• #Charlotte_Delbo et les #femmes du convoi 31000 : enquête sur les #traces d’un #camp_nazi oublié

    Le taxi s’engagea sur un chemin juste à côté de la route principale qui partait du musée d’Auschwitz vers le sud et passa devant une rangée de bungalows avec des jardins un peu en pagaille en ce mois de novembre. Il s’arrêta devant une paire de grilles rouillées, à moitié ouvertes, dont le cadenas pendait. À l’intérieur, on pouvait apercevoir des serres délabrées et envahies par la végétation.

    En sortant du taxi, j’ai poussé les grilles et je suis entrée. Je me suis approchée des serres, en essayant d’imaginer les travailleurs du camp de concentration et d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, situé à proximité, qui ont construit et travaillé de force à cet endroit à partir de 1943.

    Il s’agissait des vestiges du sous-camp de #Rajsko, l’un des 40 #camps_de_concentration satellites d’#Auschwitz.

    Ce fut autrefois une #station_botanique expérimentale nazie destinée à soutenir l’usine #IG_Farben en cultivant et en extrayant le #latex d’une espèce de #pissenlit russe (#Taraxacum_kok-saghyz afin de répondre aux besoins de plus en plus importants des nazis en matière de #caoutchouc de guerre. Le camp était l’enfant rêvé de #Heinrich_Himmler, l’un des principaux architectes des programmes génocidaires d’Hitler.

    Malgré les intentions de Himmler, Rajsko ne produisit pas de caoutchouc et fut liquidé par les nazis en 1945. La station botanique s’est dégradée avant d’être transformée en jardinerie commerciale privée. Elle a été largement oubliée et il était très difficile d’en retrouver l’emplacement – même le personnel du service clientèle auquel j’ai parlé au musée d’Auschwitz n’en avait aucune connaissance.

    Une grande partie du village de Rajsko a été déboisée pour permettre aux SS d’établir cette station de recherche botanique ainsi qu’un SS #Hygiene_Institut. Il s’agissait d’une clinique où l’on examinait le sang et d’autres fluides corporels pour y déceler les signes du #typhus (une des principales causes de mortalité dans les camps), du #paludisme et de la #syphilis.

    Plus tard, le célèbre médecin nazi #Josef_Mengele, qui s’intéressait à la #génétique_raciale, a mené des expériences sur des jumeaux roms et sinti à l’Institut d’hygiène SS. À partir de mai 1944, les sujets des expériences de Mengele ont également été prélevés sur les rampes de déchargement d’Auschwitz.

    Malgré ce passé, il n’y avait pas de panneaux indicateurs, de guides ou de centres d’accueil à Rajsko. Ce camp de concentration a été largement oublié en tant que site historique. Il n’a pas été facile de le retrouver. Après être entrée, je suis tombée sur les deux vieux propriétaires de la #jardinerie, penchés sur des brouettes et des pots de fleurs. Comme je ne parle pas polonais et qu’ils ne parlent pas anglais, nous avons communiqué par l’intermédiaire de leur fils anglophone, que la femme a appelé sur son portable.

    J’ai expliqué ce que je recherchais et, par son intermédiaire, j’ai pu jeter un coup d’œil. Le fils, un homme d’une trentaine d’années, est arrivé peu de temps après, de retour de son service de nuit et prêt à se coucher. Je n’ai pas retenu son nom, mais il a eu la gentillesse de m’emmener, à travers un mur de buissons envahissants, jusqu’au bâtiment central du site, à partir duquel les serres s’étendent en rangées ordonnées vers le nord et le sud. Le bâtiment est fermé à clé et inaccessible.

    Là, une #plaque écrite en polonais est apposée sur le mur, masquée par les arbres. Il s’agit de la seule information et #commémoration de Rajsko en tant que #camp_de_travail_forcé nazi. On peut y lire :

    « De 1942 à 1945, le #jardin_de_Rajsko a été un lieu de #travail_forcé pour les prisonniers et les prisonnières du camp de concentration d’Auschwitz. »

    La chasse au #convoi 31000

    Je me suis rendue à Rajsko à la fin de l’année 2023 dans le cadre d’un voyage de recherche doctorale aux archives d’Auschwitz. J’étais sur la piste du #convoi_31000. Il s’agit du seul transport vers Auschwitz-Birkenau composé uniquement de 230 femmes déportées de France pour leur #activisme_politique, et non en tant que juives.

    Mais seuls des instantanés ont été conservés dans les archives.

    Ce que nous savons, c’est que le groupe était composé de femmes issues de toute la société, parmi lesquelles des enseignantes, des étudiantes, des chimistes, des écrivaines, des couturières et des femmes au foyer. Il y avait une chanteuse de l’Opéra de Paris, une sage-femme et une chirurgienne-dentiste. Ces femmes courageuses ont distribué des tracts antinazis, imprimé des journaux subversifs, caché des résistants et des Juifs, transporté des armes et transmis des messages clandestins.

    La plus jeune était #Rosie_Floch, une écolière de 15 ans qui avait griffonné « V » comme victoire sur les murs de son école, tandis que la plus âgée, une veuve sexagénaire nommée #Marie_Mathilde_Chaux, avait hébergé des membres de la Résistance française. La Gestapo et la police française ont traqué toutes ces femmes et les ont emprisonnées au #Fort_de_Romainville, dans la banlieue de Paris, avant de les mettre dans un train – le convoi 31000 – à destination d’Auschwitz en 1943.

    Je cherchais en particulier des traces des personnes et des lieux que Charlotte Delbo mentionne dans sa littérature. Delbo était une participante non juive à la Résistance française et fait l’objet de ma recherche doctorale, qui examine comment les représentations vestimentaires de Delbo révèlent toutes sortes d’histoires extraordinaires et oubliées sur l’expérience des femmes pendant l’occupation de la France et l’Holocauste.

    Née en 1913 dans la banlieue de Paris au sein d’une famille ouvrière d’origine italienne, Delbo a travaillé comme assistante du célèbre directeur de théâtre et acteur Louis Jouvet et s’est inscrite aux #Jeunesses_communistes. Pendant les premières années de l’occupation nazie de la France, elle a aidé son mari #Georges_Dudach à produire des textes clandestins et à traduire des émissions radiophoniques en provenance du Royaume-Uni et de Russie.

    Delbo et son mari ont été arrêtés par une division spéciale de la police française en mars 1942, et son mari a été exécuté par la #Wehrmacht à #Paris en mai de la même année. Elle a été détenue dans deux prisons à Paris avant d’être déportée à #Auschwitz-Birkenau en janvier 1943, puis transférée à Rajsko en août de la même année, avant d’être finalement transférée au camp de concentration de #Ravensbrück dans le nord de l’Allemagne en janvier 1944.

    Delbo a été évacuée par la Croix-Rouge suédoise en avril 1945 et rapatriée à Paris où elle a passé les 40 années suivantes à écrire sur son expérience et sur d’autres périodes d’oppression, ainsi qu’à travailler comme traductrice pour l’ONU et pour le sociologue Henri Lefebvre. Elle est décédée en mars 1985.

    L’œuvre de Delbo comprend de la prose, de la poésie et du théâtre, ainsi que des textes documentaires. Elle est importante parce que son langage attire l’attention sur des histoires négligées ou cachées, notamment celle des déportés non juifs à Auschwitz. Elle s’intéresse à des lieux peu connus comme Rajsko, aux femmes membres de la Résistance française et à la façon dont les enfants vivent l’héritage de la guerre.

    Elle est l’un des auteurs les plus brillants et les plus stimulants à avoir survécu à Auschwitz, mais la plupart de ses écrits restent relativement méconnus.

    Son ouvrage le plus célèbre est Auschwitz et après, qui donne un aperçu de son séjour à Rajsko. Dans un autre ouvrage, Le Convoi du 24 janvier, Delbo écrit la biographie de chaque femme du convoi. Il s’agit d’une compilation de souvenirs, de recherches et de correspondances menée par une équipe de survivantes. Les histoires racontées mettent en évidence l’hétérogénéité des femmes du convoi, les destructions causées à la vie des femmes elles-mêmes et de leurs familles et la complicité de la police française avec les nazis. Dans un passage du Convoi du 24 janvier, Delbo écrit :

    « Sur les 230 qui chantaient dans les wagons au départ de Compiègne le 24 janvier 1943, quarante-neuf sont revenues après vingt-sept mois de déportation. Pour chacune, un miracle qu’elle ne s’est pas expliqué. »

    Les mensonges nazis dans les archives d’Auschwitz

    Le matin suivant ma visite à Rajsko, j’étais assise dans l’un des baraquements en briques surplombant la tristement célèbre porte « Arbeit Macht Frei » (« Le travail rend libre ») d’Auschwitz I. C’est là que se trouvent les archives du musée d’Auschwitz, et l’archiviste Szymon Kowalski m’a présenté l’histoire de la collection.

    Depuis le Royaume-Uni, j’avais commandé à l’avance des documents concernant Delbo et d’autres membres de son convoi auprès de Wojciech Płosa, responsable des archives. Je n’avais aucune idée du nombre de jours de travail qu’il me faudrait pour parcourir ce matériel et le relier aux textes de Delbo. J’espérais avoir suffisamment de temps pendant ma visite de quatre jours.

    J’ai été stupéfaite d’apprendre de la bouche de Kowalski qu’à peine 5 % des archives du système d’Auschwitz ont survécu, dont seulement 20 à 30 % concernent des femmes. Des recherches antérieures ont également mis en évidence la question des #trous_noirs dans les #archives.

    La perte de 95 % des archives est due à deux systèmes politiques différents qui ont tenté successivement de contrôler l’information sur le passé nazi. Tout d’abord, les SS ont détruit des tonnes de documents à l’approche de l’Armée rouge soviétique en janvier 1945. Ensuite, les Soviétiques ont confisqué les documents après la libération du camp et les ont ramenés à Moscou. Certains ont été remis en circulation dans les années 1990 pendant la perestroïka, mais les autres sont restés en Russie.

    Quelle chance avais-je alors de retrouver Delbo et les femmes dont elle parle dans ses livres si un pourcentage aussi infime des dossiers contenait des références à des femmes ?

    Heureusement pour moi, Płosa avait déjà commencé à affiner ma recherche. Une grande pile de registres pesait sur le bureau devant moi, chacun avec des signets aux pages pertinentes.

    Les archives contenaient deux références à Delbo et les deux mentions attestaient de sa présence à Rajsko. La première mention plaçait Delbo à l’infirmerie de Rajsko entre le 4 et le 8 juillet 1943, souffrant d’une « magen gryppe » (grippe intestinale). En revanche, je n’ai pas pu lire la seconde mention. Elle semblait faire référence à des tests biologiques subis par Delbo à l’Institut d’hygiène SS, mais le volume se trouvait dans le département de conservation et n’était pas disponible pour consultation.

    Pourtant, j’ai vu sur la liste du Dr Płosa que ce volume indisponible contenait également les dossiers de 11 autres femmes du convoi de Delbo, dont certaines étaient membres du groupe de travail envoyé à Rajsko.

    Après avoir creusé un peu plus, j’ai commencé à tirer des conclusions de ces 12 mentions dans le registre de l’Institut d’hygiène SS. La proximité des numéros de page contenant des références à ces femmes suggère que des tests de routine ont été effectués sur elles pendant qu’elles étaient en quarantaine à Auschwitz-Birkenau avant leur transfert à Rajsko. Les SS ne voulaient que des femmes en bonne santé pour travailler avec les précieux pissenlits dans les serres et les laboratoires de Rajsko (dans l’intérêt de la santé des plantes, pas de celle des travailleuses).

    Plus tard, à mon hôtel, j’ai recoupé les noms des femmes figurant dans le registre de l’Institut d’hygiène SS avec l’affirmation de Delbo selon laquelle toutes les femmes du convoi 31000 transférées d’Auschwitz-Birkenau à Rajsko ont survécu à la guerre. La plupart des prisonnières qui ont été contraintes de rester à Birkenau y sont mortes quelques semaines après leur arrivée en janvier 1943. En fait, au mois d’août de cette année-là, il ne restait plus que 57 prisonnières en vie sur les 230 présentes à l’origine. Seules 17 furent transférées à Rajsko. Parmi elles, cinq semblent être mortes avant la fin de leur séjour en quarantaine. Les 12 autres, dont Delbo, ont survécu à Rajsko.

    Delbo attribue la survie de son groupe au transfert à Rajsko et à la période de quarantaine qui l’a précédé. Ce sous-camp dans lequel les travailleurs forcés étaient exécutés semblait, paradoxalement, sauver des vies.

    Retrouver #Raymonde_Salez

    Le lendemain, j’ai examiné le registre des certificats de décès des prisonnières et j’ai vu qu’un membre du convoi de Delbo, Raymonde Salez, était enregistrée comme décédée le 4 mars 1943 à 10h20 de « grippe bei körperschwäche » (grippe et faiblesse générale du corps), le certificat étant signé par un certain « Dr Kitt ». Kowalski m’avait déjà expliqué que les dates, heures et causes de décès étaient fabriquées sur les certificats de décès et qu’aucune mention d’Auschwitz n’était faite afin de dissimuler au grand public la raison d’être du camp.

    N’ayant pas le droit de prendre des photos, j’ai noté avec diligence tous les détails du certificat de décès de Raymonde Salez, au cas où ils seraient utiles. Bien que ce nom ne me soit pas familier, je savais que Delbo avait consigné les noms et surnoms de toutes les femmes de son convoi dans Le Convoi du 24 janvier, ainsi que dans certains de ses autres ouvrages, et je voulais voir si le nom de Salez était mentionné quelque part. De retour à mon hôtel plus tard dans la soirée, j’ai commencé ma recherche de Raymonde Salez.

    J’ai sursauté lorsque j’ai réalisé que Salez était une femme que j’ai appris à connaître grâce à la pièce de Delbo Les Hommes et à ses monologues de survivants Mesure de nos jours. Dans ces textes, Delbo désigne Salez par son nom de guerre, « Mounette », mais la biographie qu’elle consacre à cette femme dans Le Convoi du 24 janvier indique que son vrai nom est Raymonde Salez.

    La pièce de Delbo, Les Hommes, se déroule dans un autre site moins connu de l’Holocauste, le camp de détention de la Gestapo du Fort de Romainville, en banlieue parisienne. C’est là que les femmes du Convoi 31000 ont été détenues juste avant leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Dans cette pièce, #Mounette apparaît comme une jeune femme blonde, jolie, les joues roses, qui porte de la lingerie luxueuse en soie framboise empruntée pour jouer dans un spectacle de théâtre que les prisonnières montent dans le camp de détention. Elle est décrite comme « tout à fait mignonne » et son fiancé la voit « avec des anglaises et des petits nœuds dans ses beaux cheveux ».

    Jeune, jolie et dynamique, Mounette s’engage dans la Résistance française et est arrêtée en juin 1942. Elle est déportée à Auschwitz avec le reste du convoi 31000 le 24 janvier 1943. Six semaines plus tard, la voici dans les archives. Morte.

    J’ai pleuré en réalisant qui était vraiment cette personne. Je connaissais si bien le personnage de Mounette, mais la découverte des archives l’a fait revivre.

    Mais lorsque j’ai comparé l’acte de décès de Salez avec le texte de Delbo, j’ai constaté une divergence : Delbo indique que la mort de Mounette est survenue le 9 mars à la suite d’une dysenterie, alors que les nazis ont enregistré la mort de Salez le 4 mars, à la suite d’une grippe et d’un épuisement. Delbo a expliqué comment les détenus se souvenaient de dates et de détails clés à Auschwitz afin de pouvoir témoigner plus tard. Cette divergence semblait être la preuve des mensonges nazis (rappelons que dissimuler leurs crimes et supprimer les preuves était une procédure opérationnelle standard).

    En même temps, bien que le certificat de décès de Salez semble contenir des informations falsifiées, il est important car c’est la seule trace documentée à Auschwitz-Birkenau de sa présence, car il n’existe pas de photographie d’elle en prisonnière.

    https://www.youtube.com/watch?v=6iIHqGjpzYg

    Il reste donc des questions sans réponse perdues dans les archives et ces lacunes attirent l’attention sur la façon dont Salez et tant d’autres personnes ont perdu la vie et ont disparu sans laisser de traces. Néanmoins, cette trace historique est précieuse, étant donné qu’il ne reste qu’un faible pourcentage de documents sur les femmes à Auschwitz.

    Les références à Mounette et à Salez se trouvent dans les ruines des archives et démontrent à quel point le #musée_d’Auschwitz est inestimable, à la fois pour sauvegarder l’histoire et pour mettre en lumière la corruption de celle-ci par les nazis.

    L’examen des références à Mounette dans la littérature de Delbo a permis de mettre en lumière cette ambiguïté. La littérature de Delbo contient également des instantanés de Mounette, qui autrement aurait disparu sans laisser de traces ; elle enregistre des fragments non seulement de son incarcération et de sa mort, mais aussi de sa vie avant qu’elle ne soit consumée par l’Holocauste. Comme l’écrit Delbo :

    « Chère petite Mounette, comme elle est fine, comme elle est douée, si curieuse de tout, avide de tout apprendre. »

    Le bloc de la mort

    Le troisième jour de mon voyage, j’ai visité le centre d’extermination et le camp de travail forcé d’#Auschwitz-Birkenau. J’ai été bouleversée par l’ampleur du site, les rangées de baraquements qui semblaient interminables. J’ai été stupéfaite par le nombre considérable et incompréhensible de victimes d’Auschwitz-Birkenau, par l’étendue de leur anonymat, par l’énorme absence qui remplit l’endroit.

