#vécu

  • "Le travail de mémoire est une étape fondamentale dans la reconstruction de soi."

    Renée Dickason, professeure en civilisation et histoire contemporaine à l’Université Rennes 2, porte le projet aLPHa, lauréat en février 2023 de l’appel émergence TISSAGE. Ce financement va permettre de franchir une première étape dans l’impulsion d’un projet de création de #Mémorial vivant virtuel des survivant·es de viol(ence)s, sous le patronage du Pr. Dr. #Denis_Mukwege, prix Nobel de la Paix et Docteur Honoris Causa de l’Université Rennes 2.

    Votre projet, aLPHa, est lauréat de l’appel émergence TISSAGE (https://www.univ-rennes.fr/saps-tissage). C’est le premier jalon d’un projet plus vaste de création de « Mémorial vivant virtuel des survivant·es de viol(ence)s », sous le patronage du Pr. Dr. Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix. De quoi s’agit-il précisément ?

    Renée Dickason. Notre projet porte sur une réalité sociale lourde : les viols et les #violences faites aux femmes, aux enfants, aux vulnérables, abordés à travers les #témoignages de survivant·e·s (terme de Denis Mukwege) dans des situations de #guerres, de #conflits et de #paix.

    Face à ce problème de société prégnant, aux enjeux multiples, nous avons souhaité développer un agir collectif qui fasse société en nous concentrant sur la #libération_des_paroles, le #recueil des #mots substantialisant les #maux et la nécessaire #mise_en_mémoire de ces témoignages dans l’écriture d’une histoire singulière, plurielle et tout à la fois universelle.

    C’est dans ce cadre que nous avons déposé une réponse à l’appel à projets « émergence » de recherches participatives TISSAGE (Triptyque Science Société pour Agir Ensemble) : le projet aLPHa, qui a été retenu par le jury. Suite à la signature d’une convention bipartite, il est prévu que nous bénéficions d’un accompagnement financier d’amorçage d’un montant de 3 000 euros.

    aLPHa s’inscrit dans une dynamique globale autour de la lutte contre les #violences_genrées, en particulier celles à l’encontre des femmes, quel que soit le contexte culturel, géopolitique, social ou sociétal considéré, le phénomène étant universel.

    aLPHa a été imaginé comme un laboratoire co-partenarial d’expérimentations à ciel ouvert, qui constitue, en effet, un premier jalon, assez modeste car naissant, mais utile pour impulser un projet d’une envergure plus large qui nécessitera des financements pérennes, celui de la création progressive d’un Mémorial vivant virtuel des survivant·e·s de viol(ence)s, sous le patronage du Pr. Dr. Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix et Docteur Honoris Causa de l’Université Rennes 2 (octobre 2022).

    Dans le cadre du projet aLPHa, nous espérons tisser des liens, recueillir des soutiens et ouvrir nos collaborations à des acteurs locaux et régionaux de la société civile, à des associations sur les droits humains et/ou qui interviennent à différents stades de la #réparation, de la #reconstruction ou de l’#accompagnement des #victimes / survivant·e·s de viol(ence)s, ou encore à des entreprises responsables et sincères, des responsables du secteur privé sur le territoire breton et des élus locaux…

    Phénomènes malheureusement universels, les violences sexuelles sont des expériences banalisées et souvent réduites au silence. Elles présentent des similarités malgré la pluralité des contextes où elles ont lieu. Dans le cadre d’aLPHa, nous allons entamer une série d’entretiens de survivant·e·s, réfugié·e·s, exilé·e·s, migrant·e·s, accompagné·e·s et suivi·e·s dans différentes structures, à Rennes. Nous allons aussi organiser, avec plusieurs membres fondateurs de notre projet, un « atelier témoignages » avec des survivant·e·s congolaises et certain·e·s de celles et ceux qui les aident et les accompagnent.

    En prolongement, et dans un autre périmètre que celui du projet aLPHa, le recueil de témoignages se fera aussi sur les lieux des exactions ou dans des zones de tension ou dans des structures de prise en soins, de formation ou de réinsertion, dans un but cathartique individuel et collectif, et avec une visée de reconstruction personnelle et/ou historique des faits. Tous ces aspects sont à l’étude avec des collègues médecins et psychologues, dont l’expertise permettra de se prémunir des risques (non souhaités, à l’évidence) de re-traumatisations des victimes.

