• #Libye : « L’ensemble de l’appareil sécuritaire a compris que l’immigration rapporte beaucoup d’argent », rappelle un chercheur libyen

    Les ONG estiment que 20 000 migrants sont aujourd’hui détenus dans des prisons en #Libye. Ces exilés y subissent toutes sortes d’#abus : #traite, #torture, #travail_forcé, #extorsion et conditions de détention intolérables. Malgré ces faits, le gouvernement libyen reçoit toujours l’#aide de l’#Union_européenne pour retenir les migrants et les empêcher de rallier l’Europe. Après avoir accumulés les preuves depuis des années, un militant et chercheur libyen brise le silence.

    #Tarek_Lamloum a recueilli les témoignages de migrants interceptés en mer et dans le désert par les gardes-frontières. Il visite régulièrement les #centres_de_détention.

    Ce chercheur qui préside le Centre d’études de Benghazi sur les migrants et les réfugiés dénonce une #corruption généralisée au sein des services sécuritaires : « L’ensemble des appareils sécuritaires a compris que l’immigration leur rapporte beaucoup d’argent. Ces appareils sont en concurrence entre eux. Qui, parmi eux, devrait gérer les migrants ? Et il y a au moins six appareils sécuritaires qui interviennent sur ce dossier. »

    Tout le monde ferme les yeux

    Tarek Lamloum raconte les confiscations des téléphones portables, les vols d’argent des migrants, parfois même le vol de leurs habits et chaussures dès qu’ils sont interceptés en mer par les gardes-côtes.

    Les #exactions et les #vols des migrants sont devenus la norme, explique le chercheur, et les autorités libyennes et européennes ferment les yeux : « Le ministre de l’Intérieur à Tripoli est lui-même impliqué dans cette affaire, il sait très bien ce qui se passe dans les centres de détention qu’il est censé gérer. C’est lui le premier responsable des #gardes-côtes_libyens et des #gardes-frontières. C’est une première inédite : un ministère de l’intérieur qui intervient pour garder les frontières. Normalement, c’est du ressort de l’armée. »

    Malgré ces exactions, le nombre de migrants en Libye a augmenté de 4% depuis le début de l’année, estime l’Organisation internationale des migrations (OIM). En 2024, 200 000 migrants avaient franchi la Méditerranée depuis les rivages d’Afrique du Nord.

    https://www.infomigrants.net/fr/post/64932/libye--lensemble-de-lappareil-securitaire-a-compris-que-limmigration-r
    #business #complexe_militaro-industriel

  • Travail forcé en Chine : Decathlon reconnaît ses défaillances, en toute discrétion
    https://disclose.ngo/fr/article/travail-force-en-chine-decathlon-reconnait-ses-defaillances-en-toute-discr

    Les révélations de Disclose sur le recours au travail forcé par l’un des principaux sous-traitants de Decathlon en Chine provoquent de nombreux sursauts en interne. En public, pourtant, la marque française s’enferme dans le déni. Sa communication de crise est aujourd’hui relayée par des influenceurs pro-chinois et des médias d’État, lancés dans une opération de cyberharcèlement contre des journalistes ayant collaboré à notre enquête. Lire l’article

  • Centres de cyberfraude : la Birmanie rend un premier groupe de travailleurs à la Chine, via la Thaïlande : Actualités - Orange
    https://actu.orange.fr/monde/centres-de-cyberfraude-la-birmanie-rend-un-premier-groupe-de-travailleur

    La Birmanie, la Thaïlande et la Chine ont débuté jeudi une opération d’envergure visant à rapatrier des centaines de Chinois exploités dans des centres d’arnaques en ligne sur le territoire birman.

    Ces centres criminels se sont multipliés en Birmanie, notamment près de la frontière avec la Thaïlande. Ils fonctionnent souvent avec une main-d’oeuvre captive, notamment des Chinois, contraints d’escroquer leurs compatriotes.

    Un premier groupe de dizaines de travailleurs avait embarqué jeudi matin dans un avion à l’aéroport de Mae Sot (nord-ouest de la Thaïlande), d’où il a décollé vers 11H30 (04H30 GMT).

    L’appareil est arrivé à Nankin (est de la Chine) dans l’après-midi, a indiqué la télévision étatique chinoise CCTV. « Dans les prochains jours, plus de 800 ressortissants chinois suspectés de fraude devraient être reconduits en Chine », a-t-elle précisé.

    Ces personnes étaient passées de la Birmanie à la Thaïlande jeudi matin, sous haute sécurité. Le rapatriement de toutes les personnes concernées pourrait prendre des semaines.

    Aucun détail n’a été donné sur ce qui les attend en Chine. Interrogé jeudi, Pékin a renvoyé la presse vers les « autorités compétentes ».

    « La lutte contre les jeux d’argent en ligne et les fraudes par téléphone ou en ligne est une manifestation concrète de la mise en oeuvre d’une philosophie de développement centrée sur l’humain », a déclaré Guo Jiakun, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

    « C’est un choix crucial afin de sauvegarder les intérêts communs des pays de la région », a-t-il ajouté lors d’un point presse régulier.

    – « Esprit humanitaire » -

    La Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra a indiqué mercredi que près de 7.000 personnes attendaient d’être libérées, tandis qu’un représentant des Forces des gardes-frontières (BGF) de l’Etat Karen, une milice ethnique active côté birman, a fixé ce chiffre à 10.000.

    Les victimes sont principalement chinoises : employées de force dans les centres de cyberfraude, ou ciblées par les escrocs via des jeux de casino en ligne ou des montages impliquant les cryptomonnaies.

    Ces derniers mois, Pékin avait accru la pression sur la junte birmane, dont elle est l’un des principaux fournisseurs d’armes, pour mettre fin à ces activités.

    « 200 ressortissants chinois impliqués dans des affaires de jeux d’argent en ligne, de fraude aux télécommunications et d’autres délits ont été remis conformément aux procédures légales par la Thaïlande ce matin, dans un esprit humanitaire et d’amitié entre les pays », a indiqué la junte dans un communiqué.

    La ville de Mae Sot, d’où ont décollé jeudi les ressortissants chinois, ne se trouve qu’à une dizaine de kilomètres de Shwe Kokko, ville birmane qui a bâti sa prospérité grâce des trafics variés, dans une impunité quasi-totale.

    Des complexes géants de cyberfraude pullulent dans certaines régions birmanes frontalières, à la faveur de la guerre civile qui ravage le pays depuis le coup d’Etat de 2021. Ces escroqueries rapportent des milliards de dollars par an, selon des experts.

    – Violences -

    Ces centres emploieraient au moins 120.000 petites mains en Birmanie, selon un rapport des Nations unies publié en 2023.

    Nombre de victimes ont été soumises à la torture, la détention arbitraire, la violence sexuelle ou encore le travail forcé, d’après le texte.

    De nombreux travailleurs disent avoir été attirés ou trompés par des promesses d’emplois bien rémunérés avant d’être retenus captifs.

    Début février, une autre milice birmane a rendu aux autorités thaïlandaises 260 victimes présumées, originaires d’une dizaine de pays, dont les Philippines, l’Éthiopie et le Brésil.

    Beaucoup portaient des traces de violences, notamment une femme qui présentait d’énormes bleus et qui a déclaré avoir été électrocutée, ont constaté des journalistes de l’AFP qui ont pu les rencontrer.

    La Thaïlande a coupé début février l’approvisionnement en électricité de plusieurs régions birmanes frontalières, dont Shwe Kokko, dans une tentative de freiner l’essor des activités illégales.

    Le royaume veut donner des gages de sécurité aux visiteurs chinois, cruciaux pour son secteur touristique. Les craintes des Chinois ont redoublé après l’affaire de l’enlèvement à Bangkok d’un acteur chinois, amené de force dans un centre de cyberfraude en Birmanie, avant d’être libéré, début janvier.

    publié le 20 février à 11h12, AFP

  • Mondialisation : vers un capitalisme anti-libéral

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/mondialisation-vers-un-capitalisme-anti-liberal-2138740

    L’élection de Donald Trump et ses déclarations sur le Panama, le Groenland et le Canada laissent entrevoir un retour d’anciennes logiques impérialistes de prédation des territoires et des ressources dans l’organisation de l’économie mondiale.

    Avec Arnaud Orain Historien, économiste, directeur d’études à l’EHESS et Julia Tasse Chercheuse à l’IRIS

    #radio #imperialisme #liberalisme #puissance #geopolitique #libertesdesmers #toread

    • Le monde confisqué
      Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIᵉ - XXIᵉ siècle)

      L’utopie néolibérale d’une croissance globale et continue des richesses est désormais derrière nous. Mais le capitalisme n’est pas mort pour autant. Sa forme actuelle n’est ni réellement nouvelle ni totalement inconnue, car elle est propre à tous les âges où domine le sentiment angoissant d’un monde « fini », borné et limité, qu’il faut s’accaparer dans la précipitation. Ce capitalisme se caractérise par la privatisation et la militarisation des mers, un « commerce » monopolistique et rentier qui s’exerce au sein d’empires territoriaux, l’appropriation des espaces physiques et cybers par de gigantesques compagnies privées aux prérogatives souveraines, qui dictent leurs rythmes.
      Dans cet essai, Arnaud Orain dévoile ce « capitalisme de la finitude » et en éclaire les mécanismes aux trois périodes où il s’épanouit : XVIᵉ - XVIIIᵉ siècle, 1880-1945, 2010 à nos jours. L’auteur offre une toute nouvelle perspective sur l’histoire mondiale et éclaire les grands enjeux de notre temps.

      https://editions.flammarion.com/index.php/le-monde-confisque/9782080466570

    • « Le monde entre dans une nouvelle ère de domination du capitalisme de la finitude », Pierre-Cyrille Hautcœur [à propos de Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, d’Arnaud Orain]

      Un futur président des Etats-Unis qui annonce son intention de contrôler (voire d’absorber) des territoires appartenant à ses alliés, des patrons de très grandes entreprises qui refusent les règles démocratiquement imposées à leur fonctionnement, des dirigeants et penseurs qui revendiquent l’affrontement viril comme mode de fonctionnement normal du capitalisme… Ces comportements sèment le trouble dans les esprits depuis quelques semaines.

      Le dernier livre d’Arnaud Orain, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), intitulé Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude (Flammarion, 368 pages, 23,90 euros), propose une perspective historique de ces comportements. L’auteur définit comme « capitalisme de la finitude » l’attitude d’acteurs économiques majeurs, privés et publics, face à la conscience de la finitude des ressources du monde. Alors que le capitalisme concurrentiel désigne la capacité des humains à créer des objets et à s’enrichir par leur échange (vu comme un jeu à somme positive), celui de la finitude se concentre sur la rivalité insurmontable autour des ressources naturelles que sont les océans (espaces du commerce maritime et ressources halieutiques et minérales), les terres (cultivables et abris de ressources minières) et le travail humain. Il vise l’appropriation – essentiellement par la force et finalement sanctionnée par le droit – de ces ressources par des acteurs suffisamment puissants pour y procéder : entreprises géantes ou Etats, souvent les deux ensemble.

      Le cœur de l’ouvrage propose une chronologie qui démontre que le monde entre depuis une dizaine d’années dans une nouvelle ère de domination de cette forme de capitalisme, après une première à l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècles) et une deuxième entre 1880 et 1945. Il prolonge la pensée de Fernand Braudel, qui distinguait ce qu’il appelait respectivement « économie » (concurrentielle) et « capitalisme » (monopoliste). Deux systèmes à l’œuvre en parallèle, sans claire dynamique entre eux : le premier pour l’échange ordinaire à moyenne distance, typiquement national, le second pour le long cours, typiquement international.

      Rivalité croissante

      Arnaud Orain part d’un terrain qu’il connaît bien, celui des grandes compagnies à monopole – qu’elles soient des Indes ou d’ailleurs – toujours à la recherche du contrôle des mers, des ports et des territoires d’où extraire des esclaves ou des produits, d’où supprimer la concurrence pour maximiser une rente, non un profit commercial.

      De manière moins attendue, il retrouve ces logiques à l’œuvre dans la « ruée vers l’Afrique » (et aussi vers l’Asie de l’Est) de la fin du XIXe siècle, tant dans les justifications qui en sont données que dans les pratiques, même si le travail forcé remplace l’esclavage à proprement parler. Ce moment est souvent perçu comme le sommet de la mondialisation libérale, sur fond de rivalité croissante entre le Royaume-Uni et l’Allemagne (mais aussi bientôt les Etats-Unis, voire ponctuellement la France). Apparaissent alors tant les discours justifiant le monopole par une nécessaire coopération et un souci des ressources stratégiques que les pratiques d’exclusion des concurrents et de pacte colonial (qui réserve à une métropole les échanges commerciaux avec ses colonies), sur fond de réarmement.

      Chaque chapitre, sur un thème donné, compare les trois périodes d’émergence et de domination du capitalisme de la finitude. Arnaud Orain reprend ainsi le vieux thème selon lequel l’existence d’une hégémonie navale incontestée caractérise tant le XIXe siècle (avant 1880) que la seconde moitié du XXe siècle, et conditionne la « liberté des mers », qui permet des échanges internationaux peu risqués.

      A l’inverse, les périodes de rivalité entre grandes puissances conduisent au retour des convois escortés, à la « piraterie » (définie par les dominants comme toute atteinte à leurs monopoles de transport) et à la concentration des échanges au sein des empires. D’autres chapitres discutent le protectionnisme, le cyberespace, les « nouvelles routes de la soie » ou la relocalisation « en terres amies » des géants du numérique. Un chemin démocratique surmontant la crise écologique est bien difficile à frayer dans ce monde brutal, mais la conclusion ne lui ferme pas tout à fait la porte.

      Pierre-Cyrille Hautcœur (Directeur d’études à l’EHESS, Ecole d’économie de Paris)

      https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/15/le-monde-entre-dans-une-nouvelle-ere-de-domination-du-capitalisme-de-la-fini

      #Arnaud_Orain #note_de_lecture #capitalisme #capitalisme_de_la_finitude #rente #ressources_naturelles #rivalité (on retrouve le #René_Girard aimé par #Peter_Thiel) #océan #terres #travail_humain #États #travail_forcé #protectionnisme #cyberespace #économie

  • Le déni des #persécutions génocidaires des « #Nomades »

    Le dernier interné « nomade » des #camps français a été libéré il y a presque 80 ans. Pourtant, il n’existe pas de décompte exact des victimes « nomades » de la #Seconde_Guerre_mondiale en France, ni de #mémorial nominatif exhaustif. Le site internet collaboratif NOMadeS, mis en ligne le 6 décembre 2024, se donne pour mission de combler cette lacune. Pourquoi aura-t-il fallu attendre huit décennies avant qu’une telle initiative ne soit lancée ?
    Les « Nomades » étaient, selon la loi du 16 juillet 1912, « des “#roulottiers” n’ayant ni domicile, ni résidence, ni patrie, la plupart #vagabonds, présentant le caractère ethnique particulier aux #romanichels, #bohémiens, #tziganes, #gitanos[1] ».

    Cette #loi_raciale contraignait les #Roms, les #Manouches, les #Sinti, les #Gitans, les #Yéniches et les #Voyageurs à détenir un #carnet_anthropométrique devant être visé à chaque départ et arrivée dans un lieu. Entre 1939 et 1946, les personnes que l’administration française fit entrer dans la catégorie de « Nomades » furent interdites de circulation, assignées à résidence, internées dans des camps, et certaines d’entre elles furent déportées.

    Avant même l’occupation de la France par les nazis, le dernier gouvernement de la Troisième République décréta le 6 avril 1940 l’#assignation_à_résidence des « Nomades » : ces derniers furent contraints de rejoindre une #résidence_forcée ou un camp. Prétextant que ces « Nomades » représentaient un danger pour la sécurité du pays, la #Troisième_République en état de guerre leur appliqua des mesures qui n’auraient jamais été prises en temps de paix, mais qui s’inscrivaient parfaitement dans la continuité des politiques anti-nomades d’avant-guerre.

    Le 4 octobre 1940, les Allemands ordonnèrent l’internement des « #Zigeuner [tsiganes] » en France. L’administration française traduisit « Zigeuner » par « Nomades » et appliqua aux « Nomades » les lois raciales nazies. Les personnes classées comme « Nomades » furent alors regroupées dans une soixantaine de camps sur l’ensemble du territoire métropolitain, tant en zone libre qu’en zone occupée.

    À la fin de la guerre, la Libération ne signifia pas la liberté pour les « Nomades » : ils demeurèrent en effet assignés à résidence et internés jusqu’en juillet 1946, date à laquelle la #liberté_de_circulation leur fut rendue sous condition. Ils devaient toujours être munis de leur carnet anthropométrique. La loi de 1912, au titre de laquelle les persécutions génocidaires de la Seconde Guerre mondiale furent commises sur le territoire français, ne fut pas abrogée, mais appliquée avec sévérité jusqu’en janvier 1969. La catégorie administrative de « Nomades » céda alors la place à celle de « #gens_du_voyage » et de nouvelles mesures discriminatoires furent adoptées à leur encontre.

    L’occultation de la persécution des « Nomades » (1944-1970)

    En 1948, le ministère de la Santé publique et de la Population mena une vaste enquête sur les « Nomades ». Les résultats montrent que plus d’un tiers des services départementaux interrogés savaient assez précisément ce qu’avaient subi les « Nomades » de leur département pendant la guerre : il fut question des #camps_d’internement, des conditions dramatiques de l’assignation à résidence, de #massacres et d’engagement dans la résistance. Ces enquêtes font également état de l’#antitsiganisme de beaucoup de hauts fonctionnaires de l’époque : on y lit entre autres que les mesures anti-nomades de la guerre n’étaient pas indignes, mais qu’au contraire, elles avaient permis d’expérimenter des mesures de #socialisation.

    Cette enquête de 1948 permet de comprendre que ces persécutions n’ont pas été « oubliées », mais qu’elles ont été délibérément occultées par l’administration française. Lorsqu’en 1949 est créée une Commission interministérielle pour l’étude des populations d’origine nomade, ses membres ne furent pas choisis au hasard : il s’agissait de personnes qui avaient déjà été en charge des questions relatives aux « Nomades », pour certaines d’entre elles pendant la guerre. Ainsi y retrouve-t-on #Georges_Romieu, ancien sous-directeur de la Police nationale à Vichy, qui avait été chargé de la création des camps d’internement pour « Nomades » en zone libre.

    Il n’est donc pas très étonnant que les survivants des persécutions aient eu beaucoup de mal à faire reconnaître ce qu’ils venaient de subir. Alors même qu’en 1948, deux lois établirent le cadre juridique des #réparations des #préjudices subis par les victimes de la Seconde Guerre mondiale, le régime d’#indemnisation mis en place posa de nombreux problèmes aux victimes « nomades ». L’obstacle principal résidait dans le fait qu’une reconnaissance des persécutions des « Nomades » comme victimes de #persécutions_raciales remettait en cause l’idée que la catégorie « Nomade » n’était qu’un #classement_administratif des populations itinérantes et non une catégorie raciale discriminante. Le ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre ne voulait pas que l’internement des « Nomades » puisse être considéré comme un internement sur critères raciaux.

    Ainsi, entre 1948 et 1955, les premiers dossiers de « Nomades » présentés au ministère des Anciens Combattants ne furent pas ceux des internés des camps français, encore moins des assignés à résidence, mais ceux des rescapés de la déportation afin d’obtenir le titre de « #déporté_politique ». Même pour ces derniers, l’administration manifesta un antitsiganisme explicite. Dans le dossier d’une femme rom française pourtant décédée dans les camps nazis, on peut y lire l’avis défavorable suivant : « Laissé à l’avis de la commission nationale, la matérialité de la déportation à Auschwitz n’étant pas établie. Les témoins (gitans comme le demandeur) signent tout ce qu’on leur présente. »

    Dans les années 1960, quelques dizaines d’anciens internés « Nomades » demandèrent l’obtention du statut d’interné politique. Les premiers dossiers furent rejetés : l’administration refusait de reconnaître que les camps dans lesquels les « Nomades » avaient été internés étaient des camps d’internement. Pour ceux qui arrivaient à prouver qu’ils avaient bel et bien été internés dans des camps reconnus comme tels, par exemple celui de #Rivesaltes, l’administration rejetait leur demande en arguant que leur état de santé ne pouvait pas être imputé au mauvais traitement dans les camps mais à leur mauvaise hygiène de vie.