    Ma visite s’est concentrée, non pas sur les chambres à gaz où les juifs entrants ont été assassinés, mais sur les baraquements où les femmes du convoi de Delbo ont été logées : les blocs 14 et 26 de la zone BIa.

    Au bloc 26, j’ai été confrontée à l’horreur : le bloc 25 adjacent était le bloc de la mort. C’est là que les femmes mouraient de faim. Le bloc 26 voisin de Delbo avait une rangée de fenêtres donnant sur l’unique cour fermée du bloc de la mort, ce qui signifie qu’elle et ses camarades de baraquement ont été témoins des personnes laissées pour mortes, criant au secours, empilées à la fois mortes et vivantes dans des camions pour être transportées vers les fours crématoires.

    Le bloc de la mort figure dans de nombreux chapitres très durs d’Aucun de nous ne reviendra, le premier volume d’Auschwitz et après, de façon particulièrement choquante dans « Les Mannequins » et de façon plus touchante peut-être dans « La jambe d’Alice ». Elle y décrit la mort de sa camarade, la chanteuse d’opéra parisienne Alice Viterbo, qui portait une prothèse de jambe.

    Lors d’une « sélection » au début du mois de février 1943, quelques jours seulement après l’arrivée des femmes et au cours de laquelle elles étaient forcées de courir, Alice a fait partie des femmes qui sont tombées et elle a été abandonnée par ses camarades. Elle est alors emmenée au bloc de la mort. À travers la fenêtre grillagée, Alice supplie qu’on lui donne du poison. Alice meurt le 25 ou le 26 février, Delbo ne sait pas exactement, mais elle sait que « La plus longue à mourir a été Alice ». Sa prothèse de jambe est restée dans la neige derrière le bloc pendant plusieurs jours.

    #Alice_Viterbo, une Italienne née en Égypte en 1895, était chanteuse à l’Opéra de Paris jusqu’à ce qu’elle perde une jambe dans un accident de voiture, après quoi elle a quitté la scène et ouvert une école de chant et d’expression orale. Delbo rapporte que la raison de l’arrestation de Viterbo est inconnue mais qu’elle pourrait avoir été impliquée dans un réseau de résistance. Viterbo a fait un effort « surhumain » pour courir lors de la sélection d’Auschwitz-Birkenau, étant déjà debout à l’appel depuis 3 heures du matin.

    Combien d’autres femmes attendent d’être redécouvertes ?

    Il m’a suffi de quatre jours pour découvrir l’existence de Salez, de Rajsko et des mensonges nazis à propos du camp et de ces travailleuses. Qui sait combien d’autres femmes sont oubliées, leur histoire attendant d’être retrouvée ?

    Mon voyage dans les ruines du complexe du camp d’Auschwitz renforce encore la valeur de la littérature de Delbo. Elle apporte un témoignage sur des personnes, des lieux et des expériences qui se sont perdus dans l’histoire. Elle met également en évidence les lacunes et les mensonges de l’histoire. Et elle nous rappelle celles qui, comme Salez, ont disparu sans laisser de traces, leur mort n’ayant pas été commémorée par une tombe. En représentant ces oubliées, la littérature de Delbo se souvient de leur existence. Les quelques fragments qui restent de leur vie sont précieux et soulignent encore plus ce que nous avons perdu avec leur disparition.

    https://www.youtube.com/watch?v=69iCBeHQ0Sw

    En visitant les lieux dont parle Delbo dans sa littérature saisissante et dépouillée, j’ai pris conscience de l’horreur de ce qu’elle et les autres femmes de son convoi ont vécu, du décalage entre ce qu’elles ont vécu et #ce_qui_reste sur le site, et du défi que représente la manière de le représenter par des mots ; d’essayer de combler le fossé d’incompréhension avec tous ceux d’entre nous qui n’étaient pas là.

    C’est une lacune que Delbo a elle-même ressentie, comme elle l’a exprimé dans Auschwitz et après :

    Ce point sur la carte
    Cette tache noire au centre de l’Europe
    cette tache rouge
    cette tache de feu cette tache de suie
    cette tache de sang cette tache de cendres
    pour des millions
    un lieu sans nom.
    De tous les pays d’Europe
    de tous les points de l’horizon
    les trains convergeaient
    vers l’in-nommé
    chargés de millions d’êtres
    qui étaient versés là sans savoir où c’était
    versés avec leur vie
    avec leurs souvenirs
    avec leurs petits maux
    et leur grand étonnement
    avec leur regard qui interrogeait
    et qui n’y a vu que du feu,
    qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
    Aujourd’hui on sait
    Depuis quelques années on sait
    On sait que ce point sur la carte
    c’est Auschwitz
    On sait cela
    Et pour le reste on croit savoir.

    https://theconversation.com/charlotte-delbo-et-les-femmes-du-convoi-31000-enquete-sur-les-trace
    #WWII #seconde_guerre_mondiale #déboisement #oubli #déportation

  • The Absent Presence of German Colonialism

    The German national narrative around colonialism is one of minimization, if not of outright denial. Such a minimization is supported by the exceptionalization of the Shoah, and the consensus around the idea that the German state has been making the proper amends around its genocidal history. If the 1904-1908 genocide of the Nama and the Ovaherero in present-day Namibia is acknowleged, it is often presented as temporally and spatially distant, in comparison with the temporal and spatial proximity with the Nazi holocaust. Fatou Sillah and Abdur Rehman Zafar challenge such a narrative and allow us to perceive the ghosts of German colonialism, from Namibia to Papua-New-Guinea, as transcending a specific time or place.

    En anglais:
    https://thefunambulist.net/magazine/colonial-continuums/the-absent-presence-of-german-colonialism
    En français:
    https://drive.google.com/file/d/1owTlB0eiaabVUKR2jByYIR1vxZeAoAQF/view

    –-

    –-> Citations toponymiques (de la version française):

    "Le colonialiste #Karl_Peters, qui fut renvoyé pour déshonneur de ses fonctions de gouverneur de l’Afrique de l’Est allemande en raison de son usage excessif de la violence, fut redécouvert par les Nazi*es et érigé au rang de héros national. Dans mon (Fatou) quartier de Brême – considérée sous l’#Allemagne Nazie comme la « ville des colonies » – une rue porte encore le nom de Karl Peters. Le lycée que j’ai fréquenté est situé juste à côté d’un monumental éléphant de briques érigé par les Nazi*es pour commémorer les colonies perdues et réaffirmer leurs droits sur elles. Le colonialisme et le Troisième Reich ne sont pas consécutifs : si le colonialisme a précédé le Troisième Reich, il a aussi coexisté avec lui et lui a survécu [jusqu’à aujourd’hui]."

    « À Brême, la présence absente du passé colonial allemand reste gravée dans les rues baptisées du nom de colons, de navires coloniaux et de sites de violence coloniale. Südweststraße and Waterbergstraße (du nom des lieux où les troupes allemandes forcèrent les Ovaherero à fuir dans le désert) incarnent des rappels tangibles de la violence si souvent niée. »

    « Comme relativement peu de personnes issues des anciennes colonies allemandes vivent aujourd’hui en Allemagne, le mouvement décolonial actuel est en grande partie mené par des militant*es qui ne leur sont pas rattaché*es. Compte-tenu de cette situation, les liens qui existent avec des militant*es décoloniaux*ales des anciennes colonies sont vitaux pour les luttes anti-coloniales à la fois locales et globales. Par exemple, en 2021, l’association des Chef*fes Traditionnel*les Nama et l’Autorité Traditionnelle Ovaherero ont coopéré avec des militant*es allemand*es pour organiser des rassemblements simultanés à Windhoek et Berlin afin de demander réparation, tandis qu’un procès intenté au gouvernement allemand par les Ovaherero et les Nama a été soutenu par des avocat*es militant*es en Allemagne. Les rues allemandes qui doivent être rebaptisées reçoivent des noms honorant les ancêtres des militant*es actuel*les et des survivant*es de génocide. »

    #colonialisme #colonialisme_allemand #Allemagne_coloniale #Brême #noms_de_rue #toponymie #toponymie_politique #toponymie_coloniale #déni #Namibie #Ovaherero #Nama #récit #Hambourg #Papouasie-Nouvelle-Guinée #Samoa #traces

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    • Bremen’s Elefant: Memorialisation, politics, and memory surrounding German colonialism

      In 1932, German citizens gathered for the dedication of the Kolonialelefant in Bremen. The Bremen Colonial Society created this monument in memory of the German soldiers who died in the German colonies during the First World War. As well as to glorify colonialism and bolster the neo-colonial movement (after the Treaty of Versailles had stripped Germany of its colonies in 1919). The first speaker at the ceremony was Eduard Achelis, Chairman of the Bremen section of the Deutsche Kolonialgesellschaft (German Colonial Society). In his speech, he stated:

      In this solemn hour dedicated to our colonies, may the whole German people step up and […] unanimously shout to the world: Away with the events of the past, with lies and slander; we Germans demand our rights. The recognition of necessary living conditions. Immediate return of our own land, honestly acquired and honestly managed, an expensive legacy left to us by our fathers: the German colonies.

      For Achelis and many others, the value of the Elefant lay not in the memory of the specific German soldiers who had lost their lives but in the reminder of the sacrifice that went into obtaining and controlling colonial land in Africa: the injustice of that land being taken away. A specific version of colonialism was publicly displayed through the Kolonialelefant: colonialism was a worthy venture that brought glory and prosperity. The city’s actions followed this version of colonial memory. The National Socialists of Bremen established the town as the ‘Capital of the Colonies’ after the statue’s dedication, and in 1938, a convention that brought together all of the German colonial organisations was held in Bremen.

      Six decades later, the Elefant underwent a second dedication – this time it was dedicated as the Anti-Kolonial-Denk-Mal (Anti-Colonial Monument). Before the ceremony, the Elefant was wrapped in fabric ‘chains’ of racism and colonialism, which were cut away during the ceremony. Speeches were given that grieved the atrocities of German colonialism, and a plaque was unveiled, which provided a history of German colonialism and the monument’s problematic creation. The plaque also highlighted the reason for rededicating the memorial: ‘This monument is a symbol of the responsibility we have inherited from history.’ Many Bremen-based organisations were involved in the rededication process, and other efforts to campaign for greater awareness of Germany’s colonial past. The fond memory of German colonialism that prevailed in Bremen in the 1930s was replaced by a memory of German colonialism shrouded in racism and violence.

      The Elefant is both a reflection of and exception to German memorial culture. Like the Elefant, German colonial memorials created before the Holocaust glorified colonialism. After the Holocaust, when genocide was defined and criminalised, there was a gap in German colonial memorialisation. No longer were memorials glorifying colonialism erected, and colonial monuments that already existed, including the Elefant, were largely left to decay.

      In the 1970s and 80s, the anti-apartheid movement swept across Europe, bringing awareness to the lasting impact of colonialism. Citizens in Bremen began to analyse how the city was responsible for the disastrous situation in South West Africa, particularly in Namibia (then controlled by South Africa), a former German colony. It is at this point, Bremen began to be an exception to overall German memorial culture, starting with the creation of initiatives to support Namibia and its independence movement. In 1980 the Centre for African Studies at Bremen University co-founded the Namibia Project, the purpose of which was to promote education and improve the legal system in Namibia. This programme spread beyond the University, creating connections with political groups across the Bremen area. In 1989, Bremen joined the Europe-wide campaign ‘Cities against Apartheid’. At the time, movements against colonialism and apartheid were yet to gain momentum in Germany. Germany’s official policy was cooperation and even friendship with South Africa while ignoring apartheid and the illegal occupation of South West Africa and, in some sense, supporting the occupation due to lobbying by the German minority living in South West Africa. Bremen’s efforts to improve the situation in South West Africa were accompanied by initiatives for greater awareness of Germany’s colonial past. Activist individuals and organisations in Bremen wrote educational materials for schools and articles for newspapers and academic journals while also organising awareness campaigns in the city. These decolonisation efforts led to a renewed focus on the Elefant statue, the very existence of which was a symbol of Bremen’s former support of colonialism. By rededicating the Elefant, Bremen confronted a colonial legacy that the rest of Germany had been ignoring for decades. The Elefant remains one of the only anti-colonial memorials in Germany – evidence of the nation’s continued willful amnesia of its colonial crimes.

      Works Cited

      ‘Treaty of Versailles’, United States Library of Congress, June 28, 1919, Part IV Section I.

      ‘Einweihung des deutschen Kolonial-Ehrenmals’, 7 July 1932, Ausgabe Nr. 187 Drittes Blatt, Schünemann, Bremen, quoted in G. Eickelberg, ‘Die Geschichte des Bremer AntiKolonialDenkmals’, Feb. 2012.

      The Plenipotentiary of the Free Hanseatic City of Bremen for Federal Affairs, Europe and Development Co-operation, ‘Co-operation Bremen – Namibia: A Responsibility Posed by History’ (Bremen, 1999).

      ‘Als Bremen „Stadt der Kolonien” sein wollte’, WK Geschichte [Bremen], (27 May 2018).

      Bremen State Office for Development Co-operation, ‘Vom Kolonial-Ehrenmal zum Anti-Kolonial-Denk-Mal’ (Bremen, 2004).

      Bremen Parliament, Entschließung der Stadtbürgerschaft vom 19.9.1989, ‘Die Stadtbürgeschaft begrüßt die 1986 in Den Haag gestartete europäische Aktion “Städte gegen Apartheid” und schließt sich ihr an’, September 19, 1989.

      https://contestedhistories.org/uncategorized/bremens-elefant
      #Kolonialelefant

  • I luoghi della memoria dell’Italia fascista

    Il territorio di questo paese conserva molte tracce del suo passato fascista sotto forma di edifici, monumenti, ma anche nomi di strade, vie o scuole. In alcuni casi, quando simboli, monumenti e intitolazioni sono presenti nella nostra vita quotidiana senza essere oggetto di commemorazione o ricostruzione memoriale specifica, essi giacciono lì, muti per la maggior parte della popolazione, ma presenti e disponibili a diversi tipi di riattivazione. In altri casi questi luoghi sono invece oggetto di commemorazioni e cerimonie, per lo più presidi di una memoria minoritaria, ma che riappare carsicamente nella storia d’Italia, coltivate da minoranze neofasciste o della nuova destra, che cercano di costruire un ponte che legittimi il presente attraverso la storia del passato fascista, ma anche che permetta di coltivare costruzioni identitarie antidemocratiche.

    Per riflettere su questi fenomeni, l’Istituto nazionale Ferruccio Parri ha avviato un progetto che ha l’obiettivo di mappare e ricostruire progressivamente la storia dei ‘luoghi della memoria’ locale e nazionale del fascismo storico (1919-1945). Obiettivo del progetto è individuare e analizzare i monumenti e le intitolazioni di strade e edifici pubblici che sono stati costruiti come luoghi della memoria del fascismo durante il regime o negli anni successivi alla Liberazione del paese.

    Questa mappatura ha l’obiettivo di verificare la geografia di questi monumenti e di queste intitolazioni ricorrenti; leggerne la stratificazione storica e in ogni caso ricostruire la storia di questi luoghi della memoria, del significato che hanno assunto del tempo e di come sono stati modificati dal tempo o dagli uomini e dalle donne di questo paese. Questa ricerca dovrebbe così permettere di leggere e analizzare i diversi modi in cui nelle composite comunità locali e territoriali la memoria del fascismo è stata preservata e/o ricostruita, come questa costruzione si collochi in relazione con altre memorie politiche e come, nel corso di questi anni, in concomitanza con la rilegittimazione in corso dell’esperienza fascista, queste memorie si siano ridefinite e rialimentate. Questo progetto ha nutrito anche una riflessione scientifica più articolata, che è stata ripresa e riarticolata nel volume curato da Giulia Albanese e Lucia Ceci intitolato I luoghi del fascismo. Memoria, politica e rimozione (Viella, 2022).

    Questo progetto è coordinato da Giulia Albanese insieme a un gruppo di lavoro del comitato scientifico del Parri composto da Filippo Focardi (direttore scientifico dell’Istituto nazionale Ferruccio Parri), Mirco Carrattieri, Lucia Ceci, Costantino Di Sante, Carlo Greppi, Metella Montanari, Nicola Labanca. Questo gruppo, a partire dal 2021, è stato sostituito dai membri del nuovo Comitato scientifico del Parri (2021-2024): Filippo Focardi (Direttore scientifico, Presidente), Laura Bordoni, Lucia Ceci, Annalisa Cegna, Chiara Colombini, Andrea Di Michele, Nicola Labanca, Matteo Mazzoni, Santo Peli, Antonella Salomoni, Giovanni Scirocco.

