Il y a un tollé au Liban et au-delà, parce que des médias – connus et inconnus – ont publié des listes partielles ou complètes des témoins de l’accusation pour le tribunal international Hariri. La tribunal est chancelant, selon un titre d’Al-Akhbar.
Les circonstances de la formation du tribunal sont incontestables : il s’est agi d’une décision israélo-américaine pour punir les ennemis de ces deux pays. La famille Hariri, qui est un simple outil de la Maison des Saoud, ne pouvait que suivre les ordres. Vous auriez du mal à trouver une seule initiative de Rafiq Hariri ou de ses héritiers qui n’ait été le produit des services de renseignement syriens ou séoudiens – ou des deux à la fois (souvent en coordination avec l’ambassade américaine au Liban). Les États-Unis voulaient un tribunal au Liban comme instrument de leur politique étrangère, de la même façon qu’ils ne voulaient pas de tribunal au Pakistan (après le meurtre de Benazir Bhutto) pour sauver le général Musharraf. Wikileaks n’a exposé que partiellement de quelle manière les États-Unis étaient intervenus dans tous les aspects du tribunal, et comment la famille Hariri a préparé les faux témoins qui furent ensuite protégés par les régimes pro-américains lorsque leurs faux témoignages ont été révélés.
Le tribunal a été formé au Liban durant une période de profondes divisions politiques. Le gouvernement étatsunien a ordonné au gouvernement Siniora de produire des documents politiques bidons, sans même obtenir l’aval du Président de la République d’alors, afin d’accélérer le processus. Dans un premier temps, le gouvernement Siniora a menti au peuple libanais en prétendant que le tribunal n’était pas « international » en soi, mais qu’il était de « dimension international », comme si une telle catégorie existait en droit international.
Récemment, un site Web libanais anonyme a publié une longue liste de témoins de l’accusation dans le cadre de l’enquête Hariri. De nombreux noms circulaient déjà auparavant, mais beaucoup de nouveaux noms y apparaissaient pour la première fois. Des journalistes libanais ont critiqué cette façon de recopier des noms depuis des sites qui ne sont pas vérifiables. Le porte-parole du tribunal Hariri, qui aime d’habitude parler à la presse sans jamais vraiment dire grand chose, a déclaré que la liste n’était « pas précise », ce qui est l’expression utilisée par les diplomates américains pour authentifier pudiquement des documents publiés.
Mais y a-t-il un problème moral à divulguer les noms de « témoins secrets » ? Eh bien, cela dépend évidemment de l’affaire. On ne peut pas affirmer catégoriquement que tout tribunal devrait être respecté et que tous les témoins de tout tribunal devraient être respectés et protégés. Le Liban et ses voisins ont subi une occupation sauvage par Israël, et les États-Unis introduisent les intérêts israéliens et leur agenda dans toutes ses interventions dans la région. Est-ce que le peuple français devait respecter les tribunaux nazis ? Est-ce qu’un peuple occupé doit respecter un tribunal mis en place par ses occupants étrangers ? Dans tous les cas, les témoins de ces tribunaux sont désavoués (et historiquement punis) en tant que collaborateurs. Est-ce différent pour le tribunal Hariri ?
Pas vraiment. Le tribunal n’est même pas libanais et le peuple libanais – profondément divisé – n’est soumis à aucune obligation de respecter un tribunal qui (1) reflète les intérêts étroits d’une seule faction politique qui a usurpé le pouvoir avec le soutien des États-Unis, pour le compte de l’Arabie séoudite et d’Israël ; (2) a prouvé maintes et maintes fois son objectif politique ; (3) a manqué du minimum de crédibilité notamment par les départs et défections successifs dans ses rangs, et les déclarations ouvertement politiques du célèbre Detlev Mehlis ; (4) a ignoré les fuites et la corruption dans ses activités, impliquant la vente d’enregistrements secrets de témoins ; (5) est lui-même responsable des fuites des noms parce qu’il est incapable de protéger ses propres fichiers ; (6) a démontré qu’il était un simple outil au service d’une faction politique au Liban ; (7) a refusé d’enquêter sur son propre travail et n’a pas coopéré dans les cas portés contre lui par des généraux précédemment mise en accusation ; (8) nombre de ses témoins ne sont que des témoins politiques et ne peuvent pas être considérés comme impartiaux ; (9) l’« assistance » israélienne dans son travail a été exposée.
Pour toutes ces raisons, il est clair que le tribunal Hariri opère désormais non seulement en dehors de la juridiction des lois libanaises, mais également contre les lois et la souveraineté libanaise. C’est un outil commode aux mains de l’alliance israélo-séoudienne dans la région. Les Libanais, ou ceux qui s’opposent aux factions politiques derrière le tribunal, ne sont pas tenus de participer à un processus qui vise à leur propre exclusion, marginalisation, et même répression. Les paris sont ouverts.