• #Mines au #Maroc : la sinistre réalité du « #cobalt responsable »
    https://reporterre.net/Mines-au-Maroc-la-sinistre-realite-du-cobalt-responsable
    #amazigh

    À 120 kilomètres au sud de #Ouarzazate, bordée par les collines de l’Anti-Atlas, immensité aride où paissent de maigres chèvres, la route sert autant aux charrettes de foin tirées par des ânes qu’à la course des camions chargés de cobalt qui transitent vers #Marrakech.

    Debout, en casquettes et en tongs, ils sont un petit groupe à attendre le minibus pour aller prendre leur poste. Âgés de 20 à 40 ans, Osmane [], Idir [] et les autres sont mineurs de fond, employés en sous-traitance dans la mine de #Bou-Azzer, filiale de Managem, grande #entreprise_minière du pays et propriété de la famille royale #marocaine.

    En langue #tamazight, ils décrivent le boulot. Huit heures par jour, à 300 voire 500 mètres de fond, 20 minutes de pause à midi. Dans les galeries, ils poussent des wagons de #minerai d’une tonne sur 1 à 2 kilomètres. Pour abattre le gisement, ils posent des explosifs à la main et, munis d’un marteau-piqueur pesant 25 kg, forent la #roche dans un nuage de poussière.

    [...]

    ##grève Torture et #prison ferme
    Omar Oubouhou, syndicaliste à Ouarzazate et membre de l’AMDH, raconte : « J’ai été arrêté en 2012 après un #sit-in devant l’administration de la mine, emprisonné pendant douze jours et torturé à la gendarmerie avec quatre camarades. J’ai été envoyé à l’hôpital de Ouarzazate où le médecin a refusé de me donner un certificat. L’avocat a demandé une contre-visite, mais ce sont des médecins accompagnés du commissaire qui l’ont faite. » Au tribunal, où il a comparu avec ses blessures, Omar Oubouhou a reçu six mois de prison ferme pour « entrave au #travail ».

    Selon Hamid Majdi qui relate ces événements dans son livre paru en 2021 [3], la Managem a fait pression au plus haut niveau pour se débarrasser du syndicat. « En 2013, raconte-t-il, la direction nationale de la CDT nous a lâchés : du jour au lendemain, nous avons été démis de nos fonctions et nos bureaux d’Agdez et de Ouarzazate ont été fermés. »

    Hamid a compris pourquoi le jour d’une entrevue avec le Premier ministre : « Il a fait une gaffe et mentionné un accord conclu entre le gouvernement et le secrétariat général de la CDT ! Le gouvernement et la Managem avaient corrompu notre direction syndicale pour qu’elle se débarrasse du syndicat de Bou-Azzer. »

  • "Nos logements sont indignes, nos salaires dérisoires" : les bergers dépités par l’arrêt des négociations sur leurs #conditions_de_travail

    Dans les #Alpes, les #bergers dénoncent l’arrêt des négociations sur leurs conditions de travail. Depuis deux ans, ils luttent pour une meilleure #rémunération mais aussi des #habitats plus dignes. Alors que des pourparlers devaient se tenir, les représentants des éleveurs ont annulé les discussions.

    « Pas de gaz pour cuisiner, pas d’chauffage sans incendier, pas de place pour se relever, un matelas pour tout plancher » : il y a un peu moins d’un an, Pastor X & the Black PatouX dénonçait dans un clip de rap montagnard, les conditions dans lesquelles certains bergers travaillent en #estive, notamment en #Savoie, dans le parc national de la #Vanoise.

    Ils vivent dans des #cabanes de 4 mètres carrés, sans toilettes, ni gaz, ni eau potable. Des #abris_d'urgence dans l’attente de construction de chalets d’#alpage. Mais ces solutions, censées être temporaires, sont devenues insoutenables pour les premiers intéressés (voir notre reportage ci-dessous).

    90 heures de travail au lieu des 44 réglementaires

    « On estime qu’on a des conditions de logement qui sont indignes en alpage mais aussi ailleurs », déclare Tomas Bustarret, membre du syndicat de gardiens de troupeaux de l’Isère.

    #Promiscuité et #insalubrité viennent s’ajouter à des conditions de travail que les bergers jugent intolérables.

    « Les #salaires varient entre 1500 et 2500 euros, la moyenne est autour de 1900-2000 euros pour 44 heures de travail légales. Mais, dans les faits, on fait 70 à 90 heures de travail. Donc, rapporté au nombre d’heures travaillées, ces salaires sont dérisoires », poursuit-il.

    Des #frais_professionnels s’élevant à 1000 euros

    D’autant que les bergers fournissent leurs propres « équipements » en alpage : les vêtements pour résister aux conditions météo mais aussi les chiens de conduite des troupeaux (Border collie).

    « L’utilisation des #chiens n’est pas reconnue au niveau de nos frais », déplore Tomas Bustarret. « C’est nous qui payons la nourriture, les frais de vétérinaire des chiens et aussi nos vêtements qui nous servent pour le travail », dit-il, estimant que ces frais professionnels s’élèvent à un millier d’euros par saison.

    La pilule a d’autant plus de mal à passer que l’#élevage ovin est subventionné dans le cadre du #plan_loup, pour faire face au prédateur.

    Un secteur très subventionné par l’Etat

    « On pourrait être payés plus, ça ne ferait pas s’effondrer l’économie de nos employeurs », ajoute le jeune homme. « Les salaires sont subventionnés par le plan #loup pour les gardiens d’ovins à 80%, jusqu’à 2 500 euros. Du coup, nous, on tombe un peu des nues quand on nous refuse 200 euros ou 400 euros de plus par mois », dit-il.

    Les gardiens de troupeaux, grands oubliés de la colère agricole ?

    Cohabitation avec les usagers de la #montagne, retour du loup, mesures environnementales, le métier de berger évolue. Pour toutes ces raisons, les gardiens de troupeaux se sont regroupés en syndicat, affilié à la CGT, pour faire entendre leur voix.

    « L’idée, c’est d’améliorer par la réglementation les conditions de travail des bergers en empêchant les mauvaises pratiques de certains employeurs », avance Tomas Bustarret.

    En avril 2023, ils avaient mené une action devant la maison des agriculteurs de l’Isère.

    Les négociations au point mort

    « C’est une négociation. On ne peut pas leur donner satisfaction à 200 % mais on essayera d’aller dans leur sens le plus possible », assurait alors Guy Durand, éleveur et représentant pour l’Isère de la FDSEA, au micro de France 3 Alpes.

    Mais ces négociations n’ont abouti à rien de concret pour l’instant. Pire, celles qui devaient avoir lieu le 7 mars, ont été annulées par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Les rendez-vous à l’échelle départementale et nationale sur le statut des ouvriers agricoles sont également au point mort.

    La remise en cause des #conventions_collectives ?

    Une commission paritaire devrait avoir lieu le 14 mars avec la fédération départementale de l’Isère, « mais la dernière a été annulée deux jours avant donc on ne sait pas si elle va se tenir », dit encore le jeune homme.

    Dans chaque département, une convention collective territoriale est établie. « Dans l’Ain, la FNSEA tente de supprimer des accords territoriaux qui assurent des droits spécifiques aux salariés agricoles », indique Tomas Bustarret.

    Les bergers et les gardiens de troupeaux se disent prêts à multiplier les actions pour obliger les exploitants agricoles à revenir à la table des négociations.

    https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/temoignage-nos-logements-sont-indignes-nos-salaires-der
    #travail #montagne #logement

  • France Travail : au service du Capital et de ses larbins
    https://ricochets.cc/France-Travail-au-service-du-Capital-et-de-ses-larbins-7368.html

    Loin d’être la santé, le travail c’est le capitalisme, c’est la destruction de la planète, c’est la dépossession de nos activités de subsistance et la soumission aux lois abstraites et chaotiques de l’Economie et de sa Croissance infinie. France Travail, c’est le totalitarisme étatique qui enfonce le clou du contrôle et de l’appui au capitalisme et à ses sinistres tyrans soi-disant missionnés par les « vertues » sociales du travail. France Travail, c’est mettre davantage les humains au (...) #Les_Articles

    / Travail, emploi, entreprise..., Autoritarisme, régime policier, démocrature..., #Le_monde_de_L'Economie

    #Travail,_emploi,_entreprise... #Autoritarisme,_régime_policier,_démocrature...
    https://lundi.am/A-bas-le-travail
    https://rebellyon.info/Tous-incompetents-Tract-contre-France-25706
    https://lundi.am/Le-Travail-migrant-l-autre-delocalisation

  • Corps en grève

    Le bidonville de Feyzin est menacé de fermeture.
    Vingt-sept travailleurs tunisiens entament une grève de la faim afin d’obtenir la régularisation de leurs papiers.
    Durant les vingt jours que durera la grève, immigrés et Français lutteront ensemble, jusqu’au bout.

    La France « découvre » alors l’existence des bidonvilles, véritables #taudis dans lesquels vivent près de 800 000 travailleurs étrangers.
    Une histoire qui fait indéniablement échos à l’actualité : les bidonvilles, « jungles » et campements de fortune perdurent et les droits humains restent bafoués.

    https://steinkis.com/livres/corps-en-greve/corps-en-greve.html
    #BD #bande_dessinée #livre
    #France #travailleurs_immigrés #bidonville #logement #Lyon #Feyzin #sans-papiers #migrations #circulaire_Fontanet #régularisation #immigrés_tunisiens #bidonville_de_Feyzin #luttes #histoire #résistance #grève_de_la_faim #travail #exploitation

  • The (many) costs of border control

    I have recently finished writing up a four-year study of the UK immigration detainee escorting system. This fully outsourced form of border control has not been the subject of academic inquiry before. While there is a growing body of work on deportation, few people have studied the process and its organisation in person, while sites of short-term detention have similarly been overlooked.

    The escorting contract is run as two separate businesses: ‘in-country’, known (confusingly for those more familiar with the US) as ICE, and Overseas, also referenced as OSE. ICE includes 31 sites of short-term immigration detention, many of which are in ports and airports including four in Northern France around Calais and Dunkirk, and a fleet of secure vans and vehicle bases. Overseas officers enforce removals and deportations. While staff may be cross deployed for ‘operational needs’, and some people do move from one part to another over the course of their careers, ICE and OSE are managed separately and staff in each tend to view themselves as distinct from colleagues working for the other.

    The study took many years to arrange and then was severely disrupted by the COVID-19 pandemic. It was one of the most taxing pieces of research I have ever done, and I am still recovering from it. A book about the project is currently in press and should be out later this year, with Princeton University Press. Here I explore some of the ‘costs’ of this system; in financial terms, in its impact on those employed within it, and on their communities. All these matters occur in the context of the impact of the system of those subject to it, as they are denied entry and forced to leave. As a researcher, I was also adversely affected by studying this system, but I shall leave reflections on that to a different piece.

    The current ten-year contract was awarded to Mitie, Care & Custody, in December 2017 at an estimated cost to the public of £525 million. Previous incumbents included Tascor, (part of the Capita group) and G4S. Like those competitors, Mitie holds many other contracts for a variety of public and private organisations. In their 2023 annual report, ‘Business Services’ (29%, £1172m) and ‘Technical’ Services (29% £1154m) provided the lion’s share of the company’s income, followed by ‘Central Government and Defence’ (20%, £828m). Profits generated by ‘Care & Custody’, which includes those generated by three immigration removal centres (Harmondsworth, Colnbrook and Derwentside) that are run under a different set of legal and financial arrangements, were not listed separately. Instead, they formed part of a general category of ‘Specialist Services’ made up of three other businesses areas: ‘Landscapes’, ‘Waste Management’ and, rather incongruously, ‘Spain’. Together, these four sets of contracts constituted just 10% of the company’s revenue (£411m) that year.

    The precise agreement that the Home Office signed for the services Mitie provides is hidden, like all contracts, under the veil of corporate confidentiality. But some information is available. The escorting contract, for instance, is subject to what is known as a ‘cap and collar’. This financial arrangement, which is designed to reduce exposure to financial risk for both parties, meant that during the pandemic, when the borders closed and the numbers detained in immigration removal centres dropped, that the company did not lose money. Despite detaining or deporting very few people, the collar ensured that staff continued to be paid as normal. Similarly, the cap means that Mitie is restricted in the additional costs they demand from the Home Office. The internal transportation of people under immigration act powers, for example, is paid for by ‘volume’, i.e. by the number of people moved within a daily requirement. Any additional movements that are requested that above that level generates profit for the company, but only within a set parameter.

    The cap and collar does not entirely protect Mitie from losing money. The contract includes a range of ‘service credits’, ie fines, which are applied by the Home office for cancellations, delays, injuries, and, escapes. The Home Office is also subject to small fines if they cancel a request without sufficient time for Mitie to redeploy the staff who had been assigned to the work.

    While a missed collection time (eg a person detained at a police station, who must be taken to an immigration removal centre) may incur Mitie a fine of £100, a delayed deportation would result in a fine ten times that sum, and a death ten times more again. These economic penalties form the basis of regular discussions between Mitie and the Home Office, as each side seeks to evade financial responsibility. They also shape the decisions of administrative staff who distribute detained people and the staff moving them, around the country and across the world. It is better to risk a £100 fine than a £1000 one.

    For staff, border control can also be considered in financial terms. This is not a particularly high paying job, even though salaries increased over the research period: they now hover around £30,000 for those employed to force people out of the country, and somewhat less for those who work in Short-term holding facilities. There is also, as with much UK employment, a north-south divide. A recent job ad for a post at Swinderby Residential Short-Term Holding Facility listed a salary of £26,520.54 for 42 hours a week; for two hours less work per week, a person could go to work in the nearby Vehicle base at Swinderby and earn £25,257.65. Down in Gatwick, the same kind of job in a vehicle base was advertised at £28,564.63. Both sums are well below the mean or median average salary for UK workers, which stand at £33,402 and £33,000 respectively. As a comparison, the salary for starting level prison officers, on band 3, is £32, 851, for fewer weekly hours.

    Under these conditions, it is not surprising to find that staff everywhere complained about their pay. Many struggled to make ends meet. As might be expected, there was a generational divide; unlike their older colleagues who were able to obtain a mortgage on their salary, younger people were often stuck either in the rental market or at home with their parents. Few felt they had many alternatives, not least because many of the sites of short-term holding facilities are in economically depressed areas of the UK, where good jobs are hard to come by. In any case, staff often had limited educational qualifications, with most having left school at 16.

    Border control has other kinds of costs. For those who are detained and deported, as well as their families and friends, these are likely to be highest of all, although they do not directly feature in my study since I did not speak to detained people. I could not see how interviewing people while they were being deported or detained at the border would be ethical. Yet the ethical and moral costs were plain to see. In the staff survey, for example, 12.35% of respondents reported suicidal thoughts in the past week, and 7.4% reported thoughts of self-harm over the same period. Both figures are considerably higher than the estimates for matters in the wider community.

    Finally, and this part is the springboard for my next project, there are clearly costs to the local community. When I first started visiting the short-term holding facility at Manston, near Dover, when the tents had only just gone up and the overcrowding had not yet begun, I was shocked at the size of it. A former RA base, it includes many buildings in various states of disrepair, which could have been redeveloped in any number of ways that did not include depriving people of their liberty. Perhaps it could have included affordable homes for those trapped in the rental market, as well as non-custodial accommodation for new arrivals, new schools, a hospital, perhaps some light industry or tech to employ people nearby. What would it take to work for a vision of the future which, in principle, would have room for us all?

    https://blogs.law.ox.ac.uk/border-criminologies-blog/blog-post/2024/03/many-costs-border-control
    #UK #Angleterre #rétention #détention_administrative #renvois #expulsions #business #ICE #OSE #Overseas #Calais #ports #aéroports #Dunkerque #privatisation #migrations #réfugiés #coûts #Mitie #Tascor #Care_&_Custody #G4S #Harmondsworth #Colnbrook #Derwentside #home_office #Swinderby_Residential_Short-Term_Holding_Facility #Swinderby #Gatwick #travail #salaire #contrôles_frontaliers #frontières #santé_mentale #suicides #Manston

  • Le Travail migrant, l’autre délocalisation, de Daniel Véron Note de lecture, Franz Himmelbauer, Antiopées, 3 mars 2024
    https://antiopees.noblogs.org

    Ramasser des fraises, faire les vendanges ou tailler la vigne, entre autres occupations, sont des activités non délocalisables. Des bagnoles, on peut les monter n’importe où, du moment qu’on détient les capitaux nécessaires à acheter du terrain et à installer des chaînes de montage. Mais un certain nombre d’autres travaux réclament une présence humaine sur place, quel ennui ! L’agriculture, comme on vient de le voir, mais aussi le bâtiment, l’hôtellerie-restauration, les emplois de service (nettoyage, manutention, logistique, etc.) et bien sûr ceux du care (dans les hôpitaux, les soins à domicile, les maisons de retraite, et on en passe). (Il y a aussi des choses que l’on pourrait faire ailleurs, et qui se font souvent ailleurs, comme la confection de vêtements au Bangladesh[1], mais que l’on s’arrange aussi parfois pour faire « ici », mais là, ce sera plutôt dans des ateliers clandestins, non autorisés par arrêté publié au JO…) Toute la question (pour les capitalistes) est dès lors d’organiser la « délocalisation sur place », soit de produire une main-d’œuvre moins chère et dépourvue de protections sociale et juridique, donc moins à même de protester contre sa condition. Ce que décrit Daniel Veron en termes plus précis et pertinents. Il parle en effet des « mécanismes de production d’une inclusion différentielle[2], laquelle s’avère décisive dans l’exploitation de la force de travail migrante ».

    #migrants #travail

  • Gabriel Attal annonce une hausse spectaculaire du nombre de contrôles sur les demandeurs d’emploi


    Le premier ministre, Gabriel Attal, lors d’une visite de l’entreprise Numalliance, à Saint-Michel-sur-Meurthe (Vosges), le 1er mars 2024. SEBASTIEN BOZON / AFP

    Le premier ministre a mis en scène sa volonté de durcir les règles de l’assurance-chômage, vendredi, lors d’un déplacement dans les Vosges, exprimant sa volonté de transformer « notre modèle social » pour qu’il « incite toujours davantage au #travail ».
    Par Bertrand Bissuel (Eloyes, Epinal, Saint-Michel-sur-Meurthe (Vosges), envoyé spécial)

    Gabriel Attal a retenu – au moins – une leçon de la brève période au cours de laquelle il fut ministre de l’éducation nationale, juste avant son arrivée à Matignon : la pédagogie est un art de la répétition. Vendredi 1er mars, lors d’un déplacement dans les Vosges, le chef du gouvernement a, une fois de plus, exprimé la volonté de transformer « notre modèle social » pour qu’il « incite toujours davantage au travail ». Son propos a été particulièrement musclé : « Cela nécessitera des décisions difficiles », a-t-il prévenu, sans livrer plus d’indications, mais en faisant clairement référence à la piste, évoquée à plusieurs reprises par l’exécutif depuis la fin de 2023, d’un nouveau durcissement des règles de l’assurance-chômage.

    A travers cette visite, M. Attal entendait montrer combien il est « pour une France du travail ». Il a aussi manifesté toute son attention pour les classes moyennes, « qui gagnent un peu trop pour toucher des aides, mais certainement pas assez pour être à l’aise ». Un message pour les exhorter à ne pas céder, à trois mois des élections européennes, aux « sirènes » des extrêmes : le Rassemblement national n’a pas été nommé, mais M. Attal pensait, de toute évidence, à lui – en premier lieu.
    En un peu moins de quatre heures, il s’est rendu dans trois lieux différents, distants de plusieurs kilomètres : une agence de France Travail, ex-Pôle emploi, un centre de formation de chauffeurs-routiers et une entreprise fabriquant des machines, Numalliance. Une itinérance menée tambour battant en compagnie de deux ministres, Catherine Vautrin (travail, santé et solidarités) et Roland Lescure (industrie et énergie).

    « Nous ne lâcherons rien »

    Le locataire de Matignon en a profité pour confirmer son intention de poursuivre la refonte de notre Etat-providence, avec des formules cinglantes. Le « système », selon lui, a fonctionné, durant des décennies, sur une « hypocrisie », qui consistait à « acheter la paix sociale à coups d’aides sociales ». Cela a entretenu « le chômage de masse », l’enfermement dans « l’inactivité » et le « ressentiment ». Il faut « mettre un terme » à cette situation et changer de « paradigme », a martelé le premier ministre, en soulignant que les décisions prises depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 s’inscrivaient déjà dans cette optique, notamment par le biais des réformes successives de l’#assurance-chômage qui ont durci les conditions d’indemnisation.
    Aujourd’hui, M. Attal veut aller encore plus loin, mais sans dire comment. Il s’est borné à annoncer une augmentation – spectaculaire – du nombre de #contrôles sur les demandeurs d’emploi : le but est d’en réaliser 1,5 million à la fin du quinquennat, soit environ trois fois plus qu’en 2023, tout en les ciblant sur les personnes susceptibles d’être embauchées dans les secteurs cherchant de la main-d’œuvre.

    Le chef du gouvernement réaffirme ainsi son attachement au « devoir de travailler », un principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, a-t-il rappelé, vendredi après-midi. Ce discours lui vaut d’être accusé de punir les chômeurs. Critique qu’il a réfutée, en faisant valoir qu’il se place dans une double logique d’obligations plus strictes mais aussi de droits améliorés.

    C’est au nom de cet argumentaire que M. Attal a confirmé l’extension, à partir du 1er mars, de la réforme du revenu de solidarité active. Elle prévoit de conditionner le versement de la prestation à la réalisation d’au moins quinze heures d’activité par semaine, moyennant un accompagnement renforcé de l’allocataire. Jusqu’à maintenant, la mesure était expérimentée par dix-huit conseils départementaux. Ils seront désormais quarante-sept, l’objectif étant de parvenir à une « généralisation » en 2025. « Nous ne lâcherons rien, tant que tous ceux qui peuvent revenir vers l’emploi perdureront dans le chômage », a-t-il lancé. Une pression qui, à l’en croire, s’exerce autant sur les individus que sur les pouvoirs publics.