    Colliger des témoignages de survivant·e·s déplacé·e·s dans leur pays, des survivant·e·s ayant vécu ou vivant dans des camps et/ou recueilli·e·s dans des centres d’accueil ou de réinsertion nécessite des partenariats multiples, qui vont s’engager en parallèle et dans la poursuite d’aLPHa. Nous avons, à cet égard, commencé à établir des conventions de recherche entre l’Université Rennes 2 et des centres en République Démocratique du Congo et au Kenya. Cette dimension du projet est soutenue et sera cofinancée par plusieurs laboratoires de l’Université Rennes 2 (ACE, ERIMIT, LIDILE, LP3C, Tempora).
    Pourquoi est-il important de mettre en mémoire la parole des survivant·es ? Comment cette mémorialisation se construit-elle ?

    R. D. Pour les victimes, les survivant·e·s de violences sexuelles (excision, viol, esclavage…), celles qui font face à des contextes de conflits notamment, il s’agit de chercher à s’échapper en s’engageant sur les chemins de l’exil et à s’extraire du trauma(tisme) ; ceci alors que viennent s’entretisser plusieurs trajectoires de violences et de vulnérabilités. Le poids du trauma(tisme) est alourdi par la souffrance psychique surajoutée qui découle de prises en soins parcellaires, de handicaps cumulés, ou encore du déracinement, de l’arrachement, voire de l’errance culturels… une pluralité de facteurs renforçant le silence, l’impossible communicabilité autour des expériences vécues.

    Il nous est apparu, après plusieurs échanges avec des personnes ayant subi des violences sexuelles et après plusieurs rencontres et discussions avec le Professeur Docteur Denis Mukwege, que le travail de mémoire est une étape fondamentale dans la reconstruction de soi, que ce soit de manière individuelle ou collective.

    Mettre en mémoire la #parole des survivant·e·s est donc une étape nécessaire qui s’ajoute à d’autres mécanismes et préoccupations qui caractérisent, par exemple, la #justice_transitionnelle et les initiatives déployées dans la quête d’une #vérité_réparatrice, le plus souvent essentiellement basée sur la reconnaissance des exactions, des violations des #droits_humains.

    La #mémorialisation se construit en plusieurs phases : dévoilement, collecte, partage, puis analyse des témoignages.

    Étape indispensable pour contribuer à la fabrique de l’Histoire face aux omerta multiples, la mise en mots des maux, la « re-visibilisation » d’une histoire invisibilisée, occultée, la libération d’une parole enfouie, cachée, parfois interdite, prolongent un cheminement personnel thérapeutique.

    Vous l’avez compris, une partie de notre projet global réside dans la collecte mais aussi dans la création d’« archives vivantes », où les témoignages de rescapé·e·s, de survivant·e·s (toujours en vie, et c’est un point d’importance !) auront une place centrale. Quatre mots-clés sous-tendent toutes leurs trajectoires : trauma(tisme), réparation, reconstruction, mémoire.

    La mise en mémoire, la mémorialisation des expériences vécues des victimes, survivant·e·s de violences sexuelles dans le contexte d’une histoire « en train de s’écrire » seront croisées avec le regard des chercheurs impliqués.

    En révélant leur #vérité_subjective, les victimes qui témoignent seront actives dans leur processus de reconstruction et dans la mise en récit d’une histoire à la fois intime, personnelle et commune. Livrant leur #vécu et celui de leurs semblables, ces #personnes-histoires-témoins contribueront, ipso facto, outre à reprendre #confiance en elles-mêmes, à faire évoluer les mentalités et les regards portés sur les survivant·e·s et les violences. Ceci d’autant que ces témoignages auront vocation à être accessibles, à terme, à un public élargi, à travers le Mémorial vivant virtuel des survivant·e·s de viol(ence)s.

    Pouvez-vous nous expliquer en quoi votre recherche est interdisciplinaire et participative ?

    R. D. Nous sommes un groupe d’universitaires, de psychologues et de médecins, venant de divers horizons disciplinaires et de différents secteurs. Nos travaux, par essence, interdisciplinaires (histoire et civilisation, anthropologie, littérature, psychologie, traductologie, médecine…) ont une finalité réflexive et éducative. Notre but est de contribuer à assurer la transmission, la bascule vers une dynamique collective de mise en partage et en expression des #expériences_vécues, afin de construire une #transition_sociale pleinement partagée, vertueuse et inclusive.

    Nos intérêts communs convergent autour d’objectifs à visée transformationnelle, des objectifs de responsabilité sociale et de développement durable tels qu’identifiés par l’ONU, des objectifs centrés sur le respect de la dignité et des droits humains, la lutte contre les violences genrées, la bonne santé et le bien-être, l’égalité de traitement et de prises en soins, une éducation de qualité, une paix responsable et pérenne.

    La nature de nos objets de recherche nous amène à nous pencher sur les interactions entre sciences et société et sur les interactions avec le tissu socio-économique et culturel, la société civile, tant pour essaimer les résultats de nos travaux que pour éveiller à certaines réalités troublantes et nécessitant une prise de conscience citoyenne, première étape dans la résolution des problèmes. Cette dimension participative est, d’ailleurs, centrale au projet aLPHa.

