« Un démocrate » une pièce pour aujourd’hui. - L’Autre Scène (.ORG)
▻https://lautrescene.org/2025/04/22/un-democrate-une-piece-pour-aujourdhui
22 Avr 2025
David Rofé-Sarfati
Le slogan de Donald Trump, Make America Great Again, est un chef-d’œuvre de manipulation symbolique. Derrière ce “again” se cache une Amérique idéalisée, mythique, jamais vraiment existée. Il n’est pas promesse, mais incantation. Le mythe est façonné pour rassurer, mobiliser, diviser et … consommer. Ainsi naissent les légendes politiques : dans le reflet trompeur d’images et de slogans malicieux. Et pendant que le peuple croit boire à la source de la vérité, on lui sert une illusion dorée, pleine de promesses creuses et de mémoires truquées. Une post-vérité . Julie Timmerman a écrit sa pièce il y a neuf ans. Donald Trump à droite et des activistes de campus américains à gauche ont remis son propos dans l’actuel. Récit :
Un génie machiavélique au service de la masse : bienvenue dans la tête d’Edward Bernays
Il était le neveu de Freud. Mais il n’a pas couché des patients sur un divan — non, lui a préféré manipuler des foules entières. Edward Bernays, génie de la communication et pionnier de la propagande moderne, est aujourd’hui convoqué par Julie Timmerman dans un spectacle aussi drôle que décapant. Sur scène, elle transforme cette figure aussi fascinante qu’inquiétante en miroir grinçant de notre époque.
Un spectacle entre conférence déjantée et théâtre engagé
Avec la complicité de la scénographe Charlotte Villermet, Julie Timmerman ne se contente pas de raconter la vie d’Eddy, alias Bernays — elle la démonte, la triture, la joue à plusieurs voix. Les comédiens ne quittent jamais le plateau, se passant tour à tour le costume du superbe manipulateur pour en révéler toutes les contradictions. Sur un tableau noir, comme dans une salle de classe un peu folle, les grands chapitres de sa biographie s’alignent : naissance, coups d’éclat, coups tordus.
C’est rythmé, c’est vif, et c’est volontairement drôle. On rit franchement lorsque Bernays confond l’association libre avec la liberté individuelle, ou lorsqu’il décrète que l’art, en somme, c’est du caca. L’effet est irrésistible, presque burlesque : on pense à la psychanalyse de comptoir des magazines féminins, sauf que là, c’est sur scène, et c’est hilarant.
Le père de la pub moderne, entre génie et cynisme
Mais derrière l’humour, la critique est acérée. Bernays, s’il a su séduire les foules, n’a jamais reculé devant le cynisme le plus glacial. Convaincre les femmes de fumer ? Il l’a fait. Faire mousser la vente de savon ? Aussi. Préparer l’opinion à un coup d’État ? Encore lui. Jusqu’à sa mort à 104 ans, cet homme n’a jamais cessé d’utiliser la psychologie humaine comme levier de masse.
La pièce ne s’arrête pas au portrait. Elle interroge. Elle met en lumière comment ce manipulateur brillant, qui se désolait que ses écrits soient lus par Goebbels, est devenu l’un des architectes inconscients de notre monde. Jusqu’à refuser de reconnaître que sa propre femme, morte d’un cancer des poumons, victime des campagnes qu’il avait lui-même orchestrées en faveur des cigarettiers.
Une pièce pédagogique, mordante… et nécessaire
Oui, on est dans l’excès. Dans la farce car Julie Timmerman propose une fable moderne, une parabole grinçante. Car derrière Bernays, c’est l’Amérique qu’on regarde. Et derrière l’Amérique, c’est nous.
Conseillers en relations publiques, communication de crise, storytelling politique, fake news, RGPD, Facebook, data, influenceurs, tout cela nous vient de quelque part. Et ce quelque part porte un nom : Edward Bernays.
Avec Un démocrate, le théâtre devient salle de classe, terrain de jeu, arène de débat. Une pièce vive, intelligente, percutante — à voir absolument, et à débattre en famille, autour d’un dîner ou sur les réseaux. Parce que ce qu’on y entend, on ne pourra plus jamais l’ignorer.
Sur le site du théâtre
Texte et mise en scène Julie Timmerman
avec Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Guillaume Fafiotte ou Jean-Baptiste Verquin (en alternance), et Julie Timmerman
dramaturgie Pauline Thimonnier
scénographie Charlotte Villermet
lumière Philippe Sazerat
costumes Dominique Rocher
musique Vincent Artaud
son Michel Head
vu le 22 avril 2025 au Théâtre de la Concorde