L’arbitrage international ? Un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Des enjeux finalement moins techniques — malgré, avouons-le, les apparences — que politiques. C’est précisément quand on nous présente des figures du droit comme « indépassables » qu’il nous faut nous interroger sur leur généalogie et leurs effets. Nous avons rencontré Renaud Beauchard, avocat, qui a publié cet automne L’Assujettissement des nations aux éditions Charles Leopold Meyer. Il décrypte pour nous l’histoire de l’arbitrage d’investissement, aboutissement de la logique néolibérale au service des entreprises transnationales.
Il est fort à craindre que le renversement de souveraineté que je me suis employé à décrire ne soit parachevé et que, sauf dans le cas d’un effondrement du marché mondial (hypothèse qui n’est pas à exclure), toute tentative d’infléchir la marche en cours via les représentations nationales ne soit vouée à l’échec. En atteste de façon éclatante le climat de fait accompli qui caractérise la négociation et l’adoption de traités comme le CETA, qui est en grande partie applicable provisoirement avant la ratification par les États membres. Ce que je propose est donc un dégagement de la marche vers le marché mondial unique et l’institutionnalisation d’un État mondial, et d’envisager des espaces préfiguratifs de démocratie afin de donner un exemple performatif d’un monde post-néolibéral. Dans le domaine de l’investissement, cela impose de questionner un certain nombre de vaches sacrées que les juristes, enfermés dans un savoir technique autoréférentiel ne risquent pas de remettre en cause d’eux-mêmes. Parmi celles-ci, j’ai identifié les droits de propriété rabattus sur leur exclusivité par la law and economics, qui n’ont plus rien à voir avec le « modeste, mais universel droit de propriété » dont Christopher Lasch faisait le « fondement véritable d’une République stable et solide ». Il s’agit aussi de revisiter la notion de personnalité morale des sociétés et autres groupements afin de réinstituer un primat de la personne humaine sur ses créations et d’en finir avec l’anthropomorphisme dont jouissent les entreprises transnationales.
Parmi les pistes envisagées, j’ai été très intéressé par la réflexion très dense de Dardot et Laval sur les communs et par leur idée d’institutionnalisation d’une fédération des communs qui permettrait de dépasser la crise des États-nations en instituant des communs politiques ancrés territorialement et des droits socio-économiques sans frontières. L’autre piste, plus recentrée sur le sujet de l’ISDS, est de prévoir des jurys citoyens d’arbitrage démocratique qui pourraient s’inspirer de ce qui fait la force de l’ISDS (un réseau de reconnaissance et d’exécution forcée sans frontière) mais en inversant la hiérarchie des normes ou tout au moins en rééquilibrant la balance entre les droits individuels et collectifs. Ces tribunaux d’arbitrages, constitués hors de tout cadre étatique, mais ménageant néanmoins à l’État la possibilité de s’y faire entendre, pourraient ainsi jouer un rôle performatif en montrant la capacité de la société civile auto-organisée à refonder un nouveau droit international coutumier abandonné par ces mêmes États dans le maillage de traités conférant des privilèges exorbitants aux entreprises transnationales.