#travail_

  • #Chine : le drame ouïghour

    La politique que mène la Chine au Xinjiang à l’égard de la population ouïghoure peut être considérée comme un #génocide : plus d’un million de personnes internées arbitrairement, travail forcé, tortures, stérilisations forcées, « rééducation » culturelle des enfants comme des adultes…
    Quel est le veritable objectif du parti communiste chinois ?

     
    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/64324

    #Ouïghours #Xinjiang #camps_d'internement #torture #stérilisation_forcée #camps_de_concentration #persécution #crimes_contre_l'humanité #silence #matières_premières #assimilation #islam #islamophobie #internement #gaz #coton #charbon #route_de_la_soie #pétrole #Xi_Jinping #séparatisme #extrémisme #terrorisme #Kunming #peur #état_policier #répression #rééducation #Radio_Free_Asia #disparition #emprisonnement_de_masse #images_satellites #droits_humains #zone_de_non-droit #propagande #torture_psychique #lavage_de_cerveau #faim #Xinjiang_papers #surveillance #surveillance_de_masse #biométrie #vidéo-surveillance #politique_de_prévention #surveillance_d'Etat #identité #nationalisme #minorités #destruction #génocide_culturel #Ilham_Tohti #manuels_d'école #langue #patriotisme #contrôle_démographique #contrôle_de_la_natalité #politique_de_l'enfant_unique #travail_forcé #multinationales #déplacements_forcés #économie #colonisation #Turkestan_oriental #autonomie #Mao_Zedong #révolution_culturelle #assimilation_forcée #Chen_Quanguo #cour_pénale_internationale (#CPI) #sanctions

    #film #film_documentaire #documentaire

  • La dictature du temps abstrait : Sur la crise commune du travail et des loisirs, par Robert Kurz
    http://www.palim-psao.fr/2022/12/la-dictature-du-temps-abstrait-sur-la-crise-commune-du-travail-et-des-loi

    L’abstraction des activités concrètes au profit de l’abstraction de l’argent a également rendu abstrait le temps de ce nouveau « travail ». Cette dictature du temps abstrait, renforcée par la concurrence anonyme, a transformé les activités du « processus de métabolisme avec la nature » en espace fonctionnel abstrait, c’est-à-dire en capital séparé du reste de la vie. Ainsi, « travail » et habitat, « travail » et vie privée, « travail » et culture, etc. ont été dissociés. C’est ainsi qu’est née la séparation et le dualisme modernes entre « travail » et « loisirs ». Dans les sociétés pré-modernes, même avec des ressources rares, le but de la production n’était pas un but abstrait en soi, mais plutôt le plaisir et l’otium (loisir). Nous ne pouvons pas confondre cette notion antique et médiévale de l’otium avec le loisir moderne. L’otium n’était pas une fraction de la vie isolée du processus d’activité pour le profit, mais était présent même dans les pores et les niches de l’activité productive elle-même. En termes modernes, c’est pour cette raison que la journée de « travail » était non seulement plus courte, mais également moins dense.

    #travail #loisirs #capitalisme #temps #travail_abstrait #histoire #Robert_Kurz #critique_de_la_valeur #wertkritik

  • En Biélorussie, les sous-traitants d’Ikea profitent du système répressif de la dictature
    https://disclose.ngo/fr/article/bielorussie-sous-traitants-ikea-profitent-du-systeme-repressif-de-la-dicta

    Plusieurs entreprises biélorusses ayant travaillé pour Ikea ces dix dernières années ont recours au travail forcé dans des colonies pénales où sont détenus des prisonniers politiques, et dans lesquelles se pratiquent la torture et les privations. Lire l’article

  • Clean With Me (After Dark) - Gabrielle Stemmer - Tënk
    https://www.on-tenk.com/fr/documentaires/france-inter/clean-with-me-after-dark-france-inter

    Sur YouTube, des centaines de femmes se filment en train de faire le ménage chez elles. Un film documentaire exclusivement tourné sur un écran d’ordinateur, dont la trame narrative est constituée de vidéos d’archive disponibles sur Internet. Il interroge ces images, thématise l’envers du décor d’un étrange phénomène de mode, questionne la féminité et la dépression.

    Il fut un temps où l’ennui des journées pluvieuses s’effaçait d’un coup de télécommande et laissait place aux mondes merveilleux des téléshoppings matinaux et feuilletons d’après midi. Au 21e siècle le Keep Calm and Watch a laissé place aux Keep Calm and Clean et autres tutos en ligne. Pas le temps de se morfondre, internet nous propose du coaching en ligne pour prendre nos vies en main. Dans le film de Gabrielle Stemmer, il est question de poussières et de rangement. Sur son écran d’ordinateur, un patchwork de séquences vidéos découvertes sur YouTube, dans lesquelles de parfaites housewives délivrent leurs bons conseils pour une maison impeccable. La réalisatrice s’amuse dans un premier temps de sa fascination, et de la nôtre, pour cet épanouissement familial affiché. Par un virevoltant jeu de montage, le vernis craquelle pourtant, l’hyper dynamisme de ces jeunes américaines ne faisant que trahir une vertigineuse solitude que le tourbillon des likes ne vient pas assez combler.

    #documentaire #travail_domestique

  • #Taïwan, #Ouïghours : les dérives nationalistes de la #Chine de #Xi_Jinping

    Xi Jinping se prépare à un troisième mandat de cinq ans et à une démonstration de force au cours du 20e #congrès_du_Parti_communiste_chinois. Alors que son nationalisme exacerbé se traduit à la fois à l’intérieur des frontières, avec la répression des Ouïghours, et dans son environnement proche, en #Mer_de_Chine_du_sud, avec une pression accrue sur Taïwan, nous analysons les enjeux de ce congrès avec nos invité·es, Laurence Defranoux, journaliste et autrice des Ouïghours, histoire d’un peuple sacrifié, Noé Hirsch, spécialiste de la Chine, Maya Kandel, historienne spécialiste des États-Unis, et Inès Cavalli, chercheuse en études chinoises.

    https://www.youtube.com/watch?v=U4wiIwCaSY8


    #nationalisme #constitution #révision_constitutionnelle #pensée_Xi_Jinping #paternalisme #colonialisme #Xinjiang #colonialisme_Han #déplacements_de_population #exploitation_économique #limitation_des_libertés #enfermement #rééducation_politique #emprisonnement #répression #Nouvelles_Routes_de_la_soie #ressources #ressources_naturelles #Tibet #surveillance #surveillance_de_masse #terreur #camps_de_rééducation #folklore #assimilation #folklorisation #ethnonationalisme #supériorité_de_la_race #Han #culture #camps_de_concentration #réforme_par_le_travail #réforme_par_la_culture #travail_forcé #peuples_autochtones #usines #industrie #industrie_textile #programmes_de_lutte_contre_la_pauvreté #exploitation #paramilitaires #endoctrinement #économie #économie_chinoise #crimes_contre_l'humanité #torture

  • On veille, on pense à tout à rien
    On écrit des vers, de la prose
    On doit trafiquer quelque chos’
    En attendant le jour qui vient

    Presentazione del libro di Paolo Virno « Dell’impotenza. La vita nell’epoca della sua paralisi frenetica » (Bollati Boringhieri) (21.03.2022) - Radio Radicale
    https://www.radioradicale.it/scheda/663613/presentazione-del-libro-di-paolo-virno-dellimpotenza-la-vita-nellepoca

    De l’impuissance - La vie à l’époque de sa paralysie frénétique
    http://www.lyber-eclat.net/livres/de-limpuissance

    Les formes de vie contemporaines sont marquées par l’impuissance, hôte importun de nos journées infinies. Que ce soit en amour ou dans la lutte contre le travail précaire, l’amitié ou la politique, une paralysie frénétique saisit l’action ou le discours quand il s’agit de faire ou de dire ce qu’il conviendrait de dire et faire. Mais, paradoxalement, cette impuissance semble due non pas à un déficit de nos compétences, mais plutôt à un excès désordonné de puissance, à l’accumulation oppressante de capacités que la société contemporaine arbore comme autant de trophées de chasse accrochés aux murs de ses antichambres. Virno poursuit ici son étude systématique du langage contemporain où s’exprime toute la complexité de notre modernité et qui témoigne de cette inversion des sens qui attribue la puissance au renoncement, ou la détermination au fait de taire ce qu’il nous faudrait dire. Livre sur le langage, De l’impuissance indique de loin les formes possibles d’un antidote, d’une voie de salut, qui nous ferait « renoncer à renoncer », et « effacer l’effacement de notre propre dignité ».

    LA PUISSANCE SANS ACTE, Stefano Oliva
    https://lundi.am/La-puissance-sans-acte

    À parcourir l’œuvre singulière de Paolo Virno (...), on a l’impression qu’il a suivi deux chemins distincts, depuis ses premiers écrits des années 80, au sortir des années de préventive passées dans la cellule 11 du secteur des « politiques » de la prison de Rebibbia, sous le chef d’inculpation d’« association subversive » et « constitution de bande armée », jusqu’aux récents volumes, plus concentrés sur les questions du langage. Mais à s’y pencher de plus près, une fois qu’on l’a suivi sur l’un et l’autre chemin, il semble évident que, comme dit l’autre, « le chemin est un seul et le même ».

    De l’impuissance. La vie à l’époque de sa paralysie frénétique, traduit de l’italien par Jean-Christophe Weber, qui vient de paraître aux éditions de l’éclat, rend bien compte à la fois de ces deux chemins et du moment où ils se confondent. En témoigne peut-être, sous la forme d’une étonnante confession, cette phrase du troisième chapitre : « À partir de là, que la fête commence, en même temps que la question la plus difficile, à savoir un de ces casse-tête qui exaspèrent et fascinent ceux qui, après l’échec de la première et unique tentative de révolution communiste au sein du capitalisme pleinement développé, n’ont rien trouvé de mieux à faire pour tuer le temps. » Paru en italien sur le site fatamorganaweb.it, voici la traduction d’un compte rendu de Stefano Oliva, philosophe et guitariste, actuellement chercheur à l’Université romaine Guglielmo Marconi, sur ce livre important qui décrit cet état d’impuissance par « excès de puissance » et de renoncement généralisé dans lequel nous nous trouvons, et auquel Virno suggère de répondre par un « renoncement au renoncement », qui ouvrirait la voie à un mode d’action non frénétique.

    #Paolo_Virno #livre #travail_précaire #précariat #general_intellect #langage #capitalisme

  • Collectif des Livreurs Autonomes de Plateformes @_CLAP75
    https://twitter.com/_CLAP75/status/1565572729046110208

    Les livreurs Uber Eats ne veulent plus se laisser faire.
    L’annonce de cette mobilisation se répand comme une trainée de poudre via les réseaux.
    Des centaines de livreurs sont attendues.
    Du jamais vu en Europe.

    #livreurs #lutte_collective #travail #droits_sociaux #Uber_eats #Deliveroo #Stuart #Glovo #Frichti #droit_du_travail #présomption_de_salariat #auto_entrepreneurs #service_à_la_personne #commerce #restauration #ville #auto_organisation

    • Deliveroo, reconnu coupable de travail dissimulé, condamnée à verser 9,7 millions d’euros à l’Urssaf
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/02/la-plate-forme-deliveroo-reconnue-coupable-de-travail-dissimule-condamnee-a-

      L’entreprise britannique, coupable d’avoir dissimulé 2 286 emplois de livreurs en Ile-de-France entre avril 2015 et septembre 2016, a dit qu’elle ferait appel.

      « Cette décision est difficile à comprendre et va à l’encontre de l’ensemble des preuves qui établissent que les livreurs partenaires sont bien des prestataires indépendants, de plusieurs décisions préalablement rendues par les juridictions civiles françaises », a réagi Deliveroo. « L’enquête de l’Urssaf porte sur un modèle ancien qui n’a plus cours aujourd’hui », selon la plate-forme.
      « Aujourd’hui, les livreurs partenaires bénéficient d’un nouveau modèle basé sur un système de “connexion libre” qui permet aux livreurs partenaires de bénéficier d’encore plus de liberté et de flexibilité », indique Deliveroo, en rappelant sa participation prochaine au dialogue social organisé en France pour les travailleurs des plates-formes.

      #travail_dissimulé

  • Enclave agro-industriali e relazioni tra forza lavoro distrettuale – caso studio del saluzzese

    Introduzione

    Lo studio dei rapporti che intercorrono tra gli attori della filiera agroalimentare risulta particolarmente interessante per capire come si sono intrecciati nel tempo i processi di globalizzazione e i flussi migratori in agricoltura.

    Il punto di vista privilegiato di questo lavoro è l’enclave ovvero il distretto agricolo, un luogo che ha preso forma proprio per soddisfare le esigenze del mercato. Un “paesaggio operazionale” (Brenner e Katsikis 2020) che incarna la modernizzazione agricola globale, scollegato dal territorio che lo circonda ma connesso a realtà similari mono funzionali poste in altri punti del globo. Lì dove ha avuto luogo la globalizzazione delle campagne andremo ad indagare quali sono gli attori che attualmente ci lavorano e quali sono i loro interessi.

    Stiamo assistendo alla decontadinizzazione degli agricoltori italiani, le aziende diminuiscono anno dopo anno, le persone si spostano dalle campagne alle città e poco spesso ci si chiede chi resterà a produrre il nostro cibo. Non sempre ci si ricorda infatti che il cibo è l’esito di rapporti socio-ecologici complessi (Avallone 2017) nei quali sono fondamentali sia il lavoro umano che quello naturale. Terra e lavoro però non bastano più, la proprietà dei mezzi di produzione è strutturale all’agricoltura modernizzata, come strutturale è la necessità del lavoro di manodopera salariata nelle nuove “fabbriche” agricole.

    Intensificazione, artificializzazione, mercificazione, imprenditorialità, scalabilità, centralizzazione e specializzazione sono le parole chiave della supermarket revolution. Parole che non sembrano andare d’accordo coi ritmi e i modi della natura, andremo allora a scoprire che effetti danno queste contraddizioni sul territorio e sull’economia locale.

    Il caso studio è il Saluzzese, area in provincia di Cuneo (Piemonte) a forte vocazione produttiva, famosa per le sue eccellenze frutticole e per l’industria manifatturiera dei macchinari e dei mezzi di trasporto necessari alla filiera (CGIL Cuneo 2016). Questo distretto risulta essere un buon esempio di enclave agricola modernizzata in quanto zona rurale dove interagiscono attori globali della filiera e dinamiche sociali tradizionali di un’area marginale all’urbano.

    Nel primo capitolo verrà presentata ed approfondita una rassegna di contributi teorici utili all’analisi del tema indagato. Da un iniziale excursus storico che prende in considerazione le tappe fondamentali intercorse tra il primo regime alimentare e l’attuale, andremo ad approfondire quali sono le caratteristiche fondanti il sistema agroalimentare industriale. La sottomissione dell’azione statale all’efficienza del mercato ci porterà a focalizzarci infine su ciò che sono e rappresentano i distretti agricoli globali, spazi dove forza lavoro e produzione si incontrano e si scontrano.

    Da questo incontro, infatti, prende avvio il secondo capitolo, anch’esso di inquadramento teorico, ma riguardante nello specifico la forza lavoro. Si presenteranno allora le motivazioni che hanno portato alla considerazione del lavoro agricolo come lavoro di serie B. Le stesse che spiegano come la forza lavoro che si trova nel gradino più basso della filiera sia quella che deve in ultima istanza subire le esternalità negative dell’intera catena agroalimentare.

    Solo nel terzo capitolo prenderà avvio lo studio di ricerca che si concentra sulle specificità del distretto saluzzese. Storia agraria territoriale, evoluzione del modello produttivo, staffetta di attori che si sono dati il cambio nel tempo e infine caratteristiche esogene al distretto come la crisi climatica o la Politica Agricola Comune. Questi i temi che saranno trattati al fine di fornire un’idea concreta di quelli che sono i fattori che contribuiscono a dare forma al distretto per come lo conosciamo oggi e che aiutano nella comprensione in prospettiva di come questo potrà evolversi in futuro.

    Il quarto ed ultimo capitolo è il cuore della ricerca e infatti sarà qui che, prendendo in considerazione due attori alla volta, andremo a investigare come i rapporti globali di filiera si adattino al territorio piemontese. Attraverso un lavoro che prende in considerazione notizie di cronaca, interviste e ricerche portate avanti da altri studi similari, studieremo come la Grande Distribuzione Organizzata, pur non entrando a far parte della forza lavoro distrettuale, sia a capo delle scelte produttive degli agricoltori. Andremo poi allo stesso modo ad indagare come si relazionano gli imprenditori agricoli coi loro sottoposti, tema più che mai interessante data la massiccia presenza di migranti tra la manodopera agricola e la restrizione alla mobilità imposta dalla pandemia da Covid-19.

    Concluderemo infine con un accenno a ciò che riguarda i fenomeni illegali che avvengono all’interno del distretto. Data la mancanza di informazioni più approfondite affronteremo il tema partendo da due estratti di interviste che ben si prestano a dare un’idea della complessità che si cela dietro fatti a prima vista inspiegabili come mancate denunce o migrazioni bloccate in fasi di stallo per periodi prolungati.

    https://www.meltingpot.org/2022/05/enclave-agro-industriali-e-relazioni-tra-forza-lavoro-distrettuale-caso-

    #agriculture #alimentation #globalisation #migrations #enclave #distretto_agricolo #industrie_agro-alimentaire #mondialisation #Saluzzese #Piémont #Italie #enclave_agricole #modernisation #régime_alimentaire #travail_agricole #exode_rural #grande_distribution

  • Racisme dans le #travail_du_sexe

    Dans le domaine du travail du sexe, les #rapports_de_pouvoir présents dans la société actuelle et leurs manifestations racistes sont particulièrement visibles. Les #discriminations subies par les travailleur·euse·x·s du sexe racisé·e·x·s ne sont cependant pas seulement d’origine sociale, mais aussi juridique et structurelle.

    En Suisse, le travail du sexe n’est pas le seul domaine dans lequel s’exprime le #racisme_structurel et l’#héritage_colonial, mais c’est celui dans lequel ces phénomènes se donnent le plus à voir. Les travailleur·euse·x·s du sexe (TdS) racisé·e·x·s* sont souvent exposé·e·x·s quotidiennement à de multiples discriminations. Ces personnes sont fréquemment considérées soit comme dangereuses, immorales et mauvaises pour la société, soit comme des personnes dans le besoin, qui ont été contraintes au travail du sexe et ne savent pas ce qu’elles font. Une législation répressive en matière de migration et d’importants obstacles à l’exercice légal du travail du sexe exacerbent le racisme structurel persistant.

