Horloge », c’est la course contre-la-montre pour « boîter » – placer en garde à vue – les personnes interpellées, qui arrivent par camions entiers. Certains n’ont rien à faire là. Un artisan qui allait faire des réparations chez une vieille dame a été embarqué, à cause de ses outils. L’homme est rapidement relâché. D’autres arrivent dans un état douteux. « On en a vu qui avaient pris la BRI [brigade de recherche et d’intervention, l’antigang] sur la tête, lâche un officier. C’était l’enfer du Vietnam, les officiers de police judiciaire faisaient des concours pour enregistrer les mecs le plus vite possible. Le record : quatre minutes pour une garde à vue. » La quantité se fait au détriment de la qualité. « On a saturé les services avec un millier de gardes à vue et on a raté des vrais dossiers. Il y a eu énormément de classements sans suite parce qu’on ne pouvait pas suivre », regrette ce même officier.

      Un policier ajuste son tir de LBD, à Paris le 8 décembre 2018.
      Un policier ajuste son tir de LBD, à Paris le 8 décembre 2018. ALAIN JOCARD / AFP
      Maximilien Deroubaix fait partie de ceux dont le dossier n’a pas tenu longtemps devant la justice. Il a été relaxé en comparution immédiate le lundi suivant. Il en conserve un souvenir amer : « Moi, depuis ça, les flics, j’ai vraiment du mal à les voir. J’ai un peu de haine. »

      20 h 30 : « Je regarde mes mains pleines de sang »
      En fin d’après-midi, la tension redescend sur les Champs-Elysées. L’épicentre de la contestation se déplace vers la place de la République, où les « gilets jaunes » ont tenté de se joindre à la marche pour le climat, organisée ce même samedi. Des groupes de jeunes issus de la banlieue parisienne convergent vers l’esplanade, qui s’embrase peu à peu. « On constate un changement de physionomie dans les interpellations au fur et à mesure de l’après-midi, témoigne un commissaire de police. Les “gilets jaunes” sont remplacés par des mecs des cités, qui sont là pour piller des magasins et profiter de la “fête”. »

      Barricades, feux de poubelles… Certains veulent rejouer à la tombée de la nuit la même scène que sur les Champs-Elysées. Jusqu’au cocasse : un reporter du Monde sur place aperçoit une bande de jeunes manifestants s’escrimant, sous la bruine qui détrempe tout, à mettre le feu à un canapé apporté au milieu d’une avenue. Sans succès.

      Les forces de l’ordre se positionnent sur les artères entourant la place et forment une nasse. A 20 h 30, Antoine Coste, un graphiste de 26 ans que Le Monde avait rencontré en janvier 2019, est frappé au visage par un objet. Habitant du Marais, il était venu en observateur. Il assure que c’est un projectile de LBD qui l’a atteint. « Je regarde mes mains, pleines de sang, j’essaye de comprendre ce qu’il se passe. J’inspecte mon arcade, je me demande si elle est ouverte, ce qui expliquerait pourquoi je ne vois plus, pourquoi je ne sens plus mon côté gauche. Des gens autour de moi crient “il a été touché”. » La cornée est sectionnée et le plancher orbital fracturé. Antoine Coste vient de perdre l’usage de son œil gauche. C’est le quatrième éborgné de la journée à Paris.

      23 heures : « Un point d’arrêt a été mis à l’escalade de la violence »
      Sur les Champs-Elysées, le calme est revenu. Christophe Castaner entame une tournée des effectifs, durement éprouvés. Au total, 39 policiers et gendarmes ont été blessés contre 28 le 1er décembre. Lors de son point presse, quelques minutes plus tôt, le ministre de l’intérieur a eu cette formule : « Un point d’arrêt a été mis à l’escalade de la violence. » Le bilan matériel n’est pourtant guère brillant. « La réalité, c’est que, le 8 décembre, il y a eu autant de dégâts, voire plus, que la semaine d’avant : il y a eu des vitrines défoncées, des voitures brûlées, ça a été moins symbolique que l’Arc de triomphe, mais beaucoup plus éclaté dans Paris », témoigne un haut fonctionnaire.

      Michel Delpuech, Christophe Castaner et Laurent Nunez s’adressent aux policiers mobilisés le 8 décembre 2018 près des Champs-Elysées.
      Michel Delpuech, Christophe Castaner et Laurent Nunez s’adressent aux policiers mobilisés le 8 décembre 2018 près des Champs-Elysées. ALAIN JOCARD / AFP
      Devant les CRS réunis près de l’Arc de triomphe sous la pluie, Christophe Castaner évoque également des « incidents graves », mais assure qu’« il y a eu beaucoup moins de blessés, beaucoup moins de violence » que la semaine passée. Les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur disent néanmoins le contraire : 264 personnes ont été blessées à travers la France contre 201 la semaine précédente. Plus d’un an après le début de la mobilisation des « gilets jaunes », le 8 décembre reste la journée qui aura marqué les manifestants le plus durement dans leur chair.

      Le 8 décembre 2018 en chiffres
      Dans un bilan publié le 9 décembre 2018, le ministère de l’intérieur donne les principaux chiffres de cette journée hors du commun.

      120 000 policiers, gendarmes et pompiers ont été mobilisés le 8 décembre 2018, soit quasiment autant que le nombre de manifestants (125 000, dont 10 000 à Paris).

      1 723 interpellations ont été réalisées sur le territoire.

      1 220 personnes ont été placées en garde à vue.

      264 personnes ont été blessées, dont 39 parmi les forces de l’ordre.

      246 entreprises, selon la chambre de commerce de Paris, ont fait l’objet d’actes de vandalisme dans la capitale, contre 237 une semaine plus tôt.