    Son leitmotiv en faveur du « travailler plus » s’est accompagné de promesses pour « travailler mieux ». Dans son esprit, il s’agit d’abord de tirer vers le haut les rémunérations. Le premier ministre a, encore, mis en garde les représentants des branches professionnelles dont les conventions collectives contiennent des grilles salariales avec des coefficients sous le smic : s’ils ne corrigent pas ces anomalies, d’ici à juin, par le jeu de la négociation, « nous sommes prêts à toutes les options », a-t-il prétendu, en mentionnant le recours à la loi et « les sanctions ». Un « séminaire gouvernemental » sera, par ailleurs, organisé, à la mi-mars, pour réfléchir à « la question du travail », notamment à « la semaine en quatre jours ».

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/02/gabriel-attal-annonce-une-hausse-spectaculaire-du-nombre-de-controles-sur-le

    #chômeurs #précaires #RSA

  • Des salarié(e)s malades du management qui démissionnent... | Didier Dubasque
    https://dubasque.org/des-salariees-malades-du-management-qui-demissionnent

    Les assistantes sociales qui interviennent dans les entreprises le constatent aussi. De plus en plus de salariés ne supportent plus la façon dont ils sont traités. Ils soulignent une perte de sens dans leur travail et la multiplication des procédures accompagnées d’un contrôle de leurs faits et paroles pouvant aller jusqu’à la suppression de leurs primes liées « au mérite ». Au bout d’un moment, ils s’en vont.J’ai pu récemment recueillir plusieurs témoignages révélateurs d’un management hors-sol et particulièrement néfaste pour les salariées concernées. Je ne dirai pas quel service est concerné. Sachez que ces faits se déroulent dans des entreprises privées qui vendent et organisent des services qui ne relèvent pas du travail social.

    #management #maltraitance (au travail) #travail_salarié #burn_out

  • Travailleurs saisonniers du #Maghreb : la #FNSEA lance son propre business

    Grâce à des #accords passés en #Tunisie et au #Maroc, le syndicat agricole a décidé de fournir des « saisonniers hors Union européenne » aux agriculteurs. Elle fait des prix de gros et recommande d’éviter de parler de « migrants ».

    Le syndicat de l’#agrobusiness ne laisse décidément rien au hasard. Après avoir mis des pions dans la banque, l’assurance, les oléoprotéagineux ou le biodiesel, la FNSEA vient de lancer un service destiné à fournir des saisonniers aux agriculteurs français. #Jérôme_Volle, vice-président du syndicat agricole, a organisé, mercredi, au Salon de l’agriculture, une réunion de présentation du dispositif, fermée au public et aux journalistes.

    Pour l’instant, la chambre d’agriculture Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) a été la seule à promouvoir ce « nouvel outil » destiné « à faire face à la pénurie de main-d’œuvre ». Le nom du service, « Mes #saisonniers_agricoles », a été déposé, le 9 janvier, à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

    Ce « #service_de_recrutement » de la FNSEA repose sur « un #partenariat avec les ministères et les partenaires emploi de la Tunisie et du Maroc » et ne proposera que des saisonniers recrutés hors Union européenne. Ce #service n’est pas sans but lucratif. Selon des documents obtenus par Mediapart, le syndicat s’apprête à facturer aux agriculteurs « 600 euros hors taxe » par saisonnier en cas de commande « de 1 à 3 saisonniers », mais il fait un prix « à partir du 4e saisonnier » : « 510 euros hors taxe le saisonnier ».

    Cette note interne précise qu’un montant de 330 euros est affecté à la « prestation fixe » du syndicat (« rétribution FNSEA »), pour la « recherche / formalité » et le fonctionnement de la « #cellule_recrutement ». Et qu’une rétribution de 270 euros, « ajustable », pourra être perçue par la fédération départementale du syndicat.

    Ces montants sont calculés « pour la première année », car la FNSEA propose aussi son « offre renouvellement », pour un ou plusieurs saisonniers « déjà venu(s) sur l’exploitation », soit « 120 euros hors taxe par saisonnier, puis au 4e 20 euros par saisonnier ». Le syndicat entend donc prélever sa dîme aussi pour les saisonniers déjà connus de l’employeur.

    « Le réseau FNSEA est le premier à mettre en place un schéma organisé et vertueux incluant la phase amont de #recrutement dans les pays hors UE », vante un autre document, qui précise les « éléments de langage » destinés à promouvoir le service « auprès des employeurs agricoles ». « La construction d’un cadre administratif conventionné a été réalisée en concertation avec les ministères de l’intérieur, du travail, des affaires étrangères, les agences pour l’emploi », indique ce document, qui signale que « les premiers pays engagés dans la démarche sont la Tunisie et le Maroc », mais que « d’autres suivront ».

    Dans le lot des récentes #concessions_gouvernementales à la FNSEA figure d’ailleurs la possible inscription de plusieurs #métiers_agricoles dans la liste des #métiers_en_tension – agriculteurs, éleveurs, maraîchers, horticulteurs, viticulteurs et arboriculteurs salariés. Cette mesure qui pourrait être prise par arrêté, le 2 mars, après consultation des partenaires sociaux, doit permettre d’accélérer les procédures de recrutement hors UE. Et devrait donc faciliter le fonctionnement de la cellule ad hoc du syndicat.

    Dans sa note de cadrage, la FNSEA avertit son réseau d’un « point de vigilance » sur le #vocabulaire à employer s’agissant des saisonniers et recommande d’éviter d’employer les termes « #migrant » ou « #primo-migrant » dans leur description du service.

    Le fonctionnement de la « cellule recrutement » des saisonniers n’est pas détaillé par la FNSEA. « Les candidats sont retenus selon les critères mis en place par un #comité_de_sélection composé d’exploitants qui examinent la pertinence des candidatures », précise seulement le syndicat.

    « L’exploitant retrouve le pouvoir de déterminer les compétences souhaitées pour les saisonniers qu’il recrute, il redevient donc maître de ses choix en matières RH. La FD [la fédération départementale – ndlr] l’accompagne et vérifie avec lui la cohérence de ses besoins avec les productions pratiquées (nombre de saisonniers, périodes, tâches). »

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    Le précédent de Wizifarm

    « Nos saisonniers agricoles » n’est pas la première tentative de la FNSEA sur le marché du travail des saisonniers. En 2019, sa fédération départementale de la Marne et deux entreprises contrôlées par le syndicat avaient créé une #start-up, #Wizifarm, pour offrir aux agriculteurs une #plateforme de recrutement de saisonniers en ligne « en s’inspirant du modèle des sites de rencontre ». Lors du premier confinement, cette plateforme est mise à profit par la FNSEA et Pôle emploi pour tenter de fournir de la #main-d’œuvre à l’agriculture dans le cadre de l’opération « desbraspourtonassiette.wizi.farm ».

    La structure a été initialement capitalisée à hauteur de 800 000 euros par « l’apport en nature de logiciels » achetés par la FDSEA à la société #TER’informatique – présidée par le secrétaire général adjoint de la FDSEA, #Mickaël_Jacquemin –, et par l’apport de 100 000 euros de la société d’expertise comptable de la fédération, #AS_Entreprises – présidée par le président de la FDSEA #Hervé_Lapie.

    Cinq fédérations départementales du syndicat et la chambre d’agriculture de la Marne ont rejoint la start-up en 2021. Mais, fragile financièrement, Wizifarm s’essouffle. La société vote sa dissolution anticipée et sa mise en liquidation judiciaire fin 2022. Wizifarm laisse un passif de 1,3 million d’euros. Contactés, Hervé Lapie et Mickaël Jacquemin ont refusé de répondre aux questions de Mediapart.

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    On ne sait pas précisément comment la cellule de la FNSEA fonctionnera avec ses « fédés » départementales mais « un process informatique national » doit charpenter l’initiative. Sollicité par Mediapart au Salon de l’agriculture, Jérôme Volle, artisan de ce dispositif, vice-président de la FNSEA et président de sa commission emploi, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

    En 2022, il soulignait que « les filières viticoles et arboricoles », « très gourmandes en main-d’œuvre », étaient « les plus mobilisées dans la recherche de candidats », suivies par la filière maraîchage.

    Aucune des différentes notes de cadrage obtenues par Mediapart n’évoque la #rémunération des saisonniers ou leurs #conditions_de_travail ou d’hébergement, pourtant récemment au cœur de l’actualité. En septembre dernier, après la mort de quatre personnes lors des vendanges en Champagne, la Confédération paysanne avait demandé un « plan de vigilance et d’amélioration des conditions de travail et de rémunération » pour les saisonniers, ainsi que « le contrôle des sociétés de prestation de services internationales ».

    https://www.mediapart.fr/journal/france/290224/travailleurs-saisonniers-du-maghreb-la-fnsea-lance-son-propre-business
    #travail_saisonnier #saisonniers #agriculture #France #accords_bilatéraux #migrations #business

  • France Travail, un renforcement de la coercition, du contrôle et de la précarité
    https://ricochets.cc/France-Travail-un-renforcement-de-la-coercition-du-controle-et-de-la-preca

    France Travail (sic), c’est une nouvelle extension des ravages de l’emploi et du capitalisme. Avec de nouvelles destructions de la protection sociale, pour safisfaire le capitalisme et les possédants. Rien que le nom, « France Travail », fait frémir. Et quand on voit le contenu ça se confirme. Et le 1er ministre parvenu de la tyrannie macroniste qui communique sur « le travail est un devoir » ! Au totalitarisme économique déjà surpuissant, l’Etat macroniste ajoute de nouvelles injonctions (...) #Les_Articles

    / Travail, emploi, entreprise..., #Le_monde_de_L'Economie

    #Travail,_emploi,_entreprise...
    https://rebellyon.info/La-CGT-devoile-un-document-ultra-detaille-25666

  • Existe-t-il un « devoir de travailler », comme l’a suggéré Gabriel Attal ?
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/15/existe-t-il-un-devoir-de-travailler-comme-l-a-suggere-gabriel-attal_6216756_


    Le premier ministre, Gabriel Attal, en déplacement à Villejuif, dans la banlieue sud de Paris, le 14 février 2024. EMMANUEL DUNAND / AFP

    Invoqué par le premier ministre au sujet de la grève des contrôleurs de la SNCF, le principe d’un « devoir de travailler » figure bien dans le Préambule de la Constitution de 1946. Il n’en demeure pas moins un concept juridiquement « flou », rappelle la maître de conférences en droit social, Bérénice Bauduin, dans un entretien au « Monde ».
    Propos recueillis par Louise Vallée

    Quarante-huit heures avant le mouvement de grève des contrôleurs de la SNCF prévu ce week-end, le premier ministre Gabriel Attal a opposé mercredi 14 février le droit de grève à un devoir de travailler. « Les Français (…) savent que la grève est un droit, mais je crois qu’ils savent aussi que travailler est un devoir », a lancé le premier ministre, interrogé sur le mouvement qui devrait perturber la circulation des trains en plein week-end de vacances scolaires.

    Les deux principes que M. Attal semble opposer sont extraits du Préambule de la Constitution de 1946. L’alinéa 5 affirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » tandis que le septième précise que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Quelle est la portée juridique de ces deux principes ? Sont-ils vraiment opposables ? Pour Bérénice Bauduin, maître de conférences en droit social à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, il serait « hypocrite » de mettre ainsi en regard deux principes qui n’ont pas la même valeur dans la jurisprudence constitutionnelle, où le « devoir de travailler » ne figure pas.

    Sommes-nous tous soumis à un « devoir de travailler » ?

    Le devoir de travailler est une notion très large ; on peut y mettre un peu ce qu’on veut car elle n’a pas été réellement définie juridiquement. Surtout, elle n’a jamais fait l’objet d’une décision de jurisprudence par le Conseil constitutionnel. C’est-à-dire que ses membres n’ont jamais eu à se prononcer sur une loi qui viendrait se confronter à ce principe. L’idée même d’un devoir de travailler est gênante car, dans le droit français, on ne peut pas obliger quelqu’un à travailler. On ne peut pas empêcher un salarié de démissionner, c’est un droit protégé. Même le principe de réquisition, qui peut s’appliquer dans certaines circonstances, est très encadré. Cela va aussi à l’encontre de certains principes internationaux, comme le travail forcé qui est interdit par l’organisation internationale du travail.

    Si le « devoir de travailler » a pu être opposé au droit de grève dans certains discours politiques, d’un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel refuse de se saisir de notions qui sont trop floues, et pour lesquelles il n’est pas en mesure de déterminer ce qu’a été la volonté du constituant. Le devoir de travailler a peut-être été pensé en 1946 comme un devoir moral. Mais il est difficile d’établir que la volonté des constituants était d’en faire une obligation imposable aux citoyens.

    Un principe qui figure dans le Préambule de la Constitution peut donc ne pas avoir de réelle valeur juridique ?

    Le Préambule de la Constitution de 1946, dont sont issus le principe du « droit de grève » comme celui du « devoir de travailler » a été écrit sous la IVe République, au sortir de la seconde guerre mondiale. A l’époque, c’est un texte principalement symbolique qui vise à garantir une République avec plus de droits sociaux, pour compléter la Déclaration des droits de l’homme qui se concentre plutôt sur les droits civils, et éviter une nouvelle exploitation politique de la misère, comme celle qui avait conduit le nazisme au pouvoir. Mais le texte n’avait pas été pensé par ses rédacteurs comme pouvant avoir une valeur juridique contraignante.
    Ce n’est que depuis une décision de juillet 1971 que le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour contrôler la conformité des lois aux droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution. Tous les principes qui figurent dans le préambule de 1946 n’ont toutefois pas été activés de la même manière dans la jurisprudence.

    Peut-on dans ce cas opposer droit de grève et devoir de travailler, comme semble le faire Gabriel Attal ?

    On peut être tentés de les opposer dans certains discours, mais cette opposition est de l’ordre du sophisme. Sur le droit de grève, le Conseil constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à se prononcer sur des lois qui avaient pour objectif d’encadrer ce droit, comme l’instauration d’un préavis obligatoire, ou la loi relative à la continuité du service public. Pour limiter le droit de grève, il faut justifier d’un objectif proportionné, de même valeur constitutionnelle.
    Ce n’est pas le cas pour le devoir de travailler. Même dans une décision comme celle de décembre 2022 sur l’application de la loi relative à l’assurance-chômage, le Conseil constitutionnel ne s’appuie pas sur le « devoir de travailler » mais y invoque plutôt un « objectif d’intérêt public » ou une incitation des travailleurs à retourner à l’emploi.

    Il y a donc quelque chose d’assez hypocrite à utiliser, comme s’ils avaient la même valeur, le droit de grève, protégé en tant que tel par des décisions du Conseil constitutionnel, et le devoir de travailler qui, juridiquement, est inexistant. Par ailleurs, la grève n’est pas une méconnaissance du devoir de travailler. On ne fait pas grève dans le but de ne pas travailler, mais bien pour obtenir la satisfaction de revendications professionnelles.

    #Préambule_de_la_Constitution #Devoir #devoir_de_travailler #travail #grève #droit_de_grève #chômage

  • #Université, service public ou secteur productif ?

    L’#annonce d’une “vraie #révolution de l’Enseignement Supérieur et la Recherche” traduit le passage, organisé par un bloc hégémonique, d’un service public reposant sur des #carrières, des #programmes et des diplômes à l’imposition autoritaire d’un #modèle_productif, au détriment de la #profession.

    L’annonce d’une « #vraie_révolution » de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par Emmanuel Macron le 7 décembre, a pour objet, annonce-t-il, d’« ouvrir l’acte 2 de l’#autonomie et d’aller vers la #vraie_autonomie avec des vrais contrats pluriannuels où on a une #gouvernance qui est réformée » sans recours à la loi, avec un agenda sur dix-huit mois et sans modifications de la trajectoire budgétaire. Le président sera accompagné par un #Conseil_présidentiel_de_la_science, composé de scientifiques ayant tous les gages de reconnaissance, mais sans avoir de lien aux instances professionnelles élues des personnels concernés. Ce Conseil pilotera la mise en œuvre de cette « révolution », à savoir transformer les universités, en s’appuyant sur celles composant un bloc d’#excellence, et réduire le #CNRS en une #agence_de_moyen. Les composantes de cette grande transformation déjà engagée sont connues. Elle se fera sans, voire contre, la profession qui était auparavant centrale. Notre objet ici n’est ni de la commenter, ni d’en reprendre l’historique (Voir Charle 2021).

    Nous en proposons un éclairage mésoéconomique que ne perçoit ni la perspective macroéconomique qui pense à partir des agrégats, des valeurs d’ensemble ni l’analyse microéconomique qui part de l’agent et de son action individuelle. Penser en termes de mésoéconomie permet de qualifier d’autres logiques, d’autres organisations, et notamment de voir comment les dynamiques d’ensemble affectent sans déterminisme ce qui s’organise à l’échelle méso, et comment les actions d’acteurs structurent, elles aussi, les dynamiques méso.

    La transformation de la régulation administrée du #système_éducatif, dont nombre de règles perdurent, et l’émergence d’une #régulation_néolibérale de l’ESR, qui érode ces règles, procède par trois canaux : transformation du #travail et des modalités de construction des #carrières ; mise en #concurrence des établissements ; projection dans l’avenir du bloc hégémonique (i.e. les nouveaux managers). L’action de ces trois canaux forment une configuration nouvelle pour l’ESR qui devient un secteur de production, remodelant le système éducatif hier porté par l’État social. Il s’agissait de reproduire la population qualifiée sous l’égide de l’État. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase du #capitalisme, et cette reproduction est arrimée à l’accumulation du capital dans la perspective de #rentabilisation des #connaissances et de contrôle des professionnels qui l’assurent.

    Le couplage de l’évolution du système d’ESR avec la dynamique de l’#accumulation, constitue une nouvelle articulation avec le régime macro. Cela engendre toutefois des #contradictions majeures qui forment les conditions d’une #dégradation rapide de l’ESR.

    Co-construction historique du système éducatif français par les enseignants et l’État

    Depuis la Révolution française, le système éducatif français s’est déployé sur la base d’une régulation administrée, endogène, co-construite par le corps enseignant et l’État ; la profession en assumant de fait la charge déléguée par l’État (Musselin, 2022). Historiquement, elle a permis la croissance des niveaux d’éducation successifs par de la dépense publique (Michel, 2002). L’allongement historique de la scolarité (fig.1) a permis de façonner la force de travail, facteur décisif des gains de productivité au cœur de la croissance industrielle passée. L’éducation, et progressivement l’ESR, jouent un rôle structurant dans la reproduction de la force de travail et plus largement de la reproduction de la société - stratifications sociales incluses.

    À la fin des années 1960, l’expansion du secondaire se poursuit dans un contexte où la détention de diplômes devient un avantage pour s’insérer dans l’emploi. D’abord pour la bourgeoisie. La massification du supérieur intervient après les années 1980. C’est un phénomène décisif, visible dès les années 1970. Rapidement cela va télescoper une période d’austérité budgétaire. Au cours des années 2000, le pilotage de l’université, basé jusque-là sur l’ensemble du système éducatif et piloté par la profession (pour une version détaillée), s’est effacé au profit d’un pilotage pour et par la recherche, en lien étroit avec le régime d’accumulation financiarisé dans les pays de l’OCDE. Dans ce cadre, l’activité économique est orientée par l’extraction de la valeur financière, c’est à dire principalement par les marchés de capitaux et non par l’activité productive (Voir notamment Clévenot 2008).
    L’ESR : formation d’un secteur productif orienté par la recherche

    La #massification du supérieur rencontre rapidement plusieurs obstacles. Les effectifs étudiants progressent plus vite que ceux des encadrants (Piketty met à jour un graphique révélateur), ce qui entrave la qualité de la formation. La baisse du #taux_d’encadrement déclenche une phase de diminution de la dépense moyenne, car dans l’ESR le travail est un quasi-coût fixe ; avant que ce ne soit pour cette raison les statuts et donc la rémunération du travail qui soient visés. Ceci alors que pourtant il y a une corrélation étroite entre taux d’encadrement et #qualité_de_l’emploi. L’INSEE montre ainsi que le diplôme est un facteur d’amélioration de la productivité, alors que la productivité plonge en France (voir Aussilloux et al. (2020) et Guadalupe et al. 2022).

    Par ailleurs, la massification entraine une demande de différenciation de la part les classes dominantes qui perçoivent le #diplôme comme un des instruments de la reproduction stratifiée de la population. C’est ainsi qu’elles se détournent largement des filières et des établissements massifiés, qui n’assurent plus la fonction de « distinction » (voir le cas exemplaire des effectifs des #écoles_de_commerce et #grandes_écoles).

    Dans le même temps la dynamique de l’accumulation suppose une population formée par l’ESR (i.e. un niveau de diplomation croissant). Cela se traduit par l’insistance des entreprises à définir elles-mêmes les formations supérieures (i.e. à demander des salariés immédiatement aptes à une activité productive, spécialisés). En effet la connaissance, incorporée par les travailleurs, est devenue un actif stratégique majeur pour les entreprises.

    C’est là qu’apparaît une rupture dans l’ESR. Cette rupture est celle de la remise en cause d’un #service_public dont l’organisation est administrée, et dont le pouvoir sur les carrières des personnels, sur la définition des programmes et des diplômes, sur la direction des établissements etc. s’estompe, au profit d’une organisation qui revêt des formes d’un #secteur_productif.

    Depuis la #LRU (2007) puis la #LPR (2020) et la vague qui s’annonce, on peut identifier plusieurs lignes de #transformation, la #mise_en_concurrence conduisant à une adaptation des personnels et des établissements. Au premier titre se trouvent les instruments de #pilotage par la #performance et l’#évaluation. À cela s’ajoute la concurrence entre établissements pour l’#accès_aux_financements (type #Idex, #PIA etc.), aux meilleures candidatures étudiantes, aux #labels et la concurrence entre les personnels, pour l’accès aux #dotations (cf. agences de programmes, type #ANR, #ERC) et l’accès aux des postes de titulaires. Enfin le pouvoir accru des hiérarchies, s’exerce aux dépens de la #collégialité.