    Des #stéréotypes racistes particulièrement visibles

    En Suisse, le domaine du travail du sexe se caractérise souvent par des rapports de pouvoir inégaux entre la clientèle et les TdS. La position de la personne qui achète des services sexuels est définie par son pouvoir, son statut, ses ressources et son argent, alors que celle des TdS est à l’inverse souvent envisagée sous le prisme de l‘origine, de la couleur de peau, du type de permis de séjour ou encore de l’identité de genre. Selon Naomi Chinasa Bögli, du Centre d’assistance et d’intervention aux migrantes et victimes de la traite des femmes (FIZ) à Zurich, les TdS racisé·e·x·s se trouvent, dans de nombreux cas, au plus bas de la hiérarchie. Les images que projettent sur ces personnes la clientèle, les exploitant·e·x·s et la société dans son ensemble sont très fortement imprégnées de racisme. On le voit notamment dans la manière dont on présente les TdS racisé·e·x·s en utilisant des catégories qui répercutent des stéréotypes racistes moins connus et thématisés. Les images racistes sont toujours liées à leurs corps, reléguant ainsi leur personnalité et leur humanité à l’arrière-plan.

    Quelques féministes et figures politiques participent pourtant également à la stigmatisation et à la discrimination des TdS. L’interdiction du travail du sexe rémunéré est constamment réclamée pour les « protéger ». Dans cette logique, les TdS migrant·e·x·s sont, sans distinction aucune, considéré·e·x·s comme des victimes, incapables d’autonomie et d’autodétermination. Les débats reflètent la discrimination et la stigmatisation qui s’exercent tout particulièrement sur les TdS racisé·e·x·s non seulement pour leur travail mais également sur la base d’autres caractéristiques telles que leur couleur de peau, leur passé migratoire, leur féminité, leur identité de genre, leur profession ou leur rôle de mère. Pour un grand nombre de TdS racisé·e·x·s, cela a pour conséquence des microagressions quotidiennes, voire des agressions verbales et physiques.
    Un cadre juridique structurellement discriminant

    En Suisse, outre les formes quotidiennes de discriminations et de racismes, les TdS racisé·e·x·s sont aussi désavantagé·e·x·s de manière structurelle par le cadre juridique. Pour Naomi Chinasa Bögli, la mise en œuvre d’une politique migratoire restrictive l’illustre bien : les obstacles bureaucratiques et les conditions strictes pour exercer légalement le travail du sexe mènent à la précarité, à l’illégalité et à la dépendance, surtout pour les personnes extérieures à l’Union européenne, dont beaucoup sont racisées. Yasmine Soler**, une TdS racisée, affirme que ces lois spécifiques sont motivées par des intentions racistes : « Officiellement, on fait des lois pour les TdS. Mais en réalité, ces lois sont faites parce que beaucoup sont des migrant·e·x·s ». Un rapport de l’Alliance européenne pour les droits des TdS (ESWA) publié en avril 2022 analyse de manière approfondie l’impact du processus historique du racisme croissant sur les législations européennes contemporaines restreignant le travail du sexe, la traite d’êtres humains et l’immigration.

    Dans les débats sur le travail du sexe et le racisme, il est essentiel de comprendre, de qualifier et de lutter contre la vulnérabilité des TdS racisé·e·x·s dans les rapports de domination existants. Il faut néanmoins toujours garder à l’esprit que les TdS ont tou·te·x·s des individualités différentes, parlent en leur nom propre et peuvent et veulent mener la vie qu’elles ont librement choisie. Dans un cadre réglementé et dans des conditions équitables, le travail du sexe peut être source d’émancipation individuelle et être exercé de manière choisie et indépendante.

    –-

    Le terme « personne racisée » a une connotation positive, empreinte de la volonté politique des personnes exposé·e·x·s à des discriminations raciales de se définir. Il renvoie à l’ensemble des expériences communes aux personnes non blanches, découlant notamment de l’absence d’accès à un certain nombre de privilèges. Ce terme ne décrit ainsi pas (directement) la couleur de peau mais reflète une position sociopolitique et est porteur d’émancipation lorsqu’il est utilisé par les personnes concernées.

    * Ce nom est un pseudonyme. La véritable identité de cette personne est connue de ProCoRe.

    https://www.humanrights.ch/fr/nouvelles/racisme-travail-sexe

    #racisme #rapport #ProCoRe #prostitution

    ping @cede

  • « Tant qu’on sera dans un système capitaliste, il y aura du #patriarcat » – Entretien avec #Haude_Rivoal

    Haude Rivoal est l’autrice d’une enquête sociologique publiée en 2021 aux éditions La Dispute, La fabrique des masculinités au travail. Par un travail de terrain de plusieurs années au sein d’une entreprise de distribution de produits frais de 15 000 salariés, la sociologue cherche à comprendre comment se forgent les identités masculines au travail, dans un milieu professionnel qui se précarise (vite) et se féminise (lentement). Les travailleurs, majoritairement ouvriers, sont soumis comme dans tous les secteurs à l’intensification, à la rationalisation et à la flexibilisation du travail. Leur réponse aux injonctions du capitalisme et à la précarisation de leur statut, c’est entre autres un renforcement des pratiques viriles : solidarité accrue entre hommes, exclusion subtile (ou non) des femmes, déni de la souffrance… Pour s’adapter pleinement aux exigences du capitalisme et du patriarcat, il leur faut non seulement être de bons travailleurs, productifs, engagés et disciplinés, mais aussi des “hommes virils mais pas machos”. Pour éviter la mise à l’écart, adopter de nouveaux codes de masculinité est donc nécessaire – mais laborieux. Dans cette étude passionnante, Haude Rivoal met en lumière les mécanismes de la fabrique des masculinités au travail, au croisement des facteurs de genre, de classe et de race.

    Entretien par Eugénie P.

    Ton hypothèse de départ est originale, elle va à rebours des postulats féministes habituels : au lieu d’étudier ce qui freine les femmes au travail, tu préfères analyser comment les hommes gardent leur hégémonie au travail « malgré la déstabilisation des identités masculines au et par le travail ». Pourquoi as-tu choisi ce point de départ ?

    J’étais en contrat Cifre [contrat de thèse où le ou la doctorant.e est embauché.e par une entreprise qui bénéficie également de ses recherches, ndlr] dans l’entreprise où j’ai fait cette enquête. J’avais commencé à étudier les femmes, je voulais voir comment elles s’intégraient, trouvaient des stratégies pour s’adapter dans un univers masculin à 80%. Ce que je découvrais sur le terrain était assez similaire à toutes les enquêtes que j’avais pu lire : c’était les mêmes stratégies d’adaptation ou d’autocensure. J’ai été embauchée pour travailler sur l’égalité professionnelle, mais je n’arrivais pas à faire mon métier correctement, parce que je rencontrais beaucoup de résistances de la part de l’entreprise et de la part des hommes. Et comme je ne comprenais pas pourquoi on m’avait embauchée, je me suis dit que ça serait intéressant de poser la question des résistances des hommes, sachant que ce n’est pas beaucoup étudié par la littérature sociologique. J’ai changé un peu de sujet après le début de ma thèse, et c’est au moment où est sortie la traduction française des travaux de Raewyn Connell [Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, ndlr] : cet ouvrage m’a ouvert un espace intellectuel complètement fou ! Ça m’a beaucoup intéressée et je me suis engouffrée dans la question des masculinités.

    C’est donc la difficulté à faire ton travail qui a renversé ton point de vue, en fait ?

    Oui, la difficulté à faire le travail pour lequel j’ai été embauchée, qui consistait à mettre en place des politiques d’égalité professionnelle : je me rendais compte que non seulement je n’avais pas les moyens de les mettre en place, mais qu’en plus, tout le monde s’en foutait. Et je me suis rendue compte aussi que l’homme qui m’avait embauchée pour ce projet était lui-même extrêmement sexiste, et ne voyait pas l’existence des inégalités hommes-femmes, donc je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il m’avait embauchée. J’ai compris plus tard que les raisons de mon embauche était une défense de ses propres intérêts professionnels, j’y reviendrai. Ce n’est pas qu’il était aveugle face aux inégalités – il travaillait dans le transport routier depuis 40 ans, évidemment que les choses avaient changé -, mais j’avais beau lui expliquer que les discriminations étaient plus pernicieuses, il était persuadé qu’il ne restait plus grand-chose à faire sur l’égalité hommes-femmes.

    Comment se manifeste cette “déstabilisation des identités masculines au et par le travail”, cette supposée « crise de la virilité », que tu évoques au début de ton livre ?

    Je me suis rendue compte en interviewant les anciens et les nouveaux que rien qu’en l’espace d’une génération, il y avait beaucoup moins d’attachement à l’entreprise. Les jeunes générations avaient très vite compris que pour monter dans la hiérarchie, pour être mieux payé ou pour avoir plus de responsabilités, il ne suffisait pas juste d’être loyal à l’entreprise : il fallait la quitter et changer de boulot, tout simplement. Ce n’est pas du tout l’état d’esprit des anciens, dont beaucoup étaient des autodidactes qui avaient eu des carrières ascensionnelles. Il y avait énormément de turnover, et ça créait un sentiment d’instabilité permanent. Il n’y avait plus d’esprit de solidarité ; ils n’arrêtaient pas de dire “on est une grande famille” mais au final, l’esprit de famille ne parlait pas vraiment aux jeunes. Par ailleurs, dans les années 2010, une nouvelle activité a été introduite : la logistique. Il y a eu beaucoup d’enquêtes sur le sujet ! Beaucoup de médias ont parlé de l’activité logistique avec les préparateurs de commandes par exemple, une population majoritairement intérimaire, très précaire, qui ne reste pas longtemps… et du coup, beaucoup d’ouvriers qui avaient un espoir d’ascension sociale se sont retrouvés contrariés. Ce n’est pas exactement du déclassement, mais beaucoup se sont sentis coincés dans une précarité, et d’autant plus face à moi qui suis sociologue, ça faisait un peu violence parfois. Donc c’est à la fois le fait qu’il y ait beaucoup de turnover, et le fait qu’il n’y ait plus le même sentiment de famille et de protection que pouvait apporter l’entreprise, qui font qu’il y a une instabilité permanente pour ces hommes-là. Et comme on sait que l’identité des hommes se construit en grande partie par le travail, cette identité masculine était mise à mal : si elle ne se construit pas par le travail, par quoi elle se construit ?

    Ça interroge beaucoup le lien que tu évoques entre le capitalisme et le patriarcat : la précarisation et la flexibilisation du travail entraînent donc un renforcement des résistances des hommes ?

    Oui, carrément. Il y a beaucoup d’hommes, surtout dans les métiers ouvriers, qui tirent une certaine fierté du fait de faire un “métier d’hommes ». Et donc, face à la précarisation du travail, c’est un peu tout ce qu’il leur reste. Si on introduit des femmes dans ces métiers-là, qui peuvent faire le boulot dont ils étaient si fiers parce que précisément c’est un “métier d’hommes”, forcément ça crée des résistances très fortes. Quand l’identité des hommes est déstabilisée (soit par la précarisation du travail, soit par l’entrée des femmes), ça crée des résistances très fortes.

    Tu explores justement les différentes formes de résistance, qui mènent à des identités masculines diversifiées. L’injonction principale est difficile : il faut être un homme « masculin mais pas macho ». Ceux qui sont trop machos, un peu trop à l’ancienne, sont disqualifiés, et ceux qui sont pas assez masculins, pareil. C’est un équilibre très fin à tenir ! Quelles sont les incidences concrètes de ces disqualifications dans le travail, comment se retrouvent ces personnes-là dans le collectif ?

    Effectivement, il y a plein de manières d’être homme et il ne suffit pas d’être un homme pour être dominant, encore faut-il l’être “correctement”. Et ce “correctement” est presque impossible à atteindre, c’est vraiment un idéal assez difficile. Par exemple, on peut avoir des propos sexistes, mais quand c’est trop vulgaire, que ça va trop loin, là ça va être disqualifié, ça va être qualifié de “beauf”, et pire, ça va qualifier la personne de pas très sérieuse, de quelqu’un à qui on ne pourra pas trop faire confiance. L’incidence de cette disqualification, c’est que non seulement la personne sera un peu mise à l’écart, mais en plus, ce sera potentiellement quelqu’un à qui on ne donnera pas de responsabilités. Parce qu’un responsable doit être un meneur d’hommes, il faut qu’il soit une figure exemplaire, il doit pouvoir aller sur le terrain mais aussi avoir des qualités d’encadrement et des qualités intellectuelles. Donc un homme trop vulgaire, il va avoir une carrière qui ne va pas décoller, ou des promotions qui ne vont pas se faire.

    Quant à ceux qui ne sont “pas assez masculins », je n’en ai pas beaucoup rencontrés, ce qui est déjà une réponse en soi !

    Peut-on dire qu’il y a une “mise à l’écart” des travailleurs les moins qualifiés, qui n’ont pas intégré les nouveaux codes de la masculinité, au profit des cadres ?

    Non, c’est un phénomène que j’ai retrouvé aussi chez les cadres. Mais chez les cadres, le conflit est plutôt générationnel : il y avait les vieux autodidactes et les jeunes loups, et c’est la course à qui s’adapte le mieux aux transformations du monde du travail, qui vont extrêmement vite, en particulier dans la grande distribution. C’est une des raisons pour laquelle le directeur des RH m’a embauchée : il avait peur de ne pas être dans le coup ! L’égalité professionnelle était un sujet, non seulement parce qu’il y avait des obligations légales mais aussi parce que dans la société, ça commençait à bouger un peu à ce moment-là. Donc il s’est dit que c’est un sujet porteur et que potentiellement pour sa carrière à lui, ça pouvait être très bon. Ça explique qu’il y ait des cadres qui adhèrent à des projets d’entreprise avec lesquels ils ne sont pas forcément d’accord, mais juste parce qu’il y a un intérêt final un peu égoïste en termes d’évolution de carrière.

    On dit toujours que les jeunes générations sont plus ouvertes à l’égalité que les aînés, je pense que ce n’est pas tout à fait vrai ; les aînés ont à cœur de s’adapter, ils ont tellement peur d’être dépassés que parfois ils peuvent en faire plus que les jeunes. Et par ailleurs, les jeunes sont ouverts, par exemple sur l’équilibre vie pro et vie perso, mais il y a quand même des injonctions (qui, pour le coup, sont propres au travail) de présentéisme, de présentation de soi, d’un ethos viril à performer… qui font qu’ils sont dans des positions où ils n’ont pas d’autres choix que d’adopter certains comportements virilistes. Donc certes, ils sont plus pour l’égalité hommes-femmes, mais ils ne peuvent pas complètement l’incarner.

    L’une de tes hypothèses fortes, c’est que le patriarcat ingurgite et adapte à son avantage toutes les revendications sur la fin des discriminations pour se consolider. Est-ce qu’on peut progresser sur l’égalité professionnelle, et plus globalement les questions de genre, sans que le patriarcat s’en empare à son avantage ?

    Très clairement, tant qu’on sera dans un système capitaliste, on aura toujours du patriarcat, à mon sens. C’était une hypothèse, maintenant c’est une certitude ! J’ai fait une analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, pour dire que la domination masculine est pareille que le capitalisme, elle trouve toujours des moyens de se renouveler. En particulier, elle est tellement bien imbriquée dans le système capitaliste qui fonctionne avec les mêmes valeurs virilistes (on associe encore majoritairement la virilité aux hommes), que les hommes partent avec des avantages compétitifs par rapport aux femmes. Donc quand les femmes arrivent dans des positions de pouvoir, est-ce que c’est une bonne nouvelle qu’elles deviennent “des hommes comme les autres”, c’est-à-dire avec des pratiques de pouvoir et de domination ? Je ne suis pas sûre. C’est “l’égalité élitiste” : des femmes arrivent à des positions de dirigeantes, mais ça ne change rien en dessous, ça ne change pas le système sur lequel ça fonctionne, à savoir : un système de domination, de hiérarchies et de jeux de pouvoir.

    Donc selon toi, l’imbrication entre patriarcat et capitalisme est indissociable ?

    Absolument, pour une simple et bonne raison : le capitalisme fonctionne sur une partie du travail gratuit qui est assuré par les femmes à la maison. Sans ce travail gratuit, le système capitaliste ne tiendrait pas. [à ce sujet, voir par exemple les travaux de Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, ndlr]

    Ça pose la question des politiques d’égalité professionnelle en entreprise : sans remise en question du système capitaliste, elles sont destinées à être seulement du vernis marketing ? On ne peut pas faire de vrais progrès ?

    Je pense que non. D’ailleurs, beaucoup de gens m’ont dit que mon livre était déprimant pour ça. Je pense que les politiques d’égalité professionnelle ne marchent pas car elles ne font pas sens sur le terrain. Les gens ne voient pas l’intérêt, parce qu’ils fonctionnent essentiellement d’un point de vue rationnel et économique (donc le but est de faire du profit, que l’entreprise tourne et qu’éventuellement des emplois se créent, etc), et ils ne voient pas l’intérêt d’investir sur ce sujet, surtout dans les milieux masculins car il n’y a pas suffisamment de femmes pour investir sur le sujet. J’ai beau leur dire que justement, s’il n’y a pas de femmes c’est que ça veut dire quelque chose, ils ont toujours des contre-arguments très “logiques” : par exemple la force physique. Ils ne vont pas permettre aux femmes de trouver une place égale sur les postes qui requièrent de la force physique. Quand les femmes sont intégrées et qu’elles trouvent une place valorisante, ce qui est le cas dans certains endroits, c’est parce qu’elles sont valorisées pour leurs qualités dites “féminines”, d’écoute, d’empathie, mais elles n’atteindront jamais l’égalité car précisément, elles sont valorisées pour leur différence. Le problème n’est pas la différence, ce sont les inégalités qui en résultent. On peut se dire que c’est super que tout le monde soit différent, mais on vit dans un monde où il y a une hiérarchie de ces différences. Ces qualités (écoute, empathie) sont moins valorisées dans le monde du travail que le leadership, l’endurance…

    Ça ne nous rassure pas sur les politiques d’égalité professionnelle…

    Si les politiques d’égalité professionnelle marchaient vraiment, on ne parlerait peut-être plus de ce sujet ! Je pense que les entreprises n’ont pas intérêt à ce qu’elles marchent, parce que ça fonctionne bien comme ça pour elles. Ca peut prendre des formes très concrètes, par exemple les RH disaient clairement en amont des recrutements : ”on prend pas de femmes parce que physiquement elles ne tiennent pas”, “les environnement d’hommes sont plus dangereux pour elles”, “la nuit c’est pas un environnement propice au travail des femmes”… Tu as beau répondre que les femmes travaillent la nuit aussi, les infirmières par exemple… Il y a un tas d’arguments qui montrent la construction sociale qui s’est faite autour de certains métiers, de certaines qualités professionnelles attendues, qu’il faudrait déconstruire – même si c’est très difficile à déconstruire. Ça montre toute une rhétorique capitaliste, mais aussi sexiste, qui explique une mise à l’écart des femmes.

