• Une projection de « La Zone d’intérêt » présentée par un collectif de militants juifs antisionistes suscite la controverse

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/05/une-projection-de-la-zone-d-interet-presentee-par-un-collectif-de-militants-

    #antisionnisme

    Johann Chapoutot, spécialiste du #nazisme, a annulé sa participation à une soirée prévue mardi 6 février autour de la #projection de La Zone d’intérêt, le film de #Jonathan_Glazer sur la vie quotidienne de Rudolf Höss, le commandant d’#Auschwitz. Organisée au Grand Action, dans le 5e arrondissement de Paris, une rencontre entre l’historien et la chercheuse en langues, littératures et cultures arabes et #hébraïques Sadia Agsous-Bienstein devait être animée par le #collectif_juif_antisioniste Tsedek !.

    « Je ne peux pas, en conscience, participer à vos activités », a écrit, le 1er février, Johann Chapoutot à Samuel Leter, membre de Tsedek ! chargé de ce ciné-club. En cause : le communiqué du collectif publié le 7 octobre 2023. Dans ce message, toujours en ligne sur Instagram, le groupe écrit : « Il ne nous appartient pas de juger de la stratégie de la résistance palestinienne. Mais il est de notre responsabilité de rappeler sa légitimité fondamentale. »

    M. Chapoutot n’en avait pas connaissance avant la parution, le 1er février, d’un article de Télérama consacré à une première annulation de cet événement, lequel aurait dû se tenir le 30 janvier au Majestic Bastille, à Paris, avec Sadia Agsous-Bienstein (#Johann_Chapoutot ayant eu une contrainte d’agenda). « Ce n’était pas possible pour moi, explique le chercheur. Je suis spécialiste du nazisme et de la Shoah, le #Hamas est un mouvement #négationniste. Tuer des enfants et violer des femmes ne sont pas des actes de #résistance. Il s’agit d’un massacre de nature #terroriste, dont la dimension #antisémite ne peut pas être contestée. »

    Simon Assoun, un des porte-parole de Tsedek !, dénonce « une lecture malhonnête de ce communiqué », citant également celui que le collectif a publié le 12 octobre : « L’ampleur et la brutalité des massacres commis (…) doivent être dénoncées pour ce qu’ils sont : des crimes de guerre. Les centaines de vies israéliennes et palestiniennes arrachées nous meurtrissent. »

    « La Shoah fait partie de notre histoire »
    Samuel Leter affirme ne pas comprendre la réaction tardive de l’historien : « Dans le mail où il a accepté de participer à la rencontre, il dit qu’il admire notre courage ! » Dans ce message du 10 janvier 2024, Johann Chapoutot fait notamment référence à l’avocat Arié Alimi : « Je connais bien votre collectif, dont j’admire le courage, tout comme celui d’Arié, qui est, je crois, des vôtres. »

    En réalité, l’historien a cru dialoguer avec #Golem, le mouvement cofondé par Arié Alimi dans la foulée de la marche contre l’antisémitisme du 12 octobre. « J’ai fait l’erreur de répondre spontanément, sans vérifier, afin d’aider ce qui me semblait devoir l’être : un collectif de juifs de gauche qui s’était opposé à la participation du RN [Rassemblement national] à la manifestation contre l’antisémitisme, le RN-FN [Front national] ayant été fondé, rappelons-le, par des vétérans de la Waffen-SS et de la Milice », explique-t-il.

    #Tsedek ! comme Golem sont marqués à gauche. Tsedek !, #décolonial, affirme « lutter contre le racisme d’Etat en France et pour la fin de l’apartheid et l’occupation en Israël-Palestine ». Golem milite contre tous les racismes et dénonce l’instrumentalisation de la lutte contre l’#antisémitisme. « Tsedek ! est une organisation qui ne dénonce pas l’antisémitisme de la gauche ou de la #France_insoumise, décrypte l’historien #Tal_Bruttmann, proche de Golem. Ils servent de paravent à des gens qui sont ouvertement antisémites et ils dénoncent l’instrumentalisation de la #Shoah dans une seule direction. »

    La rencontre du 6 février animée par Tsedek ! au Grand Action est annulée. Le #cinéma explique que « des pressions extérieures ont conduit à l’annulation de la participation des intervenant.e.s prévue.e.s ». Samuel Leter juge que ces annulations équivalent à de la censure : « Nous sommes #juifs, la Shoah fait partie de notre histoire. Il ne peut y avoir de #monopole_de_la_mémoire de la Shoah. »

    La pertinence d’un échange avec une spécialiste des littératures #palestinienne et #israélienne au sujet d’un film sur la Shoah a été débattue avant la première annulation du ciné-club, ce que déplore Sadia Agsous-Bienstein : « Tsedek !, que je connais, m’invite à parler d’un film sur la Shoah, un film sur la banalité de la vie d’une famille allemande à côté d’un #camp d’extermination. J’ai travaillé sur la Shoah et c’est un film sur la Shoah. En quoi ne suis-je pas #légitime sur la question ? Parce que je suis #algérienne ? » L’une de ses recherches, « La Shoah dans le #contexte_culturel #arabe », a été cofinancée par le #Mémorial de la Shoah.

    Ce n’est pas la première fois qu’un événement animé par Tsedek ! suscite la #controverse. En décembre, une conférence coorganisée par le collectif a été annulée par la #Mairie_de_Paris. Raison invoquée : la présence parmi les organisateurs de l’#association #Paroles_d’honneur, dont est membre la #militante_décoloniale #Houria_Bouteldja.

    #Zineb_Dryef

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  • Juifs et décoloniaux ? entretien avec le collectif #Tsedek !

