• #Confinement : enquête sur les #conditions_de_vie et d’études

    Dès le 26 mars, l’université a ouvert une enquête anonyme en ligne sur les conditions de vie et d’étude de ses étudiant·e·s. Synthèse des 1ers résultats, grâce aux 3400 contributions recueillies.

    Panorama global de l’ensemble des réponses

    La consultation étudiante a été organisée avec 2 objectifs : cerner les conditions dans lesquelles se trouvent nos étudiant·e·s en cette période de confinement et identifier au mieux les difficultés rencontrées (financières, pédagogiques, pratiques, psychologiques…).

    Une majorité d’ étudiant·e·s déclarent ne pas être isolé·e·s, se sentir plutôt bien, mais une part importante déclare également rencontrer des difficultés. Une proportion non négligeable d’étudiant.e.s se trouve dans des situations problématiques, voire préoccupantes (entre 10 et 20% des étudiant·e·s selon les indicateurs retenus).


    Un peu plus de 10% des étudiant·e·s ont déclaré être seul·e.s pendant cette période de confinement. Les ⅔ sont avec leur famille et un peu moins d’⅕ est confiné·e avec d’autres personnes. Si une petite majorité se confine sur Rennes ou Saint-Brieuc ou à moins d’une heure de leur campus, 45% sont plus éloigné·e·s, à plus d’une heure, dans les Dom-Tom ou à l’étranger.
    L’équipement informatique et la connexion : ¼ en difficulté

    Parmi les étudiants qui ont pu répondre à cette enquête, disposant donc d’un minimum de moyen de connexion, 80% des étudiant·e·s disposent d’un ordinateur à usage personnel mais 7% doivent le partager et 1,4% n’en disposent pas du tout. L’accès au réseau Internet est un problème pour 15% d’étudiant·e·s, qui déclarent un accès limité, souvent compris dans les forfaits téléphoniques.

    Plus de la moitié des étudiant·e·s (58%) disent se sentir bien ou plutôt bien à l’issue de 10 jours de confinement. Mais un quart se reconnaît hésitant, affirmant ne pas vraiment savoir s’ils se sentent bien ou pas et plus de 10% déclarent se sentir mal ou plutôt mal.

    Plus de la moitié déclare des difficultés, pas toujours dues au confinement mais à tout le moins aggravées par le confinement.

    Les difficultés « scolaires », liées à la continuité pédagogique, sont les plus fréquentes puisque qu’elles concernent plus d’⅓ des étudiant·e·s. Elles sont suivies par des difficultés psychologiques (plus d’¼), financières et pratiques (⅙ dans les deux cas). Mais ces difficultés se cumulent… et l’on recense environ 10% d’étudiant·e·s qui déclarent 3 types de difficulté ou plus.
    Les points d’alerte sur la continuité pédagogique, les finances, le stress

    Les difficultés scolaires, pratiques, financières signalées sont probablement à mettre en lien avec la proportion importante d’étudiant·e·s (plus d’¼) mentionnant des difficultés psychologiques. Concrètement, les réponses font état de stress, voire de situations d’épuisement (en particulier pour les étudiant·e·s travailleu.r.se.s et parents). Au-delà de l’anxiété liée à l’épidémie (peur pour soi et pour ses proches), la vie se trouve bouleversée et certain·e·s étudiant·e·s se disent débordé·e·s, perdu·e·s et inquiet·e·s. Et l’absence de visibilité sur les conditions de déroulement des examens a un effet amplificateur.
    La continuité pédagogique satisfaisante pour ⅔ des étudiants mais des aménagements à faire

    ⅔ des étudiant·e·s considèrent les solutions proposées par les équipes pédagogiques comme (plutôt) appropriées dans ces circonstances exceptionnelles. Les étudiant·e·s sont néanmoins nombreux·ses à signaler des difficultés liées à l’enseignement à distance : augmentation de la charge de travail, difficultés à s’organiser, interactions avec les autres étudiant·e·s difficiles…