    La généralisation de l’évaluation et de la #sélection permanente s’opère au moyen d’#indicateurs permettant de classer. Gingras évoque une #Fièvre_de_l’évaluation, qui devient une référence définissant des #standards_de_qualité, utilisés pour distribuer des ressources réduites. Il y a là un instrument de #discipline agissant sur les #conduites_individuelles (voir Clémentine Gozlan). L’important mouvement de #fusion des universités est ainsi lié à la recherche d’un registre de performance déconnecté de l’activité courante de formation (être université de rang mondial ou d’université de recherche), cela condensé sous la menace du #classement_de_Shanghai, pourtant créé dans un tout autre but.

    La remise en question du caractère national des diplômes, revenant sur les compromis forgés dans le temps long entre les professions et l’État (Kouamé et al. 2023), quant à elle, assoit la mise en concurrence des établissements qui dépossède en retour la profession au profit des directions d’établissement.

    La dynamique de #mise_en_concurrence par les instruments transforme les carrières et la relation d’#emploi, qui reposaient sur une norme commune, administrée par des instances élues, non sans conflit. Cela fonctionne par des instruments, au sens de Lascoumes et Legalès, mais aussi parce que les acteurs les utilisent. Le discours du 7 décembre est éloquent à propos de la transformation des #statuts pour assurer le #pilotage_stratégique non par la profession mais par des directions d’établissements :

    "Et moi, je souhaite que les universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer la #ressource_humaine (…) la ministre m’a interdit de prononcer le mot statut. (…) Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts (…) moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes."

    La démarche est caractéristique du #new_management_public : une norme centrale formulée sur le registre non discutable d’une prétérition qui renvoie aux personnes concernées, celles-là même qui la refuse, l’injonction de s’amputer (Bechtold-Rognon & Lamarche, 2011).

    Une des clés est le transfert de gestion des personnels aux établissements alors autonomes : les carrières, mais aussi la #gouvernance, échappent progressivement aux instances professionnelles élues. Il y a un processus de mise aux normes du travail de recherche, chercheurs/chercheuses constituant une main d’œuvre qui est atypique en termes de formation, de types de production fortement marqués par l’incertitude, de difficulté à en évaluer la productivité en particulier à court terme. Ce processus est un marqueur de la transformation qui opère, à savoir, un processus de transformation en un secteur. La #pénurie de moyen public est un puissant levier pour que les directions d’établissement acceptent les #règles_dérogatoires (cf. nouveaux contrats de non titulaires ainsi que les rapports qui ont proposé de spécialiser voire de moduler des services).

    On a pu observer depuis la LRU et de façon active depuis la LPR, à la #destruction régulière du #compromis_social noué entre l’État social et le monde enseignant. La perte spectaculaire de #pouvoir_d’achat des universitaires, qui remonte plus loin historiquement, en est l’un des signaux de fond. Il sera progressivement articulé avec l’éclatement de la relation d’emploi (diminution de la part de l’emploi sous statut, #dévalorisation_du_travail etc.).

    Arrimer l’ESR au #régime_d’accumulation, une visée utilitariste

    L’État est un acteur essentiel dans l’émergence de la production de connaissance, hier comme commun, désormais comme résultat, ou produit, d’un secteur productif. En dérégulant l’ESR, le principal appareil de cette production, l’État délaisse la priorité accordée à la montée de la qualification de la population active, au profit d’un #pilotage_par_la_recherche. Ce faisant, il radicalise des dualités anciennes entre système éducatif pour l’élite et pour la masse, entre recherche utile à l’industrie et recherche vue comme activité intellectuelle (cf. la place des SHS), etc.

    La croissance des effectifs étudiants sur une période assez longue, s’est faite à moyens constants avec des effectifs titulaires qui ne permettent pas de maintenir la qualité du travail de formation (cf. figure 2). L’existence de gisements de productivité supposés, à savoir d’une partie de temps de travail des enseignants-chercheurs inutilisé, a conduit à une pénurie de poste et à une recomposition de l’emploi : alourdissement des tâches des personnels statutaires pour un #temps_de_travail identique et développement de l’#emploi_hors_statut. Carpentier & Picard ont récemment montré, qu’en France comme ailleurs, le recours au #précariat s’est généralisé, participant par ce fait même à l’effritement du #corps_professionnel qui n’a plus été à même d’assurer ni sa reproduction ni ses missions de formation.

    C’est le résultat de l’évolution longue. L’#enseignement est la part délaissée, et les étudiants et étudiantes ne sont plus au cœur des #politiques_universitaires : ni par la #dotation accordée par étudiant, ni pour ce qui structure la carrière des universitaires (rythmée par des enjeux de recherche), et encore moins pour les dotations complémentaires (associées à une excellence en recherche). Ce mouvement se met toutefois en œuvre en dehors de la formation des élites qui passent en France majoritairement par les grandes écoles (Charle et Soulié, 2015). Dès lors que les étudiants cessaient d’être le principe organisateur de l’ESR dans les universités, la #recherche pouvait s’y substituer. Cela intervient avec une nouvelle convention de qualité de la recherche. La mise en œuvre de ce principe concurrentiel, initialement limité au financement sur projets, a été élargie à la régulation des carrières.

    La connaissance, et de façon concrète le niveau de diplôme des salariés, est devenu une clé de la compétitivité, voire, pour les gouvernements, de la perspective de croissance. Alors que le travail de recherche tend à devenir une compétence générale du travail qualifié, son rôle croissant dans le régime d’accumulation pousse à la transformation du rapport social de travail de l’ESR.

    C’est à partir du système d’#innovation, en ce que la recherche permet de produire des actifs de production, que l’appariement entre recherche et profit participe d’une dynamique nouvelle du régime d’accumulation.

    Cette dynamique est pilotée par l’évolution jointe du #capitalisme_financiarisé (primauté du profit actionnarial sur le profit industriel) et du capitalisme intensif en connaissance. Les profits futurs des entreprises, incertains, sont liés d’une part aux investissements présents, dont le coût élevé repose sur la financiarisation tout en l’accélérant, et d’autre part au travail de recherche, dont le contrôle échappe au régime historique de croissance de la productivité. La diffusion des compétences du travail de recherche, avec la montée des qualifications des travailleurs, et l’accumulation de connaissances sur lequel il repose, deviennent primordiaux, faisant surgir la transformation du contenu du travail par l’élévation de sa qualité dans une division du travail qui vise pourtant à l’économiser. Cela engendre une forte tension sur la production des savoirs et les systèmes de transmission du savoir qui les traduisent en connaissances et compétences.

    Le travail de recherche devenant une compétence stratégique du travail dans tous les secteurs d’activité, les questions posées au secteur de recherche en termes de mesure de l’#efficacité deviennent des questions générales. L’enjeu en est l’adoption d’une norme d’évaluation que les marchés soient capables de faire circuler parmi les secteurs et les activités consommatrices de connaissances.

    Un régime face à ses contradictions

    Cette transformation de la recherche en un secteur, arrimé au régime d’accumulation, suppose un nouveau compromis institutionnalisé. Mais, menée par une politique néolibérale, elle se heurte à plusieurs contradictions majeures qui détruisent les conditions de sa stabilisation sans que les principes d’une régulation propre ne parviennent à émerger.

    Quand la normalisation du travail de recherche dévalorise l’activité et les personnels

    Durant la longue période de régulation administrée, le travail de recherche a associé le principe de #liberté_académique à l’emploi à statut. L’accomplissement de ce travail a été considéré comme incompatible avec une prise en charge par le marché, ce dernier n’étant pas estimé en capacité de former un signal prix sur les services attachés à ce type de travail. Ainsi, la production de connaissance est un travail entre pairs, rattachés à des collectifs productifs. Son caractère incertain, la possibilité de l’erreur sont inscrits dans le statut ainsi que la définition de la mission (produire des connaissances pour la société, même si son accaparement privé par la bourgeoisie est structurel). La qualité de l’emploi, notamment via les statuts, a été la clé de la #régulation_professionnelle. Avec la #mise_en_concurrence_généralisée (entre établissements, entre laboratoires, entre Universités et grandes écoles, entre les personnels), le compromis productif entre les individus et les collectifs de travail est rompu, car la concurrence fait émerger la figure du #chercheur_entrepreneur, concerné par la #rentabilisation des résultats de sa recherche, via la #valorisation sous forme de #propriété_intellectuelle, voire la création de #start-up devenu objectifs de nombre d’université et du CNRS.

    La réponse publique à la #dévalorisation_salariale évoquée plus haut, passe par une construction différenciée de la #rémunération, qui rompt le compromis incarné par les emplois à statut. Le gel des rémunérations s’accompagne d’une individualisation croissante des salaires, l’accès aux ressources étant largement subordonné à l’adhésion aux dispositifs de mise en concurrence. La grille des rémunérations statutaires perd ainsi progressivement tout pouvoir organisationnel du travail. Le rétrécissement de la possibilité de travailler hors financements sur projet est indissociable du recours à du #travail_précaire. La profession a été dépossédée de sa capacité à défendre son statut et l’évolution des rémunérations, elle est inopérante à faire face à son dépècement par le bloc minoritaire.

    La contradiction intervient avec les dispositifs de concurrence qui tirent les instruments de la régulation professionnelle vers une mise aux normes marchandes pour une partie de la communauté par une autre. Ce mouvement est rendu possible par le décrochage de la rémunération du travail : le niveau de rémunération d’entrée dans la carrière pour les maîtres de conférences est ainsi passé de 2,4 SMIC dans les années 1980 à 1,24 aujourd’hui.

    Là où le statut exprimait l’impossibilité d’attacher une valeur au travail de recherche hors reconnaissance collective, il tend à devenir un travail individualisable dont le prix sélectionne les usages et les contenus. Cette transformation du travail affecte durablement ce que produit l’université.

    Produire de l’innovation et non de la connaissance comme communs

    Durant la période administrée, c’est sous l’égide de la profession que la recherche était conduite. Définissant la valeur de la connaissance, l’action collective des personnels, ratifiée par l’action publique, pose le caractère non rival de l’activité. La possibilité pour un résultat de recherche d’être utilisé par d’autres sans coût de production supplémentaire était un gage d’efficacité. Les passerelles entre recherche et innovation étaient nombreuses, accordant des droits d’exploitation, notamment à l’industrie. Dans ce cadre, le lien recherche-profit ou recherche-utilité économique, sans être ignoré, ne primait pas. Ainsi, la communauté professionnelle et les conditions de sa mise au travail correspondait à la nature de ce qui était alors produit, à savoir les connaissances comme commun. Le financement public de la recherche concordait alors avec la nature non rivale et l’incertitude radicale de (l’utilité de) ce qui est produit.

    La connaissance étant devenue un actif stratégique, sa valorisation par le marché s’est imposée comme instrument d’orientation de la recherche. Finalement dans un régime d’apparence libérale, la conduite politique est forte, c’est d’ailleurs propre d’un régime néolibéral tel que décrit notamment par Amable & Palombarini (2018). Les #appels_à_projet sélectionnent les recherches susceptibles de #valorisation_économique. Là où la #publication fait circuler les connaissances et valide le caractère non rival du produit, les classements des publications ont pour objet de trier les résultats. La priorité donnée à la protection du résultat par la propriété intellectuelle achève le processus de signalement de la bonne recherche, rompant son caractère non rival. La #rivalité exacerbe l’effectivité de l’exclusion par les prix, dont le niveau est en rapport avec les profits anticipés.

    Dans ce contexte, le positionnement des entreprises au plus près des chercheurs publics conduit à une adaptation de l’appareil de production de l’ESR, en créant des lieux (#incubateurs) qui établissent et affinent l’appariement recherche / entreprise et la #transférabilité à la #valorisation_marchande. La hiérarchisation des domaines de recherche, des communautés entre elles et en leur sein est alors inévitable. Dans ce processus, le #financement_public, qui continue d’endosser les coûts irrécouvrables de l’incertitude, opère comme un instrument de sélection et d’orientation qui autorise la mise sous contrôle de la sphère publique. L’ESR est ainsi mobilisée par l’accumulation, en voyant son autonomie (sa capacité à se réguler, à orienter les recherches) se réduire. L’incitation à la propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche à des fins de mise en marché est un dispositif qui assure cet arrimage à l’accumulation.

    Le caractère appropriable de la recherche, devenant essentiel pour la légitimation de l’activité, internalise une forme de consentement de la communauté à la perte du contrôle des connaissances scientifiques, forme de garantie de sa circulation. Cette rupture de la non-rivalité constitue un coût collectif pour la société que les communautés scientifiques ne parviennent pas à rendre visible. De la même manière, le partage des connaissances comme principe d’efficacité par les externalités positives qu’il génère n’est pas perçu comme un principe alternatif d’efficacité. Chemin faisant, une recherche à caractère universel, régulée par des communautés, disparait au profit d’un appareil sous doté, orienté vers une utilité de court terme, relayé par la puissance publique elle-même.

    Un bloc hégémonique réduit, contre la collégialité universitaire

    En tant que mode de gouvernance, la collégialité universitaire a garanti la participation, et de fait la mobilisation des personnels, car ce n’est pas la stimulation des rémunérations qui a produit l’#engagement. Les collectifs de travail s’étaient dotés d’objectifs communs et s’étaient accordés sur la #transmission_des_savoirs et les critères de la #validation_scientifique. La #collégialité_universitaire en lien à la définition des savoirs légitimes a été la clé de la gouvernance publique. Il est indispensable de rappeler la continuité régulatrice entre liberté académique et organisation professionnelle qui rend possible le travail de recherche et en même temps le contrôle des usages de ses produits.

    Alors que l’université doit faire face à une masse d’étudiants, elle est évaluée et ses dotations sont accordées sur la base d’une activité de recherche, ce qui produit une contradiction majeure qui affecte les universités, mais pas toutes. Il s’effectue un processus de #différenciation_territoriale, avec une masse d’établissements en souffrance et un petit nombre qui a été retenu pour former l’élite. Les travaux de géographes sur les #inégalités_territoriales montrent la très forte concentration sur quelques pôles laissant des déserts en matière de recherche. Ainsi se renforce une dualité entre des universités portées vers des stratégies d’#élite et d’autres conduites à accepter une #secondarisation_du_supérieur. Une forme de hiatus entre les besoins technologiques et scientifiques massifs et le #décrochage_éducatif commence à être diagnostiquée.

    La sectorisation de l’ESR, et le pouvoir pris par un bloc hégémonique réduit auquel participent certaines universités dans l’espoir de ne pas être reléguées, ont procédé par l’appropriation de prérogatives de plus en plus larges sur les carrières, sur la valorisation de la recherche et la propriété intellectuelle, de ce qui était un commun de la recherche. En cela, les dispositifs d’excellence ont joué un rôle marquant d’affectation de moyens par une partie étroite de la profession. De cette manière, ce bloc capte des prébendes, assoit son pouvoir par la formation des normes concurrentielles qu’il contrôle et développe un rôle asymétrique sur les carrières par son rôle dominant dans l’affectation de reconnaissance professionnelle individualisée, en contournant les instances professionnelles. Il y a là création de nouveaux périmètres par la norme, et la profession dans son ensemble n’a plus grande prise, elle est mise à distance des critères qui servent à son nouveau fonctionnement et à la mesure de la performance.

    Les dispositifs mis en place au nom de l’#excellence_scientifique sont des instruments pour ceux qui peuvent s’en emparer et définissant les critères de sélection selon leur représentation, exercent une domination concurrentielle en sélectionnant les élites futures. Il est alors essentiel d’intégrer les Clubs qui en seront issus. Il y a là une #sociologie_des_élites à préciser sur la construction d’#UDICE, club des 10 universités dites d’excellence. L’évaluation de la performance détermine gagnants et perdants, via des labels, qui couronnent des processus de sélection, et assoit le pouvoir oligopolistique et les élites qui l’ont porté, souvent contre la masse de la profession (Musselin, 2017).

    Le jeu des acteurs dominants, en lien étroit avec le pouvoir politique qui les reconnait et les renforce dans cette position, au moyen d’instruments de #rationalisation de l’allocation de moyens pénuriques permet de définir un nouvel espace pour ceux-ci, ségrégué du reste de l’ESR, démarche qui est justifié par son arrimage au régime d’accumulation. Ce processus s’achève avec une forme de séparatisme du nouveau bloc hégémonique composé par ces managers de l’ESR, composante minoritaire qui correspond d’une certaine mesure au bloc bourgeois. Celles- et ceux-là même qui applaudissent le discours présidentiel annonçant la révolution dont un petit fragment tirera du feu peu de marrons, mais qui seront sans doute pour eux très lucratifs. Toutefois le scénario ainsi décrit dans sa tendance contradictoire pour ne pas dire délétère ne doit pas faire oublier que les communautés scientifiques perdurent, même si elles souffrent. La trajectoire choisie de sectorisation déstabilise l’ESR sans ouvrir d’espace pour un compromis ni avec les personnels ni pour la formation. En l’état, les conditions d’émergence d’un nouveau régime pour l’ESR, reliant son fonctionnement et sa visée pour la société ne sont pas réunies, en particulier parce que la #rupture se fait contre la profession et que c’est pourtant elle qui reste au cœur de la production.

    https://laviedesidees.fr/Universite-service-public-ou-secteur-productif
    #ESR #facs #souffrance

  • Un médecin du travail jugé trop conciliant avec des salariés a été sanctionné
    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/080224/un-medecin-du-travail-juge-trop-conciliant-avec-des-salaries-ete-sanctionn

    Jean-Louis Zylberberg a été lourdement sanctionné par l’Ordre pour avoir délivré des certificats d’inaptitude à six salariés de la même entreprise. Leur patron jugeait qu’il s’agissait d’avis « de complaisance ». L’affaire repose le débat autour du secret médical dans le monde du travail.
    [...]
    Pour la CGT, syndicat auquel appartient le médecin sanctionné, c’est au contraire une « attaque inconcevable à l’encontre de l’autonomie d’exercice des médecins et, à terme, dangereuse pour la santé des salarié·es ». Dans un communiqué de soutien, l’organisation insiste : « Les intérêts des salarié·es et la protection de leur santé ne peuvent pas être bafoués par les intérêts économiques du patronat. » Sollicité par Mediapart, le conseil de l’ordre des médecins n’a pas donné suite.

    Depuis 2007, tout employeur peut attaquer un médecin auprès de l’Ordre « dès lors qu’il est lésé de manière suffisamment directe et certaine par un certificat ou une attestation établie ». Avant cette date, seuls les patient·es, assurances, la Sécurité sociale ou des associations de malades pouvaient introduire une plainte disciplinaire. Mais un mot, ajouté dans un article du Code de la santé publique, a tout changé. L’adverbe « notamment » a été accolé à la liste des plaignant·es potentiel·les.

    « Les employeurs se sont engouffrés dans la brèche », déplore le député insoumis François Ruffin, qui a adressé une question écrite fin décembre 2023 au ministre du travail, à la suite de la convocation du docteur Zylberberg. « De plus en plus de médecins doivent faire face à des sanctions disciplinaires pour avoir simplement fait leur travail : tenter de protéger la santé des salariés », ajoute l’élu LFI dans son texte. La CGT abonde et demande, dans son communiqué, que « l’État prenne ses pleines responsabilités, en retirant le terme “notamment” […] du Code de la santé publique » afin de garantir « l’indépendance et la protection de la médecine du travail ».

    Les certificats et attestations faisant le lien entre la santé physique ou mentale et le travail sont dans la ligne de mire des employeurs. L’association Santé et médecine du travail (a-SMT), présidée par Jean-Louis Zylberberg, estime que deux cent plaintes sont ainsi portées chaque année contre des praticien·nes, dont la moitié concernerait les médecins du travail.
    [...]
    Le secret médical est ici une question centrale. « Il est inadmissible qu’un·e médecin ait à choisir entre violer le secret médical en divulguant des informations sur le/la patient·e ou renoncer à se défendre et à avoir un procès équitable », tempête la CGT. Dominique Huez, de l’association Santé et médecine du travail, abonde : « Dans le cas du docteur Zylberberg, des avis d’inaptitude sont pointés. Or, il nous est interdit de parler de la santé du patient sur ces certificats car ils sont transmis à l’employeur et cela briserait le secret médical ! »
    [...]
    Le docteur Zylberberg ajoute : « La parole des salariés est gommée. Personne ne les entend alors que ce sont les seuls qui peuvent parler. Mais le principe du contradictoire ne fait pas partie de la procédure », ironise-t-il.

    #santé #travail #santé_au_travail #médecine_du_travail

  • Une organisation en #souffrance

    Les Français seraient-ils retors à l’effort, comme le laissent entendre les mesures visant à stigmatiser les chômeurs ? Et si le nombre de #démissions, les chiffres des #accidents et des #arrêts_de_travail étaient plutôt le signe de #conditions_de_travail délétères.

    Jeté dans une #concurrence accrue du fait d’un #management personnalisé, évalué et soumis à la culture froide du chiffre, des baisses budgétaires, le travailleur du XXIe siècle est placé sous une #pression inédite...

    L’étude de 2019 de la Darès (Ministère du Travail) nous apprend que 37% des travailleurs.ses interrogés se disent incapables de poursuivre leur activité jusqu’à la retraite. Que l’on soit hôtesse de caisse (Laurence) ou magistrat (Jean-Pierre), tous témoignent de la dégradation de leurs conditions de travail et de l’impact que ces dégradations peuvent avoir sur notre #santé comme l’explique le psychanalyste Christophe Dejours : “Il n’y a pas de neutralité du travail vis-à-vis de la #santé_mentale. Grâce au travail, votre #identité s’accroît, votre #amour_de_soi s’accroît, votre santé mentale s’accroît, votre #résistance à la maladie s’accroît. C’est extraordinaire la santé par le travail. Mais si on vous empêche de faire du travail de qualité, alors là, la chose risque de très mal tourner.”

    Pourtant, la #quête_de_sens est plus que jamais au cœur des revendications, particulièrement chez les jeunes. Aussi, plutôt que de parler de la semaine de quatre jours ou de développer une sociabilité contrainte au travail, ne serait-il pas temps d’améliorer son #organisation, d’investir dans les métiers du « soin » afin de renforcer le #lien_social ?