    À la suite d’un article sur l’antisémitisme co-écrit par David (https://www.frustrationmagazine.fr/5-pistes-pour-combattre-lantisemitisme-a-gauche), juif révolutionnaire, nous avions démarré une discussion avec le #Collectif_Tsedek qui avait manifesté des points de désaccords. Celui-ci se décrit dans son manifeste comme “un collectif de juifs et juives décoloniaux·ales luttant contre le racisme d’État en France et pour la fin de l’apartheid et de l’occupation en Israël-Palestine” et se situe “en rupture avec les discours promulgués par les institutions juives censées nous représenter et par la majeure partie des collectifs juifs antiracistes français”. Le collectif a aussi fait parler de lui récemment grâce à une interview pour Konbini qui a beaucoup fait réagir. Entre le début et la fin de notre discussion, la situation en Palestine et Israël a connu une nouvelle crise majeure suite aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023, qui ont donné une grande actualité à cette dernière. Il est plus que jamais nécessaire, contre toutes les simplifications et les caricatures, de faire entendre et connaître les voix juives contre le colonialisme israélien. Dans ce grand entretien, nous avons parlé de la représentation des juives et juifs en France, de l’antisémitisme, du sionisme, de l’anticapitalisme et de la situation en Israël-Palestine. Propos recueillis par Nicolas Framont.
    Pourquoi avez-vous décidé de créer votre collectif ? Quel vide vient-il combler ?

    Tsedek ! (https://tsedekdecolonial.wordpress.com) est le fruit de la rencontre de militant·e·s juifs et juives issu·e·s d’horizons différents et convaincu·e·s de la nécessité d’une voix juive décoloniale. Il est né aussi du refus d’être représenté·e·s par les institutions juives et par la majorité des collectifs juifs antiracistes actuels en France. Il nous paraissait urgent de créer une nouvelle maison politique afin de lutter simultanément contre le racisme d’État en France, l’instrumentalisation de l’antisémitisme et contre l’apartheid en Israël-Palestine. Le mot “Tsedek” renvoie au concept de justice dans la tradition juive. Une idée qui est totalement absente du discours des organisations juives se réclamant de la lutte contre l’antisémitisme et qui selon nous doit être au cœur du combat antiraciste.

    Certain·e·s d’entre nous se sont rencontré·e·s au sein de l’UJFP – l’Union Juive Française pour la Paix – un des piliers du mouvement de la solidarité avec la Palestine et de la lutte contre l’apartheid israélien en France. Notre formation politique doit beaucoup à ses militant·e·s ainsi qu’à l’antiracisme politique, porté notamment par le QG Décolonial et le média Paroles d’Honneur. D’ailleurs, la collaboration avec d’autres collectifs antiracistes est une de nos priorités.

    Nous nous opposons au discours de plus en plus répandu, y compris à gauche, qui vise à singulariser l’antisémitisme, à en faire un racisme exceptionnel, déconnecté des autres racismes tout comme un enjeu essentiellement moral, d’individu·e·s à éduquer et à former. Il est urgent de dénoncer les angles morts et les effets délétères de cet “anti-antisémitisme”, qui en plus d’éviter soigneusement d’analyser les structures qui produisent l’antisémitisme en France aujourd’hui – l’État-nation français et l’État colonial israélien – est bien souvent indifférent voire complaisant à l’égard des autres formes de racismes.

    Faire ce constat nous amène à intégrer des réflexions qui gagneraient à être abordées dans les milieux militants de gauche, portant sur la politique assimilationniste envers la communauté juive, le sionisme, le philosémitisme ou encore la mise en concurrence des minorités raciales et la colonialité de l’État français en général. Ce que nous apportons peut-être de nouveau au champ politique, c’est que nous voulons mettre l’expérience de la judéité et le rapport aux traditions juives au cœur de notre inspiration politique. Cela se traduit, entre autres, par l’organisation à venir d’événements culturels. Nous souhaitons inscrire ce rapport au culturel en rupture avec une identité juive unique telle que promue par le sionisme et le colonialisme français – par ailleurs nos émissions Twitch, intitulées Haolam Hazeh et diffusées sur la chaîne Paroles d’Honneur, traitent des fractures créées par la blanchité.
    Par qui est-on représenté.e, quand on est juive ou juif en France, et en quoi est-ce problématique pour vous ?

    Les juives et juifs en France constituent une population très diversifiée, que ce soit sur le plan social, culturel ou religieux. Il faut donc avoir conscience des limites de la question de la représentativité, d’autant plus que cette dernière relève d’abords d’enjeux politiques et de pouvoir. Pour nous, les représentants des juif·ve·s en France en disent plus sur la relation de la société française aux juif·ve·s que sur les juif·ve·s eux-mêmes.

    Les représentants les plus officiels sont, pour les plus anciens, directement issus du pouvoir napoléonien, avec l’enjeu à l’époque de placer les juif·ve·s français sous contrôle politique. C’est le cas, par exemple, du Consistoire central, qui s’occupe des affaires cultuelles. Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), sans doute le plus connu de ces représentants, est quant à lui issu de la résistance à l’occupation allemande et à la politique nazie. À l’origine distant de la politique française et sans position sur la question du sionisme, il devient, sous l’impulsion de Mitterrand et du pouvoir en France, un acteur politique aligné sur les intérêts de la classe dirigeante et de l’État d’Israël. Le CRIF s’est d’ailleurs souvent illustré ces dernières années par des déclarations islamophobes et réactionnaires, n’hésitant pas à relativiser l’antisémitisme de l’extrême droite et du RN en particulier, pour mieux faire de la gauche et de la jeunesse des quartiers les principaux vecteurs d’antisémitisme en France.

    Différentes ONG et associations telles que l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), AJC France (l’antenne française de l’American Jewish Committee) ou encore des collectifs juifs se revendiquant antiracistes sont également appelés à la barre dès qu’il s’agit de parler d’antisémitisme.

    Tous ces groupes alimentent à leur manière les poncifs de la droite conservatrice, en particulier la thèse du « nouvel antisémitisme », attribuant la haine des juif·ve·s aux populations musulmanes issues de l’immigration post-coloniale. Ils participent aussi à renforcer de différentes manières l’amalgame “juif·ve = sioniste”, et jouent un rôle crucial dans la délégitimation des soutiens aux droits des Palestinien·ne·s, en accusant par exemple les militant·e·s BDS d’être antisémites ou en propageant l’amalgame “antisionisme = antisémitisme”. En tant que juifs et juives, nous ne nous retrouvons donc ni dans les organisations qui défendent l’apartheid israélien ou qui attribuent l’antisémitisme aux musulman·e·s, ni dans celles qui, à gauche, tentent d’implanter ces idées sous couvert d‘un discours antiraciste.
    Dans votre manifeste, vous dîtes que l’État français fait de vous des citoyens à part : comment cela se traduit ?