    Il progetto del sito e del database è stato realizzato da Igor Pizzirusso.
    Antonio Spinelli e Giulia Dodi hanno invece curato redazione, approfondimento scientifico e validazione delle schede (oltre a contribuire con ulteriori segnalazioni).
    Fondamentale è stato il lavoro dei volontari della rete degli istituti per la storia della resistenza che hanno inviato segnalazioni o realizzato il primo censimento, ma anche da studiosi indipendenti che hanno collaborato all’individuazione dei luoghi e alla loro schedatura. Questa ricerca è dunque il frutto di un progetto collaborativo e in progress, ma ciascuna scheda riporta l’indicazione dell’autore della compilazione.

    L’Istituto nazionale Ferruccio Parri ha aperto una collaborazione con Postcolonialitaly.com, per rendere disponibili a quel progetto i luoghi coloniali censiti in questo sito e ricevere le schede di quel sito con riferimento ai luoghi coloniali che sono pertinenti per questo progetto. Nella scheda descrittiva daremo conto di eventuali schede derivate da quel progetto.


    https://www.luoghifascismo.it

    #Italie_fasciste #fascisme #Italie #cartographie #traces #visualisation #mémoire #toponymie #toponymie_politique #toponymie_fasciste

    –-

    ajouté à la métaliste sur l’Italie coloniale (la question coloniale se chevauche avec la question fasciste) :
    https://seenthis.net/messages/871953

    • I luoghi del fascismo. Memoria, politica, rimozione

      Cosa resta dei monumenti, dei complessi architettonici, delle opere d’arte attraverso cui il fascismo intese esplicitamente celebrare e tramandare sé stesso? Quale uso è stato fatto nell’Italia repubblicana di queste tracce materiali?

      In che modo la memoria dei luoghi del fascismo somiglia a quanto è avvenuto in altri stati con esperienze analoghe?

      Il volume indaga questi temi a partire da alcuni luoghi particolarmente significativi nella storia italiana (presenti in città come Roma, Milano, Latina, Livorno, Padova o in piccoli centri della Calabria) e di alcuni paesi europei (Germania, Spagna, Portogallo). Il lavoro si inserisce in un ampio progetto di ricerca dell’Istituto nazionale Ferruccio Parri finalizzato alla mappatura dei luoghi della memoria commemorativa del fascismo in Italia.

      https://www.viella.it/libro/9791254691908

      #livre

  • #Liban. Sur les #traces des #disparus de la #guerre_civile

    Comment filmer la #disparition ? Traduire par l’image ce qui n’est plus ? C’est un travail de #remémoration contre l’#amnésie_officielle et collective, et donc un travail pour l’histoire, que propose l’équipe du film The Soil and the Sea (« La terre et la mer »), qui sillonne le Liban sur les traces des #charniers de la guerre civile.

    Image trouble, son étranglé, vagues menaçantes… The Soil and the Sea (« La terre et la mer ») commence littéralement à contre-courant, la caméra submergée dans une lutte contre les vagues, dont nous tire la voix de l’écrivain libanais Elias Khoury lisant en arabe son poème « La mer blanche ». Ce sauvetage n’est pourtant qu’une illusion : c’est bien une noyade longue d’un peu plus d’une heure qui commence avec le film réalisé par Daniele Rugo, véritable plongée cinématographique dans la violence de la guerre civile libanaise.

    Partant de la côte beyrouthine, le film nous fait entrer au Liban par le charnier méditerranéen qui le borde, cette mer dans laquelle la guerre a souvent dégurgité ses #cadavres. The Soil and the Sea interroge les disparitions, exhume les histoires des #victimes et de leurs familles, creuse les bas-fonds de près de quinze années de #guerre_civile.

    Un pays amnésique et imprégné de #violence

    Au Liban, 17 415 personnes auraient disparu de 1975 à 1990, pendant la guerre civile qui a opposé de très nombreuses factions locales et internationales, mais dont les victimes ont été en majorité libanaises, palestiniennes et syriennes. Ce chiffre est tiré de la recherche constituée par le Lebanon Memory Archive, un projet piloté par l’équipe du film qui met en lumière cinq sites libanais abritant des #fosses_communes datant de la guerre1. Massacres délibérés, emprisonnements, torture, enlèvements, assassinats arbitraires ou ciblés, des lieux tels que #Damour, #Chatila, #Beit_Mery, #Aita_Al-Foukhar ou #Tripoli, sont emblématiques de toutes les facettes de la violence devenue routinière dans le Liban des années 1980. Leurs noms seuls suffisent à réveiller le souvenir d’une opération militaire, d’une prison ou d’une hécatombe dont les histoires sont tues dans un pays qui s’est remis de la guerre civile en instaurant un fragile statu quo.

    Afin de saisir la force de The Soil and the Sea, il faut comprendre la portée politique du simple geste de prise de parole proposé par le film. Dans les années 1990, la principale barrière mise en place pour éviter de retomber dans les méandres d’un affrontement civil a été le #silence. Aucune #politique_mémorielle n’a été mise en place à l’échelle du pays, les programmes scolaires s’arrêtent notoirement à la veille de la guerre civile, et la guerre est un arrière-plan anecdotique dans les conversations des Libanais·es. Des organisations de la société civile plaident pourtant depuis longtemps en défense des familles des personnes disparu·es, et une loi de 2018 promettait même d’éclaircir leur sort, mais le silence reste de mise pour la majorité de la société libanaise. La faute en revient surtout à l’absence de politiques publiques et d’institutions dédiées : il n’existe pas au Liban d’histoire « objective » de la guerre, scientifiquement constituée, et admise par l’État et la population. The Soil and the Sea donne un exemple saisissant de cette #amnésie_collective avec l’anecdote d’une mère qui pose une plaque et plante un olivier en mémoire de son fils Maher, disparu devant la faculté des sciences dans la banlieue sud de la capitale. Alors que cette faculté relève du seul établissement supérieur public du pays - l’Université libanaise -, les étudiant·es et les professeur·es rencontré·es par la mère de Maher sont effaré·es d’apprendre qu’une fosse commune « de trente mètres de long » a été enfouie sous les dalles de leur campus à la suite d’une bataille entre des factions libanaises et l’armée israélienne pénétrant dans Beyrouth en 1982.

    Pour recomposer l’histoire d’un pays amnésique, The Soil and the Sea choisit d’enchaîner les #témoignages, comme celui de la mère de Maher. Les #récits sont racontés en « voix off », superposés à des images montrant les lieux banals, gris, bétonnés, où les Libanais·es foulent souvent sans s’en douter - ou sans y penser - les corps de centaines de leurs semblables. Les voix des proches ou des survivant·es qui témoignent sont anonymes. Seuls ces lieux du quotidien incarnent la violence. Le film offre l’image d’un Liban pâle et quasi désert, où l’immobilier aussi bien que la végétation ont recouvert les plaies mal cicatrisées de la guerre. Des silhouettes lointaines parcourent ruines antiques et bâtiments modernes, gravats et pousses verdoyantes, mais on ne verra jamais les visages des voix qui racontent, par-dessus des plans savamment composés, les disparitions des proches, l’angoisse des familles, parfois de précieuses retrouvailles, plus souvent des vies passées dans l’errance et la nostalgie. Filmant le présent pour illustrer les récits du passé, The Soil and the Sea met au défi l’expérience libanaise contemporaine en montrant des lieux imprégnés jusque dans leurs fondations par une violence rarement nommée, qui prend enfin corps à l’écran dans les récits des familles laissées pour compte. Le travail de mise en scène du témoignage oral est aussi soigné du point de vue de l’image que du son, les mots crus des proches étant délicatement accompagnés par les arrangements légers et angoissants de Yara Asmar au synthétiseur.

    Géographie de l’oubli

    Faut-il déterrer les cadavres ? Serait-ce rendre justice aux familles que de retourner aujourd’hui la terre, et risquer ainsi de raviver les blessures d’un pays jamais guéri de la violence ? Ces questions, posées par un survivant du massacre commis par les milices palestiniennes à Damour en 1976, reçoivent plus tard une réponse indirecte de la part de la mère de Maher : « S’ils exhument des restes, où est-ce que je les mettrais ? » Juxtaposant des témoignages qui se font écho, The Soil and the Sea devient un jeu de questions et réponses qui exprime le paradoxe de l’#amnésie libanaise. Aux dépens de nombreuses victimes et de leurs familles, l’oubli a été un geste d’amnistie qui a permis à la société libanaise de se reconstruire, d’élever des banques et de déployer des champs sur une terre ravagée par le conflit. Beaucoup de victimes ont aussi été acteur·rices de la violence, à commencer par Maher, mort au service d’une milice, dont le récit de la disparition entame et conclut le film. En exhumant leurs corps, on risquerait de raviver des colères enfouies avec eux. Au lieu de prendre un tel risque, et outre l’impossibilité matérielle et politique d’une telle entreprise, le documentaire et le projet de recherche auquel il s’adosse se contentent de recueillir des #souvenirs sans les commenter autrement que par des images du quotidien, familières à tous·tes les Libanais·es.

    L’absence de protagonistes à l’écran, le choix de filmer les lieux représentés à des moments où ils sont inhabituellement déserts, illustrent d’abord la #disparition, thème principal de l’œuvre. Nous, spectateurs et spectatrices, sommes invité·es dans ces espaces comme dans des arènes cinématographiques qui réverbèrent les récits de la violence et abattent le quatrième mur, nous mettant au centre d’un récit oral, musical et visuel. Nous qui foulons le sol libanais, nous qui partageons sa mer et contemplons ses espaces, sommes responsables de constater la violence gravée en eux, nous dit le film. Si on ne peut résoudre les disparitions sans raviver la violence qui les a causées, si on ne peut déterrer les cadavres sans risquer d’exhumer la guerre qui les a tués, on peut au moins admettre l’amnésie, s’en reconnaître responsable, et apaiser par des #actes_mémoriels la violence fantôme qui hante le Liban.

    The Soil and the Sea apporte sa pierre à l’édifice mémoriel par la constitution d’une #géographie qui relève un à un des #lieux de l’oubli libanais. Les récits qui permettent l’enquête ne sont jamais exhaustifs. Ils permettent d’incarner cette géographie, lui donnant le relief et la profondeur qui manquent aux images du quotidien libanais contemporain. Par des procédés fins et dépouillés, le film de #Daniele_Rugo nomme l’innommable, montre ce qui ne peut être montré, et parvient ainsi à nous remémorer notre #oubli.

    https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/liban-sur-les-traces-des-disparus-de-la-guerre-civile,7167
    #film #documentaire #film_documentaire

  • L’Open Source INTelligence, une révolution de la preuve

    Le « renseignement de sources ouvertes », plus connu sous l’acronyme anglais #OSINT (#Open_Source_INTelligence), désigne la capacité de collecter et d’exploiter des données ouvertes, disponibles sans avoir besoin de recourir à des moyens légaux ou coercitifs, ni à la ruse ou au piratage.

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-de-justice/l-open-source-intelligence-une-revolution-de-la-preuve-8810804
    #preuve #justice #traces_numériques

    #audio #podcast #images #données

  • À Strasbourg, l’Europe intensifie discrètement le fichage des migrants

    Dans un bâtiment discret, 350 personnes travaillent à renforcer le #contrôle et le #suivi des personnes entrant dans l’#espace_Schengen. Reportage dans l’agence de l’Union européenne qui renforce le fichage des migrants.

    Dans le quartier du Neuhof à Strasbourg, un bâtiment hautement sécurisé attire l’œil. Dissimulée derrière le gymnase du Stockfeld et entourée de terrains vagues, l’#agence_européenne #eu-Lisa est protégée par deux lignes barbelées surplombées de caméras. Aux alentours du bâtiment, les agents de sécurité portent au cœur un petit drapeau bleu aux douze étoiles. Des véhicules immatriculés en France, au Luxembourg, en Belgique et en Allemagne stationnent sur le parking.

    Créée en 2011 et opérationnelle depuis 2012, l’#agence_européenne_pour_la_gestion_opérationnelle_des_systèmes_d’information à grande échelle eu-Lisa développe et fait fonctionner les #bases_de_données de l’Union européenne (UE). Ces dernières permettent d’archiver les #empreintes_digitales des demandeurs et demandeuses d’asile mais aussi les demandes de visa ou les alertes de personnes portées disparues.

    Le siège d’eu-Lisa est à Tallinn, en Estonie. Un bureau de liaison se trouve à Bruxelles et son centre opérationnel a été construit à Strasbourg. Lundi 26 février, le ministre délégué aux affaires européennes, Jean-Noël Barrot, est venu visiter l’endroit, où sont développés les nouveaux systèmes de suivi et de #filtrage des personnes migrantes et des voyageurs et voyageuses non européen·nes. Le « cœur de Schengen », selon la communication de l’agence.

    Sur les écrans de contrôle, des ingénieur·es suivent les requêtes adressées par les États membres aux différents #systèmes_d’information_opérationnels. L’un d’eux raconte que le nombre de cyberattaques subies par l’agence est colossal : 500 000 tentatives par mois environ. La quantité de données gérées est aussi impressionnante : en 2022, le système #VIS (#Visa_Information_System) a enregistré 57 millions de demandes de #visas et 52 millions d’empreintes digitales. La même année, 86,5 millions d’alertes ont été transmises au système #SIS (#Schengen_Information_System).

    Dans l’agence du Neuhof, une vingtaine de nationalités sont représentées parmi les 350 travailleurs et travailleuses. En tout, 500 mètres carrés sécurisés abritent les données confidentielles de dizaines de millions de personnes. 2 500 ordinateurs fonctionnent en permanence pour une capacité de stockage de 13 petabytes, soit 13 milliards de gigabytes. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, l’eu-Lisa répond aux demandes de données des pays membres de l’espace Schengen ou de l’Union européenne.

    Traduire la politique en #technologie

    Au-delà de la salle de réunion, impossible de photographier les murs ou l’environnement de travail. L’enclave européenne est sous haute surveillance : pour entrer, les empreintes digitales sont relevées après un passage des sacs au scanner. Un badge connecté aux empreintes permet de passer un premier sas d’entrée. Au-delà, les responsables de la sécurité suivent les visiteurs de très près, au milieu d’un environnement violet et vert parsemé de plantes de toutes formes.

    Moins de six mois avant le début des Jeux olympiques et paralympiques de Paris et deux mois après l’accord européen relatif au Pacte sur la migration et l’asile, l’agence aux 260 millions d’euros de budget en 2024 travaille à mettre en place le système de contrôle des flux de personnes le plus précis, efficace et complet de l’histoire de l’espace Schengen. Le pacte prévoit, par exemple, que la demande d’asile soit uniformisée à travers l’UE et que les « migrants illégaux » soient reconduits plus vite et plus efficacement aux frontières.

    Pour accueillir le ministre, #Agnès_Diallo, directrice de l’eu-Lisa depuis 2023, diffuse une petite vidéo en anglais dans une salle de réunion immaculée. L’ancienne cadre de l’entreprise de services numériques #Atos présente une « agence discrète » au service de la justice et des affaires intérieures européennes. À l’eu-Lisa, pas de considération politique. « Notre agence a été créée par des règlements européens et nous agissons dans ce cadre, résume-t-elle. Nous remplaçons les frontières physiques par des #frontières_numériques. Nous travaillons à laisser passer dans l’espace Schengen les migrants et voyageurs qui sont légitimes et à filtrer ceux qui le sont moins. »

    L’eu-Lisa invente, améliore et fait fonctionner les sept outils informatiques utilisés en réseau par les États membres et leurs institutions. L’agence s’assure notamment que les données sont protégées. Elle forme aussi les personnes qui utiliseront les interfaces, comme les agents de #Frontex, d’#Europol ou de la #police_aux_frontières. Au Neuhof, les personnes qui travaillent n’utilisent pas les informations qu’elles stockent.

    Fichés dès l’âge de 6 ans

    L’agence eu-Lisa héberge les empreintes digitales de 7,5 millions de demandeurs et demandeuses d’asile et « migrants illégaux » dans le système appelé Eurodac. Pour le moment, les données récoltées ne sont pas liées à l’identité de la personne ni à sa photo. Mais avec l’adoption des nouvelles règles relatives au statut de réfugié·e en Europe, Eurodac est en train d’être complètement refondé pour être opérationnel en 2026.

    La réforme décidée en décembre 2023 prévoit que les demandeurs d’asile et « migrants illégaux » devront fournir d’autres informations biométriques : en plus de leurs empreintes, leur photo, leur nom, prénom et date et lieu de naissance seront enregistrés lors de leur entrée dans Schengen. La procédure vaudra pour toute personne dès l’âge de 6 ans (contre 14 avant la réforme). Les #données qui étaient conservées pour dix-huit mois pourront l’être jusqu’à cinq ans.

    La quantité d’informations stockées va donc croître exponentiellement dès 2026. « Nous aurons énormément de données pour #tracer les mouvements des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile », se félicite #Lorenzo_Rinaldi, l’un des cadres de l’agence venant tout droit de Tallinn. Eurodac permettra à n’importe quelle autorité policière habilitée de savoir très précisément par quel pays est arrivée une personne, ainsi que son statut administratif.