    L’inégal aménagement des conditions d’étude et de travail

    Pour certain·e·s, les difficultés pratiques semblent lourdes et pèsent sur les conditions d’étude à distance : accès aux outils numériques (absence ou nécessité de partage), au réseau Internet, présence d’enfants ou de frères et sœurs dont il faut s’occuper, conciliation avec un emploi voire avec une réquisition (hôpitaux, commerces d’alimentation).
    Les difficultés financières

    Elles sont souvent décrites, principalement en lien avec une perte d’emploi (projet de vacations, d’intérim, pas de relais par pôle emploi, etc.). Ces situations critiques peuvent concerner des couples qui traversent cette même situation. Les inquiétudes relatives au paiement du loyer et des factures sont fréquentes.
    Face aux difficultés exprimées, que faire dans l’immédiat ?

    Pour ce qui concerne les difficultés liées à la continuité pédagogique, l’ensemble des équipes pédagogiques a été informée des difficultés rencontrées par des étudiant·e·s.
    Le nouveau calendrier des examens terminaux, en cours de validation devant les instances de l’université, sera diffusé en milieu de semaine prochaine.

    Pour les difficultés d’ordre psychologique, financier, de santé, les équipes de l’université travaillent à renforcer, diversifier et coordonner les différentes aides pour répondre au plus vite. Des aides d’urgence se mettent en place avec le Service de santé des étudiant·e·s (SSE) et le CROUS. Enfin les établissements d’enseignement supérieur poursuivent la mobilisation de fonds afin de renforcer et diversifier les aides exceptionnelles au plus vite.
    Détail des répondants
    Qui sont les répondant·e·s ?

    L’analyse porte sur 3468 répondant·e·s. ayant répondu entre le 26 et le 27 mars 2020.

    Les graphiques ci-dessus indiquent la répartition par niveau et par site géographique. Le taux de retour par rapport à l’effectif total d’étudiant·e·s accueilli·e·s à Rennes 2 est d’environ 16%, respectant la répartition des étudiant·e·s sur les différents campus.

    Les retours en fonction des années d’études sont assez proches de la structure observée sur la population totale d’étudiant·e·s à Rennes 2 même si on constate une légère surreprésentation des étudiant·e·s de L2 et L3 parmi les répondant·e·s.

    Référent·e·s Université Rennes 2 de l’enquête :

    Céline Piquée, Vice-présidente chargée de la vie étudiante et de la vie des campus
    Patricia Legris, Vice-Présidente, Santé, Solidarité et Accompagnement social des étudiants
    Fabien Caillé et Clément Gautier, Vice-Présidents étudiants

    https://www.univ-rennes2.fr/article/confinement-enquete-sur-conditions-vie-detudes
    #conditions_d'études #étudiants #ESR #enseignement_supérieur #statistiques #chiffres #université #facs #coronavirus #France #enquête #inégalités #fracture_numérique #Rennes #Rennes_2

    ... et toujours cette maudite #continuité_pédagogique :
    https://seenthis.net/messages/831759

    • Confinement et suivi des cours à distance durant l’épidémie de COVID-19. Premiers résultats d’un questionnaire envoyé aux étudiant·e·s de la Licence sciences sanitaires et sociales (SSS), des Masters de santé publique, mention « Santé, Populations et Territoires » (SPT) et mention « Santé, sécurité au travail »(SST)de l’Université Sorbonne Paris Nord (USPN)

      https://onedrive.live.com/?authkey=%21AC%2DVYtA9hLcfPFk&cid=A27E9A0DA6A579D7&id=A27E9A0DA6A579D

    • La continuité pédagogique, vraiment ?