    Devant ces refus systématiques de reconnaître la persécution des « Nomades », certaines personnes s’insurgèrent : les premiers concernés d’abord sans n’être aucunement entendus, puis des personnalités issues de l’action sociale comme, par exemple le #père_Fleury. Ce dernier avait été un témoin direct de l’internement et de la déportation depuis le camp de Poitiers où il avait exercé la fonction d’aumônier. Il contacta à plusieurs reprises le ministère des Anciens Combattants pour se plaindre du fait que les attestations qu’il rédigeait pour les anciens internés dans le but d’obtenir une reconnaissance n’étaient pas prises en compte. En 1963, les fonctionnaires de ce ministère lui répondirent que les demandes d’obtention du #statut d’interné politique faites par des « Nomades » n’aboutissaient pas faute d’archives et qu’il fallait qu’une enquête soit menée sur les conditions de vie des « Nomades » pendant la guerre.

    Le père Fleury mit alors en place une équipe qui aurait dû recenser, partout en France, les victimes et les lieux de persécution. Mais le président de la Commission interministérielle pour l’étude des populations d’origine nomade, le conseiller d’État Pierre Join-Lambert s’opposa à l’entreprise. C’est à peu près au même moment que celui-ci répondit également à l’ambassadeur d’Allemagne fédéral qu’il n’y avait pas lieu d’indemniser les « #Tziganes_français ». La position de Join-Lambert était claire : aucune #persécution_raciale n’avait eu lieu en France où les « Tsiganes » étaient demeurés libres.

    Cependant, à la fin des années 1960, devant la profusion des demandes d’obtention du statut d’internés politique de la part de « Nomades », le ministère des Anciens Combattants mena une enquête auprès des préfectures pour savoir si elles possédaient de la documentation sur « les conditions d’incarcération des Tsiganes et Gitans arrêtés sous l’Occupation ». Si certaines préfectures renvoyèrent des archives très parcellaires, certaines donnèrent sciemment de fausses informations. Le préfet du Loiret écrivit ainsi que, dans le camp de #Jargeau (l’un des plus grands camps d’internement de « Nomades » sur le territoire métropolitain), « les nomades internés pouvaient bénéficier d’une certaine liberté grâce à la clémence et à la compréhension de l’autorité administrative française ». En fait, les internés étaient forcés de travailler à l’extérieur des camps.

    Premières #commémorations, premières recherches universitaires (1980-2000)

    Pour répondre à l’occultation publique de leurs persécutions, des survivants roms, manouches, sinti, yéniches, gitans et voyageurs s’organisèrent pour rappeler leur histoire.

    À partir des années 1980, plusieurs associations et collectifs d’internés se formèrent dans le but de faire reconnaître ce qui doit être nommé par son nom, un génocide : on peut citer l’association nationale des victimes et des familles de victimes tziganes de France, présidée par un ancien interné, #Jean-Louis_Bauer, ou encore le Comité de recherche pour la mémoire du génocide des Tsiganes français avec à sa tête #Pierre_Young. Quelques manifestations eurent lieu : on peut rappeler celle qui eut lieu sur le pont de l’Alma à Paris, en 1980, lors de laquelle plusieurs dizaines de Roms et survivants de la déportation manifestèrent avec des pancartes : « 47 membres de ma famille sont morts en camps nazis pour eux je porte le Z ». Mais aucune action n’eut l’ampleur de celles du mouvement rom et sinti allemand qui enchaîna, à la même époque, grèves de la faim et occupation des bâtiments pour demander la reconnaissance du génocide des Roms et des Sinti.

    Cependant, la création de ces associations françaises coïncida avec le début des recherches historiques sur l’internement des « Nomades » en France, qui ne furent pas le fait d’historiens universitaires mais d’historiens locaux et d’étudiants. Jacques Sigot, instituteur à Montreuil-Bellay, se donna pour mission de faire l’histoire du camp de cette ville où avaient été internés plus de 1800 « Nomades » pendant la guerre. Rapidement, il fut rejoint dans ses recherches par d’anciens internés qui appartenaient, pour certains, à des associations mémorielles. Ainsi, paru en 1983, Un camp pour les Tsiganes et les autres… #Montreuil-Bellay 1940-1945. Plusieurs mémoires d’étudiants firent suite à cette publication pionnière : en 1984 sur le camp de #Saliers, en 1986 sur le camp de #Rennes et en 1988 sur le camp de #Jargeau.

    Les premières #plaques_commémoratives furent posées dans un rapport d’opposition à des autorités locales peu soucieuses de réparation. En 1985, Jean-Louis Bauer, ancien interné « nomade » et #Félicia_Combaud, ancienne internée juive réunirent leurs forces pour que soit inauguré une #stèle sur le site du camp de #Poitiers où ils avaient été privés de liberté. En 1988, le même Jean-Louis Bauer accompagné de l’instituteur Jacques Sigot et d’autres survivants imposèrent à la mairie de Montreuil-Bellay une stèle sur le site du camp. En 1991, grâce aux efforts et à la persévérance de Jean-Louis Bauer et après quatre années d’opposition, le conseil municipal de la commune accepta la pose d’une plaque sur le site de l’ancien camp de Jargeau.

    En 1992, sous cette pression, le Secrétariat d’État aux Anciens Combattants et Victimes de Guerre, le Secrétariat général de l’Intégration et la Fondation pour la Mémoire de la Déportation demandèrent à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) de mener une recherche intitulée : « Les Tsiganes de France 1939-1946. Contrôle et exclusion ». L’historien Denis Peschanski en fut nommé le responsable scientifique et, sous sa direction parut deux ans plus tard un rapport de 120 pages.

    Ce rapport apportait la preuve formelle de l’internement des « Nomades », mais certaines de ses conclusions étaient à l’opposé de ce dont témoignaient les survivants : il concluait en effet que la politique que les Allemands avaient mise en œuvre en France à l’égard des « Nomades » ne répondait pas à une volonté exterminatrice, en d’autres termes que les persécutions françaises n’étaient pas de nature génocidaire. De plus, le rapport ne dénombrait que 3 000 internés « tsiganes » dans les camps français : un chiffre bas qui ne manqua pas de rassurer les pouvoirs publics et de rendre encore les survivants encore plus méfiants vis-à-vis de l’histoire officielle.

    Popularisation de l’histoire des « Nomades » et premières reconnaissances nationales (2000-2020)

    Au début du XXIe siècle, les anciens internés « nomades » qui étaient adultes au moment de la guerre n’étaient plus très nombreux. La question de la préservation de leur mémoire se posait, alors même que les universitaires n’avaient pas cherché à collecter leurs paroles et les survivants n’avaient pas toujours trouvé les moyens de laisser de témoignages pérennes derrière eux.

    Les initiatives visant à préserver cette mémoire furent d’abord le fait de rencontres entre journalistes, artistes et survivants : en 2001, le photographe Mathieu Pernot documenta l’internement dans le camp de Saliers ; en 2003 et 2009, Raphaël Pillosio réalisa deux documentaires sur la persécution des « Nomades » ; en 2011, la journaliste Isabelle Ligner publia le témoignage de #Raymond_Gurême, interné avec sa famille successivement dans les camps de #Darnétal et de #Linas-Monthléry, dont il s’évada avant de rejoindre la Résistance.

    Les années 2000 popularisèrent l’histoire des « Nomades » à travers des bandes dessinées, des films ou, encore, des romans. Le 18 juillet 2010, Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants, mentionna pour la première fois l’internement des « Tsiganes » dans un discours officiel. Cette reconnaissance partielle fut aussitôt anéantie par des propos du président de la République, Nicolas Sarkozy associant les « gens du voyage » et les « Roms » à des délinquants. L’été 2010 vient rappeler que la reconnaissance des persécutions passées était épineuse tant que des discriminations avaient encore cours.

    En 2016, alors que la plupart des descendants d’internés et d’assignés à résidence « Nomades » étaient toujours soumis à un régime administratif de ségrégation, celui de la loi du 3 janvier 1969 les classant comme « gens du voyage », il fut décidé que le président de la République, François Hollande, se rendrait sur le site du camp de Montreuil-Bellay. Une cérémonie, qui eut lieu le 29 octobre 2016, fut préparée dans le plus grand secret : jusqu’au dernier moment, la présence du résident fut incertaine. Les survivants et leurs enfants invités étaient moins nombreux que les travailleurs sociaux et les membres d’associations ayant vocation à s’occuper des « gens du voyage » et aucun survivant ne témoigna. François Hollande déclara : « La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa #responsabilité est grande dans ce drame. » La souffrance ne fut pas qualifiée et la question du #génocide soigneusement évitée.

    Le Conseil d’État rejeta en septembre 2020 la demande de deux associations de Voyageurs et de forains d’ouvrir le régime d’indemnisation des victimes de spoliation du fait des lois antisémites aux victimes des lois antitsiganes. Il déclara que les « Tsiganes » n’avaient pas « fait l’objet d’une politique d’extermination systématique ». Si le Parlement européen a reconnu le génocide des Roms et des Sinti en 2015 et a invité les États membres à faire de même, la France de 2024 n’a toujours pas suivi cette recommandation.
    Résistances et liste mémorielle

    À partir de 2014, les descendants de « Nomades » et des Roms et Sinti persécutés par les nazis et les régimes collaborateurs changèrent de stratégie : ce n’était pas seulement en tant que victimes qu’ils voulaient se faire reconnaître, mais aussi en tant que résistants. Le mouvement européen du 16 mai (#romaniresistance), rappelant l’insurrection des internés du Zigeunerlager [camp de Tsiganes] d’Auschwitz-Birkenau quand des SS vinrent pour les conduire aux chambres à gaz, se propagea. Il réunit tous les ans la jeunesse romani et voyageuse européenne à l’appel de l’ancien interné français Raymond Gurême : « Jamais à genoux, toujours debout ! »

    La base de données « NOMadeS : Mur des noms des internés et assignés à résidence en tant que “Nomades” en France (1939-1946) » propose d’établir collaborativement une #liste aussi exhaustive que possible des internés et des assignés à résidence en tant que « Nomades » en France entre 1939 et 1946. Soutenue par plusieurs associations de descendants d’internés, elle servira d’appui à de nouvelles revendications mémorielles. Peut-être aussi à une demande de reconnaissance par la France du génocide des Manouches, des Roms, des Voyageurs, des Gitans, des Sinti et des Yéniches.

    https://aoc.media/analyse/2024/12/18/le-deni-des-persecutions-genocidaires-des-nomades

    #persécution #encampement #France #histoire #déni #internement #déportation #travail_forcé #reconnaissance

    • Mémorial des Nomades et Forains de France

      Le Mémorial des Nomades de France, sous le parrainage de Niki Lorier, œuvre pour une reconnaissance pleine et entière par la France de sa responsabilité dans l’internement et la déportation des Nomades de France entre 1914 et 1946,

      Il collecte les témoignages des survivants.

      Il propose des interventions en milieu scolaire et du matériel pédagogique sur le CNRD.

      Il réalise des partenariats avec des institutions mémorielles (Mémorial de la Shoah, Mémorial du camp d’Argelès, Mémorial du Camp de Rivesaltes) et des associations dans la réalisation d’expositions, de sites internets…

      Un comité scientifique a été mis en place en 2018.

      Il dispose d’un fond documentaire, et d’archives privées.

      –-

      #Manifeste :

      ▼ Le MÉMORIAL DES NOMADES DE FRANCE a été crée en 2016 en réaction à l’annonce par la Dihal que le discours du président de la République sur le site du camp de Montreuil-Bellay constituerait une reconnaissance officielle de la France. Pour nous, cette démarche est trompeuse et purement déclarative. Nous souhaitons que la reconnaissance des persécutions contre le monde du Voyage par les différents gouvernements entre 1912 et 1969 passe par la voie législative, sur le modèle de la journée de commémoration nationale de la Shoah votée par le parlement en 2000, suivie le 10 mai 2001, par l’adoption de la « loi Taubira », qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Rappelons que depuis 2015, le Parlement européen a fixé par un vote solennel au 2 août la date de la « Journée européenne de commémoration du génocide des Roms », journée non appliquée en France.

      ▼ Le MÉMORIAL DES NOMADES DE FRANCE demande l’application pleine et entière de la loi Gayssot de 1990, notamment dans l’Éducation Nationale. Sur tous les manuels d’histoires utilisés en France, seulement 5 mentionnent le génocide des Zigeuner par les Nazis, pas un ne fait mention des persécutions subies du fait des autorités françaises sous les différents gouvernements de la Troisième République, de « Vichy », du GPRF, ou de la IVe République. Nous sommes parfaitement conscients de la difficulté pour l’État, de reconnaître une situation encore en vigueur aujourd’hui par un procédé d’encampement généralisé de la catégorie administrative des dits « gens du voyage » dans le cadre des « lois Besson » de 1990 et 2000.

      ▼ Le MÉMORIAL DES NOMADES DE FRANCE, demande que l’habitat caravane soit reconnu comme un logement de plein droit, ouvrant un accès aux droits communs qui leurs sont déniés aux Voyageurs et Voyageuses, l’État se mettant enfin en conformité avec l’article premier de la Constitution de 1958.

      ▼ Le MÉMORIAL DES NOMADES DE FRANCE demande la dissolution de la Commission Nationale des Gens du Voyage, dernier organisme post-colonial d’État, qui organise la ségrégation territoriale des différents ethnies constituant le monde du Voyage en France, par le biais de l’application des lois Besson et l’abandon de celle-ci, garantissant la liberté de circulation pour tous et son corollaire, le droit de stationnement, dans des lieux décents, ne mettant pas en danger la santé et la sécurité des intéressés. Les textes existent, il suffit de s’y conformer. Le Conseil constitutionnel considère que la liberté de circulation est protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (il l’a notamment rappelé dans la décision du 5 août 2021). A ce titre la loi Égalité et Citoyenneté de 2017 a abrogé les carnets de circulation. Nous considérons que l’application de l’avis du Conseil Constitutionnel est incomplète, les dites « aires d’accueil » ou « de grands passages » servant justement à contrôler la circulation des Voyageurs sur le territoire métropolitain. C’est le seul moyen de mettre fin au dernier racisme systémique d’État.

      ▼ Le travail de recherche et de restitution historique du MÉMORIAL DES NOMADES DE FRANCE tend en ce sens.

      https://memorialdesnomadesdefrance.fr

  • Chocolaté. Le goût amer de la culture du #cacao

    De la #plantation à notre tablette de chocolat, Samy Manga raconte avec brio tout un monde d’#exploitation, à la frontière de l’intime et du politique.

    À dix ans, Abéna travaille avec son grand-père dans les plantations de cacao, au #Cameroun. Ce vaillant petit général des forêts équatoriales va vite prendre la mesure des dégâts humains et environnementaux causés par la #monoculture de la précieuse fève à la base du chocolat. Alors que les pays d’Afrique fournissent environ les deux-tiers de la production mondiale de cacao, que se cache-t-il derrière le commerce de cette matière première parmi les plus prisées au monde ? Au Nord, petits et grands raffolent de desserts et friandises, mais sont-ils conscients de la misère que la « #cacaomania » inflige à l’Afrique ?

    À travers le parcours d’Abéna, Chocolaté nous révèle le côté obscur de la culture du cacao, emblématique des rapports économiques néocoloniaux qu’entretiennent les #multinationales de l’or vert avec les pays du Sud. #Pauvreté des producteurs, #travail_forcé des enfants, #empoisonnement aux #pesticides, contamination des eaux et des sols, #déforestation massive, perte de #biodiversité… Pour les pays producteurs africains qui ne touchent qu’une infime fraction des dizaines de milliards de dollars engrangés chaque année par l’industrie, la culture du cacao a un goût bien amer.

    Dans ce récit vivant où s’entrecroisent habilement l’élan poétique, la transmission de la mémoire ancestrale et l’indignation politique, #Samy_Manga nous emmène au pays de son enfance, sous le grand manguier où se tient la vente annuelle du cacao. Au cœur de la nuit retentit son cri de rage devant la #violence de l’exploitation des ressources et des humains du Continent Premier.

    https://ecosociete.org/livres/chocolate
    #chocolat #industrie_agro-alimentaire
    #livre #industrie_agro-alimentaire #ressources_pédagogiques

  • #Charlotte_Delbo et les #femmes du convoi 31000 : enquête sur les #traces d’un #camp_nazi oublié

    Le taxi s’engagea sur un chemin juste à côté de la route principale qui partait du musée d’Auschwitz vers le sud et passa devant une rangée de bungalows avec des jardins un peu en pagaille en ce mois de novembre. Il s’arrêta devant une paire de grilles rouillées, à moitié ouvertes, dont le cadenas pendait. À l’intérieur, on pouvait apercevoir des serres délabrées et envahies par la végétation.

    En sortant du taxi, j’ai poussé les grilles et je suis entrée. Je me suis approchée des serres, en essayant d’imaginer les travailleurs du camp de concentration et d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, situé à proximité, qui ont construit et travaillé de force à cet endroit à partir de 1943.

    Il s’agissait des vestiges du sous-camp de #Rajsko, l’un des 40 #camps_de_concentration satellites d’#Auschwitz.

    Ce fut autrefois une #station_botanique expérimentale nazie destinée à soutenir l’usine #IG_Farben en cultivant et en extrayant le #latex d’une espèce de #pissenlit russe (#Taraxacum_kok-saghyz afin de répondre aux besoins de plus en plus importants des nazis en matière de #caoutchouc de guerre. Le camp était l’enfant rêvé de #Heinrich_Himmler, l’un des principaux architectes des programmes génocidaires d’Hitler.

    Malgré les intentions de Himmler, Rajsko ne produisit pas de caoutchouc et fut liquidé par les nazis en 1945. La station botanique s’est dégradée avant d’être transformée en jardinerie commerciale privée. Elle a été largement oubliée et il était très difficile d’en retrouver l’emplacement – même le personnel du service clientèle auquel j’ai parlé au musée d’Auschwitz n’en avait aucune connaissance.

    Une grande partie du village de Rajsko a été déboisée pour permettre aux SS d’établir cette station de recherche botanique ainsi qu’un SS #Hygiene_Institut. Il s’agissait d’une clinique où l’on examinait le sang et d’autres fluides corporels pour y déceler les signes du #typhus (une des principales causes de mortalité dans les camps), du #paludisme et de la #syphilis.

    Plus tard, le célèbre médecin nazi #Josef_Mengele, qui s’intéressait à la #génétique_raciale, a mené des expériences sur des jumeaux roms et sinti à l’Institut d’hygiène SS. À partir de mai 1944, les sujets des expériences de Mengele ont également été prélevés sur les rampes de déchargement d’Auschwitz.

    Malgré ce passé, il n’y avait pas de panneaux indicateurs, de guides ou de centres d’accueil à Rajsko. Ce camp de concentration a été largement oublié en tant que site historique. Il n’a pas été facile de le retrouver. Après être entrée, je suis tombée sur les deux vieux propriétaires de la #jardinerie, penchés sur des brouettes et des pots de fleurs. Comme je ne parle pas polonais et qu’ils ne parlent pas anglais, nous avons communiqué par l’intermédiaire de leur fils anglophone, que la femme a appelé sur son portable.

    J’ai expliqué ce que je recherchais et, par son intermédiaire, j’ai pu jeter un coup d’œil. Le fils, un homme d’une trentaine d’années, est arrivé peu de temps après, de retour de son service de nuit et prêt à se coucher. Je n’ai pas retenu son nom, mais il a eu la gentillesse de m’emmener, à travers un mur de buissons envahissants, jusqu’au bâtiment central du site, à partir duquel les serres s’étendent en rangées ordonnées vers le nord et le sud. Le bâtiment est fermé à clé et inaccessible.

    Là, une #plaque écrite en polonais est apposée sur le mur, masquée par les arbres. Il s’agit de la seule information et #commémoration de Rajsko en tant que #camp_de_travail_forcé nazi. On peut y lire :

    « De 1942 à 1945, le #jardin_de_Rajsko a été un lieu de #travail_forcé pour les prisonniers et les prisonnières du camp de concentration d’Auschwitz. »

    La chasse au #convoi 31000

    Je me suis rendue à Rajsko à la fin de l’année 2023 dans le cadre d’un voyage de recherche doctorale aux archives d’Auschwitz. J’étais sur la piste du #convoi_31000. Il s’agit du seul transport vers Auschwitz-Birkenau composé uniquement de 230 femmes déportées de France pour leur #activisme_politique, et non en tant que juives.

    Mais seuls des instantanés ont été conservés dans les archives.

