• Le cas italien détruit le mythe européen Marc Botenga - 24 Mai 2018 - Solidaire
    http://solidaire.org/articles/le-cas-italien-detruit-le-mythe-europeen

    L’Italie a presque un nouveau gouvernement. Cette alliance entre populistes du Mouvement 5 Étoiles et extrême-droite de la Ligue inquiète l’Union européenne. Le nouvel exécutif pourrait ne plus respecter les traités européens. Mais c’est surtout l’émergence de ce gouvernement même qui devrait inquiéter. Parce qu’il illustre toutes les limites de l’intégration européenne.

    « Nous ne pouvons que conseiller de maintenir le cap en matière de politique économique et financière, de promouvoir la croissance via des réformes et de maintenir le déficit budgétaire sous contrôle. »


    Avant même sa formation officielle, Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, menaçait déjà le nouveau gouvernement italien. « Ils jouent avec le feu, parce que l’Italie est très endettée. Des actions irrationnelles ou populistes peuvent causer une nouvelle crise européenne », ajoutait Manfred Weber, le dirigeant allemand du parti populaire, au Parlement européen. « Si le nouveau gouvernement prenait le risque de ne pas respecter ses engagements sur la dette, le déficit, mais aussi l’assainissement des banques, c’est toute la stabilité financière de la zone euro qui serait menacée », avertissait de son côté Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie.

    Des recettes européennes en faillite
    C’est comme prescrire un régime à un affamé. Depuis un quart de siècle ce sont précisément les recettes européennes, appliquées par les gouvernements de gauche et de droite, qui ont mené l’Italie au bord du gouffre. La libéralisation du marché du travail qu’impose maintenant le président Emmanuel Macron en France a commencé même avant les réformes Hartz en Allemagne. Le travail précaire et hyper-flexible deviendra la nouvelle norme. Certes, l’Italie est toujours la troisième économie de la zone euro. Elle en est même la deuxième puissance industrielle. Mais les choses changent. La chercheuse italienne Marta Fana a expliqué que depuis 25 ans, l’Italie devient de plus en plus une périphérie européenne, est soumise toujours davantage au leadership économique qu’incarnent l’Allemagne et la France. Pendant que l’Allemagne a profité de ces 25 dernières années pour faire des investissements très forts dans l’industrie, l’Italie a quasiment arrêté de faire des investissements. Rome s’est pliée entièrement à toutes les directives européennes, sur les aides de l’État, l’euro, le déficit, perdant 25 % de structure de production. Cette tendance a été renforcée par la crise de 2008. En 2017, la production industrielle italienne était toujours inférieure de 20 % à son niveau d’avant la crise. L’Italie, synthétise Fana, est en train d’être déclassée : « Nous n’avons pas qu’une perte de structure de production parce que les entreprises ferment, mais on a une perte de structure de production nationale parce que les entreprises italiennes sont achetées par des multinationales françaises et souvent allemandes. Celles-ci utilisent l’Italie comme main d’œuvre mais déplacent les centres de décision, et la recherche et développement vers leurs pays. »1

    Après des décennies de gouvernance européenne, les partis traditionnels se sont effondrés lors des dernières élections. La droite berlusconienne a raté son grand retour. L’ancien Premier ministre social-démocrate Matteo Renzi, grand exemple d’Emmanuel Macron, a payé le prix fort pour ses libéralisations. Après 25 ans de promesses non-tenues, les Italiens ne les croient plus. Face à un taux de chômage élevé et un avenir morose, des millions de jeunes quittent le pays pour trouver du travail à Berlin, Bruxelles ou Paris. D’autres se tournent vers ceux qui promettent de rompre radicalement avec le modèle européen. Ce sont les populistes du Mouvement 5 Etoiles et l’extrême-droite qui ont le mieux incarné ces aspirations de rupture.

    Un néolibéralisme national ?
    Toutefois, dans le programme de gouvernement, les deux partis n’offrent pas un modèle social radicalement différent. Certes, il y a des mesures populaires. A défaut d’une allocation de chômage, l’introduction d’un « revenu citoyen » de 780 euros pendant deux ans est surtout populaire au sud du pays. Ces mesures ont fait le succès de la rhétorique des 5 Étoiles. Néanmoins, le programme du nouveau gouvernement italien ressemble davantage à un « néolibéralisme dans un seul pays », comme le décrit le journaliste anglais Paul Mason, destiné à redonner de la force aux entreprises italiennes.2 Il s’agit en effet avant tout de favoriser le patronat italien qui considère que la lutte avec ses concurrents allemands est perdue. Aucune mesure concrète contre le travail précaire, par exemple. Pour chaque geste vers la gauche, il y a donc trois mesures fortes de droite. L’introduction d’un salaire minimum va de pair avec la réintroduction de « vouchers » (généralisation de titres-services) permettant de contourner toute législation sociale et éviter même de passer par un contrat de travail. Le nouveau revenu citoyen est accompagné d’une obligation d’accepter certaines offres d’emploi. La mise sur pied d’une banque d’investissements, pour subventionner des entreprises privées, va de pair avec l’instauration d’une « flat tax » où les grandes entreprises et les très riches paieront bien moins d’impôts. Les moyens promis pour les soins de santé viendront en premier lieu de rationalisations plutôt que d’investissements nouveaux.

