• Surréalisme : mouvement superficiellement révolutionnaire et profondément réactionnaire, par Victor Serge (Carnets. 1936-1947, Éd. Agone, p. 156-159)

    2 janvier 1942. — Socialement conditionné à un degré désespérant. Une évasion (ou rébellion) entièrement manquée. (Les grandes évasions-rébellions qui ont donné des réussites : nihilisme russe des années 1860-1880, #marxisme, anarchisme ; découvertes intellectuelles fécondées par des fermentations de masses. Rôle du nombre, c’est-à-dire de l’ambiance sociale. L’évasion n’est possible que si se crée, en opposition avec la société, au sein de celle-ci, un milieu assez ample et vivant.)

    Définition : poésie et peinture de l’automatisme psychologique, afin de libérer les facultés d’expression de la raison et de toutes contraintes et de leur permettre d’atteindre ou de révéler ainsi une réalité plus profonde, plus vraie, plus originale que celle qui est organisée par la raison.

    Deux éléments en ceci : une révolte contre la raison abâtardie (bon sens, sens commun, sens bourgeois, abdication de l’effort intellectuel, conformismes) d’une époque de décadence, France saignée et enrichie du lendemain de la Première Guerre mondiale, bourgeoisie triomphante mais usée. En ce sens le mouvement peut être considéré comme révolutionnaire dans l’immédiat parce qu’il conduit à des prises de position contre ce qui règne (Henri Michaux : Je contre, très fort).

    Mais au-delà de la raison abâtardie du moment, sa critique vise l’intellect en soi (en soi, termes impropres, l’intellectuel est toujours socialement conditionné), plus exactement l’intelligence rationnelle qui a a bâti la science et la philosophie et prend l’essor avec la méthode expérimentale (Bacon, Descartes) à l’époque de la révolution industrielle, donc à partir de 1760. Vision objective du monde, irréligieuse ; formation d’une conscience claire qui se sent puissante, prodigieux levier révolutionnaire, puisque l’homme se découvre enfin lui-même, l’individualisme surmonté. Raideur, dureté, limites naturelles de la pensée claire à chaque moment de l’histoire de là ses retours sur elle-même, l’intérêt qu’elle porte à la pensée obscure, découverte du subconscient, intuition, religion, etc. ; ces retours féconds appuyés par les tendances sociales réactionnaires qui exploitent l’esprit religieux et la tradition l’inertie psychologique. Aspects révolutionnaires de la dialectique bergsonienne et sa tendance générale réactionnaire. Il reste que la conscience est essentiellement claire, d’autant plus riche peut-être qu’elle se nourrit mieux - avec maîtrise des éléments profonds de la vie, qui sont obscurs, plongeant au-delà, loin de la conscience.

    L’attitude négative des #surréalistes à l’égard de l’esprit scientifique rigoureux (ne peut être que rigoureux : objectivité incompatible avec complaisance), leur manque de culture scientifique (ignorance du marxisme, freudisme superficiel, André Breton ignore Pavlov, études de l’astrologie - A. B. et Pierre Mabille* sans connaissance de l’astronomie, intérêt pour la magie sans connaissance de la sociologie, de l’ethnologie et de l’histoire des religions) témoignent d’une débilité, recul devant l’effort sérieux, attrait de l’effet facile, plaisir de l’effervescence intellectuelle ; de là captivité intérieure… Bohème intellectuelle effervescente, relativement riche par rapport à la pensée académique sclérosée débile et inconsistante par rapport à la pensée révolutionnaire. De là, attrait de la pacotille : exploitation facile du bizarre, de la folie, du paradoxe (riches, certes, et révélateurs, mais qui requièrent plus d’attention réelle et de connaissance objective).

    Mouvement superficiellement révolutionnaire et profondément réactionnaire.

    Enrichissant dans la littérature et la peinture (ceci à considérer à part : crise des arts plastiques dans la décadence de la civilisation bourgeoise) par rapprochements nouveaux, audaces, appel à des moyens destructeurs de conventions, coups de sonde dans l’inconnu, rupture (beaucoup trop locale) avec l’inertie mentale.