    Ce que nous savons, c’est que le groupe était composé de femmes issues de toute la société, parmi lesquelles des enseignantes, des étudiantes, des chimistes, des écrivaines, des couturières et des femmes au foyer. Il y avait une chanteuse de l’Opéra de Paris, une sage-femme et une chirurgienne-dentiste. Ces femmes courageuses ont distribué des tracts antinazis, imprimé des journaux subversifs, caché des résistants et des Juifs, transporté des armes et transmis des messages clandestins.

    La plus jeune était #Rosie_Floch, une écolière de 15 ans qui avait griffonné « V » comme victoire sur les murs de son école, tandis que la plus âgée, une veuve sexagénaire nommée #Marie_Mathilde_Chaux, avait hébergé des membres de la Résistance française. La Gestapo et la police française ont traqué toutes ces femmes et les ont emprisonnées au #Fort_de_Romainville, dans la banlieue de Paris, avant de les mettre dans un train – le convoi 31000 – à destination d’Auschwitz en 1943.

    Je cherchais en particulier des traces des personnes et des lieux que Charlotte Delbo mentionne dans sa littérature. Delbo était une participante non juive à la Résistance française et fait l’objet de ma recherche doctorale, qui examine comment les représentations vestimentaires de Delbo révèlent toutes sortes d’histoires extraordinaires et oubliées sur l’expérience des femmes pendant l’occupation de la France et l’Holocauste.

    Née en 1913 dans la banlieue de Paris au sein d’une famille ouvrière d’origine italienne, Delbo a travaillé comme assistante du célèbre directeur de théâtre et acteur Louis Jouvet et s’est inscrite aux #Jeunesses_communistes. Pendant les premières années de l’occupation nazie de la France, elle a aidé son mari #Georges_Dudach à produire des textes clandestins et à traduire des émissions radiophoniques en provenance du Royaume-Uni et de Russie.

    Delbo et son mari ont été arrêtés par une division spéciale de la police française en mars 1942, et son mari a été exécuté par la #Wehrmacht à #Paris en mai de la même année. Elle a été détenue dans deux prisons à Paris avant d’être déportée à #Auschwitz-Birkenau en janvier 1943, puis transférée à Rajsko en août de la même année, avant d’être finalement transférée au camp de concentration de #Ravensbrück dans le nord de l’Allemagne en janvier 1944.

    Delbo a été évacuée par la Croix-Rouge suédoise en avril 1945 et rapatriée à Paris où elle a passé les 40 années suivantes à écrire sur son expérience et sur d’autres périodes d’oppression, ainsi qu’à travailler comme traductrice pour l’ONU et pour le sociologue Henri Lefebvre. Elle est décédée en mars 1985.

    L’œuvre de Delbo comprend de la prose, de la poésie et du théâtre, ainsi que des textes documentaires. Elle est importante parce que son langage attire l’attention sur des histoires négligées ou cachées, notamment celle des déportés non juifs à Auschwitz. Elle s’intéresse à des lieux peu connus comme Rajsko, aux femmes membres de la Résistance française et à la façon dont les enfants vivent l’héritage de la guerre.

    Elle est l’un des auteurs les plus brillants et les plus stimulants à avoir survécu à Auschwitz, mais la plupart de ses écrits restent relativement méconnus.

    Son ouvrage le plus célèbre est Auschwitz et après, qui donne un aperçu de son séjour à Rajsko. Dans un autre ouvrage, Le Convoi du 24 janvier, Delbo écrit la biographie de chaque femme du convoi. Il s’agit d’une compilation de souvenirs, de recherches et de correspondances menée par une équipe de survivantes. Les histoires racontées mettent en évidence l’hétérogénéité des femmes du convoi, les destructions causées à la vie des femmes elles-mêmes et de leurs familles et la complicité de la police française avec les nazis. Dans un passage du Convoi du 24 janvier, Delbo écrit :

    « Sur les 230 qui chantaient dans les wagons au départ de Compiègne le 24 janvier 1943, quarante-neuf sont revenues après vingt-sept mois de déportation. Pour chacune, un miracle qu’elle ne s’est pas expliqué. »

    Les mensonges nazis dans les archives d’Auschwitz

    Le matin suivant ma visite à Rajsko, j’étais assise dans l’un des baraquements en briques surplombant la tristement célèbre porte « Arbeit Macht Frei » (« Le travail rend libre ») d’Auschwitz I. C’est là que se trouvent les archives du musée d’Auschwitz, et l’archiviste Szymon Kowalski m’a présenté l’histoire de la collection.

    Depuis le Royaume-Uni, j’avais commandé à l’avance des documents concernant Delbo et d’autres membres de son convoi auprès de Wojciech Płosa, responsable des archives. Je n’avais aucune idée du nombre de jours de travail qu’il me faudrait pour parcourir ce matériel et le relier aux textes de Delbo. J’espérais avoir suffisamment de temps pendant ma visite de quatre jours.

    J’ai été stupéfaite d’apprendre de la bouche de Kowalski qu’à peine 5 % des archives du système d’Auschwitz ont survécu, dont seulement 20 à 30 % concernent des femmes. Des recherches antérieures ont également mis en évidence la question des #trous_noirs dans les #archives.

    La perte de 95 % des archives est due à deux systèmes politiques différents qui ont tenté successivement de contrôler l’information sur le passé nazi. Tout d’abord, les SS ont détruit des tonnes de documents à l’approche de l’Armée rouge soviétique en janvier 1945. Ensuite, les Soviétiques ont confisqué les documents après la libération du camp et les ont ramenés à Moscou. Certains ont été remis en circulation dans les années 1990 pendant la perestroïka, mais les autres sont restés en Russie.

    Quelle chance avais-je alors de retrouver Delbo et les femmes dont elle parle dans ses livres si un pourcentage aussi infime des dossiers contenait des références à des femmes ?

    Heureusement pour moi, Płosa avait déjà commencé à affiner ma recherche. Une grande pile de registres pesait sur le bureau devant moi, chacun avec des signets aux pages pertinentes.

    Les archives contenaient deux références à Delbo et les deux mentions attestaient de sa présence à Rajsko. La première mention plaçait Delbo à l’infirmerie de Rajsko entre le 4 et le 8 juillet 1943, souffrant d’une « magen gryppe » (grippe intestinale). En revanche, je n’ai pas pu lire la seconde mention. Elle semblait faire référence à des tests biologiques subis par Delbo à l’Institut d’hygiène SS, mais le volume se trouvait dans le département de conservation et n’était pas disponible pour consultation.

    Pourtant, j’ai vu sur la liste du Dr Płosa que ce volume indisponible contenait également les dossiers de 11 autres femmes du convoi de Delbo, dont certaines étaient membres du groupe de travail envoyé à Rajsko.

    Après avoir creusé un peu plus, j’ai commencé à tirer des conclusions de ces 12 mentions dans le registre de l’Institut d’hygiène SS. La proximité des numéros de page contenant des références à ces femmes suggère que des tests de routine ont été effectués sur elles pendant qu’elles étaient en quarantaine à Auschwitz-Birkenau avant leur transfert à Rajsko. Les SS ne voulaient que des femmes en bonne santé pour travailler avec les précieux pissenlits dans les serres et les laboratoires de Rajsko (dans l’intérêt de la santé des plantes, pas de celle des travailleuses).

    Plus tard, à mon hôtel, j’ai recoupé les noms des femmes figurant dans le registre de l’Institut d’hygiène SS avec l’affirmation de Delbo selon laquelle toutes les femmes du convoi 31000 transférées d’Auschwitz-Birkenau à Rajsko ont survécu à la guerre. La plupart des prisonnières qui ont été contraintes de rester à Birkenau y sont mortes quelques semaines après leur arrivée en janvier 1943. En fait, au mois d’août de cette année-là, il ne restait plus que 57 prisonnières en vie sur les 230 présentes à l’origine. Seules 17 furent transférées à Rajsko. Parmi elles, cinq semblent être mortes avant la fin de leur séjour en quarantaine. Les 12 autres, dont Delbo, ont survécu à Rajsko.

    Delbo attribue la survie de son groupe au transfert à Rajsko et à la période de quarantaine qui l’a précédé. Ce sous-camp dans lequel les travailleurs forcés étaient exécutés semblait, paradoxalement, sauver des vies.

    Retrouver #Raymonde_Salez

    Le lendemain, j’ai examiné le registre des certificats de décès des prisonnières et j’ai vu qu’un membre du convoi de Delbo, Raymonde Salez, était enregistrée comme décédée le 4 mars 1943 à 10h20 de « grippe bei körperschwäche » (grippe et faiblesse générale du corps), le certificat étant signé par un certain « Dr Kitt ». Kowalski m’avait déjà expliqué que les dates, heures et causes de décès étaient fabriquées sur les certificats de décès et qu’aucune mention d’Auschwitz n’était faite afin de dissimuler au grand public la raison d’être du camp.

    N’ayant pas le droit de prendre des photos, j’ai noté avec diligence tous les détails du certificat de décès de Raymonde Salez, au cas où ils seraient utiles. Bien que ce nom ne me soit pas familier, je savais que Delbo avait consigné les noms et surnoms de toutes les femmes de son convoi dans Le Convoi du 24 janvier, ainsi que dans certains de ses autres ouvrages, et je voulais voir si le nom de Salez était mentionné quelque part. De retour à mon hôtel plus tard dans la soirée, j’ai commencé ma recherche de Raymonde Salez.

    J’ai sursauté lorsque j’ai réalisé que Salez était une femme que j’ai appris à connaître grâce à la pièce de Delbo Les Hommes et à ses monologues de survivants Mesure de nos jours. Dans ces textes, Delbo désigne Salez par son nom de guerre, « Mounette », mais la biographie qu’elle consacre à cette femme dans Le Convoi du 24 janvier indique que son vrai nom est Raymonde Salez.

    La pièce de Delbo, Les Hommes, se déroule dans un autre site moins connu de l’Holocauste, le camp de détention de la Gestapo du Fort de Romainville, en banlieue parisienne. C’est là que les femmes du Convoi 31000 ont été détenues juste avant leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Dans cette pièce, #Mounette apparaît comme une jeune femme blonde, jolie, les joues roses, qui porte de la lingerie luxueuse en soie framboise empruntée pour jouer dans un spectacle de théâtre que les prisonnières montent dans le camp de détention. Elle est décrite comme « tout à fait mignonne » et son fiancé la voit « avec des anglaises et des petits nœuds dans ses beaux cheveux ».

    Jeune, jolie et dynamique, Mounette s’engage dans la Résistance française et est arrêtée en juin 1942. Elle est déportée à Auschwitz avec le reste du convoi 31000 le 24 janvier 1943. Six semaines plus tard, la voici dans les archives. Morte.

    J’ai pleuré en réalisant qui était vraiment cette personne. Je connaissais si bien le personnage de Mounette, mais la découverte des archives l’a fait revivre.

    Mais lorsque j’ai comparé l’acte de décès de Salez avec le texte de Delbo, j’ai constaté une divergence : Delbo indique que la mort de Mounette est survenue le 9 mars à la suite d’une dysenterie, alors que les nazis ont enregistré la mort de Salez le 4 mars, à la suite d’une grippe et d’un épuisement. Delbo a expliqué comment les détenus se souvenaient de dates et de détails clés à Auschwitz afin de pouvoir témoigner plus tard. Cette divergence semblait être la preuve des mensonges nazis (rappelons que dissimuler leurs crimes et supprimer les preuves était une procédure opérationnelle standard).

    En même temps, bien que le certificat de décès de Salez semble contenir des informations falsifiées, il est important car c’est la seule trace documentée à Auschwitz-Birkenau de sa présence, car il n’existe pas de photographie d’elle en prisonnière.

    https://www.youtube.com/watch?v=6iIHqGjpzYg

    Il reste donc des questions sans réponse perdues dans les archives et ces lacunes attirent l’attention sur la façon dont Salez et tant d’autres personnes ont perdu la vie et ont disparu sans laisser de traces. Néanmoins, cette trace historique est précieuse, étant donné qu’il ne reste qu’un faible pourcentage de documents sur les femmes à Auschwitz.

    Les références à Mounette et à Salez se trouvent dans les ruines des archives et démontrent à quel point le #musée_d’Auschwitz est inestimable, à la fois pour sauvegarder l’histoire et pour mettre en lumière la corruption de celle-ci par les nazis.

    L’examen des références à Mounette dans la littérature de Delbo a permis de mettre en lumière cette ambiguïté. La littérature de Delbo contient également des instantanés de Mounette, qui autrement aurait disparu sans laisser de traces ; elle enregistre des fragments non seulement de son incarcération et de sa mort, mais aussi de sa vie avant qu’elle ne soit consumée par l’Holocauste. Comme l’écrit Delbo :

    « Chère petite Mounette, comme elle est fine, comme elle est douée, si curieuse de tout, avide de tout apprendre. »

    Le bloc de la mort

    Le troisième jour de mon voyage, j’ai visité le centre d’extermination et le camp de travail forcé d’#Auschwitz-Birkenau. J’ai été bouleversée par l’ampleur du site, les rangées de baraquements qui semblaient interminables. J’ai été stupéfaite par le nombre considérable et incompréhensible de victimes d’Auschwitz-Birkenau, par l’étendue de leur anonymat, par l’énorme absence qui remplit l’endroit.

    Ma visite s’est concentrée, non pas sur les chambres à gaz où les juifs entrants ont été assassinés, mais sur les baraquements où les femmes du convoi de Delbo ont été logées : les blocs 14 et 26 de la zone BIa.

    Au bloc 26, j’ai été confrontée à l’horreur : le bloc 25 adjacent était le bloc de la mort. C’est là que les femmes mouraient de faim. Le bloc 26 voisin de Delbo avait une rangée de fenêtres donnant sur l’unique cour fermée du bloc de la mort, ce qui signifie qu’elle et ses camarades de baraquement ont été témoins des personnes laissées pour mortes, criant au secours, empilées à la fois mortes et vivantes dans des camions pour être transportées vers les fours crématoires.

    Le bloc de la mort figure dans de nombreux chapitres très durs d’Aucun de nous ne reviendra, le premier volume d’Auschwitz et après, de façon particulièrement choquante dans « Les Mannequins » et de façon plus touchante peut-être dans « La jambe d’Alice ». Elle y décrit la mort de sa camarade, la chanteuse d’opéra parisienne Alice Viterbo, qui portait une prothèse de jambe.

    Lors d’une « sélection » au début du mois de février 1943, quelques jours seulement après l’arrivée des femmes et au cours de laquelle elles étaient forcées de courir, Alice a fait partie des femmes qui sont tombées et elle a été abandonnée par ses camarades. Elle est alors emmenée au bloc de la mort. À travers la fenêtre grillagée, Alice supplie qu’on lui donne du poison. Alice meurt le 25 ou le 26 février, Delbo ne sait pas exactement, mais elle sait que « La plus longue à mourir a été Alice ». Sa prothèse de jambe est restée dans la neige derrière le bloc pendant plusieurs jours.

    #Alice_Viterbo, une Italienne née en Égypte en 1895, était chanteuse à l’Opéra de Paris jusqu’à ce qu’elle perde une jambe dans un accident de voiture, après quoi elle a quitté la scène et ouvert une école de chant et d’expression orale. Delbo rapporte que la raison de l’arrestation de Viterbo est inconnue mais qu’elle pourrait avoir été impliquée dans un réseau de résistance. Viterbo a fait un effort « surhumain » pour courir lors de la sélection d’Auschwitz-Birkenau, étant déjà debout à l’appel depuis 3 heures du matin.

    Combien d’autres femmes attendent d’être redécouvertes ?

    Il m’a suffi de quatre jours pour découvrir l’existence de Salez, de Rajsko et des mensonges nazis à propos du camp et de ces travailleuses. Qui sait combien d’autres femmes sont oubliées, leur histoire attendant d’être retrouvée ?

    Mon voyage dans les ruines du complexe du camp d’Auschwitz renforce encore la valeur de la littérature de Delbo. Elle apporte un témoignage sur des personnes, des lieux et des expériences qui se sont perdus dans l’histoire. Elle met également en évidence les lacunes et les mensonges de l’histoire. Et elle nous rappelle celles qui, comme Salez, ont disparu sans laisser de traces, leur mort n’ayant pas été commémorée par une tombe. En représentant ces oubliées, la littérature de Delbo se souvient de leur existence. Les quelques fragments qui restent de leur vie sont précieux et soulignent encore plus ce que nous avons perdu avec leur disparition.

    https://www.youtube.com/watch?v=69iCBeHQ0Sw

    En visitant les lieux dont parle Delbo dans sa littérature saisissante et dépouillée, j’ai pris conscience de l’horreur de ce qu’elle et les autres femmes de son convoi ont vécu, du décalage entre ce qu’elles ont vécu et #ce_qui_reste sur le site, et du défi que représente la manière de le représenter par des mots ; d’essayer de combler le fossé d’incompréhension avec tous ceux d’entre nous qui n’étaient pas là.

    C’est une lacune que Delbo a elle-même ressentie, comme elle l’a exprimé dans Auschwitz et après :

    Ce point sur la carte
    Cette tache noire au centre de l’Europe
    cette tache rouge
    cette tache de feu cette tache de suie
    cette tache de sang cette tache de cendres
    pour des millions
    un lieu sans nom.
    De tous les pays d’Europe
    de tous les points de l’horizon
    les trains convergeaient
    vers l’in-nommé
    chargés de millions d’êtres
    qui étaient versés là sans savoir où c’était
    versés avec leur vie
    avec leurs souvenirs
    avec leurs petits maux
    et leur grand étonnement
    avec leur regard qui interrogeait
    et qui n’y a vu que du feu,
    qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
    Aujourd’hui on sait
    Depuis quelques années on sait
    On sait que ce point sur la carte
    c’est Auschwitz
    On sait cela
    Et pour le reste on croit savoir.

    https://theconversation.com/charlotte-delbo-et-les-femmes-du-convoi-31000-enquete-sur-les-trace
    #WWII #seconde_guerre_mondiale #déboisement #oubli #déportation

  • The Long Shadow of German Colonialism. Amnesia, Denialism and Revisionism

    From 1884 to 1914, the world’s fourth-largest overseas colonial empire was that of the German #Kaiserreich. Yet this fact is little known in Germany and the subject remains virtually absent from most school textbooks.

    While debates are now common in France and Britain over the impact of empire on former colonies and colonising societies, German imperialism has only more recently become a topic of wider public interest. In 2015, the German government belatedly and half-heartedly conceded that the extermination policies carried out over 1904–8 in the settler colony of German South West Africa (now Namibia) qualify as genocide. But the recent invigoration of debate on Germany’s colonial past has been hindered by continued amnesia, denialism and a populist right endorsing colonial revisionism. A campaign against postcolonial studies has sought to denounce and ostracise any serious engagement with the crimes of the imperial age.

    #Henning_Melber presents an overview of German colonial rule and analyses how its legacy has affected and been debated in German society, politics and the media. He also discusses the quotidian experiences of Afro-Germans, the restitution of colonial loot, and how the history of colonialism affects important institutions such as the Humboldt Forum.

    https://www.hurstpublishers.com/book/the-long-shadow-of-german-colonialism
    #livre #Allemagne #colonialisme #colonialisme_allemand #histoire_coloniale #histoire #héritage #héritage_colonial #Allemagne_coloniale #Afro-allemands #impérialisme #impérialisme_allemand #Namibie #génocide #amnésie #déni #révisionnisme

    ping @_kg_ @cede @reka

    • German colonialism in Africa has a chilling history – new book explores how it lives on

      Germany was a significant – and often brutal – colonial power in Africa. But this colonial history is not told as often as that of other imperialist nations. A new book called The Long Shadow of German Colonialism: Amnesia, Denialism and Revisionism aims to bring the past into the light. It explores not just the history of German colonialism, but also how its legacy has played out in German society, politics and the media. We asked Henning Melber about his book.
      What is the history of German colonialism in Africa?

      Imperial Germany was a latecomer in the scramble for Africa. Shady deals marked the pseudo-legal entry point. South West Africa (today Namibia), Cameroon and Togo were euphemistically proclaimed to be possessions under “German protection” in 1884. East Africa (today’s Tanzania and parts of Rwanda and Burundi) followed in 1886.

      German rule left a trail of destruction. The war against the Hehe people in east Africa (1890-1898) signalled what would come. It was the training ground for a generation of colonial German army officers. They would apply their merciless skills in other locations too. The mindset was one of extermination.