    Soucieux de faire évoluer les regards, les comportements et les mentalités relatifs aux questions complexes des violences sexuelles, conformément aux termes de la Charte des sciences et recherches participatives en France, nous sommes toujours sensibles à la possibilité d’ouvrir de nouveaux horizons réflexifs, de développer diverses formes de production de connaissances scientifiques, que ce soit par le truchement des arts ou par le relai d’espaces de paroles ponctuels et/ou de rencontres plus systématiques ou grâce à des collaborations entre la communauté scientifique et la société civile, telles que définies par l’UNESCO ou par le Comité économique et social européen.

    Autre précision, nos travaux sont régis par une charte éthique. Les données personnelles collectées nécessitent, en effet, une vigilance particulière du fait de leur caractère sensible, voire intime, afin de protéger la vie privée des survivant·e·s et de recueillir leur consentement et leur accord informé.

    Dans ce projet de recueil et de mise en lumière de témoignages de survivant·es – qui n’est pas sans évoquer le travail journalistique –, qu’est-ce que l’expertise des chercheur·ses vient apporter ?

    R. D. Question vaste et très intéressante qui soulève une réflexion complexe quant à la porosité des apports du travail des journalistes d’investigation, ici, face à celui des chercheurs toutes disciplines confondues… Outre le fait que les missions des uns et des autres évoluent, les attentes que l’on peut avoir d’un article rédigé par un journaliste diffèrent de celles que suscite la contribution d’un chercheur… le dialogue entre le journaliste et le chercheur enrichit indéniablement les débats et aide à faire avancer nos pensées… Le travail journalistique peut ainsi venir en complément de celui du chercheur et surtout aider à la diffusion des résultats.

    Au gré des registres abordés, de la maïeutique discursive mobilisée, des mots à appréhender, de la finesse des ressentis exprimés et de la nature des maux à guérir, la recherche au sens large du terme est protéiforme. Le travail journalistique permet, en somme de « prendre le pouls » des sujets porteurs de sens, investis par les chercheurs et/ou la société civile, de donner à voir et de questionner la diversité des perspectives dans la modalité du traitement des sujets.

    Pour faire simple, et de manière générale, dans ce type de problématique sanitaire, humanitaire, humaniste, sociétale, des correspondances peuvent se faire jour entre travail journalistique d’investigation et travail de recherche. Cela passe, par exemple, par des méthodes d’observation, de recueil de données, de conduite d’enquêtes... Par contre, les modalités d’analyse et de diffusion diffèrent. Sensibiliser, documenter, analyser, informer, alerter font certes partie du travail du chercheur, mais sa focale n’est pas la même que celle du journaliste. Ceci d’autant que la posture du chercheur, son approche, ne sont pas les mêmes selon le champ d’expertise. L’ampleur des dispositifs mis en œuvre est aussi à souligner car si le chercheur peut travailler seul, généralement, ses résultats sont ceux d’un travail d’équipe et le travail mené s’inscrit dans le temps long. Ce temps long de la recherche est, à l’évidence, un marqueur de nos réflexions de recherche autour de la mémorialisation.

    Dans une démarche de recueil et de mise en lumière de témoignages de survivant·e·s, victimes de trauma(tisme)s, des précautions s’imposent. Il s’agit pour nous de conduire des entretiens en équipe interdisciplinaire comprenant la présence de médecins et de psychologues. Au-delà de la transmission d’informations, d’analyses et de connaissances, les recherches, se nourrissant de croisements disciplinaires multiples, peuvent ouvrir des horizons et être vecteurs d’innovation grâce aux propositions/préconisations émergeant du travail mené.

    Enfin, le travail de recherche se nourrit de la confrontation à l’expertise d’autres chercheurs, d’autres cadres analytiques. Dans cette perspective, les échanges lors de divers types de manifestations scientifiques (séminaires, colloques...) ainsi que la mise en dialogue par écrits interposés (publication d’articles, de monographies) contribuent à nourrir le perfectionnement des outils d’analyse et à renouveler les questionnements. Un autre niveau est celui des productions à destination d’un public élargi (vulgarisation, « traduction » du travail de recherche par les journalistes) qui, par les allers-et-retours générés, viennent alimenter la réflexion sur la pertinence, la justesse de la démarche de recherche.
    Au-delà de sa dimension de recherche, votre projet ambitionne de proposer à l’avenir une formation aux survivant·es de violences. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

    R. D. Notre projet global, au-delà d’aLPHa donc et en complément du Mémorial, ambitionne de proposer à l’avenir une formation aux survivant·e·s de violences, une formation à visée holistique (la perspective holistique est, d’ailleurs, au cœur du modèle Panzi

    de Denis Mukwege). Selon les financements que nous pourrons réunir, il nous semble important de donner à ces victimes, ces témoins, ces survivant·e·s, des outils pratiques pouvant les aider à évoluer dans leur parcours personnel, à différents stades, dans leur cheminement, leur reconstruction et leur permettre de se prendre en charge, de faire entendre leur voix, de co-construire leur histoire individuelle et collective, d’écrire une histoire des survivant·e·s de violences, de faire évoluer les mentalités et les comportements…

    En d’autres termes, l’idée ici est d’encourager et d’outiller les survivant·e·s, de leur donner des clés pour développer un empowerment et un leadership au féminin.