    Il sera donc impossible de demander une protection internationale dans un pays, puis de s’installer dans un autre, ou de demander une seconde fois l’asile dans un pays européen. Lorenzo Rinaldi explique : « Aujourd’hui, il nous manque la grande image des mouvements de personnes entre les États membres. On pourra identifier les tendances, recouper les données et simplifier l’#identification des personnes. »

    Pour identifier les itinéraires et contrôler les mouvements de personnes dans l’espace Schengen, l’agence travaille aussi à ce que les sept systèmes d’information fonctionnent ensemble. « Nous avions des bases de données, nous aurons désormais un système complet de gestion de ces informations », se réjouit Agnès Diallo.

    L’eu-Lisa crée donc également un système de #traçage des entrées et des sorties de l’espace Schengen, sobrement appelé #Entry-Exit_System (ou #EES). Développé à l’initiative de la France dès 2017, il remplace par une #trace_numérique le tamponnage physique des passeports par les gardes-frontières. Il permet notamment de détecter les personnes qui restent dans Schengen, après que leur visa a expiré – les #overstayers, celles qui restent trop longtemps.

    Frontières et Jeux olympiques

    « Toutes nos équipes sont mobilisées pour faire fonctionner le système EES [entrées-sorties de l’espace Schengen – ndlr] d’ici à la fin de l’année 2024 », précise Agnès Diallo. Devant le Sénat en 2023, la directrice exécutive avait assuré que l’EES ne serait pas mis en place pendant les Jeux olympiques et paralympiques si son influence était négative sur l’événement, par exemple s’il ralentissait trop le travail aux frontières.

    En France et dans onze autres pays, le système EES est testé depuis janvier 2024. L’agence estime qu’il sera prêt pour juillet 2024, comme l’affirme Lorenzo Rinaldi, chef de l’unité chargé du soutien à la direction et aux relations avec les partenaires de l’eu-Lisa : « Lorsqu’une personne non européenne arrive dans Schengen, elle devra donner à deux reprises ses #données_biométriques. Donc ça sera plus long la première fois qu’elle viendra sur le territoire, mais ses données seront conservées trois ans. Les fois suivantes, lorsque ses données seront déjà connues, le passage sera rapide. »

    Ce système est prévu pour fonctionner de concert avec un autre petit nouveau, appelé #Etias, qui devrait être opérationnel d’ici au premier semestre de 2025. Les personnes qui n’ont pas d’obligation d’avoir de visa pour entrer dans 30 pays européens devront faire une demande avant de venir pour un court séjour – comme lorsqu’un·e citoyen·ne français·e demande une autorisation électronique de voyage pour entrer aux États-Unis ou au Canada. La procédure, en ligne, sera facturée 7 euros aux voyageurs et voyageuses, et l’autorisation sera valable trois ans.

    L’eu-Lisa gère enfin le #système_d’information_Schengen (le #SIS, qui gère les alertes sur les personnes et objets recherchés ou disparus), le système d’information sur les visas (#VIS), la base de données des #casiers_judiciaires (#Ecris-TCN) et le #Codex pour la #coopération_judiciaire entre États membres.

    L’agence travaille notamment à mettre en place une communication par Internet entre ces différents systèmes. Pour Agnès Diallo, cette nouveauté permettra une coordination sans précédent des agents aux frontières et des institutions judiciaires nationales et européennes dans les 27 pays de l’espace Schengen.

    « On pourra suivre les migrants, réguliers et irréguliers », se félicite Fabienne Keller, députée européenne Renew et fervente défenseuse du Pacte sur les migrations. Pour la mise en place de tous ces outils, l’agence eu-Lisa devra former les États membres mais également les transporteurs et les voyageurs et voyageuses. L’ensemble de ces systèmes devrait être opérationnel d’ici à la fin 2026.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/050324/strasbourg-l-europe-intensifie-discretement-le-fichage-des-migrants

    #fichage #migrations #réfugiés #biométrie
    via @karine4
    ping @_kg_

  • Viaggio sulle tracce che le Olimpiadi di Torino 2006 hanno lasciato tra le valli piemontesi: un racconto fotografico che porta a riflettere su Milano Cortina 2026

    Il cicloviaggiatore #Michele_Filippucci ha esplorato e fotografato l’alta val di Susa e la val Chisone per documentare gli effetti delle Olimpiadi di Torino 2006 sulle valli accanto alle quali è cresciuto. Un racconto che si sviluppa per immagini e ci spinge a riflettere sui Giochi di Milano Cortina 2026

    https://www.ildolomiti.it/altra-montagna/sport/2024/viaggio-sulle-tracce-che-le-olimpiadi-di-torino-2006-hanno-lasciato-tra-l

    #traces #JO #jeux_olympiques #montagne #Turin #2006 #paysage #photographie

  • #Roma_coloniale

    Sul colonialismo italiano pesa il torto di una rimozione storica, culturale e politica, ancora inspiegabile: un buco nel registro delle morti del Novecento, pagine bianche nei manuali di storia nazionale.
    Il Colonialismo spiega, più di quel che si è portati a credere, il pregiudizio razzista che ancora oggi pervade le piaghe più nascoste della società italiana; un razzismo ordinario, che può esplodere, a certe condizioni, in episodi terribili, oppure continuare a covare sotto la cenere.

    Roma è una città distratta. Le tracce coloniali, incomprese, sono ovunque: viali, piazze, obelischi, cinema, statue, targhe, tutti omaggi dedicati all’impero. Si incontrano a Villa Borghese, al Circo Massimo, alla Stazione Termini, a San Giovanni, al Foro Italico, a Garbatella, a Casalbertone. E in un intero quartiere: quello Africano.
    Forse è venuto il momento di discuterne, di ricercarle e assegnare loro un significato storico più doloroso e più giusto, senza continuare a sperare nell’oblio.

    https://lecommariedizioni.it/prodotto/roma-coloniale
    #Rome #colonialisme #Italie #Italie_coloniale #colonialisme_italien #livre #traces #toponymie #toponymie_politique #toponymie_coloniale #noms_de_rue #liste #inventaire

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    ajouté à la métaliste sur le colonialisme italien :
    https://seenthis.net/messages/871953

  • Ritratti - #Andrea_Zanzotto


    A partir de la minute 1’06 :

    «Abbiamo anche un’altra definizione della storia, che è quella di Cicerone. La storia, una volta passata, diventa solo mappe, tracce lasciate sulla terra, diventa quindi geografia, e fantasmi, leggende che trascorrono e che mutano e che possono anche essere cambiate. Quindi si può dire che ogni mutazione storica tende a descrivere tutta la storia precedente in funzione di se stessa, e di preparazione al grande evento della sua presenza. (...) Il paesaggio è fondamentale, perché si riempie di segni, di mappe. Noi, di fronte alla storia, siamo sempre inermi, perché solo il paesaggio può restituirci le tracce. (...) Adesso la tecnica serve moltissimo alla ricerca di queste tracce, anche le fotografie fatte dai satelliti mettono in evidenza le rovine di una città. Mentre la tradizione e la storia era stata orale e la descrizione degli eventi veniva alterata a seconda dei bisogni. (...) (E’ apparsa) la storia come historía , nel senso di indagine giornalistica quasi attraverso l’archeologia. Resta comunqua valida sempre l’idea di storia che se non ha mappe che diventano geografia, diventano scrittura sul terreno, quasi in termini alla Derrida, graphi sul terreno, e fantasmi su cui ancorare i nostri ricordi... sulla storia devo concludere in modo antitetico e spaccato: da una parte svalutazione senza le mappe, ma le mappe ci sono. I fantasmi restano e possono diventar leggende. Bisogna invece che cessi la riutilizzazione della storia come opus maxime oratorium di tipo ciceroniano, cioè: rifacciamola perché ci serve a giustificarci adesso. In fondo i fondamentalismi non sono che la cancerosa restituzione della storia di una sua presunta fondazione della realtà di oggi falsificando la storia delle origini. Ogni fondamentalismo cambia la storia delle origini per giustificare quello che sta facendo in questo momento, che in realtà non ha nulla a che fare. Questa sarebbe la funzione deteriore, ultima, da eliminare. Quella invece che deve resistere, è quella che deve resistere attraverso la poesia perché nulla più che la parola vibrante, purché si conosca la lingua» (réponse interrompue par la vidéo, trop courte hélas...)

    https://www.youtube.com/watch?v=uKnXcreM9mA

    Bonus de ce #film :
    Ritratti. Andrea Zanzotto

    L’incontro si sviluppa entro tre nuclei fondamentali di ricerca: la natura, la storia, la lingua. La natura, intesa in un primo momento dal poeta come pensiero al quale rivolgersi in un continuo scambio e risonanza, ed in seguito anche come improvvisa mutazione, cementificazione ed offesa. Andrea Zanzotto ripercorre, poi, i segni fondamentali di quello che è stato detto il secolo dell’ottimismo, secolo che ha visto crescere la fede nella scienza ma anche il collasso di qualsiasi forma di razionalità. La lingua è intesa come scoperta di un viaggio accidentato, segno di un lessico familiare, musica e canti di un paese, ma anche di un andare mendicando di altri linguaggi, ricercare le stratificazioni che li hanno intessuti, un balbettio; sino ad arrivare a quelli che sono i destinatari della poesia ed i luoghi della lettura per riscoprirne la sacralità. Il ritratto è a matita.

    https://www.jolefilm.com/film/andrea-zanzotto

    #traces #histoire #géographie #signes #paysage #fondamentalisme #film #documentaire #interview #film_documentaire

  • Une organisation en #souffrance

    Les Français seraient-ils retors à l’effort, comme le laissent entendre les mesures visant à stigmatiser les chômeurs ? Et si le nombre de #démissions, les chiffres des #accidents et des #arrêts_de_travail étaient plutôt le signe de #conditions_de_travail délétères.

    Jeté dans une #concurrence accrue du fait d’un #management personnalisé, évalué et soumis à la culture froide du chiffre, des baisses budgétaires, le travailleur du XXIe siècle est placé sous une #pression inédite...

    L’étude de 2019 de la Darès (Ministère du Travail) nous apprend que 37% des travailleurs.ses interrogés se disent incapables de poursuivre leur activité jusqu’à la retraite. Que l’on soit hôtesse de caisse (Laurence) ou magistrat (Jean-Pierre), tous témoignent de la dégradation de leurs conditions de travail et de l’impact que ces dégradations peuvent avoir sur notre #santé comme l’explique le psychanalyste Christophe Dejours : “Il n’y a pas de neutralité du travail vis-à-vis de la #santé_mentale. Grâce au travail, votre #identité s’accroît, votre #amour_de_soi s’accroît, votre santé mentale s’accroît, votre #résistance à la maladie s’accroît. C’est extraordinaire la santé par le travail. Mais si on vous empêche de faire du travail de qualité, alors là, la chose risque de très mal tourner.”

    Pourtant, la #quête_de_sens est plus que jamais au cœur des revendications, particulièrement chez les jeunes. Aussi, plutôt que de parler de la semaine de quatre jours ou de développer une sociabilité contrainte au travail, ne serait-il pas temps d’améliorer son #organisation, d’investir dans les métiers du « soin » afin de renforcer le #lien_social ?

    Enfin, la crise environnementale n’est-elle pas l’occasion de réinventer le travail, loin du cycle infernal production/ consommation comme le pense la sociologue Dominique Méda : “Je crois beaucoup à la reconversion écologique. Il faut prendre au sérieux la contrainte écologique comme moyen à la fois de créer des emplois, comme le montrent les études, mais aussi une possibilité de changer radicalement le travail en profondeur.”

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/une-organisation-en-souffrance-5912905

    #travail #audio #sens #reconnaissance #podcast #déshumanisation #grande_distribution #supermarchés #Carrefour #salariat #accidents_du_travail # location-gérance #jours_de_carence #délai_de_carence #financiarisation #traçabilité #performance #néo-taylorisme #taylorisme_numérique #contrôle #don #satisfaction #modernisation #mai_68 #individualisation #personnalisation #narcissisation #collectif #entraide #épanouissement #marges_de_manoeuvre #intensification_du_travail #efficacité #rentabilité #pression #sous-traitance #intensité_du_travail #santé_au_travail #santé #épidémie #anxiété #dépression #santé_publique #absentéisme #dégradation_des_conditions_de_travail #sommeil #identité #amour_de_soi #santé_par_le_travail #tournant_gestionnaire #gouvernance_de_l'entreprise #direction_d'entreprise #direction #règles #lois #gestionnaires #ignorance #objectifs_quantitatifs #objectifs #performance #mesurage #évaluation #traçabilité #quantification #quantitatif #qualitatif #politique_du_chiffre #flux #justice #charge_de_travail

    25’40 : #Jean-Pierre_Bandiera, ancien président du tribunal correctionnel de Nîmes :

    « On finit par oublier ce qu’on a appris à l’école nationale de la magistrature, c’est-à-dire la motivation d’un jugement... On finit par procéder par affirmation, ce qui fait qu’on gagne beaucoup de temps. On a des jugements, dès lors que la culpabilité n’est pas contestée, qui font abstraction de toute une série d’éléments qui sont pourtant importants : s’attarder sur les faits ou les expliquer de façon complète. On se contente d’une qualification développée : Monsieur Dupont est poursuivi pour avoir frauduleusement soustrait 3 véhicules, 4 téléviseurs au préjudice de Madame Durant lors d’un cambriolage » mais on n’est pas du tout en mesure après de préciser que Monsieur Dupont était l’ancien petit ami de Madame Durant ou qu’il ne connaissait absolument pas Madame Durant. Fixer les conditions dans lesquelles ce délit a été commis de manière ensuite à expliquer la personnalisation de la peine qui est quand même la mission essentielle du juge ! Il faut avoir à chaque fois qu’il nous est demandé la possibilité d’adapter au mieux la peine à l’individu. C’est très important. On finit par mettre des tarifs. Quelle horreur pour un juge ! On finit par oublier la quintessence de ce métier qui est de faire la part des choses entre l’accusation, la défense, l’auteur de faits, la victime, et essayer d’adopter une sanction qui soit la plus adaptée possible. C’est la personnalisation de la peine, c’est aussi le devenir de l’auteur de cette infraction de manière à éviter la récidive, prévoir sa resocialisation. Bref, jouer à fond le rôle du juge, ce qui, de plus en plus, est ratatiné à un rôle de distributeur de sanctions qui sont plus ou moins tarifées. Et ça c’est quelque chose qui, à la fin de ma carrière, c’est quelque chose qui me posait de véritables problèmes d’éthique, parce que je ne pensais pas ce rôle du juge comme celui-là. Du coup, la qualité de la justice finit par souffrir, incontestablement. C’est une évolution constante qui est le fruit d’une volonté politique qui, elle aussi, a été constante, de ne pas consacrer à la justice de notre pays les moyens dont elle devait disposer pour pouvoir fonctionner normalement. Et cette évolution n’a jamais jamais, en dépit de tout ce qui a pu être dit ou écrit, n’ai jamais été interrompue. Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation de détresse absolue. La France est donc ??? pénultième au niveau européen sur les moyens budgétaires consacrés à sa justice. Le Tribunal de Nîme comporte 13 procureurs, la moyenne européenne nécessiterait qu’ils soient 63, je dis bien 63 pour 13. Il y a 39 juges au Tribunal de Nîmes, pour arriver dans la moyenne européenne il en faudrait 93. Et de mémoire il y a 125 greffiers et il en faudrait 350 je crois pour être dans la moyenne. Il y avait au début de ma carrière à Nîmes 1 juge des Libertés et de la détention, il y en a aujourd’hui 2. On a multiplié les chiffres du JLD par 10. Cela pose un problème moral et un problème éthique. Un problème moral parce qu’on a le sentiment de ne pas satisfaire au rôle qui est le sien. Un problème éthique parce qu’on finit par prendre un certain nombre de recul par rapport aux valeurs que l’on a pourtant porté haut lorsqu’on a débuté cette carrière. De sorte qu’une certaine mélancolie dans un premier temps et au final un certain découragement me guettaient et m’ont parfois atteint ; mes périodes de vacances étant véritablement chaque année un moment où la décompression s’imposait sinon je n’aurais pas pu continuer dans ces conditions-là. Ce sont des heures de travail qui sont très très chargés et qui contribuent aussi à cette fatigue aujourd’hui au travail qui a entraîné aussi beaucoup de burn-out chez quelques collègues et puis même, semble-t-il, certains sont arrivés à des extrémités funestes puisqu’on a eu quelques collègues qui se sont suicidés quasiment sur place, vraisemblablement en grande partie parce que... il y avait probablement des problèmes personnels, mais aussi vraisemblablement des problèmes professionnels. Le sentiment que je vous livre aujourd’hui est un sentiment un peu partagé par la plupart de mes collègues. Après la réaction par rapport à cette situation elle peut être une réaction combative à travers des engagements syndicaux pour essayer de parvenir à faire bouger l’éléphant puisque le mammouth a déjà été utilisé par d’autres. Ces engagements syndicaux peuvent permettre cela. D’autres ont plus ou moins rapidement baissé les bras et se sont satisfaits de cette situation à défaut de pouvoir la modifier. Je ne regrette rien, je suis parti serein avec le sentiment du devoir accompli, même si je constate que en fermant la porte du tribunal derrière moi je laisse une institution judiciaire qui est bien mal en point."