    Enfin, la crise environnementale n’est-elle pas l’occasion de réinventer le travail, loin du cycle infernal production/ consommation comme le pense la sociologue Dominique Méda : “Je crois beaucoup à la reconversion écologique. Il faut prendre au sérieux la contrainte écologique comme moyen à la fois de créer des emplois, comme le montrent les études, mais aussi une possibilité de changer radicalement le travail en profondeur.”

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/une-organisation-en-souffrance-5912905

    #travail #audio #sens #reconnaissance #podcast #déshumanisation #grande_distribution #supermarchés #Carrefour #salariat #accidents_du_travail # location-gérance #jours_de_carence #délai_de_carence #financiarisation #traçabilité #performance #néo-taylorisme #taylorisme_numérique #contrôle #don #satisfaction #modernisation #mai_68 #individualisation #personnalisation #narcissisation #collectif #entraide #épanouissement #marges_de_manoeuvre #intensification_du_travail #efficacité #rentabilité #pression #sous-traitance #intensité_du_travail #santé_au_travail #santé #épidémie #anxiété #dépression #santé_publique #absentéisme #dégradation_des_conditions_de_travail #sommeil #identité #amour_de_soi #santé_par_le_travail #tournant_gestionnaire #gouvernance_de_l'entreprise #direction_d'entreprise #direction #règles #lois #gestionnaires #ignorance #objectifs_quantitatifs #objectifs #performance #mesurage #évaluation #traçabilité #quantification #quantitatif #qualitatif #politique_du_chiffre #flux #justice #charge_de_travail

    25’40 : #Jean-Pierre_Bandiera, ancien président du tribunal correctionnel de Nîmes :

    « On finit par oublier ce qu’on a appris à l’école nationale de la magistrature, c’est-à-dire la motivation d’un jugement... On finit par procéder par affirmation, ce qui fait qu’on gagne beaucoup de temps. On a des jugements, dès lors que la culpabilité n’est pas contestée, qui font abstraction de toute une série d’éléments qui sont pourtant importants : s’attarder sur les faits ou les expliquer de façon complète. On se contente d’une qualification développée : Monsieur Dupont est poursuivi pour avoir frauduleusement soustrait 3 véhicules, 4 téléviseurs au préjudice de Madame Durant lors d’un cambriolage » mais on n’est pas du tout en mesure après de préciser que Monsieur Dupont était l’ancien petit ami de Madame Durant ou qu’il ne connaissait absolument pas Madame Durant. Fixer les conditions dans lesquelles ce délit a été commis de manière ensuite à expliquer la personnalisation de la peine qui est quand même la mission essentielle du juge ! Il faut avoir à chaque fois qu’il nous est demandé la possibilité d’adapter au mieux la peine à l’individu. C’est très important. On finit par mettre des tarifs. Quelle horreur pour un juge ! On finit par oublier la quintessence de ce métier qui est de faire la part des choses entre l’accusation, la défense, l’auteur de faits, la victime, et essayer d’adopter une sanction qui soit la plus adaptée possible. C’est la personnalisation de la peine, c’est aussi le devenir de l’auteur de cette infraction de manière à éviter la récidive, prévoir sa resocialisation. Bref, jouer à fond le rôle du juge, ce qui, de plus en plus, est ratatiné à un rôle de distributeur de sanctions qui sont plus ou moins tarifées. Et ça c’est quelque chose qui, à la fin de ma carrière, c’est quelque chose qui me posait de véritables problèmes d’éthique, parce que je ne pensais pas ce rôle du juge comme celui-là. Du coup, la qualité de la justice finit par souffrir, incontestablement. C’est une évolution constante qui est le fruit d’une volonté politique qui, elle aussi, a été constante, de ne pas consacrer à la justice de notre pays les moyens dont elle devait disposer pour pouvoir fonctionner normalement. Et cette évolution n’a jamais jamais, en dépit de tout ce qui a pu être dit ou écrit, n’ai jamais été interrompue. Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation de détresse absolue. La France est donc ??? pénultième au niveau européen sur les moyens budgétaires consacrés à sa justice. Le Tribunal de Nîme comporte 13 procureurs, la moyenne européenne nécessiterait qu’ils soient 63, je dis bien 63 pour 13. Il y a 39 juges au Tribunal de Nîmes, pour arriver dans la moyenne européenne il en faudrait 93. Et de mémoire il y a 125 greffiers et il en faudrait 350 je crois pour être dans la moyenne. Il y avait au début de ma carrière à Nîmes 1 juge des Libertés et de la détention, il y en a aujourd’hui 2. On a multiplié les chiffres du JLD par 10. Cela pose un problème moral et un problème éthique. Un problème moral parce qu’on a le sentiment de ne pas satisfaire au rôle qui est le sien. Un problème éthique parce qu’on finit par prendre un certain nombre de recul par rapport aux valeurs que l’on a pourtant porté haut lorsqu’on a débuté cette carrière. De sorte qu’une certaine mélancolie dans un premier temps et au final un certain découragement me guettaient et m’ont parfois atteint ; mes périodes de vacances étant véritablement chaque année un moment où la décompression s’imposait sinon je n’aurais pas pu continuer dans ces conditions-là. Ce sont des heures de travail qui sont très très chargés et qui contribuent aussi à cette fatigue aujourd’hui au travail qui a entraîné aussi beaucoup de burn-out chez quelques collègues et puis même, semble-t-il, certains sont arrivés à des extrémités funestes puisqu’on a eu quelques collègues qui se sont suicidés quasiment sur place, vraisemblablement en grande partie parce que... il y avait probablement des problèmes personnels, mais aussi vraisemblablement des problèmes professionnels. Le sentiment que je vous livre aujourd’hui est un sentiment un peu partagé par la plupart de mes collègues. Après la réaction par rapport à cette situation elle peut être une réaction combative à travers des engagements syndicaux pour essayer de parvenir à faire bouger l’éléphant puisque le mammouth a déjà été utilisé par d’autres. Ces engagements syndicaux peuvent permettre cela. D’autres ont plus ou moins rapidement baissé les bras et se sont satisfaits de cette situation à défaut de pouvoir la modifier. Je ne regrette rien, je suis parti serein avec le sentiment du devoir accompli, même si je constate que en fermant la porte du tribunal derrière moi je laisse une institution judiciaire qui est bien mal en point."

    Min. 33’15, #Christophe_Dejours, psychanaliste :

    « Mais quand il fait cela, qu’il sabote la qualité de son travail, qu’il bâcle son travail de juge, tout cela, c’est un ensemble de trahisons. Premièrement, il trahi des collègues, parce que comme il réussi à faire ce qu’on lui demande en termes de quantité... on sait très bien que le chef va se servir du fait qu’il y en a un qui arrive pour dire aux autres : ’Vous devez faire la même chose. Si vous ne le faites pas, l’évaluation dont vous allez bénéficier sera mauvaise pour vous, et votre carrière... vous voulez la mutation ? Vous ne l’aurez pas !’ Vous trahissez les collègues. Vous trahissez les règles de métier, vous trahissez le justiciable, vous trahissez les avocats, vous leur couper la parole parce que vous n’avez pas le temps : ’Maître, je suis désolé, il faut qu’on avance.’ Vous maltraitez les avocats, ce qui pose des problèmes aujourd’hui assez compliqués entre avocats et magistrats. Les relations se détériorent. Vous maltraitez le justiciable. Si vous allez trop vite... l’application des peines dans les prisons... Quand vous êtes juges des enfants, il faut écouter les enfants, ça prend du temps ! Mais non, ’va vite’. Vous vous rendez compte ? C’est la maltraitance des justiciables sous l’effet d’une justice comme ça. A la fin vous trahissez la justice, et comme vous faites mal votre travail, vous trahissez l’Etat de droit. A force de trahir tous ces gens qui sont... parce que c’est des gens très mobilisés... on ne devient pas magistrat comme ça, il faut passer des concours... c’est le concours le plus difficile des concours de la fonction publique, c’est plus difficile que l’ENA l’Ecole nationale de magistrature... C’est des gens hyper engagés, hyper réglo, qui ont un sens de la justice, et vous leur faites faire quoi ? Le contraire. C’est ça la dégradation de la qualité. Donc ça conduit, à un moment donné, à la trahison de soi. Ça, ça s’appelle la souffrance éthique. C’est-à-dire, elle commence à partir du moment où j’accepte d’apporter mon concours à des actes ou à des pratiques que le sens moral réprouve. Aujourd’hui c’est le cas dans la justice, c’est le cas dans les hôpitaux, c’est le cas dans les universités, c’est le cas dans les centres de recherche. Partout dans le secteur public, où la question éthique est décisive sur la qualité du service public, vous avez des gens qui trahissent tout ça, et qui entrent dans le domaine de la souffrance éthique. Des gens souffrent dans leur travail, sauf que cette souffrance, au lieu d’être transformée en plaisir, elle s’aggrave. Les gens vont de plus en plus mal parce que le travail leur renvoie d’eux-mêmes une image lamentable. Le résultat c’est que cette trahison de soi quelques fois ça se transforme en haine de soi. Et c’est comme ça qu’à un moment donné les gens se suicident. C’est comme ça que vous avez des médecins des hôpitaux, professeurs de médecine de Paris qui sautent par la fenêtre. Il y a eu le procès Mégnien, au mois de juin. Il a sauté du 5ème étage de Georges-Pompidou. Il est mort. Comment on en arrive là ? C’est parce que les gens ont eu la possibilité de réussir un travail, de faire une oeuvre, et tout à coup on leur casse le truc. Et là vous cassez une vie. C’est pour cela que les gens se disent : ’Ce n’est pas possible, c’est tout ce que j’ai mis de moi-même, tous ces gens avec qui j’ai bossé, maintenant il faut que ça soit moi qui donne le noms des gens qu’on va virer. Je ne peux pas faire ça, ce n’est pas possible.’ Vous les obligez à faire l’inverse de ce qu’ils croient juste, de ce qu’ils croient bien. Cette organisation du travail, elle cultive ce qu’il y a de plus mauvais dans l’être humain. »

    #suicide #trahison #souffrance_éthique

    • Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail #jusqu’à_la_retraite ?

      En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des #risques_professionnels – physiques ou psychosociaux –, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d’#insoutenabillité du travail.

      Les métiers les moins qualifiés, au contact du public ou dans le secteur du soin et de l’action sociale, sont considérés par les salariés comme les moins soutenables. Les salariés jugeant leur travail insoutenable ont des carrières plus hachées que les autres et partent à la retraite plus tôt, avec des interruptions, notamment pour des raisons de santé, qui s’amplifient en fin de carrière.

      Une organisation du travail qui favorise l’#autonomie, la participation des salariés et limite l’#intensité_du_travail tend à rendre celui-ci plus soutenable. Les mobilités, notamment vers le statut d’indépendant, sont également des moyens d’échapper à l’insoutenabilité du travail, mais ces trajectoires sont peu fréquentes, surtout aux âges avancés.

      https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-facteurs-influencent-la-capacite-des-salaries-faire-
      #statistiques #chiffres

  • « Environ la moitié des jeunes sur le marché du travail exercent un emploi sans lien direct avec leur formation initiale »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/02/07/environ-la-moitie-des-jeunes-sur-le-marche-du-travail-exercent-un-emploi-san

    La dernière enquête « Génération » du Céreq porte sur les jeunes sortis en 2017 du système éducatif et interrogés à la fin de 2020, soit trois ans après leur arrivée sur le marché du travail. On observe qu’ils sont en moyenne plus diplômés que leurs prédécesseurs : la moitié des sortants sont diplômés du supérieur, avec une forte progression des bac + 3 et bac + 5. Certes, ils ont pris de plein fouet la crise sanitaire, qui a mis un temps l’économie à l’arrêt, mais ils s’en tirent mieux que la génération 2010, qui a subi durablement les effets de la crise financière de 2008. La génération 2017 se distingue des précédentes par un accès à l’emploi à durée indéterminée [EDI] plus rapide et plus fréquent au cours des trois premières années de vie active.
    En revanche, les inégalités sur le marché du travail restent très marquées selon le niveau et la spécialité de formation. Un #diplôme plus élevé continue de garantir de meilleures conditions d’insertion que celui qui est juste au-dessous. Le type de filière joue aussi un rôle : si un accès rapide (deux mois en moyenne) ou différé (dix-huit mois en moyenne) à l’EDI prévaut largement pour les diplômés d’école d’ingénieurs, de commerce ou encore de licence professionnelle industrielle, les parcours enchaînant les emplois à durée déterminée sont surreprésentés chez les diplômés de la santé et du social, tout comme les diplômés de licence ou de master littérature et sciences humaines.
    Les #salaires varient également avec le niveau de formation – de 1 380 euros net pour ceux qui sortent non diplômés à 3 125 euros pour les docteurs de la santé – et avec la filière de formation – les sortants de master d’art touchent 1 800 euros, quand ceux d’éco-gestion obtiennent 2 350 euros.

    Les choix de filières et de spécialités des étudiants d’aujourd’hui vous semblent-ils correspondre aux besoins du marché du travail ?

    F. L. : Les travaux du Céreq montrent de longue date que le lien formation-emploi est un processus complexe qui ne se résume pas à une simple adéquation entre une formation et un métier. Ainsi, environ la moitié des jeunes entrants sur le marché exercent un emploi sans lien direct avec leur formation initiale. L’enseignement supérieur a cette vocation à forger des compétences de haut niveau qui peuvent être transférables d’une spécialité à l’autre. Le sociologue Yves Lichtenberger l’a très bien dit dans une tribune [sur Aefinfo.fr, en mai 2022] : « On ne forme pas aux métiers de demain, on permet à des étudiants de devenir capables de les faire émerger. »

    https://justpaste.it/drfzl

    "Pour lier formations et emplois, il faut sortir de l’adéquationisme", Yves Lichtenberger, sous #paywall
    https://www.aefinfo.fr/depeche/672955-pour-lier-formations-et-emplois-il-faut-sortir-de-ladequationisme-yve

    #emploi #formation #apprentissage #étudiants #travail

    • https://www.youtube.com/watch?v=GFoTT0cpzx4

      Racconta Stefano Massini:

      “L’uomo nel lampo” è un dialogo in musica. C’è un padre morto giovanissimo in un incidente sul lavoro, uno di quelli che funestano le nostre cronache, senza far notizia al punto tale che neppure destano più scandalo perché il lavoro è diventato un far west e i diritti sono un lusso. L’assuefazione alle cosiddette morti bianche è ormai un dato di fatto, e con questo brano di teatro-canzone tentiamo di sollevare il velo della narcosi. La canzone è un piccolo ritratto di vita, drammatica perchè cristallizza un dialogo impossibile: da quella fotografia appesa in salotto, il padre non smette mai di parlare al figlio, che nel frattempo cresce nella leggenda di quel papà “morto dentro un lampo”. È un nuovo capitolo della collaborazione che da anni mi lega a Paolo Jannacci, e che dal 2020 ci ha visti nei teatri di tutta Italia con le repliche di “Storie” del Piccolo Teatro di Milano. Questa collaborazione mi rende ancora più fiero dal momento che si inscrive nella scia di un impegno civile, quello sulle morti cosiddette “bianche”, che tante volte ho denunciato anche per ragioni familiari.

      Aggiunge Paolo Jannacci:

      “Riuscire a tutelare e tutelarsi nel mondo del lavoro ci sottrae dalla meschinità che spesso ci domina. “L’uomo nel lampo” è un piccolo contributo in chiave poetica, per non dimenticare chi è morto sul lavoro e per mantenersi sempre in guardia, perché ne va della nostra vita. L’Italia è una Repubblica democratica fondata sul lavoro, ma spesso ce ne dimentichiamo. Altro non posso dire perché sono solo un saltimbanco… Ma si sa: i saltimbanchi, da sempre, raccontano amare verità”.

      –---

      Ehi, ehi Michè,
      Sono io Michè, questa voce lontana
      Dicono, sai la vita è strana
      Ma più che strana è proprio bastarda
      Ed io lo so perché mi riguarda

      Da quando il mio filo si è rotto
      Sono una foto appesa in salotto
      E in quella foto oltretutto...
      Ma dai Michè son così brutto:
      Occhi chiusi, viso scuro...
      Che se mi avessero detto giuro
      «Questa foto resterà di te»
      Accidenti Michè, mi sarei messo in posa
      1,2,3, flash, perfetto
      Sono io, sì,
      sono l’uomo di cui ti hanno detto
      Che un lampo mi portò via
      E di me non resta, che una fotografia

      C’era una volta un uomo che vide come un lampo
      sorrise e alzò le mani come per abbracciarlo
      L’uomo nel lampo che non è più tornato
      Lo videro in quel lampo e lì si è addormentato
      Proprio quel lampo che portò via mio padre
      e che da quel momento è musica nel vento

      Sai Michè,
      non è che sono solo in questo posto
      C’è più folla che a Rimini ad agosto
      Tutti come me finiti fuori pista
      Tutti fuori dalla lista
      Tutti con il marchio addosso di questo paradosso
      Che il lavoro porta sotto terra
      e l’operaio muore come in guerra

      Ma io Michè, io che ridevo anche dei guai
      io, che la battuta non mi mancava mai,
      Quando mi dicono: «la fabbrica è una miniera»
      Rispondo «No, piuttosto è una galera»
      Perché loro si fanno l’ora d’aria
      e pure noi, nel senso che saltiamo in aria
      E nelle fiamme di sei metri e via..
      Passi da uomo a fotografia.

      C’era una volta un uomo che vide come un lampo
      sorrise e alzò le mani come per fermarlo
      L’uomo nel lampo che non è più tornato
      Lo videro in quel lampo

      Questo lampo non ha odore ne colore
      Il lampo uccide ma senza far rumore
      Poi ti guardi ad uno specchio
      E lì vorresti perdonare

      E vabbè, basta dai...
      Da questa foto mi guardo intorno
      E non ho smesso un solo giorno
      in silenzio fotografato e muto di dirti:
      «Ciao Michè, sono il padre che non hai conosciuto»

      #accidents_de_travail #travail #mourir_au_travail #musique #chanson #musique_et_politique #Stefano_Massini #Paolo_Jannacci #morts_blanches

    • « Il est logique de reconnaître aux Maires la possibilité d’exiger des devoirs en contrepartie de droits, le respect de son pays et des morts pour la France en fait partie. »

      Le front de l’air est vraiment putride.
      Bientot le RSA conditionné à la présence lors des commemoration de Pétain et Maurras. La CAF à condition de dire notre fierté pour Depardieu....
      Bientôt tu pourra crever la dalle si t’es pas Charlie

    • Le tribunal administratif de Toulon a (...) validé le 26 janvier 2024, cette décision du maire, adoptée en septembre 2022, par la majorité des élus de #droite. Cette mesure avait été cependant contestée par la suite par la préfecture qui dénonçait : "une ingérence dans les libertés d’association et de conscience".

      Le tribunal administratif de Toulon a estimé que cette dernière favorisait "l’engagement des associations lors d’événements ayant un intérêt public local" sans enfreindre "le principe de neutralité".

      #Associations #subventions

      Droits et devoirs : la rupture Macron
      https://www.mediapart.fr/journal/france/250322/droits-et-devoirs-la-rupture-macron

      Pour le président-candidat, « les devoirs valent avant les droits ». Cette logique, qui va à l’encontre des principes fondamentaux de l’État social et l’#État_de_droit, irrigue l’ensemble de son projet de réélection. En distinguant les bons et les mauvais citoyens.
      Romaric Godin et Ellen Salvi
      25 mars 2022


      EmmanuelEmmanuel Macron a rarement parlé de « droits » sans y accoler le mot « devoirs ». En 2017 déjà, il présentait les contours de sa future réforme de l’assurance-chômage, en expliquant vouloir « un système exigeant de droits et de devoirs ». Deux ans plus tard, au démarrage du « grand débat national », pensé comme une campagne de mi-mandat pour endiguer la crise des « gilets jaunes », il déplorait l’usage de l’expression « cahier de doléances », lui préférant celle de « cahiers de droits et de devoirs » [le droit de se plaindre, et surtout le devoir de la fermer et d’obéir, ndc]..
      À l’époque, le chef de l’État prenait encore soin, au moins dans son expression, de maintenir un semblant d’équilibre. Mais celui-ci a volé en éclats au printemps 2021, en marge d’un déplacement à Nevers (Nièvre). Interpellé par un homme sans papiers, le président de la République avait déclaré : « Vous avez des devoirs, avant d’avoir des droits. On n’arrive pas en disant : “On doit être considéré, on a des droits.” » Avant d’ajouter, sans l’ombre d’une ambiguïté : « Les choses ne sont pas données. »

      Jeudi 17 mars, le président-candidat a de nouveau invoqué la question des devoirs en abordant le volet régalien de son projet. Rappelant son engagement à accueillir des familles ukrainiennes fuyant la guerre, il a immédiatement prévenu vouloir « changer les modes d’accès aux titres de séjour » et notamment les titres de séjour longs, qui seront désormais accordés « dans des conditions beaucoup plus restrictives ». Parce que non, définitivement, « les choses ne sont pas données ».
      Cette rhétorique du donnant-donnant irrigue aujourd’hui l’ensemble du programme d’Emmanuel Macron. Elle s’impose ainsi dans le volet économique de celui-ci. La mesure la plus représentative en la matière étant sans doute la mise sous condition de travail ou de formation du revenu de solidarité active (#RSA). Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a d’ailleurs explicitement indiqué que cette proposition s’inscrivait dans cette « logique de droits et devoirs » proposée par le candidat.
      Une logique, ou plus exactement une précédence, que le chef de l’État a lentement installée, l’étendant des sans-papiers à tous les citoyens et citoyennes. « Être #citoyen, ce n’est pas demander toujours des droits supplémentaires, c’est veiller d’abord à tenir ses devoirs à l’égard de la nation », avait-il lancé en août 2021. « Être un citoyen libre et toujours être un citoyen responsable pour soi et pour autrui ; les devoirs valent avant les droits », insistait-il en décembre, à destination des personnes non vaccinées.