    On a l’impression d’une progression linéaire des femmes dans le monde du travail, que ça avance doucement mais lentement, mais je constate que certains secteurs et certains métiers se déféminisent. On observe des retours en arrière dans certains endroits, ce qui légitime encore plus le fait de faire des enquêtes. Ce n’est pas juste un retour de bâton des vieux mormons qui veulent interdire l’avortement, il y aussi des choses plus insidieuses, des résistances diverses et variées.

    En plus, l’intensification du travail est un risque à long terme pour les femmes. Par exemple, il y a plus de femmes qui font des burnout. Ce n’est pas parce qu’elles sont plus fragiles psychologiquement, contrairement à ce qu’on dit, mais c’est parce qu’elles assurent des doubles journées, donc elles sont plus sujettes au burnout. Les transformations du monde du travail sont donc un risque avéré pour l’emploi des femmes, ne serait-ce que parce que par exemple, les agences d’intérim trient en amont les candidats en fonction de la cadence. Il faut redoubler de vigilance là-dessus.

    Tu analyses les types de masculinité qui se façonnent en fonction des facteurs de classe et de race. On voit que ce ne sont pas les mêmes types d’identités masculines, certaines sont dévalorisées. Quelles en sont les grandes différences ?

    Je ne vais pas faire de généralités car ça dépend beaucoup des milieux. Ce que Raewyn Connell appelle la “masculinité hégémonique”, au sens culturel et non quantitatif (assez peu d’hommes l’incarnent), qui prendrait les traits d’un homme blanc, d’âge moyen, hétérosexuel, de classe moyenne supérieure. Par rapport à ce modèle, il y a des masculinités “non-hégémoniques”, “subalternes”, qui forment une hiérarchie entre elles. Malgré le fait que ces masculinités soient plurielles, il y a une solidarité au sein du groupe des hommes par rapport au groupe des femmes, et à l’intérieur du groupe des hommes, il y a une hiérarchie entre eux. Les masculinités qu’on appelle subalternes sont plutôt les masculinités racisées ou homosexuelles. Elles s’expriment sous le contrôle de la masculinité hégémonique. Elles sont appréciées pour certaines qualités qu’elles peuvent avoir : j’ai pu voir que les ouvriers racisés étaient appréciés pour leur endurance, mais qu’ils étaient aussi assez craints pour leur “indiscipline” supposée. En fait, les personnes “dévalorisées” par rapport à la masculinité hégémonique sont appréciées pour leurs différences, mais on va craindre des défauts qui reposent sur des stéréotypes qu’on leur prête. Par exemple, les personnes racisées pour leur supposée indiscipline, les personnes des classes populaires pour leur supposé mode de vie tourné vers l’excès, les femmes pour leurs supposés crêpages de chignon entre elles…. C’est à double tranchant. Les qualités pour lesquelles elles sont valorisées sont précisément ce qui rend l’égalité impossible. Ces qualités qu’on valorise chez elles renforcent les stéréotypes féminins.

    Tu montres que le rapport au corps est central dans le travail des hommes : il faut s’entretenir mais aussi s’engager physiquement dans le travail, quitte à prendre des risques. Il y a une stratégie de déni de la souffrance, de sous-déclaration du stress chez les travailleurs : pour diminuer la souffrance physique et psychologique au travail, il faut changer les conditions de travail mais aussi changer le rapport des hommes à leur corps ?

    Je pensais que oui, mais je suis un peu revenue sur cette idée. Effectivement, il y plein d’études qui montrent que les hommes prennent plus de risques. C’est par exemple ce que décrit Christophe Dejours [psychiatre français spécialisé dans la santé au travail, ndlr] sur le “collectif de défense virile”, qui consiste à se jeter à corps perdu dans le travail pour anesthésier la peur ou la souffrance. Ce n’est pas forcément ce que j’ai observé dans mes enquêtes : en tout cas auprès des ouvriers (qui, pour le coup, avaient engagé leur corps assez fortement dans le travail), non seulement parce qu’ils ont bien conscience que toute une vie de travail ne pourra pas supporter les prises de risque inconsidérées, mais aussi parce qu’aujourd’hui la souffrance est beaucoup plus médiatisée. Cette médiatisation agit comme si elle donnait une autorisation d’exprimer sa souffrance, et c’est souvent un moyen d’entrée pour les syndicats pour l’amélioration des conditions de travail et de la santé au travail. Donc il y a un rapport beaucoup moins manichéen que ce qu’on prête aux hommes sur la prise de risques et le rapport au corps.

    En termes d’émotions, là c’est moins évident : on parle de plus en plus de burnout, mais à la force physique s’est substituée une injonction à la force mentale, à prendre sur soi. Et si ça ne va pas, on va faire en sorte que les individus s’adaptent au monde du travail, mais on ne va jamais faire en sorte que le monde du travail s’adapte au corps et à l’esprit des individus. On va donner des sièges ergonomiques, des ergosquelettes, on va créer des formations gestes et postures, on va embaucher des psychologues pour que les gens tiennent au travail, sans s’interroger sur ce qui initialement a causé ces souffrances.

    D’ailleurs, ce qui est paradoxal, c’est que l’entreprise va mettre en place tous ces outils, mais qu’elle va presque encourager les prises de risque, parce qu’il y a des primes de productivité ! Plus on va vite (donc plus on prend des risques), plus on gagne d’argent. C’est d’ailleurs les intérimaires qui ont le plus d’accidents du travail, déjà parce qu’ils sont moins formés, mais aussi parce qu’ils ont envie de se faire un max d’argent car ils savent très bien qu’ils ne vont pas rester longtemps.

    Donc ce sont les valeurs du capitalisme et ses incidences économiques (les primes par exemple) qui forgent ce rapport masculin au travail ?

    Oui, mais aussi parce qu’il y a une émulation collective. La masculinité est une pratique collective. Il y a une volonté de prouver qu’on est capable par rapport à son voisin, qu’on va dépasser la souffrance même si on est fatigué, et qu’on peut compter sur lui, etc. J’ai pu observer ça à la fois chez les cadres dans ce qu’on appelle les “boys clubs”, et sur le terrain dans des pratiques de renforcement viril.

    Tu n’as pas observé de solidarité entre les femmes ?

    Assez peu, et c’est particulièrement vrai dans les milieux masculins : la sororité est une solidarité entre femmes qui est très difficile à obtenir. J’en ai fait l’expérience en tant que chercheuse mais aussi en tant que femme. Je me suis dit que j’allais trouver une solidarité de genre qui m’aiderait à aller sur le terrain, mais en fait pas du tout. C’est parce que les femmes ont elles-mêmes intériorisé tout un tas de stéréotypes féminins. C’est ce que Danièle Kergoat appelle “le syllogisme des femmes”, qui dit : “toutes les femmes sont jalouses. Moi je ne suis pas jalouse. Donc je ne suis pas une femme.” Il y a alors une impossibilité de création de la solidarité féminine, parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans ces stéréotypes dégradants de chieuses, de nunuches, de cuculs… Les femmes sont assez peu nombreuses et assez vites jugées, en particulier sur leurs tenues : les jugements de valeur sont assez sévères ! Par exemple si une femme arrive avec un haut un peu décolleté, les autres femmes vont être plutôt dures envers elle, beaucoup plus que les hommes d’ailleurs. Elles mettent tellement d’efforts à se créer une crédibilité professionnelle que tout à coup, si une femme arrive en décolleté, on ne va parler que de ça.

    Toi en tant que femme dans l’entreprise, tu dis que tu as souvent été renvoyée à ton genre. Il y a une forme de rappel à l’ordre.

    Oui, quand on est peu nombreuses dans un univers masculin, la féminité fait irruption ! Quels que soient tes attributs, que tu sois féminine ou pas tant que ça, tu vas avoir une pression, une injonction tacite à contrôler tous les paramètres de ta féminité. Ce ne sont pas les hommes qui doivent contrôler leurs désirs ou leurs remarques, mais c’est aux femmes de contrôler ce qu’elles provoquent chez les hommes, et la perturbation qu’elles vont provoquer dans cet univers masculin, parce qu’elles y font irruption.

    Toujours rappeler les femmes à l’ordre, c’est une obsession sociale. Les polémiques sur les tenues des filles à l’école, sur les tenues des femmes musulmanes en sont des exemples… Cette volonté de contrôle des corps féminins est-elle aussi forte que les avancées féministes récentes ?

    C’est difficile à mesurer mais ce n’est pas impossible. S’il y a des mouvements masculinistes aussi forts au Canada par exemple, c’est peut-être que le mouvement féministe y est hyper fort. Ce n’est pas impossible de se dire qu’à chaque fois qu’il y a eu une vague d’avancées féministes, quelques années plus tard, il y a forcément un retour de bâton. Avec ce qui s’est passé avec #metoo, on dirait que le retour de bâton a commencé avec le verdict du procès Johnny Depp – Amber Heard, puis il y a eu la la décision de la Cour Constitutionnelle contre l’avortement aux Etats-Unis… On n’est pas sorties de l’auberge, on est en train de voir se réveiller un mouvement de fond qui était peut-être un peu dormant, mais qui est bien présent. L’article sur les masculinistes qui vient de sortir dans Le Monde est flippant, c’est vraiment des jeunes. En plus, ils sont bien organisés, et ils ont une rhétorique convaincante quand tu ne t’y connais pas trop.

    Les milieux de travail très féminisés sont-ils aussi sujets à l’absence de sororité et à la solidarité masculine dont tu fais état dans ton enquête ?

    En général, les hommes qui accèdent à ces milieux ont un ”ascenseur de verre” (contrairement aux femmes qui ont le “plafond de verre”) : c’est un accès plus rapide et plus facile à des postes à responsabilité, des postes de direction. C’est le cas par exemple du milieu de l’édition : il y a énormément de femmes qui y travaillent mais les hommes sont aux manettes. Le lien avec capitalisme et virilité se retrouve partout – les hommes partent avec un avantage dans le monde du travail capitaliste, souvent du simple fait qu’ils sont des hommes et qu’on leur prête plus volontiers d’hypothétiques qualités de leader.

    Dans quelle mesure peut-on étendre tes conclusions à d’autres milieux de travail ou d’autres secteurs d’activité ? Est-ce que tes conclusions sont spécifiques à la population majoritairement ouvrière et masculine, et au travail en proie à l’intensification, étudiés dans ta thèse ?

    J’ai pensé mon travail pour que ce soit généralisable à plein d’entreprises. J’ai pensé cette enquête comme étant symptomatique, ou en tout cas assez représentative de plein de tendances du monde du travail : l’intensification, l’informatisation à outrance… Ces tendances se retrouvent dans de nombreux secteurs. Je dis dans l’intro : “depuis l’entrepôt, on comprend tout.” Comme partout, il y a de la rationalisation, de l’intensification, et de la production flexible. A partir de là, on peut réfléchir aux liens entre masculinités et capitalisme. Les problématiques de violence, de harcèlement sortent dans tous les milieux, aucun milieu social n’est épargné, précisément parce qu’elles ont des racines communes.

    Comment peut-on abolir le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme ?

    Je vois une piste de sortie, une perspective politique majeure qui est de miser sur la sororité. La sororité fonctionne différemment des boys clubs, c’est beaucoup plus horizontal et beaucoup moins hiérarchique. Il y a cette même notion d’entraide, mais elle est beaucoup plus inclusive. Ce sont des dominées qui se rassemblent et qui refusent d’être dominées parce qu’elles refusent de dominer. Il faut prendre exemple sur les hommes qui savent très bien se donner des coups de main quand il le faut, mais faisons-le à bon escient. C’est une solution hyper puissante.

    Ne pas dominer, quand on est dominante sur d’autres plans (quand on est blanche par exemple), ça revient à enrayer les différents systèmes de domination.

    Tout à fait. Les Pinçon-Charlot, on leur a beaucoup reproché d’avoir travaillé sur les dominants, et c’est le cas aussi pour les masculinités ! Il y a plusieurs types de critique : d’abord, il y a un soupçon de complaisance avec ses sujets d’étude, alors qu’il y a suffisamment de critique à l’égard de nos travaux pour éviter ce biais. Ensuite, on est souvent accusé.e.s de s’intéresser à des vestiges ou à des pratiques dépassés, parce que les groupes (hommes, ou bourgeois) sont en transformation ; en fait, les pratiques de domination se transforment, mais pas la domination ! Enfin, on peut nous reprocher de mettre en lumière des catégories “superflues”, alors qu’on devrait s’intéresser aux dominé.e.s… mais on a besoin de comprendre le fonctionnement des dominant.e.s pour déconstruire leur moyen de domination, et donner des armes à la sororité.

    https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-rivoal
    #capitalisme #identité_masculine #travail #féminisation #précarisation #intensification #rationalisation #flexibilisation #pratiques_viriles #masculinité #codes #codes_de_masculinité #genre #classe #race #intersectionnalité #hommes #égalité_professionnelle #sexisme #discriminations #crise_de_la_virilité #turnover #instabilité #solidarité #logistique #ouvriers #ascension_sociale #déclassement #métier_d’hommes #résistance #disqualification #beauf #responsabilités #vulgarité #égalité_professionnelle #carrière #présentéisme #genre #domination_masculine #pouvoir #égalité_élitiste #hiérarchies #travail_gratuit #travail_domestique #force_physique #écoute #empathie #différence #leadership #rhétorique #endurance #déféminisation #intensification_du_travail #burnout #burn-out #cadence #masculinité_hégémonique #masculinités_subalternes #stéréotypes #indiscipline #corps #souffrance #stress #souffrance_physique #souffrance_psychique #conditions_de_travail #risques #santé_au_travail #émotions #force_mentale #primes #boys_clubs #renforcement_viril #sororité #syllogisme_des_femmes #solidarité_féminine #jugements_de_valeur #crédibilité_professionnelle #féminité #violence #harcèlement #entraide

  • En Bretagne, des travailleurs logés en urgence dans des internats pour sauver la saison
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/31/en-bretagne-des-travailleurs-loges-en-urgence-dans-des-internats-pour-sauver

    Cet été, 50 000 saisonniers manquent à l’appel en Bretagne. En cause notamment, la difficulté pour des jeunes souvent venus d’ailleurs de se loger dans les stations balnéaires. Pour faciliter des recrutements de dernière minute, la région leur ouvre certains de ses établissements scolaires. Une expérimentation précaire mais salutaire.

    #logement #paywall

    • En Bretagne, des travailleurs logés en urgence dans des internats pour sauver la saison

      Il est arrivé ici la veille. Entre deux services au bar d’un hôtel-restaurant cossu de Saint-Briac-sur-mer (Ille-et-Vilaine), où il travaille, Jason Lerigoleur termine son emménagement, en ce mercredi matin de la mi-juillet. Dans cette chambre, dont les sanitaires collectifs sont situés sur le palier, le saisonnier de 21 ans a commencé par brancher sa console de jeux vidéo et son écran plat. Pas de connexion Wi-Fi disponible pour jouer en ligne. Déçu, le jeune homme a alors rangé sa manette pour trier ses affaires dans l’armoire qui trône face à trois sommiers relevés contre un mur de la pièce.

      Faute de logement disponible sur la côte bretonne, Jason Lerigoleur a réservé une chambre dans l’#internat du lycée hôtelier de Dinard. « Ce n’est pas le grand luxe, mais ça défie toute concurrence » , relativise le barman. Loyer mensuel : 300 euros. Il poursuit : « Ici, les saisonniers galèrent à se loger. On nous propose des studios à des prix exorbitants. Jusqu’à 900 euros la semaine. Nous ne sommes pas des touristes, mais des professionnels contribuant à l’activité économique locale. » Vingt autres travailleurs estivaux sont attendus dans cet internat appartenant à la région Bretagne. La collectivité a décidé d’ouvrir en urgence cet établissement ainsi que trois autres ailleurs dans la péninsule afin de loger des dizaines de travailleurs. Une expérimentation « de secours » imaginée alors que Pôle emploi annonce un manque de 50 000 saisonniers dans la région.

      Les syndicats hôteliers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine

      L’une des causes justifiant cette pénurie récurrente de main-d’œuvre est le manque de logements. « Certains travailleurs dorment dans leur voiture, alors que nous avons des locaux vides. Le bon sens veut qu’on les ouvre, insiste Loïg Chesnais-Girard, le président (divers gauche) de la région. Une telle opération permet aussi à la collectivité d’optimiser l’usage de ses bâtiments. » Nombre des 12 000 lits des internats gérés par la région pourraient, à l’avenir, densifier cette offre d’accueil.

      Sa mise en fonctionnement a démarré courant juillet à cause de « freins administratifs et juridiques » complexifiant le transfert de la gestion de ces bâtiments à d’autres collectivités, selon les édiles. A Dinard, la municipalité gère l’accueil des locataires, avec le soutien des représentants locaux de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Ces derniers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine, à réduire la durée des services ou à limiter le nombre de couverts.

      Assis sur son lit une place, Jason Lerigoleur confirme une évolution du marché de l’emploi désormais favorable aux saisonniers. Après une dernière expérience à Malte, le barman a décidé de revenir en Bretagne. Une fois sur place, il a choisi son employeur, et non l’inverse. Pour convaincre Jason, son patron s’est engagé à lui trouver un logement et à prendre en charge son loyer. « Désormais, les employeurs sont vigilants sur les conditions de travail, proposent des salaires intéressants, décomptent les heures supplémentaires… Ils savent qu’un saisonnier peut quitter son boulot le matin et en retrouver un autre dans la soirée , affirme le jeune homme. Depuis le Covid, beaucoup de professionnels de la restauration ont arrêté, dégoûtés par les horaires peu compatibles avec une vie de famille et par un rythme éreintant. »

      Des biens loués de préférence aux touristes

      Au deuxième étage de l’internat, Aminata Thimbo raconte une histoire semblable. Cette serveuse de 18 ans a été embauchée sans mal dans un restaurant à la carte soignée de la station balnéaire. Après trois années de formation à l’école hôtelière, elle voulait décrocher un « vrai » premier contrat pour « muscler » son CV. « Sans cette chambre, j’aurais dû refuser ce travail et rentrer passer l’été chez ma mère, à côté de Rennes. J’aurais sans doute accepté un emploi dans une brasserie » , explique la jeune femme. Première à avoir réservé une chambre de l’internat, elle a bénéficié de l’une des plus spacieuses, avec vue sur mer. En se contorsionnant à la fenêtre, on aperçoit effectivement la Manche user la digue plus bas.

      Aminata Thimbo montre un immeuble un peu plus loin : « J’ai été prise en alternance en sommellerie dans le restaurant où je travaille. J’emménagerai donc bientôt dans un studio de ce bâtiment-là. » Bientôt, cela signifie en septembre. Cet été, les propriétaires ont préféré louer leurs biens à des touristes. La côte bretonne souffre d’une explosion du phénomène Airbnb, qui tarit le marché immobilier.

