• « On a frôlé la catastrophe sanitaire » : les services pédiatriques d’Ile-de-France au bord de la rupture, François Béguin
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/12/les-services-pediatriques-sous-pression-en-ile-de-france_6022560_3224.html

    Par manque de lits de réanimation, 22 enfants ont dû être transférés hors de la région francilienne cet automne.

    Personnels infirmiers manquants, lits de réanimation ou d’hospitalisation fermés… Cette année, l’épidémie hivernale de bronchiolite met à rude épreuve les services pédiatriques des hôpitaux un peu partout en France. Si des difficultés sont signalées à Bordeaux ou à Marseille, c’est en Ile-de-France qu’elles sont le plus visibles. Entre le 17 octobre et le 2 décembre, vingt-deux enfants – pour la plupart des nourrissons âgés de moins d’un an – ont dû être transférés hors de la région, à Rouen, Amiens, Caen ou Reims, faute de lits de réanimation pédiatrique disponibles.

    Ce nombre est exceptionnel : l’hiver dernier, il n’y avait eu que trois transferts. Les années précédentes, entre zéro et quatre. « On a frôlé la catastrophe sanitaire, si l’épidémie avait été plus intense, il y aurait certainement eu des morts », estime un chef de service sous le couvert de l’anonymat.
    A l’origine de cette situation, une pénurie d’infirmiers qui empêche la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de pourvoir une quarantaine de postes et la contraint à ne pas rouvrir au début de l’hiver une partie des lits dits « de soins critiques » destinés aux enfants et traditionnellement fermés l’été. Le 4 décembre, au plus fort de la crise, « il manquait 22 lits de ce type par rapport à ce qui devrait être ouvert en hiver », explique Noëlla Lodé, la représentante des cinq services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) pédiatriques en Ile-de-France.

    Quinze lits ont été rouverts depuis, annonce jeudi 12 décembre, François Crémieux, le directeur général adjoint de l’AP-HP, qui assure que le groupe hospitalier « a mobilisé tous les moyens possibles en termes de ressources humaines » pour parvenir à pourvoir les postes infirmiers manquants, des postes « hyperspécialisés, nécessitant des temps de formation de deux à trois mois ».

    « Des difficultés à trouver une place »
    Au-delà de la gêne pour les familles des nourrissons concernés, cette crise a mis sous pression tous les services pédiatriques de la région. « Certains soirs, quand on prenait la garde, on savait qu’il n’y avait plus de lit de réa pour toute l’Ile-de-France, raconte Simon Escoda, le chef des services d’urgences pédiatriques de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis. Sachant cette grande pénurie, on a gardé sur site des enfants qui avaient des marqueurs de sévérité significatifs qu’on aurait largement transférés dans d’autres situations. C’est un glissement de tâche contraint et forcé. Quant aux dix-huit transferts pour insuffisance respiratoire que nous avons dû faire, nous avons quasiment à chaque fois eu des difficultés à trouver une place. »
    Conséquence : « beaucoup d’énergie » consacrée à la recherche d’une place et à la surveillance du nourrisson, au détriment des autres tâches, entraînant « un retard des soins courants ». En novembre, la durée moyenne d’attente des consultations le soir aux urgences pédiatriques de Delafontaine était ainsi d’environ cinq heures, soit plus que l’hiver précédent. « Cette mise en tension permanente entraîne le système au bord de la rupture », déplore Laurent Dupic, réanimateur pédiatrique à l’hôpital Necker, qui évoque le « stress permanent » des soignants à qui il est demandé de « faire entrer et sortir très rapidement » les bébés hospitalisés, pour libérer des lits.

    Au-delà des services de « soins critiques » de l’AP-HP, plusieurs chefs de service de pédiatrie racontent souffrir d’un fort turn-over de leurs équipes soignantes, ainsi que des arrêts maladie non remplacés. « Les infirmières s’auto-remplacent, s’épuisent et finissent par craquer », raconte Simon Escoda, à Saint-Denis. « Les services sont exsangues, les gens ne veulent plus travailler dans ces conditions-là et s’en vont », résume Vincent Gajdos, chef de service à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine).