    Face à l’empire du silence, il s’agirait de leur donner la chance, que certains ont voulu briser…

    … de se relever

    … de reprendre confiance en elles/eux

    … de s’émanciper

    … de faire entendre leur voix

    … d’affirmer leur place dans la société

    … de devenir des leaders de demain

    …et ainsi pour citer Denis Mukwege, « de changer le cours de l’Histoire ».

    https://nouvelles.univ-rennes2.fr/article/travail-memoire-est-etape-fondamentale-dans-reconstruction-so
    #viols #violence #survivants #VSS

    ping @karine4 @_kg_ @cede

  • Solidarity and Care during the COVID-19 Pandemic

    Solidarity and Care during the COVID-19 Pandemic is a public platform supported and produced by The Sociological Review that documents and reports on the lived experiences, caring strategies and solidarity initiatives of diverse people and groups across the globe during the COVID-19 pandemic.

    https://www.solidarityandcare.org

    #solidarité #covid-19 #coronavirus #expérience #expériences #vécu #care #storytelling

  • Petites considérations sociologiques sur le #confinement

    Cette période de confinement liée à l’épidémie du #Covid-19 constitue une #épreuve_sociale inédite, qu’on peut comparer à une expérience de laboratoire in vivo. Le grand historien médiéviste, Marc Bloch, qui avait fait la « grande guerre » et en avait été très marqué, a écrit peu après, en 1921 dans la Revue de synthèse historique, un célèbre article, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre » (publié aux Éditions Allia en 1999). Il y décrivait la guerre de 14-18 « comme une sorte de vaste #expérience naturelle. On a le droit en effet de considérer comme telle la guerre européenne : une immense expérience de #psychologie_sociale, d’une richesse inouïe. Les conditions nouvelles d’existence, d’un caractère si étrange, avec des particularités si accentuées, où tant d’hommes à l’improviste se sont trouvés jetés, — la force singulière des sentiments qui agitèrent les peuples et les armées — tout ce bouleversement de la vie sociale, et, si l’on ose ainsi parler, ce grossissement de ses traits, comme à travers une lentille puissante, doivent, semble-t-il, permettre à l’observateur de saisir sans trop de peine entre les différents phénomènes les liaisons essentielles ».

    Indépendamment de la déclaration du Président Macron (« nous sommes en guerre… »), il peut être intéressant de tirer ce fil entre situation de #guerre_militaire et celle de confinement. Ce dernier impose de très fortes #privations et #contraintes aux individus qui, dans les sociétés occidentales, n’y sont guère habitués. Les premières questions qui viennent à l’esprit à ce sujet sont les suivantes : le confinement est-il respecté en France ? « Un peu, beaucoup, pas du tout » ? Par qui ? Comment ? Plus en campagne qu’en ville ? plus en centre-ville que dans les « quartiers » ? etc. Faute de données statistiques fiables, le premier réflexe qu’on doit avoir en la matière est celui de la prudence interprétative.

    Avant d’aborder la manière dont on peut procéder par la mobilisation d’une série d’indices, à même de nous guider vers des hypothèses de travail, commençons par un étonnement. Que voici. En fidèle téléspectateur du Journal télévisé (JT) de France 2 (défense du service public oblige…), on remarque que la question du #vécu du confinement dans les #quartiers_populaires y a été fort peu abordée, voire pas du tout. La fuite des Parisiens vers leurs #résidences_secondaires a été un sujet traité, mais la manière dont les jeunes et les familles, parfois nombreuses, vivent leur confinement dans leurs appartements #HLM semble avoir été oubliée. Est-ce un oubli volontaire ? Ou la simple trace médiatique de la moindre importance accordée aux conditions sociales d’existence des #classes_populaires dans le milieu des professionnels de l’information ? On ne saurait laisser de côté l’hypothèse du respect de l’« #union_nationale » requise en cette période de confinement. Celle-ci suppose une mobilisation de l’appareil d’information et l’opération d’un tri dans l’amoncellement des « nouvelles du front ». Priorité est donnée dans le #JT de la #télévision_publique au suivi des opérations dans les hôpitaux, à la découverte du travail de tous les soignants et de leur entier dévouement, à l’écoute des avis des grands professeurs de médecine (« infectiologues »). Bref, une #mise_en_scène télévisuelle de l’« #effort_national » — ce qui, en soi, n’est pas critiquable.
    Sur le versant des effets sociaux de cette #pandémie, les reportages sur les #familles face au confinement (#école_à_la_maison, #télétravail des parents, aménagements divers de cette nouvelle vie…) semblent surtout réservés aux familles de milieu favorisé. Sans doute parce qu’elles laissent entrer plus facilement les caméras à leur domicile. Il ne s’agit pas pour autant de crier tout de suite au complot d’Etat et/ou de dénoncer une chaine de télévision « aux ordres du gouvernement ». Sans doute peut-on penser que le #service_public_télévisé contribue à sa manière à l’union nationale en laissant prudemment dans l’ombre ce qui pourrait l’entacher.