      Une vision digne de l’Ancien Régime

      Emmanuel Macron a balayé, en l’espace de quelques mois, l’héritage émancipateur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pour les rédacteurs de cette dernière, rappelait l’avocat Henri Leclerc dans ce texte, « les droits qu’ils énoncent sont affaire de principe, ils découlent de la nature de l’homme, et c’est pourquoi ils sont imprescriptibles ; les devoirs eux sont les conséquences du contrat social qui détermine les bornes de la liberté, par la loi, expression de la volonté générale ».
      « Ce sont les sociétés totalitaires qui reposent d’abord sur l’#obéissance à des impératifs non négociables qui, en fait, ne sont pas des devoirs auxquels chacun devrait subordonner librement ses actes, écrivait-il en guise de conclusion. Les sociétés démocratiques reposent sur l’existence de droits égaux de citoyens libres qui constituent le peuple d’où émane la souveraineté. Chacun y a des devoirs qui, sans qu’il soit nécessaire de les préciser autrement, répondent à ses droits universels. »
      Début 2022, face aux critiques – Jean-Luc Mélenchon avait notamment tweeté : « Les devoirs avant les droits, c’est la monarchie féodale et ses sujets. Le respect des droits créant le devoir, c’est la République et la citoyenneté » –, Gabriel Attal avait assuré un nouveau service après-vente. Dans Le Parisien, le porte-parole du gouvernement avait expliqué vouloir « poursuivre la redéfinition de notre contrat social, avec des devoirs qui passent avant les droits, du respect de l’autorité aux prestations sociales ».

      La conception conservatrice du « bon sens »

      Cette « redéfinition de notre contrat social » se traduit par plusieurs mesures du projet présidentiel : le RSA donc, mais aussi l’augmentation des salaires du corps enseignant contre de nouvelles tâches – « C’est difficile de dire : on va mieux payer tout le monde, y compris celles et ceux qui ne sont pas prêts à davantage s’engager ou à faire plus d’efforts », a justifié Emmanuel Macron [avant d’introduire la notion de #salaire_au_mérite dans la fonction publique, ndc]–, ou même la réforme des retraites qui soumet ce droit devenu fondamental à des exigences économiques et financières.
      Cette vision s’appuie sur une conception conservatrice du « bon sens », qui conditionne l’accès aux droits liés aux prestations sociales à certains comportements méritants. Elle va à l’encontre total des principes qui fondent l’État social. Ce dernier, tel qu’il a été conçu en France par le Conseil national de la Résistance, repose en effet sur l’idée que le capitalisme fait porter sur les travailleurs et travailleuses un certain nombre de risques contre lesquels il faut se prémunir.

      Ce ne sont pas alors d’hypothétiques « devoirs » qui fondent les droits, c’est le statut même du salarié, qui est en première ligne de la production de valeur et qui en essuie les modalités par les conditions de travail, le chômage, la pénibilité, la faiblesse de la rémunération. Des conditions à l’accès aux droits furent toutefois posées d’emblée, l’État social relevant d’un compromis avec les forces économiques qui ne pouvaient accepter que le risque du chômage, et sa force disciplinaire centrale, ne disparaisse totalement.
      Mais ces conditions ne peuvent prendre la forme de devoirs économiques, qui relèvent, eux, d’une logique différente. Cette logique prévoit des contreparties concrètes aux aides sociales ou à la rémunération décente de certains fonctionnaires. Et ce, alors même que chacun, y compris Emmanuel Macron, convient de la dévalorisation du métier d’enseignant. Elle conduit à modifier profondément la conception de l’aide sociale et du traitement des fonctionnaires. À trois niveaux.
      Le premier est celui de la définition même des « devoirs ». Devoirs envers qui ou envers quoi ? Répondre à cette question, c’est révéler les fondements philosophiques conservateurs du macronisme. Un bénéficiaire du RSA aurait des devoirs envers un État et une société qui lui demandent de vivre avec un peu plus de 500 euros par mois ? Il aurait en quelque sorte des « contreparties » à payer à sa propre survie.
      Si ces contreparties prenaient la forme d’un travail pour le secteur privé, celui-ci deviendrait la source du paiement de l’allocation. C’est alors tout le centre de gravité de l’État social qui évoluerait, passant du travail au capital. En créant la richesse et en payant l’allocation, les entreprises seraient en droit de demander, en contrepartie, du travail aux allocataires au RSA, lesquels deviendraient forcément des « chômeurs volontaires » puisque le travail serait disponible.

      Les allocataires du RSA devront choisir leur camp

      Ce chômage volontaire serait une forme de comportement antisocial qui ferait perdre à la société sa seule véritable richesse : celle de produire du profit. On perçoit, dès lors, le retournement. La notion de « devoirs » place l’allocataire du RSA dans le rôle de #coupable, là où le RMI, certes imaginé par Michel Rocard dans une logique d’insertion assez ambiguë, avait été pensé pour compléter l’assurance-chômage, qui laissait de côté de plus en plus de personnes touchées par le chômage de longue durée.

      Ce retournement a une fonction simple : #discipliner le monde du travail par trois mouvements. Le premier, c’est celui qui veut lui faire croire qu’il doit tout au capital et qu’il doit donc accepter ses règles. Le second conduit à une forme de #criminalisation de la #pauvreté qui renforce la peur de cette dernière au sein du salariat – un usage central au XIXe siècle. Le dernier divise le monde du travail entre les « bons » citoyens qui seraient insérés et les « mauvais » qui seraient parasitaires.
      C’est le retour, déjà visible avec les « gilets jaunes », à l’idée que déployait Adolphe Thiers dans son discours du 24 mai 1850, en distinguant la « vile multitude » et le « vrai peuple », « le pauvre qui travaille » et le « vagabond ». Bientôt, les allocataires du RSA devront choisir leur camp. Ce qui mène à la deuxième rupture de cette logique de « devoirs ». Le devoir suprême, selon le projet d’Emmanuel Macron, est de travailler. Autrement dit de produire de la valeur pour le capital.

      Individualisation croissante

      C’est le non-dit de ces discours où se retrouvent la « valeur #travail », les « devoirs générateurs de droits » et le « #mérite ». Désormais, ce qui produit des droits, c’est une capacité concrète à produire cette valeur. Il y a, dans cette démarche, une logique marchande, là où l’État social traditionnel voyait dans la protection sociale une fenêtre de démarchandisation – c’est parce qu’on devenait improductif qu’on devait être protégé. À présent, chacun, y compris les plus fragiles, doit faire preuve de sa capacité constante de production pour justifier son droit à survivre.

      Cette #marchandisation va de pair avec une individualisation croissante. Dans le modèle traditionnel, la pensée est systémique : le capitalisme produit des risques sociaux globaux dont il faut protéger tous les travailleurs et travailleuses. Dans le modèle des contreparties, chacun est mis face à l’injonction de devoir justifier individuellement ses droits par une mise à l’épreuve du marché qui est le juge de paix final. On comprend dès lors pourquoi Christophe Castaner prétend que l’allocation sans contrepartie est « la réponse des lâches ».
      Car ce choix laisserait les individus sans obligations devant le marché. Or, pour les partisans d’Emmanuel Macron, comme pour Friedrich Hayek, la seule façon de reconnaître un mérite, c’est de se confronter au marché qui donne à chacun ce à quoi il a droit. La vraie justice est donc celle qui permet d’être compétitif. C’est la vision qu’a d’ailleurs défendue le président-candidat le 22 mars, sur France Bleu, en expliquant que la « vraie inégalité » résidait dans « les inégalités de départ ». L’inégalité de résultat, elle, n’est pas remise en cause. [voir L’égalité des chances contre l’égalité http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4443]

      Le dernier point d’inflexion concerne l’État. Dans la logique initiale de la Sécurité sociale, la protection contre les risques induits par le capitalisme excluait l’État. De 1946 à 1967, seuls les salariés géraient la Sécu. Pour une raison simple : toutes et tous étaient les victimes du système économique et les bénéficiaires de l’assurance contre ces risques. Le patronat cotisait en tant qu’origine des risques, mais ne pouvait décider des protections contre ceux qu’il causait. Ce système a été progressivement détruit, notamment en s’étatisant.
      Le phénomène fut loin d’être anecdotique puisqu’il a modifié le modèle initial et changé la nature profonde de l’État : désormais, le monde du travail est redevable à celui-ci et au patronat de ses allocations. Ces deux entités – qui en réalité n’en forment qu’une – exigent des contreparties aux allocataires pour compenser le prix de leur prise en charge. L’État étant lui-même soumis à des choix de rentabilité, l’allocataire doit devenir davantage rentable. Dans cet état d’esprit, cette « #rentabilité » est synonyme « d’#intérêt_général ».
      Les propositions sur le RSA et le corps enseignant entrent dans la même logique. Emmanuel Macron agit en capitaliste pur. Derrière sa rhétorique des droits et des devoirs se profilent les vieilles lunes néolibérales : marchandisation avancée de la société, discipline du monde du travail et, enfin, idée selon laquelle l’État serait une entreprise comme les autres. Le rideau de fumée de la morale, tiré par un candidat qui ose parler de « dignité », cache mal le conservatisme social de son système de pensée.

      Romaric Godin et Ellen Salvi

      #subventions #associations #contrepartie #droits #devoirs #égalité #inégalité

  • RSA sous condition : la ministre du Travail annonce un élargissement de l’expérimentation « à 47 départements d’ici la fin du mois » - Public Sénat
    https://www.publicsenat.fr/actualites/emploi/rsa-sous-condition-la-ministre-du-travail-annonce-un-elargissement-de-le

    « La meilleure émancipation, c’est le travail », résume Catherine Vautrin au micro de Public Sénat pour expliquer la position du gouvernement en matière de lutte contre le chômage. À ce titre, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, a annoncé un élargissement de l’expérimentation du conditionnement du #RSA à 15 heures d’activité : « Aujourd’hui, il y a 18 expérimentations, nous allons passer à 47 d’ici la fin du mois. »

    Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait déjà annoncé que ce dispositif – voté dans le cadre de la loi « pour le plein emploi » – serait généralisé à toute la France d’ici à 2025.
    Une réforme de l’allocation spécifique de solidarité

    Dans son discours devant l’Assemblée nationale, Gabriel Attal avait également annoncé son souhait de supprimer l’allocation spécifique de solidarité pour les #chômeurs en fin de droit, pour la remplacer par le versement du RSA.

    La disparition de cette allocation, destinée aux demandeurs d’emploi qui ont épuisé leurs droits à l’assurance chômage, suscite des inquiétudes. Les associations craignent une précarisation des chômeurs de longue durée, les départements – qui sont responsables du versement du RSA – alertent sur la création d’une nouvelle charge financière.

    « Un demandeur d’emploi, ce qu’il cherche c’est à retourner dans l’emploi. Notre objectif, c’est de l’accompagner à aller dans l’emploi, c’est la meilleure émancipation possible pour lui », assume de son côté Catherine Vautrin.

    Vain dieu, cette fois-ci je ne vais pas y couper alors que je ne cherche pas vraiment à retrouver du travail, le salaire me suffirai !

  • L’#immigration : un atout pour le #dynamisme_économique

    Les travaux scientifiques ne concluent pas à un #impact négatif de l’immigration sur les salaires ou l’emploi des travailleurs natifs. Au contraire, les immigrés contribuent à la #croissance_économique, notamment en soutenant l’activité dans les secteurs en tension et en favorisant l’#innovation.

    Les questions migratoires, au centre du débat public depuis des décennies, le sont d’autant plus depuis l’annonce de la nouvelle loi Darmanin-Dussot 2023, plus communément appelée « loi immigration ». Les débats qui en découlent reflètent une tension palpable autour de son impact sur le pays d’accueil. Ces débats s’inscrivent dans la stratégie politique adoptée par l’extrême droite et une fraction de la droite républicaine, dépeignant l’immigration comme un « tsunami », susceptible de mettre en péril la stabilité de notre société. François Héran (2023) qualifie ce procédé de « déni de l’immigration », une manœuvre visant à la présenter comme un phénomène illégitime dont il faudrait se prémunir par le biais de politiques plus strictes, telles que la réduction du nombre d’entrées sur le territoire ou le durcissement des conditions d’accès aux prestations sociales.

    Bien que ce débat se focalise principalement sur les aspects identitaires et sécuritaires de l’immigration, les préoccupations concernant l’emploi et les salaires des travailleurs natifs ainsi que les finances publiques sont également mobilisées pour justifier des politiques d’intégration plus strictes. Sans nier l’importance politique et sociale du premier aspect lié à l’intégration des immigrés, nous centrerons notre propos sur l’impact fiscal et économique de l’immigration dans le contexte français.

    Cet essai vise dans un premier temps à confronter le mythe d’une immigration massive sur la base du regroupement familial aux réalités démographiques de ces vingt dernières années. Il ressort que la France a connu une croissance stable de sa population immigrée, mais relativement modeste par rapport à celle de ses voisins européens. L’étude de la littérature économique permet dans un second temps d’établir que l’immigration ne constitue ni un poids pour les finances publiques, ni une menace pour les travailleurs natifs en termes d’emploi et de rémunération. À l’inverse, en répondant à des besoins de main-d’oeuvre, ou en favorisant l’innovation, l’immigration apparaît comme un facteur important de croissance et de productivité à court et long-terme.
    Les dynamiques migratoires en France depuis les années 2000
    Une immigration en hausse qui s’inscrit dans une tendance mondiale

    En janvier 2023, la France comptait 7 millions d’immigrés, soit 10,3% de la population (Héran, 2023), ce qui correspond à 5 points de pourcentage en plus par rapport à 1950. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la proportion d’immigrés a connu deux grandes phases d’expansion, la première durant les « Trente Glorieuses », et la seconde depuis le début du XXIe siècle jusqu’à 2020. Sur cette dernière période, le taux moyen de croissance annuelle était de 2,1%, soit un accroissement moyen annuel d’environ 140 000 personnes. Le nombre d’immigrés et leur poids dans la population française connaissent donc une croissance stable depuis le début du siècle.

    La définition plus large des immigrés de l’ONU, qui comprend l’ensemble des personnes nées à l’étranger, permet des comparaisons internationales. Définis ainsi, les immigrés représentent 13,1% de la population française.

    Au niveau mondial, les migrations internationales ont connu une forte expansion entre 2000 et 2020, puisque la population immigrée enregistrée dans les pays d’accueil a connu une augmentation de 62%, surpassant de loin le taux de croissance de la population mondiale (27%). Cette tendance est particulièrement marquée en Europe où l’on observe une augmentation de 67% du nombre d’immigrés sur la période. En comparaison, la croissance de la population immigrée en France (36%) est significativement plus modeste que la moyenne européenne, notamment par rapport aux pays d’Europe du Sud. L’Allemagne et l’Autriche, avec une croissance de 75% de leur population immigrée, se distinguent également nettement de la France depuis la "crise des réfugiés" de 2015, période pendant laquelle ces pays ont accueilli un nombre drastiquement plus élevé de personnes déplacées en provenance du Moyen-Orient. Ces tendances persistent lorsqu’on examine la proportion d’immigrés par rapport à la population totale.

    Le discours anti-immigration avance que la France aurait accueilli de manière disproportionnée des réfugiés depuis la crise de 2015, du fait notamment de la « générosité » de son système de protection sociale. Or, à titre d’exemple, entre 2014 et 2020, seulement 3% des demandes d’asile déposées dans l’Union européenne par les Syriens déplacés ont concerné la France, contre 53% pour l’Allemagne. Si l’on exclut les pays les plus touchés par la crise, la France recense 18% des demandes d’asile, soit l’équivalent de son poids économique dans l’UE.

    Ces réalités démographiques s’opposent donc au mythe d’une immigration hors de contrôle à tendance exponentielle. Bien que la France ait connu une croissance stable de sa population immigrée depuis 2000, sa trajectoire demeure nettement en retrait par rapport à celle de ses voisins d’Europe de l’Ouest et du Sud.

    Motifs et Composition de la population immigrée

    La France, comparée à ses principaux partenaires de l’OCDE, se caractérise par une immigration fondée sur le motif familial, peu qualifiée et peu diversifiée en termes d’origines géographiques (Auriol et al., 2021).

    Alors que la libre circulation constitue le principal facteur d’immigration dans la plupart des pays européens, elle occupe la deuxième position en France derrière le motif familial. Sur la période 2007-2016, 43,7 % des immigrants sont arrivés pour des raisons familiales, tandis que 31 % sont venus pour leurs études, 10 % pour des motifs humanitaires, et seulement 9 % pour des raisons liées au travail

    . Les individus originaires du Maghreb et d’Afrique Sub-Saharienne représentaient 41% des immigrés en 2017.

    La part des migrations pour motif familial est prépondérante, mais tend à diminuer ces dernières années. La hausse de 61 % des titres de séjour délivrés entre 2005 et 2022 s’explique pour moitié par la migration étudiante, et pour plus d’un quart par la migration de travail, notamment qualifiée à partir de 2016 avec l’initiative passeport-talent (Héran, 2023). Au cours de cette période, la migration familiale a connu une légère baisse, contredisant le discours anti-immigration qui dépeint une augmentation incontrôlée du regroupement familial.

    Même si le niveau d’éducation des immigrés a augmenté au cours des dernières décennies, l’écart n’a pas été comblé avec celui des non-immigrés qui a également progressé. Ainsi, La population immigrée reste surreprésentée parmi les moins qualifiés (20 points de pourcentage de plus que les non-immigrés), avec également une proportion relativement faible de personnes très qualifiées par rapport à d’autres grandes puissances économiques. Ce plus faible niveau d’éducation, ajouté des obstacles linguistiques, culturels, administratifs, mais aussi à des pratiques discriminatoires, est à relier à un taux de chômage plus élevé (13 % contre 7,5 % pour les non-immigrés en 2020).

    Quel impact économique et fiscal ?

    Un impact négligeable sur le #déficit_budgétaire

    La loi immigration prévoit de conditionner l’accès à certaines prestations sociales non-contributives à une condition d’ancienneté sur le territoire pour les étrangers non européens. Marine Le Pen parle de « victoire idéologique », ayant elle-même avancé dès 2011 que : « L’immigration participe de la déstabilisation massive de notre système de protection sociale » et en 2021 de réserver les allocations familiales « exclusivement aux Français ». Ces propositions s’inscrivent dans une croyance infondée selon laquelle l’immigration représente un coût pour les finances publiques du pays d’accueil (Ragot, 2021). La contribution nette des immigrés aux finances publiques oscille en moyenne autour de +/- 0,5 % du PIB selon le pays et les années. Dans le cas de la France, les estimations corroborent ce faible impact négatif sur la période 1979-2021 (Chojnicki et al., 2021). L’absence d’incidence des immigrés sur les finances publiques, malgré une situation relativement plus précaire en moyenne que les natifs, s’explique par une composition démographique plus avantageuse. Les immigrés sont surreprésentés dans les classes d’âge les plus actives, entre 20 et 60 ans, période au cours de laquelle les montants des cotisations payées sont en moyenne supérieurs à ceux des avantages perçus. La structure d’âge de la population immigrée permet donc de compenser une contribution plus faible à âge donné que les non-immigrés.

    La France n’attire donc pas plus de migrants du fait de la « générosité » de son système de protection sociale et ces derniers ne représentent pas un poids pour les finances publiques. Lier l’accès aux prestations sociales à la nationalité pourrait avoir des conséquences déplorables sur le taux et l’intensité de la pauvreté des familles étrangères, alors que des actions visant à faciliter leur insertion sur le marché du travail amélioreraient à la fois leur contribution fiscale et leur participation à la vie sociale.

    Un impact moyen négligeable sur l’emploi et les salaires des natifs
    Éléments théoriques

    La théorie économique standard définit un marché du travail avec deux facteurs de production complémentaires, le travail (les travailleurs) et le capital (l’ensemble des biens destinés à la production). Dans ce cadre, une intensification de l’immigration correspond à une augmentation du facteur travail. Lorsque le nombre de travailleurs augmente, mais que la quantité de capital reste fixe, la productivité par travailleur diminue, entraînant également une baisse du salaire moyen perçu (Borjas, 2003). Bien que le niveau d’emploi global augmente, la part de chômage volontaire des natifs peut augmenter, car leurs attentes salariales ne sont plus satisfaites. De plus, si la capacité d’ajustement à la baisse des salaires est limitée, en présence d’un salaire minimum par exemple, l’ajustement du marché peut se faire par le biais d’une diminution du taux d’emploi. Lorsque la baisse des salaires ne compense pas suffisamment celle de la productivité du travail, seule une partie de la main-d’œuvre disponible pourra être employée par les entreprises.

    Cette théorie suppose que le stock de capital dans l’économie est fixe, or cette condition ne tient qu’à très court-terme. Dans un second temps, les entreprises accumulent du capital, la productivité du travail augmente alors à nouveau et le niveau de salaire s’ajuste à la hausse. L’effet global de l’immigration sur l’emploi et les salaires dépend donc de la capacité et de la rapidité avec lesquelles l’économie répond au choc migratoire.

    L’absence d’effet sur le niveau de salaire moyen peut masquer une forte hétérogénéité selon la distribution des compétences au sein de la population immigrée. La théorie prédit que l’immigration réduit les salaires des travailleurs les plus en concurrence avec les travailleurs immigrés (ceux avec des compétences similaires), mais bénéficie à ceux disposant de compétences complémentaires. Par exemple, une vague d’immigration peu qualifiée devrait diminuer les salaires des travailleurs peu qualifiés et augmenter ceux des plus qualifiés. Ces disparités salariales peuvent persister à long terme. En résumé, l’impact distributif d’un choc migratoire sur le marché du travail varie selon le degré de complémentarité des qualifications entre les immigrés et non-immigrés.