      The war against the Ovaherero and Nama people in South West Africa (1904-1908) culminated in the first genocide of the 20th century. The warfare against the Maji Maji in east Africa (1905-1907) applied a scorched earth policy. In each case, the African fatalities amounted to an estimated 75,000.

      “Punitive expeditions” were the order of the day in Cameroon and Togo too. The inhuman treatment included corporal punishment and executions, sexual abuse and forced labour as forms of “white violence”.

      During a colonial rule of 30 years (1884-1914), Germans in the colonies numbered fewer than 50,000 – even at the peak of military deployment. But several hundred thousand Africans died as a direct consequence of German colonial violence.
      Why do you think German debate is slow around this?

      After its defeat in the first world war (1914-1918), the German empire was declared unfit to colonise. In 1919 the Treaty of Versailles allocated Germany’s territories to allied states (Great Britain, France and others). The colonial cake was redistributed, so to speak.

      This did not end a humiliated Germany’s colonial ambitions. In the Weimar Republic (1919-1933) colonial propaganda flourished. It took new turns under Adolf Hitler’s Nazi regime (1933-1945). Lebensraum (living space) as a colonial project shifted towards eastern Europe.

      The Aryan obsession of being a master race culminated in the Holocaust as mass extermination of the Jewish people. But victims were also Sinti and Roma people and other groups (Africans, gays, communists). The Holocaust has overshadowed earlier German crimes against humanity of the colonial era.

      After the second world war (1939-1945), German colonialism became a footnote in history. Repression turned into colonial amnesia. But, as Jewish German-US historian and philosopher Hannah Arendt suggested in 1951 already, German colonial rule was a precursor to the Nazi regime. Such claims are often discredited as antisemitism for downplaying the singularity of the Holocaust. Such gatekeeping prevents exploration of how German colonialism marked the beginning of a trajectory of mass violence.
      How does this colonial history manifest today in Germany?

      Until the turn of the century, colonial relics such as monuments and names of buildings, places and streets were hardly questioned. Thanks to a new generation of scholars, local postcolonial agencies, and not least an active Afro-German community, public awareness is starting to change.

      Various initiatives challenge colonial memory in the public sphere. The re-contextualisation of the Bremen elephant, a colonial monument, is a good example. What was once a tribute to fallen colonial German soldiers became an anticolonial monument memorialising the Namibian victims of the genocide. Colonial street names are today increasingly replaced with names of Africans resisting colonial rule.

      Numerous skulls – including those of decapitated African leaders – were taken to Germany during colonialism. These were for pseudo scientific anthropological research that was obsessed with white and Aryan superiority. Descendants of the affected African communities are still in search of the remains of their ancestors and demand their restitution.

      Similarly, cultural artefacts were looted. They have remained in the possession of German museums and private collections. Systematic provenance research to identify the origins of these objects has only just begun. Transactions such as the return of Benin bronzes in Germany remain a matter of negotiations.

      The German government admitted, in 2015, that the war against the Ovaherero and Nama in today’s Namibia was tantamount to genocide. Since then, German-Namibian negotiations have been taking place, but Germany’s limited atonement is a matter of contestation and controversy.
      What do you hope readers will take away from the book?

      The pain and exploitation of colonialism lives on in African societies today in many ways. I hope that the descendants of colonisers take away an awareness that we are products of a past that remains alive in the present. That decolonisation is also a personal matter. That we, as the offspring of colonisers, need to critically scrutinise our mindset, our attitudes, and should not assume that colonial relations had no effect on us.

      Remorse and atonement require more than symbolic gestures and tokenism. In official relations with formerly colonised societies, uneven power relations continue. This borders on a perpetuation of colonial mindsets and supremacist hierarchies.

      No former colonial power is willing to compensate in any significant way for its exploitation, atrocities and injustices. There are no meaningful material reparations as credible efforts of apology.

      The colonial era is not a closed chapter in history. It remains an unresolved present. As the US novelist William Faulkner wrote: “The past is never dead. It’s not even past.”

      https://theconversation.com/german-colonialism-in-africa-has-a-chilling-history-new-book-explor

      #Cameroun #Togo #Tanzanie #Rwanda #Burundi #Hehe #Ovaherero #Nama #Maji_Maji #expéditions_punitives #abus_sexuels #travail_forcé #white_violence #violence_blanche #violence #Lebensraum #nazisme #Adolf_Hitler #Hitler #monuments #Kolonialelefant #Brême #toponymie #toponymie_coloniale #toponymie_politique

  • New UNHCR/IOM/MMC Report Highlights Extreme Horrors Faced by Migrants and Refugees on Land Routes to Africa’s Mediterranean Coast

    Refugees and migrants continue to face extreme forms of violence, human rights violations and exploitation not just at sea, but also on land routes across the African continent, towards its Mediterranean coastline. This is according to a new report released today by UNHCR, the UN Refugee Agency, the International Organization for Migration (IOM) and the Mixed Migration Centre (MMC), titled “On this journey, no-one cares if you live or die” (Volume 2).

    With more people estimated to cross the Sahara Desert than the Mediterranean Sea – and deaths of refugees and migrants in the desert presumed to be double those happening at sea – the report casts light on the much less documented and publicized perils facing refugees and migrants on these land routes.

    Spanning a 3-year data collection period, the report also warns of an increase in the number of people attempting these perilous land crossings and the protection risks they face.

    This is in part the result of deteriorating situations in countries of origin and host countries – including the eruption of new conflicts in the Sahel and Sudan, the devastating impact of climate change and disasters on new and protracted emergencies in the East and Horn of Africa, as well as the manifestation of racism and xenophobia affecting refugees and migrants.

    The report also notes that across parts of the continent, refugees and migrants are increasingly traversing areas where insurgent groups, militias and other criminal actors operate, and where human trafficking, kidnapping for ransom, forced labour and sexual exploitation are rife. Some smuggling routes are now shifting towards more remote areas to avoid active conflict zones or border controls by State and non-State actors, subjecting people on the move to even greater risks.

    Among the litany of risks and abuses reported by refugees and migrants are torture, physical violence, arbitrary detention, death, kidnapping for ransom, sexual violence and exploitation, enslavement, human trafficking, forced labour, organ removal, robbery, arbitrary detention, collective expulsions and refoulement.

    Criminal gangs and armed groups are reported as the main perpetrators of these abuses, in addition to security forces, police, military, immigration officers and border guards.

    Despite commitments undertaken by the international community to save lives and address vulnerabilities, in accordance with international law, the three organizations warn that current international action is inadequate.

    Huge gaps in protection and assistance prevail across the Central Mediterranean route, pushing refugees and migrants to move onward on dangerous journeys. Specific support as well as access to justice for survivors of various forms of abuse is rarely available anywhere on the routes. Inadequate funding and restrictions on humanitarian access (including in key locations such as informal detention centres and holding facilities) are also hampering support.

    On their part, UNHCR, IOM, partners and several governments have stepped up life-saving protection services and assistance, identification and referral mechanisms along the routes – but humanitarian action is not enough.

    The organizations are calling for concrete, routes-based protection responses to save lives and reduce suffering, as well as a push to address the root causes of displacement and drivers of irregular movements– through positive action on peacebuilding, respect for human rights, governance, inequality, climate change and social cohesion, as well as the creation of safe pathways for migrants and refugees. These should span countries of origin, asylum, transit and destination.

    The organizations hope the report’s findings will bolster action to address the current gaps in the response towards people on the move.

    https://www.iom.int/news/new-unhcr-iom-mmc-report-highlights-extreme-horrors-faced-migrants-and-refugees

    #rapport #migrations #réfugiés #mourir_aux_frontières #morts_aux_frontières #violence #exploitation #Afrique #Méditerranée #Sahara #désert_du_Sahara #travail_forcé #milices #kidnapping #trafic_d'êtres_humains #risques #violence_physique #torture #exploitation_sexuelle #esclavage #trafic_d'organes #détention_arbitraire #refoulements #expulsions_collectives #gangs #groupes_armés #forces_de_l'ordre #protection

    • On This Journey, No One Cares if You Live or Die: Abuse, Protection and Justice along Routes between East and West Africa and Africa’s Mediterranean Coast – Volume 2

      In the complex landscape of migration, this second volume of the report, On This Journey, No One Cares if You Live or Die, emerges as a crucial body of work that sheds light on the stark realities faced by refugees and migrants traversing the perilous Central Mediterranean route all the way from East and Horn of Africa and West Africa to the North African coast of the Mediterranean and across the sea. Jointly published by IOM, MMC and UNHCR, this report delves into the protection risks faced by refugees and migrants during these journeys. It aims to inform increased and concrete routes-based protection responses to reduce the suffering associated with the desperate journeys refugees and migrants undertake, and to serve as a call to action in addressing the root causes of displacement and drivers of irregular migration through positive action on peace, climate change, governance, inequality and social cohesion, as well as the creation of safe migration pathways.

      https://publications.iom.int/books/journey-no-one-cares-if-you-live-or-die

  • Les #Voix_croisées - #Xaraasi_Xanne



    Using rare cinematic, photographic and sound archives, Xaraasi Xanne (Crossing Voices) recounts the exemplary adventure of #Somankidi_Coura, an agricultural #cooperative created in #Mali in 1977 by western African immigrant workers living in workers’ residences in France. The story of this improbable, utopic return to the Sahel region follows a winding path that travels through the ecological and decolonial challenges and conflicts of agriculture practices and sensing from the 1970s to the present day. One of the major actors of the movement, #Bouba_Touré, tells this story by plunging into the heart of his personal archives, which document the fights of farmers in France and in Mali, as well as those of immigrant workers, over a period of decades. The film is also a story about dialogues and transmission, friendships and cinematic geographies. Over the course of the film, different voices, enter the sound-scape to accompany Bouba Touré’s telling; they bring the tale of a forgotten memory toward a possible future sung by a polyphonic griot.

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/64570
    #film #documentaire #film_documentaire #travailleurs_immigrés #coopérative_agricole #Somankidi #agriculture #retour_au_pays #fleuve_Sénégal #régularisation #sans-papiers #travailleurs_sans-papiers #travail #exploitation #logement #racisme #mal-logement #foyer #marchands_de_sommeil #conditions_de_vie #taudis #tuberculeuse #Fode_Sylla #lutte #grève_des_loyers #université_libre_de_Vincennes #L'Archer #Djiali_Ben_Ali #Association_culturelle_des_travailleurs_africains_en_France (#ACTAF) #manoeuvres #main_d'oeuvre_non_qualifiée #grève #Sahel #famine #1971 #sécheresse #Haute-Volta #aide_humanitaire #exode_rural #Larzac #récupération_des_sols #charité #luttes_de_libération #termites #Samé #aide_au_retour #luttes #arachide #travail_forcé #modernisation #mécanisation #graines #semences #endettement #Kayes #autonomie #femmes #genre #irrigation #radio #radio_rurale_Kayes #radio_rurale #permaculture #intelligence_collective

    –—

    A partir de 1h07’14, où l’on explique que les lois restrictives contre les migrations fixent les gens... alors qu’avant il y avait de la #migration_circulaire : beaucoup de personnes venaient en France 1-2 ans, repartaient au pays et ne revenaient plus jamais en France...
    #fermeture_des_frontières #sédentarisation #agroécologie

  • L’ère de la standardisation : conversation sur la Plantation, Anna Lowenhaupt Tsing, Donna Haraway
    https://www.terrestres.org/2024/02/23/lere-de-la-monoculture-et-de-la-standardisation-conversation-sur-la-plan

    [Donna Haraway] D’une certaine manière, la notion de #Plantationocène nous force à prêter attention aux cultures qui se sont constituées autour de la nourriture et de la #plantation en tant que système de #travail forcé multi-espèces. Le système de la plantation accélère la temporalité même des générations. La plantation perturbe en effet les successions de génération pour tous les acteurs·trices humains·es et non humains·nes. Elle simplifie radicalement leur nombre et met en place des situations favorisant la vaste prolifération de certain·es et l’élimination d’autres. Cette façon de réorganiser la vie des espèces favorise en retour les épidémies. Ce système dépend d’un certain type de travail humain forcé, car si jamais la main-d’œuvre peut s’échapper, elle s’enfuiera de la plantation.

    Le système de la plantation nécessite donc soit un génocide ou l’exil forcé d’une population, ou encore un certain mode d’enfermement et de remplacement de la force de travail locale par une main d’œuvre contrainte venant d’ailleurs. Cela peut être mis en place par des contrats bilatéraux mais quoiqu’il en soit asymétriques, soit par de l’esclavage pur et simple. La plantation dépend ainsi par définition de formes très intenses de #travail_forcé, s’appuyant aussi sur la sur-exploitation du travail mécanique, la construction de machines pour l’exploitation et l’extraction des êtres terrestres. Je pense d’ailleurs qu’il est essentiel d’inclure le travail forcé des #non-humains – plantes, animaux et microbes – dans notre réflexion.

    Dès lors, lorsque je réfléchis à la question de savoir ce qu’est une plantation, il me semble qu’une combinaison de ces éléments est presque toujours présente sur les cinq derniers siècles : simplification radicale ; remplacement de peuples, de cultures, de microbes et de formes de vie ; travail forcé. Plus encore peut-être que ces éléments, la plantation repose en outre sur le bouleversement des temporalités qui rendent possible la succession des générations, la transmission et le passage d’une génération à l’autre pour chaque espèce, y compris pour les êtres humains. J’évite le mot reproduction à cause de son aspect productiviste, mais je veux souligner l’interruption radicale de la possibilité de prendre soin des générations et, comme Anna me l’a appris, la rupture du lien avec le lieu – la capacité d’aimer et de prendre soin des localités est radicalement incompatible avec la plantation. En pensant à la plantation, toutes ces dimensions semblent être constamment présentes à travers diverses configurations.

    Anna Tsing : J’ajouterai brièvement que le terme plantation m’évoque l’héritage d’un ensemble bien particulier d’histoires convoquant ce qui s’est passé après l’invasion européenne du Nouveau Monde, notamment la capture d’Africain·es comme main-d’œuvre asservie et la simplification des cultures pour forcer les travailleurs·euses asservi·es à devenir des travailleurs·euses agricoles. Dans de nombreuses petites exploitations agricoles indépendantes, des dizaines de cultures agricoles différentes peuvent être pratiquées et exiger du soin de la part des agriculteurs-trices qui se préoccupent de chacune d’elles. En concevant à l’inverse des systèmes reposant sur du travail forcé et contraint, l’agriculture en est venue à reposer sur des simplifications écologiques.

    #histoire #mise_au_travail #capitalisme #anthropocène #capitalocène #écologie

  • #Syngenta commercialise du #café issu d’exploitations imposant des #conditions_de_travail proches de l’#esclavage

    La #Nutrade_Comercial_Exportadora Ltda, une filiale de la multinationale agrochimique suisse Syngenta et la marque #Nucoffee, qui lui est affiliée, ont commercialisé à plusieurs reprises du café issu d’exploitations brésiliennes où règnent des conditions de travail proches de l’esclavage.

    Le Brésil est le plus gros producteur et exportateur de café au monde. 46 % des grains de café du pays sont récoltés dans l’État du #Minas_Gerais. On estime que plus des deux tiers de la main-d’œuvre active dans les exploitations de café de cet État sont employés de manière informelle : ils n’ont droit ni à un salaire minimum, ni au paiement des heures supplémentaires, ni à des prestations sociales. Des cas de #travail_forcé et de conditions de travail proches de l’esclavage sont régulièrement dénoncés dans le secteur du café au Brésil.

    Une enquête menée conjointement par la Coalition pour des multinationales responsables et le collectif d’investigation WAV révèle 6 cas d’exploitation par le travail et de travail forcé au Brésil liés à la filiale de Syngenta, #Nutrade, ou à la marque Nucoffee. Entre 2018 et 2022, les autorités brésiliennes ont libéré des travailleuses et travailleurs de conditions de travail proches de l’esclavage dans 6 exploitations de café de l’État du Minas Gerais. Certain·e·s ouvrières et ouvriers n’avaient parfois pas de contrat de travail, étaient sous-payés ou ne recevaient pas leur salaire régulièrement, étaient souvent logés dans des conditions très précaires et n’avaient pas accès aux toilettes ni à l’eau potable. Par ailleurs, les autorités ont parfois constaté que des mineur·e·s travaillaient sur les sites. Selon différentes sources, Nutrade et Nucoffee se procuraient du café auprès de ces exploitations. Comme l’indiquent les données commerciales de Nutrade, celle-ci a notamment approvisionné la multinationale genevoise #Sucafina, un des plus gros commerçants de café au monde. Sucafina a continué d’acheter du café à Nutrade même après que plusieurs travailleuses et travailleurs des fermes fournissant Nutrade aient été libérés par les autorités brésiliennes de conditions de travail proches de l’esclavage.

    Le nombre de cas non recensés est élevé

    Malheureusement, de nombreux négociants en matières premières agricoles, comme Nutrade, filiale de Syngenta, ferment les yeux sur les problèmes massifs que connaissent les plantations de café. Pour lutter contre le problème du travail forcé, les autorités brésiliennes effectuent des contrôles et publient chaque semestre depuis 2003 un document connu sous le nom de #lista_suja (« liste sale »), qui dévoile les noms de celles et ceux qui « ont employé de la main-d’œuvre dans des conditions proches de l’esclavage ». La culture du café arrive régulièrement en tête des secteurs figurant sur cette liste.

    Sur les six cas détaillés ci-dessus et liés à Syngenta, seuls trois noms ont été inscrits à ce jour sur la lista suja, souvent plusieurs années après les faits. L’explication ? Les employeurs ont le droit de faire opposition avant que leur nom ne figure sur la liste, ce qu’ils sont nombreux à faire. Comme le ministère du Travail est tenu d’attendre la décision du tribunal avant d’inclure un nom sur la liste, la procédure peut durer plusieurs années. Par ailleurs, une nouvelle étude suggère qu’il serait plus facile pour les personnes qui bénéficient de bonnes relations dans les milieux politiques et/ou font de généreux dons lors des campagnes électorales d’éviter la mise à l’index sur la liste.

    On suppose que le nombre de cas non recensés est énorme et que les problèmes surviennent dans beaucoup plus de plantations : en effet, l’inspection du travail brésilienne, qui effectue les contrôles sur les plantations, manque de personnel et de moyens financiers. Sous l’ancien président Jair Bolsonaro, les contrôles ont été rendus encore plus difficiles en raison de restrictions budgétaires.

    La position de Nutrade, la filiale de Syngenta, est claire : elle estime qu’elle n’a pas à se préoccuper des problèmes constatés tant que l’exploitant concerné n’apparaît pas sur la lista suja. Il serait pourtant de la responsabilité de Syngenta de faire preuve de proactivité et de prendre des mesures pour empêcher que ses fournisseurs n’imposent des conditions de travail proches de l’esclavage dans leurs exploitations.

    https://responsabilite-multinationales.ch/etudes-de-cas/syngenta-exploitations-plantages-cafe
    #néo-esclavage #plantations #Brésil

  • Zahra, morte pour quelques #fraises espagnoles

    Le 1er mai, un bus s’est renversé dans la région de #Huelva, au sud de l’Espagne. À son bord, des ouvrières agricoles marocaines qui se rendaient au travail, dont l’une a perdu la vie. Mediapart est allé à la rencontre des rescapées, qui dénoncent des conditions de travail infernales.
    Aïcha* s’installe péniblement à la table, en jetant un œil derrière le rideau. « Si le patron apprend qu’on a rencontré une journaliste, on sera expulsées et interdites de travailler en Espagne. On a peur qu’un mouchard nous ait suivies, on est sous surveillance permanente. »

    Aïcha sait le risque qu’elle encourt en témoignant, même à visage couvert, sous un prénom d’emprunt. Mais elle y tient, pour honorer Zahra. Foulard assorti à sa djellaba, elle est venue clandestinement au point de rendez-vous avec Farida* et Hanane*, elles aussi décidées à parler de Zahra. « Elle était comme notre sœur. » Deux images les hantent.

    Sur la première, la plus ancienne, Zahra sourit, visage net, rond, plein de vie, lèvres maquillées de rouge, regard foncé au khôl. Sur la seconde, elle gît devant la tôle pliée dans la campagne andalouse, corps flou, cœur à l’arrêt. « Elle avait maigri à force de travailler, on ne la reconnaissait plus. Allah y rahmo [« Que Dieu lui accorde sa miséricorde » – ndlr] », souffle Aïcha en essuyant ses larmes avec son voile.