    Le racisme d’État se fonde sur des catégories raciales informelles et organise la société à partir de ces catégories qu’il hiérarchise et met en concurrence les unes avec les autres. La place qu’occupent les juif·ve·s est paradoxale : les juif·ve·s sont d’un côté insolubles dans la nation, des éternels étranger·ère·s, mais feraient en même temps partie de la “civilisation judéo-chrétienne“, leurs intérêts se fondant supposément dans ceux de l’Occident. Cette articulation bancale entre antisémitisme et philosémitisme est, sans le déterminer entièrement, caractéristique du processus de racialisation des juif·ve·s aujourd’hui.

    Ajoutons que le philosémitisme [Attitude favorable envers les Juifs, en raison de leur religion, de qualités attribuées collectivement aux Juifs, et de leur statut de peuple élu de Dieu, NDLR] (qui reste une forme d’antisémitisme), de par son statut opportuniste, n’est pas une constante : il y a des séquences plus ou moins philosémites alternant avec des séquences antisémites plus explicites, selon ce que l’État bourgeois blanc juge le plus utile à ses intérêts. Ces dernières années, Macron semble trouver plus judicieux de rassurer la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie en lui envoyant nombre de signaux antisémites à peine voilés : les hommages aux figures historiques de l’extrême droite (Pétain, Maurras, Bainville), la présence dans son gouvernement d’un ministre qui a écrit pour l’Action Française et publiquement relayé les thèses antisémites de Napoléon, ou le silence gênant de la majorité lors de la réhabilitation en bonne et due forme de Maurice Barrès par le député LR Jean-Louis Thiériot. Cette ligne idéologique tranche nettement avec celle du gouvernement Valls par exemple, qui était plus IIIe République dans son approche, par la valorisation du rôle des juif·ve·s dans la constitution de la République et de la nation française.

    Cela n’empêche pas certains représentants politiques, y compris issus du RN, et certaines institutions de l’État de se placer comme les protecteurs des juif·ve·s afin de mieux légitimer des politiques répressives. La loi Sarah Halimi adoptée en 2021 l’illustre très bien. Ayant été présentée comme une loi venant répondre au sentiment d’insécurité de la communauté juive, elle n’a finalement abouti qu’à plus de répression pour les populations non blanches marginalisées et a renforcé l’appareil autoritaire de l’État. Comme l’illustre “l’affaire Médine” de cet été, nous traversons une séquence où la prétendue défense des juif·ve·s sert à justifier l’islamophobie d’Etat, à museler des organisations et figures des droits de l’Homme ou à créer des fractures au sein du mouvement social et de la gauche.

    Enfin, le soutien affiché de la Macronie aux juif·ve·s passe en grande partie par un soutien sans faille à Israël, avec un lobbying intense au sein du groupe parlementaire Renaissance pour faire taire dans ses rangs toute critique de l’apartheid israélien. L’adhésion de l’État français à l’idéologie sioniste fait des juif·ve·s des citoyen·ne·s de facto à part. Elle renforce l’idée que les juif·ve·s français·e·s ne sont pas entièrement français·e·s car ils appartiendraient à une nation juive qui a sa place sur le sol historique de la Palestine. Si nous ne sommes vraiment chez nous qu’en Israël, qu’est ce que cela veut dire pour nos droits, notre sécurité et notre émancipation en France ?

    Vous définissez le sionisme comme “un projet raciste colonial et ethno-nationaliste” : comment cela se fait-il qu’en France l’antisionisme soit à ce point diabolisé et amalgamé avec l’antisémitisme ? Comment sortir de ce piège ?

    L’amalgame entre antisionisme et antisémitisme relève d’abord d’un effort des organisations sionistes et des gouvernements israéliens successifs pour associer la solidarité avec les Palestinien·ne·s à l’expérience occidentale de l’antisémitisme. Ce discours se développe en réaction à la dégradation de l’image de l’État israélien sur la scène internationale, suite au début de l’occupation en 1967 et à la résolution 3379 de l’ONU adoptée en 1975 (et révoquée depuis) qui déclarait que le sionisme était une forme de racisme. Cette dégradation s’est accélérée à partir des années 80 avec l’invasion du Liban et la première Intifada.

    Partant de cet amalgame, l’identité juive passe forcément par le sionisme, l’adhésion à un projet ethnonationaliste. Juif·ve = sioniste et judaïsme = sionisme. Cette politique de propagande a rencontré un accueil bienveillant auprès des classes dirigeantes occidentales qui partagent des intérêts et des valeurs avec l’État israélien.

    En France, cet amalgame est un élément central de la construction nationale, révèle comment la France se rêve – c’est-à-dire en protectrice des juif·ve·s – et comment elle rêve les juif·ve·s de France – faisant partie d’une autre nation.

    Cet amalgame est à la fois un bouclier et une épée. Il permet à l’État français de s’absoudre à peu de frais de sa responsabilité dans la persécution des juif·ve·s d’Europe – comment pourrait-il être antisémite puisqu’il est un fervent soutien de “l’État des juif·ve·s” ? Il est aussi un moyen efficace de marginaliser socialement et politiquement les classes populaires issues de l’immigration post-coloniale, historiquement critiques du colonialisme israélien, mais aussi les militant·e·s anticolonialistes et antiracistes qui se revendiquent antisionistes.

    Aujourd’hui, la défense des intérêts de l’État d’Israël – l’impensé du colonialisme sioniste et la négation des droits des Palestinien·ne·s – est assurée par cet amalgame. Les droits et les libertés des Palestinien·ne·s sont d’abord en jeu ici, mais la sécurité des juif·ve·s en France en est aussi impactée. Car en liant le sort des juif·ve·s de France à celui d’un projet colonial suprémaciste entre la Mer et le Jourdain, elle les place inexorablement entre le marteau et l’enclume.

    Evidemment, on peut être antisémite et antisioniste, les années Dieudonné-Soral nous l’ont bien montré et ont d’ailleurs donné un élan à l’amalgame. Mais assimiler par principe l’un à l’autre relève d’une escroquerie politique et intellectuelle. Surtout si l’on ignore systématiquement les liens politiques de plus en plus visibles qui unissent les défenseurs de l’idéologie sioniste aux politicien·ne·s suprémacistes blancs et aux antisémites européen·ne·s ou étasunien·ne·s.