    Éléments empiriques

    La grande majorité des études trouve un impact négligeable de l’immigration sur l’emploi et le salaire des natifs. Selon le contexte (type et ampleur de la vague migratoire), les effets moyens sont très légèrement négatifs ou nuls à court terme et positifs dans certains cas à plus long terme (Edo et al., 2019). Les estimations sur les données françaises indiquent qu’entre 1990 et 2010 la proportion d’immigrés dans la population active n’a eu aucun effet global sur les salaires des natifs (Edo & Toubal, 2015). En cas d’effets négatifs, ceux-ci sont de très court-terme et concentrés sur les travailleurs en concurrence directe avec les immigrés. Les individus les plus impactés sont souvent les immigrés des vagues antérieures, car ils représentent les substituts les plus proches des nouveaux travailleurs étrangers (Ottaviano & Peri, 2012).

    Les effets positifs de l’immigration sur l’économie

    À la lumière de ces enseignements, de nouvelles études s’intéressent au lien entre immigration et productivité, afin de comprendre comment cette relation peut se révéler vertueuse pour l’économie du pays d’accueil.

    Complémentarité et diversité des #compétences

    Les migrants et les natifs disposent de compétences complémentaires dans le processus de production (Sparber et Peri, 2009). Pour un niveau donné d’éducation, les natifs ont un avantage comparatif dans les tâches intensives en compétences linguistiques, incitant les immigrés à se spécialiser dans des tâches plus manuelles. L’immigration génère alors une dynamique de spécialisation des tâches plus efficace, pouvant conduire à une augmentation de la productivité des entreprises. En d’autres termes, les entreprises peuvent ajuster leur technologie de production pour tirer parti de l’augmentation de la main-d’œuvre étrangère. Mitaritonna et al. (2017), à partir des données d’entreprises manufacturières françaises de 1995 à 2005, montrent que l’augmentation de la part des travailleurs étrangers à l’échelle du département a eu un impact positif sur la productivité des entreprises.

    Dans le cadre d’une immigration relativement qualifiée, son impact positif sur la productivité, lié la complémentarité des compétences, serait d’autant plus important que les individus sont issus de milieux culturels et éducatifs différents. Ainsi, une immigration qualifiée et diversifiée, tant en termes de lieux de naissance que de formation, constituerait un levier important de productivité.

    La loi immigration propose d’ajouter des conditions sur la maîtrise de la langue française pour l’obtention d’un titre de séjour long. La langue devient alors un facteur d’exclusion et une barrière à la diversification de la population immigrée plutôt qu’un vecteur d’intégration. À l’opposé, investir davantage dans l’apprentissage du français faciliterait l’intégration des nouveaux arrivants non-francophones, notamment sur le marché du travail (Lochmann et al., 2019).

    Une offre de #main-d’oeuvre complémentaire

    L’article 3 de la loi immigration, qui propose de créer un « titre de séjour » pour les métiers en tension, afin de régulariser temporairement les sans-papiers concernés, a été rejeté en bloc par la droite et l’extrême droite craignant un « appel d’air migratoire ».

    Pourtant, 61% des entreprises rencontraient des difficultés de recrutement en 2023. L’immigration peut bénéficier au pays d’accueil en répondant à des besoins de main-d’œuvre spécifiques dans certains secteurs ou bassins d’emploi. Les immigrés (notamment peu qualifiés) sont généralement plus enclins à accepter des emplois caractérisés par une plus faible rémunération et des conditions de travail plus précaires. Ils représentent par exemple 38,8 % des employés de maison, 28,4 % des agents de gardiennage et de sécurité ou encore 24,1 % des ouvriers non qualifiés du BTP. En occupant des emplois délaissés par les natifs, les immigrés complètent l’offre de travail nationale disponible, renforçant ainsi la capacité productive du pays d’accueil. En l’absence de régularisation, ces travailleurs sont contraints d’accepter des conditions de travail encore plus précaires qui fragilisent leur insertion dans la société.

    De plus, les entreprises dont l’activité est contrainte par des pénuries de main d’œuvre disposant de compétences spécifiques, pourraient être enclines à accroître leurs effectifs en réponse à un choc positif d’offre de travail (l’augmentation du nombre de travailleurs étrangers dans ce secteur). Si ces travailleurs sont complémentaires au capital, la création d’emplois pourrait induire une accumulation accrue de ce dernier et se traduire par une augmentation des salaires. En Suisse par exemple, l’ouverture des frontières aux travailleurs frontaliers qualifiés dans un secteur sous tension a effectivement stimulé la productivité, l’emploi et les salaires (Beerli et al., 2021).

    Immigration qualifiée : un moteur de croissance par l’innovation

    L’immigration qualifiée peut favoriser la croissance et la productivité en stimulant l’innovation. De nombreuses études
    montrent que les migrants hautement qualifiés dans le domaine des STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) ont significativement amélioré les performances en matière d’innovation, de dépôt de brevets et de productivité des entreprises aux États-Unis. Les immigrés sont également surreprésentés parmi les créateurs d’entreprise, générant plusieurs milliards de bénéfices et millions d’emplois.

    L’analyse d’épisodes migratoires historiques met en lumière la persistance de cet effet positif sur l’innovation dans le long terme. Ces effets passent à la fois par les innovations des nouveaux arrivants, mais également par celles des non-immigrés qui bénéficient du partage des connaissances. L’OCDE trouve des effets bénéfiques similaires dans les autres pays membres, notamment en Europe.

    Pour conclure, les migrants hautement qualifiés peuvent générer des externalités positives en capital humain en favorisant le partage de connaissance et l’innovation, et ainsi se traduire par des gains de croissance de long-terme.

    À la lumière de ces enseignements, Auriol et al. (2021) formulent un ensemble de recommandations visant à promouvoir l’immigration de travail en France, notamment celle qualifiée. Ils préconisent entre autres de faciliter la régularisation des travailleurs dans les secteurs en tension, d’intensifier les efforts d’attractivité à destination des étudiants étrangers et de faciliter la transition études-emploi. Louer les bénéfices économiques de long-terme de l’immigration ne revient pas à la considérer uniquement sous un angle utilitariste. La reconnaissance des droits des travailleurs étrangers et leur intégration dans la vie sociale sont essentielles à la cohésion sociale.

    Conclusion

    La population immigrée a progressé de manière stable depuis l’an 2000, sans peser sur le déficit public ni sur la situation des natifs sur le marché du travail. L’accueil de nouveaux travailleurs étrangers apparaît au contraire comme un moteur de dynamisme économique de long-terme, dont la France pourrait davantage bénéficier en ciblant une immigration de travail diversifiée et qualifiée.

    Le thème de l’immigration est d’autant plus délicat à aborder que l’opinion publique est surtout sensible à ses dimensions sociales, politiques et culturelles (Card and al., 2012). Il ne faudrait pas pour autant négliger ses dimensions économiques qui impactent directement ou indirectement la cohésion sociale.

    C’est la raison pour laquelle l’étude d’impact des politiques d’intégration est fondamentale pour penser de nouveaux dispositifs d’action publique qui répondent à des objectifs ambitieux tant sur le plan économique que social.

    https://laviedesidees.fr/L-immigration-un-atout-pour-le-dynamisme-economique
    #migrations #économie #travail #emploi #salaires #fisc #statistiques #chiffres

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    ajouté à la métaliste sur le lien entre #économie (et surtout l’#Etat_providence) et la #migration :
    https://seenthis.net/messages/971875

    ping @karine4

  • Report: Arlington’s first guaranteed income pilot boosted quality of life for poorest residents

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    En résumé:
    Employment INCREASED by 16%, and their incomes from paid work INCREASED by 37%. The control group saw no such gains.
    https://hachyderm.io/@scottsantens/111890582659889973

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    Results from Arlington’s first guaranteed income pilot reveal that an additional $500 per month significantly enhanced the quality of life for impoverished families.

    Parents with children under 18, earning less than $46,600 annually, reported that the additional $500 monthly helped them obtain better-paying jobs, address basic needs and improve their overall well-being, according to a new report by the Arlington Community Foundation (ACF), the local nonprofit that oversaw the pilot.

    Moreover, the monthly payments enabled individuals to invest in certifications and educational advancement and tackle their medical bills, credit card debt and student loans.

    Between September 2021 and last December, ACF provided the monthly stipend to families earning 30% of the area median income so they could continue living in Arlington, which is known for having some of the highest living costs in the nation.

    The pilot sought to challenge the stigma associated with guaranteed income, which grants a minimum income to those who do not earn enough to support themselves. It drew inspiration from similar programs in Stockton, California, and Jackson, Mississippi.

    In the long term, Arlington’s Guarantee is meant to persuade state and federal lawmakers to implement some form of guaranteed income. This is not to be confused with universal basic income, another touted policy reform that guarantees income to people regardless of their eligibility for government assistance or their ability to work.

    Findings from the pilot come on the heels of a separate report, which found that more than half of families living in South Arlington cannot afford basic food, housing, medical and childcare expenses, compared to just 15% of families in North Arlington. ACF noted that most guaranteed income pilot participants reside in South Arlington.

    While private donations and philanthropy fully funded the $2 million program, Arlington County’s Department of Human Services (DHS) helped select, track and evaluate participants.

    DHS randomly chose 200 households to receive $500 a month and created a control group with similar demographics and income levels, which did not receive stipends, to compare the results. Most (53%) of participants identified as Black or African-American, followed by people who identify as white (23%). Thirty percent identified as Hispanic or Latino and 70% as non-Hispanic.

    With the extra $500 a month, most participants reported putting the money toward groceries, paying bills, buying household essentials, rent and miscellaneous expenses including car repairs.

    Individuals who received the stipend reported increasing their monthly income by 36%, from $1,200 to $1,640, compared to the control group, whose income only rose 9%. ACF says the extra cash gave participants breathing room to make investments that could improve their job prospects.

    “Rather than working overtime or multiple jobs to meet basic needs, some participants reported using the time to pursue credentials… that could lead to a higher-paying job or starting their own business,” ACF said. “Other participants indicated that Arlington’s Guarantee helped them pursue better-paying jobs by allowing them to purchase interview clothes or cover the gap between their old and new jobs.”

    By the end of the study, nearly three-quarters of participants who received a guaranteed income reported improved mental and physical well-being and an increased sense of control, compared to the control group.

    “It’s a mental thing for me. Just the fact that I knew that I had an income coming, it helped me not have panic attacks,” said one participant. “I knew I could have food for the kids and pay the bills. It allowed me to use my time to be wise about money and not stressed about money.”

    Still, most participants reported they still could not cover an unexpected $400 expense from their savings and said they would need to borrow money, get a loan or sell their belongings in case of an emergency. Income, food and housing insecurity were most acute among undocumented immigrants and those who were once incarcerated.

    Arlington County is not the only locality in Northern Virginia experimenting with a guaranteed income program. Last year, Fairfax County also supported a guaranteed income pilot, offering a monthly stipend of $750 to 180 eligible families over 15 months.

    Although the Arlington County Board signed a resolution imploring state and federal lawmakers to implement a guaranteed income program, neither it nor Fairfax County has indicated that a permanent version of these programs would be implemented locally.

    Meanwhile, ACF said it has been engaging state lawmakers about the prospect of restoring the child tax credit, which expired in 2021, to help raise families out of poverty.

    “This expanded federal CTC in 2021 was a game changer: it reduced child poverty by 46% by lifting 3.7 million children out of poverty before it was allowed to lapse in 2022,” the report said. “This was effectively a trial of guaranteed income policy by the federal government.”

    The U.S. House of Representatives recently passed legislation to expand this credit, which has headed to the Senate for a vote. The tax credit offers a break of up to $2,000 per child, with potentially $1,600 of that being refundable. If signed into law, it would incrementally raise the tax credit amount of $100 annually through 2025.

    Democrats in the Virginia General Assembly, meanwhile, have proposed establishing a child tax credit that would extend until 2029. A House of Delegates subcommittee voted yesterday to delay consideration of the bill until next year.

    https://www.arlnow.com/2024/02/06/report-arlingtons-first-guaranteed-income-pilot-boosted-quality-of-life-for-

    #rdb #revenu_de_base #revenu_garanti #qualité_de_vie #réduction_de_la_pauvreté #travail #Arlington #USA #Etats-Unis #statistiques #chiffres

  • Cadences, sous-traitance, pression… quand le travail tue

    « Morts au travail : l’hécatombe. » Deux personnes meurent chaque jour, en moyenne, dans un accident dans le cadre de leur emploi. Ce chiffre, sous estimé, qui n’intègre pas les suicides ou les maladies, illustre un problème systémique

    « J’ai appris la mort de mon frère sur Facebook : la radio locale avait publié un article disant qu’un homme d’une trentaine d’années était décédé près de la carrière, raconte Candice Carton. J’ai eu un mauvais pressentiment, j’ai appelé la gendarmerie, c’était bien lui… L’entreprise a attendu le lendemain pour joindre notre mère. » Son frère Cédric aurait été frappé par une pierre à la suite d’un tir de mine le 28 juillet 2021, dans une carrière à Wallers-en-Fagne (Nord). Il travaillait depuis dix-sept ans pour le Comptoir des calcaires et matériaux, filiale du groupe Colas.

    Deux ans et demi plus tard, rien ne permet de certifier les causes de la mort du mécanicien-soudeur de 41 ans. D’abord close, l’enquête de gendarmerie a été rouverte en septembre 2023 à la suite des conclusions de l’inspection du travail, qui a pointé la dizaine d’infractions dont est responsable l’entreprise. Cédric Carton n’avait pas le boîtier pour les travailleurs isolés, qui déclenche une alarme en cas de chute. « Ils l’ont retrouvé deux heures après, se souvient sa sœur. Le directeur de la carrière m’a dit que mon frère était en sécurité, et qu’il avait fait un malaise… alors qu’il avait un trou béant de 20 centimètres de profondeur de la gorge au thorax. » En quête de réponses, elle a voulu déposer plainte deux fois, chacune des deux refusée, multiplié les courriers au procureur, pris deux avocats… Sans avoir le fin mot de cette triste histoire.

    Que s’est-il passé ? Est-ce la « faute à pas de chance », les « risques du métier » ? Qui est responsable ? Chaque année, des centaines de familles sont confrontées à ces questions après la mort d’un proche dans un accident du travail (AT), c’est-à-dire survenu « par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause ».

    « Un chauffeur routier a été retrouvé mort dans son camion », « Un ouvrier de 44 ans a été électrocuté », « Un homme meurt écrasé par une branche d’arbre », « Deux ouvriers roumains, un père et son fils, trouvent la mort sur un chantier à Istres [Bouches-du-Rhône] »… Le compte X de Matthieu Lépine, un professeur d’histoire-géographie, qui recense depuis 2019 les accidents dramatiques à partir des coupures de presse locale, illustre l’ampleur du phénomène. Vingt-huit ont été comptabilisés depuis janvier.

    En 2022, selon les derniers chiffres connus, 738 décès ont été recensés parmi les AT reconnus. Soit deux morts par jour. Un chiffre en hausse de 14 % sur un an, mais stable par rapport à 2019. Et, depuis une quinzaine d’années, il ne baisse plus. A cela s’ajoutent 286 accidents de trajet mortels (survenus entre le domicile et le lieu de travail) et 203 décès consécutifs à une maladie professionnelle.

    Et encore, ces statistiques sont loin de cerner l’ampleur du problème. La Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) ne couvre que les salariés du régime général et n’intègre donc ni la fonction publique, ni les agriculteurs, ni les marins-pêcheurs, la majorité des chefs d’entreprise ou les autoentrepreneurs. C’est ainsi qu’en 2022 la Mutualité sociale agricole (MSA) a dénombré 151 accidents mortels dans le secteur des travaux agricoles, 20 % de plus qu’en 2019.

    Pour disposer de chiffres plus complets, il faut se tourner vers la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares). Problème : sa dernière étude porte sur 2019… A cette époque, elle dénombrait 790 AT mortels chez les salariés affiliés au régime général ou à la MSA et les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière.

    Le secteur de la construction est celui où la fréquence des accidents mortels est la plus importante (le triple de la moyenne). Arrivent ensuite l’agriculture, la sylviculture et la pêche, le travail du bois et les transports-entreposage. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes sont des hommes, et les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres.

    Les accidents mortels sont deux fois plus fréquents chez les intérimaires. (...)
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/06/cadences-sous-traitance-pression-quand-le-travail-tue_6214988_3234.html

    https://justpaste.it/2ozrb

    #travail #accidents_du_travail #le_travail_tue

    • Accidents du travail : la lenteur de la justice pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur
      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/morts-au-travail-la-douloureuse-lenteur-de-la-justice_6215011_1698637.html

      Les familles de victimes d’accidents mortels doivent parfois attendre des années avant de voir le bout de procédures judiciaires complexes.

      Pour ceux qui ont perdu un proche à la suite d’un accident du travail, la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur est essentielle. Mais les procédures, d’ordre pénal ou civil, tournent parfois au parcours du combattant, voire s’étirent sur des années, ajoutant à la douleur des familles. Fabienne Bérard, du collectif Familles : stop à la mort au travail, cite l’exemple de Fanny Maquin, qui a perdu son mari cordiste, Vincent, il y a douze ans. Et qui n’est toujours pas passée en justice pour être indemnisée. « Comme souvent, il y a eu un grand nombre de renvois d’audience, explique-t-elle. L’avocat adverse met en avant que, depuis ce temps, elle a reconstruit une cellule familiale et que le préjudice ne peut pas être établi de la même manière… »

      Tout accident du travail mortel est suivi d’une enquête de l’inspection du travail (qui doit intervenir dans les douze heures), et de la gendarmerie ou de la police. Depuis 2019, les deux institutions peuvent mener une enquête en commun, mais c’est encore rare. Et souvent, l’enquête de l’inspection dure plusieurs mois, parce que les effectifs manquent pour mener à bien les constats immédiats, les auditions des témoins ou encore solliciter des documents auprès de l’entreprise.

      Ces investigations permettent de déterminer si la responsabilité pénale de l’employeur est engagée. Si les règles de santé et sécurité n’ont pas été respectées, l’inspection du travail en avise le procureur, qui est le seul à pouvoir ouvrir une procédure. « Dès lors, le parquet a trois possibilités, explique l’avocat Ralph Blindauer, qui accompagne souvent des familles. Soit l’affaire est classée sans suite, soit une information judiciaire avec juge d’instruction est ouverte, car le cas est jugé complexe, soit, le plus couramment, une ou plusieurs personnes sont citées à comparaître devant le tribunal correctionnel. »

      Un montant négligeable

      En cas de poursuite au pénal, l’employeur est fréquemment condamné pour homicide involontaire en tant que personne morale – ce qui est peu satisfaisant pour les victimes, et peu dissuasif. L’amende est en effet de 375 000 euros maximum, un montant négligeable pour un grand groupe. L’employeur est plus rarement condamné en tant que personne physique, car il est difficile d’identifier le responsable de la sécurité – la peine encourue est alors l’emprisonnement.

      Dans le cas d’une procédure au civil, la reconnaissance d’une « faute inexcusable » de l’employeur permet aux ayants droit (conjoints, enfants ou ascendants) d’obtenir la majoration de leur rente, ainsi que l’indemnisation de leur préjudice moral. La faute est caractérisée lorsque l’entreprise a exposé son salarié à un danger dont il avait, ou aurait dû, avoir conscience et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

      « Le nœud du sujet, c’est la conscience du danger, en particulier lors d’un malaise mortel, explique Morane Keim-Bagot, professeure de droit à l’université de Strasbourg. Les employeurs remettent en question le caractère professionnel de l’accident, en démontrant qu’il y a une cause étrangère exclusive. » Certains prétendent ainsi que la victime souffrait d’un problème cardiaque décelé au moment de l’autopsie, de surpoids, de stress ou de tabagisme.

      « Si vous tombez sur un inspecteur surchargé, un parquet qui s’y attelle moyennement, des gendarmes non spécialisés et débordés, les procédures durent facilement des années, sans compter les renvois d’audience fréquents, conclut Me Blindauer. La longueur très variable de ces affaires illustre aussi le manque de moyens de la #justice. »

      #responsabilité_de_l’employeur #inspection_du_travail #responsabilité_pénale

    • Entre déni des entreprises et manque de données, l’invisibilisation des suicides liés au travail

      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/entre-deni-des-entreprises-et-manque-de-donnees-l-invisibilisation-des-suici

      Le manque de prise en compte du mal-être au travail renforce les risques d’accidents dramatiques.
      Par Anne Rodier

      « La dernière conversation que j’ai eue avec mon mari [Jean-Lou Cordelle] samedi 4 juin [2022] vers 22 heures concernait les dossiers en cours à son travail. Le lendemain matin, mon fils découvrait son père au bout d’une corde pendu dans le jardin », témoigne Christelle Cordelle dans la lettre adressée aux représentants du personnel d’Orange pour leur donner des précisions sur l’état psychologique de son mari avant son suicide, à l’âge de 51 ans, après des mois de surcharge de travail, d’alertes vaines à la hiérarchie et à la médecine du travail.

      Son acte, finalement reconnu comme « accident de service » – c’est ainsi que sont nommés les accidents du travail (#AT) des fonctionnaires –, n’est pas recensé dans le bilan annuel de la Sécurité sociale. Celui-ci ne tient pas, en effet, compte de la fonction publique, invisibilisant les actes désespérés des infirmières, des professeurs ou encore des policiers.

      L’Assurance-maladie parle d’une quarantaine de suicides-accidents du travail par an. Un chiffre stable, représentant 5 % du total des accidents du travail mortels, mais qui serait nettement sous-évalué. C’est entre vingt et trente fois plus, affirme l’Association d’aide aux victimes et aux organismes confrontés aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-pro), qui l’évalue plutôt entre 800 et 1 300 chaque année, sur la base d’une étude épidémiologique sur les causes du suicide au travail réalisée fin 2021 par Santé publique France. https://www.santepubliquefrance.fr/recherche/#search=Suicide%20et%20activité%20professionnelle%20en%20France

      L’explosion des risques psychosociaux (RPS) en entreprise constatée étude après étude et par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM : https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2018-sante-travail-affections-psychiques) apporte de l’eau au moulin de l’ASD-pro : 1 814 maladies professionnelles relèvent de maladies psychiques, en augmentation régulière, note le rapport 2022. Quant au dernier baromètre du cabinet Empreinte humaine, publié en novembre 2023, il est sans équivoque : près d’un salarié sur deux (48 %) était en détresse psychologique en 2023.