    Contrepartie écrasante : vu l’impossibilité d’une rupture réelle par ces moyens médiocres et dans ce milieu bohème, chutes dans le sexualisme facile, le procédé, le charlatanisme même, le révolutionnarisme qui n’est que recherche du scandale (snobisme). Rien de ceci n’exclut la sincérité d’hommes appartenant à à une société où la sincérité est superficielle. « L’écriture automatique » et ses trucs : l’écrivain trichant avec lui-même. Consiste souvent à donner les brouillons pour des œuvres ; laisser-aller, contentement de soi-même, impuissance créatrice. Manière d’écrire d’A.B. : travail acharné, armé de dictionnaires pour recherche de mots rares ou d’associations imprévues, effort très rationnel tendant à donner l’impression d’un automatisme et n’arrivant qu’à l’ésotérique.

    Truquages littéraires, Jacqueline me disant : « Vous avez ’La chanteuse chantait...’ Le mot propre n’est pas : la poésie, j’aurais mis : "La chanteuse dormait... »› Du gongorisme à la plus plate littérature ornementale, la ligne de la recherche a été celle-ci : orner la réalité, dédaigner l’expression directe de la réalité. Est-ce Voltaire : « Ne dites pas : "la lune", dites : "l’astre des nuits..." ?

    Mauvaise qualité de la rébellion surréaliste : I. Strictement littéraire, n’est pas sortie des cafés de Paris et des revues - 2. A recherché l’effet choquant scandale, publicité , non l’effet révolutionnaire utile, libérateur : 3. Ne visait qu’un public sélectionné souvent riche (peinture bien vendue), #NRF ; - 4. Nature indigente des prises de position intérieures : plus de volonté de mépriser pour se grandir soi-même que de comprendre et d’apprécier ; stylisation pour se maintenir en dépit d’une certaine incohérence.

    À propos de l’enquête surréaliste « Le suicide est-il une solution ? », j’avais bien raison d’écrire dans #Littérature_et_révolution (1930) que les prolétaires et les révolutionnaires pensent à conquérir le monde, à bien se battre et non à la solution du suicide, qui est celle de jeunes bourgeois ou petits-bourgeois inadaptés ou désespérés. (Tout autre chose, le suicide des révolutionnaires qui peut être une solution ; rien de commun entre #Jacques_Rigaut — lord Patchogue — et A.A. Joffé, Marie Joffé, Evguenia Bosch, Paul et Laura Lafargue - c’est la ligne de la vie qui définit la valeur du point final.)

    Disais à Marseille : « Une découverte intéressante, dans le domaine de l’art, faite dans les plus mauvaises conditions, dans les cafés de Paris et l’atmosphère déliquescente du lendemain de la Première Guerre mondiale. »

    #surréalisme #Victor_Serge #André_Breton #écriture_automatique

  • Les Cahiers de Verkhnéouralsk - Écrits de militants trotskystes soviétiques 1930-1933 (Lutte de Classe n°222 - 13 février 2022)

    Des textes émanant de trotskystes soviétiques du début des années 1930 parus aux éditions Les Bons Caractères.

    https://mensuel.lutte-ouvriere.org/2022/02/20/les-cahiers-de-verkhneouralsk-ecrits-de-militants-trotskyste

    https://www.lesbonscaracteres.com/livre/les-cahiers-de-verkhneouralsk

    C’est du fond d’une des plus sinistres prisons russes des années 1930, située au sud de l’Oural, que le hasard de travaux dans une cellule a permis de découvrir une profusion de journaux et écrits clandestins de membres de l’Opposition de gauche que Staline y avait fait enfermer.

    Nous publions huit de ces textes, la plupart traduits pour la première fois. De leurs auteurs, on ne connaissait parfois que le nom, et encore, tant la dictature stalinienne a voulu effacer jusqu’à la mémoire des militants qui restèrent fidèles aux idéaux d’Octobre 1917. Ils combattaient avec Trotsky la #dégénérescence du premier État issu d’une révolution ouvrière victorieuse. Ce que la dictature stalinienne ne pouvait tolérer. Car l’activité et l’existence même de ces milliers de #bolcheviks-léninistes représentaient une dénonciation vivante du stalinisme, de ce régime défenseur d’une #bureaucratie parasitaire qui écrasait la classe_ouvrière, qui trahissait les intérêts de la révolution socialiste #mondiale et qui donnait une image dévoyée et sanglante du communisme. Face à cette monstrueuse régression, il n’y eut alors que ces militants pour défendre les traditions de luttes et les idéaux du mouvement ouvrier. Jusqu’à ce que #Staline, qui n’avait pu en venir à bout, les fasse exécuter en masse dans ses camps en 1937.