    Sortir du piège que constitue cet amalgame, c’est d’abord ne pas se laisser intimider par de tels dispositifs, comprendre comment ils fonctionnent et quels intérêts ils servent. C’est s’alarmer du fait qu’il dépouille l’antisémitisme de toute signification. Les crimes du colonialisme israélien étant commis par des individu·e·s se réclamant du judaïsme ou de la judéité, au nom de “l’État des juif·ve·s”, par des hommes et des femmes politiques exigeant des juif·ve·s du monde entier une solidarité inconditionnelle sous peine d’être qualifié·e·s de traîtres, nous pensons que c’est la politique israélienne, et non la lutte contre celle-ci, qui renforce l’antisémitisme.
    Dans Frustration magazine, nous avons publié un texte de David, qui se définit comme juif et révolutionnaire, sur les postures antisémites à éviter quand on est de gauche, un texte qui vous a fait réagir. Sans entrer dans les détails, qu’est-ce qui vous a fondamentalement déplu dans ce texte ?

    Sur le papier, comment ne pas être d’accord avec le postulat de David ? Il faut combattre l’antisémitisme partout, y compris à gauche. Néanmoins, David s’appuie principalement sur l’expérience individuelle de certain·e·s militant·e·s juif·ve·s de gauche. La place que prennent les récits subjectifs dans sa démonstration est problématique au regard de la pauvreté de l’étayage matériel censé soutenir son analyse. Celle-ci est dépolitisante et véhicule une conception morale de l’opposition au racisme (« le racisme, c’est mal » sic), ce à quoi nous répondons que, certes, le racisme est moralement condamnable, mais que ce n’est pas le sujet quand il s’agit de lutter contre. L’antisémitisme est réduit à ses symptômes et la question des structures qui le produisent est laissée de côté.

    Même en admettant le postulat d’un problème structurel et spécifique à « la gauche » vis-à-vis de l’antisémitisme, rien dans le texte ne constitue un début de levier permettant de le résorber. Le décalage entre son ambition louable (mettre en évidence l’antisémitisme comme point aveugle à gauche) et la faiblesse de la démonstration nous interpelle, et devrait interpeller tout·e militant·e entendant prendre la question de l’antisémitisme au sérieux.

    Les limites et impasses méthodologiques du texte de David sont porteuses de confusion. Ainsi, elles l’amènent à mettre sur un même plan d’analyse une anecdotique histoire de falafels – dont on se demande encore le rapport avec la question de l’antisémitisme à gauche – et le fait de demander à un·e juif·ve de se justifier de la politique israélienne uniquement parce qu’il ou elle est juif·ve. De même, la gauche n’étant jamais définie, on ne sait pas vraiment de qui il est question. Qui commente « Free Palestine » sous une photo de vacances d’une personne identifiée comme juive ? Est-il ou est-elle « la gauche » ? Un·e internaute lambda partageant du contenu de gauche ? Un·e militant·e encarté·e ? Un·e responsable politique ? Quel impact a réellement ce commentaire sur la sécurité des juif·ve·s et peut-il sérieusement être caractérisé d’acte antisémite ?

    Au final, deux éléments pourtant centraux dans la production et la circulation de l’antisémitisme sont ignorés. D’une part, la manière dont le sionisme et la politique israélienne sont venus percuter la question de l’antisémitisme : en associant le nom « juif » à une entreprise coloniale, en conditionnant la réalisation supposée des intérêts juifs à la spoliation et l’oppression des Palestinien·nes, l’État israélien et ses soutiens cultivent dangereusement le terrain d’un antisémitisme d’autant plus dangereux qu’il pourrait s’auto-justifier par la cause juste de la lutte contre le colonialisme et l’oppression. D’autre part, l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme par un pouvoir d’État de plus en plus islamophobe et antisocial est ignorée. Pourtant, cette instrumentalisation nourrit l’antisémitisme et favorise sa circulation.

    Enfin, nous ne pouvons ignorer le contexte d’énonciation depuis lequel nous parlons. Ce texte s’inscrit dans une controverse lancée il y a quelques années et qui consiste à affirmer, à partir d’une position de militant révolutionnaire de gauche, que la gauche à un problème spécifique avec l’antisémitisme. Un discours qui arrive en écho à ce que l’on entend du côté de la droite et des soutiens de la politique israélienne depuis bien plus longtemps. Au regard des enjeux politiques extrêmement graves de notre époque et, notamment, ceux relatifs à la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie, une telle démarche nous pose question. Nous pensons, au contraire, qu’il est urgent d’identifier clairement les structures de production de l’antisémitisme là où elles sont : à droite, à l’extrême-droite, dans le pouvoir d’Etat en France, dans la politique israélienne.

    Enfoncer des portes ouvertes ou aligner des apories n’est d’aucune utilité dans la lutte contre l’antisémitisme. Oui, il peut y avoir des personnes ou des propos antisémites « à gauche », comme on peut y trouver des personnes ou des propos sexistes, islamophobes, homophobes. Cela ne veut pas dire pour autant que « la gauche », en tant que telle, est un lieu spécifique de production de l’antisémitisme. Et, a fortiori, que la cibler est une priorité.

    Les formations ou les textes de développement personnel “5 pistes pour combattre l’antisémitisme” tel que celui de David, publié qui plus est dans une revue de gauche que nous apprécions par ailleurs, sont le symptome du manque d’analyses sérieuses de l’antisémitisme aujourd’hui ainsi que de sa dépolitisation. Une des raisons pour laquelle Tsedek ! a été fondé est justement de répondre à ce manque, et de proposer une alternative décoloniale et véritablement antiraciste.
    De nombreux intellectuels dominants ont pour habitude d’associer anticapitalisme et antisémitisme. S’en prendre à la grande bourgeoisie, ce serait toujours, dans le fond, s’en prendre aux juives et aux juifs. Que répondre à ce genre d’attaque ? Est-ce qu’elles s’inscrivent dans l’instrumentalisation des juives et juifs que vous dénoncez ?

    Dès le Moyen Âge, les juif·ve·s ont joué un rôle important dans le commerce et la finance en Europe, poussé·e·s par la théologie chrétienne dominante condamnant le prêt d’argent à intérêt, elle laissait ces activités aux « juifs maudits ». Bien qu’essentiel·le·s à l’économie médiévale, les juif·ve·s étaient, dans la pensée chrétienne, doublement damné·e·s en tant que tueurs du Christ et parasites économiques. Cette perception a perduré, constituant un substrat pour les discours antisémites et complotistes émergeant du XIXe siècle, y compris dans des courants anticapitalistes de gauche romantique, qui octroient aux juif·ve·s une relation spéciale à l’argent et au pouvoir.