    Min. 33’15, #Christophe_Dejours, psychanaliste :

    « Mais quand il fait cela, qu’il sabote la qualité de son travail, qu’il bâcle son travail de juge, tout cela, c’est un ensemble de trahisons. Premièrement, il trahi des collègues, parce que comme il réussi à faire ce qu’on lui demande en termes de quantité... on sait très bien que le chef va se servir du fait qu’il y en a un qui arrive pour dire aux autres : ’Vous devez faire la même chose. Si vous ne le faites pas, l’évaluation dont vous allez bénéficier sera mauvaise pour vous, et votre carrière... vous voulez la mutation ? Vous ne l’aurez pas !’ Vous trahissez les collègues. Vous trahissez les règles de métier, vous trahissez le justiciable, vous trahissez les avocats, vous leur couper la parole parce que vous n’avez pas le temps : ’Maître, je suis désolé, il faut qu’on avance.’ Vous maltraitez les avocats, ce qui pose des problèmes aujourd’hui assez compliqués entre avocats et magistrats. Les relations se détériorent. Vous maltraitez le justiciable. Si vous allez trop vite... l’application des peines dans les prisons... Quand vous êtes juges des enfants, il faut écouter les enfants, ça prend du temps ! Mais non, ’va vite’. Vous vous rendez compte ? C’est la maltraitance des justiciables sous l’effet d’une justice comme ça. A la fin vous trahissez la justice, et comme vous faites mal votre travail, vous trahissez l’Etat de droit. A force de trahir tous ces gens qui sont... parce que c’est des gens très mobilisés... on ne devient pas magistrat comme ça, il faut passer des concours... c’est le concours le plus difficile des concours de la fonction publique, c’est plus difficile que l’ENA l’Ecole nationale de magistrature... C’est des gens hyper engagés, hyper réglo, qui ont un sens de la justice, et vous leur faites faire quoi ? Le contraire. C’est ça la dégradation de la qualité. Donc ça conduit, à un moment donné, à la trahison de soi. Ça, ça s’appelle la souffrance éthique. C’est-à-dire, elle commence à partir du moment où j’accepte d’apporter mon concours à des actes ou à des pratiques que le sens moral réprouve. Aujourd’hui c’est le cas dans la justice, c’est le cas dans les hôpitaux, c’est le cas dans les universités, c’est le cas dans les centres de recherche. Partout dans le secteur public, où la question éthique est décisive sur la qualité du service public, vous avez des gens qui trahissent tout ça, et qui entrent dans le domaine de la souffrance éthique. Des gens souffrent dans leur travail, sauf que cette souffrance, au lieu d’être transformée en plaisir, elle s’aggrave. Les gens vont de plus en plus mal parce que le travail leur renvoie d’eux-mêmes une image lamentable. Le résultat c’est que cette trahison de soi quelques fois ça se transforme en haine de soi. Et c’est comme ça qu’à un moment donné les gens se suicident. C’est comme ça que vous avez des médecins des hôpitaux, professeurs de médecine de Paris qui sautent par la fenêtre. Il y a eu le procès Mégnien, au mois de juin. Il a sauté du 5ème étage de Georges-Pompidou. Il est mort. Comment on en arrive là ? C’est parce que les gens ont eu la possibilité de réussir un travail, de faire une oeuvre, et tout à coup on leur casse le truc. Et là vous cassez une vie. C’est pour cela que les gens se disent : ’Ce n’est pas possible, c’est tout ce que j’ai mis de moi-même, tous ces gens avec qui j’ai bossé, maintenant il faut que ça soit moi qui donne le noms des gens qu’on va virer. Je ne peux pas faire ça, ce n’est pas possible.’ Vous les obligez à faire l’inverse de ce qu’ils croient juste, de ce qu’ils croient bien. Cette organisation du travail, elle cultive ce qu’il y a de plus mauvais dans l’être humain. »

    #suicide #trahison #souffrance_éthique

    • Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail #jusqu’à_la_retraite ?

      En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des #risques_professionnels – physiques ou psychosociaux –, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d’#insoutenabillité du travail.

      Les métiers les moins qualifiés, au contact du public ou dans le secteur du soin et de l’action sociale, sont considérés par les salariés comme les moins soutenables. Les salariés jugeant leur travail insoutenable ont des carrières plus hachées que les autres et partent à la retraite plus tôt, avec des interruptions, notamment pour des raisons de santé, qui s’amplifient en fin de carrière.

      Une organisation du travail qui favorise l’#autonomie, la participation des salariés et limite l’#intensité_du_travail tend à rendre celui-ci plus soutenable. Les mobilités, notamment vers le statut d’indépendant, sont également des moyens d’échapper à l’insoutenabilité du travail, mais ces trajectoires sont peu fréquentes, surtout aux âges avancés.

      https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-facteurs-influencent-la-capacite-des-salaries-faire-
      #statistiques #chiffres

  • #Shtetl

    Juif polonais ayant survécu à l’#Holocauste, le réalisateur accompagne son ami Nathan sur la trace de sa famille, originaire de #Bransk, petite ville de #Pologne. Ils vont rencontrer Zbyszek Romaniuk, jeune Polonais féru d’histoire locale, avec qui, depuis un certain temps, Nathan est en relation épistolaire. Tous trois, en interrogeant les lieux et des témoins, tentent de retrouver les empreintes du passé juif de Bransk. Le shtetl a disparu quand 2 500 juifs furent déportés à Tréblinka... Plus tard, Zbyszek se rend aux États-Unis dans des familles juives originaires de Bransk. Mais quand ses recherches le conduisent en Israël, il se heurte à de jeunes étudiants, qui lui reprochent l’#antisémitisme polonais. De retour en Pologne, il sera au contraire critiqué et menacé à cause de son intérêt pour l’histoire juive de Bransk. Devenu maire-adjoint de la petite ville, il finira par occulter cet aspect du passé.

    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/7160_0
    #traces #histoire #mémoire #film #film_documentaire #documentaire

  • Sur les traces des colons suisses au Brésil et de leurs esclaves

    Des colons suisses ont été propriétaires d’esclaves à #Bahia au Brésil, un pan sombre de l’histoire de notre pays qui remonte au 19e siècle. Une époque de plus en plus documentée par les historiens, mais qui reste taboue.

    Dans les forêts de Bahia, au Brésil, des vestiges remontant à 150 ans témoignent d’une histoire sombre. « Là-bas, il y avait la ferme », raconte Obeny dos Santos dans l’émission Mise au Point. « Et ici en bas, les #esclaves étaient emprisonnés, torturés. » Cette ferme appartenait à des colons suisses, propriétaires d’esclaves.

    « Regardez comme la structure était bien faite », explique Obeny dos Santos, en montrant des restes de murs mangés par la végétation. « C’est là que les esclaves étaient enfermés. Ils travaillaient pendant la journée et la nuit, on les bouclait là-dedans. » Attachés par des chaînes à un poteau de métal, aucune chance de s’enfuir.

    Les autorités suisses nient

    Les autorités suisses ont toujours nié avoir pris part aux horreurs de l’esclavage. Quelques financiers et commerçants auraient bien participé à cette #exploitation_forcée, mais dans le dos de la Confédération.

    Hans Faessler, un historien engagé, conteste cette vision des choses, documents à l’appui. Aux Archives fédérales de Berne, il présente un écrit exceptionnel : un rapport que le Conseil fédéral a rédigé en 1864 pour le Parlement, et qui concerne les Suisses établis au Brésil qui possèdent des esclaves.

    Premier constat : le Conseil fédéral est bien informé de la situation. Il connaît même le prix d’un esclave, entre 4000 et 6000 francs suisses.

    « Ce rapport est vraiment un document de grande importance pour l’histoire coloniale de la Suisse », souligne Hans Faessler. « Pour la première fois, la question de l’esclavage apparaît au Parlement suisse. Dans le rapport, le Conseil fédéral admet (...) qu’il y a des Suisses, des propriétaires de #plantations, des négociants et aussi (...) des artisans qui possèdent des esclaves. »

    Ce #rapport du Conseil fédéral répond à une motion de #Wilhelm_Joos, un médecin et conseiller national schaffhousois, qui s’est rendu dans les colonies suisses de Bahia. « Apparemment, Wilhelm Joos était choqué par la réalité de l’esclavage en #Amérique_latine, au Brésil, et la première motion qu’il a déposée au Conseil national demandait des mesures pénales contre des Suisses qui possédaient des esclaves au Brésil », détaille l’historien.

    Des traces encore vives au Brésil

    Le petit village d’#Helvetia, au sud de Bahia, garde aussi des #traces de cette époque. Son nom rappelle la présence de colons vaudois, neuchâtelois ou bernois durant tout le 19e siècle. Ici, on produisait de manière intensive du #café et du #cacao, une production impossible sans esclaves, beaucoup d’esclaves.

    « Il y en avait environ 2000, ils étaient largement majoritaires. C’est pourquoi aujourd’hui à Helvetia, 95% de la population est noire », raconte Maria Aparecida Dos Santos, une habitante d’Helvetia. Ses arrière-arrière-grands-parents ont été déportés d’Angola, avant d’être vendus aux colons suisses, envoyés dans les plantations et traités comme du bétail.

    « Les esclaves vivaient tous ensemble, entassés dans une grande écurie commune », décrit-elle. « Ils n’avaient pas d’intimité, pas de liberté, pas de dignité. Les colons violaient les femmes noires. »

    Et de souligner encore une autre pratique des colons : « Ces femmes noires étaient aussi considérées comme des reproductrices, donc les colons réunissaient des hommes forts et des femmes fortes pour fabriquer des enfants forts destinés spécifiquement à travailler dans les plantations ».

    Pour elle, cette histoire est « tellement triste que les gens essayent de l’oublier ». Même si depuis des années, des livres d’histoire racontent ces faits, « pour les gens, ces histoires ont représenté tant de #souffrance qu’ils ont essayé de les effacer de leur #mémoire, et donc de l’effacer de l’histoire ».

    Selon les autorités suisses de l’époque, « aucun crime » à dénoncer

    Les propriétaires suisses d’esclaves n’ont jamais été inquiétés par les autorités helvétiques. Pire, le Conseil fédéral de l’époque prend la défense des colons.

    « Le Conseil fédéral dit que l’esclavage pour ces Suisses est avantageux, et qu’il est normal », montre l’historien Hans Faessler dans le rapport. « Et il est impossible de priver ces ’pauvres’ Suisses de leur propriété qu’ils ont acquise légalement. »

    Selon le Conseil fédéral de 1864, ce n’est pas l’esclavage qui est injuste et contre la moralité, puisqu’il n’implique aucun #crime. Au contraire, aux yeux du gouvernement de l’époque, c’est « pénaliser les Suisses qui possèdent des esclaves qui serait injuste, contre la #moralité et constituerait un acte de violence ».

    « Le Conseil fédéral devient le dernier gouvernement de l’Occident qui banalise, qui justifie et qui excuse le crime de l’esclavage », insiste Hans Faessler. A cette date, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont déjà aboli l’esclavage. Les Etats-Unis mettront eux un terme à cette pratique en décembre 1865.

    « Les esclaves travaillaient du lever au coucher du soleil »

    A quelques kilomètres d’#Ilheus, se trouve la #Fazenda_Vitoria, « Ferme de la victoire », l’une des plus grandes exploitations de la région. Près de 200 esclaves y cultivaient la #canne_à_sucre. Aujourd’hui la ferme est à l’abandon et son accès est interdit.

    Depuis plus de 40 ans, Roberto Carlos Rodriguez documente l’histoire de cette exploitation, où ses aïeux ont travaillé comme esclaves, et celle de ses propriétaires suisses.

    « #Fernando_von_Steiger était le deuxième plus grand propriétaire d’Africains réduits en esclavage dans le sud de Bahia », raconte Roberto Carlos Rodriguez. « Ici, les esclaves travaillaient du lever au coucher du soleil. Ils se réveillaient à cinq heures du matin, devaient donner le salut au patron. Ensuite, ils commençaient le travail. C’était un travail difficile et, comme dans d’autres fermes, l’esclave vivait très peu de temps. Au Brésil, l’espérance de vie d’un esclave était de sept ans. »

    Quand on évoque avec Roberto Carlos Rodriguez l’implication des autorités suisses dans l’esclavage, la colère se fait froide.

    « Cette ferme a été exploitée au plus fort de l’esclavage par deux Suisses. #Gabriel_Mai et Fernando von Steiger ont été financés par des maisons de commerces suisses », souligne-t-il. « De ce point de vue, il est de notoriété publique que le gouvernement suisse a investi dans l’esclavage par l’intermédiaire de ces #maisons_de_commerce. Dire que la Suisse n’a pas contribué à l’esclavage, c’est comme dire que le soleil ne s’est pas levé ce matin. »

    Quelle réaction aujourd’hui ?

    La conseillère nationale socialiste bâloise Samira Marti a déposé en 2022 une interpellation qui demande au Conseil fédéral de se positionner sur le rapport de 1864. C’est la 8e interpellation en une vingtaine d’années. A chaque fois, la réponse du Conseil fédéral est la même : « Les autorités fédérales d’alors ont agi conformément aux normes des années 1860 ».

    « C’est un peu scandaleux que le Conseil fédéral dise toujours que c’était seulement l’esprit du temps. Et que ce n’était pas l’Etat qui s’engageait dans l’esclavage », réagit l’élue bâloise. « Ce n’était vraiment pas normal. (...) Et la Suisse a quand même continué à accepter l’esclavage », souligne Samira Marti.

    L’élue socialiste réclame de la clarté de la part du gouvernement sur cette vision de l’histoire. « C’est important qu’aujourd’hui, le Conseil fédéral soit assez clair (...). Aussi pour aujourd’hui, aussi pour le futur, sur les discussions sur le racisme, sur l’inégalité globalement. » Et d’appeler même le gouvernement à corriger cette vision de l’histoire.

    Peur d’éventuelles demandes de réparation, embarras face aux compromissions passées, les autorités fédérales s’accrochent pour l’instant à leur version de l’histoire. Elles ont refusé toutes les demandes d’interview de Mise au Point.

    Dans l’autre Helvetia, même si l’exercice de la mémoire est aussi douloureux, Maria Aparecida Dos Santos espère trouver dans le passé des réponses à son présent et à celui de sa communauté. « J’ai envie aujourd’hui de faire des recherches parce que je sais qu’il existe des historiens à Salvador de Bahia qui travaillent sur le sujet. Il y a des livres qui racontent ce qui s’est passé à cette époque. Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas ma propre histoire, et ça, ça suscite en moi un vide, une sensation intérieure forte… très forte. »

    https://www.rts.ch/info/suisse/14644060-sur-les-traces-des-colons-suisses-au-bresil-et-de-leurs-esclaves.html

    #Brésil #Suisse #histoire #histoire_coloniale #colonialisme #colonisation #Suisse_coloniale #esclavage #torture #tabou

    –—

    ajouté à la métaliste sur la #Suisse_coloniale :
    https://seenthis.net/messages/868109

    ping @cede

  • UK Migrant GPS Tracking Challenges

    PI filed witness evidence in two cases brought by migrants against their GPS tracking by the UK immigration authorities.

    Privacy International provided witness evidence in two cases (ADL & others v SSHD, and Nelson v SSHD) in support of the Claimants’ claim for judicial review.
    What these cases are about
    ADL & others v Secretary of State for the Home Department

    This case is the first in the UK to get permission before the Administrative Court for judicial review of the Home Office’s GPS tagging of migrants. The Claimants are challenging the decisions of the Secretary of State for the Home Department ("Home Office") to subject them to Electronic Monitoring immigration bail conditions.

    The monitoring is carried out through Global Positioning System ("GPS") ankle trackers. These GPS tracking conditions are highly intrusive surveillance measures. They enable the Home Office to track anyone without immigration status in real time and on a 24/7 basis. The Home Office also states in its Immigration Bail guidance that it will retain the location data generated by the devices for a period of 6 years after they are removed, and may use historical trail data to assess people’s claims to a right to be in the UK on the basis of their right to private and family life.

    The claim challenges the imposition of GPS tracking and the retention of location data on the basis that it fails to comply with Article 8 of the European Convention on Human Rights.
    Nelson v Secretary of State for the Home Department

    This case was brought by Mark Nelson, a car mechanic and father of five. The claim will be heard in the Upper Tribunal. The Claimant is also challenging the imposition of GPS tagging as a disproportionate and unlawful breach of his right to a private and family life under Article 8 of the ECHR. He is further claiming that the government has no lawful authority to require people to wear broken tag (the Claimant’s tag has been malfunctioning for months), amounting to an undemocratic and arbitrary exercise of power.
    What PI argued in its evidence

    PI’s witness evidence in the ADL case demonstrated the particularly invasive nature of GPS technology and the intrusive ways it has been rolled out by the Home Office. It also explained how tracking an individual at all times can reveal highly sensitive data about them including information relating to their sexuality, political opinion, and even their ethnic origin. The evidence highlighted the frequency with which inaccuracies can arise in the location data collected by the devices with reference to research carried out by PI’s technologists. It also underlined the significant consequences inaccurate location data could have for an individual’s immigration proceedings. In these ways, PI’s witness evidence built on the ongoing complaints before the Information Commissioner’s Office and the Forensic Science Regulator, which challenge both the quality of the devices used by the Home Office and their compliance with data protection laws.