    « Il va il y avoir une catastrophe »
    Dans un témoignage saisissant relayé par le Collectif interhôpitaux, le chef de service de pédiatrie d’un établissement francilien décrit la difficulté de gérer l’épidémie avec une équipe composée d’un tiers de jeunes infirmières, dont certaines tout juste sorties d’école. « Je vous laisse deviner [leur] réaction face à un bébé de 3 ou 4 kg qui suffoque brutalement à cause de sa bronchiolite et qu’il faut intuber rapidement et brancher à un respirateur en attendant l’arrivée du SAMU pédiatrique qui est bloqué avec le transfert d’un autre patient ailleurs », écrit-il, estimant ne plus travailler « dans des conditions de sécurité, ni pour les patients, ni pour les soignants, ni pour nous autres, médecins ».
    Plusieurs chefs de service interrogés disent leur crainte d’un accident. « Si on reste comme ça, il va il y avoir une catastrophe, un enfant qui va mourir dans le camion d’un SMUR, dans un centre hospitalier ou pire, en salle d’attente. C’est la hantise de tout le monde », raconte l’un d’eux.
    Alertée sur cette situation de crise, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a diligenté le 4 décembre une mission « flash » de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin qu’elle fasse rapidement des « préconisations de court et de moyen terme pour résorber les tensions et optimiser la couverture des besoins » en lien avec le pic épidémique hivernal en Ile-de-France.

    Une décision mal reçue par une partie des chefs de service de l’hôpital Necker qui ont envoyé une lettre à la ministre – dont des extraits ont été publiés par Libération – pour faire valoir leur « profonde incompréhension » face au déclenchement d’une telle procédure alors que, selon eux, l’actuelle épidémie ne fait que révéler « les insuffisances d’une structuration hospitalière à bout de souffle ».
    La crise pourrait désormais prendre une tournure plus politique. Lors d’une réunion surprise, vendredi 6 décembre, avec les seuls chefs de service de l’hôpital Necker – l’établissement où elle exerçait auparavant – Mme Buzyn aurait directement mis en cause, selon les témoignages de plusieurs participants, la mauvaise anticipation de l’épidémie par la direction de l’AP-HP. Une mise en cause qui donnera un relief particulier aux conclusions des inspecteurs de l’IGAS, attendues d’ici au 19 janvier.

    #hôpital #soin #enfance #barbares

    • La maternité du CHU de Nantes saturée, Yan Gauchard
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/12/la-maternite-du-chu-de-nantes-saturee_6022624_3224.html

      Saturé, le service de maternité a transféré cette année plus de 100 femmes sur le point d’accoucher vers d’autres établissements, parfois en urgence.

      Le diagnostic ne souffre aucune contestation : la maternité du CHU de Nantes (Loire-Atlantique) est saturée. Configuré pour assurer 3 800 accouchements, le service pourrait, pour la première fois de son existence, frôler les 4 500 naissances à l’issue de l’exercice 2019, selon Sylvie Moisan, du syndicat FO.
      A la fin du mois de septembre, on dénombrait plus de cent parturientes transférées, parfois en urgence, vers d’autres établissements, publics comme privés. « Il y a des risques avérés pour les mamans, leurs bébés, et le personnel », dénonce Mme Moisan.

      Conditions de sécurité
      Interpellée le 26 septembre par les syndicats, Laurence Halna, directrice des soins au sein du pôle « femme, enfant, adolescent » du CHU, a livré ce constat accablant : « Notre objectif, c’est d’accoucher les femmes dans des conditions maximales de sécurité. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. »
      Dans un do­cument interne que Le Monde a consulté, Luc-Olivier Machon, directeur des ressources humaines, confirme la situation de « surchauffe » et partage le constat que le service n’est « plus dimensionné par rapport à l’activité enregistrée ».
      « A la question : est-ce que l’on peut continuer comme cela indéfiniment, la réponse est clairement : non », précise M. Machon.

      « On a des professionnelles épuisées, qui dépassent largement les quatorze heures par jour. »
      Dans ce même document, Marie, sage-femme, fait part de la « détresse » du personnel, et parle « d’équipes en souffrance ».« On a des professionnelles épuisées, qui dépassent largement les quatorze heures par jour », relève Roland ­Jaguenet, de la CGT (majoritaire).

