Je viens de trouver (enfin) une version de la conférence de presse tenue par Hassan Nasrallah en août de l’année dernière (9 août 2010), doublée en anglais. Si vous ne regardez pas les chaînes arabes, je peux affirmer sans me tromper que vous n’avez jamais vu cette vidéo, et il y a également de grandes chances que vous n’en ayez même jamais entendu parler.
Cette vidéo a été l’événement de l’été 2010 au Liban : c’est la conférence qui a permis au Hezbollah d’enterrer totalement, dans l’opinion libanaise, la crédibilité du Tribunal spécial sur le Liban. La vidéo, en effet, est très éloignée dans sa forme d’un exposé de « théorie du complot », sa présentation est extrêmement sobre, et Hassan Nasrallah expose ses éléments de preuve avec beaucoup de rigueur. Et, par ailleurs, c’est lui-même qui dit explicitement qu’il ne s’agit pas de preuves directement conclusives, mais d’éléments de preuve qui devraient être pris en compte par le Tribunal international si, réellement, ce tribunal était sérieux (comprendre évidemment : puisque l’enquête a ignoré, et ignorera certainement, tous ces éléments, alors l’enquête internationale est biaisée).
Après la diffusion de cette vidéo :
– les partisans habituels de la Résistance ont évidemment été confortés, mais avec une situation nouvelle : on ne leur demande pas de faire simplement la démonstration d’une confiance aveugle ; ils ont l’impression, ici, qu’ils ont des éléments factuels solides pour étayer leur confiance ;
– plusieurs articles à la suite de cette conférence ont indiqué que la « rue sunnite », pour une large part, avait été convaincue par la démonstration de Hassan Nasrallah ;
– le besoin d’une « confiance aveugle » est plutôt passé du côté du 14 Mars : plus personne ne croit réellement les accusations publiques du Tribunal, mais il faut s’y raccrocher au motif que cette intervention internationale dans les affaires politiques internes sont utiles pour ce camp.
En tout cas, cette conférence permet au Hezbollah de mettre sa « contre-démonstration » au même niveau que les accusations qui ont largement fuité dans la presse depuis 2005 : il ne s’agit pas de preuves directes, mais les accusations de l’enquête n’en sont pas plus, et pas réellement de meilleur qualité. La divulgation de l’acte d’accusation, cet été, n’a pas permis au TSL de reprendre l’avantage en terme de « qualité des preuves ».
Dans les médias occidentaux, la réception a été d’une dignité absolue : silence total.
En réalité, Hassan Nasrallah avait tenu quelques jours plus tôt un de ces énormes meetings populaires, pour célébrer la fin de la guerre de 2006 ; il avait terminé la célébration en accusant directement Israël d’être responsable de l’assassinat de Rafiq Hariri, et annoncé qu’il prendrait le temps d’une autre conférence de presse pour exposer ses « preuves ».
Ainsi, dans les jours précédents le 9 août, de nombreux médias occidentaux ont donc annoncé la conférence de presse, sur le thème : regardez ce gros islamiste paranoïaque qui va se ridiculiser devant la planète entière avec une nouvelle théorie du complot totalement farfelue.
Mais la soirée est... épouvantable : pas d’histoires de Kabbale, pas de références à Sykes-Picot, Nasrallah alignant les questions rhétoriques efficaces, pas de pinaillages sur les détails techniques de l’explosion et, surtout, cette invraisemblable révélation de l’interception d’images des drones d’observation israéliens au-dessus de Beyrouth. Effet phénoménal sur les spectateurs libanais : si chacun connaît déjà la présence de ces drones, c’est tout autre chose de voir son propre pays, sa propre ville, jusqu’au niveau des voitures sur les parkings, à travers l’œil électronique des caméras de l’armée ennemie.
Alors, évidemment, chacun discute les détails, certains trouvent que c’est trop, d’autres pas assez, ça ne prouve rien, ça prouve tout... Mais en tout cas, l’opinion publique vient de subir un choc total.
Les médias internationaux, déçus de ne pouvoir montrer Hassan Nasrallah en train de se ridiculiser, passent l’essentiel de la conférence de presse sous silence.
Si vous avez du temps devant vous, c’est une vidéo à voir absolument. Ça dure deux heures et demi ! Attention, c’est très progressif, la première demi-heure est assez lente, expose l’idée générale, puis ça s’accélère jusqu’à la soixantième minute. L’accélération lente de la dramatisation est impressionante. (La dernière demi-heure n’est pas indispensable, il s’agit des questions-réponses avec les journalistes.)
Dans l’absolu, il ne s’agit pas de croire ou non les accusations du Hezbollah. L’important est de comprendre ce qui motive les deux tiers des libanais sur cette question, plutôt que de se laisser expliquer par des médias qui ont passé ces conférences sous silence, que tous ces gens souffrent de l’aveuglement irrationnel typique des foules arabes fanatisées.