    PI’s witness evidence in the Nelson case similarly explained the the GPS tags’ functioning and data collection relying on the research conducted by PI’s technologists, and exposed data reliability concerns. It also questioned the Home Office’s explanation of the malfunctioning of the Claimant’s tag.
    Case updates

    On 28 March 2023 the ADL & others claim was granted permission to proceed to a final hearing by the Administrative Court.

    The Nelson case is listed to be heard on 10 and 13 November 2023 in the Upper Tribunal.

    https://privacyinternational.org/legal-action/uk-migrant-gps-tracking-challenges
    #tracking #GPS #géolocalisation #surveillance #migrations #réfugiés #Angleterre #UK #justice

  • Violences

    Dans sa nouvelle création qui prend le titre de « Violences », Léa Drouet s’attache surtout à nous faire passer de l’autre côté des gros intitulés. Le long d’une écriture sensible qui se compose au croisement du corps, du son et de la scénographie, elle nous conduit sur le bord des images de la violence telles qu’elles sont agencées pour nous choquer et, nous sidérant, nous empêcher non seulement d’agir mais déjà de sentir.

    Résister à l’assignation à la passivité commence peut-être ici : pouvoir éprouver et expérimenter. Reprendre l’expérience de la violence non plus seulement en tant qu’elle est subie par les uns et exercée par les autres, mais en tant qu’elle nous traverse tous et chacun. La violence n’est pas que le lot d’un pouvoir qui nous rend impuissants. Elle est aussi une puissance que nous pouvons déployer pour reprendre des capacités de voir, d’agir et de vivre autrement. Seule en scène, Léa Drouet commence par suivre le parcours de sa grand-mère Mado qui, petite fille, dut traverser des champs et des routes pour échapper à la rafle du Vél d’Hiv’. À partir de là, la metteuse en scène retrace la traversée des frontières qui conduit aujourd’hui d’autres enfants à perdre la vie. Dans les interstices qui séparent les morts que l’on compte de toutes les morts qui ne comptent pas, elle tente de recomposer des mémoires ainsi que des histoires pour l’avenir. L’artiste agit sur un espace principalement composé de sables, évoquant des territoires fracturés, séparés par des frontières ou abîmés par des tours. Si le sable sait parfaitement recouvrir les traces et effacer les marques de violence, il est aussi porteur d’empreintes. Léa Drouet façonne ce paysage où le corps engagé passe du témoin à l’actrice et de l’actrice à la narratrice, comme si les lignes de rupture permettaient surtout des rencontres nouvelles. Alors émergent peu à peu d’autres positionnements, d’autres possibilités d’action et d’autres attentions au détail et au petit. Car c’est peut-être dans la fragilité des grains de sable que se distinguent les fondements, friables et solides à la fois, d’un monde capable d’assumer ses conflits autrement que sous la forme du champ de bataille et de l’État de guerre généralisé.

    -- Camille Louis, Dramaturge

    https://vimeo.com/504326442

    https://vaisseau-leadrouet.com/projet/violences

    #frontières #morts_aux_frontières #mourir_aux_frontières #asile #migrations #réfugiés #violence #art_et_politique #art #théâtre #impuissance #puissance #Léa_Drouet #mémoire #traces #sable #empreintes #conflits

  • Les « traces fragiles » des #rescapés arméniens du #génocide

    L’historienne #Anouche_Kunth publie « Au bord de l’effacement », une enquête délicate sur la marque du passé génocidaire dans les formalités administratives accomplies par les exilés arméniens en France, dans l’entre-deux-guerres.

    Des documents qui racontent « par en dessous » un génocide attesté, quoique toujours nié par les puissances qui l’ont perpétré. Voilà la matière première des recherches de notre invitée, Anouche Kunth, chargée de recherche au CNRS et autrice d’Au bord de l’effacement. Sur les pas d’exilés arméniens dans l’entre-deux-guerres (La Découverte).

    Dans ce livre, l’historienne part de duplicatas de certificats d’identité, autrefois délivrés par l’Office des réfugiés arméniens, et aujourd’hui conservés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Sous les apparences d’un style bureaucratique, ils offrent aussi, à qui les étudie patiemment, des marques, des ratures et des remarques annexes, qui font écho aux violences, aux spoliations et aux déplacements subis par une population entière, en raison de ses origines.

    Parce que ces documents étaient nécessaires à des unions ou à des départs pour d’autres contrées, ils témoignent aussi des vies reconstruites, et transmises, par les personnes exilées. En ce sens, le travail d’Anouche Kunth contribue à conjurer, sur le plan mémoriel, une « guerre d’extermination de cent ans » dénoncée dans nos colonnes par l’historien Vincent Duclert, auteur d’Arménie. Un génocide sans fin et le monde qui s’éteint (Les Belles Lettres).

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/101123/les-traces-fragiles-des-rescapes-armeniens-du-genocide
    #arméniens #livre #histoire #traces

    • Au bord de l’effacement. Sur les pas d’exilés arméniens dans l’entre-deux-guerres

      Nom, prénom, date et lieu de naissance : trop peu de mots, sur ces certificats administratifs, pour écrire l’histoire de chaque personne épinglée à son état civil, enfoncée dans le sillon de ses empreintes digitales. À mieux les regarder cependant, ces #documents_d'identité portent les marques de bifurcations multiples, de ruptures radicales survenues dans les trajectoires d’Arméniens originaires de l’Empire ottoman et #réfugiés en France au lendemain de la Première Guerre mondiale. La paix, en effet, n’a pas permis aux survivants du génocide (1915-1916) de retourner vivre en Turquie, à la suite des politiques d’exclusion mises en œuvre par le régime kémaliste.
      L’étonnant, ici, n’est pas que l’exil soit affaire de routes, de maisons détruites ou spoliées, de naissances en chemin, de contrats de travail signés à distance, de débarquements à Marseille, de morts précoces et de nouveaux départs vers les Amériques. Mais que d’infimes #traces de ces vies déplacées se soient déposées au détour de formalités ordinaires. Par petites touches, le passé étend ses ombres à travers les liasses.
      Le travail d’Anouche Kunth, d’une rare délicatesse, conjure la #violence de l’#effacement.

      https://www.editionsladecouverte.fr/au_bord_de_l_effacement-9782348057908

  • Réhumaniser les personnes décédées en Méditerranée

    Au-delà d’un bilan chiffré, les personnes décédées sont des personnes, avec une histoire et des proches. Dans un contexte de guerre comme un contexte migratoire, lutter contre la #déshumanisation permet à plusieurs acteurs de faire passer des messages politiques.

    Il y a d’abord ces noms, écrits au stylo sur les bras par des enfants de Gaza et dont les images ont circulé sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Un prénom, une date de naissance, pour être identifié, pour dire qu’on a existé. Alors que dans la nuit de vendredi 27 à samedi 28 octobre la guerre en Israël et en Palestine est entrée dans une nouvelle phase selon les termes de l’état-major israélien, les Palestiniens bloqués au nord de Gaza subissent des bombardements intensifs. Le territoire est d’ailleurs aujourd’hui décrit comme un “champ de bataille” par l’armée israélienne.

    Jour après jour, les bilans sont diffusés. Le Hamas, qui a pris le pouvoir sur #Gaza depuis 2007, publie le décompte quotidien des victimes du conflit côté palestinien. Des chiffres repris dans les médias qui donnent l’impression d’une masse d’êtres humains non-identifiables ; plus de 8 000 personnes décédées à ce jour, dont 40% sont des enfants selon l’ONG Save the Children qui publiait dimanche 29 octobre un communiqué pour alerter sur cette réalité : 3 257 enfants sont morts depuis le début de l’offensive israélienne en réponse aux attaques meurtrières du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre. En trois semaines, le nombre d’enfants tués a dépassé le bilan de l’année 2019.

    A ce jour, l’OMS indique également qu’un millier de corps non identifiés seraient ensevelis sous les décombres à Gaza. Derrière les statistiques, la peur d’être oublié, que son corps disparaisse sans identité, comme le rappelle les mots de la journaliste palestinienne Plestia Alaqad qui rend compte du conflit sur son compte Instagram : “je perds mes mots à ce stade… à chaque minute, Gaza pourrait être effacée et personne ne saurait rien… je pourrais être tuée à chaque instant, et le plus effrayant est que peut-être, personne n’arrivera à retrouver mon corps mort, et il n’y aura peut être plus rien de moi-même à enterrer”, a-t-elle écrit le 28 octobre alors qu’Israël annonçait lancer la seconde phase de son offensive sur Gaza et intensifiait les bombardements sur l’enclave.

    Ces chiffres égrenés au fil des semaines rappellent d’autres drames, d’autres disparitions silencieuses et invisibles. En Palestine, comme en haute mer depuis le début des années 2010, invisibiliser, nier la présence des corps participe au processus de déshumanisation. Il vient illustrer la hiérarchie des décès entre ceux que l’on montre, que l’on médiatise et que l’on prend en compte et ceux que certains préfèrent laisser dans une masse incertaine. Dans les différents cas, il y a les dominés et les dominants. Un processus politique qui n’est pas inéluctable et qu’il est possible de dénoncer et de dépasser.

    Au-delà des bilans qui paraissent importants à diffuser pour montrer l’ampleur du drame qui se joue à Gaza, certains souhaitent donc aujourd’hui réhumaniser les victimes, mettre un visage, un parcours, une histoire pour ne pas oublier que sous les bombes se sont des humains qui disparaissent : “On peut continuer à rafraîchir le bilan du nombre de morts à Gaza de manière froide et désintéressée ou bien on peut considérer que ces femmes, ces hommes, ont des visages, des noms, des histoires”, explique le journaliste du Parisien Merwane Mehadji sur le réseau social X (anciennement Twitter). Sur son compte, il publie des photos et des courtes biographies de certains des invisibles décédés à Gaza : l’autrice Heba Abu Nada, 32 ans, Ibraheem Lafi, photoreporter, 21 ans, Areej, dentiste, 25 ans qui devait se marier dans quelques jours.

    Sur le site de l’ONG Visualizing Palestine c’est la campagne We Had Dreams qui met des mots sur les peurs et les aspirations des personnes prises au piège dans Gaza bombardée :

    “Si je meurs, rappelez-vous que nous étions des individus, des humains, que nous avions des noms, des rêves, des projets et que notre seul défaut était d’être classé comme inférieurs », Belal Aldbabbour.

    Ces initiatives posent un des enjeux actuels du conflit : mettre un visage c’est humaniser les #victimes alors que dans de nombreuses déclarations de responsables politiques en Europe et aux États-Unis, il est courant de parler uniquement du Hamas comme cible des Israéliens. Hillary Clinton dit ainsi “ceux qui demandent un cessez-le-feu ne comprennent pas qui est le Hamas”. Cela revient alors à annuler la présence de civils à Gaza ou à faire des habitants des terroristes.

    https://twitter.com/CBSEveningNews/status/1718681711133794405

    Du côté des autorités israéliennes, certaines personnalités politiques nient même l’humanité des habitants de Gaza : « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », déclarait ainsi le ministre XX le XX octobre.

    “Nous sommes en présence d’un désir d’éradiquer les Palestinien.ne.s, si ce n’est de la terre, de la vie politique terrestre”, analyse la chercheuse Samera Esmeir au regard de cette déclaration. Dans un article publié en anglais sur le site du média égyptien Mada Masr, elle explique : “ Nous sommes en présence d’une entreprise coloniale qui tente de détruire ce qui a échappé à la destruction pendant et après les cycles précédents de conquête et de dévastation – cycles qui ont commencé en 1948. Nous sommes en présence d’une volonté coloniale d’effacer l’autochtone.” Remontant l’histoire de la création de l’État d’Israël, la professeure associée du département de rhétorique de l’université de Berkeley en Grande-Bretagne développe pour démontrer la construction au fil des années d’une dénégation d’accorder un statut civil aux Palestiniens : “La société palestinienne a été détruite en 1948. Les territoires occupés en 1967 ont été délibérément fragmentés, déconnectés et séparés par des colonies. Il n’y a pas de forme d’État, d’armée permanente, d’étendue de territoire ou de position civile. Au lieu de cela, il y a de nombreux camps de réfugiés, des familles dépossédées et des sujets en lutte. Tout ce qui pourrait favoriser la normalité civile est déjà visé par l’occupation israélienne, qu’il s’agisse de maisons, d’écoles, d’ONG, de centres culturels ou d’universités. Comparée à l’autre côté de la ligne verte, la vie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où se concentre la violence israélienne à l’encontre des Palestinien.ne.s, n’autorise aucune normalité civile”.

    Selon les statistiques de l’ONG israélienne pour la défense des droits humains B’Tselem, plus de 10 500 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis le début de la 2nde Intifada en 2000. L’ONG a entrepris un travail de vérification de chaque décès, que la personne soit palestinienne, israélienne ou étrangère : “B’Tselem examine les circonstances de chaque décès, notamment en recensant les témoignages oculaires lorsque cela est possible et en rassemblant des documents officiels (copies de pièces d’identité, actes de décès et dossiers médicaux), des photographies et des séquences vidéo”, peut-on lire sur le site de l’organisation. Un travail de recensement et d’identification qui répond également à l’enjeu de garder traces des victimes du conflit au fil des années. Une position que l’organisation défend depuis sa création : “Depuis la création de B’Tselem en 1989, nous documentons, recherchons et publions des statistiques, des témoignages, des séquences vidéo, des prises de position et des rapports sur les violations des droits humains commises par Israël dans les territoires occupés.”, peut-on lire sur le site internet de l’ONG. Une position énoncée dans le nom même de l’association puisque B’Tselem signifie en Hébreu “à l’image de” selon un verset de la Genèse (premier livre de la Torah juive et de la Bible chrétienne) qui considère : “Le nom exprime l’attendu moral universel et juif de respecter et de faire respecter les droits humains de tous”.

    Un enjeu qui rappelle celui de la disparition de personnes migrantes anonymes en Méditerranée. Des corps avalés par la mer que la médecin légiste italienne #Cristina_Cattaneo et son équipe tentent, elles-aussi, d’identifier. Son livre Naufragés sans visage a été traduit en français en 2019. Une manière de lutter contre la figure du migrant qui devient parfois une entité abstraite, notamment dans les discours politiques des extrêmes en Europe. “Lorsque l’on identifie ces gens, il est aussi plus difficile de détourner les yeux de la situation”, expliquait-elle au micro de France Culture. Un travail qu’elle réalise au sein de l’université de Milan depuis 1995 au début à propos des inconnus de la rue décédés. En 2013, les inconnus de la migration prennent de plus en plus de place dans son travail du fait de la catastrophe grandissante en haute mer.

    Comme à Gaza, les personnes migrantes sont conscientes de la possibilité de disparaître sans laisser de #traces. Dans son travail à la frontière entre l’Espagne et le Maroc, l’anthropologue #Carolina_Kobelinsky relève : « Toutes les personnes rencontrées parlent de la mort, des morts laissés en route, des stratégies pour y faire face. De l’éventualité de sa propre mort. La mort est présente dans les discours quotidiennement, autant que la musique, le foot,… ». Elle décide donc d’intégrer à son terrain de recherche l’omniprésence de la mort comme potentialité dans les #récits des personnes qui traversent la frontière. A la frontière entre le Maroc et l’Espagne au niveau de Melilla et Nador, il est aussi question de la disparition des corps à la « barrière », notamment lors des confrontations avec la gendarmerie marocaine ou la guardia civile espagnole.

    « Ces #corps disparaissent : enterrés dans des #fosses_communes, avalés par la terre, toutes sortes de théories circulent parmi les migrants. Cela renforce l’idée qu’il s’agit non seulement d’une #peur de la mort mais encore plus celle de la #disparition_totale. Ils sont partis comme anonymes socialement, et ils atteignent l’#anonymat de la mort avec la #volatilisation du corps. »

    « Le plus important pour les jeunes rencontrés est de mettre en place une #stratégie pour faire en sorte que les familles reçoivent la nouvelle du décès. Interviennent alors de véritables « #pactes », où l’on apprend le numéro de téléphone par cœur de la famille de l’autre pour faire passer ce message : « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour avoir une vie meilleure », jusqu’à la mort.

    https://www.1538mediterranee.com/rehumaniser-les-personnes-decedees-en-mediterranee
    #décès #humanisation #réhumanisation #migrations #guerre #mort #morts #identification

  • Gericht untersagt Datenschutzverstöße von LinkedIn | Verbraucherzentrale Bundesverband
    https://www.vzbv.de/urteile/gericht-untersagt-datenschutzverstoesse-von-linkedin

    Das soziale Netzwerk LinkedIn darf auf seiner Webseite nicht mehr mitteilen, dass es auf „Do-Not-Track“-Signale nicht reagiert, mit denen Nutzer:innen der Nachverfolgung („Tracking“) ihres Surfverhaltens per Browsereinstellung widersprechen. Das hat das Landgericht Berlin nach einer Klage des Verbraucherzentrale Bundesverbands (vzbv) entschieden. Das Gericht untersagte dem Unternehmen außerdem eine Voreinstellung, nach der das Profil des Mitglieds auch auf anderen Webseiten und Anwendungen sichtbar ist. Bereits im vergangenen Jahr hatte das Gericht den ungebetenen Versand von E-Mails an Nichtmitglieder untersagt.