    Ces discours restent en circulation aujourd’hui mais peuvent prendre des formes différentes, ré-adaptés aux besoins du moment, pour atteindre de nouveaux publics. Une chose ne change pas : ces théories permettent encore de faire passer un discours raciste pour un discours anti-système ou anti-élites et peuvent surgir partout sur l’échiquier politique. Néanmoins, elles sont produites et propagées par les extrêmes droites et dans une moindre mesure par une droite républicaine de plus en plus ouvertement raciste : le « grand remplacement » de Renaud Camus a pu être mobilisé par Pécresse, la candidate de la droite républicaine lors des élections présidentielles.

    Les éditorialistes, polémistes, think-tanks, politiques, et même certain·e·s militant·e·s antiracistes qui se font les défenseur·euse·s de la théorie du « fer à cheval », si chère au bloc bourgeois qui aime à penser que les « extrêmes se rejoignent », ont compris que l’association du « socialisme des imbéciles » avec l’anti-capitalisme et la critique de la financiarisation de l’économie portée par la gauche aujourd’hui est un moyen efficace de la décrédibiliser et de créer des fractures en son sein. Il s’agit d’une autre facette de l’instrumentalisation de l’antisémitisme et de sa redéfinition.

    L’antisémitisme a signifié des choses différentes pour différentes personnes à différentes époques. Mais cet « antisémitisme de gauche » basé sur l’association entre anticapitalisme et antisémitisme repose sur une conception rigide et confuse de l’antisémitisme, presque caricaturale. Pour essayer de trouver une cohérence dans ces accusations à la volée, cette lecture renonce à considérer la politique de façon matérialiste pour se focaliser sur ce qu’elle identifie comme des « tropes » – des phrases, des mots ou des images qui dans certains contextes politiques et historiques précis charriaient des idées antisémites mais qui, lorsqu’elles sont prises au pied de la lettre et déconnectées du contexte politique dans lequel elles sont prononcées, ne sont plus que des signifiants vides. Ainsi, de simples mots utilisés pour décrire des faits – la négation du droit international par l’Etat israélien lorsqu’il déporte Salah Hamouri, le maintien d’une personne en poste suite au remaniement ministériel d’un gouvernement en crise en la personne d’Elisabeth Borne qualifiée de “rescapée” par Mathilde Panot ou le caractère parasitaire de la classe bourgeoise – deviennent les éléments d’un discours antisémite car pouvant l’être hypothétiquement dans une autre réalité politique. Cela signifie que pour être désigné publiquement comme antisémite, il n’est plus nécessaire d’adhérer à une vision du monde antisémite caractérisée par la haine des juif·ve·s, la croyance en un complot juif, la croyance que les juif·ve·s ont engendré le communisme et/ou contrôlent le capitalisme, la croyance en l’infériorité raciale des juif·ve·s, etc. La seule présence d’un trope, qui hors d’un contexte et d’un programme politique structurellement antisémite n’est plus qu’une coquille vide, permet de dégager une soi-disant intention antisémite.

    Certes, en tant qu’anti-racistes nous savons que le discours, les mots et les images ont un rôle historique central dans la consolidation du système raciste. Mais les actes antisémites d’aujourd’hui ne reposent pas sur le système raciste de la France du XXe siècle ou de l’Allemagne des années 1930. L’antisémitisme, contrairement à l’islamophobie, n’occupe plus une place centrale dans l’idéologie dominante. Au vu de l’urgence antiraciste, nous ne pouvons laisser ces accusations fondées sur des signifiants vides et déconnectés dicter le cadre de nos luttes antiracistes.

    Il est faux et surtout dangereux d’affirmer que l’antisémitisme aujourd’hui est une production de la gauche anti-capitaliste et anti-impérialiste. Ce n’est pas de là qu’il surgit et ce n’est pas à partir de là qu’il se propage. Nous comprenons l’émotion et le sentiment d’insécurité qui est suscité lorsque l’antisémitisme est discuté en France, mais nous refusons d’en faire le vecteur de notre politique. Nous devons comprendre pourquoi des voix juives attirées par la gauche se sentent menacées par celle-ci et œuvrer pour dépasser la peur et son instrumentalisation. Mais participer à cette chasse au tropes sans la questionner pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un outil au service de la réaction, ne fait que mettre en avant les juif·ve·s comme des victimes éternelles et permanentes. Cela marginalise celles et ceux qui subissent une violence bien plus grande aujourd’hui et fracture davantage un front antiraciste fragile qu’il nous faut construire et renforcer au plus vite.

    En conséquence, Tsedek ! veut aussi repolitiser la question de l’antisémitisme à gauche. La confusion autour de ce qu’est l’antisémitisme n’a jamais été aussi grande. Alors que d’autres organisations se focalisent sur cette chasse aux tropes, s’évertuent à séparer l’antisémitisme des autres racismes, participent à propager l’idée du nouvel antisémitisme et normalisent le sionisme, nous pensons qu’il est dangereux de déplorer les effets de cette confusion tout en en chérissant les causes.
    Depuis le début de nos échanges, la situation en Israël-Palestine a pris une tournure dramatique. Les morts se comptent par milliers. Quelle est votre analyse de l’attaque perpétrée par le Hamas en Israël le samedi 7 octobre, ainsi que de la riposte de Tsahal ? Comment vous positionnez vous dans le débat sémantique qui déchire les forces de la gauche institutionnelle quant à la caractérisation de l’attaque du Hamas ?

    À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 1300 Israéliens et plus de 3000 Palestiniens de Gaza ont perdu la vie, dont de nombreux enfants. Ce décompte macabre nous donne la nausée. Nous sommes convaincus que ces morts auraient pu être évitées. Tout en déplorant l’attaque indiscriminée d’un nombre inégalé de non-combattants en Israël – enfants, femmes et hommes -, nous refusons pour autant de mobiliser la catégorie politique de terrorisme.