    Zahra est morte juste avant le lever du soleil, en allant au travail, le 1er mai 2023, le jour de la Fête internationale des travailleuses et des travailleurs. Elle mangeait un yaourt en apprenant des mots d’espagnol, à côté de Malika* qui écoutait le Coran sur son smartphone, quand, à 6 h 25, le bus qui les transportait sans ceinture de sécurité s’est renversé.

    Elles étaient une trentaine d’ouvrières marocaines, en route pour la « finca », la ferme où elles cueillent sans relâche, à la main, les fraises du géant espagnol Surexport, l’un des premiers producteurs et exportateurs européens, détenu par le fonds d’investissement Alantra. Le chauffeur roulait vite, au-dessus de la limite autorisée, dans un épais brouillard. Il a été blessé légèrement.

    Zahra est morte sur le coup, dans son survêtement de saisonnière, avec son sac banane autour de la taille, au kilomètre 16 de l’autoroute A484, à une cinquantaine de kilomètres de Huelva, en Andalousie, à l’extrême sud de l’Espagne, près de la frontière portugaise. Au cœur d’une des parcelles les plus rentables du « potager de l’Europe » : celle qui produit 90 % de la récolte européenne de fraises, « l’or rouge » que l’on retrouve en hiver sur nos étals, même quand ce n’est pas la saison, au prix d’un désastre environnemental et social.

    Cet « or rouge », qui génère plusieurs centaines de millions d’euros par an, et emploie, d’après l’organisation patronale Freshuelva, 100 000 personnes, représente près de 8 % du PIB de l’Andalousie, l’une des régions les plus pauvres d’Espagne et d’Europe. Et il repose sur une variable d’ajustement : une main-d’œuvre étrangère saisonnière ultraflexible, prise dans un système où les abus et les violations de droits humains sont multiples.

    Corvéable à merci, cette main-d’œuvre « bon marché » n’a cessé de se féminiser au cours des deux dernières décennies, les travailleuses remplaçant les travailleurs sous les serres qui s’étendent à perte de vue, au milieu des bougainvilliers et des pins parasols. Un océan de plastique blanc arrosé de produits toxiques : des pesticides, des fongicides, des insecticides...

    À l’aube des années 2000, elles étaient polonaises, puis roumaines et bulgares. Elles sont aujourd’hui majoritairement marocaines, depuis le premier accord entre l’Espagne, l’ancien colonisateur, et le Maroc, l’ancien colonisé, lorsqu’en 2006 la ville espagnole de Cartaya a signé avec l’Anapec, l’agence pour l’emploi marocaine, une convention bilatérale de « gestion intégrale de l’immigration saisonnière » dans la province de Huelva.

    Une migration circulaire, dans les clous de la politique migratoire sécuritaire de Bruxelles, basée sur une obligation contractuelle, celle de retourner au pays, et sur le genre : l’import à moindre frais et temporairement (de trois à neuf mois) de femmes pour exporter des fraises.

    Le recrutement se fait directement au Maroc, par les organisations patronales espagnoles, avec l’aide des autorités marocaines, des gouverneurs locaux, dans des zones principalement rurales. Ce n’est pas sans rappeler Félix Mora, cet ancien militaire de l’armée française, surnommé « le négrier des Houillères », qui sillonnait dans les années 1960 et 1970 les villages du sud marocain en quête d’hommes réduits à leurs muscles pour trimer dans les mines de la France, l’autre ancienne puissance coloniale.

    Même état d’esprit soixante ans plus tard. L’Espagne recherche en Afrique du Nord une force de travail qui déploie des « mains délicates », des « doigts de fée », comme l’a montré dans ses travaux la géographe Chadia Arab, qui a visibilisé ces « Dames de fraises », clés de rentabilité d’une industrie agro-alimentaire climaticide, abreuvée de subventions européennes.

    Elle recherche des « doigts de fée » très précis. Ceux de femmes entre 25 et 45 ans, pauvres, précaires, analphabètes, mères d’au moins un enfant de moins de 18 ans, idéalement célibataires, divorcées, veuves. Des femmes parmi les plus vulnérables, en position de faiblesse face à d’éventuels abus et violences.

    Zahra avait le profil type. Elle est morte à 40 ans. Loin de ses cinq enfants, âgés de 6 à 21 ans, qu’elle appelait chaque jour. Loin de la maison de fortune, à Essaouira, sur la côte atlantique du Maroc, où après des mois d’absence, elle allait bientôt rentrer, la récolte et le « contratación en origen », le « contrat en origine », touchant à leur fin.

    C’est ce qui la maintenait debout lorsque ses mains saignaient, que le mal de dos la pliait de douleur, lorsque les cris des chefs la pressaient d’être encore plus productive, lorsque le malaise menaçait sous l’effet de la chaleur suffocante des serres.

    L’autocar jusqu’à Tarifa. Puis le ferry jusqu’à Tanger. Puis l’autocar jusqu’au bercail : Zahra allait revenir au pays la valise pleine de cadeaux et avec plusieurs centaines d’euros sur le compte bancaire, de quoi sauver le foyer d’une misère aggravée par l’inflation, nourrir les proches, le premier cercle et au-delà.

    Pour rempiler la saison suivante, être rappelée, ne pas être placée sur « la liste noire », la hantise de toutes, elle a été docile. Elle ne s’est jamais plainte des conditions de travail, des entorses au contrat, à la convention collective.

    Elle l’avait voulu, ce boulot, forte de son expérience dans les oliveraies et les plantations d’arganiers de sa région, même si le vertige et la peur de l’inconnu l’avaient saisie la toute première fois. Il avait fallu convaincre les hommes de la famille de la laisser voyager de l’autre côté de la Méditerranée, elle, une femme seule, mère de cinq enfants, ne sachant ni lire ni écrire, ne parlant pas un mot d’espagnol. Une nécessité économique mais aussi, sans en avoir conscience au départ, une émancipation, par le travail et le salaire, du joug patriarcal, de son mari, dont elle se disait séparée.

    Et un certain statut social : « On nous regarde différemment quand on revient. Moi, je ne suis plus la divorcée au ban de la société, associée à la prostituée. Je suis capable de ramener de l’argent comme les hommes, même beaucoup plus qu’eux », assure fièrement Aïcha.

    Elle est « répétitrice » depuis cinq ans, c’est-à-dire rappelée à chaque campagne agricole. Elle gagne de 1 000 à 3 000 euros selon la durée du contrat, une somme inespérée pour survivre, améliorer le quotidien, acheter une machine à laver, payer une opération médicale, économiser pour un jour, peut-être, accéder à l’impossible : la propriété.

    Cette saison ne sera pas la plus rémunératrice. « Il y a moins de fraises à ramasser », à cause de la sécheresse historique qui frappe l’Espagne, tout particulièrement cette région qui paie les conséquences de décennies d’extraction d’eau pour alimenter la culture intensive de la fraise et d’essor anarchique d’exploitations illégales ou irriguées au moyen de puits illégaux.

    Au point de plonger dans un état critique la réserve naturelle de Doñana, cernée par les serres, l’une des zones humides les plus importantes d’Europe, classée à l’Unesco. Le sujet, explosif, est devenu une polémique européenne et l’un des enjeux des élections locales qui se tiennent dimanche 28 mai en Espagne.

    « S’il n’y a plus d’eau, il n’y aura plus de fraises et on n’aura plus de travail », s’alarme Aïcha. Elle ne se relève pas de la perte de son amie Zahra, seule passagère du bus à avoir rencontré la mort, ce 1er mai si symbolique, jour férié et chômé en Espagne, où l’on a manifesté en appelant à « augmenter les salaires, baisser les prix, partager les bénéfices ». Les autres ouvrières ont été blessées à des degrés divers.

    Trois semaines plus tard, elles accusent le coup, isolées du monde, dans la promiscuité de leur logement à San Juan del Puerto, une ancienne auberge où elles sont hébergées, moyennant une retenue sur leur salaire, par l’entreprise Surexport, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Privées d’intimité, elles se partagent les chambres à plusieurs. La majorité des femmes accidentées est de retour, à l’exception des cas les plus graves, toujours hospitalisés.

    « Ils nous ont donné des béquilles et du paracétamol. Et maintenant, ils nous demandent de revenir travailler alors qu’on en est incapables, qu’on est encore sous le choc. Le médecin mandaté par l’entreprise a dit qu’on allait très bien, alors que certaines ont des fractures et qu’on met des couches à l’une d’entre nous qui n’arrive pas à se lever ! On a eu droit à un seul entretien avec une psychologue », raconte Aïcha en montrant la vidéo d’une camarade qui passe la serpillère appuyée sur une béquille.

    « On a perdu le sommeil », renchérit Hanane. Chaque nuit, elles revivent l’accident. Farida fait défiler « le chaos » sur son téléphone, les couvertures de survie, les cris, les douas (invocations à Allah), le sang. Elle somnolait quand le bus s’est couché. Quand elle a rouvert les yeux, elle était écrasée par plusieurs passagères. Elle s’est vue mourir, étouffée.

    Le trio montre ses blessures, des contusions, des entorses, un bassin luxé, un traumatisme cervical. Elles n’ont rien dit à la famille au Maroc, pour ne pas affoler leurs proches. Elles ne viennent pas du même coin. « Tu rencontres ici tout le pays. » Des filles des montagnes, des campagnes, des villes, de la capitale… Elles ont la trentaine, plusieurs enfants en bas âge restés avec la grand-mère ou les tantes, sont divorcées. Analphabètes, elles ne sont jamais allées à l’école.

    « Ici ou au bled, se désole Hanane en haussant les épaules, on est exploitées, mais il vaut mieux être esclave en Espagne. Au Maroc, je gagnais à l’usine moins de cinq euros par jour, ici, 40 euros par jour. » Elles affirment travailler, certaines journées, au-delà du cadre fixé par la convention collective de Huelva, qui prévoit environ 40 euros brut par jour pour 6 h 30 de travail, avec une journée de repos hebdomadaire. Sans être payées plus.

    Elles affirment aussi avoir droit à moins de trente minutes de pause quotidienne, « mal vivre, mal se nourrir, mal se soigner », du fait d’un système qui les contrôle dans tous les aspects de leur vie et les maintient « comme des prisonnières » à l’écart des centres urbains, distants de plusieurs kilomètres.

    Il faut traverser la région de Huelva en voiture pour mesurer l’ampleur de leur isolement. Le long des routes, des dizaines d’ouvrières marocaines, casquette sur leur voile coloré, seules ou à plusieurs, marchent des heures durant, en sandales ou en bottes de caoutchouc, faute de moyen de transport, pour atteindre une ville, un commerce. Certaines osent l’autostop. D’autres se retournent pour cacher leur visage à chaque passage de véhicule.

    Les hommes sont nombreux aussi. À pied mais surtout à vélo, plus rarement à trottinette. Originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, une grande partie d’entre eux est soumise à l’emploi illégal, qui cohabite avec « le contrat en origine », au rythme des récoltes de fruits et légumes. Dans les champs de fraises, ils sont affectés à l’épandage des pesticides, au démontage des serres, à l’arrachage des plastiques…

    « La liste des abus est interminable, surtout pendant les pics de production, quand il faut récolter, conditionner, encore plus vite », soupire Fatima Ezzohairy Eddriouch, présidente d’Amia, l’association des femmes migrantes en action. Elle vient de débarquer dans le local sombre, escortée de Jaira del Rosario Castillo, l’avocate qui représente la famille « très affectée » de Zahra au Maroc, une spécialiste du droit du travail.

    Aïcha, Hanane et Farida lui tombent dans les bras, heureuses de rencontrer en vrai « Fatima de TikTok », une épaule pour de nombreuses saisonnières qui se refilent son numéro de portable, tant elle ne vit que pour l’amélioration de leur sort, malgré « un climat d’omerta, de terreur ».

    Travail forcé ou non payé, y compris les jours fériés, les dimanches, heures supplémentaires non rémunérées, passeports confisqués par certains patrons, absence de repos, contrôles du rendement avec renvoi vers le Maroc si celui-ci est jugé insuffisant, absence de mesures de sécurité et de protection sur le lieu de travail, tromperie à l’embauche, harcèlement moral, violences sexuelles, racisme, xénophobie, logement indigne, accès aux soins de santé entravé… Fatima Ezzohairy Eddriouch est confrontée au « pire de l’humanité tous les jours ». Avant de nous rejoindre, elle aidait Rahma, qui s’est brisé le cou en cueillant les fraises : « Son employeur veut la licencier et refuse de prendre en charge les soins médicaux. »

    Elle-même a été saisonnière pendant plus de dix ans. Elle en avait 19 quand elle a quitté Moulay Bousselham, au Maroc, et rejoint Huelva. Elle doit sa « survie » à Manuel, un journalier andalou rencontré dans les champs devenu son époux. « Vingt-trois ans d’amour, ça aide à tenir », sourit-elle. Seule ombre au tableau : alors que sa famille a accueilli avec joie leur union, celle de son mari continue de la rejeter. « Le racisme est malheureusement très fort en Espagne. »

    Le 1er mai, Fatima Ezzohairy Eddriouch a été l’une des premières informées de la tragédie. Des travailleuses blessées l’ont sollicitée. Mais elle s’est heurtée aux murs de l’administration, de l’employeur : « Un accident mortel de bus qui transporte des ouvrières agricoles étrangères, le jour de la Fête des travailleurs, c’est une bombe à l’échelle locale et nationale. Heureusement pour le gouvernement et le patronat agricole, elles sont des immigrées légales, pas sans papiers. »

    Devant le logement de San Juan del Puerto, elle a découvert le portail cadenassé, une entrave à la liberté de circuler des ouvrières. Elle l’a dénoncée sur les réseaux sociaux. Et dans la presse, auprès du journaliste indépendant Perico Echevarria notamment, poil à gratter avec sa revue Mar de Onuba, seul média local à déranger un système agroalimentaire et migratoire qui broie des milliers de vies. Surexport a fini par faire sauter le verrou.

    « Elles ont été enfermées, interdites de parler à des associations, à la presse. Ce n’est pas tolérable », s’indigne encore la militante. Son regard s’arrête sur une des photos de Zahra. Celle où elle a basculé de vie à trépas. Elle n’était pas prête. Elle s’effondre. Cette fois, ce sont Aïcha, Hanane et Farida qui l’enlacent en claudiquant. Le corps de Zahra a été rapatrié, enterré dans un cimetière d’Essaouira.

    La presse, d’une rive à l’autre, spécule sur le montant des pensions et des indemnités que pourraient percevoir les proches de la défunte, selon le droit espagnol. « C’est indispensable de rendre justice à cette famille meurtrie à jamais, à défaut de pouvoir rendre la vie à Zahra », dit l’avocate. Aïcha, Hanane et Farida, elles, veulent qu’on retienne son visage souriant à travers l’Europe, en France, au Pays-Bas, en Belgique..., et qu’on l’associe à chaque barquette de fraises marquée « origine : Huelva (Espagne) ».

    https://www.mediapart.fr/journal/international/270523/zahra-morte-pour-quelques-fraises-espagnoles
    #décès #Espagne #agriculture #exploitation #esclavage_moderne #migrations #travail #Maroc #agricultrices #femmes #conditions_de_travail #ouvrières_agricoles #Surexport #industrie_agro-alimentaire #Alantra #saisonniers #saisonnières #Andalousie #or_rouge #abus #féminisation #féminisation_du_travail #convention_bilatérale #Anapec #migration_circulaire #genre #violence #contrat_en_origine #contratación_en_origen #émancipation #sécheresse #eau #isolement #travail_forcé

    –—

    ajouté au fil de discussion sur la cueillette de fraises en Espagne :
    https://seenthis.net/messages/693859

  • La Lutte de Classe n°9, #Barta, 5 février 1943

    Côte à côte avec les hommes, LES FEMMES TRAVAILLEUSES DOIVENT PASSER A L’ACTION CONTRE LES DEPORTATIONS ! L’arme de la grève doit être utilisée contre les rafles d’ouvriers !

    https://www.marxists.org/francais/barta/1943/02/ldc09_020543.htm

    Subitement, la bourgeoisie redécouvre les qualités professionnelles de la femme. La femme que le #régime_de_Vichy a profondément humiliée par des mesures consacrant son « infériorité » sociale (statut de la femme mariée, etc...), figure de nouveau en première page des journaux, non pas au foyer conjugal parmi les casseroles (vides) et la marmaille (affamée), mais derrière la machine, à l’atelier, où elle fait montre d’une habileté toute particulière.

    Après la débâcle de juin 1940, la bourgeoisie entreprit d’empêcher la lutte commune des exploités contre le capitalisme fauteur de guerre et de misère, et de désunir les travailleurs. Disposant de toutes les ressources du pouvoir policier, elle pourchassa les « étrangers », mit au ban de la société les « Juifs » (en détournant la colère des masses contre un supposé « capitalisme juif » la bourgeoisie protégeait ainsi les capitalistes en chair et en os avec ou sans religion) et, pour diviser ouvriers et ouvrières, chassa la femme au foyer.

    D’où viennent ces alternatives de mépris et d’engouement pour la femme de la part des organes capitalistes ? Que se cache-t-il derrière ?

    Toujours un but d’#exploitation économique.

    Engagé dans une lutte à mort pour étendre toujours plus sa domination, le capitalisme impérialiste (c’est-à-dire la domination de l’Etat et de toute la vie sociale par le grand capital) provoque des changements brusques et profonds dans la vie des peuples. #Chômage complet ou #travail_forcé pour toute la population, esclavage familial ("retour au foyer") ou dispersion de toutes les familles, tels sont maintenant les effets de la domination de la bourgeoisie. Vichy déporte les hommes en Allemagne pour y travailler au sauvetage du capitalisme européen contre l’Union Soviétique et veut que la femme les remplace dans les usines en France, pour la même besogne : fabriquer des engins de mort.

    Si les capitalistes sont prodigues de louanges sur l’habileté et même sur la supériorité dans certains cas du travail de la femme, c’est que l’ouvrière continue à être, à travail égal, moins payée que l’ouvrier.

    Les femmes (de même que les jeunes), sont plus que jamais surexploitées par la bourgeoisie. Et dans la situation actuelle, les conséquences de l’insuffisance des salaires sont d’autant plus graves pour la femme, qu’exploitée à l’usine, elle doit continuer son travail de ménagère, terrible esclavage surtout quand il faut soigner enfants et mari. Et, parmi les travailleuses les plus mal payées, la famine appelle la prostitution, suprême exploitation de la femme.

    La femme travailleuse ne doit pas accepter avec résignation la double exploitation que lui impose le capitalisme, en tant qu’ouvrière et en tant que ménagère. Les ouvrières entreront également dans la lutte pour mettre fin à la situation de plus en plus intolérable que leur crée le régime bourgeois pourrissant.

    Il faut faire le premier pas en commençant une action résolue basée sur la grève, pour l’amélioration des salaires et pour la revendication du salaire égal à travail égal pour tous les ouvriers sans distinction d’âge et de sexe. Lier cette lutte à celle des ouvriers contre la #déportation pour la guerre contre l’URSS, voilà le premier moyen d’unifier tous les exploités contre les exploiteurs et faire échec aux plans de guerre impérialistes.

    Autrefois la lutte de la femme pour l’égalité juridique et politique rencontrait l’incompréhension ou même l’hostilité des ouvriers les plus arriérés. Mais le régime policier de Vichy a réalisé la plus complète égalité politique de l’homme et de la femme, en les écrasant tous les deux. Ensemble, ils doivent lutter pour la reconquête des droits de la classe ouvrière (liberté de réunion, de presse, droit de grève, etc.) y compris le droit de vote pour les deux sexes à partir de 18 ans (peut-être à partir de 17 ou même de 16 ans puisque la bourgeoisie considère qu’à cet âge-là un jeune homme peut devenir chair à canon et qu’une jeune fille peut se marier et avoir des enfants).

    Pour lutter avec succès pour ces revendications la classe ouvrière doit s’organiser. Les organisations de lutte (économiques et politiques) du prolétariat doivent être basées sur la plus complète égalité de devoirs et de droits entre l’homme et la femme dans tous les domaines et pour toutes les tâches quelles qu’elles soient.