      En 2019, Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), ville située face à Dinard, est devenue « la championne française de la location de courte durée », selon ses élus, qui citaient alors des relevés opérés sur les trois principales plates-formes, annonçant 639 nuitées réservées pour 100 habitants dans la cité corsaire, loin devant Bordeaux (239) ou Aix-en-Provence (199). La municipalité (LR) a depuis imposé des réglementations parmi les plus restrictives du pays pour contenir le phénomène. Des mesures qui inspirent les édiles bretons.

      L’accroissement du nombre de résidences secondaires anesthésie un peu plus le marché immobilier du littoral breton. Les maisons de vacances sont devenues majoritaires dans nombre de stations balnéaires comme Arzon (Morbihan, 77,2 %), Carnac (Morbihan, 71,2 %), Saint-Briac-sur-Mer (60 %)… La pénurie de logements pour les travailleurs estivaux est aussi amplifiée par la montée en gamme des campings du bord de mer, dans lesquels mobil-homes et chalets sont devenus la norme au détriment des traditionnels et économiques terrains nus, jadis prisés des saisonniers.

      Confrontées à une inexorable envolée du prix de l’immobilier, les côtes bretonnes logent de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs

      « Le vieillissement de notre population explique aussi la problématique observée autour de l’emploi saisonnier », affirme Arnaud Salmon, le maire (divers droite) de Dinard. Le quadragénaire évoque sa jeunesse dinardaise. A l’époque, les saisonniers habitaient la commune et ses alentours. Ils étaient lycéens ou étudiants et logeaient chez leurs parents le temps d’un contrat aux beaux jours. Confrontées à une inexorable envolée du prix de l’immobilier, les côtes bretonnes logent de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs. Les patrons recrutent alors un personnel extérieur dépourvu de solution de logement.

      Sollicité par les restaurateurs de son territoire, Arnaud Salmon a été l’un des premiers édiles bretons à encourager l’ouverture des internats du conseil régional. La ville de Dinard a même accepté d’assumer les 30 000 euros de reste à charge non couverts par les versements des loyers pour financer les consommations en eau et en électricité, mais aussi le gardiennage du site. Loïg Chesnais-Girard, le président de la région, précise : « Cette année, le dispositif a un coût pour nos collectivités, mais nous devons le pérenniser afin d’accueillir plus de saisonniers et ainsi équilibrer l’opération. Nous devons aussi mieux associer les entreprises. »

      Voilà une manière polie d’appeler à une contribution plus forte des patrons. Pas franchement du goût du président de l’UMIH de la Côte d’Emeraude, Oscar Legendre, qui plaide pour l’application aux stations balnéaires de la loi Montagne imposant à la force publique de gérer le mal-logement des saisonniers dans les communes touristiques. Le restaurateur ajoute : « Nous ne pouvons pas financer le logement de nos salariés, mais nous devons aider au développement de microsolutions. Il faut, par exemple, mieux travailler avec les campings ou inciter les propriétaires de logements Airbnb à louer leurs biens à nos salariés. »

      Répondre à l’explosion de la demande

      A Lamballe (Côtes-d’Armor), l’entreprise agroalimentaire Cooperl s’est engagée à financer tout surcoût de fonctionnement afin de permettre la mise à disposition de l’internat du lycée de la ville. Ce spécialiste de la transformation de porc employant 7 500 personnes fait face régulièrement à des problèmes de recrutement. C’est particulièrement le cas en juillet et août, lorsque les usines lancent l’embauche de personnel pour compenser les départs en vacances et répondre à l’explosion de la demande en viandes à griller.

      Une trentaine de saisonniers sont espérés dans le récent internat lamballais de 80 places. Parmi eux : Youssouf Saraliev. Ce jeune homme de 19 ans se charge du tour du propriétaire. Ici, la cuisine avec un frigo, une double plaque de cuisson électrique et un micro-ondes ; là, le foyer équipé d’un rétroprojecteur, d’un baby-foot, d’une table de ping-pong. Au milieu de ce couloir, sa chambre d’une vingtaine de mètres carrés. Youssouf Saraliev s’assoit sur le rebord de son lit et conclut la visite en rappelant les principaux points du règlement intérieur : interdiction d’inviter des amis, de fumer dans l’internat et de boire de l’alcool.

      « Je ne peux pas être exigeant, alors que j’ai enfin l’occasion de devenir autonome. Sans ce logement, j’aurais dû me débrouiller en sollicitant l’hospitalité de personnes issues de ma communauté » , explique-t-il. Installé en France depuis son adolescence, ce Tchétchène narre l’histoire de sa famille qui a traversé l’Europe jusqu’en Bretagne. Ici, il a obtenu deux CAP. Son rêve ? Intégrer l’armée française. En attendant que sa demande de naturalisation aboutisse, il est décidé à travailler. Peu importe s’il doit intégrer les abattoirs de la Cooperl, où les conditions de travail sont réputées éprouvantes. Il hausse les épaules. Là-bas, il a la « chance » de pratiquer quelques-unes des six langues qu’il maîtrise au contact des nombreux travailleurs étrangers œuvrant dans les usines.

      Chaque matin, Youssouf Saraliev et d’autres saisonniers de son équipe embauchent à 5 heures. Peu ont le permis de conduire. Alors, ils pédalent pour traverser la ville. Marouane Baudron, un des locataires de l’internat, a accepté ce travail pour financer son code et ses leçons d’auto-école. « Ce contrat m’offre un nouveau départ » , souffle le jeune homme de 21 ans, originaire de la campagne rennaise. Fumant une cigarette à l’ombre du bâtiment, il raconte son CAP de boulanger arrêté brutalement, ses « conneries » , ces semaines à dormir dans une voiture avant d’intégrer l’Etablissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide).

      L’une des responsables de ce dispositif à la rigueur toute militaire l’a encouragé à accepter cet emploi. « La vie n’est pas simple. Pour avoir un logement, il faut un boulot. Pour avoir un boulot, il faut le permis de conduire. Et pour le permis, de l’argent. Aujourd’hui, je reprends les choses dans l’ordre » , se satisfait-il. Amusé, il observe son voisin de chambre s’approcher en claquettes et en short. Il y a quelques jours encore, il ne connaissait pas Ewen Coulibaly, ce gaillard de 19 ans qui espère réussir le concours de gardien de la paix. Celui-ci reprend le fil de la discussion sur l’esprit « colo » qui règne à l’internat : « Quand j’aurai 30 ans, les conditions de travail et de logement de ce job saisonnier ne me satisferont sans doute plus. A mon âge, ça me convient. L’usine et l’internat ne sont que des transitions pour la plupart d’entre nous. »

      https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/31/en-bretagne-des-travailleurs-loges-en-urgence-dans-des-internats-pour-sauver
      #saisonniers #travail_saisonnier #tourisme #Bretagne

  • The plight of sub-Saharan domestic workers in Morocco: ’I was told I would not be paid for the first few months while I paid off my plane ticket’

    Female workers, most of them from Côte d’Ivoire and Senegal, find themselves in jobs that amount to modern slavery, without the official status necessary to defend themselves.

    When she arrived in Tangier in early 2021, a car arrived to pick her up at the train station. She was taken to a house without being told the address. Her passport was confiscated, her belongings were taken away and she was put to work. Housework, cooking, ironing, childcare... She was expected to do everything. She could not leave the house. She would have no days off, no vacations. She would start her days at 6am and could only go to bed when her bosses were asleep.

    After three months, Awa* fled. “I no longer had the strength,” said the 33-year-old woman from Côte d’Ivoire, who has been living in Casablanca ever since. Her migration dream has turned into a nightmare. A year and a half after she arrived in Morocco, she decided to go back home and approached the International Organization for Migration (IOM), which has an assisted voluntary return program.

    Awa’s story is tragic, but it is not unique. Many West African women, mostly Ivorian and Senegalese, go to Morocco to become domestic workers. Most come via human trafficking networks. Some arrive through more informal networks, family or friends, operating by word of mouth. Some also come on their own. Without the appropriate papers, they are often exploited and mistreated, without the ability to defend themselves. This type of “modern slavery” has been condemned by human rights associations in Morocco.

    While it is impossible to know how many workers in this position there are – since their work is mainly informal – everything seems to suggest that the market for foreign maids is robust. On social networks, multiple ads relayed by so-called “agencies” offer the services of African or Asian women, even though this “intermediary activity” is prohibited by Moroccan law.

    These “agencies” offer “catalogs” of available women. “Sub-Saharan women” are recommended for their “flexibility.” One such entry reads: “Because they are not at home, they are more committed, more docile. They are also reliable. And they speak good French.” They are also touted as “cheaper” than Moroccan and Asian women.
    No entry visa required

    For these women, everything starts with the lure of a good salary. In Côte d’Ivoire, Awa was a receptionist, earning 230 euros per month. She recalled: “One day I met someone who told me that he could put me in touch with a Moroccan woman and that this woman would pay my airfare, provide me with lodging and give me 450,000 CFA francs a month [686 euros] to do the housework.” This seemed like a godsend for Awa, who had many projects in mind, such as investing in an “ointment store” in Abidjan. The offer was all the more appealing because she did not need a visa to enter Morocco – both Ivorian and Senegalese nationals are exempt from this requirement.

    When she arrived, “it was the opposite.” She continued: “I was told that I would get 1,300 dirhams a month [123 euros] and that I would not be paid for the first few months while I paid off my plane ticket.” Her passport was taken away – a common practice, according to Mamadou Bhoye Diallo of the Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM, Collective of Sub-Saharan Communities in Morocco), to ensure the employee cannot escape, especially before the cost of the trip is recovered from her wages.

    “The person can work up to a year without pay to repay the employer or agency,” continued Mr. Diallo. “After a year, she can still receive nothing if the agency decides to pay the money directly to her family in the country.”

    With no papers or points of reference, they find themselves effectively “taken hostage” and “have no choice but to remain at the mercy of their employers,” added Patrick Kit Bogmis of the Association Lumière Sur l’Emigration au Maroc (ALECMA, Shining a Light on Emigration in Morocco). In 2016, ALECMA published a damning report on sub-Saharan domestic work, noting a long list of human rights violations.

    There is a spectrum of relationships between employees and employers, depending on the attitude of the latter: at one end of it, some workers are given some rights. At the other is a situation that is effectively slavery, where bosses behave as “masters” and employ “exploitative techniques, racism, violence and all kinds of abuse.”

    The first family 39-year-old Yasmine* worked for when she arrived in Casablanca, almost three years ago, made her sleep on the floor in the children’s room. Instead of proper meals, she was given leftovers. “Every two weeks, I was supposed to have a weekend off, but it never happened,” said this Ivorian woman, who was at the time willing to do anything to pay for her three daughters’ education back home.

    After relentless housework and looking after the three children, including a newborn, night and day, she ended up falling ill. “I slept very little. I had headaches, dizziness, pain in my arm. When I asked for some rest, the man yelled at me. He insulted me.”

    With her second family, things were even worse. “I was cleaning, cooking, cleaning the pool. I also had to play with the dog,” continued Yasmine. “The woman was always on my back – why are you sitting? You have to do this... When the children broke things, they said it was my fault. The husband never said a word to me.” Overnight, for no reason, they ordered her to leave. “They wouldn’t give me my stuff back. I had to leave everything there.”
    National preference

    There is a law regulating domestic work in Morocco, which came into force in 2018 after 10 years of debate and was hailed as a big step forward. It states that an employment contract providing access to social protection is required. Yet four years later, this law remains very rarely enforced.

    “Just over 5,000 female workers have been declared to date, out of a population we estimate at 1 million,” stressed Nadia Soubate, a member of the Confédération Démocratique du Travail (CDT, Democratic Confederation of Labor), who was involved in a study published in late 2021 on domestic employment in Morocco.

    Foreign domestic workers, who do not escape the rule of “national preference” in force in the country, are even less protected. “To recruit them, the employer must prove that they have skills that do not exist in the Moroccan labor market. This certificate is necessary to get a foreign employment contract,” explained Camille Denis of the Groupe Antiraciste d’Accompagnement et de Défense des Etrangers et Migrants (GADEM, Antiracist Group for the Support and Defense of Foreigners and Migrants). “This is an extremely cumbersome and costly process – 6,000 dirhams (573 euros) – which must be done within three months of entering the territory. Very few employers are committed to it.”

    Once these three months have passed, “[the women] find themselves in an undocumented situation and there is nothing more they can do,” explained Franck Iyanga, secretary general of the Organisation Démocratique des Travailleurs Immigrés au Maroc (ODTI, Democratic Organization of Immigrant Workers in Morocco) – the only union representing these foreign workers.

    He explains: “You need a foreign work contract to have a residence permit and vice versa. This is an inextricable situation. [Despite this] many people accept suffering this abuse to support themselves and their families. Those who have given up often find themselves working as street vendors.”

    In Casablanca, Yasmine was recruited a few months ago by employers who tried to declare her to make her status official. “But we have not found a solution,” she lamented. “Having no papers puts you at a dead end: you can’t take out a lease in your name, open a bank account, or file a complaint if something happens... You have no rights.”

    Today, Yasmine manages to send her daughters more than half of her salary each month. Once they are grown up, she will return to Abidjan and tell anyone who will listen not to go through what she experienced. “It’s too hard. You have to have a strong heart. This kind of life lacks humanity.”

    https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/07/28/the-plight-of-sub-saharan-domestic-workers-in-morocco-i-was-told-i-would-not

    #Maroc #asile #migrations #réfugiés #travail_domestique #femmes #exploitation #conditions_de_travail #travail #travailleurs_étrangers #travailleuses_étrangères #néo-esclavage #esclavage_moderne

    ping @isskein @_kg_

  • Vienne, capitale de l’urbanisme « sensible au genre » | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/250722/vienne-capitale-de-l-urbanisme-sensible-au-genre#at_medium=custom7&at_camp

    Vienne (Autriche).– Avec ses immeubles peu élevés et ses espaces communs sagement entretenus et arborés, l’ensemble de logements sociaux Frauen Werk Stadt (« Femme, travail, ville ») ressemble à de nombreux autres quartiers d’habitations de la capitale autrichienne. Mais sa construction, achevée en 1997, a représenté une petite révolution. Élaboré par quatre femmes architectes, ce complexe résidentiel a été l’un des premiers projets pilotes intégrant les principes de l’urbanisme dit « sensible au genre ».

    Ici, tout a été conçu pour faciliter les tâches du quotidien : courses, lessive, prise en charge des enfants. Un travail non rémunéré encore effectué en grande partie par les femmes. Ainsi, ont été installés au sein de l’ensemble un supermarché, une crèche, un cabinet médical, une pharmacie. De quoi limiter les déplacements souvent chronophages qu’implique le travail domestique.

    Une dimension également intégrée à l’intérieur des bâtiments : les machines à laver communes n’ont pas été reléguées dans une salle sombre à la cave, comme cela est souvent le cas à Vienne, mais sont situées dans les étages supérieurs qui donnent accès à un toit-terrasse offrant une vue sur tout l’ensemble. Chaque étage dispose d’un local commun de rangement. Les mères peuvent ainsi prendre l’ascenseur avec leur poussette et la laisser devant leur porte, sans avoir à porter enfants et sacs de courses dans les bras. Les cages d’escalier sont larges et éclairées par la lumière naturelle pour inciter les habitant·es à s’arrêter et à discuter, permettant ainsi de créer du lien entre voisin·es et de se rendre éventuellement des services.

    Ça ne remet pas en cause la répartition genrée des tâches domestiques mais c’est déjà ça

    Les parcs publics représentent l’un des exemples les plus aboutis de cette démarche : grâce à une étude sociologique, la municipalité se rend compte que les jeunes filles désertent ces lieux, passé l’âge de dix ans, car elles n’y trouvent plus leur place. En 1999, deux parcs sont alors choisis pour être réaménagés selon des critères de sensibilité au genre : des cages de football sont déplacées pour permettre une utilisation plus diversifiée de la pelouse, des buissons sont enlevés, et l’éclairage est renforcé pour améliorer la visibilité et accroître le sentiment de sécurité, des toilettes publiques sont installées, ainsi que des hamacs qui permettent de se rassembler et de discuter au calme.

    • Vienne, capitale de l’urbanisme « sensible au genre »

      Depuis 30 ans, la capitale autrichienne cherche à assurer un partage équitable de l’espace public entre hommes et femmes. #Aménagement des #parcs, #trottoirs, #éclairage : pionnière de cet urbanisme « sensible au genre », la ville est mondialement reconnue pour sa qualité de vie.

      Avec ses immeubles peu élevés et ses espaces communs sagement entretenus et arborés, l’ensemble de logements sociaux Frauen Werk Stadt (« Femme, travail, ville ») ressemble à de nombreux autres quartiers d’habitations de la capitale autrichienne. Mais sa construction, achevée en 1997, a représenté une petite révolution. Élaboré par quatre femmes architectes, ce complexe résidentiel a été l’un des premiers projets pilotes intégrant les principes de l’urbanisme dit « sensible au genre ».

      Ici, tout a été conçu pour faciliter les tâches du quotidien : courses, lessive, prise en charge des enfants. Un travail non rémunéré encore effectué en grande partie par les femmes. Ainsi, ont été installés au sein de l’ensemble un supermarché, une crèche, un cabinet médical, une pharmacie. De quoi limiter les déplacements souvent chronophages qu’implique le travail domestique.

      Une dimension également intégrée à l’intérieur des bâtiments : les machines à laver communes n’ont pas été reléguées dans une salle sombre à la cave, comme cela est souvent le cas à Vienne, mais sont situées dans les étages supérieurs qui donnent accès à un toit-terrasse offrant une vue sur tout l’ensemble. Chaque étage dispose d’un local commun de rangement. Les mères peuvent ainsi prendre l’ascenseur avec leur poussette et la laisser devant leur porte, sans avoir à porter enfants et sacs de courses dans les bras. Les cages d’escalier sont larges et éclairées par la lumière naturelle pour inciter les habitant·es à s’arrêter et à discuter, permettant ainsi de créer du lien entre voisin·es et de se rendre éventuellement des services.

      Un aspect particulièrement important pour Martina Kostelanik, qui a emménagé dès 1997 dans son appartement, un rez-de-chaussée avec jardin qu’elle compte bien ne jamais quitter : « Quand nous sommes arrivés ici, il n’y avait que des jeunes familles et nous avons maintenu des liens d’amitié, même avec ceux qui ont déménagé. Les enfants ont grandi ensemble et sont toujours en contact. »

      Aujourd’hui retraitée, elle a élevé ses trois enfants à Frauen Werk Stadt, tout en travaillant dans la cantine d’une école : « Ici, c’est très pratique. Il y a deux aires de jeux dans des cours intérieures et on peut laisser les enfants y aller seuls car on peut les surveiller depuis notre jardin. Les voitures ne peuvent pas passer, il n’y a donc aucun danger. Et puis il y a la crèche qui est directement dans l’ensemble, beaucoup d’espaces verts, des endroits pour faire du vélo avec les enfants. Il n’y a pas besoin d’aller ailleurs pour les occuper. C’est super ! »

      Désormais, ses enfants ont grandi et quitté le domicile familial. Comme les appartements sont modulables pour s’adapter aux différentes périodes de la vie, elle a pu facilement faire tomber une cloison qui séparait sa chambre de celle des enfants, afin d’avoir plus d’espace. Son logement ne comprend aucune marche sur laquelle elle pourrait trébucher, le médecin et la pharmacie ne sont qu’à quelques mètres. Dernier aspect important pour la retraitée : le #sentiment_de_sécurité. L’#éclairage a été étudié pour éviter tout recoin sombre, parfois source d’angoisse pour les femmes, et les larges fenêtres des pièces de vie donnent sur les espaces communs pour pouvoir toujours être à portée de regard.