    Cette notion a acquis un sens bien particulier depuis les attentats du 11 septembre et de 2015 en France. Non, contrairement à ce que nous pouvons entendre en Israël et sur de nombreux plateaux français, le Hamas ne s’en ait pris ni à la présence juive en Palestine par antisémitisme, ni aux valeurs occidentales dont Israël serait le garant dans un ensemble régional hostile et arriéré. Dire cela, c’est occulter la dimension coloniale de ce qui se joue en Israël-Palestine. Relayer cette thèse, c’est insulter l’ensemble des Palestiniens qui sont victimes depuis plus d’un siècle d’une politique radicale de dépossession sur leur propre terre qui a pris et continue à prendre de nombreuses formes : exils forcés, états d’urgence militaire, assassinats ciblés, répression féroce de l’opposition pacifique, fragmentation en divers statuts juridiques du peuple palestinien, enfermement sans procès de milliers de personnes, colonisation, blocus, apartheid.

    Nous saluons le courage politique du NPA, mais aussi de LFI qui, sans pour autant épouser nos positions antisionistes (le mouvement continue de militer pour la solution à deux États par exemple), résiste aux injonctions morales violemment portées par toutes les composantes du bloc bourgeois. Contre vents et marées, elle se refuse toujours à parler de terrorisme pour caractériser l’attaque du 07/10, et ce pour deux raisons que nous partageons également. Premièrement, le terrorisme n’est pas une catégorie juridique encadrée par le droit international. Il est donc logiquement impossible d’envoyer les auteurs devant la CPI pour qu’ils répondent de leurs crimes. Deuxièmement, la catégorie de terrorisme empêche de penser et de contextualiser. Avec elle, les combattants du Hamas ne sont que des barbares assoiffés de sang juif. Ils peuvent donc être neutralisés sans que le statu quo colonial qui étouffe Gaza depuis 2007 sous la forme d’un blocus cruel ne soit remis en cause. Les autres forces de la NUPES jouent un jeu dangereux qui relève par ailleurs de l’instrumentalisation cynique d’une guerre violente : ils cherchent à isoler LFI, mais joignent la meute des soutiens inconditionnels du colonialisme israélien en épousant leur agenda sémantique – le tout, bien évidemment, sur le dos de la solidarité avec les Palestiniens.

    Et de cette solidarité, les Palestiniens en ont plus que jamais besoin ! La violence des représailles qui s’abat sur les Gazaouis est incommensurable. Elle vise indistinctement combattants et civils, au mépris des conventions les plus élémentaires du droit international. Imaginez bien, en moins de deux semaines, l’armée israélienne a déversé plus de bombes sur le territoire exigu de 360 km2 composé d’une part importante d’enfants (près de 50% de la population) que l’armée étasunienne sur l’Afghanistan en une année. En choisissant de participer au cirque organisé par la Macronie visant à exclure LFI de “l’arc républicain”, les autres composantes de la NUPES se déshonorent et ne mobilisent pas leurs forces pour exiger de la France qu’elle appelle à un cessez-le-feu immédiat, condition indispensable mais non suffisante à la reprise d’une discussion politique entre les colons et les colonisés ensauvagés par des décennies de sionisme réellement existant.
    Comment vit-on la situation actuelle, quand on est juif décolonial, au niveau individuel comme collectif ? On peut imaginer que ça doit être particulièrement violent de vivre des positions très antagonistes au sein de la communauté juive par exemple. Comment on tient le coup, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

    Au niveau individuel, nous vivons évidemment une période extrêmement difficile et douloureuse. Les attaques du 7 octobre nous ont profondément attristés. Nous partageons cette peine avec nos proches en Israël, mais aussi en France, auprès de nos familles elles aussi extrêmement touchées par ce qu’il s’est passé. Nous avons en même temps vécu un décalage terrible et parfois déchirant avec nos proches, qui ne partagent pas toujours la même compassion que nous éprouvons pour les Palestiniens, qui meurent par milliers sous les bombardements israéliens dans la bande de Gaza. Entendre des membres de nos familles reprendre mot pour mot la rhétorique génocidaire du gouvernement israélien nous bouleverse profondément et nous rappelle à quel point la parole juive antisioniste est lourde à porter d’un point de vue individuel et affectif. Et en même temps, ces moments nous rappellent l’importance de notre engagement contre le colonialisme, et la perte d’humanité qu’il induit.

    Collectivement, nous sommes aussi extrêmement inquiets du climat actuel en France, qui transforme la situation en Israël-Palestine en un affrontement entre juifs et musulmans, un narratif qui n’aura pour répercussion que la multiplication d’actes islamophobes et antisémites. A l’échelle politique, la sécurité des juifs et des juives est une fois encore instrumentalisée pour justifier des mesures autoritaires et racistes : interdiction de manifestations en soutien à la Palestine, suspicion à l’égard des musulmans, arrestations et expulsions. En tant qu’antiracistes, nous combattons l’islamophobie et l’antisémitisme , tout en restant lucides quant à ses lieux de productions, que ce soit l’antisémitisme historique européen ou l’amalgame entre Juifs et Israël. Mais cette position, sur une ligne de crête, peut nous rendre inaudibles pour une partie de notre communauté, qui voit Israël comme la seule solution possible pour nous protéger. Nous rappellerons tant qu’il le faudra que la sécurité des juifs et des juives ne sera pas garantie tant que l’existence d’un pays qui se revendique comme foyer national du peuple juif se basera sur la négation des droits des Palestiniens. Tout comme elle ne la sera pas tant, qu’en France, la persistance de l’antisémitisme européen continuera de prospérer, tout en étant niée, au profit de l’idée fallacieuse que les musulmans représenteraient aujourd’hui la menace existentielle pour les juifs et les juives.

    https://www.frustrationmagazine.fr/juifs-tsedek

    #Israël #Palestine #Juifs_en_France #antiracisme #anticolonialisme #7_octobre_2023 #colonialisme #colonialisme_israélien #à_lire #antisémitisme #antisionisme #sionisme #anticapitalisme #décolonial #entretien #apartheid #racisme_d'Etat #justice #racisme #Juifs_de_France #manifeste #ethno-nationalisme #propagande

  • Exterminez toutes ces brutes (1/4). La troublante conviction de l’ignorance

    Dans une puissante méditation en images, Raoul Peck montre comment, du génocide des Indiens d’Amérique à la Shoah, l’impérialisme, le colonialisme et le suprémacisme blanc constituent un impensé toujours agissant dans l’histoire de l’Occident.