    Sous le régime capitaliste, qui a pour base la famille en tant que petite entreprise économique individuelle, l’égalité réelle et complète de la femme dans la société (égalité de charges et de droits) n’est pas possible. Libérer la femme, seule le peut la société socialiste qui libère la famille de l’esclavage économique en transformant les charges individuelles en charges sociales : maternités, crèches, jardins d’enfants, restaurants, blanchisseries, dispensaires, hôpitaux, sanatoria, organisations sportives, cinés, théâtres, etc..., la société bourgeoise connaît tout cela, mais dans quelle mesure et dans quel but ? Hôpitaux, maternités, restaurants, etc... doivent seulement entretenir, dans la mesure strictement indispensable à la production capitaliste, l’efficacité de la main-d’œuvre (assurances sociales, etc...). Théâtres, cinés, organisations sportives, etc... tout cela n’est pas destiné à rendre la vie heureuse et à instruire, mais à abrutir et à maintenir les masses sous la domination de l’idéologie bourgeoise. Quelles que soient les améliorations conquises, la grande majorité des femmes croupira toujours tant que les moyens de production appartiendront à la bourgeoisie. Ce n’est que quand la #classe_ouvrière sera la maîtresse de ses instruments de production et de répartition et quand la femme prendra part à leur administration et au travail dans les mêmes conditions que tous les membres de la société travailleuse, que ses qualités pourront s’épanouir librement et harmonieusement.

    La Quatrième Internationale attire tout particulièrement l’attention des femmes travailleuses sur le fait que le seul pays où la femme ait réalisé le maximum d’égalité c’est l’URSS, c’est-à-dire le pays qui s’est développé par la révolution prolétarienne d’Octobre 17. Elle attire également l’attention des ouvriers sur le fait que sans l’entrée en lutte à ses côtés des ouvrières le prolétariat ne pourra jamais vaincre la bourgeoisie.

    Pour améliorer les #salaires et les conditions de vie, vive l’union de lutte de l’ouvrier et de l’ouvrière ! A travail égal, salaire égal ! Egalité juridique pour la femme : à bas les statuts de la femme mariée ! En s’opposant par la #grève à ce que les ouvriers soient déportés pour la relève impérialiste contre l’#URSS, les ouvriers et les ouvrières commenceront la lutte qui mettra fin à la guerre impérialiste, au régime de misère et d’oppression, la lutte qui nous mènera au gouvernement ouvrier et paysan, le gouvernement des travailleuses et des travailleurs !

    #collaboration #impérialisme #révolution_russe #lutte_de_classe #droits_des_femmes #lutte_des_femmes

  • Undesirables. A Holocaust Journey to North Africa

    In this gripping graphic novel, a Jewish journalist encounters an extension of the horrors of the Holocaust in North Africa.

    In the lead-up to World War II, the rising tide of fascism and antisemitism in Europe foreshadowed Hitler’s genocidal campaign against Jews. But the horrors of the Holocaust were not limited to the concentration camps of Europe: antisemitic terror spread through Vichy French imperial channels to France’s colonies in North Africa, where in the forced labor camps of Algeria and Morocco, Jews and other “undesirables” faced brutal conditions and struggled to survive in an unforgiving landscape quite unlike Europe. In this richly historical graphic novel, historian Aomar Boum and illustrator Nadjib Berber take us inside this lesser-known side of the traumas wrought by the Holocaust by following one man’s journey as a Holocaust refugee.

    Hans Frank is a Jewish journalist covering politics in Berlin, who grows increasingly uneasy as he witnesses the Nazi Party consolidate power and decides to flee Germany. Through connections with a transnational network of activists organizing against fascism and anti-Semitism, Hans ultimately lands in French Algeria, where days after his arrival, the Vichy regime designates all foreign Jews as “undesirables” and calls for their internment. On his way to Morocco, he is detained by Vichy authorities and interned first at Le Vernet, then later transported to different camps in the deserts of Morocco and Algeria. With memories of his former life as a political journalist receding like a dream, Hans spends the next year and a half in forced labor camps, hearing the stories of others whose lives have been upended by violence and war.

    Through bold, historically inflected illustrations that convey the tension of the coming war and the grimness of the Vichy camps, Aomar Boum and Nadjib Berber capture the experiences of thousands of refugees through the fictional Hans, chronicling how the traumas of the Holocaust extended far beyond the borders of Europe.

    https://www.sup.org/books/title/?id=35024

    #BD #holocauste #Afrique_du_Nord #histoire #bande-dessinée #livre #WWII #deuxième_guerre_mondiale #France #colonialisme_français #colonialisme #France #Vichy #colonisation #antisémitisme #Algérie #Maroc #camps_de_travail #travail_forcé #Algérie_française #Juifs #indésirables #internement #Le_Vernet #désert

    ping @isskein @cede @reka

  • #Chine : le drame ouïghour

    La politique que mène la Chine au Xinjiang à l’égard de la population ouïghoure peut être considérée comme un #génocide : plus d’un million de personnes internées arbitrairement, travail forcé, tortures, stérilisations forcées, « rééducation » culturelle des enfants comme des adultes…
    Quel est le veritable objectif du parti communiste chinois ?

     
    http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/64324

    #Ouïghours #Xinjiang #camps_d'internement #torture #stérilisation_forcée #camps_de_concentration #persécution #crimes_contre_l'humanité #silence #matières_premières #assimilation #islam #islamophobie #internement #gaz #coton #charbon #route_de_la_soie #pétrole #Xi_Jinping #séparatisme #extrémisme #terrorisme #Kunming #peur #état_policier #répression #rééducation #Radio_Free_Asia #disparition #emprisonnement_de_masse #images_satellites #droits_humains #zone_de_non-droit #propagande #torture_psychique #lavage_de_cerveau #faim #Xinjiang_papers #surveillance #surveillance_de_masse #biométrie #vidéo-surveillance #politique_de_prévention #surveillance_d'Etat #identité #nationalisme #minorités #destruction #génocide_culturel #Ilham_Tohti #manuels_d'école #langue #patriotisme #contrôle_démographique #contrôle_de_la_natalité #politique_de_l'enfant_unique #travail_forcé #multinationales #déplacements_forcés #économie #colonisation #Turkestan_oriental #autonomie #Mao_Zedong #révolution_culturelle #assimilation_forcée #Chen_Quanguo #cour_pénale_internationale (#CPI) #sanctions

    #film #film_documentaire #documentaire

  • En Biélorussie, les sous-traitants d’Ikea profitent du système répressif de la dictature
    https://disclose.ngo/fr/article/bielorussie-sous-traitants-ikea-profitent-du-systeme-repressif-de-la-dicta

    Plusieurs entreprises biélorusses ayant travaillé pour Ikea ces dix dernières années ont recours au travail forcé dans des colonies pénales où sont détenus des prisonniers politiques, et dans lesquelles se pratiquent la torture et les privations. Lire l’article

  • #Taïwan, #Ouïghours : les dérives nationalistes de la #Chine de #Xi_Jinping

    Xi Jinping se prépare à un troisième mandat de cinq ans et à une démonstration de force au cours du 20e #congrès_du_Parti_communiste_chinois. Alors que son nationalisme exacerbé se traduit à la fois à l’intérieur des frontières, avec la répression des Ouïghours, et dans son environnement proche, en #Mer_de_Chine_du_sud, avec une pression accrue sur Taïwan, nous analysons les enjeux de ce congrès avec nos invité·es, Laurence Defranoux, journaliste et autrice des Ouïghours, histoire d’un peuple sacrifié, Noé Hirsch, spécialiste de la Chine, Maya Kandel, historienne spécialiste des États-Unis, et Inès Cavalli, chercheuse en études chinoises.

    https://www.youtube.com/watch?v=U4wiIwCaSY8


    #nationalisme #constitution #révision_constitutionnelle #pensée_Xi_Jinping #paternalisme #colonialisme #Xinjiang #colonialisme_Han #déplacements_de_population #exploitation_économique #limitation_des_libertés #enfermement #rééducation_politique #emprisonnement #répression #Nouvelles_Routes_de_la_soie #ressources #ressources_naturelles #Tibet #surveillance #surveillance_de_masse #terreur #camps_de_rééducation #folklore #assimilation #folklorisation #ethnonationalisme #supériorité_de_la_race #Han #culture #camps_de_concentration #réforme_par_le_travail #réforme_par_la_culture #travail_forcé #peuples_autochtones #usines #industrie #industrie_textile #programmes_de_lutte_contre_la_pauvreté #exploitation #paramilitaires #endoctrinement #économie #économie_chinoise #crimes_contre_l'humanité #torture

  • A la frontière avec la Turquie, des migrants enrôlés de force par la police grecque pour refouler d’autres migrants

    Une enquête du « Monde » et de « Lighthouse Reports », « Der Spiegel », « ARD Report Munchen » et « The Guardian » montre que la police grecque utilise des migrants pour renvoyer les nouveaux arrivants en Turquie.

    Dans le village de #Neo_Cheimonio, situé à dix minutes du fleuve de l’Evros qui sépare la Grèce et la Turquie, les refoulements de réfugiés, une pratique contraire au droit international, sont un secret de Polichinelle. A l’heure de pointe, au café, les habitants, la cinquantaine bien passée, évoquent la reprise des flux migratoires. « Chaque jour, nous empêchons l’entrée illégale de 900 personnes », a affirmé, le 18 juin, le ministre grec de la protection civile, Takis Theodorikakos, expliquant l’augmentation de la pression migratoire exercée par Ankara.
    « Mais nous ne voyons pas les migrants. Ils sont enfermés, sauf ceux qui travaillent pour la police », lance un retraité. Son acolyte ajoute : « Eux vivent dans les conteneurs du commissariat et peuvent aller et venir. Tu les rencontres à la rivière, où ils travaillent, ou à la tombée de la nuit lorsqu’ils vont faire des courses. » Ces nouvelles « recrues » de la police grecque ont remplacé les fermiers et les pêcheurs qui barraient eux-mêmes la route, il y a quelques années, à ceux qu’ils nomment « les clandestins ».

    « Esclaves » de la police grecque

    D’après les ONG Human Rights Watch ou Josoor, cette tendance revient souvent depuis 2020 dans les témoignages des victimes de « pushbacks » [les refoulements illégaux de migrants]. A la suite des tensions à la frontière en mars 2020, lorsque Ankara avait menacé de laisser passer des milliers de migrants en Europe, les autorités grecques auraient intensifié le recours à cette pratique pour éviter que leurs troupes ne s’approchent trop dangereusement du territoire turc, confirment trois policiers postés à la frontière. Ce #travail_forcé des migrants « bénéficie d’un soutien politique. Aucun policier n’agirait seul », renchérit un gradé.

    Athènes a toujours démenti avoir recours aux refoulements illégaux de réfugiés. Contacté par Le Monde et ses partenaires, le ministère grec de la protection civile n’a pas donné suite à nos sollicitations.

    Au cours des derniers mois, Le Monde et ses partenaires de Lighthouse Reports – Der Spiegel, ARD Report Munchen et The Guardian avec l’aide d’une page Facebook « Consolidated Rescue Group » –, ont pu interviewer six migrants qui ont raconté avoir été les « esclaves » de la #police grecque, contraints d’effectuer des opérations de « pushbacks » secrètes et violentes. En échange, ces petites mains de la politique migratoire grecque se sont vu promettre un #permis_de_séjour d’un mois leur permettant d’organiser la poursuite de leur voyage vers le nord de l’Europe.

    Au fil des interviews se dessine un mode opératoire commun à ces renvois. Après leur arrestation à la frontière, les migrants sont incarcérés plusieurs heures ou plusieurs jours dans un des commissariats. Ils sont ensuite transportés dans des camions en direction du fleuve de l’Evros, où les « esclaves » les attendent en toute discrétion. « Les policiers m’ont dit de porter une cagoule pour ne pas être reconnu », avance Saber, soumis à ce travail forcé en 2020. Enfin, les exilés sont renvoyés vers la Turquie par groupe de dix dans des bateaux pneumatiques conduits par les « esclaves ».

    Racket, passage à tabac des migrants

    Le procédé n’est pas sans #violence : tous confirment les passages à tabac des migrants par la police grecque, le racket, la confiscation de leur téléphone portable, les fouilles corporelles, les mises à nu.
    Dans cette zone militarisée, à laquelle journalistes, humanitaires et avocats n’ont pas accès, nous avons pu identifier six points d’expulsion forcée au niveau de la rivière, grâce au partage des localisations par l’un des migrants travaillant aux côtés des forces de l’ordre grecques. Trois autres ont aussi fourni des photos prises à l’intérieur de #commissariats de police. Des clichés dont nous avons pu vérifier l’authenticité et la localisation.

    A Neo Cheimonio, les « esclaves » ont fini par faire partie du paysage. « Ils viennent la nuit, lorsqu’ils ont fini de renvoyer en Turquie les migrants. Certains restent plusieurs mois et deviennent chefs », rapporte un commerçant de la bourgade.

    L’un de ces leaders, un Syrien surnommé « Mike », a tissé des liens privilégiés avec les policiers et appris quelques rudiments de grec. « Son visage n’est pas facile à oublier. Il est passé faire des emplettes il y a environ cinq jours », note le négociant.
    Mike, mâchoire carrée, coupe militaire et casque de combattant spartiate tatoué sur le biceps droit, a été identifié par trois anciens « esclaves » comme leur supérieur direct. D’après nos informations, cet homme originaire de la région de Homs serait connu des services de police syriens pour des faits de trafic d’essence et d’être humains. Tout comme son frère, condamné en 2009 pour homicide volontaire.

    En contact avec un passeur basé à Istanbul, l’homme recruterait ses serviteurs, en leur faisant croire qu’il les aidera à rester en Grèce en échange d’environ 5 000 euros, selon le récit qu’en fait Farhad, un Syrien qui a vite déchanté en apprenant qu’il devrait expulser des compatriotes en Turquie. « L’accord était que nous resterions une semaine dans le poste de police pour ensuite continuer notre voyage jusqu’à Athènes. Quand on m’a annoncé que je devais effectuer les refoulements, j’ai précisé que je ne savais pas conduire le bateau. Mike m’a répondu que, si je n’acceptais pas, je perdrais tout mon argent et que je risquerais de disparaître à mon retour à Istanbul », glisse le jeune homme.
    Les anciens affidés de Mike se souviennent de sa violence. « Mike frappait les réfugiés et il nous disait de faire de même pour que les #commandos [unité d’élite de la police grecque] soient contents de nous », confie Hussam, un Syrien de 26 ans.

    De 70 à 100 refoulements par jour

    Saber, Hussam ou Farhad affirment avoir renvoyé entre 70 et 100 personnes par jour en Turquie et avoir été témoins d’accidents qui auraient pu mal tourner. Comme ce jour où un enfant est tombé dans le fleuve et a été réanimé de justesse côté turc… Au bout de quarante-cinq jours, Hussam a reçu un titre de séjour temporaire que nous avons retrouvé dans les fichiers de la police grecque. Théoriquement prévu pour rester en Grèce, ce document lui a permis de partir s’installer dans un autre pays européen.
    Sur l’une des photos que nous avons pu nous procurer, Mike prend la pose en treillis, devant un mobile-home, dont nous avons pu confirmer la présence dans l’enceinte du commissariat de Neo Cheimonio. Sur les réseaux sociaux, l’homme affiche un tout autre visage, bien loin de ses attitudes martiales. Tout sourire dans les bras de sa compagne, une Française, en compagnie de ses enfants ou goguenard au volant de sa voiture. C’est en France qu’il a élu domicile, sans éveiller les soupçons des autorités françaises sur ses activités en Grèce.

    Le Monde et ses partenaires ont repéré deux autres postes de police où cette pratique a été adoptée. A #Tychero, village d’environ 2 000 habitants, c’est dans le commissariat, une bâtisse qui ressemble à une étable, que Basel, Saber et Suleiman ont été soumis au même régime.
    C’est par désespoir, après neuf refoulements par les autorités grecques, que Basel avait accepté la proposition de « #collaboration » faite par un policier grec, « parce qu’il parlait bien anglais ». Apparaissant sur une photographie prise dans le poste de police de Tychero et partagée sur Facebook par un de ses collègues, cet officier est mentionné par deux migrants comme leur recruteur. Lors de notre passage dans ce commissariat, le 22 juin, il était présent.
    Basel soutient que les policiers l’encourageaient à se servir parmi les biens volés aux réfugiés. Le temps de sa mission, il était enfermé avec les autres « esclaves » dans une chambre cachée dans une partie du bâtiment qui ne communique pas avec les bureaux du commissariat, uniquement accessible par une porte arrière donnant sur la voie ferrée. Après quatre-vingts jours, Basel a obtenu son sésame, son document de séjour qu’il a gardé, malgré les mauvais souvenirs et les remords. « J’étais un réfugié fuyant la guerre et, tout d’un coup, je suis devenu un bourreau pour d’autres exilés, avoue-t-il. Mais j’étais obligé, j’étais devenu leur esclave. »

    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/28/a-la-frontiere-avec-la-turquie-des-migrants-enroles-de-force-par-la-police-g

    #Evros #Thrace #asile #migrations #réfugiés #Turquie #Grèce #push-backs #refoulements #esclavage #néo-esclavage #papier_blanc #détention_administrative #rétention #esclavage_moderne #enfermement

    • “We were slaves”

      The Greek police are using foreigners as “slaves” to forcibly return asylum seekers to Turkey

      People who cross the river Evros from Turkey to Greece to seek international protection are arrested by Greek police every day. They are often beaten, robbed and detained in police stations before illegally being sent back across the river.

      The asylum seekers are moved from the detention sites towards the river bank in police trucks where they are forced onto rubber boats by men wearing balaclavas, with Greek police looking on. Then these masked men transport them back to the other side.

      In recent years there have been numerous accounts from the victims, as well as reports by human rights organisations and the media, stating that the men driving these boats speak Arabic or Farsi, indicating they are not from Greece. A months-long joint investigation with The Guardian, Le Monde, Der Spiegel and ARD Report München has for the first time identified six of these men – who call themselves slaves– interviewed them and located the police stations where they were held. Some of the slaves, who are kept locked up between operations, were forcibly recruited themselves after crossing the border but others were lured there by smugglers working with a gangmaster who is hosted in a container located in the carpark of a Greek police station. In return for their “work” they received papers allowing them to stay in Greece for 25 days.

      The slaves said they worked alongside regular police units to strip, rob and assault refugees and migrants who crossed the Evros river into Greece — they then acted as boatmen to ferry them back to the Turkish side of the river against their will. Between operations the slaves are held in at least three different police stations in the heavily militarised Evros region.

      The six men we interviewed weren’t allowed to have their phones with them during the pushback operations. But some of them managed to take some pictures from inside the police station in Tychero and others took photos of the Syrian gangmaster working with the police. These visuals helped us to corroborate the stories the former slaves told us.

      Videos and photographs from police stations in the heavily militarised zone between Greece and Turkey are rare. One slave we interviewed provided us with selfies allegedly taken from inside the police station of Tychero, close to the river Evros, but difficult to match directly to the station because of the lack of other visuals. We collected all visual material of the station that was available via open sources, and from our team, and we used it to reconstruct the building in a 3D model which made it possible to place the slave’s selfies at the precise location in the building. The 3D-model also tells us that the place where the slaves were kept outside their “working” hours is separate from the prison cells where the Greek police detain asylum seekers before they force them back to Turkey.

      We also obtained photos of a Syrian man in military fatigues in front of a container. This man calls himself Mike. According to three of the six sources, they worked under Mike’s command and he in turn was working with the Greek police. We were able to find the location of the container that serves as home for Mike and the slaves. It is in the parking lot of the police station in Neo Cheimonio in the Evros region.

      We also obtained the papers that the sources received after three months of working with the Greek police and were able to verify their names in the Greek police system. All their testimonies were confirmed by local residents in the Evros region.
      STORYLINES

      Bassel was already half naked, bruised and beaten when he was confronted with an appalling choice. Either he would agree to work for his captors, the Greek police, or he would be charged with human smuggling and go to prison.

      Earlier that night Bassel, a Syrian man in his twenties, had crossed the Evros river from Turkey into Greece hoping to claim asylum. But his group was met in the forests by Greek police and detained. Then Bassel was pulled out of a cell in the small town of Tychero and threatened with smuggling charges for speaking English. His only way out, they told him, was to do the Greeks’ dirty work for them. He would be kept locked up during the day and released at night to push back his own compatriots and other desperate asylum seekers. In return he would be given a travel permit that would enable him to escape Greece for Western Europe. Read the full story in Der Spiegel

      Bassel’s story matched with three other testimonies from asylum seekers who were held in a police station in Neo Cheimonio. All had paid up to €5,000 euros to a middleman in Istanbul to cross from Turkey to Greece with the help of a smuggler, who said there would be a Syrian man waiting for them with Greek police.