      « Dans le vestiaire, dit Marie, on se prépare à aller en garde comme pour aller au front. » La dégradation des conditions de travail, observe la sage-femme, a commencé il y a deux ans. « Depuis 2017, chaque mois est un nouveau record. Là, on arrive au maximum de notre capacité. On a eu un été difficile, on s’est retrouvé face à une vague qu’on n’a pas pu contenir. »
      Une cellule de crise a été activée pour tenter de réguler les flux de patientes. Et la direction a expérimenté l’ouverture d’une unité éphémère de dix lits en secteur pédiatrique durant l’été. « C’était du bricolage, fustige M. Jaguenet. L’accueil des proches a été limité de façon drastique, et les agents ont couru dans tous les sens. »

      « Parfois, on se fait peur »
      Arrivée aux urgences du CHU « après avoir perdu les eaux », Marie Robinet, 23 ans, a été orientée, « après deux heures d’attente dans les couloirs », vers une clinique :
      « Je pensais que j’allais être invitée à monter dans une ambulance, prise en charge par du personnel habilité. Mais non : les agents ont désigné ma mère et mon petit ami, et ont dit : “Vous avez un véhicule, vous pouvez vous y rendre par vous-mêmes.” Vous n’allez pas accoucher dans la demi-heure qui suit… »
      La jeune femme décrit « une situation hyperstressante », et juge les conditions de son transfert « irresponsables », interrogeant : « Que serait-il arrivé si cela s’était mal passé ? »
      « Parfois, on se fait peur, énonce Marie, sage-femme. On apprend que la femme a accouché juste à son arrivée… C’est dur aussi en termes relationnels : il faut négocier avec les gens, les familles, les maternités. »
      La direction a créé, à la rentrée, douze postes pérennes, ainsi qu’un poste d’assistante sociale pour traiter la problématique des patientes en grande précarité. L’établissement, analyse M. Machon, est victime de son succès du fait de la qualité des soins dispensés, et de son haut niveau de prise en charge.
      Futur CHU
      Pour sortir de la crise, la direction prévoit de mettre en place, à compter du premier semestre 2020, un dispositif de formalisation des inscriptions, permettant, au besoin, d’aiguiller les patientes vers une maternité publique coopérant au sein du groupement hospitalier de territoire (Ancenis, Châteaubriant, Saint-Nazaire), ou des cliniques.
      « À partir du moment où l’on voit poindre de réels soucis de sécurité ou que l’on recourt à des transferts tardifs dans des conditions plutôt désastreuses pour la parturiente, il apparaît préférable d’anticiper l’afflux des patientes », justifie un cadre.
      La CGT doute du calibrage du futur CHU qui doit surgir de terre à l’horizon 2026, sur l’île de Nantes, au terme de 953 millions d’euros de travaux. Et ce, même si deux salles de naissance supplémentaires sont prévues dans la maternité. Les agents redoutent que les sorties précoces (moins de soixante-douze heures d’hospitalisation) se multiplient. « Sincèrement, je ne vois pas comment on peut en faire davantage », avertit une sage-femme.

      #maternité

  • Période hivernale : comment les écoutants du 115 font face à la crise
    http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/01/periode-hivernale-ecoutant-115-crise_n_8324784.html

    SANS-ABRIS - Chaque année, l’histoire se répète. À l’ouverture de la période hivernale au 1er novembre, on promet des places d’#hébergement_d'urgence supplémentaires pour faire face à l’augmentation des demandes. Fin septembre, le préfet de Paris a donc annoncé 2.000 places en plus venues s’ajouter aux 75.000 destinées aux sans-abris que compte l’Île de France toute l’année (hors gymnases).

    Mais derrière ces promesses, il y a des hommes et des femmes qui s’occupent de répondre aux #SDF, de les orienter vers des centres d’hébergement d’urgence, quand il ne s’agit pas de leur signifier que -ce soir- les initiales DNP (pour « demande non pourvue ») s’inscriront sur leur dossier. #Vacataires, titulaires à temps plein ou à #mi-temps, les écoutants du #115 sont en première ligne face à la hausse des demandes d’hébergements en cette période.