      Après 25 ans à vivre ici « comme dans un village », Martina Kostelanik se dit très satisfaite. Pourtant, quand on lui fait remarquer que cet ensemble a été spécifiquement conçu pour prendre en compte les besoins des femmes, elle sourit et admet qu’elle l’ignorait. C’est tout le #paradoxe de cette approche pour Eva Kail, urbaniste à la mairie de Vienne : « Quand tout fonctionne bien au quotidien, alors ça devient invisible. » Cette experte est l’une des pionnières de l’urbanisme sensible au genre et n’a cessé de convaincre autour d’elle de l’importance de la démarche.

      Une politique initiée dans les années 1990

      En 1991, elle organise une exposition photo retraçant une journée dans la vie de huit femmes à Vienne, une mère célibataire, une étudiante en fauteuil roulant, une cadre… afin de montrer comment s’organise leur quotidien dans l’#espace_urbain. Pour la première fois, des données relatives aux différents #moyens_de_transport sont ventilées par sexe et le constat est sans appel : les automobilistes sont majoritairement des hommes, et les piétons, des femmes. Une réalité sur laquelle personne ne s’était alors penché : « À l’époque, on avait coutume de dire que les responsables de la #planification des #transports étaient des automobilistes blancs de la classe moyenne et ils ont eu une grande influence sur cette politique d’urbanisme », estime Eva Kail.

      La planification des transports était alors principalement centrée sur les trajets en voiture entre le domicile et le travail mais prenait peu en compte les nombreux itinéraires empruntés par les femmes dans leur quotidien. L’exposition permet ainsi de thématiser les problématiques des piéton·nes : largeur des trottoirs, éclairage urbain, temps laissé par les feux tricolores pour traverser. Avec 4 000 visiteurs et visiteuses, l’exposition est un succès et, quelques mois plus tard, la municipalité décide d’ouvrir le Frauenbüro, le « bureau des femmes », pour apporter plus d’attention aux besoins des habitantes. Eva Kail en prend la direction. Un numéro d’urgence joignable 24 heures sur 24 est mis en place, de nombreux projets pilotes, dont Frauen Werk Stadt, sont lancés.

      Les parcs publics représentent l’un des exemples les plus aboutis de cette démarche : grâce à une étude sociologique, la municipalité se rend compte que les jeunes filles désertent ces lieux, passé l’âge de dix ans, car elles n’y trouvent plus leur place. En 1999, deux parcs sont alors choisis pour être réaménagés selon des critères de sensibilité au genre : des cages de football sont déplacées pour permettre une utilisation plus diversifiée de la pelouse, des buissons sont enlevés, et l’éclairage est renforcé pour améliorer la visibilité et accroître le sentiment de sécurité, des toilettes publiques sont installées, ainsi que des hamacs qui permettent de se rassembler et de discuter au calme.

      Résultat : les jeunes filles commencent à utiliser une plus grande partie de ces parcs, même si la municipalité a dû faire face à des critiques qu’elle n’avait pas anticipées : « Il y avait un parc où on avait beaucoup amélioré la visibilité. Des jeunes filles sont venues se plaindre car leur mère pouvait désormais voir de la fenêtre ce qu’elles faisaient en bas et ça ne leur a pas du tout plu ! […] On n’y avait pas pensé ! On aurait dû leur laisser quelques recoins », s’amuse Eva Kail. À partir de ces expériences, des listes de recommandations ont été établies et s’appliquent désormais à l’ensemble des parcs de la capitale.

      #Seestadt, un immense quartier en construction

      Si l’urbanisme sensible au genre a, dans un premier temps, fait l’objet de nombreuses réticences et nécessité un important travail de pédagogie parmi les fonctionnaires de la municipalité, la démarche est aujourd’hui pleinement intégrée à la stratégie de développement de la ville, dirigée de longue date par les sociaux-démocrates. Pour s’en convaincre, direction Seestadt, en périphérie de Vienne. Sur 240 hectares, un nouveau quartier monumental est en train de sortir de terre. Autour d’un lac artificiel, plus de 4 300 logements ont déjà été construits. À terme, aux alentours de 2035, ce quartier devrait accueillir plus de 25 000 habitant·es, ainsi que 20 000 emplois : l’un des projets de développement urbain les plus importants d’Europe.

      Gunther Laher, responsable du suivi du projet pour la municipalité, nous guide dans les allées de cette ville nouvelle avec enthousiasme. Premier signe évident de l’importance accordée à la dimension de genre : les rues, places et parcs portent ici le nom de femmes célèbres. « Avant ce quartier, 6 % des rues de Vienne étaient nommées d’après une femme. On a porté ce chiffre à 14 % », se réjouit le fonctionnaire, pour qui cette décision va au-delà du symbole. « En voyant ces noms, les habitants commencent à s’intéresser à la biographie de ces femmes. Ça contribue à changer les perceptions. »

      Ici, de nombreuses rues sont piétonnes, le dénivelé entre la chaussée et le trottoir n’excède jamais trois centimètres pour faciliter les déplacements avec une poussette ou en fauteuil roulant. Même les commerces, installés le long de la rue Maria-Tusch, ont fait l’objet d’une planification : « Quand on construit un tel quartier, il y a peu d’habitants au début. Pour être sûr qu’ils aient à disposition ce dont ils ont besoin, on ne peut laisser faire le marché privé […]. On loue les boutiques en rez-de-chaussée et on s’assure que pendant dix ans, le local ne puisse être utilisé par un autre secteur d’activité. Le boulanger sera donc toujours un boulanger, le coiffeur toujours un coiffeur », explique Gunther Laher. Ainsi, la municipalité garantit que les habitant·es n’auront pas besoin de courir d’un bout à l’autre de la ville pour faire leurs courses.

      Toutes les politiques de la ville doivent prendre en compte le genre

      Depuis 2006, Vienne a également mis en place un budget sensible au genre (gender budgeting), pendant financier de sa politique d’urbanisme. Chaque département de la mairie doit ainsi s’assurer que ses dépenses contribuent à une amélioration de l’égalité entre les sexes. Si la rénovation d’une rue doit être financée, il faudra se demander quelle place est accordée à la chaussée, donc aux automobilistes, donc majoritairement aux hommes, et quelle place est accordée aux piéton·nes, en s’intéressant par exemple à la largeur des trottoirs.

      Michaela Schatz, responsable du département gender budgeting de la municipalité, se souvient d’une mise en place compliquée : « De nombreux services nous ont dit : “Nous travaillons déjà pour l’ensemble des Viennois.” Il a donc fallu leur montrer qui avait l’usage de telle ou telle prestation. »

      Quinze ans plus tard, la prise de conscience a eu lieu et la démarche, qui s’applique à l’ensemble du budget de la ville, soit 16 milliards d’euros, a permis d’importantes réalisations, selon Michaela Schatz : « Depuis 2009, les enfants de 0 à 6 ans peuvent aller gratuitement à la crèche. […] Une étude a ensuite montré que cette mesure avait eu un impact positif sur le PIB de Vienne. » Le taux d’emploi des mères âgées de 20 à 39 ans avec des enfants en bas âge a ainsi augmenté de 1,5 point sur la période 2007-2013.

      Reste que cette approche globale n’est pas exempte de critiques : à différencier ainsi les besoins, ne risque-t-on pas de renforcer les stéréotypes et d’enfermer les femmes dans un rôle de mère ou de victime ? « On ne peut pas avoir d’influence sur le partage des tâches entre les sexes à travers l’urbanisme. C’est une question de représentations sociales, de rapports de pouvoir au sein d’une relation. Mais on peut faire en sorte que ce travail domestique se fasse dans de bonnes conditions », répond Eva Kail.

      Autre défi : la croissance rapide de la population dans la capitale. Dans ce contexte, la tentation est grande d’aller vers plus d’économies et de faire des compromis sur la qualité des nouveaux logements, notamment sur leur conformité aux critères de sensibilité au genre. Mais cette année encore, Vienne a été élue ville la plus agréable à vivre au monde par l’hebdomadaire anglais The Economist. Parmi les critères déterminants : la qualité des infrastructures ou la diversité des loisirs, des domaines où les critères de sensibilité au genre sont depuis longtemps appliqués.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/250722/vienne-capitale-de-l-urbanisme-sensible-au-genre

      #villes #urban_matter #géographie_urbaine #TRUST #master_TRUST #Vienne #Autriche #espace_public #urbanisme_sensible_au_genre #Frauen_Werk_Stadt #travail_domestique #mobilité #mobilité_quotidienne #toponymie #toponymie_féministe #voitures #piétons #commerces #courses #budget_sensible_au_genre #gender_budgeting #égalité #inégalités #espace_public

  • Activision Blizzard workers walk out, protesting loss of abortion rights - The Washington Post
    https://www.washingtonpost.com/video-games/2022/07/21/activision-blizzard-roe-walkout

    Hundreds of Activision Blizzard employees are walking out Thursday in Texas, California, Minnesota and New York to protest the overturn of Roe v. Wade and demand protections. The current count, as of this writing, is 450 employees, in-person and online.

    The demands include a request for all workers to have the right to work remotely, and for workers living in “locations passing discriminatory legislation,” such as antiabortion laws, to be offered relocation assistance to a different state or country. Employees are also demanding the company sign a labor-neutrality agreement to respect the rights of workers to join a union; on Twitter, the workers’ group A Better ABK said the demand was necessitated by union-busting efforts on the part of Activision Blizzard.

    ABetterABK 💙 ABK Workers Alliance sur Twitter :
    https://twitter.com/ABetterABK/status/1544717283087757312

    In light of the recent attacks on the civil liberties of our employees, the employee-led Committee Against Sex and Gender Discrimination has scheduled a walk out action on July 21st, 2022 (1/17)

    Manifestation chez Activision-Blizzard-King pour l’accès à certains droits.

    #jeu_vidéo #jeux_vidéo #activision_blizzard #a_better_abk #ressources_humaines #roe_v_wade #syndicalisme #revendication #droit #avortement #manifestation #travail_à_distance #télétravail #lgbt #assurance_santé #fabby_garza #rich_george #égalité_des_sexes #équité_des_sexes #équité #qa #raven_software #assurance_qualité #kate_anderson #alejandra_beatty #verily #alphabet #google

  • Un livreur Deliveroo fait reconnaître en appel qu’il aurait dû être salarié | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/economie/130722/un-livreur-deliveroo-fait-reconnaitre-en-appel-qu-il-aurait-du-etre-salari

    Il avait été le premier à obtenir gain de cause aux prud’hommes face à Deliveroo, en février 2020. Il est désormais le premier à avoir fait condamner la plateforme de livraison de repas devant la cour d’appel de Paris. Le 6 juillet, la cour a condamné Deliveroo pour « travail dissimulé » face à un livreur ayant exercé avec son application entre septembre 2015 et avril 2016.

    #deliveroo #travail_dissimulé #harcèlement

    • Les juges ont estimé que ce travailleur censément indépendant a réussi à « caractériser la fictivité de son indépendance à l’égard de la société Deliveroo et l’existence d’une véritable relation de travail ». Il aurait donc dû être employé sous le statut de salarié, et bénéficier des avantages qui y sont attachés : congés payés, paiement des heures supplémentaires, protection sociale complète.

      L’entreprise, qui n’a pas encore indiqué si elle allait aller en cassation, devra lui verser environ 30 000 euros, au motif de la rupture de son contrat, assimilée par la justice à un licenciement illicite, du rappel des heures supplémentaires, du paiement de ses frais professionnels, de l’indemnité de six mois de salaire pour « travail dissimulé », mais aussi en réparation du harcèlement moral qu’il a subi.

      « C’est une décision très réaliste par rapport à nos conditions de travail à cette époque, réagit auprès de Mediapart le jeune homme, qui ne souhaite pas que son identité soit divulguée. Avant Deliveroo, j’étais déjà livreur salarié. Et je suis passé de ce statut de salarié à un état où j’étais soi-disant mon propre patron, mais où toutes les décisions étaient prises par l’entreprise, de façon unilatérale, sans aucune discussion. »

      Cet arrêt est une sérieuse épine dans le pied pour l’entreprise, qui a déjà été condamnée en avril au pénal à 375 000 euros d’amende, pour « le détournement planifié et généralisé » du statut d’indépendant sur la période 2015-2017 – le livreur victorieux était partie civile dans ce dossier.

      Deliveroo met en effet souvent en avant ses six victoires judiciaires face à d’anciens coursiers sur ce thème, dont deux arrêts de la cour d’appel de Paris. Laquelle vient donc de modifier sa vision de ce type de dossiers.

      « Quand Deliveroo gagne, c’est surtout qu’il y a un problème de manque de preuves, car les coursiers ne disposent souvent pas de tous les éléments pour appuyer leur témoignage », déclare Kevin Mention, l’avocat du travailleur. Il relève par exemple que la cour a contredit ses deux précédentes décisions, en convenant que la géolocalisation des coursiers permettait leur surveillance étroite.

      Les critères permettant d’établir l’existence d’une situation de salariat sont connus, et avaient fait l’objet de vifs débats lors du procès pénal. Pour la cour d’appel, ils étaient dans ce cas également tous réunis. Elle a retenu que Deliveroo avait donné au livreur « des directives sur sa façon de se vêtir, de procéder à la prise en charge des commandes et à leur livraison, ainsi que sur la gestion de son emploi du temps et sur le lieu d’exercice de la prestation ». L’entreprise a aussi « contrôlé l’application » de ces directives, et elle « elle exerçait un pouvoir de sanction ».

      L’entreprise ne partage pas cette analyse, et répète que « les livreurs partenaires de Deliveroo bénéficient de conditions qui sont celles des travailleurs indépendants » : « Ils sont libres de se connecter quand ils le souhaitent, d’où ils le souhaitent, d’accepter ou de refuser chaque prestation qui leur est proposée, de travailler avec d’autres plateformes s’ils le souhaitent, ne sont pas tenus de porter des vêtements siglés Deliveroo. »

      Un ton « agressif et menaçant »

      Le coursier victorieux se dit particulièrement satisfait d’avoir obtenu la condamnation de l’entreprise pour harcèlement moral. « C’est un bonus, dit-il. Je pensais que sans justificatif médical décrivant l’impact sur la santé, il était impossible d’obtenir ce type de condamnation. Mais les juges ont dû estimer que c’était très flagrant. Je ne suis pas celui qui a subi le pire, mais j’ai gardé des preuves, contrairement à d’autres. »

      Parmi ces preuves, plusieurs SMS et mails, individuels ou collectifs, décrivant les règles à observer pendant les livraisons et menaçant très régulièrement de pénalités financières ou de rupture de collaboration tous les récalcitrants. « Le ton agressif et menaçant employé par les personnes en charge de la coordination des coursiers », ainsi que « les pressions exercées » ont « excédé l’exercice d’un pouvoir normal de direction », a tranché le tribunal.

      « Des coursiers nous disent que des échanges de ce type sont assez fréquents, rapporte Kevin Mention. C’est une pression permanente, qui va beaucoup plus loin que les ordres classiques, et la précarité ne fait qu’accentuer les choses, avec la menace de mettre fin aux contrats. »

      Pour l’entreprise, la décision de justice « porte sur une relation ancienne, différente du modèle actuel » et n’entraîne donc pas de conséquence sur son modèle actuel. Le danger se rapproche pourtant. Fin juin, Deliveroo a été condamnée pour la première fois en première instance pour des faits intervenus après 2017, et donc sur une période qui n’avait pas été couverte par la condamnation au pénal.

      Et selon Kevin Mention, une seconde enquête pénale est en cours, pour la période courant depuis 2018. « Des coursiers ont déjà été auditionnés un peu partout en France », glisse l’avocat. Il annonce aussi avoir été mandaté « par une centaine de livreurs » pour préparer le dépôt d’une plainte sur la période 2018-2021.

      Enfin, le 1er septembre, le tribunal judiciaire de Paris devrait donner le montant auquel sera condamnée à payer Deliveroo à l’Urssaf, au titre de ses manquements dans le versement des cotisations sociales à l’État : puisque ses coursiers sont des salariés, l’entreprise doit payer les cotisations, et des pénalités. L’Urssaf lui réclame près de 10 millions.

  • #Bruxelles : Molenbeek va taxer les caisses automatiques des grandes surfaces

    Elle s’élèvera pour cette année à 5.600 euros par caisse automatique, précise la commune dans un communiqué. La mesure a été approuvée par le conseil communal de Molenbeek.

    Cette nouvelle taxe ne vise donc que les caisses des grandes surfaces où le processus de scan et de paiement des produits est intégralement assuré par le client.

    L’objectif est “de faire contribuer de façon proportionnée l’ensemble des acteurs économiques de la commune“ , justifie la bourgmestre Catherine Moureaux (PS). Ces dispositifs, poursuit-elle, ont des conséquences sur le travail lui-même, puisque c’est le client qui prend en charge des tâches autrefois effectuées par des employés. “De plus, il est indéniable que ces dispositifs mis en place exclusivement par de grandes surfaces ont un impact sur la cohésion sociale, dans des quartiers où il y a beaucoup de seniors, vu l’absence de contact entre les clients et les travailleurs.“ , estime encore la socialiste.

    La nouvelle taxe s’inscrit dans un contexte budgétaire difficile où la commune doit diversifier ses possibilités de ressources, ajoute l’échevin des Finances, Georges Van Leeckwyck (MR). Une taxe sur les tournages de films a également été introduite.

    Source : https://bx1.be/categories/news/molenbeek-va-taxer-les-caisses-automatiques-des-grandes-surfaces/?theme=classic

    #contributions_sociales #grandes_surfaces #caisses #caisses_automatiques #grande_distribution #travail #travail_dissimulé #consommation #hypermarchés #hypermarché #supermarché #commerce #supermarchés #alimentation #économie

    • Vivement que toutes les communes de l’union européenne imitent cette charmante commune Bruxelloise !

      Pour information, Molenbeek, la partie pauvre de la commune est la partie prés du centre de Bruxelles. Du côté opposé, ça sent le bon argent.