    « Civilisation, colonisation, extermination » : trois mots qui, selon Raoul Peck, « résument toute l’histoire de l’humanité ». Celui-ci revient sur l’origine coloniale des États-Unis d’Amérique pour montrer comment la notion inventée de race s’est institutionnalisée, puis incarnée dans la volonté nazie d’exterminer les Juifs d’Europe. Le même esprit prédateur et meurtrier a présidé au pillage de ce que l’on nommera un temps « tiers-monde ».

    Déshumanisation
    Avec ce voyage non chronologique dans le temps, raconté par sa propre voix, à laquelle il mêle celles des trois auteurs amis qui l’ont inspiré (l’Américaine Roxanne Dunbar-Ortiz, le Suédois Sven Lindqvist et Michel-Rolph Trouillot, haïtien comme lui), Raoul Peck revisite de manière radicale l’histoire de l’Occident à l’aune du suprémacisme blanc. Tissant avec une grande liberté de bouleversantes archives photo et vidéo avec ses propres images familiales, des extraits de sa filmographie mais aussi des séquences de fiction (incarnées notamment par l’acteur américain Josh Hartnett) ou encore d’animation, il fait apparaître un fil rouge occulté de prédation, de massacre et de racisme dont il analyse la récurrence, l’opposant aux valeurs humanistes et démocratiques dont l’Europe et les États-Unis se réclament. « Exterminez toutes ces brutes », phrase prononcée par un personnage du récit de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres, et que Sven Lindqvist a choisie comme titre d’un essai, résume selon Raoul Peck ce qui relie dans un même mouvement historique l’esclavage, le génocide des Indiens d’Amérique, le colonialisme et la Shoah : déshumaniser l’autre pour le déposséder et l’anéantir. De l’Europe à l’Amérique, de l’Asie à l’Afrique, du XVIe siècle aux tribuns xénophobes de notre présent, il déconstruit ainsi la fabrication et les silences d’une histoire écrite par les vainqueurs pour confronter chacun de nous aux impensés de sa propre vision du passé.

    https://www.arte.tv/fr/videos/095727-001-A/exterminez-toutes-ces-brutes-1-4

    #film #documentaire #film_documentaire #peuples_autochtones #récit #contre-récit #récit_historique #histoire #Séminoles #extrême_droite #suprémacisme_blanc #racisme #Grand_Remplacement #invasion #colonialisme #puissance_coloniale #extermination #Tsenacommacah #confédération_Powhatan #Eglise #inquisition #pureté_du_sang #sang #esclavage #génocide #colonialisme_de_peuplement #violence #terre #caoutchouc #pillage

    –-> déjà signalé plusieurs fois sur seenthis (notamment ici : https://seenthis.net/messages/945988), je remets ici avec des mots-clé en plus

  • A la frontière entre la #Lituanie et le #Bélarus, Loukachenko se fait maître passeur

    Pour se venger de Vilnius, qui accueille l’opposition en exil, l’autocrate semble avoir organisé une filière d’immigration clandestine, qui mène des candidats au départ de Bagdad à la frontière de l’Etat balte.

    Depuis la fin du mois de mai, les gardes-frontières bélarusses postés aux lisières de la Lituanie sont au repos. Ils ferment les yeux sur les silhouettes qui traversent les bois dans l’obscurité, sur les traces de pas laissées dans le sable du no man’s land qui sépare les deux pays. Dans leur dos, passent chaque jour plusieurs dizaines de personnes. Des migrants, Irakiens pour la plupart. Depuis le début de l’année, les #gardes-frontières lituaniens ont rattrapé 387 personnes qui venaient d’entrer dans leur pays – et au passage dans l’espace Schengen. Le rythme s’est largement accéléré en juin, avec plus de 200 entrées en quinze jours. Soit plus en deux semaines qu’au cours des deux années précédentes réunies : 81 migrants avaient été arrêtés en 2020 et 46 en 2019.

    « Tout cela découle de raisons géopolitiques. D’après ce que nous voyons, les officiers bélarusses coopèrent et sont potentiellement impliqués dans le transport illégal de migrants », a affirmé la ministre lituanienne de l’Intérieur, Agne Bilotaite. « Les gardes-frontières bélarusses ont stoppé toute coopération avec leurs homologues lituaniens », confirme le porte-parole du service lituanien de protection des frontières, Giedrius Misutis.

    #Chantage migratoire

    Le mois dernier, après l’atterrissage forcé à Minsk d’un vol Athènes-Vilnius, l’arrestation de l’opposant #Raman_Protassevitch et l’opprobre international qui avait suivi, Alexandre #Loukachenko avait prévenu : « Nous arrêtions les migrants et les drogues. Attrapez-les vous-même désormais. » La menace lancée par l’autocrate bélarusse à ses voisins paraissait alors assez creuse. Son pays est loin des principales voies d’entrée en Europe empruntées par les migrants ce qui ne lui permet pas d’avoir recours au type de #chantage_migratoire utilisé l’an dernier par la Turquie ou plus récemment par le Maroc pour solder leurs différends avec Bruxelles.

    Alors, pour augmenter sa capacité de nuisance, il semble que le régime bélarusse se soit lancé dans l’organisation de sa propre filière d’immigration illégale. Pour cela, il a trouvé un nouvel usage à #Tsentrkurort, l’agence de voyages d’Etat, qui travaille avec Bagdad depuis 2017. Entre le mois d’avril et la mi-juin, le nombre de liaisons aériennes opérées par #Iraqi_Airways entre Minsk et Bagdad est passé d’une à trois par semaine. Pendant la deuxième quinzaine de mai, les habituels Boeing 737 ont aussi été remplacés par des 777, à la capacité plus importante.

    « A l’aéroport de Minsk, personne ne vérifie les documents des Irakiens qui ont réservé avec Tsentrkurort. Ils obtiennent automatiquement des #visas », indique le rédacteur en chef de la chaîne Telegram Nexta, Tadeusz Giczan. La compagnie aérienne #Fly_Baghdad, qui dessert presque uniquement des villes du Moyen-Orient, a également ouvert en mai une liaison directe entre les capitales irakienne et bélarusse, qui effectue deux rotations par semaine.