    #stalinisme #Opposition_de_gauche #trotskisme #militants_trotskistes #révolution_russe

    • Face à ce que #Victor_Serge appela «  minuit dans le siècle  », ils tinrent bon. On voit dans leurs écrits leur lucidité quant à l’ampleur du reflux de la #révolution, et leur conviction que, quel que fût leur sort – et ils n’avaient pas d’illusions sur ce que le #stalinisme leur réservait –, il importait avant tout de préserver un héritage, de maintenir un drapeau  : ceux du #communisme_révolutionnaire et de l’#internationalisme, pour qu’ils puissent servir de guide aux générations futures de combattants de la cause ouvrière. Car même face à cette avalanche de trahisons, de défections et de défaites provoquées par le stalinisme et la #social-démocratie, ils avaient la certitude que tôt ou tard sonnerait l’heure de la «  lutte finale  ».

      Leur conviction inébranlable que la #classe_ouvrière a la capacité de transformer la société et que l’avenir appartient au #communisme, leur dévouement à la cause de la #révolution_mondiale, se lisent à chaque ligne des Cahiers. À huit décennies de distance, ce qu’ils nous lèguent là s’adresse tout particulièrement aux jeunes générations militantes, pourvu qu’elles prennent conscience que le système capitalisme, avec ses crises, ses guerres et ses horreurs, ne mérite qu’une chose  : être définitivement relégué au rayon de ce qui aura précédé l’avènement d’une humanité libérée de toute oppression et enfin digne d’elle-même.

    • Un autre livre sur Verkheouralsk :

      Verkhne-Ouralsk, l’isolateur politique 1925-1938, combats, débats et extermination d’une génération , d’AVSHALOM BELLAÏCHE

      A propos des #trotskystes de Verkhne-Ouralsk, ce papier de Jean-Jacques Marie
      https://cahiersdumouvementouvrier.org/a-propos-des-trotskystes-de-verkhne-ouralsk

      En janvier 2018 des ouvriers du bâtiment travaillant dans une vieille prison de la petite ville de #Verkhneouralsk, près de la ville de Tcheliabinsk, ont découvert sous le parquet d’une cellule des publications artisanales rédigées par des trotskystes déportés en 1929-1930. Ces déportés se désignent du nom de bolcheviks-léninistes pour souligner leur continuité avec l’héritage d’octobre 1917 dont #Lénine a été le véritable inspirateur. La #bureaucratie stalinienne ne pourra évidemment reproduire cette désignation et lui substitue le nom de « #trotskystes », qui vise à suggérer une filiation extérieure , puis étrangère à Lénine, et, au fil des années, en fait le synonyme de #menchéviks, contre-révolutionnaires, agents des services secrets divers et variés, puis fascistes et hitlériens mal déguisés. Mais le qualificatif de « trotskyste », malgré ses origines pour le moins malveillantes, est entré dans les moeurs.

      A quelques mois de distance sont parus deux ouvrages portant sur ces documents qui avaient échappé à la surveillance de la police politique de Staline, l’un écrit par Avshalom Bellaïche sous le titre Verkhne-Ouralsk l’isolateur politique 1925-1938, combats, débats et extermination d’une génération. L’autre intitulé Les cahiers de Verkhneouralsk, traduit, présenté et annoté par Pierre Laffitte, Pierre Matttei et Lena Razina, publié par Les bons caractères.

      Ce petit article porte sur le livre de Bellaïche un second sur celui des bons caractères suivra.