    • Mort de rire, la réaction : « Taxer les caisses automatiques comme va le faire Molenbeek est une attaque contre le commerce local »
      https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2022/07/14/pour-comeos-taxer-les-caisses-automatiques-comme-va-le-faire

      Taxer les caisses automatiques des supermarchés, comme va le faire la commune de Molenbeek-Saint-Jean, est une « attaque contre le commerce local », clame jeudi la fédération Comeos, qui représente les supermarchés, dans un communiqué.
      . . . . . . .
      Cette nouvelle taxe « nous catapulte directement au siècle passé », commente jeudi le CEO de Comeos Dominique Michel. « Quel signal le gouvernement local de Molenbeek donne-t-il avec cela ? Arrêtez d’innover et commencez à travailler comme au siècle dernier. »
      . . . . . . .
      La fédération ne comprend pas non plus que la taxe, si elle doit combattre l’érosion de la cohésion sociale, s’attaque au commerce local physique et non à l’e-commerce.

      Plus tôt jeudi, la fédération flamande Buurtsuper a estimé que la nouvelle taxe était « complètement hors de propos ».

  • A la frontière avec la Turquie, des migrants enrôlés de force par la police grecque pour refouler d’autres migrants

    Une enquête du « Monde » et de « Lighthouse Reports », « Der Spiegel », « ARD Report Munchen » et « The Guardian » montre que la police grecque utilise des migrants pour renvoyer les nouveaux arrivants en Turquie.

    Dans le village de #Neo_Cheimonio, situé à dix minutes du fleuve de l’Evros qui sépare la Grèce et la Turquie, les refoulements de réfugiés, une pratique contraire au droit international, sont un secret de Polichinelle. A l’heure de pointe, au café, les habitants, la cinquantaine bien passée, évoquent la reprise des flux migratoires. « Chaque jour, nous empêchons l’entrée illégale de 900 personnes », a affirmé, le 18 juin, le ministre grec de la protection civile, Takis Theodorikakos, expliquant l’augmentation de la pression migratoire exercée par Ankara.
    « Mais nous ne voyons pas les migrants. Ils sont enfermés, sauf ceux qui travaillent pour la police », lance un retraité. Son acolyte ajoute : « Eux vivent dans les conteneurs du commissariat et peuvent aller et venir. Tu les rencontres à la rivière, où ils travaillent, ou à la tombée de la nuit lorsqu’ils vont faire des courses. » Ces nouvelles « recrues » de la police grecque ont remplacé les fermiers et les pêcheurs qui barraient eux-mêmes la route, il y a quelques années, à ceux qu’ils nomment « les clandestins ».

    « Esclaves » de la police grecque

    D’après les ONG Human Rights Watch ou Josoor, cette tendance revient souvent depuis 2020 dans les témoignages des victimes de « pushbacks » [les refoulements illégaux de migrants]. A la suite des tensions à la frontière en mars 2020, lorsque Ankara avait menacé de laisser passer des milliers de migrants en Europe, les autorités grecques auraient intensifié le recours à cette pratique pour éviter que leurs troupes ne s’approchent trop dangereusement du territoire turc, confirment trois policiers postés à la frontière. Ce #travail_forcé des migrants « bénéficie d’un soutien politique. Aucun policier n’agirait seul », renchérit un gradé.

    Athènes a toujours démenti avoir recours aux refoulements illégaux de réfugiés. Contacté par Le Monde et ses partenaires, le ministère grec de la protection civile n’a pas donné suite à nos sollicitations.

    Au cours des derniers mois, Le Monde et ses partenaires de Lighthouse Reports – Der Spiegel, ARD Report Munchen et The Guardian avec l’aide d’une page Facebook « Consolidated Rescue Group » –, ont pu interviewer six migrants qui ont raconté avoir été les « esclaves » de la #police grecque, contraints d’effectuer des opérations de « pushbacks » secrètes et violentes. En échange, ces petites mains de la politique migratoire grecque se sont vu promettre un #permis_de_séjour d’un mois leur permettant d’organiser la poursuite de leur voyage vers le nord de l’Europe.

    Au fil des interviews se dessine un mode opératoire commun à ces renvois. Après leur arrestation à la frontière, les migrants sont incarcérés plusieurs heures ou plusieurs jours dans un des commissariats. Ils sont ensuite transportés dans des camions en direction du fleuve de l’Evros, où les « esclaves » les attendent en toute discrétion. « Les policiers m’ont dit de porter une cagoule pour ne pas être reconnu », avance Saber, soumis à ce travail forcé en 2020. Enfin, les exilés sont renvoyés vers la Turquie par groupe de dix dans des bateaux pneumatiques conduits par les « esclaves ».

    Racket, passage à tabac des migrants

    Le procédé n’est pas sans #violence : tous confirment les passages à tabac des migrants par la police grecque, le racket, la confiscation de leur téléphone portable, les fouilles corporelles, les mises à nu.
    Dans cette zone militarisée, à laquelle journalistes, humanitaires et avocats n’ont pas accès, nous avons pu identifier six points d’expulsion forcée au niveau de la rivière, grâce au partage des localisations par l’un des migrants travaillant aux côtés des forces de l’ordre grecques. Trois autres ont aussi fourni des photos prises à l’intérieur de #commissariats de police. Des clichés dont nous avons pu vérifier l’authenticité et la localisation.

    A Neo Cheimonio, les « esclaves » ont fini par faire partie du paysage. « Ils viennent la nuit, lorsqu’ils ont fini de renvoyer en Turquie les migrants. Certains restent plusieurs mois et deviennent chefs », rapporte un commerçant de la bourgade.

    L’un de ces leaders, un Syrien surnommé « Mike », a tissé des liens privilégiés avec les policiers et appris quelques rudiments de grec. « Son visage n’est pas facile à oublier. Il est passé faire des emplettes il y a environ cinq jours », note le négociant.
    Mike, mâchoire carrée, coupe militaire et casque de combattant spartiate tatoué sur le biceps droit, a été identifié par trois anciens « esclaves » comme leur supérieur direct. D’après nos informations, cet homme originaire de la région de Homs serait connu des services de police syriens pour des faits de trafic d’essence et d’être humains. Tout comme son frère, condamné en 2009 pour homicide volontaire.

    En contact avec un passeur basé à Istanbul, l’homme recruterait ses serviteurs, en leur faisant croire qu’il les aidera à rester en Grèce en échange d’environ 5 000 euros, selon le récit qu’en fait Farhad, un Syrien qui a vite déchanté en apprenant qu’il devrait expulser des compatriotes en Turquie. « L’accord était que nous resterions une semaine dans le poste de police pour ensuite continuer notre voyage jusqu’à Athènes. Quand on m’a annoncé que je devais effectuer les refoulements, j’ai précisé que je ne savais pas conduire le bateau. Mike m’a répondu que, si je n’acceptais pas, je perdrais tout mon argent et que je risquerais de disparaître à mon retour à Istanbul », glisse le jeune homme.
    Les anciens affidés de Mike se souviennent de sa violence. « Mike frappait les réfugiés et il nous disait de faire de même pour que les #commandos [unité d’élite de la police grecque] soient contents de nous », confie Hussam, un Syrien de 26 ans.

    De 70 à 100 refoulements par jour

    Saber, Hussam ou Farhad affirment avoir renvoyé entre 70 et 100 personnes par jour en Turquie et avoir été témoins d’accidents qui auraient pu mal tourner. Comme ce jour où un enfant est tombé dans le fleuve et a été réanimé de justesse côté turc… Au bout de quarante-cinq jours, Hussam a reçu un titre de séjour temporaire que nous avons retrouvé dans les fichiers de la police grecque. Théoriquement prévu pour rester en Grèce, ce document lui a permis de partir s’installer dans un autre pays européen.
    Sur l’une des photos que nous avons pu nous procurer, Mike prend la pose en treillis, devant un mobile-home, dont nous avons pu confirmer la présence dans l’enceinte du commissariat de Neo Cheimonio. Sur les réseaux sociaux, l’homme affiche un tout autre visage, bien loin de ses attitudes martiales. Tout sourire dans les bras de sa compagne, une Française, en compagnie de ses enfants ou goguenard au volant de sa voiture. C’est en France qu’il a élu domicile, sans éveiller les soupçons des autorités françaises sur ses activités en Grèce.

    Le Monde et ses partenaires ont repéré deux autres postes de police où cette pratique a été adoptée. A #Tychero, village d’environ 2 000 habitants, c’est dans le commissariat, une bâtisse qui ressemble à une étable, que Basel, Saber et Suleiman ont été soumis au même régime.
    C’est par désespoir, après neuf refoulements par les autorités grecques, que Basel avait accepté la proposition de « #collaboration » faite par un policier grec, « parce qu’il parlait bien anglais ». Apparaissant sur une photographie prise dans le poste de police de Tychero et partagée sur Facebook par un de ses collègues, cet officier est mentionné par deux migrants comme leur recruteur. Lors de notre passage dans ce commissariat, le 22 juin, il était présent.
    Basel soutient que les policiers l’encourageaient à se servir parmi les biens volés aux réfugiés. Le temps de sa mission, il était enfermé avec les autres « esclaves » dans une chambre cachée dans une partie du bâtiment qui ne communique pas avec les bureaux du commissariat, uniquement accessible par une porte arrière donnant sur la voie ferrée. Après quatre-vingts jours, Basel a obtenu son sésame, son document de séjour qu’il a gardé, malgré les mauvais souvenirs et les remords. « J’étais un réfugié fuyant la guerre et, tout d’un coup, je suis devenu un bourreau pour d’autres exilés, avoue-t-il. Mais j’étais obligé, j’étais devenu leur esclave. »

    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/28/a-la-frontiere-avec-la-turquie-des-migrants-enroles-de-force-par-la-police-g

    #Evros #Thrace #asile #migrations #réfugiés #Turquie #Grèce #push-backs #refoulements #esclavage #néo-esclavage #papier_blanc #détention_administrative #rétention #esclavage_moderne #enfermement

    • “We were slaves”

      The Greek police are using foreigners as “slaves” to forcibly return asylum seekers to Turkey

      People who cross the river Evros from Turkey to Greece to seek international protection are arrested by Greek police every day. They are often beaten, robbed and detained in police stations before illegally being sent back across the river.

      The asylum seekers are moved from the detention sites towards the river bank in police trucks where they are forced onto rubber boats by men wearing balaclavas, with Greek police looking on. Then these masked men transport them back to the other side.

      In recent years there have been numerous accounts from the victims, as well as reports by human rights organisations and the media, stating that the men driving these boats speak Arabic or Farsi, indicating they are not from Greece. A months-long joint investigation with The Guardian, Le Monde, Der Spiegel and ARD Report München has for the first time identified six of these men – who call themselves slaves– interviewed them and located the police stations where they were held. Some of the slaves, who are kept locked up between operations, were forcibly recruited themselves after crossing the border but others were lured there by smugglers working with a gangmaster who is hosted in a container located in the carpark of a Greek police station. In return for their “work” they received papers allowing them to stay in Greece for 25 days.

      The slaves said they worked alongside regular police units to strip, rob and assault refugees and migrants who crossed the Evros river into Greece — they then acted as boatmen to ferry them back to the Turkish side of the river against their will. Between operations the slaves are held in at least three different police stations in the heavily militarised Evros region.

      The six men we interviewed weren’t allowed to have their phones with them during the pushback operations. But some of them managed to take some pictures from inside the police station in Tychero and others took photos of the Syrian gangmaster working with the police. These visuals helped us to corroborate the stories the former slaves told us.

      Videos and photographs from police stations in the heavily militarised zone between Greece and Turkey are rare. One slave we interviewed provided us with selfies allegedly taken from inside the police station of Tychero, close to the river Evros, but difficult to match directly to the station because of the lack of other visuals. We collected all visual material of the station that was available via open sources, and from our team, and we used it to reconstruct the building in a 3D model which made it possible to place the slave’s selfies at the precise location in the building. The 3D-model also tells us that the place where the slaves were kept outside their “working” hours is separate from the prison cells where the Greek police detain asylum seekers before they force them back to Turkey.

      We also obtained photos of a Syrian man in military fatigues in front of a container. This man calls himself Mike. According to three of the six sources, they worked under Mike’s command and he in turn was working with the Greek police. We were able to find the location of the container that serves as home for Mike and the slaves. It is in the parking lot of the police station in Neo Cheimonio in the Evros region.

      We also obtained the papers that the sources received after three months of working with the Greek police and were able to verify their names in the Greek police system. All their testimonies were confirmed by local residents in the Evros region.
      STORYLINES

      Bassel was already half naked, bruised and beaten when he was confronted with an appalling choice. Either he would agree to work for his captors, the Greek police, or he would be charged with human smuggling and go to prison.

      Earlier that night Bassel, a Syrian man in his twenties, had crossed the Evros river from Turkey into Greece hoping to claim asylum. But his group was met in the forests by Greek police and detained. Then Bassel was pulled out of a cell in the small town of Tychero and threatened with smuggling charges for speaking English. His only way out, they told him, was to do the Greeks’ dirty work for them. He would be kept locked up during the day and released at night to push back his own compatriots and other desperate asylum seekers. In return he would be given a travel permit that would enable him to escape Greece for Western Europe. Read the full story in Der Spiegel

      Bassel’s story matched with three other testimonies from asylum seekers who were held in a police station in Neo Cheimonio. All had paid up to €5,000 euros to a middleman in Istanbul to cross from Turkey to Greece with the help of a smuggler, who said there would be a Syrian man waiting for them with Greek police.

      Farhad, in his thirties and from Syria along with two others held at the station, said they too were regularly threatened by a Syrian man whom they knew as “Mike”. “Mike” was working at the Neo Cheimonio station, where he was being used by police as a gangmaster to recruit and coordinate groups of asylum seekers to assist illegal pushbacks, write The Guardian and ARD Report Munchen.
      Residents of Greek villages near the border also report that it is “an open secret” in the region that fugitives carry out pushbacks on behalf of the police. Farmers and fishermen who are allowed to enter the restricted area on the Evros have repeatedly observed refugees doing their work. Migrants are not seen on this stretch of the Evros, a local resident told Le Monde, “Except for those who work for the police.”

      https://www.lighthousereports.nl/investigation/we-were-slaves

  • Le réseau électrique, un système technique qui ne peut être que capitaliste

    Le réseau électrique n’est pas une simple infrastructure technique mais la matérialisation d’une dynamique capitaliste par essence. Par la constitution d’un réseau interconnecté, l’électricité est devenue à la fois une énergie universelle et une marchandise. « Le Réseau interconnecté est une simulation de la concurrence parfaite, c’est-à-dire que les électriciens sont à la fois des planificateurs et des néo-libéraux absolus » 1. Son étude peut donc nous conduire à une compréhension du capitalisme attentive à sa traduction dans des dispositifs matériels, et voir dans quelle mesure ceux-ci maintiennent les humains dans le fétiche du travail, de la valeur, de la marchandise. Dans cette perspective, une première hypothèse serait que les systèmes techniques déployés par le capitalisme portent en eux-mêmes l’empreinte de sa logique, et ne sont pas des outils qu’une civilisation post-capitaliste pourrait récupérer pour son propre usage. Une deuxième hypothèse moins forte serait de comprendre comment tel ou tel système technique maintient ses utilisateurs dans une logique capitaliste, ou bien plus généralement fétichiste. Dans le cas du réseau électrique, on s’attardera sur les catégories propres à la fois à ce système technique et à la marchandise. Telle est notre problématique : trouver dans la matérialité des systèmes techniques le cœur logique qui commande à son extension indéfinie, et l’arrime à celle de marchandise et du travail abstrait. Un premier cas de système technique a été étudié dans ce cadre, l’informatique, en montrant que l’architecture à la fois logique et matérielle de l’ordinateur engageait à une extension indéfini de calculs2.

    Dans le cas des réseaux électriques modernes, voici quelques affirmations péremptoires qui découlent de cette problématique ainsi posée.

    Dans une société capitaliste, l’électricité est naturalisée comme une substance naturelle existant indépendamment du contexte historique spécifique qui en a fait une forme universelle d’énergie. Le concept d’énergie est appréhendé par la science comme un pur concept physique, indépendamment de rapports sociaux spécifiques où l’idée d’une énergie universelle, indépendant de tout usage particulier, s’est matérialisée dans des dispositifs concrets (transformateurs, câbles électriques, organes de coupure et de protection, formant ensemble le réseau électrique). Là où le travail abstrait producteur de marchandise est la forme générale d’activité, indépendante de son contenu particulier, l’électricité dans le réseau électrique est la forme générale de l’énergie indépendamment des appareils particuliers qu’elle alimente. Là où le temps abstrait quantifie le travail abstrait, la quantité d’énergie est la mesure quantitative de l’objectivation de l’usage de l’énergie universelle. Là où le travail concret n’est pas un travail singulier (incommensurable) mais la face concrète du travail capitaliste, les usages concrets de l’énergie universelle ne le sont qu’en étant intégrés au réseau électrique global. Comme dans le cas de l’ordinateur et du travail capitaliste, on distingue donc un double caractère, concret et abstrait, de l’électricité intégrée au réseau. Chaque usage particulier de cette énergie universelle est rapporté à tous les autres, sous l’angle d’une quantité d’énergie (exprimée en Wh, Watt par heure) et du fait que tous ces usages sont physiquement reliés entre eux par le réseau électrique.

    L’électricité est vue de manière fétichisée comme une substance d’énergie par essence universelle à acheminer du producteur au consommateur. C’est ce qu’elle est vraiment au sein de système technique, mais ce qu’elle n’est plus en dehors. C’est le réseau électrique qui actualise le caractère d’énergie universelle de l’électricité. Chaque usage particulier de l’électricité s’insère dans un circuit électrique particulier reliant les éléments concourrant à cet usage. Mais c’est le réseau électrique interconnecté, auquel sont reliés ces circuits et ces appareils, qui en fait une énergie universelle. L’électricité n’est donc pas une simple marchandise, comme la force de travail n’est pas une simple marchandise. Son usage généralisé, son déploiement comme énergie universelle par le réseau électrique, la croissance du réseau et des quantités d’électricité, engendre une totalité qui contraint les usages particuliers de l’énergie à user d’énergie universelle, et donc à se brancher sur le réseau électrique. Se débrancher du réseau électrique tout en souhaitant utiliser l’électricité sous forme d’une énergie universelle, c’est reconstruire le réseau électrique global, en miniature, c’est donc se coltiner localement toute la complexité technique aujourd’hui éclatée en de multiples acteurs et institutions3.