    A géométrie variable

    Une fois examiné la manière dont le thème du confinement est traité à la télévision (publique), donnons un petit coup de projecteur sur la manière dont il est opéré en pratique. Procéder à une petite revue de presse dans les quotidiens régionaux (L’Est républicain, Le Parisien, Le Progrès), permet de recueillir des indices suggestifs, sinon probants, sur le confinement à géométrie variable lors de cette première semaine. Sans surprise, le confinement a mis un peu de temps à se mettre en place et semble respecté de manière inégale.

    Selon les témoignages des directeurs de la #sécurité_publique ou des gendarmes, différents profils de « #déviants » à la #norme apparaissent, comme ici dans la région du Grand est particulièrement touchée. Le lieutenant de gendarmerie François qui coordonne le dispositif dans le sud du Territoire de Belfort fait le diagnostic suivant : « Une grande majorité les respecte… Mais une partie n’a pas compris l’#esprit_du_confinement et une autre n’est pas prête à le comprendre. » Le maire (et infirmier) de la ville ouvrière de Valentigney (proche de l’usine de Sochaux-Peugeot et avec une grande ZUS, les Buis), observe « dans le quartier mais également au centre-ville des comportements dangereux, irresponsables ». La journaliste de L’Est s’est donc rendue dans la cité des #Buis pour aller y voir de plus près et, là, elle a rencontré une dizaine de jeunes près d’une place, plutôt amènes.

    Pris en défaut

    Laissons la relater la scène et la manière dont ces jeunes pris en défaut de groupement non autorisé tentent de se justifier : « Chez nous, on ne tient pas en place », note l’un d’entre eux qui, comme ses potes, se sent à l’abri du virus. « On se lave les mains, on garde nos distances, c’est la base », souligne un deuxième. Un troisième Doubien montre son attestation : « On a le droit de sortir fumer une clope. Surtout que certains n’ont pas le droit de fumer chez eux… Et puis, on s’ennuie ici, il n’y a rien à faire ! Rester un mois enfermé, c’est inimaginable. » Jeudi soir, ils ont même organisé un barbecue : « Quand on a vu les policiers, on a couru pour leur échapper. Et vous savez ce qu’ils ont fait, Madame, ils ont gazé notre viande. C’est du gâchis. » (Est républicain, 21/03/2020). Dans un article du même jour, le directeur général de la compagnie des bus du Pays de Montbéliard livre des informations congruentes : « En cette période de grave #crise_sanitaire, certains jouent aux #malins. On a dû raccourcir une ligne, que nous sous-traitons, parce que des #jeunes montaient chaque jour dans le bus, à la même heure, pour le squatter ! » Enfin, à Bourg-en-Bresse, selon le commissaire de police, « Ce sont plutôt les plus jeunes et les plus anciens qui bravent l’interdiction. Malheureusement, on a verbalisé certains jeunes à tour de bras dans certains quartiers. Des jeunes disent qu’ils s’en fichent et que le coronavirus est une invention pour casser l’économie » (Le Progrès, 22/03/2020).

    Ces témoignages ne suffisent pas à baliser tout le terrain d’enquête. Loin de là. Ils ont pour principal intérêt de mieux faire entrevoir les raisons qui peuvent conduire certaines fractions de la population à ne pas vouloir – et surtout ne pas pouvoir – respecter le strict confinement désormais imposé en France. Le groupe des plus #réfractaires au confinement a de fortes chances de se retrouver dans une population plutôt jeune et masculine, soit en situation de #décrochage_scolaire, soit appartenant à la population « flottante » des quartiers. A lire entre les lignes ces articles de presse, on pressent quelques facteurs clés de leur penchant pour la #transgression de la règle du confinement : bien sûr, en tout premier lieu, « l’#ennui » et le besoin quasi vital de se retrouver « entre potes » mais aussi la difficulté de cohabiter harmonieusement avec leurs parents et de devoir respecter des interdits au domicile familial (l’exemple de « fumer »). Les divers types de #résistance qu’on voit surgir dans les quartiers déshérités de la République méritent examen et ne doivent pas être renvoyés trop facilement du côté de la #faute_morale.