    „Wenn Verbraucher:innen die ,Do-Not-Track‘-Funktion ihres Browsers aktivieren, ist das eine klare Botschaft: Sie wollen nicht, dass ihr Surfverhalten für Werbe- und andere Zwecke ausgespäht wird“, sagt Rosemarie Rodden, Rechtsreferenin beim vzbv. „Webseitenbetreiber müssen dieses Signal respektieren.“

    Traduction :

    Le réseau social LinkedIn n’a plus le droit d’indiquer sur son site web qu’il ne réagit pas aux signaux « Do Not Track », par lesquels les utilisateurs s’opposent au suivi ("tracking") de leur comportement de navigation par le biais des paramètres de leur navigateur. C’est ce qu’a décidé le tribunal de grande instance de Berlin suite à une plainte de la Fédération allemande des consommateurs (vzbv). Le tribunal a également interdit à l’entreprise de procéder à un réglage par défaut selon lequel le profil du membre est également visible sur d’autres sites web et applications. L’année dernière, le tribunal avait déjà interdit l’envoi d’e-mails non sollicités à des non-membres.

    « Lorsque les consommateurs activent la fonction ’Do Not Track’ de leur navigateur, ils envoient un message clair : ils ne veulent pas que leur comportement de navigation soit espionné à des fins publicitaires ou autres », explique Rosemarie Rodden, conseillère juridique de la vzbv. « Les exploitants de sites web doivent respecter ce signal ».

    #donotrack #do_not_track #publicité #tracking

  • J’ai testé l’appli Exodus Privacy
    Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’avais envie de savoir ce qu’il en était.

    A comme Arte ou ATInternet

    Le scan effectué sur mon téléphone par Exodus retourne ses résultats par ordre alphabétique. Ainsi, j’ai en premier lieu découvert que l’appli d’Arte (le média franco-allemand de service public) contenait six traqueurs différents. Parmi eux, celui émis par une grosse firme appelée Nielsen, qui promet de « révéler le sentiment du consommateur face à sa situation financière, d’en explorer le comportement et l’impact sur les dépenses, et son évolution dans le temps » (traduit de l’anglais).

    #surveillance #marketing #arte #vie_privee #privacy #services_publics #tracking

  • Rencontre avec Exodus Privacy : traquer les “trackers”

    On sait déjà, comme le dit l’adage, que « si c’est gratuit, c’est vous le produit » - ce qui se traduit pour beaucoup d’entre nous par l’idée un peu vague d’accepter de la publicité personnalisée. Les membres de l’association Exodus Privacy se sont donné la tâche de répertorier rigoureusement, parmi les différents « trackers » (pisteurs ou traqueurs en français) existants, ceux présents dans les applications gratuites installées sur les smartphones Android.

    https://www.curseurs.be/numeros/numero-1/article/rencontre-avec-exodus-privacy-traquer-les-trackers

    #tracking #surveillance #smartphones #vie_privee #privacy

  • #Francesco_Sebregondi : « On ne peut pas dissocier les violences policières de la question du racisme »

    Après avoir travaillé pour #Forensic_Architecture sur les morts d’#Adama_Traoré et de #Zineb_Redouane, l’architecte #Francesco_Sebregondi a créé INDEX, pour enquêter sur les #violences_d’État et en particulier sur les violences policières en #France et depuis la France. Publié plusieurs semaines avant la mort de Nahel M., cet entretien mérite d’être relu attentivement. Rediffusion d’un entretien du 22 avril 2023

    C’est en 2010 que l’architecte, chercheur et activiste Eyal Weizman crée au Goldsmiths College de Londres un groupe de recherche pluridisciplinaire qui fera date : Forensic Architecture. L’Architecture forensique avait déjà fait l’objet d’un entretien dans AOC.

    Cette méthode bien particulière avait été créée à l’origine pour enquêter sur les crimes de guerre et les violations des droits humains en utilisant les outils de l’architecture. Depuis, le groupe a essaimé dans différentes parties du monde, créant #Investigative_Commons, une communauté de pratiques rassemblant des agences d’investigation, des activistes, des journalistes, des institutions culturelles, des scientifiques et artistes (la réalisatrice Laura Poitras en fait partie), etc. Fondé par l’architecte Francesco Sebregondi à Paris en 2020, #INDEX est l’une d’entre elles. Entre agence d’expertise indépendante et média d’investigation, INDEX enquête sur les violences d’État et en particulier sur les violences policières en France et depuis la France. Alors que les violences se multiplient dans le cadre des mouvements sociaux, comment « faire en sorte que l’État même s’équipe de mécanismes qui limitent les excès qui lui sont inhérents » ? Si la vérité est en ruines, comment la rétablir ? OR

    Vous avez monté l’agence d’investigation INDEX après avoir longtemps travaillé avec Forensic Architecture. Racontez-nous…
    Forensic Architecture est né en 2010 à Goldsmiths à Londres. À l’origine, c’était un projet de recherche assez expérimental, pionnier dans son genre, qui cherchait à utiliser les outils de l’architecture pour enquêter sur les violations des #droits_humains et en particulier du droit de la guerre. La période était charnière : avec l’émergence des réseaux sociaux et des smartphones, les images prises par des témoins étaient diffusées très rapidement sur des réseaux souvent anonymes. La quantité d’#images et de #documentation_visuelle disponible commençait à augmenter de manière exponentielle et la démocratisation de l’accès à l’#imagerie_satellitaire permettait de suivre d’un point de vue désincarné l’évolution d’un territoire et les #traces qui s’y inscrivaient. La notion de #trace est importante car c’est ce qui nous relie à la tradition de l’enquête appliquée plus spécifiquement au champ spatial. Les traces que la #guerre laisse dans l’#environnement_urbain sont autant de points de départ pour reconstruire les événements. On applique à ces traces une série de techniques d’analyse architecturale et spatiale qui nous permettent de remonter à l’événement. Les traces sont aussi dans les documents numériques, les images et les vidéos. Une large partie de notre travail est une forme d’archéologie des pixels qui va chercher dans la matérialité même des documents numériques. On peut reconstituer les événements passés, par exemple redéployer une scène en volume, à partir de ses traces numériques en image.

    Quels en ont été les champs d’application ?
    À partir du travail sur les conflits armés, au sein de Forensic Architecture, on a développé une série de techniques et de recherches qui s’appliquent à une variété d’autres domaines. On commençait à travailler sur les violences aux frontières avec le projet de Lorenzo Pezzani et Charles Zeller sur les bateaux de migrants laissés sans assistance aux frontières méditerranéennes de l’Europe, à des cas de #violences_environnementales ou à des cas de violences policières… L’origine de notre approche dans l’enquête sur des crimes de guerre faisait qu’on avait tendance à porter un regard, depuis notre base à Londres, vers les frontières conflictuelles du monde Occidental. On s’est alors rendus compte que les violences d’État qui avaient lieu dans des contextes plus proches de nous, que ce soit en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Grèce, pouvaient bénéficier d’un éclairage qui mobiliserait les mêmes techniques et approches qu’on avait à l’origine développées pour des situations de conflits armés. Tout cela est en lien assez direct avec la militarisation de la #police un peu partout dans le Nord global, le contexte occidental, que ce soit au niveau des #armes utilisées qu’au niveau des #stratégies employées pour maintenir l’ordre.

    La France vous a ensuite semblé être un pays depuis lequel enquêter ?
    Je suis revenu vivre en France en 2018 en plein milieu de la crise sociale autour du mouvement des Gilets jaunes et de son intense répression policière. Dès ce moment-là, il m’a semblé important d’essayer d’employer nos techniques d’enquête par l’espace et les images pour éclairer ce qui était en train de se passer. On en parlait aussi beaucoup. En 2020, j’ai dirigé les enquêtes sur la mort d’Adama Traoré et de Zineb Redouane pour le compte de Forensic Architecture depuis la France avec une équipe principalement française. C’était une période d’incubation d’INDEX en quelque sorte. Ces enquêtes ont initié notre travail sur le contexte français en rassemblant des moyens et une équipe locale.
    On est aujourd’hui dans un rapport de filiation assez clair avec Forensic Architecture même si INDEX est structurellement autonome. Les deux organisations sont très étroitement liées et entretiennent des relations d’échange, de partage de ressources, etc. Tout comme Forensic Architecture, INDEX est l’une des organisations du réseau international Investigative Commons qui fédère une douzaine de structures d’investigation indépendantes dans différents pays et qui travaillent à l’emploi des techniques d’enquêtes en sources ouvertes dans des contextes locaux.

    Il existe donc d’autres structures comme INDEX ?
    Elles sont en train d’émerger. On est dans cette phase charnière très intéressante. On passe d’une organisation reconnue comme pionnière dans l’innovation et les nouvelles techniques d’enquête à tout un champ de pratiques qui a encore beaucoup de marge de développement et qui, en se frottant à des contextes locaux ou spécifiques, vient éprouver sa capacité à interpeller l’opinion, à faire changer certaines pratiques, à demander de la transparence et des comptes aux autorités qui se rendent responsables de certaines violences.

    On utilise depuis toujours le terme d’enquête dans les sciences humaines et sociales mais l’on voit aujourd’hui que les architectes, les artistes s’en emparent, dans des contextes tous très différents. Qu’est-ce que l’enquête pour INDEX ?
    On emploie le terme d’#enquête dans un sens peut-être plus littéral que son usage en sciences humaines ou en recherche car il est question de faire la lumière sur les circonstances d’un incident et d’établir des rapports de causalité dans leur déroulement, si ce n’est de responsabilité. Il y a aussi cette idée de suivre une trace. On travaille vraiment essentiellement sur une matière factuelle. L’enquête, c’est une pratique qui permet de faire émerger une relation, un #récit qui unit une série de traces dans un ensemble cohérent et convaincant. Dans notre travail, il y a aussi la notion d’#expertise. Le nom INDEX est une contraction de « independant expertise ». C’est aussi une référence à la racine latine d’indice. Nous cherchons à nous réapproprier la notion d’expertise, trop souvent dévoyée, en particulier dans les affaires de violences d’État sur lesquelles on travaille.

    Vos enquêtes s’appuient beaucoup sur les travaux d’Hannah Arendt et notamment sur Vérité et politique qui date de 1964.
    On s’appuie beaucoup sur la distinction que Hannah Arendt fait entre #vérité_de_fait et #vérité_de_raison, en expliquant que les vérités de fait sont des propositions qui s’appuient sur l’extérieur, vérifiables, et dont la valeur de vérité n’est possible qu’en relation avec d’autres propositions et d’autres éléments, en particuliers matériels. La vérité de raison, elle, fait appel à un système de pensée auquel on doit adhérer. C’est à partir de cette distinction qu’Arendt déploie les raisons pour lesquelles #vérité et #politique sont toujours en tension et comment la pratique du politique doit s’appuyer sur une série de vérités de raison, sur l’adhésion d’un peuple à une série de principes que le pouvoir en place est censé incarner. Ainsi, le pouvoir, dépendant de cette adhésion, doit tenir à distance les éléments factuels qui viendraient remettre en cause ces principes. C’est ce qu’on essaye de déjouer en remettant au centre des discussions, au cœur du débat et de l’espace public des vérités de fait, même quand elles sont en friction avec des « #vérités_officielles ».
    Du temps d’Hannah Arendt, le politique avait encore les moyens d’empêcher la vérité par le régime du secret. C’est beaucoup moins le cas dans les conditions médiatiques contemporaines : le problème du secret tend à céder le pas au problème inverse, celui de l’excès d’informations. Dans cet excès, les faits et la vérité peuvent se noyer et venir à manquer. On entend alors parler de faits alternatifs, on entre dans la post-vérité, qui est en fait une négation pure et simple de la dimension sociale et partagée de la vérité. Si on veut résister à ce processus, si on veut réaffirmer l’exigence de vérité comme un #bien_commun essentiel à toute société, alors, face à ces défis nouveaux, on doit faire évoluer son approche et ses pratiques. Beaucoup des techniques développées d’abord avec Forensic Architecture et maintenant avec INDEX cherchent à développer une culture de l’enquête et de la #vérification. Ce sont des moyens éprouvés pour mettre la mise en relation de cette masse critique de données pour faire émerger du sens, de manière inclusive et participative autant que possible.

    L’#architecture_forensique, même si elle est pluridisciplinaire, s’appuie sur des méthodes d’architecture. En quoi est-ce particulièrement pertinent aujourd’hui ?
    L’une des techniques qui est devenue la plus essentielle dans les enquêtes que l’on produit est l’utilisation d’un modèle 3D pour resituer des images et des vidéos d’un événement afin de les recouper entre elles. Aujourd’hui, il y a souvent une masse d’images disponibles d’un événement. Leur intérêt documentaire réside moins dans l’individualité d’une image que sur la trame de relations entre les différentes images. C’est la #spatialisation et la #modélisation en 3D de ces différentes prises de vue qui nous permet d’établir avec précision la trame des images qui résulte de cet événement. Nous utilisons les outils de l’architecture à des fins de reconstitution et de reconstruction plus que de projection, que ce soit d’un bâtiment, d’un événement, etc.

    Parce qu’il faut bien rappeler que vos enquêtes sont toujours basées sur les lieux.
    L’environnement urbain est le repère clé qui nous permet de resituer l’endroit où des images ont été prises. Des détails de l’environnement urbain aussi courants qu’un passage piéton, un banc public, un kiosque à journaux ou un abribus nous permettent de donner une échelle pour reconstituer en trois dimensions où et comment une certaine scène s’est déroulée. Nous ne considérons pas l’architecture comme la pratique responsable de la production de l’environnement bâti mais comme un champ de connaissance dont la particularité est de mettre en lien une variété de domaines de pensées et de savoirs entre eux. Lorsqu’on mobilise l’architecture à des fins d’enquête, on essaye de faire dialoguer entre elles toute une série de disciplines. Nos équipes mêmes sont très interdisciplinaires. On fait travailler des vidéastes, des ingénieurs des matériaux, des juristes… le tout pour faire émerger une trame narrative qui soit convaincante et qui permette de resituer ce qui s’est passé autour de l’évènement sous enquête.

    L’historienne Samia Henni qui enseigne à Cornell University aux États-Unis, et qui se considère « historienne des environnements bâtis, détruits et imaginés », dit qu’apprendre l’histoire des destructions est aussi important que celles des constructions, en raison notamment du nombre de situations de conflits et de guerres sur la planète. Quand on fait du projet d’architecture, on se projette en général dans l’avenir. En ce qui vous concerne, vous remodélisez et reconstituez des événements passés, souvent disparus. Qu’est-ce que ce rapport au temps inversé change en termes de représentations ?
    Je ne suis pas sûr que le rapport au temps soit inversé. Je pense que dans la pratique de l’enquête, c’est toujours l’avenir qui est en jeu. C’est justement en allant chercher dans des événements passés, en cherchant la manière précise dont ils se sont déroulés et la spécificité d’une reconstitution que l’on essaye de dégager les aspects structurels et systémiques qui ont provoqué cet incident. En ce sens, ça nous rapproche peut-être de l’idée d’#accident de Virilio, qui est tout sauf imprévisible.
    L’enjeu concerne l’avenir. Il s’agit de montrer comment certains incidents ont pu se dérouler afin d’interpeller, de demander des comptes aux responsables de ces incidents et de faire en sorte que les conditions de production de cette #violence soient remises en question pour qu’elle ne se reproduise pas. Il s’agit toujours de changer les conditions futures dans lesquelles nous serons amenés à vivre ensemble, à habiter, etc. En cela je ne pense pas que la flèche du temps soit inversée, j’ai l’impression que c’est très proche d’une pratique du projet architectural assez classique.

    Vous utilisez souvent le terme de « violences d’État ». Dans une tribune de Libération intitulée « Nommer la violence d’État » en 2020, encore d’actualité ces temps-ci, l’anthropologue, sociologue et médecin Didier Fassin revenait sur la rhétorique du gouvernement et son refus de nommer les violences policières. Selon lui, « ne pas nommer les violences policières participe précisément de la violence de l’État. » Il y aurait donc une double violence. Cette semaine, l’avocat Arié Alimi en parlait aussi dans les colonnes d’AOC. Qu’en pensez-vous ?
    Je partage tout à fait l’analyse de Didier Fassin sur le fait que les violences d’État s’opèrent sur deux plans. Il y a d’une part la violence des actes et ensuite la violence du #déni des actes. Cela fait le lien avec l’appareil conceptuel développé par Hannah Arendt dans Vérité et politique. Nier est nécessaire pour garantir une forme de pouvoir qui serait remise en question par des faits qui dérangent. Cela dit, il est important de constamment travailler les conditions qui permettent ou non de nommer et surtout de justifier l’emploi de ces termes.