    Au début de son invention, l’électricité est d’abord une technique d’éclairage et popularisée comme telle. D’autres usages séparés se développent aussi, comme les moteurs, fonctionnant à partir d’une électricité produite sur les lieux même de sa consommation. Mais sous le capitalisme, l’électricité va assez rapidement devenir une énergie universelle au sein d’un réseau interconnecté qui se déploie au fur et à mesure de la croissance capitaliste. Ce contexte historique spécifique va sélectionner un type d’électricité particulier, le courant alternatif, pour des motifs qui tiennent au déploiement de ce réseau, et non en vertu d’une supériorité technique intrinsèque. La bifurcation de trajectoire de ce système technique n’est donc pas non plus une simple contingence. La difficulté de revenir en arrière, à un moment où il semblait que le choix entre plusieurs options était possible, doit aussi bien à la totalité que constitue le réseau, qu’à la totalité que constitue l’économie au moment de cette bifurcation à sens unique. Les options techniques une fois devenues dominantes sont à la fois optimales et indigentes, elles verrouillent matériellement ce qui devient une mécanique sociale, au service du déploiement indéfini de sa logique propre4. Les désavantages de ce système technique deviennent alors évidents à un nombre grandissant de personnes, sans qu’elles parviennent le plus souvent à renoncer à ce qui est à la fois un bienfait5 et le moteur de l’extension de ce système, et qui tient dans les deux cas dans le caractère universel et abstrait de son cœur logique. Le développement logique du fétiche de l’énergie universelle est homologue à celui de la machine de Turing universelle (c’est-à-dire l’ordinateur), indéfiniment programmable, et à celui de la force de travail marchandisée, indéfiniment exploitable. Les trois fétiches s’alimentent les uns aux autres chacun selon sa matérialité propre.

    Les gains de productivité consistant à diminuer la part de travail humain immédiat dans la production de marchandises conduisent à remplacer ce travail par celui de machines, dont le fonctionnement repose sur l’usage d’énergie. Le franchissement par le capitalisme des obstacles qui entravent son extension suscite la grande taille de macro-systèmes techniques (MST). Leur croissance continue, crise après crise, induit une « délocalisation de la puissance »6 qui favorise la conception d’une énergie universelle, apte à satisfaire une variété qualitative et quantitative croissantes d’usages. Le premier élément de ces MST est bien entendu la centrale électrique, et typiquement la centrale nucléaire, centrale qui suscite elle-même l’extension du réseau électrique afin d’absorber l’augmentation de l’énergie produite. Le réseau électrique matérialise donc le concept d’énergie universelle, qui elle-même conduit à sélectionner les éléments matériels du réseau les plus aptes à provoquer son extension indéfinie. La question de l’énergie nucléaire, du fait des quantités inédites d’énergie universelles introduites sur le réseau, ne peut être posée sans questionner le réseau électrique lui-même, et donc l’énergie universelle. C’est l’idée même de renoncer aux centrales électriques nucléaires sans renoncer au réseau électrique, du moins dans sa configuration actuelle (c’est-à-dire totalement interconnecté jusqu’au niveau continental), qui paralyse les luttes contre cette forme de production puisque ce refus appelle au remplacement d’un élément par un autre de même type. Il induit ainsi la recherche d’une source d’énergie de substitution, pour répondre aux problèmes posés par le réseau électrique, actualisant ainsi le fétiche d’une énergie universelle dont les humains auraient à se soumettre.

    L’électricité comme mise en relation généralisée

    Lorsque l’on consulte des documents publics sensés vulgariser la gestion du réseau électrique, l’électricité est toujours présentée comme une substance, qui se déplace dans des fils et des composants électriques. Ainsi on parle de « chemins de l’électricité », de « flux », d’« embouteillages » etc. L’électricité serait donc une substance qu’il faut transporter sur de « longues distances » et « distribuer » aux consommateurs. Cette métaphore substantialiste est cependant inexacte. Etant alternatif, le courant électrique se constitue plutôt comme une mise en relation généralisée et universelle des éléments matériels qui constituent le réseau électrique, à une fréquence d’oscillation donnée (50 Hz en France, soit 50 oscillations par seconde), qui est la même en tout point du réseau. Les centres de « dispatching » se servent de cette fréquence pour vérifier l’équilibre du réseau (cf. Figure 1 et Figure 2), une baisse de la fréquence signalant une consommation d’énergie trop importante par rapport à ce qu’est capable de fournir le réseau.

    Si le courant électrique s’écarte de la fréquence et de la tension prévus, cela endommage ou réduit la durée de vie tous les appareils électriques branchés sur le réseau, car leur fonctionnement présuppose que ces niveaux prévus soient respectés7.

    14 mai 2013.

    (1) Jacques Lacoste, « Interconnexion des réseaux d’énergie électrique. Raisons et enjeux de l’interconnexion en France 1919-1941 », Cahier / Groupe Réseaux n°4, 1986. pp. 105-141.
    (2) "Les dynamiques du déferlement informatique. De la machine de Turing à la production marchande" in Le monde en pièces. Pour une critique de la gestion, Groupe Oblomoff, Paris, La Lenteur, 2012.
    « Au plus près de la machine » in Le monde en pièces tome II, Paris, La Lenteur, à paraître.
    (3) On répond ici de façon raccourcie à la question qui est à l’origine de ce texte : que faire du réseau électrique de distribution (la partie la plus « locale » du réseau électrique) dans la perspective d’une autogestion relocalisée du réseau électrique ? Justifier cette réponse demanderait une étude plus complète, pas simplement technique, mais aussi sur le genre de collectif ou d’institutions qui pourrait concrètement porter un telle projet.
    (4) Les gestionnaires du réseau électrique affirment ainsi tout le temps que l’électricité ne se stocke pas, naturalisant ainsi la bifurcation de ce système technique vers la gestion et l’actualisation de l’électricité comme énergie universelle. Et justifiant ainsi la nécessité impérieuse de leur propre activité… A l’origine du réseau électrique, le principe d’une énergie électrique stockable, donc produite et consommée localement, n’était en effet pas compatible avec le développement sous le capitalisme des usages de l’électricité. Cela pourrait éventuellement évoluer, à la marge, et sans pour autant remettre en cause la catégorie d’énergie universelle. Compris dans un sens purement technique, le réseau électrique permet de « mutualiser » la production et la consommation d’énergie, en diminuant les décalages entre production et consommation, donc de s’éviter tout ou partie du stockage de l’énergie. Cependant le réseau électrique, en matérialisant une énergie universelle, engage son usage dans une extension indéfinie. Pour ne pas conduire à un blackout global, toute énergie consommée en un point du réseau doit être produite ailleurs.
    (5) A titre d’exemples, la coopérative française Enercoop et les scénarios de sortie du nucléaire de l’association Sortir du nucléaire se basent sur la catégorie d’énergie universelle, même si il est vrai qu’en remettant en cause le chauffage électrique, on pourrait faire un pas de plus vers une critique de cette catégorie.
    (6) Alain Gras, Grandeur et dépendance. Sociologie des macro-systèmes techniques, 1993, PUF.
    (7) La notion d’équilibre entre consommation et production n’a pas de sens hors de l’existence de telles normes de fonctionnement des appareils électriques. En effet, sur un plan strictement physique, production et consommation s’équilibrent de toute façon. La nature de la norme est que c’est l’appareil le plus contraignant qui impose tel seuil. Dans la perspective d’une déconnexion ou d’une relation plus lâche au réseau, il faudrait donc préciser ce qui, par delà les normes, relève effectivement d’un risque pour tel ou tel type d’appareil.

    #réseau_électrique #critique_du_capitalisme #postone

  • Le Québec met les enfants au travail pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/06/09/le-quebec-met-les-enfants-au-travail-pour-faire-face-a-la-penurie-de-main-d-

    Alors qu’il n’existe pas d’âge minimum requis, dans la province canadienne, pour commencer à travailler, le taux d’emploi des mineurs y dépasse les 50 %. Beaucoup d’adolescents occupent des petits boulots dans les services que les employeurs peinent à pourvoir.

    Moi qui pensais que les robots allaient tous nous remplacer...

    • A l’âge où certains jouent encore aux Lego, Adrien empile consciencieusement les boîtes de conserve au bout de son rayon. Tous les soirs, le jeune garçon sort de l’école en courant pour venir travailler dans cette grande surface du nord de l’île de Montréal. Deux heures de travail quotidien après la classe : un emploi du temps chargé pour ce garçonnet de 12 ans. Aux caisses de ce même supermarché, de très jeunes adolescents, comme lui, aident les clients à remplir leurs sacs. Combien d’heures par semaine pour chacun, pour quel salaire ? Le gérant refuse de répondre.

      Ces mineurs sont pourtant employés, a priori, en toute légalité. Au Québec, il n’y a pas d’âge minimum requis pour commencer à travailler. La loi sur les normes du travail se contente d’énumérer quelques restrictions : l’employeur doit s’assurer d’ obtenir l’autorisation écrite des parents pour les mineurs de moins de 14 ans. Jusqu’à16 ans, il est interdit de les faire travailler pendant les heures de classe, et les horaires de nuit sont proscrits.

      En 2016 , une enquête menée par l’Institut de la statistique du Québec soulignait qu’ un écolier sur trois avait un emploi rémunéré pendant l’année scolaire. Une situation déjà particulière, qui faisait du Québec, et plus généralement du Canada, des figures d’exception au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques en matière de travail des enfants.

      « Autonomisation des enfants »

      « Dès la fin des années 1990, la déréglementation des horaires d’ouverture des commerces de détail en soirée et le week-end a fait exploser les besoins en main-d’œuvre à temps partiel, explique Elise Ledoux, professeure en ergonomie, spécialiste des questions du travail à l’université du Québec à Montréal. Les écoliers, libérés de leurs cours dès le début de l’après-midi en vertu de l’aménagement du temps scolaire au Québec, étaient une main-d’œuvre idéale pour quelques heures par jour. »

      Aujourd’hui, le phénomène atteint une ampleur inégalée. D’après une étude de Statistique Canada, le taux d’emploi des mineurs au Québec dépasse les 51 %. La situation économique actuelle de la province – un taux de chômage de seulement 3,9 % et une pénurie de travailleurs aggravée par la pandémie de Covid-19, avec quelque 240 000 postes à pouvoir – accroît la pression sur les employeurs. Corollaire : la main-d’œuvre immigrée et les mineurs sont particulièrement courtisés. Sur les autoroutes du pays, les géants de la restauration rapide comme Tim Hortons ou McDonald’s déploient une communication offensive grâce à d’immenses panneaux publicitaires promettant aux parents qu’un emploi chez eux « favorisera la carrière de [leur] enfant ».

      « Dans notre culture très nord-américaine, l’autonomisation des enfants par le biais du travail a toujours été encouragée par les parents, quel que soit d’ailleurs leur niveau de revenus. Parallèlement, leur progéniture était ravie de s’insérer ainsi dans la société de consommation », observe Charles Fleury, sociologue à l’université Laval à Québec.

      Longtemps les petits Québécois se sont contentés de se faire un peu d’argent de poche en distribuant le journal, en faisant du baby-sitting ou en donnant un coup de main pour ramasser les fruits dans l’exploitation agricole familiale. « Mais ce qui change radicalement la donne, poursuit le sociologue, c’est que ces jeunes, par ailleurs de plus en plus jeunes, sont aujourd’hui dans le circuit officiel du marché du travail, en occupant de vrais jobs de travailleurs à temps partiel. »
      Des emplois qui ne sont parfois pas sans risque. Responsables de la cuisson du pain dans une boulangerie, manutentionnaires dans les magasins ou serveurs en salle, les enfants sont, comme leurs aînés, à la merci de brûlures, de chutes ou de blessures. Une enquête du journal numérique québécois La Presse a révélé, fin avril, que 149 enfants de moins de 16 ans avaient été victimes d’un accident du travail en 2020. Les plus jeunes n’avaient pas 13 ans.

      Dilemme

      « Quand j’ai appris ces chiffres, j’étais sous le choc », confie Suzanne Arpin, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. « J’ai des petits-fils de cet âge-là, et je ne les imagine absolument pas déplacer des charges lourdes ou s’approcher de fours à haute température ! », poursuit-elle, outrée. Elle rappelle que cela fait plus de vingt ans que la commission alerte les pouvoirs publics afin d’exiger l’instauration d’un âge minimum légal pour être autorisé à travailler. Le but est de se mettre en conformité avec la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, dont le Canada est signataire. Il s’agit aussi de ne pas voir la jeunesse québécoise sacrifiée sur l’autel des besoins économiques. « Car là où l’on veut vraiment voir nos enfants, c’est à l’école », cingle-t-elle.

      Employé douze heures par semaine dans une épicerie spécialisée du quartier de la Petite Italie, à Montréal, Antony le reconnaît volontiers : il n’est pas un « as » en cours. Alors, à 15 ans, à un an de la fin de la scolarité obligatoire, il réfléchit à son avenir. « J’ai commencé à travailler pour me payer les petits extras que mes parents ne voulaient pas m’offrir, comme les consoles de jeux vidéo. Mais à 20 dollars [environ 15 euros] de l’heure [le salaire minimum horaire est de 13,50 dollars au Québec], je me demande si j’ai intérêt à poursuivre mes études », s’interroge-t-il.

      Le Québec fait face à un dilemme : pour satisfaire ses besoins immédiats en main-d’œuvre, la province prend le risque de voir toute une génération se mettre en situation de décrochage, voire de renoncement scolaire. Mardi 31 mai, le ministre québécois du travail et de l’emploi, Jean Boulet, a reconnu « qu’il n’était pas normal que des enfants de 11 ans travaillent ». Il n’a pas exclu que le gouvernement légifère, sur le modèle de la Colombie-Britannique qui, en octobre 2021, a fait passer l’âge minimum pour travailler de 12 à 16 ans.

      #travail #emploi #travail_des_enfants #accident_du_travail

  • Un rapport pointe le travail forcé dans l’industrie de la pêche britannique Léa CHARRON - Le Marin
    https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/43778-un-rapport-pointe-le-travail-force-dans-lindustrie-de-pec

    Le groupe de recherche sur l’esclavage moderne Rights lab, de l’université de Nottingham, a sorti le 21 mai un rapport visant l’industrie de la pêche au Royaume-Uni. En ligne de mire : l’utilisation des visas de transit.

    Ces visas permettent aux marins venus de pays hors espace économique européen de monter à bord de navires dans les ports britanniques qui partent ensuite dans les eaux internationales. Dans le secteur de la pêche industrielle, qui recrute des matelots philippins, ghanéens, indonésiens, sri-lankais et indiens surtout, pour travailler « au-delà des 12 milles », ces visas peuvent être utilisés « comme une échappatoire à la loi sur l’immigration et légalisent l’exploitation de travailleurs immigrés sans véritable encadrement, laissant les travailleurs vulnérables aux abus du travail », pointait déjà un rapport du syndicat ITF publié le 16 mai https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/itf_fisheries-briefing_final.pdf .


    Le salaire moyen des pêcheurs immigrés sondés travaillant au Royaume-Uni était de 3,51 livres de l’heure, d’après l’étude du Rights lab, contre 9,50 livres pour le salaire minimum national. (Photo : Rights lab)

    Des travailleurs qui, n’étant de fait pas autorisés à entrer au Royaume-Uni, sont « obligés de vivre à bord le temps que dure leur contrat, généralement de dix à douze mois », évoque le Rights lab, précisant bien que son rapport https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/letting-exploitation-off-the-hook.pdf n’est pas représentatif de la situation à travers le Royaume-Uni. Ce dernier s’appuie sur les témoignages de 124 pêcheurs immigrés recueillis entre juin et octobre 2021. Il révèle que « 19 % des sondés ont signalé des conditions comparables au travail forcé et 48 % ont signalé des cas potentiels ». Les conclusions de l’enquête rendent compte de violences physiques et de racisme, de recrutement via des agences non agréés, d’endettement forcé.
     
    Violation du droit international  
    Environ 75 % ont déclaré se sentir discriminés par leur capitaine. Un tiers a déclaré travailler plus de 20 heures par jour, pour un salaire moyen de 3,51 livres de l’heure (4 euros) ; 25 % assurent ne jamais bénéficier de 77 heures de repos sur une période de sept jours ; 18 % d’entre eux ont été « contraints de travailler sur un navire non désigné dans leur contrat », pointe le Rights lab.

    « Sans changement immédiat, le Royaume-Uni continuera de ne pas respecter ses obligations https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/europe_des_ecarts_de_traitement_abusifs.pdf et responsabilités en vertu du droit international comme du droit national », a indiqué Jess Decker Sparks, qui a dirigé la recherche. Le Royaume-Uni a ratifié la convention n°188 de l’OIT sur le travail dans la pêche https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/29934-enfin-des-normes-du-travail-decentes-pour-la-peche-mondia en 2019, pour une entrée en vigueur en 2020. La Fishermen’s welfare alliance, regroupant quatre groupes représentatifs de pêcheurs britanniques, a indiqué dans un communiqué https://www.sff.co.uk/full-statement-from-the-fishermens-welfare-alliance qu’elle condamne « les rapports d’abus et d’exploitation qui ont été publiés » mais que ce rapport « contient beaucoup de choses que les représentants de l’industrie de la pêche ne reconnaissent pas [...]. Nous serions heureux d’avoir l’occasion d’examiner cela plus en détail avec le gouvernement. » 

    #pèche #esclavage #angleterre #esclavage_moderne #travail #exploitation #capitalisme #travail #surpèche #mer #visas #immigration #travail_forcé #droit_international

  • À propos de « Terre et liberté » d’Aurélien Berlan, par Anselm Jappe (recension)
    http://www.palim-psao.fr/2022/04/a-propos-de-terre-et-liberte-d-aurelien-berlan-par-anselm-jappe-recension

    Mais par la suite une évolution dans sa pensée a eu lieu, et toujours en refusant tout « romantisme agraire », il a progressivement abandonné l’idée que l’émancipation sociale dépende forcément d’un degré du développement industriel que seulement le capitalisme a pu assurer. La rupture avec le marxisme traditionnel devait aussi passer par le rejet de cette assomption – qui est resté moins marquée, cependant, que le rejet de la centralité de la « lutte des classes ». De toute manière, il a nettement nié la possibilité de sortir de la logique de la valeur à travers le numérique, en répondant avec son article « La non-valeur du non-savoir » (Exit ! n°5, 2008) à l’article « La valeur du savoir » d’Ernst Lohoff (Krisis, n°31, 2007). La conception d’une sortie du travail à travers les machines « qui travaillent à notre place » est depuis des décennies assez populaire dans une bonne partie de la gauche radicale, et on en trouve des traces même dans le Manifeste contre le travail de 1999. Cependant, la critique « catégorielle » du travail, qui met l’accent sur le caractère tautologique du côté abstrait du travail accumulé comme représentation phantasmagorique de la pure dépense d’énergie et qui devient le lien social, n’est pas identique à une critique « empirique » du travail en tant qu’activité déplaisante – même si l’énorme augmentation du « travail concret » dans la société capitaliste est évidemment une conséquence de l’intronisation du travail abstrait comme lien social. La critique de la valeur a certainement dépassé le stade de l’« éloge de la paresse » ‒ même si ce slogan pouvait constituer jusqu’à 2000 environ une provocation salutaire envers le marxisme traditionnel autant qu’envers le mainstream social. Ensuite cette forme de critique du travail a trouvé une certaine diffusion s’accompagnant de sa banalisation, la polémique contre les « jobs à la con » (David Graeber), etc.

