En Allemagne, le nouveau ministre de l’Intérieur a annoncé de possibles refoulement de demandeurs d’asile à la frontière allemande. Qui sera concerné par cette mesure ? Et cette politique est-elle vraiment légale ? InfoMigrants s’est entretenu avec deux avocats spécialisés dans les questions d’asile.
Le nouveau ministre allemand de l’Intérieur, #Alexander_Dobrindt, a ordonné à la police fédérale de refouler les demandeurs d’asile à la frontière, à moins qu’ils ne soient considérés comme vulnérables.
Nous avons interrogé deux experts juridiques sur la légalité de ce nouveau tour de vis migratoire. Matthias Lehnert est avocat spécialisé dans le droit d’asile à Leipzig, dans l’est de l’Allemagne. Engin Sanli est avocat spécialisé dans le droit d’asile et de l’immigration à Stuttgart, dans le sud du pays.
InfoMigrants : Selon vous, qui sera le plus touché par cette nouvelle politique ?
Matthias Lehnert : Tous ceux qui veulent entrer en Allemagne dans le but de demander l’asile peuvent être concernés. Les personnes vulnérables sont censées être exemptées des refoulements à la frontière, mais on ne sait pas encore exactement comment les personnes seront classées ou reconnues comme vulnérables par la police à la frontière. Ne seront pas seulement touchés des personnes possédant des passeports de pays que l’Allemagne considère comme « sûrs », mais aussi des personnes originaires d’autres pays. Le gouvernement a déjà admis que des #demandeurs_d'asile avaient été refoulés à la frontière.
Engin Sanli : Je pense que les demandeurs d’asile originaires de pays considérés comme sûrs par le Parlement allemand seront les premiers concernés (l’Allemagne classe les pays suivants comme « sûrs » : les États membres de l’UE, l’#Albanie, la #Bosnie-Herzégovine, la #Géorgie, le #Ghana, le #Kosovo, la #Macédoine, le #Monténégro, la #Moldavie, le #Sénégal, la #Serbie, ndlr). La nouvelle politique est largement basée sur un paragraphe existant dans la loi allemande sur l’asile, à savoir le paragraphe 18. Il stipule que les demandeurs d’asile peuvent être refoulés à la frontière s’ils viennent d’un pays sûr ou si un autre pays est responsable de leur demande d’asile. Dans la pratique, il n’est généralement pas possible de vérifier à la frontière si un autre pays européen est responsable de la demande d’asile d’une personne, comme par exemple en vérifiant ses empreintes digitales dans une base de données de l’Union européenne, de sorte que les personnes seront probablement toujours conduites dans des centres d’accueil et non pas refoulées à la frontière.
Engin Sanli : Non. Seules les personnes qui traversent la frontière pour demander l’asile sont concernées, pas celles qui sont déjà dans le pays.
Matthias Lehnert : Une fois que quelqu’un est entré en Allemagne, une fois qu’il a passé un poste frontière, il reste autorisé à demander l’asile.
Est-ce que tout le monde sera désormais arrêté à la frontière ?
Engin Sanli : Non. La nouvelle politique peut théoriquement être appliquée partout le long de la frontière allemande, mais en pratique, la police se concentrera probablement sur les points de passage les plus fréquentés par les migrants. Le gouvernement allemand souhaite faire passer le nombre de policiers chargés des contrôles frontaliers de 10 000 à 14 000, ce qui n’est pas suffisant pour contrôler tous les points de passage aux frontières.
Le ministre de l’Intérieur a déclaré que les demandeurs d’asile vulnérables sont censés être exemptés de cette politique. Il a cité les femmes enceintes et les enfants. Existe-t-il des critères juridiquement contraignants pour déterminer qui est vulnérable ?