    Vous utilisez le terme de « violences d’État » mais aussi de « violences policières » de votre côté…
    Avec INDEX, on emploie le terme de « violences d’État » parce qu’on pense qu’il existe une forme de continuum de violence qui s’opère entre violences policières et judiciaires, le déni officiel et l’#impunité de fait étant des conditions qui garantissent la reproduction des violences d’État. Donc même si ce terme a tendance à être perçu comme particulièrement subversif – dès qu’on le prononce, on tend à être étiqueté comme militant, voire anarchiste –, on ne remet pas forcément en question tout le système d’opération du pouvoir qu’on appelle l’État dès lors qu’on dénonce ses violences. On peut évoquer Montesquieu : « Le #pouvoir arrête le pouvoir ». Comment faire en sorte que l’État même s’équipe de mécanismes qui limitent les excès qui lui sont inhérents ? Il s’agit a minima d’interpeller l’#opinion_publique sur les pratiques de l’État qui dépassent le cadre légal ; mais aussi, on l’espère, d’alimenter la réflexion collective sur ce qui est acceptable au sein de nos sociétés, au-delà la question de la légalité.

    Ce que je voulais dire c’est que Forensic Architecture utilise le terme de « violences d’État » ou de « crimes » dans un sens plus large. Sur le site d’INDEX, on trouve le terme de « violences policières » qui donne une information sur le cadre précis de vos enquêtes.
    On essaye d’être le maillon d’une chaîne. Aujourd’hui, on se présente comme une ONG d’investigation qui enquête sur les violences policières en France. Il s’agit d’être très précis sur le cadre de notre travail, local, qui s’occupe d’un champ bien défini, dans un contexte particulier. Cela reflète notre démarche : on est une petite structure, avec peu de moyens. En se spécialisant, on peut faire la lumière sur une série d’incidents, malheureusement récurrents, mais en travaillant au cœur d’un réseau déjà constitué et actif en France qui se confronte depuis plusieurs décennies aux violences d’État et aux violences policières plus particulièrement. En se localisant et étant spécifique, INDEX permet un travail de collaboration et d’échanges beaucoup plus pérenne et durable avec toute une série d’acteurs et d’actrices d’un réseau mobilisé autour d’un problème aussi majeur que l’usage illégitime de la force et de la violence par l’État. Limiter le cadre de notre exercice est une façon d’éprouver la capacité de nos techniques d’enquête et d’intervention publique à véritablement amorcer un changement dans les faits.

    On a parfois l’impression que la production des observateurs étrangers est plus forte, depuis l’extérieur. Quand la presse ou les observateurs étrangers s’emparent du sujet, ils prennent tout de suite une autre ampleur. Qu’en pensez-vous ?
    C’est sûr que la possibilité de projeter une perspective internationale sur un incident est puissante – je pense par exemple à la couverture du désastre du #maintien_de_l’ordre lors de la finale de la Ligue des champions 2022 au Stade de France qui a causé plus d’embarras aux représentants du gouvernement que si le scandale s’était limité à la presse française –, mais en même temps je ne pense pas qu’il y ait véritablement un gain à long terme dans une stratégie qui viserait à créer un scandale à l’échelle internationale. Avec INDEX, avoir une action répétée, constituer une archive d’enquêtes où chacune se renforce et montre le caractère structurel et systématique de l’exercice d’une violence permet aussi de sortir du discours de l’#exception, de la #bavure, du #dérapage. Avec un travail au long cours, on peut montrer comment un #problème_structurel se déploie. Travailler sur un tel sujet localement pose des problèmes, on a des difficultés à se financer comme organisation. Il est toujours plus facile de trouver des financements quand on travaille sur des violations des droits humains ou des libertés fondamentales à l’étranger que lorsqu’on essaye de le faire sur place, « à la maison ». Cela dit, on espère que cette stratégie portera ses fruits à long terme.

    Vous avez travaillé avec plusieurs médias français : Le Monde, Libération, Disclose. Comment s’est passé ce travail en commun ?
    Notre pratique est déjà inter et pluridisciplinaire. Avec Forensic Architecture, on a souvent travaillé avec des journalistes, en tant que chercheurs on est habitués à documenter de façon très précise les éléments sur lesquels on enquête puis à les mettre en commun. Donc tout s’est bien passé. Le travail très spécifique qu’on apporte sur l’analyse des images, la modélisation, la spatialisation, permet parfois de fournir des conclusions et d’apporter des éléments que l’investigation plus classique ne permet pas.

    Ce ne sont pas des compétences dont ces médias disposent en interne ?
    Non mais cela ne m’étonnerait pas que ça se développe. On l’a vu avec le New York Times. Les premières collaborations avec Forensic Architecture autour de 2014 ont contribué à donner naissance à un département qui s’appelle Visual Investigations qui fait maintenant ce travail en interne de façon très riche et très convaincante. Ce sera peut-être aussi l’avenir des rédactions françaises.

    C’est le cas du Monde qui a maintenant une « cellule d’enquête vidéo ».
    Cela concerne peut-être une question plus générale : ce qui constitue la valeur de vérité aujourd’hui. Les institutions qui étaient traditionnellement les garantes de vérité publique sont largement remises en cause, elles n’ont plus le même poids, le même rôle déterminant qu’il y a cinquante ans. Les médias eux-mêmes cherchent de nouvelles façons de convaincre leurs lecteurs et lectrices de la précision, de la rigueur et de la dimension factuelle de l’information qu’ils publient. Aller chercher l’apport documentaire des images et en augmenter la capacité de preuve et de description à travers les techniques qu’on emploie s’inscrit très bien dans cette exigence renouvelée et dans ce nouveau standard de vérification des faits qui commence à s’imposer et à circuler. Pour que les lecteurs leur renouvellent leur confiance, les médias doivent aujourd’hui s’efforcer de convaincre qu’ils constituent une source d’informations fiables et surtout factuelles.

    J’aimerais que l’on parle du contexte très actuel de ces dernières semaines en France. Depuis le mouvement contre la réforme des retraites, que constatez-vous ?
    On est dans une situation où les violences policières sont d’un coup beaucoup plus visibles. C’est toujours un peu pareil : les violences policières reviennent au cœur de l’actualité politique et médiatique au moment où elles ont lieu dans des situations de maintien de l’ordre, dans des manifestations… En fait, quand elles ne touchent plus seulement des populations racisées et qu’elles ne se limitent plus aux quartiers populaires.

    C’est ce que disait Didier Fassin dans le texte dont nous parlions à l’instant…
    Voilà. On ne parle vraiment de violences policières que quand elles touchent un nombre important de personnes blanches. Pendant la séquence des Gilets jaunes, c’était la même dynamique. C’est à ce moment-là qu’une large proportion de la population française a découvert les violences policières et les armes dites « non létales », mais de fait mutilantes, qui sont pourtant quotidiennement utilisées dans les #quartiers_populaires depuis des décennies. Je pense qu’il y a un problème dans cette forme de mobilisation épisodique contre les violences policières parce qu’elle risque aussi, par manque de questionnements des privilèges qui la sous-tendent, de reproduire passivement des dimensions de ces mêmes violences. Je pense qu’au fond, on ne peut pas dissocier les violences policières de la question du racisme en France.
    Il me semble aussi qu’il faut savoir saisir la séquence présente où circulent énormément d’images très parlantes, évidentes, choquantes de violences policières disproportionnées, autour desquelles tout semblant de cadre légal a sauté, afin de justement souligner le continuum de cette violence, à rebours de son interprétation comme « flambée », comme exception liée au mouvement social en cours uniquement. Les enquêtes qu’on a publiées jusqu’ici ont pour la plupart porté sur des formes de violences policières banalisées dans les quartiers populaires : tirs sur des véhicules en mouvement, situations dites de « refus d’obtempérer », usages de LBD par la BAC dans une forme de répression du quotidien et pas d’un mouvement social en particulier. Les séquences que l’on vit actuellement doivent nous interpeller mais aussi nous permettre de faire le lien avec la dimension continue, structurelle et discriminatoire de la violence d’État. On ne peut pas d’un coup faire sauter la dimension discriminatoire des violences policières et des violences d’État au moment où ses modes opératoires, qui sont régulièrement testés et mis au point contre des populations racisées, s’abattent soudainement sur une population plus large.

    Vous parlez des #violences_systémiques qui existent, à une autre échelle…
    Oui. On l’a au départ vu avec les Gilets jaunes lorsque les groupes #BAC ont été mobilisés. Ces groupes sont entraînés quotidiennement à faire de la #répression dans les quartiers populaires. C’est là-bas qu’ils ont développé leurs savoirs et leurs pratiques particulières, très au contact, très agressives. C’est à cause de cet exercice quotidien et normalisé des violences dans les quartiers populaires que ces unités font parler d’elles quand elles sont déployées dans le maintien de l’ordre lors des manifestations. On le voit encore aujourd’hui lors de la mobilisation autour de la réforme des retraites, en particulier le soir. Ces situations évoluent quotidiennement donc je n’ai pas toutes les dernières données mais la mobilisation massive des effectifs de police – en plus de la #BRAV-M [Brigades de répression des actions violentes motorisées] on a ajouté les groupes BAC –, poursuivent dans la logique dite du « contact » qui fait souvent beaucoup de blessés avec les armes utilisées.

    Avez-vous été sollicités ces temps-ci pour des cas en particulier ?
    Il y aura tout un travail à faire à froid, à partir de la quantité d’images qui ont émergé de la répression et en particulier des manifestations spontanées. Aujourd’hui, les enjeux ne me semblent pas concerner la reconstitution précise d’un incident mais plutôt le traitement et la confrontation de ces pratiques dont la documentation montre le caractère systémique et hors du cadre légal de l’emploi de la force. Cela dit, on suit de près les blessures, dont certaines apparemment mutilantes, relatives à l’usage de certaines armes dites « non létales » et en particulier de #grenades qui auraient causé une mutilation ici, un éborgnement là… Les données précises émergent au compte-goutte…
    On a beaucoup entendu parler des #grenades_offensives pendant le mouvement des Gilets jaunes. Le ministère de l’Intérieur et le gouvernement ont beaucoup communiqué sur le fait que des leçons avaient été tirées depuis, que certaines des grenades le plus souvent responsables ou impliquées dans des cas de mutilation avaient été interdites et que l’arsenal avait changé. En fait, elles ont été remplacées par des grenades aux effets quasi-équivalents. Aujourd’hui, avec l’escalade du mouvement social et de contestation, les mêmes stratégies de maintien de l’ordre sont déployées : le recours massif à des armes de l’arsenal policier. Le modèle de grenade explosive ou de #désencerclement employé dans le maintien de l’ordre a changé entre 2018 et 2023 mais il semblerait que les #blessures et les #mutilations qui s’ensuivent perdurent.

    À la suite des événements de Sainte-Soline, beaucoup d’appels à témoins et à documents visuels ont circulé sur les réseaux sociaux. Il semblerait que ce soit de plus en plus fréquent.
    Il y a une prise de conscience collective d’un potentiel – si ce n’est d’un pouvoir – de l’image et de la documentation. Filmer et documenter est vraiment devenu un réflexe partagé dans des situations de tension. J’ai l’impression qu’on est devenus collectivement conscients de l’importance de pouvoir documenter au cas où quelque chose se passerait. Lors de la proposition de loi relative à la sécurité globale, on a observé qu’il y avait un véritable enjeu de pouvoir autour de ces images, de leur circulation et de leur interprétation. Le projet de loi visait à durcir l’encadrement pénal de la capture d’image de la police en action. Aujourd’hui, en voyant le niveau de violence déployée alors que les policiers sont sous les caméras, on peut vraiment se demander ce qu’il se passerait dans la rue, autour des manifestations et du mouvement social en cours si cette loi était passée, s’il était illégal de tourner des images de la police.
    En tant que praticiens de l’enquête en source ouverte, on essaye de s’articuler à ce mouvement spontané et collectif au sein de la société civile, d’utiliser les outils qu’on a dans la poche, à savoir notre smartphone, pour documenter de façon massive et pluri-perspective et voir ce qu’on peut en faire, ensemble. Notre champ de pratique n’existe que grâce à ce mouvement. La #capture_d’images et l’engagement des #témoins qui se mettent souvent en danger à travers la prise d’images est préalable. Notre travail s’inscrit dans une démarche qui cherche à en augmenter la capacité documentaire, descriptive et probatoire – jusqu’à la #preuve_judiciaire –, par rapport à la négociation d’une vérité de fait autour de ces évènements.

    Le mouvement « La Vérité pour Adama », créé par sa sœur suite à la mort d’Adama Traoré en 2016, a pris beaucoup d’ampleur au fil du temps, engageant beaucoup de monde sur l’affaire. Vous-mêmes y avez travaillé…
    La recherche de la justice dans cette appellation qui est devenue courante parmi les différents comités constitués autour de victimes est intéressante car elle met en tension les termes de vérité et de justice et qu’elle appelle, implicitement, à une autre forme de justice que celle de la #justice_institutionnelle.
    Notre enquête sur la mort d’Adama Traoré a été réalisée en partenariat avec Le Monde. À la base, c’était un travail journalistique. Il ne s’agit pas d’une commande du comité et nous n’avons pas été en lien. Ce n’est d’ailleurs jamais le cas au moment de l’enquête. Bien qu’en tant qu’organisation, INDEX soit solidaire du mouvement de contestation des abus du pouvoir policier, des violences d’État illégitimes, etc., on est bien conscients qu’afin de mobiliser efficacement notre savoir et notre expertise, il faut aussi entretenir une certaine distance avec les « parties » – au sens judiciaire –, qui sont les premières concernées dans ces affaires, afin que notre impartialité ne soit pas remise en cause. On se concentre sur la reconstitution des faits et pas à véhiculer un certain récit des faits.

    Le comité « La Vérité pour Adama » avait commencé à enquêter lui-même…
    Bien sûr. Et ce n’est pas le seul. Ce qui est très intéressant autour des #comités_Vérité_et_Justice qui émergent dans les quartiers populaires autour de victimes de violences policières, c’est qu’un véritable savoir se constitue. C’est un #savoir autonome, qu’on peut dans de nombreux cas considérer comme une expertise, et qui émerge en réponse au déni d’information des expertises et des enquêtes officielles. C’est parce que ces familles sont face à un mur qu’elles s’improvisent expertes, mais de manière très développée, en mettant en lien toute une série de personnes et de savoirs pour refuser le statu quo d’une enquête qui n’aboutit à rien et d’un non-lieu prononcé en justice. Pour nous, c’est une source d’inspiration. On vient prolonger cet effort initial fourni par les premiers et premières concernées, d’apporter, d’enquêter et d’expertiser eux-mêmes les données disponibles.

    Y a-t-il encore une différence entre images amateures et images professionnelles ? Tout le monde capte des images avec son téléphone et en même temps ce n’est pas parce que les journalistes portent un brassard estampillé « presse » qu’ils et elles ne sont pas non plus victimes de violences. Certain·es ont par exemple dit que le journaliste embarqué Rémy Buisine avait inventé un format journalistique en immersion, plus proche de son auditoire. Par rapport aux médias, est-ce que quelque chose a changé ?
    Je ne voudrais pas forcément l’isoler. Rémy Buisine a été particulièrement actif pendant le mouvement des Gilets jaunes mais il y avait aussi beaucoup d’autres journalistes en immersion. La condition technique et médiatique contemporaine permet ce genre de reportage embarqué qui s’inspire aussi du modèle des reporters sur les lignes de front. C’est intéressant de voir qu’à travers la militarisation du maintien de l’ordre, des modèles de journalisme embarqués dans un camp ou dans l’autre d’un conflit armé se reproduisent aujourd’hui.

    Avec la dimension du direct en plus…
    Au-delà de ce que ça change du point de vue de la forme du reportage, ce qui pose encore plus question concerne la porosité qui s’est établie entre les consommateurs et les producteurs d’images. On est dans une situation où les mêmes personnes qui reçoivent les flux de données et d’images sont celles qui sont actives dans leur production. Un flou s’opère dans les mécanismes de communication entre les pôles de production et de réception. Cela ouvre une perspective vers de formes nouvelles de circulation de l’information, de formes beaucoup plus inclusives et participatives. C’est déjà le cas. On est encore dans une phase un peu éparse dans laquelle une culture doit encore se construire sur la manière dont on peut interpréter collectivement des images produites collectivement.

    https://aoc.media/entretien/2023/08/11/francesco-sebregondi-on-ne-peut-pas-dissocier-les-violences-policieres-de-la-

    #racisme #violences_policières

    ping @karine4

    • INDEX

      INDEX est une ONG d’investigation indépendante, à but non-lucratif, créée en France en 2020.

      Nous enquêtons et produisons des rapports d’expertise sur des faits allégués de violence, de violations des libertés fondamentales ou des droits humains.

      Nos enquêtes réunissent un réseau indépendant de journalistes, de chercheur·es, de vidéastes, d’ingénieur·es, d’architectes, ou de juristes.

      Nos domaines d’expertise comprennent l’investigation en sources ouvertes, l’analyse audiovisuelle et la reconstitution numérique en 3D.

      https://www.index.ngo