    […]

    L’ancienne idée que le développement des forces productives doit s’achever avant de pouvoir passer à une société émancipée, et qui fait à nouveau rage avec des tendances comme l’accélérationnisme cher à Multitudes, a été abandonnée par la majorité des auteurs de la critique de la valeur (mais non par tous). La critique de la logique de la valeur et une critique des appareils technologiques peuvent donc bien s’intégrer et se compléter dans une critique de la « méga-machine » (Mumford), même si le degré de « mélange » de ces deux critiques peut varier assez fortement selon l’approche choisie. Berlan ne va pas jusqu’à dire, comme d’autres auteurs de la critique anti-industrielle, que la critique du travail aide le capitalisme parce qu’elle dénigrerait le faire artisanal et l’ethos du travail, en favorisant ainsi les procédures automatisées, voire numérisées. Mais Berlan n’évoque jamais vraiment la différence entre travail concret et travail abstrait.

    […]

    Mais lorsque l’écroulement progressif de la société marchande poussera des millions de gens vers ces expériences – comme Berlan le prévoit et le souhaite, ce qui est d’ailleurs une perspective très optimiste – que trouveront-ils à récupérer ? Des arbres coupés et des vignes arrachées, des sols empoisonnés et des savoir-faire complètement perdus. Combien de temps faudrait-il pour recomposer ce qui a été perdu (si on y arrive) ? Et surtout, quoi faire si, au moment de la récolte, des gens se présentent, qui n’ont contribué en rien au labeur, mais qui ont des mitraillettes ? Berlan évoque effectivement le problème de la défense, presque toujours négligé dans ces contextes. Mais il le reperd tout de suite. Or, l’autodéfense ne fait pas peur aux zapatistes et aux kurdes dans le Rojava, et pourrait en tenter quelques-uns dans les zad – mais la plupart des aspirants à l’autonomie en Europe choisissent sans doute d’éviter le problème, effectivement épineux, et préfèrent la bêche au fusil.

    Une autre faiblesse de cette approche réside dans la méconnaissance du rôle de l’argent : en stigmatisant le « purisme » de ceux qui voudraient bannir tout usage de la monnaie, Berlan en défend un usage « raisonnable », limitée, pour les échanges entre communautés largement autosuffisantes. Ainsi fait retour le vieil espoir, pour ne pas dire le mythe éternel, de la « production simple de marchandises », où l’argent ne s’accumule pas en capital, mais reste sagement à sa place en jouant un rôle purement auxiliaire. Proudhon l’a proclamé comme un idéal, Fernand Braudel comme une vérité historique (le marché sans le capitalisme), Karl Polanyi (ce sont tous des auteurs cités par Berlan) comme une situation historique passée (quand la terre, le travail et la monnaie n’étaient pas des marchandises) et qui serait à rétablir. Mais c’est un leurre, très présent même à l’intérieur du marxisme. Marx a déjà démontré le caractère « impérialiste » de l’argent qui ne peut que prendre possession graduellement de toutes les sphères vitales. Le problème réside dans l’homologation des activités les plus différentes dans une seule substance, « le travail » ; si ensuite celle-ci se représente dans une « monnaie fondante », des bons de travail ou de la monnaie tout court, ne touche pas à l’essentiel. La méconnaissance du rôle du travail abstrait est ici évidemment étroitement liée à celle du rôle de l’argent.

    […]

    Dernièrement, on a prêté une attention croissante à l’« absence de limites » que provoque la société capitaliste (et sur laquelle elle se fonde en retour), à la « pléonexie », à son déni de la réalité physique. Cela constitue une partie indispensable de la mise en discussion de l’utilitarisme, du productivisme, de l’industrialisme et du culte de la consommation marchande qui distinguent autant le capitalisme que ses critiques de gauche. Cependant, Berlan risque d’aller un peu trop loin. Il oppose le désir de vivre en communautés autonomes fondées sur le partage et l’entraide, qui aurait caractérisé la plupart des êtres humains dans l’histoire, au désir de se libérer de la condition humaine et de ses contraintes. Ainsi risque-t-on de jeter aux orties, ou de déclarer pathologique, une bonne partie de l’existence humaine. Le désir de délivrance est un élément constant de l’existence humaine, souvent considérée comme sa partie noble, et s’explique avec les limites inévitables, mais quand même difficiles à accepter, de la conditio humana. La volonté d’aventure et d’extraordinaire, de grands exploits et de triomphes, de reconnaissance et de traces à laisser de son passage sur terre semble difficilement éliminable, et même si on pouvait l’éradiquer, on appauvrirait terriblement le monde humain. Le côté agonistique de l’homme doit être canalisé en des formes non trop destructrices, non simplement renié ou refoulé (avec les résultats qu’on connaît).

    […]

    L’omniprésence du désir d’être délesté des taches les plus ennuyeuses et répétitives de la vie évidemment ne justifie en rien le mille et une formes d’hiérarchie et d’oppression auxquelles ce désir a conduit. Mais il faut faire les comptes avec cette pulsion qui semble aussi originaire et fondamentale que le désir de communauté, et en tirer des bénéfices.

    […]

    Même si on n’a jamais trouvé le ciel, ou seulement pour de brefs moments, sa quête a constamment aiguillonné les humains à faire autre chose que l’accomplissement des cycles éternels. Sous-évaluer l’importance de la dimension du sacré, de la religion, du transcendant, ou simplement du rêve et de la recherche de l’impossible (les chiens qui savent voler) a déjà coûté cher aux mouvements d’émancipation. Ce ne sont pas nécessairement ces désirs qui font problème, mais la tentative de les réaliser à travers les technologies apparues sous le capitalisme, qui font sauter toutes les barrières entre le rêve et le passage á l’acte, détruisant au passage aussi la possibilité de rêver. Les mythes universels sur l’immortalité ne sont pas responsables du transhumanisme.

    […]

    [9] D’ailleurs, ce mythe mésopotamien, un des plus anciens connus et dont ils existent de nombreuses versions, débouche justement sur l’impossibilité d’atteindre l’immortalité - un serpent vole l’herbe de l’immortalité que les dieux ont donnée à Gilgamesh, qui accepte alors sa mortalité et décide de jouir des plaisirs des mortels, comme celui de tenir son enfant par la main.

    #Aurélien_Berlan #liberté #subsistance #délivrance #recension #livre #Anselm_Jappe #critique_de_la_valeur #anti-industriel #décroissance #philosophie #désir #émancipation #argent #travail #travail_abstrait #critique_du_travail #mythe #rêve #immortalité #transcendance

  • Nintendo hit with National Labor Relations Board complaint
    https://www.axios.com/2022/04/19/nintendo-nlrb-complaint

    An unnamed worker is alleging that Nintendo, and a firm it uses for hiring contractors, violated their legally protected right to unionize, according to a new filing with the National Labor Relations Board.

    Nintendo Of America Workers Speak Up After Years Of Silence
    https://kotaku.com/nintendo-america-switch-employee-treatment-unionize-nlr-1848828975

    A union-busting complaint recently filed with the National Labor Relations Board accused Nintendo of America and contract worker agency Aston Carter of surveillance, retaliation, and other unfair labor practices. According to four sources familiar with the incident, that complaint, first reported by Axios, comes after a part-time employee spoke about unions in a business meeting and was later fired mid-contract. In an unprecedented move, others are now speaking up about feeling disrespected and exploited at the notoriously secretive Mario maker.

    Nintendo contractors say company unfairly exploits temporary workers
    https://www.axios.com/2022/05/12/nintendo-contractors-investigation

    Driving the news: Current and former Nintendo contractors have been speaking up over the past three weeks, since Axios first reported a complaint filed with the National Labor Relations Board against Nintendo and a contracting firm.

    #jeu_vidéo #jeux_vidéo #nintendo #nintendo_of_america #noa #business #ressources_humaines #syndicalisme #aston_carter #national_labor_relations_board #activision_blizzard #raven_software #licenciement #confidentialité #secret_des_affaires #jeu_vidéo_mario #jeu_vidéo_zelda #travail_temporaire #précarité #jeu_vidéo_call_of_duty_warzone #amazon #starbucks #jelena_džamonja #parker_staffing #assurance_qualité #console_nes #nintendo_seal_of_quality #jeu_vidéo_super_mario #shigeru_miyamoto #reggie_fils-aimé #travail_précaire #assurance_santé #heures_supplémentaires #mario_time #don_james #jeu_vidéo_the_legend_of_zelda #console_wii_u #micromanagement #elisabeth_pring #microsoft_teams #aston_carter #console_switch #console_nintendo_switch

  • L’intolérable du présent, l’urgence de la révolution - minorités et classes, entretien avec Maurizio Lazzarato
    https://lundi.am/L-intolerable-du-present-l-urgence-de-la-revolution-minorites-et-classes

    [Dans] son denier livre, L’intolérable du présent, l’urgence de la révolution - minorités et classes, [Maurizio Lazzarato] tente d’analyser le triptyque race-classe-genre sans le vocabulaire de la politique des identités. Tout l’enjeu, selon lui, est de parvenir à lier politique et économie, guerre et capital, production et destruction et de mieux comprendre comment l’exploitation des femmes et des colonies est le complément nécessaire de tout fonctionnement économique « normal ». Le retour du racisme et du sexisme peut alors se lire en parallèle de la crise économique qui ne nous quitte plus depuis quelques années.

    Maurizio : Depuis la crise de 2008, j’essaie de réintroduire dans le débat les concepts de guerre et de révolution. Ils ont été toujours au centre des préoccupations des révolutionnaires, alors que, depuis un certain temps, ils ont été marginalisés. Guerre et révolution sont les deux alternatives que le capitalisme pose encore et toujours, comme on est train de voir en ce moment. La guerre en Ukraine n’est pas celle d’un autocrate contre la démocratie, mais elle exprime les affrontements entre impérialismes qui surgissent à fin du cycle d’accumulation commencé au début des années 70 avec les guerres civiles en Amérique du Sud. Les premiers gouvernements néo–libéraux étaient composés des militaires et des économistes de l’école de Chicago. Nous retrouvons à la fin du cycle économique ce qu’il avait fait démarrer : la guerre entre États et les guerres de classe, de race et de sexe.

    En ce qui concerne la révolution, le plus grand problème qu’elle a rencontré à partir des années soixante, c’est la question de la multiplicité. Multiplicité des rapports de pouvoir, (capital-travail, hommes-femmes, blancs-racisé-e-s), multiplicité aussi des modes de production (capitaliste, patriarcal-hétérosexuel, racial-esclavagiste). Cette multiplicité n’a pas émergé en 68, elle existe depuis la conquête des Amériques qui commence en 1492, mais c’est seulement au XXe siècle que la subjectivisation politique des mouvements des colonisés et des femmes a affirmé son autonomie du mouvement ouvrier.

    Cette multiplicité a été au centre des théories critiques des années soixante et soixante-dix (les minorités chez Deleuze et Guattari, ou bien chez Foucault la population et l’individu, ou encore chez Negri la multitude comme multiplicité des singularités,) mais au prix de ce que j’appelle un refoulement du concept de classe.

    Le féminisme matérialiste français, à contre-courant de cette pensée des années soixante-dix, pense le rapport de domination des hommes sur les femmes comme rapport de classe, comme « rapports sociaux de sexe ». Ce rapport de domination ne profite pas seulement au capital, mais également aux hommes en tant que classe. De la même manière, le rapport de domination raciste ne profite pas seulement au capital, mais également aux blancs en tant que classe.

    Je crois que la « révolution mondiale » qui était devenue possible au XXe siècle (le mot d’ordre de Marx « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » ne concernait que quelques pays européens) a échoué parce qu’on n’a pas été capable de penser et d’organiser le passage de la lutte de classe (capital-travail) aux luttes des classes au pluriel.

    Il faut dire tout de suite que le refoulement des luttes de classe implique le refoulement de la guerre, car elles ne sont qu’une de ses modalités. La guerre entre États et les guerres de classe, de race et de sexe, ont toujours accompagné le développement du capital parce que, à partir de l’accumulation primitive, elles sont les conditions de son existence. La formation des classes (des ouvriers, des esclaves et des colonisés, des femmes) implique une violence extra-économique qui fonde la domination et une violence qui la conserve, stabilisant et reproduisant les rapports entre vainqueurs et vaincus. Il n’y a pas de capital sans guerres de classe, de race et de sexe et sans État qui a la force et les moyens de les mener ! La guerre et les guerres ne sont pas des réalités externes, mais constitutives du rapport de capital, même si nous l’avons oublié. Le capitalisme est production et guerre, accumulation et luttes de classe. Donc il ne faut pas abandonner le concept de classe, mais le reconfigurer.

    H : Quelle différence y a-t-il avec le concept marxiste de la classe ?

    M : Comme dit Fanon, il ne s’agit pas seulement de “distendre” le concept. L’élargissement du concept de classe mine son homogénéité, parce que les classes sont elles-mêmes constituées de multiplicités (des minorités) : la classe ouvrière contient des minorités raciales et sexuelles, la classe des femmes contient à son tour des femmmes riches et pauvres, blanches, noires, indigènes, hétérosexuelles, lesbiennes, etc. A cause de cette multiplicité, le sujet politique n’est pas donné préalablement comme avec la classe ouvrière, mais il est un sujet “imprévu”, dans le sens qu’il faut l’inventer et le construire. Il ne préexiste pas à son action.
    Ce concept de classe permet aussi de critiquer les politiques de l’identité, où les différents mouvements politiques sont toujours prêts à tomber : la classe des femmes, comme la classe ouvrière chez Marx, reussit sa révolution seulement si elle aboutit à sa propre abolition et avec elle l’abolition de l’assujettissement “femme”.

    [...]

    À partir des limites du concept de travail abstrait, on peut tirer plusieurs fils. D’abord un fil politique. Le XXe siècle est celui des révolutions, il n’y jamais eu autant de révolutions concentrées dans un temps si court dans l’histoire de l’humanité. Or, les ruptures les plus importantes ont été pratiquées par les colonisées et les femmes, c’est-à-dire par des sujets qui fournissaient du travail gratuit, du travail dévalorisé, du travail très mal payé. Les salariés, incarnation du travail abstrait, n’étaient pas au centre de ces révolutions. Les marxistes définissent le travail gratuit ou sous payé comme « non libre », comme « improductif », à la différence du travail industriel. Par conséquent, ce travail serait à négliger du point de vue révolutionnaire, car sans lien avec la « production ». Tout au contraire l’importance politique de ce travail s’avère énorme. Pendant tout le XXe siècle, il va mener à bien ses révolutions, tandis que, après 68, les innovations théoriques les plus significatives seront développées par les différents mouvements féministes.

    #Maurizio_Lazzarato #entretien #théorie #livre #classe #travail_abstrait #exploitation #classes #lutte_de_classe #capitalisme #guerre #révolution #racisme #race #colonisés #sexisme #rapports_sociaux_de_sexe #féminisme #colonialité #identités #politiques_de_l’identité #Combahee_River_Collective #Anibal_Quijano

    • cela me semble être un livre politique d’importance (lecture en cours),

      La remontée du racisme et du sexisme en France est moins liée à la question de la laïcité qu’au contrôle de cette colonisation interne. Le racisme et le sexisme reproduisent la violence sans médiation avec laquelle on a toujours contrôlé le travail gratuit, sous payé, précaire et les subjectivités soumises. Les démocraties européennes qui voilaient leur violence sans médiation parce qu’elle s’exerçait loin, au-delà de la mer et des océans, ressemblent de plus en plus aux USA dont la constitution matérielle coïncide avec la « colonisation interne » (l’esclavage des noirs après avoir éliminé les natifs). La démocratie la plus politique (selon H. Arendt) est la plus violemment raciste et génocidaire que l’histoire ait connu. Pour la même raison Israël a une fonction centrale dans la mondialisation : il constitue l’image parfaite de la colonisation interne qui ne cesse de déborder vers l’apartheid.

      #Hannah_Arendt (qui prend très cher, citations à l’appui)
      #Mario_Tronti #Karl_Marx

      #toctoc

    • (...) le capital, contrairement à ce que pensent beaucoup des marxistes est inséparable de l’État (et de la guerre). Le capitalisme est une machine à deux tètes, Capital et État, économie et politique, production et guerre qui, depuis la formation du marché mondial, agissent de concert. L’alliance Capital/État va progressivement s’intégrer, avec une accélération à partir de la Première Guerre mondiale, en produisant une bureaucratie administrative, militaire, politique qui ne se distingue en rien des capitalistes. Bureaucrates et capitalistes, en occupant des fonctions différentes à l’intérieur de la même machine politico-économique, constituent la subjectivation qui instaure et régule le rapport entre guerre de conquête et production, colonisation et ordre juridique, organisation scientifique du travail (abstrait) et pillage des natures humaines et non humaines. Le capitalisme a été toujours politique, mais pour des raisons différentes de celles avancées par Max Weber qui pointe l’imbrication des structures bureaucratiques et capitalistes. Le capitalisme a toujours été politique puisque, pour l’appréhension de sa constitution, il ne faut pas partir de la production économique mais de la distribution violente du pouvoir départageant qui commande et qui obéit. L’appropriation violente des corps des ouvriers, des femmes, des esclaves, des colonisés s’accompagne d’une société normative où l’État administratif et l’État souverain s’intègrent à l’action du Capital. La politique, l’État, l’armée, la bureaucratie administrative sont, depuis toujours, une partie constitutive du capitalisme.

      #Capital #État #guerre

    • Le changement fondamental du capitalisme au XXe siècle n’a pas été la crise financière de 1929, mais la Première Guerre mondiale (1914). La destruction est une condition du développement capitaliste (Schumpeter l’appelle « destruction créative »[créatrice, ndc]) qui, avec la « grande guerre » de relative devient absolue. La guerre de 1914 introduit une grande nouveauté : l’intégration de l’État, de l’économie des monopoles, de la guerre, du travail, de la société, de la science et de la technique dans une méga machine de production pour la guerre, une « mobilisation totale » pour la « production totale » finalisée à la destruction.
      Ernst Jünger dit dans La mobilisation totale, en 1930, que la guerre ressemble moins à un combat qu’à un énorme processus de travail. On crée, à côté des armées qui se battent au front, l’armée des communications, des transports, de la logistique, l’armée du travail, de la science et de la technique etc., pour envoyer 24h sur 24h le produit de cette mega-production, au front qui constitue le marché, lui aussi mécanisé et automatisé, où tout se consomme (se détruit)

      H : La guerre totale en est l’expression.

      M : Totale veut dire que c’est la totalité de la société qui est impliquée dans la production. La subordination de la société à la production n’a pas eu lieu dans les années 50 et 60, mais pendant la Grande Guerre. Ce que Marx appelle General Intellect naît à ce moment et il est marqué, et il le sera toujours, par la guerre.
      La « mobilisation » totale détermine un grand saut dans la production et dans la productivité, mais production et productivité sont pour la destruction. Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme la production est « sociale », mais elle est identique à la destruction. L’augmentation de la production est finalisée à une augmentation de la capacité de détruire.