      Plutôt que supposer que tout cela était possible, nous avons alors choisi, avec mon collègue Olivier Zerbib qui co-anime avec moi ces travaux dirigés, de réaliser un sondage auprès de nos étudiant.es pour essayer d’évaluer leur capacité à suivre des cours à distance. Ce sont les résultats de ce sondage, que nous avons finalement étendu à la totalité des étudiant.es de licence de sociologie de l’Université Grenoble Alpes ainsi qu’aux quelques étudiants du master (SIRS) “Sociologie de l’innovation et recompositions sociales”, que je voudrais vous présenter rapidement dans ce billet.

      https://seenthis.net/messages/835290
      #sondage #Grenoble

    • Continuité pédagogique, ruptures sociales. Comprendre nos étudiant·es en temps de confinement

      Notre texte se base sur la démarche d’enseignant·es chercheur·es de la Licence Sciences sanitaires et sociales et de Masters de Santé publique de l’Université Sorbonne Paris Nord (ex-Université Paris 13).

      Ayant le sentiment de ne pas bien cerner les difficultés vécues par les étudiant·es durant cette période de confinement, nous avons décidé d’aller vers elles et eux pour essayer de comprendre leur quotidien. Nous avons à cet effet construit un petit questionnaire en ligne qui nous a permis de recueillir de précieux renseignements.

      Il ne s’agit pas de présenter ici ce questionnaire dans son ensemble1, mais de discuter certains aspects de ce qu’il permet de saisir de l’expérience du confinement parmi nos étudiant·e·s, et de ce que cela implique dans leur rapport à l’université. Ces remarques permettent aussi d’avancer quelques pistes quant à la relation à développer vis-à-vis de nos étudiant·e·s, dans une période si singulière : ne faudrait-il pas, dans ces temps particuliers, revoir nos priorités et faire vivre, en lieu et place d’une illusoire « continuité pédagogique », une « continuité critique » basée sur le maintien du lien et le refus de l’évaluation à tout prix ?
      Au départ de la réflexion : des signaux faibles de difficultés sociales et d’inégalités face à la poursuite de l’enseignement à distance

      Le 16 mars 2020 les universités se sont « arrêtées » – elles étaient toutefois déjà en partie « à l’arrêt » du fait de la contestation des réformes envisagées par le gouvernement, et nos cours étaient en partie « alternatifs ». Mais cet arrêt-là n’était pas préparé : annoncé brutalement, il a été mis en œuvre comme la plupart les décisions récentes du gouvernement, c’est-à-dire sans concertation, sans préparation, sans cohérence. Le 17 mars, c’est finalement la population dans son ensemble qui était confinée — hormis bien sûr celles et ceux qui continuaient de faire vivre les services de santé, le secteur de l’alimentation, etc. S’en est suivie une forme de silence au sein de la communauté académique. Silence entre collègues, du fait des multiples difficultés à organiser sa vie personnelle en temps de confinement, mais aussi silence dans notre relation à toute une partie de nos étudiant·es. Bien sûr, rapidement, nos échanges ont repris et quelques cours à distance ont remplacé nos cours d’amphi et nos TD : envois de documents, tchats, cours enregistrés, parfois cours en direct… Mais personne ne croyait réellement que ces cours de substitution allaient toucher l’ensemble nos étudiant·es. Nous en avons rapidement eu la confirmation.

      Plusieurs constats se sont ainsi imposés à nous. Une poignée d’étudiant·es seulement interagissait avec nous et nous recevions des mails inquiets faisant état de difficultés de compréhension. Surtout, nous recevions des signaux inquiétants sur leurs conditions de vie : certain·e·s étudiant·es disant être sans accès à internet, d’autres relatant leur travail d’aide-soignante ou de caissière (emplois devenu beaucoup plus fatigants depuis le confinement), ou encore signalant qu’elles et eux-mêmes ou leurs proches étaient malades, parfois jusqu’à l’hospitalisation. Mais il ne s’agissait encore que de quelques messages, dont nous partagions le contenu général entre collègues régulièrement. Le confinement se prolongeant, l’inquiétude grandissait de notre côté concernant la situation de nos étudiant·es, d’autant que s’annonçait la question de l’évaluation des connaissances de fin de semestre…