    Sentiment de #marginalité

    Même s’il est incontestable que le non-respect des règles de confinement fait courir collectivement des #risques_sanitaires, il dit quand même beaucoup de choses sur le sentiment de marginalité (#outcast) qu’ont d’eux-mêmes ces individus. On pourrait à ce titre, se risquer à faire l’analogie avec le mouvement des gilets jaunes et la signification sociale des formes de violence (inusitée) qu’il a employées pour se faire entendre des « puissants ».

    La pratique de la lecture est distribuée de manière très inégale selon les groupes sociaux

    A partir de ces premières incursions en terre de confinement, faut-il déplorer comme notre historien national (autoproclamé) Stéphane Bern le fait dans Le Figaro (22/3/2020), « la perte du #sens_civique » dans notre vieille France ? Ne convient-il pas plutôt de rappeler que ce confinement constitue une très forte #contrainte qui est – et sera – vécue de manière très différente selon les #conditions_sociales de nos concitoyens. D’abord les conditions matérielles : on sait bien que ceux qui possèdent un grand logement, un jardin, qui peuvent sortir les enfants à la campagne, etc., souffrent moins du confinement. Ensuite, les #conditions_culturelles : le président Macron a dit à ses concitoyens : « Lisez ! » Mais la pratique de la #lecture est distribuée de manière très inégale selon les groupes sociaux.
    Ce long moment de confinement opère déjà comme un très grand amplificateur des #inégalités spatiales et sociales. C’est peu dire que les semaines qui s’annoncent vont constituer une véritable épreuve pour ceux qui appartiennent à la catégorie des « pauvres », définis aussi bien à partir de leur #capital_économique que de leur #capital_culturel.

    https://www.alternatives-economiques.fr/stephane-beaud/petites-considerations-sociologiques-confinement/00092259
    #sociologie #Stéphane_Beaud #classes_sociales

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    citations pour @davduf :

    Jeudi soir, ils ont même organisé un barbecue : « Quand on a vu les policiers, on a couru pour leur échapper. Et vous savez ce qu’ils ont fait, Madame, ils ont gazé notre viande. C’est du gâchis. » (Est républicain, 21/03/2020).

    Enfin, à Bourg-en-Bresse, selon le commissaire de police, « Ce sont plutôt les plus jeunes et les plus anciens qui bravent l’interdiction. Malheureusement, on a verbalisé certains jeunes à tour de bras dans certains quartiers. Des jeunes disent qu’ils s’en fichent et que le coronavirus est une invention pour casser l’économie » (Le Progrès, 22/03/2020).

  • I was a terrible PhD supervisor. Don’t make the same mistakes I did | Education | The Guardian
    https://www.theguardian.com/higher-education-network/2016/mar/24/i-was-a-terrible-phd-supervisor-dont-make-the-same-mistakes-i-did

    Research points to high levels of depression among PhD students.

    (...) Every one of my students got depressed at the beginning of their second year. They reached a point where they finally understood what they were trying to do, but did not yet believe that they could do it.

    (...) Looking back, perhaps what they were missing was the feeling of competence. I could have had them give seminars, conference talks or even work with undergrads or first-year PhD students, anything to make them realise how much they’d already achieved.

    (...) I didn’t know how to foster trust, celebrate success or maintain motivation. I was an utterly appalling supervisor and I didn’t even realise it. Perhaps you can learn from my example.

    #recherche #management #dépression #vécu

  • La #ville vécue
    http://www.laviedesidees.fr/La-ville-vecue.html

    Anthropologue de la ville, Michel Agier revient sur ses recherches dans un ouvrage qui fait le point sur les concepts qui permettent de « penser la ville » aujourd’hui, à l’aune de ses espaces délaissés ainsi que des activités de ceux qui l’habitent.

    Essais & débats

    / ville, #sociologie, #anthropologie, #ethnologie

    #Essais_&_débats

  • Tosquelles (1912-1994) Justin(e)
    https://www.youtube.com/watch?v=sy2smtbmi9M

    Et retour à la Catalogne et la défaite républicaine
    Réus et #vécu de fin de monde à l’arrivée de Francisco.
    L’histoire du #POUM est dans les corps
    Le #schizophrène dans la tranchée
    Embrassait l’effort militaire et renseignait le militant
    Sur l’écrasement de nos fantasmes.
    Et s’éloigner de l’Espagne, franchir les Pyrénées
    Se réfugier en Lozère et retrouver le marginal.
    Politique à la #folie, transformer les asiles
    Assurer la survie au malade, un rôle primordial.
    Se réunir encore, vagabonder encore
    Devenir une équipe plus collective que Barcelone.
    Et retour à la catalogne à l’institut Père Mata,
    À l’unification marxiste et l’ombre du professeur Mira
    Sur le front du sud une putain infirmière
    Embrassait l’effort militaire et renseignait le #militant.