    Aux premières loges des frustrations aussi, lorsqu’il est malheureusement question d’informer l’intéressé qu’il devra passer la nuit dehors. Ce qui arrive, hélas, très souvent, pesant ainsi sur le moral des troupes déjà échaudées par les insultes des désespérés criant leur détresse au téléphone. Alors que la crise migratoire devrait faire augmenter le nombre de demandes (les démarches administratives des réfugiés se faisant essentiellement sur Paris), les écoutants du Samu Social ne cachent pas leur inquiétude. Contactés par Le HuffPost, certains d’entre-eux ont accepté de se confier.

    « On met notre vie de côté »

    Augustin* est coordinateur au Samu Social de Paris, c’est à dire que son travail consiste -entre autres- à recruter, former et gérer les écoutants. À quelques jours de l’ouverture de la période hivernale, il ne cache pas son scepticisme concernant les annonces qui ont été faites. « On ne sait pas vraiment ce qu’on va avoir comme moyen », indique-t-il mettant l’accent sur le hiatus existant entre la communication institutionnelle et les dispositifs mis en place sur le terrain. Malgré les renforts qui sont sollicités pour cette période, Augustin explique que le navire chancelant de l’hébergement d’urgence continue de naviguer à vue. "Au final, c’est très incertain parce que ça dépend des #températures, donc on reste dans l’improvisation, dans l’adaptation permanente" , explique-t-il précisant que cette situation a tendance à générer des tensions et du stress chez certains écoutants. Car si les équipes du Samu sont habituées à réagir dans l’urgence, le facteur « température » peut être un motif de colère exprimé chez certains. "On ne sait pas le matin combien de places on aura le soir, pourtant, c’est au petit matin que les hébergés appellent, parce qu’on leur a dit la veille que c’était plus facile... Sauf que, en réalité, on n’est pas en mesure d’apporter une solution" , poursuit-il.

    Par exemple, quand un soir il ne fait pas « assez » froid pour que la préfecture décide de débloquer des places (gymnase, anciens centres etc.), les équipes « restent sans solution en attendant que ça se débloque », explique-t-il. Pourtant, le nombre d’appels aura augmenté, tout comme les réponses négatives formulées dans la douleur par les écoutants se seront multipliées. « On est censés être le dernier recours pour les gens, alors passer sa soirée à dire ’oui, allo ? Désolé, vous allez dormir dehors’, c’est pas évident », poursuit notre « coordi » qui explique que durant cette période, lui et ses collègues « mettent leurs vies de côté » pour rester sur le qui-vive. Mais alors, pourquoi tant de frustration si des renforts sont recrutés et si des places supplémentaires sont promises ? Concernant les annonces faites par le préfet (7500 places en plus ndlr), notre interlocuteur tranche sévèrement :"je n’y crois pas une seconde". Pour ce qui est des renforts, ce dernier est tout autant sceptique. « Bah, la plupart n’ont pas encore vécu de période hivernale, le #turn_over étant tel, que cette année une majorité d’écoutants vivront leur première », confie-t-il. « Nous sollicitons beaucoup de vacataires, donc les conditions de travail se dégradent. Au bout d’un moment, cette #précarisation des écoutants se répercute sur les gens qui appellent », regrette également Augustin.

    « Enormément de stress »

    Pour Léa* (écoutante), cette période génère énormément de stress chez les écoutants. « Personnellement, ce stress s’est traduit par des urticaires », explique-t-elle notant au passage que ce qui pèse notamment, c’est de repenser à toutes ces fois où l’on a dit « non » à un sans-abris, « alors que l’on rentre chez soi et que le thermomètre affiche 0° ». Surtout que, « quand tu rentres chez toi, tu les croises, ou du moins t’as l’impression de les croiser, ce qui fait que les heures passées au téléphone ne te quittent pas d’une semelle même des heures après avoir quitté ton poste », détaille Léa. Précision très importante à ses yeux, « la période hivernale n’est pas ’pire’ pour les écoutants ». Selon elle, la période estivale génère autant -voire plus- de malaise. Comment ? « Nous recevons toujours autant d’appels l’été, sauf que les places se sont considérablement réduites et que des centres ouverts d’urgence pour l’hiver ferment leurs portes », déplore-t-elle.

    #centre_d'appel