      Nous avons donc lancé, le 6 avril, un questionnaire en ligne, envoyé via les mails personnels récupérés dans différents cours par les enseignant·es, et avons reçu en deux jours 411 réponses, soit un taux de réponse de plus de 80% pour nos trois années de licence et deux de nos masters.
      Des étudiant·es aidant·es à l’intérieur, exposé·es à l’extérieur

      Tout d’abord, il est important de préciser que nos formations sont très largement féminisées : il y a, sans grande variation dans les dernières années, environ 5% d’hommes seulement dans nos promotions (6,6% dans le présent questionnaire). Une part importante de nos étudiant·es est par ailleurs issue des classes populaires, et plus de la moitié résident en Seine-Saint-Denis, où est localisée l’université. Pour les autres, les temps de trajet pour rejoindre l’université sont parfois très longs, dépassant fréquemment une heure pour venir sur le campus2. Nos étudiant·es vivent fréquemment, cela ressort du questionnaire, dans des logements partagés, déclarant par exemple vivre avec, en moyenne, 3,8 autres personnes dans leur logement.

      Surtout, nous l’avons compris à la lecture des réponses à une question ouverte en fin de questionnaire, les conditions de confinement sont très diverses. Certes, une partie importante de nos étudiant·es parvient à se ménager un « espace à soi » (70,6% disposent d’un espace dans lequel ils ou elles peuvent s’isoler pour travailler) mais nombre d’entre elles et eux passent une partie de leur temps à s’occuper de membres de leur foyer ou ont continué à occuper un emploi salarié durant cette période (en télétravail pour une part, mais surtout dans des emplois exposés, aux caisses des grandes surfaces, à l’hôpital ou en EPHAD…).

      Une étudiante explique ainsi vivre à cinq personnes dans un appartement de trois pièces. Elle explique qu’il est, chez elle, impossible de se concentrer et précise :

      “Il faudrait se lever à 5h du matin pour pouvoir étudier dans le calme mais vous comprenez que c’est compliqué. Pour ma part, j’allais toujours à la bibliothèque pour pouvoir étudier dans le calme et lire des ouvrages. Cela fait deux semaines que j’essaye de lire un livre mais en vain. C’est vraiment démotivant. J’en arrive à faire des crises d’angoisses, j’ai une éruption de boutons qui sont apparus dû à ce stress. Enfin voilà c’était juste pour que vous compreniez bien ma situation qui est sans aucun doute la situation de beaucoup d’autres étudiants”.

      Pour une autre étudiante, elle aussi confinée, la difficulté à se concentrer sur le travail universitaire se double de la nécessité d’assurer la « continuité pédagogique » pour des frères et sœurs :

      « Durant le confinement, c’est très difficile de se concentrer sur le travail universitaire car je dois m’occuper du travail scolaire de mes petits frères et sœurs et m’occuper du foyer (la cuisine, le ménage, etc.)”.

      Une autre souligne :

      “Avec le confinement, les crèches sont fermées, ma fille est donc exclusivement gardée par moi. J’ai du mal à trouver le temps pour me consacrer à mes études. Je dois aussi m’occuper de ma mère qui est actuellement hospitalisée”.

      De fait, 64% des répondant·es estiment que le temps consacré à d’autres personnes (frères, sœurs, parents, personnes âgées, enfants, etc.) a augmenté depuis le début du confinement.

      Parmi les étudiant·es ayant continué à occuper une activité salariée, évoquons cette étudiante qui, vivant seule dans son logement, parle de son travail aux caisses d’un supermarché :

      « Étant donné que je suis caissière dans un supermarché mes horaires, en cette période de confinement, ont énormément changé, je travaille beaucoup plus ce qui fait que je suis moins chez moi et lorsque je rentre je suis fatiguée de mes journées de travail qui ne cessent d’être plus chargées de jour en jour (…) De mon côté, dans le supermarché dans lequel je travaille, je ne peux me permettre d’être absente puisque vu la situation de nombreux collègues sont absents, ce qui rend la charge de travail plus conséquente« .