  • SURL | Casey et Virginie Despentes, la rencontre (1ère partie)
    http://www.surlmag.fr/casey-et-virginie-despentes-interview-part-1-2015

    Beaucoup de choses ont été dites sur la rappeuse Casey et Virginie Despentes, l’écrivaine. Complexes, provocatrices, engagées, viscérales, il n’y a qu’une chose qu’on peut affirmer sans avoir peur de se tromper : les deux sont à l’image de leur plume. Deux femmes ancrées dans leur temps, mais nées trop tard ou trop tôt pour accepter de vivre conventionnellement. On a souhaité provoquer leur rencontre, parce que leurs oeuvres racontent comme peu l’état de notre monde, et parce que dans leurs textes rôdent la mort, la violence, la politique et l’amour. La vie, en somme.

    #Virginie_Despentes #Casey #interview #rencontre
    via #Rocé autre part
    cc @supergeante ! :)

    • Virginie Despentes, la fureur dans le sexe, Florence Aubenas (le titre est peut-être de la rédac’)
      http://www.lemonde.fr/festival/article/2015/07/31/virginie-despentes-la-fureur-dans-le-sexe_4705817_4415198.html

      Dans cette mouvance, les filles traînent dans les mêmes endroits pourris que les hommes. Elles gazent les contrôleurs de la RATP et se font taper aux manifestations. Elles dirigent leurs propres groupes. Elles s’imposent, massivement, grandes gueules, envoyant se coucher la pin-up que l’imagerie classique du rock cantonne à la figuration à l’arrière des motos.

    • @tintin Oui j’ai tiqué sur le même passage. C’est triste de voir que même dans des paroles un peu lucides t’as quand même des piques sur les mères dans le même temps que les pères restent dans un angle mort. Les deux interviewées ont des propos très juste sur les questions de classe, de racisme, de genre/sexualité, mais visiblement on dirait que dans leurs schémas le patriarcat s’arrête à la parentalité, comme si c’était une zone à part, alors que justement la parentalité dans un modèle patriarcal c’est pas anodin, et c’est d’autant plus injuste vis à vis des mères de leur faire des reproches sans parler en même temps du rôle des pères.

    • Je crois que c’est aussi, et avant tout, parce que là maintenant, très concrètement, ce sont en majeure partie les mères qui s’occupent des gosses. Genre elle considère que les pères de maintenant, déjà adultes donc, on peut peut-être en changer quelques uns à la marge mais c’est pas ça qui change grand chose. Et qu’il faut changer les enfants à la base, dès le départ, donc avec les personnes qui s’en occupent.

      Mais bon peut-être que j’interprète trop…
      (M’enfin je crois me rappeler que ça recoupe avec ce qu’elle disait à la BBC dernièrement : http://seenthis.net/messages/391551)

    • euh... moi j’ai pas tiqué, ça m’a fait rire parce que j’ai été élevé comme ça (presque, ok), et sans père, donc euh voilà... Ça m’a saoulé et je l’ai souvent reproché à ma mère. Mais c’est vrai que maintenant je ne sais plus trop quoi en penser... Dans le fond, tout le monde lui reprochait ça (d’être amoureuse de moi, surprotectrice, méditerranéenne), et moi je jouais peut-être le jeu de tout le monde, comme un petit con. D’autant plus que finalement, je crois pas être devenu un gros con de macho (même si bon, ça me traverse hein) et qu’elle a plutôt bien fait son taf dans des conditions parfois assez hostiles... En même temps, parfois, c’était juste l’enfer la #Big_Mother, donc voilà, la question tourne et j’ai pas trop de réponse...

    • Faut pas oublier que Casey est d’origine martiniquaise, et que chez « nous » c’est la mère la boss, c’est le potomitan, souvent le seul point commun dans les fratries... Et que, bon, ça ne les empêche pas d’engendrer des petits machos de base, en vaste majorité, alors qu’on pourrait, dans un contexte comme ça, matrifocal, espérer autre chose. Mais, j’extrapole aussi :)

    • chanmé ce texte d’Aubenas dis-donc @colporteur , l’évolution de son regard sur le viol...

      C’est arrivé à Despentes aussi. Elle avait 17 ans. Aux psys, elle balance systématiquement, comme un bras d’honneur : « Ça ne m’a pas marquée plus que ça.

      [...]