      Farhad, in his thirties and from Syria along with two others held at the station, said they too were regularly threatened by a Syrian man whom they knew as “Mike”. “Mike” was working at the Neo Cheimonio station, where he was being used by police as a gangmaster to recruit and coordinate groups of asylum seekers to assist illegal pushbacks, write The Guardian and ARD Report Munchen.
      Residents of Greek villages near the border also report that it is “an open secret” in the region that fugitives carry out pushbacks on behalf of the police. Farmers and fishermen who are allowed to enter the restricted area on the Evros have repeatedly observed refugees doing their work. Migrants are not seen on this stretch of the Evros, a local resident told Le Monde, “Except for those who work for the police.”

      https://www.lighthousereports.nl/investigation/we-were-slaves

  • Un rapport pointe le travail forcé dans l’industrie de la pêche britannique Léa CHARRON - Le Marin
    https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/43778-un-rapport-pointe-le-travail-force-dans-lindustrie-de-pec

    Le groupe de recherche sur l’esclavage moderne Rights lab, de l’université de Nottingham, a sorti le 21 mai un rapport visant l’industrie de la pêche au Royaume-Uni. En ligne de mire : l’utilisation des visas de transit.

    Ces visas permettent aux marins venus de pays hors espace économique européen de monter à bord de navires dans les ports britanniques qui partent ensuite dans les eaux internationales. Dans le secteur de la pêche industrielle, qui recrute des matelots philippins, ghanéens, indonésiens, sri-lankais et indiens surtout, pour travailler « au-delà des 12 milles », ces visas peuvent être utilisés « comme une échappatoire à la loi sur l’immigration et légalisent l’exploitation de travailleurs immigrés sans véritable encadrement, laissant les travailleurs vulnérables aux abus du travail », pointait déjà un rapport du syndicat ITF publié le 16 mai https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/itf_fisheries-briefing_final.pdf .


    Le salaire moyen des pêcheurs immigrés sondés travaillant au Royaume-Uni était de 3,51 livres de l’heure, d’après l’étude du Rights lab, contre 9,50 livres pour le salaire minimum national. (Photo : Rights lab)

    Des travailleurs qui, n’étant de fait pas autorisés à entrer au Royaume-Uni, sont « obligés de vivre à bord le temps que dure leur contrat, généralement de dix à douze mois », évoque le Rights lab, précisant bien que son rapport https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/letting-exploitation-off-the-hook.pdf n’est pas représentatif de la situation à travers le Royaume-Uni. Ce dernier s’appuie sur les témoignages de 124 pêcheurs immigrés recueillis entre juin et octobre 2021. Il révèle que « 19 % des sondés ont signalé des conditions comparables au travail forcé et 48 % ont signalé des cas potentiels ». Les conclusions de l’enquête rendent compte de violences physiques et de racisme, de recrutement via des agences non agréés, d’endettement forcé.
     
    Violation du droit international  
    Environ 75 % ont déclaré se sentir discriminés par leur capitaine. Un tiers a déclaré travailler plus de 20 heures par jour, pour un salaire moyen de 3,51 livres de l’heure (4 euros) ; 25 % assurent ne jamais bénéficier de 77 heures de repos sur une période de sept jours ; 18 % d’entre eux ont été « contraints de travailler sur un navire non désigné dans leur contrat », pointe le Rights lab.

    « Sans changement immédiat, le Royaume-Uni continuera de ne pas respecter ses obligations https://lemarin.ouest-france.fr/sites/default/files/2022/06/01/europe_des_ecarts_de_traitement_abusifs.pdf et responsabilités en vertu du droit international comme du droit national », a indiqué Jess Decker Sparks, qui a dirigé la recherche. Le Royaume-Uni a ratifié la convention n°188 de l’OIT sur le travail dans la pêche https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/29934-enfin-des-normes-du-travail-decentes-pour-la-peche-mondia en 2019, pour une entrée en vigueur en 2020. La Fishermen’s welfare alliance, regroupant quatre groupes représentatifs de pêcheurs britanniques, a indiqué dans un communiqué https://www.sff.co.uk/full-statement-from-the-fishermens-welfare-alliance qu’elle condamne « les rapports d’abus et d’exploitation qui ont été publiés » mais que ce rapport « contient beaucoup de choses que les représentants de l’industrie de la pêche ne reconnaissent pas [...]. Nous serions heureux d’avoir l’occasion d’examiner cela plus en détail avec le gouvernement. » 

    #pèche #esclavage #angleterre #esclavage_moderne #travail #exploitation #capitalisme #travail #surpèche #mer #visas #immigration #travail_forcé #droit_international

  • Des infirmières du Québec déposent une plainte à l’international pour leur « travail forcé »
    https://www.ledevoir.com/societe/sante/673149/des-infirmieres-du-quebec-deposent-une-plainte-a-l-international-pour-leur

    Pour que cessent enfin les heures supplémentaires obligatoires imposées aux infirmières québécoises, la Fédération interprofessionnelle de la Santé (FIQ) mise sur un recours peu banal : elle a déposé une plainte devant l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence de l’ONU.

    La clé de sa demande est la suivante : elle plaide que ces heures supplémentaires obligatoires sont assimilables à du « travail forcé », interdit noir sur blanc par deux conventions internationales signées et ratifiées par le Canada.

    Il s’agit d’une première démarche « à ce haut niveau », a déclaré en entrevue la présidente de la FIQ, Julie Bouchard.

    Elle est entreprise car tous les autres moyens ont été essayés — dont quelque 25 000 griefs — sans que cette pratique « abusive » et ce mode de gestion « inacceptable » ne cessent, a expliqué la présidente. Pour les infirmières, « c’est comme si on les emprisonnait à chaque fois ».

    La démarche a aussi pour but de « faire pression » sur le gouvernement tout en le mettant dans l’embarras s’il n’agit pas, souligne Mme Bouchard.

    La FIQ, qui regroupe plusieurs syndicats, demande à la Commission d’experts pour l’application des conventions de se pencher sur le cas des quelque 76 000 infirmières et des autres professionnels qu’elle représente, tels que les inhalothérapeutes.

    Ceux-ci font les frais d’une « pratique bien implantée dans le Réseau » — « tolérée et même favorisée par le gouvernement », dit la FIQ — soit le recours systématique au « temps supplémentaire obligatoire » (TSO).

    Au lieu d’être une mesure d’exception pour les cas d’urgence, les heures supplémentaires obligatoires sont devenues une façon courante et habituelle de gérer la main-d’œuvre, même quand les besoins de personnel sont « prévus et / ou prévisibles », peut-on lire dans la plainte dont Le Devoir a obtenu copie.

    Dans celle-ci, on peut voir que la FIQ invoque les conventions internationales 29 et 105, qui prévoient notamment que « tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer l’emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref délai possible. »

    Et pour la FIQ, les heures supplémentaires obligatoires sont exactement cela : elles sont définies dans ces conventions comme étant « un travail exigé sous la menace d’une peine, ou un travail pour lequel le travailleur ne s’est pas offert de plein gré », ce qui est le cas des infirmières québécoises.

    Si elles refusent de faire des heures supplémentaires, elles s’exposent à des plaintes disciplinaires et dans certains cas des sanctions pénales et même l’emprisonnement.

    Les infirmières ont dénoncé publiquement à répétition cette pratique, et interpellé le gouvernement du Québec, notamment par les « journées nationales sans TSO » qui ont été tenues en octobre dernier.

    Malgré toutes leurs protestations, il est devenu encore plus fréquent et généralisé à l’ensemble du réseau ces dernières années, est-il allégué dans la demande à l’OIT.

    Un cercle vicieux
    Cette pratique de gestion est une cause d’épuisement des travailleurs de la santé qui a aussi un effet direct sur les soins offerts à la population, soutient Mme Bouchard.

    Le travail des camionneurs est réglementé : ils ne peuvent pas travailler plus de 60 heures par semaine, pour des questions de sécurité, rapporte-t-elle. Les infirmières, elles, peuvent travailler 60 et même 70 heures par semaine, alors que leur travail doit aussi être sécuritaire pour les patients : la fatigue et l’épuisement peuvent mener à des bris de vigilance et des erreurs, insiste Mme Bouchard. Et s’il y a erreur à sa 65e heure de travail, c’est elle qui en paie le prix — pas l’employeur.

    À cela s’ajoute l’anxiété et divers problèmes de santé pour ces travailleuses, ce qui mène à des congés de maladie.

    Loin de régler la pénurie de main-d’œuvre, les heures supplémentaires obligatoires sont « une de ses plus importantes causes » et l’aggravent sans cesse, car les infirmières quittent leur emploi, augmentant encore plus la tâche de celles qui restent, déplore la présidente. « Un cercle vicieux », est-il déploré dans la demande.

    La pratique est tellement « banalisée et normalisée au Québec » que la FIQ et ses syndicats affiliés estiment n’avoir d’autre choix que de s’adresser à l’OIT afin qu’elle confirme que la pratique dénoncée porte atteinte aux droits fondamentaux du personnel infirmier.

    Il n’est pas exigé que les heures supplémentaires cessent complètement, mais qu’elles soient limitées aux réels cas d’urgence, comme pour la tornade à Gatineau en 2018 : aucune infirmière n’a fait faux bond à cette occasion, est-il souligné.

    La demande a été déposée jeudi et signifiée aux gouvernements du Québec et du Canada.

    « Il est inévitable de passer par ce chemin-là », juge la présidente : la CAQ avait promis de régler ce problème et alors que l’on approche de la fin de son mandat, « ça empire ».

    Il est demandé à l’OIT de formuler des « recommandations » pour que Québec prenne les mesures qui s’imposent pour mettre un terme à cette pratique. Si les recommandations ne sont pas contraignantes, elles devraient mettre de la pression sur le gouvernement pour qu’il justifie son recours aux heures supplémentaires obligatoires et qu’il trouve des solutions, par exemple, en ramenant les travailleurs de la santé vers le réseau public, suggère Mme Bouchard.

    #esclavage #travail #OIT #travail_forcé #soignantes #soignants #Femmes #hommes #Exploitation #violence

    • A quand en France ?
      Car c’est la même chose. Si le personnel infirmier de réponds pas aux appels téléphoniques afin de les faire travailler durant leurs périodes de repos, la police vient les chercher.

  • Travail forcé des #Ouïgours : une enquête ouverte en France contre des géants du textile, dont Uniqlo et Zara
    https://www.nouvelobs.com/justice/20210701.OBS46003/travail-force-des-ouigours-une-enquete-ouverte-en-france-contre-des-geant

    Le parquet national antiterroriste (PNAT) a ouvert fin juin une enquête pour « recel de crimes contre l’humanité » visant quatre géants du textile, dont Inditex et Uniqlo, accusés d’avoir profité du travail forcé d’Ouïgours en Chine, a indiqué une source judiciaire ce jeudi 1er juillet à l’AFP, confirmant une information de Mediapart.

    • Ouïghours : une enquête ouverte en France contre Uniqlo et des géants du textile pour recel de crimes contre l’humanité
      1 juillet 2021 Par François Bougon
      https://www.mediapart.fr/journal/international/010721/ouighours-une-enquete-ouverte-en-france-contre-uniqlo-et-des-geants-du-tex

      Une enquête pour recel de crimes contre l’humanité a été ouverte fin juin à Paris à la suite d’une plainte déposée deux mois auparavant contre Uniqlo et trois autres géants du textile par trois ONG (le collectif Éthique sur l’étiquette, l’association Sherpa et l’Institut ouïghour d’Europe) et une rescapée ouïghoure.

      Pour la première fois, la justice française se saisit d’un dossier lié à la répression impitoyable des minorités ethniques turcophones, notamment les Ouïghours, au Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, par le régime chinois. Une enquête a été ouverte fin juin à Paris pour recel de crimes contre l’humanité à la suite d’une plainte déposée deux mois auparavant par trois ONG (le collectif Éthique sur l’étiquette, l’association Sherpa et l’Institut ouïghour d’Europe) et une rescapée ouïghoure, a-t-on appris de source judiciaire.

      Cette action ne vise pas directement les autorités de la République populaire de Chine – « Il semble actuellement peu probable que les dirigeants chinois puissent être renvoyés devant une juridiction répression pour répondre de leurs actes », reconnaît le texte de la plainte –, mais les multinationales aux marques connues qui sont accusées de profiter du système de répression mis en place par Pékin dans cette région stratégique proche de l’Asie centrale : en l’occurrence trois géants du textile – le groupe espagnol Inditex, propriétaire de la marque Zara, le japonais Uniqlo et le français SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot et De Fursac) – et le fabricant américain de chaussures de sport Skechers.

      Pour les plaignants, ces grandes entreprises, qui se sont pourtant dotées ces dernières années de comités d’éthique chargés de veiller aux bonnes pratiques parmi leurs sous-traitants, profitent malgré tout du travail forcé des Ouïghours et des autres minorités turcophones (kazakhes et kirghizes) en commercialisant des produits dans des usines y ayant recours.

      Manifestation de solidarité avec les Ouïghours devant l’ambassade de Chine à Paris en juillet 2020. © Noémie Coissac/Hans Lucas/AFP Manifestation de solidarité avec les Ouïghours devant l’ambassade de Chine à Paris en juillet 2020. © Noémie Coissac/Hans Lucas/AFP

      Ils avaient porté plainte à la fois pour recel du crime de réduction en servitude aggravée, recel du crime de traite des êtres humains en bande organisée, recel du crime de génocide et recel de crime contre l’humanité, mais seul ce dernier chef a été retenu par le parquet. L’enquête a été confiée au pôle spécialisé du tribunal de Paris dans la lutte contre les crimes contre l’humanité qui dépend du Parquet national antiterroriste (PNAT) et a une compétence universelle.

      « C’est une très bonne nouvelle, d’autant plus que le collectif parlementaire de solidarité avec les Ouïghours vient de déposer une proposition de résolution pour la reconnaissance du génocide au Xinjiang par la France. Cela ne peut que renforcer nos demandes et nos démarches », a déclaré à Mediapart Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe.
      « Un moment historique »

      Interrogé par Mediapart, l’avocat William Bourdon, à l’origine de la plainte, estime que « l’ouverture de cette enquête va faire tomber les masques sur le cynisme des grandes enseignes de textiles qui communiquent à tour de bras sur leurs engagements éthiques et s’accommodent de s’enrichir, en connaissance de cause, au prix des pires crimes commis à l’encontre des communautés ouïghoures ».

      « L’ouverture d’une enquête pour recel de crime contre l’humanité est une première, elle ouvre une porte pour l’avenir essentielle afin de mettre un terme à une culture de duplicité qui reste encore trop familière pour les grandes entreprises multinationales », a-t-il poursuivi.

      Pour sa part, Sherpa, par la voix de sa directrice Sandra Cossart, « se réjouit de l’ouverture d’une enquête préliminaire pour recel de crime contre l’humanité, qui témoigne de l’implication potentielle des acteurs économiques dans la commission des crimes les plus graves afin d’augmenter leurs marges bénéficiaires ».

      « Cela démontre que le travail innovant de Sherpa, qui aboutit ici pour la première fois à l’ouverture d’une enquête pour “recel de crimes contre l’humanité” contre des multinationales, permet de faire bouger les lignes du droit afin de lutter contre l’impunité des acteurs économiques, poursuit-elle. Il importe néanmoins de ne pas se limiter aux quelques acteurs ciblés ici : un système de dispositions légales rend possible chaque jour ces pratiques, c’est ce système qu’il faut combattre. »

      De son côté, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, au premier rang dans le combat pour la reconnaissance du génocide au Xinjiang, tout en évoquant « un moment historique », juge qu’il s’agit d’« un message extrêmement puissant envoyé à ces multinationales ».
      Tensions à venir

      Récemment, en dévoilant un rapport de son organisation sur les crimes exercés au Xinjiang, la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, avait dénoncé l’apathie de la communauté internationale et des instances des Nations unies. Elle avait appelé la communauté internationale à « s’exprimer et agir à l’unisson pour que cessent ces atrocités, une fois pour toutes » et à une enquête indépendante des Nations unies.

      Des ONG dénoncent l’internement par Pékin depuis 2017 de plus d’un million de personnes au Xinjiang dans des centres de rééducation politique. Le régime communiste dément ce chiffre, évoque des « centres de formation professionnelle » aux fins de déradicalisation.

      Alors que la Chine célèbre avec faste le centenaire du Parti communiste (voir ici le spectacle donné lundi soir dans le Stade olympique en présence du secrétaire général Xi Jinping et là le grand rassemblement jeudi sur la place Tiananmen), l’annonce de l’ouverture de cette enquête ne manquera pas de provoquer de nouvelles tensions avec Pékin, qui réfute en particulier les accusations de génocide, portées par exemple par Washington et d’autres capitales occidentales (pas par Paris).

      En mars, la Chine avait imposé des sanctions à dix responsables politiques européens – dont cinq eurodéputés, dont Raphaël Glucksmann –, ainsi qu’à l’encontre de centres de réflexion et d’organes diplomatiques, en représailles à celles imposées par les Occidentaux aux hauts dirigeants chinois accusés de violations des droits de l’homme au Xinjiang.
      Lire aussi

      Amnesty dénonce des crimes contre l’humanité contre les musulmans du nord-ouest de la Chine Par François Bougon
      Gulbahar Jalilova, rescapée ouïghoure : « Nous ne sommes pas des êtres humains pour eux » Par Rachida El Azzouzi

      Par la suite, le Parlement européen avait voté une résolution suspendant la ratification d’un accord encadrant les investissements avec la Chine conclu en décembre tant que Pékin n’aura pas levé ces mesures de rétorsion.

      Une cinquantaine de députés français, parmi lesquels Frédérique Dumas et Aurélien Taché, ont déposé le 17 juin une proposition de résolution afin que la France reconnaisse le génocide au Xinjiang, comme l’ont fait le gouvernement des États‑Unis, les Parlements britannique, néerlandais et canadien.

      « Des procédures similaires sont en cours dans d’autres États (Belgique, Allemagne, Lituanie et Nouvelle‑Zélande). Quant à elle, la France a dénoncé un “système de répression institutionnalisé” en février 2021 et a engagé des réflexions sur l’emploi du terme de “génocide”, sans toutefois reconnaître ni condamner ce crime en tant que tel », expliquent-ils. Lors d’une conférence de presse mardi, Alain David, du groupe socialiste et membre de la commission des affaires étrangères, a espéré pouvoir la présenter au vote à l’automne.
      Devoir de vigilance

      Parallèlement au combat des ONG, des députés européens ont poussé pour l’adoption d’un cadre législatif plus sévère pour encadrer les pratiques des multinationales et de leurs sous-traitants, en particulier dans le secteur textile. Une loi a été adoptée en 2017 en France mais son champ d’action reste limité.

      En mars a été adopté par le Parlement européen à une très large majorité un projet d’initiative sur le devoir de vigilance, qui pourrait servir de base à une proposition de directive que la Commission doit présenter à l’automne.

      Les eurodéputés souhaitent contraindre les entreprises à « identifier, traiter et corriger » toutes les opérations, y compris dans leurs filières, qui pourraient porter préjudice aux droits humains, à l’environnement ou encore à la « bonne gouvernance » (corruption, pots-de-vin). Ils proposent aussi l’interdiction dans l’UE de produits liés à de graves violations des droits humains, comme le travail forcé ou des enfants.

      « L’ouverture de l’enquête [par la justice française – ndlr] est dans le droit-fil du combat que l’on mène au Parlement européen sur le devoir de vigilance », a souligné Raphaël Glucksmann auprès de Mediapart.

      Cependant, Total, Bayer ou des géants du textile à l’instar d’Inditex (Zara) ne manquent pas d’investir à fond dans le lobbying à Bruxelles, dans l’espoir d’assouplir le texte (lire ici). Business first…

  • Tous chasseurs cueilleurs !
    https://www.franceinter.fr/emissions/comme-un-bruit-qui-court/comme-un-bruit-qui-court-08-juin-2019

    Quand la civilisation menace l’#environnement... retour à la chasse et la cueillette. Entretien avec James C. Scott autour de son livre "#HomoDomesticus, une histoire profonde des premiers Etats".

    On a tous en tête des souvenirs d’école sur les débuts de l’Histoire avec un grand H. Quelque part entre le Tigre et l’Euphrate il y a 10 000 ans, des chasseurs-cueilleurs se sont peu à peu sédentarisés en domestiquant les plantes et les animaux, inventant dans la foulée l’#agriculture, l’écriture et les premiers Etats. C’était l’aube de la #civilisation et le début de la marche forcée vers le #progrès.