      Pour d’autres, la “double-journée” travail salarié / travail domestique, prend actuellement un poids particulier, comme pour cette étudiante qui écrit :

      “Je suis salariée dans le domaine médical en plus de cela j’ai quatre enfants dont deux en primaire où il m’a fallu m’improviser professeur !! Avec en plus tous mes cours à revoir, c’est vraiment compliqué ”.

      Malgré le maintien d’une activité salariée chez certain·es, les difficultés financières provoquées par le confinement semblent importantes, puisque 31,4% des répondant·e·s disent éprouver des difficultés financières nouvelles depuis le début du confinement. Quelques réponses évoquent d’ailleurs une inquiétude quant au prolongement éventuel de l’année universitaire, qui les empêcherait de commencer rapidement un « job d’été ».

      De façon générale, certain·es étudiant·es évoquent la “charge émotionnelle” qui pèse sur eux (et surtout elles) durant cette période. On ressent cette charge dans cette réponse par exemple :

      “Aide-soignante, j’ai dû, grâce à mon diplôme, aider les hôpitaux. Je suis également maman. Malheureusement mon conjoint a contracté le virus il est actuellement sous surveillance nous sommes séparés de notre fille qui est actuellement chez ma mère pour éviter toute contamination. Le moral n’y est pas du tout, je tente tant bien que mal de prendre les cours, les récupérer ce n’est pas facile”.

      Ou encore ici :

      “C’est une situation très difficile moralement, je me sens perdue avec tous ces mails, même si je sais bien que les enseignants essayent de faire de leur mieux ! Et même si je sais que je dois consacrer du temps pour mes tâches universitaires, je ne peux laisser mes parents s’occuper à eux seuls du foyer et se fatiguer physiquement sachant que c’est assez dur pour eux aussi, nous avons tant de responsabilités dans cette maison !”.

      D’autres types de difficultés sont encore évoquées telles que les tensions provoquées par la promiscuité dans une colocation.

      Rares sont finalement les étudiant·es qui affirment pouvoir “profiter” de cette période, au contraire ils et elles sont près de 65% à affirmer vivre cette période avec difficulté. Ceci nous rappelle à quel point la romantisation du confinement est un privilège de classe, parfois relayé par des universitaires sur les réseaux sociaux, appelant leurs étudiant·es à « relire » tel ou tel auteur ou à « prendre le temps de faire le point sur leur orientation »3.
      L’illusion d’une continuité pédagogique à distance et les effets amplifiés d’un recours massif aux vacations

      Faut-il pour autant en conclure que nous (enseignant·es, enseignant·es-chercheur·es) ne pouvons rien face à cette situation, et qu’il nous faut simplement attendre la fin du confinement pour reprendre une activité « normale » ?

      Avant de répondre, il convient d’abord de revenir sur la notion de« continuité pédagogique » d’abord élaborée pour le primaire et le secondaire, avec le succès mitigé que l’on sait. Reprise à la fois dans le discours ministériel et dans l’expression de certain·es collègues du supérieur, en particulier sur les réseaux sociaux, il s’agit d’expliquer qu’au fond, tout peut se passer à distance comme si de rien n’était. Il faut dire que le distanciel est par ailleurs déjà encouragé dans nos universités, où les amphis pleins à craquer semblent voués à se transformer en cours à distance. Une absurdité, en particulier dans une filière qui accueille nombre de lycéen·nes des filières technologiques, parfois en difficulté scolaire au lycée. Non préparée, dotée de moyens techniques aléatoires, la tenue de cours à distance semble encore plus illusoire actuellement qu’en temps « normal » : nos étudiant·es ne sont ainsi que 53% à posséder un ordinateur personnel pour travailler à distance, et 65% estiment avoir une connexion « moyenne » ou « mauvaise » qui ne leur permet pas de suivre parfaitement une visioconférence. Voilà qui ne manque pas de questionner lorsque certain·es enseignant·es choisissent de dispenser des cours en temps réel via des plateformes qui ne permettent pas l’archivage de la séance, ou lorsque certaines universités envisagent même des examens de fin d’année en temps limité. Mais au-delà des difficultés « normale », la grande faiblesse des cours dématérialisés semble être… la dématérialisation ! Parmi tous les motifs expliquant les difficultés de celles et ceux qui affirment avoir du mal à suivre les cours, la difficulté à comprendre« sans la présence physique de l’enseignant·e » arrive en tête, juste avant« la difficulté à se concentrer » et loin devant « les difficultés à accéder aux contenus ».Indice que la relation étudiant·e/enseignant·e en présentiel a peut-être quelque chose à faire avec l’efficacité de l’apprentissage…