Matthias Lehnert : Une directive européenne sur l’asile liste différents types de groupes vulnérables, comme les femmes célibataires et enceintes, les mineurs, certaines familles avec des enfants en bas âge et les personnes souffrant de problèmes médicaux ou psychologiques. À mon avis, la police fédérale aux frontières n’est pas en mesure ou n’est pas qualifiée pour reconnaître si une personne est vulnérable ; elle n’a pas été formée et n’a aucune qualification pour cela. Parfois, il est évident qu’une personne soit vulnérable, par exemple lorsqu’une grossesse est à un stade très avancé ou s’il s’agit d’une femme seule avec trois enfants. Mais souvent, par exemple dans le cas des victimes de traumatismes, il est très difficile de reconnaître ces critères pour des personnes qui n’ont pas été formées et sans une évaluation adaptée.
La légalité de cette politique suscite de nombreuses interrogations. Selon vous, est-il légal pour l’Allemagne de rejeter des demandeurs d’asile à la frontière ?
Engin Sanli : Cela est autorisé en vertu du #droit allemand. Les demandeurs d’asile peuvent se voir refuser l’entrée sur le territoire s’ils viennent d’un autre État membre de l’UE ou d’un autre pays sûr, en vertu du paragraphe 18 de la loi sur l’asile et du paragraphe 16a de la Constitution. Mais en vertu du #droit_européen, et plus précisément du #règlement_Dublin III, le cas de chaque demandeur d’asile doit être examiné, y compris la question de savoir si un autre pays est responsable, avant que le demandeur d’asile ne soit renvoyé dans un autre pays.
Enfin, la question se pose de savoir si l’Allemagne est autorisée à effectuer des contrôles frontaliers à long terme dans le cadre de l’accord de #libre_circulation de l’espace Schengen. L’extension continue des contrôles frontaliers pourrait également constituer une violation de l’#accord_de_Schengen.
Matthias Lehnert : Je pense que cette politique n’est pas légale. Le gouvernement allemand a évoqué un article de la législation européenne qui permet de suspendre le règlement de Dublin en cas d’urgence. Mais nous ne sommes pas dans une situation d’#urgence. Si vous regardez les chiffres de l’asile, ils ont baissé, il n’y a pas d’afflux massif de migrants. Il est important de noter ici que le droit européen prime sur le #droit_allemand, c’est à dire que le droit européen est donc plus important que le droit allemand.
Il existe également une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui stipule que tout demandeur d’asile a le droit de bénéficier d’une procédure d’asile appropriée, ce que, selon moi, la politique de refoulement à la frontière ne respecte pas.
Les demandeurs d’asile ont-ils la possibilité de contester un refus à la frontière ?
Engin Sanli : Si une personne se voit refuser l’entrée à la frontière allemande, elle peut légalement s’y opposer et contester la décision en intentant une action en justice. Les tribunaux allemands transmettent alors généralement l’affaire à la Cour européenne de justice.
Vous attendez-vous à des actions en justice de la part d’organisations pro-réfugiés ?
Engin Sanli : Ces organisations peuvent contester la politique de deux manières. La première consiste à engager une action en justice contre cette politique, en affirmant qu’elle est anticonstitutionnelle. Je pense qu’il est peu probable que cela se produise, car la Constitution allemande autorise le refoulement aux frontières, comme je l’ai mentionné.
La deuxième option consisterait pour les organisations à soutenir légalement et financièrement les personnes dont la demande a été rejetée à la frontière afin qu’elles contestent ce refoulement devant les tribunaux. Je pense que cela se produira probablement, certaines organisations comme Amnesty International et ProAsyl ont déclaré qu’elles avaient l’intention de contester la politique de cette manière.
Matthias Lehnert : Je m’attends à ce que cette politique soit contestée devant les tribunaux.
Combien de temps prendront ces actions en justice ?
Matthias Lehnert : Je m’attends à ce que les premières décisions soient rendues dans deux ou trois mois, mais il est difficile de le dire avec certitude. Mais je pense que la première décision interviendra bientôt.