      « Passage à l’acte brutal »

      La mécanique mortifère de la souffrance au travail est connue. « Les mécanismes à l’œuvre semblent être toujours liés : atteintes à la professionnalité et à l’identité professionnelle, perte de l’estime de soi, apparition d’un sentiment d’impuissance », explique Philippe Zawieja, psychosociologue au cabinet Almagora.
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      Tous les RPS ne conduisent pas au geste fatal. « Il y a moins de suicidés chez les #salariés que parmi les #chômeurs, et 90 % des suicides interviennent sur fond de problème psychiatrique antérieur », souligne M. Zawieja. Mais « il existe des actes suicidaires qui ne sont pas la conséquence d’un état dépressif antérieur, qui marquent un passage à l’acte brutal [raptus], lié à un élément déclencheur conjoncturel », indique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html. Comme ce fut le cas du management toxique institutionnel à France Télécom. C’est alors que survient l’accident.

      « Pour Jean-Lou, tout s’est passé insidieusement, témoigne sa veuve. Il était en surcharge de travail depuis octobre-novembre 2021, avec des salariés non remplacés, des départs en retraite. Un jour de janvier, je l’ai vu buguer devant son ordinateur. A partir de là, j’ai été plus attentive. En mars [2022], ils ont allégé sa charge de travail mais insuffisamment. En avril, il a craqué. La médecine du travail a été prévenue. Il a finalement été mis en arrêt, sauf qu’il continuait à recevoir des mails. Ils lui avaient laissé son portable professionnel et il n’y avait pas de message de gestion d’absence renvoyant vers un autre contact. Jusqu’au bout, Orange n’a pas pris la mesure ».

      Le plus souvent, les suicides au travail sont invisibilisés, au niveau de l’entreprise d’abord, puis des statistiques. « Classiquement, l’entreprise, quand elle n’est pas tout simplement dans le déni, considère que c’est une affaire privée et que le travail n’en est pas la cause », explique le juriste Loïc Lerouge, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du sujet.

      Un déni qui a valu à Renault la première condamnation pour « faute inexcusable de l’employeur pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires alors qu’il avait conscience du danger » concernant les salariés du Technocentre de Guyancourt (Yvelines) qui ont mis fin à leurs jours dans les années 2000. [en 2012 https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/05/12/suicide-au-technocentre-renault-condamne-pour-faute-inexcusable_1700400_3224 « On reconnaît pleinement la responsabilité de la personne morale de l’entreprise depuis l’affaire #France_Télécom », précise M. Lerouge.

      Caractérisation délicate

      L’#invisibilisation des suicides commence par le non-dit. En réaction aux deux suicides de juin 2023 à la Banque de France, où l’une des victimes avait laissé une lettre incriminant clairement ses conditions de travail, la direction a déclaré avoir « fait ce qui s’impose » après un tel drame https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/10/a-la-banque-de-france-le-suicide-de-deux-salaries-empoisonne-le-dialogue-soc . Puis, lors des vœux 2024 adressés au personnel le 2 janvier, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, n’a pas prononcé le mot « suicide », évoquant les « décès dramatiques de certains collègues ». Et s’il a déclaré « prendre au sérieux les résultats et les suggestions » de l’enquête qui acte le problème de #surcharge_de_travail, présentée au comité social et économique extraordinaire du 18 janvier, il n’a pas mis sur pause le plan de réduction des effectifs dans la filière fiduciaire. Celle-là même où travaillaient les deux salariés qui ont mis fin à leurs jours. « Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de faire correctement leur travail et sont en souffrance. Il existe à la Banque de France une forme de maltraitance généralisée », affirme Emmanuel Kern, un élu CGT de l’institution.

      La caractérisation des suicides en accidents du travail est un exercice délicat, au cœur de la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur. Pour Santé publique France, la définition est assez simple (« Surveillance des suicides en lien potentiel avec le travail », 2021). Il s’agit de tout suicide pour lequel au moins une des situations suivantes était présente : la survenue du décès sur le lieu du travail ; une lettre laissée par la victime mettant en cause ses conditions de travail ; le décès en tenue de travail alors que la victime ne travaillait pas ; le témoignage de proches mettant en cause les conditions de travail de la victime ; des difficultés connues liées au travail recueillies auprès des proches ou auprès des enquêteurs.

      Mais pour l’administration, le champ est beaucoup plus restreint : l’Assurance-maladie prend en compte « l’acte intervenu au temps et au lieu de travail ». Et la reconnaissance n’aura pas lieu si des éléments au cours de l’enquête permettent d’établir que « le travail n’est en rien à l’origine du décès », précise la charte sur les accidents du travail rédigée à destination des enquêteurs de la Sécurité sociale https://www.atousante.com/wp-content/uploads/2011/05/Charte-des-AT-MP-acte-suicidaire-et-accident-du-travail.pdf. « En dehors du lieu de travail, c’est à la famille de faire la preuve du lien avec l’activité professionnelle », explique Michel Lallier, président de l’ASD-pro. Une vision nettement plus restrictive, qui explique cet écart entre les bilans des suicides au travail.

      #suicide_au_travail #risques_psychosociaux #médecine_du_travail #conditions_de_travail #management #cadences #pression #surcharge_de_travail

    • Manque de sécurité sur les chantiers : « Notre fils est mort pour 6 000 euros », Aline Leclerc
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/07/manque-de-securite-sur-les-chantiers-notre-fils-est-mort-pour-6-000-euros_62

      Pour réduire les coûts et tenir les délais, certaines entreprises du bâtiment accumulent les négligences et infractions au code du travail, susceptibles d’engendrer de graves accidents du travail

      Alban Millot avait trouvé l’offre d’emploi sur Leboncoin. Touche-à-tout débrouillard enchaînant les petits boulots, il n’avait aucune expérience dans la pose de panneaux photovoltaïques ni dans le travail en hauteur. Trois semaines après son embauche, il est passé à travers la toiture d’un hangar, le 10 mars 2021. Une chute mortelle de plus de 5 mètres. Le jour de ses 25 ans.

      « Quand le gendarme vous l’annonce, il parle d’un “accident”, comme on dit quand quelqu’un meurt sur la route », se rappelle douloureusement Laurent Millot, son père. La chute renvoie toujours d’abord l’idée d’une erreur d’attention, d’un déséquilibre. La faute à pas de chance. Et à la victime surtout – Alban n’a-t-il pas marché sur une plaque translucide qu’il savait fragile ?

      Ce n’est que quelque temps après que reviennent en mémoire ces petites phrases qui donnent à l’« accident » un autre sens. « J’avais eu Alban au téléphone une semaine avant. Il m’a dit que son travail était hyperdangereux, et qu’il allait s’acheter son propre harnais parce que celui fourni par la boîte était bas de gamme », raconte Véronique Millot, sa mère. Quand pour la rassurer il lui a dit : « Je fais ça seulement jusqu’à l’été », elle a répondu : « Te tue pas pour un boulot… »

      Inexpérimentés

      L’enquête, étoffée dans ce dossier, a mis en évidence une effarante liste de dysfonctionnements et d’infractions au code du travail de la PME qui l’employait, dont l’activité officiellement enregistrée (son code NAF ou APE) était « commerce de détail en quincaillerie, peintures ». Le seul technicien dûment diplômé avait quitté la société deux mois avant l’embauche d’Alban. Sur les vingt-cinq salariés, une dizaine de commerciaux et seulement trois équipes de deux poseurs, lesquels étaient en conséquence soumis à un rythme intense pour honorer les commandes.

      Avant sa mort, Alban et son collègue de 20 ans, et trois mois d’ancienneté seulement, étaient partis le lundi de Narbonne (Aude) pour un premier chantier en Charente, puis un autre en Ille-et-Vilaine, avant un troisième, le lendemain, dans les Côtes-d’Armor, et un ultime, le mercredi, en Ille-et-Villaine, où a eu lieu l’accident. Alban, seul à avoir le permis, avait conduit toute la route.

      Inexpérimentés, les deux hommes n’avaient reçu qu’une formation sommaire à la sécurité. Et, surtout, ne disposaient pas de harnais complets pour s’attacher, comme l’a constaté l’inspectrice du travail le jour du drame.

      « Méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant

      Sans matériel, ils ont loué sur place une échelle chez Kiloutou. « Combien pèse une plaque photovoltaïque ? », a demandé le président du tribunal correctionnel de Rennes, lors du procès en première instance. « Dix-huit kilos », a répondu le chef d’entreprise. « Il faut monter l’échelle avec le panneau sous le bras ? », s’est étonné le président. « Cela dépend du chantier. »

      Il sera démontré pendant l’enquête, puis à l’audience, la « méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant, commercial de formation, de la réglementation en vigueur sur le travail en hauteur comme sur les habilitations électriques. Il n’avait entrepris aucune démarche d’évaluation des risques. Et ce, alors que deux autres accidents non mortels avaient eu lieu peu de temps avant sur ses chantiers.

      Dans son jugement du 6 juin 2023, le tribunal a reconnu l’employeur – et non l’entreprise, déjà liquidée – coupable d’homicide involontaire, retenant la circonstance aggravante de « violation manifestement délibérée » d’une obligation de sécurité ou de prudence, « tant l’inobservation était inscrite dans ses habitudes ».

      Enjeux financiers

      Car ces négligences tragiques cachent aussi des enjeux financiers. Monter un échafaudage, c’est plusieurs heures perdues dans un planning serré, et un surcoût de 6 000 euros, qui aurait doublé le devis, a chiffré un ouvrier à l’audience. « En somme, notre fils est mort pour 6 000 euros », souligne Mme Millot.

      L’affaire résonne avec une autre, dans laquelle Eiffage Construction Gard et un sous-traitant ont été condamnés en première instance comme en appel lors des procès qui se sont tenus en mai 2021 et avril 2022, à Nîmes. Mickaël Beccavin, cordiste de 39 ans, a fait une chute mortelle le 6 mars 2018, alors qu’il assemblait des balcons sur les logements d’un chantier d’envergure. Pour une raison restée inexpliquée, une corde sur laquelle il était suspendu a été retrouvée sectionnée, trop courte de plusieurs mètres. Quand la défense de l’entreprise a plaidé la seule responsabilité de la victime, qui aurait mal vérifié son matériel, l’inspecteur du travail a proposé une autre analyse.

      « On peut vous expliquer que le cordiste doit faire attention, mais la question n’est pas que là. La question est : est-ce qu’on devait faire appel à des cordistes pour ce chantier ? », a expliqué Roland Migliore à la barre, en mai 2021. Car la législation n’autorise les travaux sur cordes, particulièrement accidentogènes, qu’en dernier recours : cette pratique n’est possible que si aucun autre dispositif de protection dite « collective » (échafaudage, nacelle…) n’est envisageable. « La protection collective protège le salarié indépendamment de ce qu’il peut faire lui. S’il s’attache mal, il est protégé, rappelle l’inspecteur du travail. Au contraire, si l’on choisit la protection individuelle, on fait tout reposer sur le salarié. »

      « Précipitation »

      Le recours à la corde était apparu à l’audience comme un choix de dernière minute, sur un chantier où « tout le monde était pressé ». L’inspecteur du travail avait alors souligné cet aspect : « Malheureusement, dans le BTP, les contraintes sur les délais de livraison poussent à la précipitation : on improvise, quitte à ne pas respecter le plan général de coordination. »

      Secrétaire CGT-Construction, bois et ameublement de Nouvelle-Aquitaine, Denis Boutineau n’en peut plus de compter les morts. « Très souvent, c’est lié à un manque de sécurité. Quand vous êtes en ville, regardez les gens qui travaillent sur les toits, il n’y a aucune protection ! Pourquoi ? Pour des raisons économiques ! » Il cite ainsi le cas d’un jeune couvreur passé à travers un toit Everite. « L’employeur avait fait deux devis ! Un avec la mise en sécurité, un sans ! Bien sûr, le second était moins cher. Lequel croyez-vous qu’a accepté le client ? »

      Caroline Dilly reste, elle aussi, hantée par un échange avec son fils Benjamin, 23 ans, quelque temps avant sa mort, le 28 février 2022. Couvreur lui aussi, il aurait chuté en revenant dans la nacelle après avoir remis une ardoise en place sur un toit. Il n’était pas titulaire du certificat d’aptitude à la conduite d’engins en sécurité (Caces), nécessaire à l’utilisation de cet engin. Et la nacelle était-elle adaptée pour réaliser ce chantier ? C’est ce que devra établir la procédure judiciaire, encore en cours.

      Mais avant de rejoindre cette entreprise, Benjamin avait été renvoyé par une autre, au bout de quinze jours. « Il avait refusé de monter sur un échafaudage qui n’était pas aux normes », raconte sa mère, qui s’entend encore lui faire la leçon : « Y a ce que t’apprends à l’école et y a la réalité du monde du travail ! » « Je m’en veux tellement d’avoir dit ça… J’ai pris conscience alors à quel point prendre des risques au travail était entré dans nos mœurs. Tout ça pour aller plus vite. Comment en est-on arrivés à ce que la rentabilité prime sur le travail bien fait, en sécurité ? », se désole-t-elle.

      « Quand on commence, on est prêt à tout accepter »

      Depuis qu’elle a rejoint le Collectif familles : stop à la mort au travail, elle est frappée par la jeunesse des victimes : « Quand on commence dans le métier, on n’ose pas toujours dire qu’on a peur. Au contraire, pour s’intégrer, on est prêt à tout accepter. »

      Alexis Prélat avait 22 ans quand il est mort électrocuté sur un chantier, le 5 juin 2020. Son père, Fabien, bout aujourd’hui d’une colère qui lui fait soulever des montagnes. Sans avocat, il a réussi à faire reconnaître par le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux la « faute inexcusable » de l’employeur.

      C’est-à-dire à démontrer que ce dernier avait connaissance du danger auquel Alexis a été exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Le jeune homme est descendu dans une tranchée où était clairement identifiée, par un filet rouge, la présence d’un câble électrique. « Le préposé de l’employeur sous les ordres duquel travaillait la victime ce jour-là aurait dû avoir connaissance du danger », dit le jugement rendu le 11 mai 2023, qui liste des infractions relevées par l’inspecteur du travail, notamment l’« absence d’habilitation électrique » et l’« absence de transcription de l’ensemble des risques dans le document unique d’évaluation des risques ».

      Fabien Prélat relève également que, comme pour Alban Millot, le code APE de l’entreprise ne correspond pas à son activité réelle. Elle est identifiée comme « distribution de produits informatiques, bureautique et papeterie ». Il estime par ailleurs que le gérant, « de fait », n’est pas celui qui apparaît sur les documents officiels. « Bien sûr, ce n’est pas ça qui a directement causé la mort de mon fils. Mais si l’Etat contrôlait mieux les choses, ces gens-là n’auraient jamais pu s’installer », s’emporte-t-il.

      « Pas assez de contrôles de l’inspection du travail »

      Cheffe du pôle santé et sécurité à la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), syndicat patronal, et elle-même gestionnaire d’une PME de charpente et couverture dans le Puy-de-Dôme, Cécile Beaudonnat s’indigne de ces pratiques. « Ce sont des gens contre qui on lutte, explique-t-elle. On les repère quand leurs clients nous contactent, dépités, quand ils comprennent que l’entreprise qui leur a mal installé des panneaux solaires n’avait ni les techniciens qualifiés, ni l’assurance professionnelle décennale », explique-t-elle.

      Normalement, pour s’installer, il y a l’obligation d’avoir une formation professionnelle qualifiante homologuée (au moins un CAP ou un BEP) ou de faire valider une expérience de trois ans sous la supervision d’un professionnel. « Malheureusement, il n’y a pas assez de contrôles de l’inspection du travail », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Pour nous, c’est avant tout au chef d’entreprise d’être exemplaire, sur le port des équipements de protection, en faisant ce qu’il faut pour former ses salariés et en attaquant chaque chantier par une démarche de prévention des risques. Nous sommes une entreprise familiale, on n’a aucune envie d’avoir un jour un décès à annoncer à une famille. »

      « Il y a une bataille à mener pour faire changer les mentalités. Y compris chez les ouvriers, pour qu’ils ne se mettent pas en danger pour faire gagner plus d’argent à l’entreprise ! Quand on voit les dégâts que ça fait sur les familles… », s’attriste Denis Boutineau.

      Les deux parents d’Alexis Prélat ont obtenu, chacun, 32 000 euros en réparation de leur préjudice moral, sa sœur 18 000 euros. Ils espèrent maintenant un procès en correctionnelle. « La meilleure façon de changer les choses, c’est d’obtenir des condamnations exemplaires », estime Fabien Prélat.

      Fait rare, l’employeur d’Alban Millot a, lui, été condamné en correctionnelle à trente-six mois de prison dont dix-huit ferme. Il a fait appel du jugement. « Avant le procès, j’avais la haine contre ce type, confie Laurent Millot. L’audience et, surtout, une sanction telle que celle-là m’ont fait redescendre. »

    • Accidents du travail : quand les machines mettent en péril la vie des salariés
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/08/accidents-du-travail-quand-les-machines-tuent_6215360_3234.html

      Dans l’industrie, le BTP ou l’agriculture, les accidents liés à l’utilisation de machines comptent parmi les plus graves et les plus mortels. Employeurs, fabricants et responsables de la maintenance se renvoient la faute.

      Lorsqu’il prend son poste, ce lundi 27 décembre 2021, cela fait déjà plusieurs mois que Pierrick Duchêne, 51 ans, peste contre la machine qu’il utilise. Après deux décennies dans l’agroalimentaire, il est, depuis cinq ans, conducteur de presse automatisée dans une agence Point P. de fabrication de parpaings, à Geneston (Loire-Atlantique). Depuis un an et demi, la bonne ambiance au boulot, cette fraternité du travail en équipe qu’il chérit tant, s’est peu à peu délitée. L’atmosphère est devenue plus pesante. La cadence, toujours plus infernale. Les objectifs de #productivité sont en hausse. Et ces #machines, donc, « toujours en panne », fulmine-t-il souvent auprès de sa femme, Claudine.

      Ce jour-là, il ne devait même pas travailler. Mais parce qu’il était du genre à « toujours aider et dépanner », dit Claudine, il a accepté de rogner un peu sur ses vacances pour participer à la journée de maintenance et de nettoyage des machines. Pierrick Duchêne a demandé à son fils qu’il se tienne prêt. Dès la fin de sa journée, à 15 heures, ils devaient aller à la déchetterie. Mais, vers 11 h 30, il est retrouvé inconscient, en arrêt cardiorespiratoire, écrasé sous une rectifieuse à parpaing. Dépêché sur place, le service mobile d’urgence et de réanimation fait repartir son cœur, qui s’arrête à nouveau dans l’ambulance. Pierrick Duchêne meurt à l’hôpital, le 2 janvier 2022.

      Son histoire fait tragiquement écho à des centaines d’autres, se produisant chaque année en France. En 2022, la Caisse nationale d’assurance-maladie a recensé 738 accidents du travail mortels dans le secteur privé, selon son rapport annuel publié en décembre 2023. 1 % d’entre eux sont liés au « risque machine » – auquel on peut ajouter les accidents liés à la « manutention mécanique », de l’ordre de 1 % également. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui répertorie plus précisément les incidents de ce type, les machines sont mises en cause dans 10 % à 15 % des accidents du travail ayant entraîné un arrêt supérieur ou égal à quatre jours, ce qui représente environ 55 000 accidents. Dont une vingtaine sont mortels chaque année.

      « La peur suppure de l’usine parce que l’usine au niveau le plus élémentaire, le plus perceptible, menace en permanence les hommes qu’elle utilise (…), ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement à l’ordre », écrivait Robert Linhart, dans L’Etabli (Editions de Minuit), en 1978. L’industrie, et notamment la métallurgie, est un secteur d’activité dans lequel les risques pour la santé des ouvriers sont amplifiés par l’utilisation d’outils et de machines. Les employés agricoles, les salariés de la chimie ou les travailleurs du BTP sont aussi très exposés. Sur le terrain, les services de l’inspection du travail font régulièrement état de la présence de machines dangereuses.

      « Aveuglement dysfonctionnel »

      Si leur fréquence baisse depuis les années 1990, ces accidents sont souvent les plus graves, avec des blessures importantes, et les procédures qui s’ensuivent sont extrêmement longues. La responsabilité peut être difficile à établir, car plusieurs acteurs sont en jeu : l’employeur, le fabricant de la machine, l’installateur, la maintenance. La plupart du temps, chacun se renvoie la faute. Comme si la machine permettait à tous de se dédouaner.

      « Le risque zéro n’existe pas », entend-on régulièrement au sujet des accidents du travail, qui plus est quand une machine est en cause. Pourtant, le dysfonctionnement brutal que personne ne pouvait anticiper, qui accréditerait la thèse d’une infortune létale, n’est quasiment jamais à l’œuvre. Au contraire, les défaillances des machines sont souvent connues de tous. « Il peut s’installer une sorte d’aveuglement dysfonctionnel, analyse Jorge Munoz, maître de conférences en sociologie à l’université de Bretagne occidentale. Le problème est tellement récurrent qu’il en devient normal. »

      Une situation qui hante encore les jours et les nuits de Delphine et de Franck Marais, les parents de Ludovic. Personne ne pouvait soupçonner que ce jeune apprenti barman de 19 ans mettait sa vie en péril en servant pintes et cafés derrière le comptoir d’une brasserie réputée de Tours. Mais, le 16 décembre 2019, quelques minutes avant de rentrer chez lui, à 23 h 45, sa tête est percutée par le monte-charge des poubelles.