      Par ailleurs, signe que l’éloignement pédagogique n’est pas seulement le fait des étudiant·e·s, 65,9% d’entre elles et eux disent avoir été mal informé·es depuis le début du confinement ou avoir perdu le contact avec leurs enseignant·es. La difficulté du contact avec les enseignant·es de TD, qui sont, pour la plupart, vacataires, ressort nettement des réponses au questionnaire. Les hypothèses sur les causes de cette situation ne sont pas difficiles à formuler. Nos collègues vacataires sont, pour une part, doctorant·es : elles et eux aussi peuvent être concerné·es par des conditions de confinement difficiles, et l’injonction à finir sa thèse dans les temps malgré le confinement. Une autre part de ces collègues sont des professionnel·les ayant une activité hors de l’université (avocat·es, formateurs et formatrices en travail social, enseignant·es du secondaire, etc.) : pour elles et eux, il est probable que cette période ait nécessité beaucoup d’adaptations familiales et/ou professionnelles. On ne peut dès lors leur tenir rigueur d’avoir priorisé leur activité principale sur leur activité secondaire, payée en deçà du SMIC4 dans nos universités… Cette diversité de statuts est d’ailleurs bien saisie par des étudiant·es qui en notent les effets dans leurs réponses au questionnaire, à l’instar de ces étudiantes :

      “La difficulté réside principalement dans le manque de réponse de la part de certains enseignants – je comprends parfaitement que certains ne soient pas titulaires et qu’ils ont d’autres emplois en parallèle, mais ceci nous pénalise et des zones d’ombres persistent par rapport à certains cours” ; “ certains enseignants de TD nous délaissent. (…) Je veux bien comprendre que certains d’entre eux ont une activité autre que celle d’enseignant, mais tout de même.” ; “il reste difficile de contacter certains enseignants et notamment ceux qui ont une autre activité professionnelle en parallèle de l’enseignement« .

      Là encore, il faut souligner que ces critiques sont d’autant plus entendables que les étudiant·es n’hésitent pas en même temps à souligner l’investissement de certain·es collègues5. Les personnes nommément désignées pour leur investissement sont le plus souvent titulaires ou contractuelles, c’est-à-dire qu’il s’agit de personnes pour lesquelles enseigner est à la fois le métier et l’activité principale… Ici encore il ne s’agit absolument pas de dire que les enseignant·es vacataires seraient de mauvais·es pédagogues ou ne s’investiraient pas dans leur mission : il s’agit simplement de souligner que leur statut ne les met pas toujours dans la situation de pouvoir assurer le meilleur enseignement possible, en particulier lorsqu’une crise survient.

      Les quelques titulaires de nos formations (une quinzaine pour cinq cents étudiant·es) continuent globalement à répondre aux mails, à assurer une forme de continuité numérique en envoyant des supports, en relayant ceux des vacataires qui n’ont pas accès aux plateformes en ligne, etc. Mais cela ne peut pas suffire ! Une reconfiguration totale, dans l’urgence, de tout le parcours pédagogique, nécessiterait une réactivité considérable de chacun·e et une parfaite coordination de l’équipe enseignante pour clarifier les consignes, répartir la charge de travail des étudiant·es, mutualiser ce qui peut l’être. Déjà difficile à construire entre titulaires, comment atteindre une telle configuration lorsque des équipes de TD composées de vacataires sont parfois sous la responsabilité… d’enseignant·es de CM également vacataires ?