    Agitation à la frontière

    Les autorités lituaniennes ont fait les mêmes constats. « Il y a des #vols Bagdad-Minsk et Istanbul-Minsk deux fois par semaine. En tout, quatre vols qui correspondent aux vagues de migrations [hebdomadaires] », a expliqué le président du comité parlementaire lituanien consacré à la sécurité nationale, Laurynas Kasciunas. La ministre de l’Intérieur estime, elle aussi, que les migrants arrivent par avion de Bagdad et d’Istanbul, avant d’être conduits à la frontière lituanienne, pour des tarifs allant de 1 500 euros par personne à 3 500 pour une famille.

    Ces flux migratoires soigneusement orchestrés semblent dirigés uniquement vers la Lituanie. Le pays est le plus fidèle allié de l’opposition bélarusse, dont la cheffe de file est exilée à Vilnius. C’est aussi un petit Etat, d’à peine 2,8 millions d’habitants, peu habitué à gérer une pression migratoire. Le centre d’accueil des étrangers installé à la frontière du Bélarus arrive déjà à saturation et des grandes tentes viennent d’être installées à sa lisière pour héberger 350 personnes supplémentaires. Lundi, la ministre de l’Intérieur a repoussé l’instauration de l’état d’urgence, estimant que « l’aide internationale prévue » suffirait pour tenir le choc.

    Jamais cette frontière de 500 kilomètres de long n’avait connu autant d’agitation. La nuit, les migrants récemment débarqués au Bélarus tentent le passage, suivis ou précédés par des opposants à Loukachenko qui prennent le chemin de l’exil dans la clandestinité. Le jour, ce sont les Bélarusses déjà réfugiés en Lituanie qui s’y rassemblent, avec drapeaux et pancartes. Ils réclament l’imposition de nouvelles sanctions contre le régime et l’ouverture des frontières pour leurs compatriotes. Car dans le Bélarus de Loukachenko, les migrants sont encouragés à franchir les frontières, mais les citoyens sont assignés à résidence, interdits de quitter le pays, sauf s’ils sont en possession d’un permis de résidence permanent à l’étranger.

    https://www.liberation.fr/international/europe/a-la-frontiere-entre-la-lituanie-et-le-belarus-loukachenko-se-fait-maitre

    #frontières #réfugiés #réfugiés_irakiens #migrations #asile #Protassevitch #compagnies_aériennes #Irak #Biélorussie

    ping @reka

  • Arabic signs removed in İstanbul district densely populated by Syrian refugees

    Officials from the Esenyurt Municipality in İstanbul on Friday removed signs in Arabic from district shops, in a neighborhood densely populated by Syrian refugees, in line with a recently adopted #Turkish_Standards_Institute (#TSE) rule that says the Turkish language should be a priority in signs.


    https://www.turkishminute.com/2018/06/29/arabic-signs-removed-in-istanbul-district-densely-populated-by-syrian
    #langue #arabe #Turquie #Istanbul #réfugiés_syriens #réfugiés #asile #migrations #racisme #xénophobie
    cc @tchaala_la @isskein

  • L’informatique, pièce maîtresse de la #Fraude_électorale « style #Honduras »
    https://reflets.info/linformatique-piece-maitresse-de-la-fraude-electorale-style-honduras

    A l’heure des élections 2.0, la fraude électorale « style Honduras » s’avère aussi manifeste que difficile à prouver. Le scrutin présidentiel hondurien a fait l’objet d’une usurpation informatique presque parfaite, que la communauté internationale a finalement […]

    #Monde #Technos #ASICA #Cofadeh #David_Matamoros_Batson #Fraude_informatique #GANAS #Jennifer_Avila #Organisation_des_Etats_américains #Tribunal_suprême_électoral #TSE

  • La génétique paysagère pour vaincre la mouche tsé-tsé - SciDev.Net Afrique Sub-Saharienne
    http://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/maladie/actualites/genetique-paysagere-vaincre-mouche-tse-tse.html

    Jusqu’à présent, les campagnes d’éradication classiques ont été peu efficaces car, elles visaient des populations pas totalement isolées les unes des autres. Conséquence : les zones nettoyées étaient progressivement réinfestées par les tsé-tsé des régions voisines.

    « A partir d’images satellite, nous avons trouvé un moyen innovant pour quantifier les flux de gènes, mais aussi pour cartographier la résistance du paysage au déplacement des glossines, c’est à dire les barrières naturelles. Cela a permis de détecter les populations de mouches isolées au nord de la ceinture glossinienne d’Afrique de l’Ouest. En éradiquant cette population cible, on empêche toute recolonisation de la zone libérée. Car les autres glossines sauvages sont trop éloignées et le paysage ne permet pas le franchissement », précise Jérémy Bouyer, chercheur au CIRAD.

    Concrètement, pour parvenir à une éradication définitive, des mâles rendus stériles après avoir été #irradiés sont relâchés dans la nature. Ainsi, malgré l’accouplement, les mouches femelles ne peuvent plus avoir de descendance. Cette technique de valorisation pacifique du nucléaire est développée par l’AIEA en lien avec la FAO.

    ...

    Au Sénégal, dans la région des Niayes, le coût pour traiter la zone infestée sur 1 000 km² se monte par exemple à 6,4 millions d’euros (plus de 4,19 milliards de FCFA).

    En retour, le CIRAD estime que la disparition de la trypanosomiase (autre nom de la maladie du sommeil) rapportera 2,8 millions d’euros (1,83 milliard de FCFA) par an aux éleveurs.

    « Dans certaines régions d’Afrique, cela coûte beaucoup plus cher d’éradiquer que de vivre avec la maladie à minima, c’est à dire en luttant pour parvenir à un seuil compatible avec la production. Nous allons donc distinguer deux types de situations : les zones rentables d’éradication en raison de l’isolement des populations de mouches tsé-tsé et les autres où l’on devra vivre et produire avec la maladie », souligne Jérémy Bouyer.

    #ah_bon #zones_rentables #santé #tsé-tsé

  • En Mongolie, vingt-et-un ans de prison pour avoir défendu l’environnement - Reporterre
    http://www.reporterre.net/spip.php?article6446

    #Tsetsegee_Munkhbayar se bat afin que la loi anti-pollution votée en 2009 soit respectée par les exploitants miniers qui détruisent les terres et les cours d’eau de Mongolie. Il a écopé de vingt-et-un ans de prison. Portrait d’un « éco warrior » qui paye de sa liberté son engagement pour l’#environnement.

    #écologie #pollution #mines #santé #cancer @simplicissimus