      La machine fonctionnait depuis des mois, voire plusieurs années, avec les grilles de protection ouvertes. « Quelqu’un a désactivé la sécurité qui empêchait le monte-charge de démarrer ainsi, grilles ouvertes », raconte Franck, le père. Qui ? Un salarié, pour gagner du temps ? L’employeur, pour que ses salariés aillent plus vite ? Le responsable de la maintenance, à la demande de l’employeur ? Un oubli du technicien ? « On ne saura probablement jamais, mais, finalement, là n’est pas la question, estime l’avocate des parents, Marion Ménage. Ce qui compte, c’est que l’entreprise savait qu’il fonctionnait grilles ouvertes et qu’elle n’a rien fait. »

      « Il se sentait en danger »

      Sécurité désactivée, maintenance non assurée, prévention déconsidérée… Les mêmes logiques, les mêmes légèretés face à des machines dangereuses reviennent méthodiquement dans les récits, soulignant le caractère systémique de ces événements dramatiques. « Les dispositifs de sécurité ralentissent parfois le processus de travail et empêchent de tenir la cadence, analyse Jorge Munoz. On peut être tenté de défaire le mécanisme et, donc, de mettre en péril l’utilisateur. » C’est cette logique mortifère qui a été fatale à Flavien Bérard. Le jeune homme de 27 ans était sondeur pour la Société de maintenance pétrolière (SMP), une entreprise de forage et d’entretien de puits pétroliers, gaziers et de géothermie.

      D’abord employé sur un site dans le Gard, où il s’épanouit malgré les conditions de travail difficiles, Flavien Bérard est transféré après une semaine à Villemareuil, en Seine-et-Marne. Il se retrouve sur un chantier de forage pétrolier dont est propriétaire SMP, « les puits du patron », comme on surnomme le lieu. Industrie lourde, à l’ancienne, rythme en trois-huit, rendements à tout prix… Flavien est confronté à un milieu dur et peu accueillant. « Il nous a vite dit que c’était difficile, se souvient sa mère, Fabienne. Le gaillard de 1,84 mètre, plus de 80 kilos, corps de rugbyman, est pourtant du genre à tenir physiquement.

      « Il nous a surtout dit qu’il se sentait en danger, que les machines étaient dangereuses et qu’il avait des doutes sur la sécurité », déplore aujourd’hui Fabienne Bérard. Ses inquiétudes s’avèrent prémonitoires. Alors qu’il avait décidé de ne pas poursuivre sur le site une fois sa mission arrivée à son terme, le 5 mars 2022, vers 4 heures, une pièce métallique d’une trentaine de kilos se détache d’une machine de forage et percute Flavien à la tête, une quinzaine de mètres plus bas. Il meurt le lendemain, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

      « On nous a tout de suite parlé d’une erreur humaine, avec une sécurité désactivée », explique le père de la victime, Laurent Bérard. Selon l’avocat des parents, Lionel Béthune de Moro, le rapport machine de l’expert judiciaire ferait état de « 373 non-conformités », dont 3 concerneraient le système responsable de l’accident. « Une sécurité essentielle a été désactivée, pour le rendement », ajoute-t-il. « On nous a même dit que ce n’était pas la première fois qu’il y avait un problème avec cette machine », renchérit Fabienne Bérard.

      Complexité des procédures

      Ces exemples posent la question de la #prévention et de la maintenance. « L’objectif, c’est que les entreprises voient celles-ci comme un profit et non comme un coût », affirme Jean-Christophe Blaise, expert de l’INRS. L’institut a justement pour mission de développer et de promouvoir une culture de prévention des accidents du travail au sein des entreprises. « Dans certains cas, elle peut être perçue comme quelque chose qui alourdit les processus, qui coûte plus cher, complète Jorge Munoz. Mais l’utilisation d’une machine nécessite une organisation spécifique. »

      D’autant qu’une politique de prévention se déploie sur le long terme et nécessite des actions régulières dans le temps. Les agents de l’INRS travaillent sur trois aspects pour éviter les drames autour des machines : les solutions techniques, l’organisation du travail et le levier humain (formation, compétences, etc.). « Un accident du travail est toujours multifactoriel et il faut agir sur tout à la fois, souligne M. Blaise. La clé, c’est la maintenance préventive : anticiper, prévoir plutôt que subir. »

      Les accidents du travail liés aux machines ont un autre point commun : la complexité des procédures qui s’ensuivent. Plus de deux ans après les faits, Claudine Duchêne ne connaît toujours pas les circonstances exactes de la mort de son mari. « Je sais juste que la machine n’aurait pas dû fonctionner en ce jour de maintenance, qu’il n’aurait pas dû y avoir d’électricité », assure-t-elle. L’enquête de la gendarmerie a été close en juillet 2022, celle de l’inspection du travail a été remise à la justice en juin 2023. Celle-ci révélerait « une faute accablante sur l’organisation de la journée de maintenance », précise Claudine Duchêne. Depuis, elle attend la décision du parquet de Nantes.

      Aux enquêtes de police et de l’inspection du travail peut s’ajouter une expertise judiciaire, ralentissant encore un peu plus la procédure, comme dans le cas de Flavien Bérard. « L’attente est longue et douloureuse pour les familles, souligne Me Béthune de Moro. Plus il y a d’intervenants, plus cela alourdit les choses, mais c’est toujours pour éclairer la situation, dans un souci de manifestation de la vérité. » La famille attend désormais d’éventuelles mises en examen et une ordonnance de renvoi dans l’année pour un procès en 2025.

      Après l’accident de Ludovic Marais, le monte-charge a été mis sous scellé jusqu’en mars 2023, une procédure indispensable mais qui allonge encore les délais. Cela a empêché l’intervention d’un expert judiciaire pendant plus de trois ans. « Le nouveau juge d’instruction a décidé de lever les scellés et une nouvelle expertise est en cours », confie Me Ménage. Le rapport pourrait arriver d’ici à l’été. Sachant que les avocats de la défense pourront éventuellement demander une contre-expertise. La brasserie, le patron, la tutrice du jeune apprenti, Otis (la société ayant installé le monte-charge) et un de ses techniciens chargé de la maintenance sont mis en examen pour « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence dans le cadre du travail ». Un procès pourrait avoir lieu fin 2024 ou en 2025. La fin d’un chemin de croix judiciaire pour qu’enfin le deuil soit possible.

    • Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/09/accidents-du-travail-les-jeunes-paient-un-lourd-tribut_6215566_3234.html

      Entre les entreprises peu scrupuleuses et la nécessité pour les jeunes de faire leurs preuves dans un monde du travail concurrentiel, les stagiaires, élèves de lycées professionnels ou apprentis sont les plus exposés aux risques professionnels.

      Quatre jours. L’unique expérience professionnelle de Jérémy Wasson n’aura pas duré plus longtemps. Le #stage d’observation de cet étudiant en première année à l’Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) devait durer deux mois, dans l’entreprise Urbaine de travaux (filiale du géant du BTP Fayat). Le 28 mai 2020, il est envoyé seul sur le toit du chantier du centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, à Pantin (Seine-Saint-Denis). A 13 h 30, il fait une chute en passant à travers une trémie de désenfumage – un trou laissé dans le sol en attente d’aménagement – mal protégée. Il meurt deux jours plus tard, à 21 ans.

      L’accident de Jérémy a laissé la grande école du bâtiment en état de choc. « C’est ce qui m’est arrivé de pire en trente ans d’enseignement supérieur », exprime Joël Cuny, directeur général de l’ESTP, directeur des formations à l’époque. La stupeur a laissé la place à de vibrants hommages. Un peu courts, toutefois… L’ESTP ne s’est pas portée partie civile au procès, regrette Frédéric Wasson, le père de Jérémy, qui souligne que « Fayat est l’entreprise marraine de la promo de [s]on fils… », ou que, dès 2021, Urbaine de travaux reprenait des dizaines de stagiaires issus de l’école.

      #Stagiaires, élèves de lycées professionnels en période de formation en milieu professionnel, #apprentis… Les jeunes paient un lourd tribut parmi les morts au travail : trente-six travailleurs de moins de 25 ans n’ont pas survécu à un accident du travail en 2022, selon le dernier bilan de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). C’est 29 % de plus qu’en 2019. Et encore cela ne porte que sur les salariés du régime général. La CNAM souligne aussi que, par rapport aux autres accidents du travail, il s’agit davantage d’accidents « classiques, c’est-à-dire hors malaises et suicides », et d’accidents routiers.

      « Irresponsabilité totale »

      L’inexpérience de ces jeunes, quand elle n’est pas compensée par un accompagnement renforcé, explique en partie cette surmortalité. Quelque 15 % des accidents graves et mortels surviennent au cours des trois premiers mois suivant l’embauche, et plus de la moitié des salariés de moins de 25 ans morts au travail avaient moins d’un an d’ancienneté dans le poste.

      Tom Le Duault a, lui, perdu la vie le lundi 25 octobre 2021. Cet étudiant en BTS technico-commercial entame alors son quatrième contrat court dans l’abattoir de LDC Bretagne, à Lanfains (Côtes-d’Armor). Sa mère y travaille depuis vingt-neuf ans, et il espère ainsi mettre un peu d’argent de côté. Comme lors de ses premières expériences, il est « à la découpe », où il s’occupe de mettre en boîte les volailles. Ce matin-là, un salarié est absent. Tom doit le remplacer dans le réfrigérateur où sont stockées les caisses de viande. Il est censé y empiler les boîtes avec un gerbeur, un appareil de levage.

      « Sur les dernières images de vidéosurveillance, on le voit entrer à 9 h 53. Il n’est jamais ressorti, et personne ne s’est inquiété de son absence », regrette Isabelle Le Duault, sa mère. Il est découvert à 10 h 45, asphyxié sous deux caisses de cuisses de volaille. Elle apprend la mort de son fils par hasard. « J’ai vu qu’il y avait plein de monde dehors. Une fille m’a dit qu’il y avait un accident grave, elle m’a dit de demander si ce n’était pas mon fils au responsable. Il m’a demandé : “C’est Tom comment ?” C’était bien lui… »

      Les conclusions des enquêtes de gendarmerie et de l’inspection du travail ont vite écarté une éventuelle responsabilité du jeune homme. Jean-Claude Le Duault, son père, en veut à l’entreprise. « Tom n’a pas voulu les décevoir, vu que sa mère travaillait là. Mais on ne met pas un gamin de 18 ans seul dans un atelier, une heure, sans vérifier, sur un gerbeur. Il ne connaît pas les dangers, les règles de sécurité. C’est une irresponsabilité totale, à tous les étages. »

      Manquements

      Dans un monde du travail concurrentiel, les jeunes se doivent de faire leurs preuves. A quel prix ? Selon une enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications publiée en 2020, 59 % des jeunes sortant de la voie professionnelle sont exposés à des risques de blessures ou d’accidents. Or, dans le même temps, ils n’ont pas la même connaissance de leurs droits. Toujours dans cette étude, 42 % déclaraient ne pas avoir reçu de formation ou d’informationsur la santé et la sécurité à l’arrivée sur leur poste. C’est le cas de Tom Le Duault, qui n’avait même pas de fiche de poste. Comme son utilisation du gerbeur n’était pas prévue, il avait été formé sur le tas.

      « Il avait déjà travaillé avec un appareil de levage lors de son précédent contrat, et il s’était déjà blessé à la cheville, ce qui avait causé trois semaines d’arrêt, fulmine Ralph Blindauer, avocat de la famille. Il a été formé par un autre intérimaire. C’était une formation à l’utilisation, pas à la sécurité ! »

      A l’absence d’encadrement et de formation s’ajoutent d’autres manquements, détaillés lors du procès de l’entreprise au pénal : l’appareil était défaillant, ce qui a vraisemblablement causé l’accident, et les salariés de LDC avaient l’habitude d’empiler les caisses sur trois niveaux au lieu de deux, faute de place dans la chambre froide, ce qui est contraire aux règles de sécurité.

      Le rôle du tuteur est crucial

      LDC Bretagne a été condamné, en mai 2023, à une amende de 300 000 euros, tandis que l’ancien directeur de l’#usine – devenu, entre-temps, « chargé de mission » au sein de l’entreprise – a été condamné à deux ans de prison avec sursis. Reconnaissant ses manquements, l’entreprise n’a pas fait appel, chose rare. La direction de cette grosse PME déclare que des mesures complémentaires ont été prises à la suite du décès de Tom, notamment un « plan de formation renforcé à la sécurité, des habilitations, une évaluation complète et approfondie des risques sur les différents postes, des audits par des cabinets indépendants ou le suivi d’indicateurs ».

      Un badge est désormais nécessaire pour se servir d’un gerbeur, ajoute Isabelle Le Duault. Elle a choisi de rester dans l’entreprise, mais à mi-temps. « Moi, je ne peux plus passer devant cette usine, ou même dans cette ville », renchérit son mari.

      En stage ou en apprentissage, le rôle du tuteur est crucial. Sur le chantier d’Urbaine de travaux, à Pantin, l’arrivée de Jérémy Wasson n’avait pas été anticipée. Le lundi matin, personne ne s’occupe de lui, car le chantier est en retard. Il ne reçoit rien d’autre qu’un livret d’accueil et un rendez-vous de quinze minutes pendant lequel on lui parle surtout des gestes barrières. « Jérémy s’est très vite interrogé sur la nature de son stage. Dès le premier jour, on lui a fait faire du marteau-piqueur, le mercredi soir, il trouvait ça fatigant et inintéressant. Ce soir-là, on a hésité à prévenir l’école… », raconte son père.

      Renforcer la formation à la sécurité

      La société Urbaine de travaux a été condamnée, en 2022, à 240 000 euros d’amende pour « homicide involontaire », et l’ingénieure en chef du chantier à 10 000 euros et deux ans de prison avec sursis. Cette décision du tribunal de Bobigny a confirmé les lourdes conclusions de l’inspection du travail, notamment la violation délibérée d’une obligation de #sécurité, l’absence d’encadrement et de formation de Jérémy et l’absence de #sécurisation de la trémie. L’entreprise a fait appel.

      Face à la violence de ces récits, qui concernent parfois des mineurs, le sujet a été érigé en axe prioritaire dans le plan santé au travail du gouvernement. Mais le choix du ministère du travail de publier deux mémentos qui mettent jeunes et entreprises sur le même plan, les invitant à « respecter toutes les consignes », peut étonner.

      Les écoles et centres de formation ont aussi un rôle à jouer pour renforcer la formation à la sécurité. En 2022, la CNAM a recensé plus de 1 million d’élèves et apprentis (CAP et bac professionnel) ayant reçu un enseignement spécifique en santé et sécurité au travail.

      Faciliter la mise en situation des adolescents

      A la suite du décès de Jérémy, l’ESTP a renforcé les enseignements – déjà obligatoires – sur la sécurité. Un élève ne peut se rendre en stage sans avoir obtenu une certification. « En cas de signalement, on fait un point avec les RH de l’entreprise, et si ça ne se résout pas, nous n’avons pas de scrupules à arrêter le stage. Mais je ne remets pas en cause la volonté des entreprises de créer un environnement de sécurité pour accueillir nos élèves », déclare Joël Cuny.

      Un argument difficile à entendre pour la famille de Jérémy Wasson… Car les #entreprises restent les premières responsables de la santé des jeunes sous leur responsabilité, comme du reste de leurs salariés. Le nombre d’apprentis a explosé ces dernières années, la réforme du lycée professionnel souhaite faciliter la mise en situation des adolescents.

      Par ailleurs, le gouvernement a annoncé l’obligation pour les élèves de 2de générale et technologique, dès 2024, d’effectuer un stage en entreprise ou en association de deux semaines, semblable au stage de 3e. La question ne s’est jamais autant posée : les employeurs mettront-ils les moyens pour protéger tous ces jeunes ?

      #apprentissage

    • Avec la sous-traitance, des accidents du travail en cascade, Anne Rodier
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/10/avec-la-sous-traitance-des-accidents-du-travail-en-cascade_6215798_3234.html

      Pression économique des donneurs d’ordre, délais resserrés, manque de prévention… Les salariés des entreprises en sous-traitance, en particulier sur les chantiers et dans le nettoyage, sont plus exposés aux accidents du travail. Surtout lorsqu’ils sont #sans-papiers.

      https://justpaste.it/axscq

      #sous-traitance

  • Maëlezig Bigi, Dominique Méda - Prendre la mesure de la #crise du #travail en France | Sciences Po LIEPP
    https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/maelezig-bigi-dominique-meda-prendre-la-mesure-de-la-crise-du-travail-en-

    C’est sans doute l’une des expressions les plus médiatiques de ces derniers mois : le rapport au travail aurait changé. Les Français ne voudraient plus travailler. La Grande démission serait la preuve qu’un gigantesque mouvement de flemme s’est emparé de nos concitoyens. Dans cet article, nous tentons de prendre une perspective un peu longue pour comprendre ce qui a vraiment changé dans notre rapport au travail, nous revenons sur l’importance accordée au travail par les Français et nous mettons en évidence que la question centrale aujourd’hui est celle des conditions de travail. Nous invitons ainsi nos lecteurs à prendre la mesure de la grave crise du travail française, qui explique en partie l’intensité des réactions à l’annonce du recul de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans.

    #conditions_de_travail #exploitation #sans_vergogne

  • #Syngenta commercialise du #café issu d’exploitations imposant des #conditions_de_travail proches de l’#esclavage

    La #Nutrade_Comercial_Exportadora Ltda, une filiale de la multinationale agrochimique suisse Syngenta et la marque #Nucoffee, qui lui est affiliée, ont commercialisé à plusieurs reprises du café issu d’exploitations brésiliennes où règnent des conditions de travail proches de l’esclavage.

    Le Brésil est le plus gros producteur et exportateur de café au monde. 46 % des grains de café du pays sont récoltés dans l’État du #Minas_Gerais. On estime que plus des deux tiers de la main-d’œuvre active dans les exploitations de café de cet État sont employés de manière informelle : ils n’ont droit ni à un salaire minimum, ni au paiement des heures supplémentaires, ni à des prestations sociales. Des cas de #travail_forcé et de conditions de travail proches de l’esclavage sont régulièrement dénoncés dans le secteur du café au Brésil.

    Une enquête menée conjointement par la Coalition pour des multinationales responsables et le collectif d’investigation WAV révèle 6 cas d’exploitation par le travail et de travail forcé au Brésil liés à la filiale de Syngenta, #Nutrade, ou à la marque Nucoffee. Entre 2018 et 2022, les autorités brésiliennes ont libéré des travailleuses et travailleurs de conditions de travail proches de l’esclavage dans 6 exploitations de café de l’État du Minas Gerais. Certain·e·s ouvrières et ouvriers n’avaient parfois pas de contrat de travail, étaient sous-payés ou ne recevaient pas leur salaire régulièrement, étaient souvent logés dans des conditions très précaires et n’avaient pas accès aux toilettes ni à l’eau potable. Par ailleurs, les autorités ont parfois constaté que des mineur·e·s travaillaient sur les sites. Selon différentes sources, Nutrade et Nucoffee se procuraient du café auprès de ces exploitations. Comme l’indiquent les données commerciales de Nutrade, celle-ci a notamment approvisionné la multinationale genevoise #Sucafina, un des plus gros commerçants de café au monde. Sucafina a continué d’acheter du café à Nutrade même après que plusieurs travailleuses et travailleurs des fermes fournissant Nutrade aient été libérés par les autorités brésiliennes de conditions de travail proches de l’esclavage.

    Le nombre de cas non recensés est élevé

    Malheureusement, de nombreux négociants en matières premières agricoles, comme Nutrade, filiale de Syngenta, ferment les yeux sur les problèmes massifs que connaissent les plantations de café. Pour lutter contre le problème du travail forcé, les autorités brésiliennes effectuent des contrôles et publient chaque semestre depuis 2003 un document connu sous le nom de #lista_suja (« liste sale »), qui dévoile les noms de celles et ceux qui « ont employé de la main-d’œuvre dans des conditions proches de l’esclavage ». La culture du café arrive régulièrement en tête des secteurs figurant sur cette liste.

    Sur les six cas détaillés ci-dessus et liés à Syngenta, seuls trois noms ont été inscrits à ce jour sur la lista suja, souvent plusieurs années après les faits. L’explication ? Les employeurs ont le droit de faire opposition avant que leur nom ne figure sur la liste, ce qu’ils sont nombreux à faire. Comme le ministère du Travail est tenu d’attendre la décision du tribunal avant d’inclure un nom sur la liste, la procédure peut durer plusieurs années. Par ailleurs, une nouvelle étude suggère qu’il serait plus facile pour les personnes qui bénéficient de bonnes relations dans les milieux politiques et/ou font de généreux dons lors des campagnes électorales d’éviter la mise à l’index sur la liste.

    On suppose que le nombre de cas non recensés est énorme et que les problèmes surviennent dans beaucoup plus de plantations : en effet, l’inspection du travail brésilienne, qui effectue les contrôles sur les plantations, manque de personnel et de moyens financiers. Sous l’ancien président Jair Bolsonaro, les contrôles ont été rendus encore plus difficiles en raison de restrictions budgétaires.

    La position de Nutrade, la filiale de Syngenta, est claire : elle estime qu’elle n’a pas à se préoccuper des problèmes constatés tant que l’exploitant concerné n’apparaît pas sur la lista suja. Il serait pourtant de la responsabilité de Syngenta de faire preuve de proactivité et de prendre des mesures pour empêcher que ses fournisseurs n’imposent des conditions de travail proches de l’esclavage dans leurs exploitations.

    https://responsabilite-multinationales.ch/etudes-de-cas/syngenta-exploitations-plantages-cafe
    #néo-esclavage #plantations #Brésil

  • Le coût du travail humain reste généralement inférieur à celui de l’IA, d’après le MIT FashionNetwork.com ( Bloomberg )

    Pour le moment, employer des humains reste plus économique que de recourir à l’intelligence artificielle pour la majorité des emplois. C’est en tout cas ce qu’affirme une étude menée par le Massachusetts Institute of Technology, alors que bon nombre de secteurs se sentent menacés par les progrès faits par l’IA.

    Il s’agit de l’une des premières études approfondies réalisées à ce sujet. Les chercheurs ont établi des modèles économiques permettant de calculer l’attractivité de l’automatisation de diverses tâches aux États-Unis, en se concentrant sur des postes “digitalisables“, comme l’enseignement ou l’intermédiation immobilière.

    Source : https://fr.fashionnetwork.com/news/premiumContent,1597548.html

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