    A ces mesures socio-économiques s’ajoute une matrice fortement nationaliste et raciste. C’est une technique utilisée aussi par Viktor Orban, Premier ministre hongrois, pour obtenir une certaine adhésion populaire. Quelques mesures de gauche et une bonne dose de nationalisme doivent ranger les travailleurs derrière « leur » patronat. Parce qu’il s’agit bien de défendre le patronat local. Cet objectif fait que l’accord de gouvernement fait l’impasse sur une vérité toute simple : c’est l’alliance étroite entre fédération patronale et gouvernement italiens qui est le principal responsable de la crise sociale aujourd’hui. Mais cela reste tabou. Afin de dédouaner le patronat italien de sa responsabilité, l’accord gouvernemental s’en prend aux migrants. L’Italie aurait beaucoup de raisons de critiquer le manque de solidarité des autres États européens qui lui laissent la gestion d’une bonne partie des réfugiés. Les migrants sont d’ailleurs souvent les premières victimes du travail précaire. Mais le programme du gouvernement italien n’en a cure et ne fait qu’attiser le racisme et la discrimination. Les migrants sont sans détour ni preuves associés au terrorisme et même aux mauvais comptes publics. Pour y pallier, le gouvernement propose la mise sur pied de « centres de rassemblement » d’environ un demi-million d’immigrés pour les renvoyer en Afrique.

    Clash avec l’Europe ?
    Ces potentielles déportations massives n’inquiètent pas le moins du monde l’Union européenne. Ni le fait qu’un parti d’extrême-droite comme la Ligue rentre au gouvernement. Ni que Marine Le Pen lui apporte son soutien. Non, c’est bien la volonté du gouvernement italien à renégocier les traités qui inquiète. Contrairement à leurs promesses de campagne, les deux partis au gouvernement n’envisagent plus explicitement une sortie de l’euro, mais leur programme est clairement trop coûteux pour les règles budgétaires européennes. Ceci reflète une contradiction au sein du patronat italien, dont une partie a profité et profite du marché unique européen, mais qui en même temps veut davantage de soutien de « son » État. Les mesures de soutien promises à l’industrie italienne de l’armement dans la compétition européenne en sont une conséquence logique. Ce libéralisme plus « national » ne promet rien de bon pour les travailleurs. Au contraire, dans la course à la compétitivité, ils seront poussés à davantage de sacrifices pour « renforcer » l’économie. Donc, le patronat italien. L’absence de mesures concrètes pour améliorer les droits sociaux n’est pas une coïncidence.

    Entre néolibéralisme européen et libéralisme xénophobe italien, des arrangements sont possibles. Néanmoins, le risque d’un affrontement entre les deux est réel. Les institutions européennes, et leurs alliés à droite et à gauche en Italie, feront tout pour faire marcher l’Italie au pas des traités. Dans le contexte actuel, une pression agressive ne pourra que renforcer le national-libéralisme raciste. De la Hongrie, à la France, de l’Autriche à l’Italie, voici la perspective qu’offre l’actuelle intégration européenne : libéralisme autoritaire européen ou national-libéralisme xénophobe. Le défi pour la gauche italienne, et pour la gauche européenne en général, est de sortir de ce faux choix pour imposer un changement social qui en finit avec la précarité et le déclin social. Un projet de gauche qui rompt avec les diktats européens, non pas en faveur du patronat national, mais pour les travailleurs.

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    • « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter »
      Günther Oettinger, commissaire européen au budget

      Tout y est : l’arrogance brutale des dirigeants allemands qui considèrent l’Europe du sud comme un « club med », la violence des dirigeants de la Commission européenne qui veulent mater les récalcitrants quel qu’en soit le prix pour les peuples. Ceux qui tuent le projet européen sont là. « L’union européenne » se tourne cette fois-ci contre un de ses pays fondateurs. La fin s’approche pour ce système.
      Jlm

  • Quid de l’Ukraine face à la tyrannie des marchés ? (Ph. Béchade) | Olivier Demeulenaere – Regards sur l’économie
    http://olivierdemeulenaere.wordpress.com/2014/03/18/quid-de-lukraine-face-a-la-tyrannie-des-marches-ph-be

    ▪ En éteignant mes écrans boursiers vendredi dernier, je suis parti avec une boule au ventre. Compte tenu des menaces occidentales dont les conséquences étaient annoncées terribles, les actionnaires russes (et tout le monde sait que l’économie locale repose sur eux) risquaient de vivre un second Lundi noir après celui du 4 mars.

    Alors que florissaient en Occident des commentaires dignes des riches heures du maccarthysme à propos des sombres manoeuvres de l’Empire du Mal soviétique, le scrutin ukrainien se préparait dans le calme et sans incidents.