      J’imagine toujours pouvoir liquider l’événement (…). Impossible, il est fondateur, de ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus tout à fait une. C’est à la fois ce qui me défigure et ce qui me constitue.

    • L’entretien évoque les effets du passage du temps (ce que fait aussi le dernier Despentes). On peut vivre des moments paroxystiques, intenses comme dit l’une d’elles, et les regarder différemment selon les époques de sa vie. Nier l’importance d’un #événement (ici un viol) c’est (tenter d’)en triompher. Et puis #après_coup, le tableau initial s’enrichit (si il n’est pas gâché) d’autres touches. Les réminiscences réactualisent l’épreuve initiale. On gagne du champs, la surface se modifie. L’appropriation dure longtemps, surtout lorsqu’elle mutile (voilà ce que j’ai perdu, quand et comment j’ai perdu, une innocence, une confiance, ce soi que j’étais). L’expérience, « chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », elle aussi ? Passant notre temps à reconstruire (cf la mémoire).
      Ceci dit après boire, après avoir parlé ce soir avec un ami de moments brutaux que j’ai #vécu, et dont l’importance ne m’est apparue qu’avec le #temps. ’night.

    • @rastapopoulos ben justement, dans ce contexte rappeler aussi les pères à leur responsabilité me semblerait une réponse plus appropriée que de une fois de plus blamer les victimes en tapant sur les femmes sans plus de précision (et en laissant croire que les pères n’ont aucun rôle dans la reproduction des schémas patriarcaux).
      Si on estime qu’on peut dès aujourd’hui appeler les mères à changer de comportement, pourquoi ne pourrait-on pas le faire dès aujourd’hui aussi pour les hommes ?
      Les mères aussi sont déjà adultes là aujourd’hui, pourquoi estimerait-on forcément que c’est plus facile ou plus prioritaire qu’elles changent elles d’abord ?

    • Ah oui @supergeante ! ce terme de #potomitan m’avait été attribué par un ami antillais jusqu’à ce que je comprenne en questionnant que c’est le poteau central qui soutient la maison, celle qui porte l’ensemble du foyer domestique intérieur, famille ménage cuisine courses etc, tiens donc, jamais vu une poutre se plaindre … @chezsoi

    • @intempestive

      Elle s’étonne de ce paradoxe de la société patriarcale, qui en laissant l’éducation des enfants aux femmes

      J’ai plutôt l’impression que c’est surtout les soins de base (les moins valorisants) qui sont laissés aux femmes, l’éducation pas trop, d’autant moins à mesure que les enfants grandissent. Et ça fait beaucoup abstraction de l’influence du reste de la société, par rapport à laquelle les mères ont finalement une marge de manœuvre assez mince. La « possibilité à portée de main » elle me parait vraiment pas énorme. D’autant plus sachant la fatigue physique que sous-tend le fait de s’occuper d’un enfant, les double-journées, le travail domestique etc. C’est autant de temps et d’énergie qui ne sont pas disponibles pour s’informer, réfléchir, s’organiser etc.

    • @koldobika il faudrait que je recherche des références pour pas raconter trop de conneries. En fait, c’est la grand-mère ou la mère qui sont potomitan avec des pères absents, plusieurs différents pour une fratrie. La femme potomitan gère tout et tient aussi les cordons de la bourse (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas précarité ou qu’elle occupe une position sociale favorable). C’est pour ça que je parle de matrifocal et pas de matrilocal. Ceci n’empêche pas les violences conjugales pour autant, ni la reproduction du machisme.

    • les plus zélées reproductrices de la domination masculine me semblent plutôt être les femmes des classes supérieures,

      Ah bon. Du coup ce serait à elles que Casey s’adresse ?

      Je crois en revanche qu’un point important est le souci, pour toute mère ou tout père, de rendre son enfant capable de se défendre. Je pense que c’est largement à travers cette logique-là que la domination masculine se maintient : il faut faire un garçon fort pour qu’il puisse bien s’en tirer parmi les autres garçons.
      Rendre une fille aussi capable de se défendre seule [...] c’est déjà travailler à miner ce modèle.

      Ou au contraire à le cristalliser. Bien sûr dans certains cas savoir se défendre peut sauver et l’autodéfense est toujours utile, par contre instituer et généraliser la chose risque d’entériner encore plus dans les têtes le darwinisme social, de faire une société encore plus guerrière.
      Sans oublier que ce serait, une fois de plus, une injonction faite aux victimes (celleux qui en prennent déjà plein la gueule on leur dit en plus de se former au combat), qui laisse de côté les dominants, voir qui valide leurs schémas en faisant implicitement de la violence sociale un invariant.
      Une chose est d’apprendre des gestes qui sauvent, une autre est d’instituer dans les têtes le darwinisme social.