      La période que nous vivons accroît donc manifestement les effets de la précarisation de l’enseignement supérieur dénoncée depuis plusieurs années… et qui l’étaient encore bien plus ces derniers mois depuis l’annonce du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) !

      Le questionnaire ne laisse d’ailleurs aucun doute sur les limites de la “continuité pédagogique”. À la question “Depuis la fermeture de l’université, avez-vous réussi à suivre les enseignements proposés à distance ?”, 80% des étudiant·es répondent par la négative. Une étudiante parle ainsi de sa difficulté à “accrocher aux cours à distance”, une autre nous dit : “j’ai peur de ne pas valider mon deuxième semestre car dans les cours envoyés il y a plein de choses que je ne comprends pas”. Un dernier enfin affirme : “je suis clairement en train de lâcher prise”.
      Savoir réviser ses priorités, faire vivre une continuité critique

      Il est bien difficile d’affirmer de manière définitive ce qu’il aurait fallu mettre en place pour que les choses se passent mieux, pour que nos étudiant·es (ou du moins une partie d’entre elles et eux) ne perdent pas pied durant le confinement. D’autant que les réponses recueillies ne se réduisent en rien à des questions organisationnelles : ce n’est pas d’un meilleur environnement numérique de travail (ENT) que nous avons vraisemblablement le plus besoin (celui de notre université n’est d’ailleurs pas si mal…), ni (même si cela est bienvenu…) d’une distribution d’ordinateurs ou de clefs 4G ! Nous avons besoin d’universités qui recrutent davantage de titulaires et qui leur permettent de construire un vrai lien de confiance avec leurs étudiants·es, c’est-à-dire qui leur donnent du temps en classe, des amphis qui ne soient pas surchargés, des bureaux pour recevoir les étudiant·es, car la confiance paie dans la relation pédagogique. On voit par exemple dans les réponses ouvertes que nous avons recueillies que même lorsqu’il était fait état de grandes difficultés, nombre de nos étudiant·es nous remercient d’avoir conçu ce questionnaire, de nous intéresser à elles et eux, de leur demander leur avis sur la tenue des examens.

      Si l’on élargit encore le champ des réponses possibles à cette crise, il est clair nous avons besoin d’une société qui réduit enfin les inégalités qui font que dans notre université de Seine-Saint-Denis, seul·es 53% des étudiant·es possèdent un ordinateur personnel quand ils et elles sont 92,1% dans une licence de l’Université Paris Dauphine6 !

      Mais quant aux actions à mener dans l’urgence, la réflexion doit sans doute porter sur le type de lien que l’on souhaite maintenir avec nos étudiant·es. Nous sommes quelques un·es à considérer que ne pouvons pas faire comme si de rien n’était, comme si la population n’était pas massivement confinée, inquiète, exposée à une précarité économique actuelle ou future. Nous avons continué à envoyer des documents à nos étudiant·es en lien avec nos cours, mais surtout parce qu’une grande partie d’entre eux sont utiles à la compréhension de ce qui se passe (droit de la santé, sociologie des politiques sociales, histoire de la santé publique…) et non dans la perspective de « finir un programme » en vue d’examens à venir. Nous avons surtout fait le choix de proposer de répondre aux questions individuelles de nos étudiant·es, par tchat, par mails, et avons initié une revue de presse hebdomadaire envoyée tous les mardis à nos 500 étudiant·es7 : il s’agissait alors de leur proposer une sélection de sources pour s’informer et réfléchir à la crise en cours… mais aussi de découvrir des films, podcasts, sites internet pour penser à autre chose !