    Cette histoire, #JamesScott, anthropologue anarchiste et professeur de sciences politiques, l’a enseignée pendant des années à ses élèves de l’Université de Yale. Mais les découvertes archéologiques dans l’actuel Irak des dernières années l’ont amené à réviser complètement ce « storytelling » du commencement des sociétés humaines, et par là même remettre en question notre rapport au monde dans son dernier livre : Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers Etats (Ed. La Découverte).

    Alors même que climat et biodiversité sont aujourd’hui plus que jamais menacés par les activités humaines, James C. Scott propose de réévaluer l’intérêt des sociétés d’avant l’Etat et l’agriculture. Car ces chasseurs-cueilleurs semi-nomades ont longtemps résisté face aux civilisations agraires, basées sur les céréales et qui, en domestiquant le monde, se sont domestiqués eux-mêmes, en appauvrissant leur connaissance du monde.

    Un reportage de Giv Anquetil.
    Les liens

    James C. Scott : « Le monde des chasseurs-cueilleurs était un monde enchanté » (Le grand entretien) par Jean-Christophe Cavallin, Diakritik

    Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l’effondrement, Corinne Morel Darleux, Editions Libertalia

    "Amador Rojas invite Karime Amaya" Chapiteau du Cirque Romanès - Paris 16, Paris. Prochaine séance le vendredi 14 juin à 20h.

    Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers Etats, James C. Scott (Editions La Découverte)

    Eloge des chasseurs-cueilleurs, revue Books (mai 2019).

    HOMO DOMESTICUS - JAMES C. SCOTT Une Histoire profonde des premiers États [Fiche de lecture], Lundi matin

    Bibliographie de l’association Deep Green Resistance
    Programmation musicale

    "Mesopotamia"- B52’s

    "Cholera" - El Rego et ses commandos

    #podcast @cdb_77

    • Homo Domesticus. Une histoire profonde des premiers États

      Aucun ouvrage n’avait jusqu’à présent réussi à restituer toute la profondeur et l’extension universelle des dynamiques indissociablement écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix millénaires ayant précédé notre ère, de l’émergence de l’agriculture à la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.
      C’est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire #Homo_domesticus. Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la naissance de l’#État antique comme étape cruciale de la « #civilisation » humaine.
      Ce faisant, il nous offre une véritable #écologie_politique des formes primitives d’#aménagement_du_territoire, de l’« #autodomestication » paradoxale de l’animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la #sédentarisation et des logiques de la #servitude et de la #guerre dans le monde antique.
      Cette fresque omnivore et iconoclaste révolutionne nos connaissances sur l’évolution de l’humanité et sur ce que Rousseau appelait « l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ».


      https://www.editionsladecouverte.fr/homo_domesticus-9782707199232

      #James_Scott #livre #démographie #épidémiologie #évolution #humanité #histoire #inégalité #inégalités #Etat #écologie #anthropologie #ressources_pédagogiques #auto-domestication

    • Fiche de lecture: Homo Domesticus - James C. Scott

      Un fidèle lecteur de lundimatin nous a transmis cette fiche de lecture du dernier ouvrage de James C. Scott, (on peut la retrouver sur le blog de la bibliothèque fahrenheit) qui peut s’avérer utile au moment l’institution étatique semble si forte et fragile à la fois.
      « L’État est à l’origine un racket de protection mis en œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres »
      À la recherche de l’origine des États antiques, James C. Scott, professeur de science politique et d’anthropologie, bouleverse les grands #récits_civilisationnels. Contrairement à bien des idées reçues, la #domestication des plantes et des animaux n’a pas entraîné la fin du #nomadisme ni engendré l’#agriculture_sédentaire. Et jusqu’il y a environ quatre siècles un tiers du globe était occupé par des #chasseurs-cueilleurs tandis que la majorité de la population mondiale vivait « hors d’atteinte des entités étatiques et de leur appareil fiscal ».
      Dans la continuité de #Pierre_Clastres et de #David_Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l’apparition de l’État est une anomalie et une contrainte, présentant plus d’inconvénients que d’avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l’État c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd’hui.

      La première domestication, celle du #feu, est responsable de la première #concentration_de_population. La construction de niche de #biodiversité par le biais d’une #horticulture assistée par le feu a permis de relocaliser la faune et la flore désirable à l’intérieur d’un cercle restreint autour des #campements. La #cuisson des aliments a externalisé une partie du processus de #digestion. Entre 8000 et 6000 avant notre ère, Homo sapiens a commencé à planter toute la gamme des #céréales et des #légumineuses, à domestiquer des #chèvres, des #moutons, des #porcs, des #bovins, c’est-à-dire bien avant l’émergence de sociétés étatiques de type agraire. Les premiers grands établissements sédentaires sont apparus en #zones_humides et non en milieu aride comme l’affirment les récits traditionnels, dans des plaines alluviales à la lisière de plusieurs écosystèmes (#Mésopotamie, #vallée_du_Nil, #fleuve_Indus, #baie_de_Hangzhou, #lac_Titicata, site de #Teotihuacan) reposant sur des modes de subsistance hautement diversifiés (sauvages, semi-apprivoisés et entièrement domestiqués) défiant toute forme de comptabilité centralisée. Des sous-groupes pouvaient se consacrer plus spécifiquement à une stratégie au sein d’un économie unifiée et des variations climatiques entraînaient mobilité et adaptation « technologique ». La #sécurité_alimentaire était donc incompatible avec une #spécialisation étroite sur une seule forme de #culture ou d’#élevage, requérant qui plus est un travail intensif. L’#agriculture_de_décrue fut la première à apparaître, n’impliquant que peu d’efforts humains.
      Les #plantes complètement domestiquées sont des « anomalies hyperspécialisées » puisque le cultivateur doit contre-sélectionner les traits sélectionnés à l’état sauvage (petite taille des graines, nombreux appendices, etc). De même les #animaux_domestiqués échappent à de nombreuses pressions sélectives (prédation, rivalité alimentaire ou sexuelle) tout en étant soumis à de nouvelles contraintes, par exemple leur moins grande réactivité aux stimuli externes va entraîner une évolution comportementale et provoquer la #sélection des plus dociles. On peut dire que l’espèce humaine elle-même a été domestiquée, enchaînée à un ensemble de routines. Les chasseurs-cueilleurs maîtrisaient une immense variété de techniques, basées sur une connaissance encyclopédique conservée dans la mémoire collective et transmise par #tradition_orale. « Une fois qu’#Homo_sapiens a franchi le Rubicon de l’agriculture, notre espèce s’est retrouvée prisonnière d’une austère discipline monacale rythmée essentiellement par le tic-tac contraignant de l’horloge génétique d’une poignée d’espèces cultivées. » James C. Scott considère la #révolution_néolithique récente comme « un cas de #déqualification massive », suscitant un #appauvrissement du #régime_alimentaire, une contraction de l’espace vital.
      Les humains se sont abstenus le plus longtemps possible de faire de l’agriculture et de l’élevage les pratiques de subsistance dominantes en raison des efforts qu’elles exigeaient. Ils ont peut-être été contraints d’essayer d’extraire plus de #ressources de leur environnement, au prix d’efforts plus intenses, à cause d’une pénurie de #gros_gibier.
      La population mondiale en 10 000 avant notre ère était sans doute de quatre millions de personnes. En 5 000, elle avait augmenté de cinq millions. Au cours des cinq mille ans qui suivront, elle sera multipliée par vingt pour atteindre cent millions. La stagnation démographique du #néolithique, contrastant avec le progrès apparent des #techniques_de_subsistance, permet de supposer que cette période fut la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité sur le plan épidémiologique. La sédentarisation créa des conditions de #concentration_démographique agissant comme de véritables « parcs d’engraissement » d’#agents_pathogènes affectant aussi bien les animaux, les plantes que les humains. Nombre de #maladies_infectieuses constituent un « #effet_civilisationnel » et un premier franchissement massif de la barrière des espèces par un groupe pathogènes.
      Le #régime_alimentaire_céréalier, déficient en #acides_gras essentiels, inhibe l’assimilation du #fer et affecte en premier lieu les #femmes. Malgré une #santé fragile, une #mortalité infantile et maternelle élevée par rapport aux chasseurs-cueilleurs, les agriculteurs sédentaires connaissaient des #taux_de_reproduction sans précédent, du fait de la combinaison d’une activité physique intense avec un régime riche en #glucides, provoquant une #puberté plus précoce, une #ovulation plus régulière et une #ménopause plus tardive.

      Les populations sédentaires cultivant des #céréales domestiquées, pratiquant le commerce par voie fluviale ou maritime, organisées en « #complexe_proto-urbain », étaient en place au néolithique, deux millénaires avant l’apparition des premiers États. Cette « plateforme » pouvait alors être « capturée », « parasitée » pour constituer une solide base de #pouvoir et de #privilèges politiques. Un #impôt sur les céréales, sans doute pas inférieur au cinquième de la récolte, fournissait une rente aux élites. « L’État archaïque était comme les aléas climatiques : une menace supplémentaire plus qu’un bienfaiteur. » Seules les céréales peuvent servir de base à l’impôt, de part leur visibilité, leur divisibilité, leur « évaluabilité », leur « stockabilité », leur transportabilité et leur « rationabilité ». Au détour d’un note James C. Scott réfute l’hypothèse selon laquelle des élites bienveillantes ont créé l’État essentiellement pour défendre les #stocks_de_céréales et affirme au contraire que « l’État est à l’origine un racket de protection mis en œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres ». La majeure partie du monde et de sa population a longtemps existé en dehors du périmètre des premiers États céréaliers qui n’occupaient que des niches écologiques étroites favorisant l’#agriculture_intensive, les #plaines_alluviales. Les populations non-céréalières n’étaient pas isolées et autarciques mais s’adonnaient à l’#échange et au #commerce entre elles.
      Nombre de #villes de #Basse_Mésopotamie du milieu du troisième millénaire avant notre ère, étaient entourées de murailles, indicateurs infaillibles de la présence d’une agriculture sédentaire et de stocks d’aliments. De même que les grandes #murailles en Chine, ces #murs d’enceinte étaient érigés autant dans un but défensif que dans le but de confiner les paysans contribuables et de les empêcher de se soustraire.
      L’apparition des premiers systèmes scripturaux coïncide avec l’émergence des premiers États. Comme l’expliquait #Proudhon, « être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé ». L’#administration_étatique s’occupait de l’#inventaire des ressources disponibles, de #statistiques et de l’#uniformisation des #monnaies et des #unités_de_poids, de distance et de volume. En Mésopotamie l’#écriture a été utilisée à des fins de #comptabilité pendant cinq siècle avant de commencer à refléter les gloires civilisationnelles. Ces efforts de façonnage radical de la société ont entraîné la perte des États les plus ambitieux : la Troisième Dynastie d’#Ur (vers 2100 avant J.-C.) ne dura qu’à peine un siècle et la fameuse dynastie #Qin (221-206 avant J.-C.) seulement quinze ans. Les populations de la périphérie auraient rejeté l’usage de l’écriture, associée à l’État et à l’#impôt.

      La #paysannerie ne produisait pas automatiquement un excédent susceptible d’être approprié par les élites non productrices et devait être contrainte par le biais de #travail_forcé (#corvées, réquisitions de céréales, #servitude pour dettes, #servage, #asservissement_collectif ou paiement d’un tribu, #esclavage). L’État devait respecter un équilibre entre maximisation de l’excédent et risque de provoquer un exode massif. Les premiers codes juridiques témoignent des efforts en vue de décourager et punir l’#immigration même si l’État archaïque n’avait pas les moyens d’empêcher un certain degré de déperdition démographique. Comme pour la sédentarité et la domestication des céréales, il n’a cependant fait que développer et consolider l’esclavage, pratiqué antérieurement par les peuples sans État. Égypte, Mésopotamie, Grèce, Sparte, Rome impériale, Chine, « sans esclavage, pas d’État. » L’asservissement des #prisonniers_de_guerre constituait un prélèvement sauvage de main d’œuvre immédiatement productive et compétente. Disposer d’un #prolétariat corvéable épargnait aux sujets les travaux les plus dégradants et prévenait les tensions insurrectionnelles tout en satisfaisant les ambitions militaires et monumentales.

      La disparition périodique de la plupart de ces entités politiques était « surdéterminée » en raison de leur dépendance à une seule récolte annuelle d’une ou deux céréales de base, de la concentration démographique qui rendait la population et le bétail vulnérables aux maladies infectieuses. La vaste expansion de la sphère commerciale eut pour effet d’étendre le domaine des maladies transmissibles. L’appétit dévorant de #bois des États archaïques pour le #chauffage, la cuisson et la #construction, est responsable de la #déforestation et de la #salinisation_des_sols. Des #conflits incessants et la rivalité autour du contrôle de la #main-d’œuvre locale ont également contribué à la fragilité des premiers États. Ce que l’histoire interprète comme un « effondrement » pouvait aussi être provoqué par une fuite des sujets de la région centrale et vécu comme une #émancipation. James C. Scott conteste le #préjugé selon lequel « la concentration de la population au cœur des centres étatiques constituerait une grande conquête de la civilisation, tandis que la décentralisation à travers des unités politiques de taille inférieure traduirait une rupture ou un échec de l’ordre politique ». De même, les « âges sombres » qui suivaient, peuvent être interprétés comme des moments de résistance, de retours à des #économies_mixtes, plus à même de composer avec son environnement, préservé des effets négatifs de la concentration et des fardeaux imposés par l’État.

      Jusqu’en 1600 de notre ère, en dehors de quelques centres étatiques, la population mondiale occupait en majorité des territoires non gouvernés, constituant soit des « #barbares », c’est-à-dire des « populations pastorales hostiles qui constituaient une menace militaire » pour l’État, soit des « #sauvages », impropres à servir de matière première à la #civilisation. La menace des barbares limitait la croissance des États et ceux-ci constituaient des cibles de pillages et de prélèvement de tribut. James C. Scott considère la période qui s’étend entre l’émergence initiale de l’État jusqu’à sa conquête de l’hégémonie sur les peuples sans État, comme une sorte d’ « âge d’or des barbares ». Les notions de #tribu ou de peuple sont des « #fictions_administratives » inventées en tant qu’instrument de #domination, pour désigner des #réfugiés politiques ou économiques ayant fuit vers la périphérie. « Avec le recul, on peut percevoir les relations entre les barbares et l’État comme une compétition pour le droit de s’approprier l’excédent du module sédentaire « céréales/main-d’œuvre ». » Si les chasseurs-cueilleurs itinérants grappillaient quelques miettes de la richesse étatique, de grandes confédérations politiques, notamment les peuples équestres, véritables « proto-États » ou « Empires fantômes » comme l’État itinérant de #Gengis_Kahn ou l’#Empire_Comanche, constituaient des concurrents redoutables. Les milices barbares, en reconstituant les réserves de main d’œuvre de l’État et en mettant leur savoir faire militaire au service de sa protection et de son expansion, ont creusé leur propre tombe.

      Dans la continuité de Pierre Clastres et de David Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l’apparition de l’État est une #anomalie et une #contrainte, présentant plus d’inconvénients que d’avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l’État c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd’hui.

      https://lundi.am/HOMO-DOMESTICUS-Une-Histoire-profonde-des-premiers-Etats
      #historicisation

    • https://www.annualreviews.org/content/journals/10.1146/annurev-polisci-032823-090908

      The
      @AnnualReviews
      has kindly just released what could be considered James Scott’s last brief autobiographical notes.👇

      Thanks
      @margaretlevi
      for making this happen. I took the liberty of adding Scott’s picture.
      free download:
      https://www.annualreviews.org/docserver/fulltext/10.1146/annurev-polisci-032823-090908/annurev-polisci-032823-090908.pdf?expires=1721637508&id=id&accname=gu

  • Rapport thématique – Durcissements à l’encontre des Érythréen·ne·s : actualisation 2020

    Deux ans après une première publication sur la question (https://odae-romand.ch/rapport/rapport-thematique-durcissements-a-lencontre-des-erythreen%c2%b7ne%c2%b7), l’ODAE romand sort un second rapport. Celui-ci offre une synthèse des constats présentés en 2018, accompagnée d’une actualisation de la situation.

    Depuis 2018, l’ODAE romand suit de près la situation des requérant·e·s d’asile érythréen∙ne∙s en Suisse. Beaucoup de ces personnes se retrouvent avec une décision de renvoi, après que le #Tribunal_administratif_fédéral (#TAF) a confirmé la pratique du #Secrétariat_d’État_aux_Migrations (#SEM) amorcée en 2016, et que les autorités ont annoncé, en 2018, le réexamen des #admissions_provisoires de quelque 3’200 personnes.

    En 2020, le SEM et le TAF continuent à appliquer un #durcissement, alors que la situation des droits humains en #Érythrée ne s’est pas améliorée. Depuis près de quatre ans, les décisions de renvoi tombent. De 2016 à à la fin octobre 2020, 3’355 Érythréen·ne·s avaient reçu une décision de renvoi suite à leur demande d’asile.

    Un grand nombre de requérant·e·s d’asile se retrouvent ainsi débouté·e·s.

    Beaucoup des personnes concernées, souvent jeunes, restent durablement en Suisse, parce que très peu retournent en Érythrée sur une base volontaire, de peur d’y être persécutées, et qu’il n’y a pas d’accord de réadmission avec l’Érythrée. Au moment de la décision fatidique, elles perdent leur droit d’exercer leur métier ou de se former et se retrouvent à l’#aide_d’urgence. C’est donc à la constitution d’un groupe toujours plus important de jeunes personnes, exclues mais non renvoyables, que l’on assiste.

    C’est surtout en cédant aux pressions politiques appelant à durcir la pratique – des pressions renforcées par un gonflement des statistiques du nombre de demandes d’asile – que la Suisse a appréhendé toujours plus strictement la situation juridique des requérant∙e∙s d’asile provenant d’Érythrée. Sur le terrain, l’ODAE romand constate que ces durcissements se traduisent également par une appréciation extrêmement restrictive des motifs d’asile invoqués par les personnes. D’autres obstacles limitent aussi l’accès à un examen de fond sur les motifs d’asile. Au-delà de la question érythréenne, l’ODAE romand s’inquiète pour le droit d’asile au sens large. L’exemple de ce groupe montre en effet que l’application de ce droit est extrêmement perméable aux incitations venues du monde politique et peut être remaniée sans raison manifeste.

    https://odae-romand.ch/rapport/rapport-thematique-durcissements-a-lencontre-des-erythreen%c2%b7ne%c2%b7

    Pour télécharger le rapport :
    https://odae-romand.ch/wp/wp-content/uploads/2020/12/RT_erythree_2020-web.pdf

    #rapport #ODAE_romand #Erythrée #Suisse #asile #migrations #réfugiés #réfugiés_érythréens #droit_d'asile #protection #déboutés #permis_F #COI #crimes_contre_l'humanité #service_militaire #travail_forcé #torture #viol #détention_arbitraire #violences_sexuelles #accord_de_réadmission #réadmission #déboutés #jurisprudence #désertion #Lex_Eritrea #sortie_illégale #TAF #justice #audition #vraisemblance #interprètes #stress_post-traumatique #traumatisme #trauma #suspicion #méfiance #procédure_d'asile #arbitraire #preuve #fardeau_de_la_preuve #admission_provisoire #permis_F #réexamen #santé_mentale #aide_d'urgence #sans-papiers #clandestinisation #violence_généralisée

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  • #Libye : « Entre la vie et la mort ». Les personnes refugiées et migrantes prises dans la tourmente des #violences en Libye

    En Libye, les personnes réfugiées et migrantes sont piégées dans un cycle de violences caractérisé par de graves atteintes aux #droits_humains, telles que la #détention_arbitraire pendant de longues périodes et d’autres formes de privation illégale de liberté, la #torture et d’autres #mauvais_traitements, les #homicides illégaux, le #viol et d’autres formes de #violences_sexuelles, le #travail_forcé et l’#exploitation aux mains d’agents gouvernementaux et non gouvernementaux, dans un climat d’#impunité quasi totale.

    https://www.amnesty.org/en/documents/mde19/3084/2020/fr
    #migrations #asile #réfugiés #violence #rapport #Amnesty_international #privation_de_liberté #droits_fondamentaux

    ping @karine4 @isskein