    Et malgré un résultat massif en faveur du rattachement à la Russie (96% et des poussières), je n’ai même pas entendu un dirigeant occidental dénoncer un scrutin truqué.

    Pas trace de flagrantes irrégularités, de bourrage des urnes, d’intimidation des votants : c’est un vrai scandale, les autorités locales n’ont même pas respecté — par anticipation — les mauvaises pratiques qui entachent la plupart des élections en Russie.

    On peut imaginer le pire : le Kremlin s’inspirant du vote en Crimée pour semer la confusion chez les Occidentaux… où le résultat négatif des consultations concernant les traités européens a été allègrement ignoré (mais ça c’est parfaitement légal) par les élites de Bruxelles.

    ▪ Pas de Lundi noir à la bourse de Moscou

    Quoi qu’il en soit, à Moscou, l’indice Micex (libellé en rouble) a bondi de 3,75%. Le RTS pour sa part (libellé en dollar) a grimpé de 4,9% après une chute de 28% depuis le 1er janvier.

    Le rouble lui-même a rebondi de 1,5% après avoir chuté de 12% face à l’euro en 10 semaines. Il valait 50,6 pour un euro et 36,30 pour un dollar. Les sherpas des marchés n’ont donc pas déclenché de grande offensive contre la devise russe — ce qui aurait induit un risque d’inflation massive alors que cette dernière dépasse déjà les 5%.

    Mais aussi et surtout, cela aurait pu conduire Moscou à sauter sur l’occasion de vendre massivement du dollar… et créer comme promis de fortes turbulences sur le Forex (marché des changes). En s’attaquant aux actifs russes, les Occidentaux prendraient le risque de subir un effet boomerang dévastateur.

    Car si les actionnaires russes n’ont plus grand-chose à perdre en cas de turbulences des marchés, il n’en va pas de même des détenteurs d’un portefeuille boursier à Wall Street, alors que tous les indices américains flirtent avec la stratosphère.

    Revenons donc sur Terre, comme les marchés financiers lundi. Les russophones de Crimée ont d’abord voté en faveur d’un attachement historique et quasi-charnel avec la Russie. Cela plutôt qu’en faveur d’un système économique florissant et politiquement démocratique où le peuple de la péninsule aurait davantage son mot à dire que sous la férule de Victor Ianoukovitch.

    ▪ Un dossier définitivement refermé ?

    Le scrutin de dimanche ne saurait occulter le problème des Tatars de Crimée (12% de la population) qui ont massivement boycotté le referendum. Leur principal représentant, Moustafa Djemilev, a répété à Vladimir Poutine qu’il reconnaissait la légitimité du nouveau pouvoir ukrainien (contrairement au maître du Kremlin) et n’entendait se soumettre qu’aux décisions de Kiev… qui de son côté ne cesse de marteler que le vote du week-end reste illégal et son résultat juridiquement nul.

    Malgré des protestations occidentales de pure forme, la Douma devrait dès ce mardi entériner le rattachement de la Crimée à la Fédération russe… et le rouble a été institué dès hier comme seconde monnaie officielle de la province.

    Tout ceci est évidemment scruté avec beaucoup d’attention dans les autres provinces russophones d’Ukraine, dont certaines ne reconnaissent pas non plus l’autorité politique et fiscale de Kiev.

    Les marchés quant à eux font comme si le dossier ukrainien se refermait avec la reconnaissance tacite par les Occidentaux de la souveraineté russe sur la Crimée… et comme si le risque de sécession d’autres provinces n’existait pas.

    Les toutes premières mesures prises par le Parlement de Kiev — confronté à une situation de quasi-faillite du pays — risquent de ne pas faire l’unanimité dans les provinces de l’est (où sont implantées de nombreuses usines d’armement appartenant à la Russie) : retraites divisées par deux, arrêt des subventions aux mines de charbon, hausse immédiate du prix de l’énergie.

    Un tyran a été chassé… mais la propagande russe aura tôt fait de convaincre les russophones de ne pas se plier à la tyrannie des marchés. Ces derniers tiennent le pays à la gorge et peuvent lui imposer n’importe quelle mesure visant à « rassurer » les créanciers. Sans parler de l’or ukrainien, qui s’est déjà envolé vers les Etats-Unis et qui n’est pas près de réintégrer les coffres de la Banque centrale à Kiev.

    Le jour où Vladimir Poutine dénoncera « le vol de l’or du Peuple » par les Occidentaux, vous pouvez être à peu près certain que l’embrasement de la situation et le processus de partition de l’Ukraine sera engagé. Les marchés cesseront alors de faire comme si de rien n’était, mais gageons que les initiés n’oublieront pas de vendre alors que les médias claironnent que « tout va bien ».

    Alors surtout, continuez de vous fier au comportement de l’or et de l’argent-métal plutôt qu’à celui du CAC 40 ou du S&P 500 : ce qui se passe sur les métaux précieux est beaucoup plus parlant que les stratégies cachées mises en oeuvre par les stratèges de Wall Street via les dérivés d’actions.

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