      Enfin, puisque cette question est devenue inévitable, nous avons dû réfléchir aux examens. Le consensus n’est malheureusement pas au rendez-vous de ce côté-là dans les universités, et la perspective d’une neutralisation du semestre ne s’est pas imposée dans la plupart des formations8. Les examens en présentiel étant exclus du fait de la situation sanitaire, des examens en distanciel s’organisent, sous la forme de « devoirs maison », avec un délai permettant aux étudiant·es de s’organiser. De notre côté, le questionnaire dont nous avons fait état dans cet article a été important pour choisir cette solution d’entre-deux : il montrait trop de difficultés dans les conditions de travail de nos étudiant·es pour permettre d’envisager des partiels « en temps réel ». Cependant, nous restons insatisfait·es. L’évaluation, au regard de la situation des étudiant·es évoquée ci-dessus, n’a plus grand sens : s’y accrocher à tout prix, n’est-ce pas faire le jeu du “tout va bien” ? N’est-ce pas nous complaire dans ce rôle de dispensateur de diplôme auquel on cherche à nous assigner ?


      *

      En dépit ou grâce à l’ensemble des difficultés que nous avons repérées pour les étudiant·es ou les enseignant·es durant le confinement, nous espérons que cette crise sanitaire et sociale sera l’occasion de prendre conscience de la nécessité, dans le secteur éducatif et de la recherche comme à l’hôpital, d’un service public préparé à affronter au mieux ce type de situation. Un service public doté en personnel stable et à même de remplir sa mission : répondre aux besoins fondamentaux de quiconque, sans distinction de fortune, partout, tout le temps.

      Nous remercions vivement nos étudiant·e·s de la Licence Sciences sanitaires et sociales et des Masters de Santé publique (Santé, population et territoires et Santé et sécurité au travail), qui ont pris le temps de répondre au questionnaire et se sont parfois livrés à nous par mail sur leurs conditions de vie durant le confinement.

      https://academia.hypotheses.org/22921

      Etude complète :
      https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/04/P13_Carayon_Vuattoux_Synthe%CC%80seResultats_versionpublique.pdf

  • Faire sa place Par Virginie Jourdain, artiste, commissaire d’expositions et travailleuse culturelle féministe

    Qui peut travailler gratuitement et payer son loyer ? Qui peut faire du réseautage tous les soirs ? Qui peut passer ses journées dans son atelier ? Qui peut partir en résidence d’artiste durant des mois à l’autre bout du monde ? … pas les précaires.

    Un milieu professionnel où les places sont rares et les personnes ont soif de reconnaissance (ou de pouvoir) ça n’est pas forcément le plus safe des contextes. On peut parfois constater que l’ambition de carrière équivaut parfois à pousser des coudes sans état d’âme pour faire son chemin, quitte à broyer du monde au passage, et ce, dans toutes les structures et organismes. Une des conséquences à cette réalité est que la communauté féministe et artistique, dans laquelle je gravite, est épuisée et que tout le monde a peur de perdre sa « place » ou d’éventuelles opportunités, tout en manquant clairement parfois de cohérence politique.

    Cette communauté qui dénonce les méfaits du néolibéralisme se vante en même temps d’être débordée et en surcharge de travail, ce qui s’avérerait être une preuve de réussite de carrière artistique. Comme si le débordement de travail était un gage de crédibilité ou bien d’une pratique de qualité. Il y a des réalités qui font que tu es broyée et cassée par ton travail. Les causes peuvent être multiples, un accident, une dépression, un burn out ou du harcèlement. Faire le paon avec sa biographie à chaque interaction sociale, cela va pourtant à l’encontre des convictions progressistes dont le milieu artistique se prétend être généralement l’étendard et des valeurs de solidarité et de caring défendues par la communauté féministe.

    https://dissident.es/faire-sa-place

    #rapports_de_classe #codes #art_contemporain #travail_gratuit #précarité #travail_gratuit #projets #néolibéralisme #réussite #carrière #féminisme #travail_de_l_art #travail #institutions #stages #travail_étudiant