      #Avshalom_Bellaïche précise d’emblée que les textes dénichés par les ouvriers du bâtiment sont « des écrits politiques, des analyses théoriques et des textes polémiques »,qu’il qualifie à bon droit de « sources exceptionnelles, originales et précieuses » sur les trotskystes en URSS, sur leurs réflexions et leurs débats politiques, parfois très vifs mais qui témoignent toujours d’une indépendance de pensée remarquable au moment même où en URSS les slogans les plus primitifs et les mensonges les plus grossiers commencent à remplacer toute forme de pensée politique. Avshalom Bellaïche retrace minutieusement l’histoire de l’isolateur de #Verkhne-Ouralsk, connue jusqu’alors surtout par le récit qu’en donne dans son Au pays du mensonge déconcertant l’opposant yougoslave Anton Ciliga qui y fut déporté.

      Bellaïche souligne que son travail vise à « décrire au maximum les conditions de vie des prisonniers (…) et à montrer comment les prisonniers par leur organisation et leur cohésion politique parviennent alors que l’Union soviétique s’enfonce dans le régime totalitaire (…) à maintenir un rapport de force favorable qui leur permet de défendre leurs libertés politiques. » Il évoque à la fois leurs longues discussions et leurs actions comme la grève de la faim d’avril 1931 qui contraint la direction de l’isolateur à faire quelques concessions aux détenus consignées dans un texte que Bellaïche reproduit .

      La cohésion morale des détenus trotskystes n’empêche pas l’apparition rapide de divisions politiques, parfois vives, face à ce que l’on a appelé « le tournant à gauche » de Staline et de l’appareil du PC avec le lancement en 1929 du plan quinquennal et le déclenchement de la collectivisation agricole avec des méthodes d’une extrême brutalité, qui vont dresser contre elle une grande partie de la paysannerie soviétique, méthodes dont les militants internés n’avaient au début qu’une connaissance réduite.

      Une minorité approuve cette collectivisation, l’un de ses membres s’affirmant même partisan d’une « collectivisation à outrance », que la majorité des B-L critiquent vu l’absence de base matérielle technique et de véritable campagne politique préparatoire.

      Ce qu’on connaissait des débats vifs qui agitent la colonie des bolcheviks-léninistes, la plus importante et de loin des groupements politiques déportés à Verkhne-Ouralsk, se limitait jusqu’alors essentiellement à une correspondance avec Trotsky publiée dans le numéro 7/8 (1981) des Cahiers Leon Trotsky dont les derniers textes datent de l’automne 1930 et ce qu’en dit Ciliga dans ses souvenirs. Sur ce dernier Avshalom Bellaïche affirme : « Anton Ciliga escamote complètement l’état réel des discussions qui ont traversé les bolchevils-léninistes. » Et il ajoute, à bon droit, « Grâce à la découverte des manuscrits qui datent de 1932 nous connaissons enfin les enjeux et les débats qui ont réellement opposé les différentes tendances au sein du collectif bolchevik-léniniste ». Certes son étude minutieuse et précise des documents disponibles corrige certaines affirmations de Ciliga ou comble certains de ses silences. Mais Ciliga est partie prenante de ces débats dans lesquels il est très engagé et dont il n’est pas surprenant qu’il en donne une vision partiale et orientée, d’autant qu’à leur terme il rompra avec le bolchevisme… et – après la publication de ses souvenirs – évoluera très à droite.

      Les longues pages qu’Avshalom Bellaïche consacre aux débats internes des bolcheviks–léninistes aux divergences puis aux divisions – parfois provisoires – que ces débats font apparaitre sont sans doute les plus riches et les plus passionnantes de son travail. Elles témoignent de la volonté acharnée de ces militants isolés de réfléchir avec leur tête. Certes ils accordent une grande attention aux lettres et textes de Trotsky qu’ils peuvent recevoir – de façon très épisodique après l’automne 1930 – mais ils ne se contentent nullement de les répéter ou de les paraphraser et peuvent les critiquer. Au début ces débats portent sur l’appréciation du prétendu « tournant à gauche » que représenterait la collectivisation forcée et donc sur l’attitude à adopter à son égard. Elles se concluront par un débat sur la nature de l’URSS.

      Les résumer aboutirait à les caricaturer. Ainsi évoquer un « collectif majoritaire », qui publie son bulletin, puis un « collectif minoritaire » qui publie aussi le sien, bientôt flanqués d’une aile gauche critique qui compose son Bolchevik militant, avant l’apparition dans le collectif majoritaire d’une aile droite désignée par les initiales de ses trois représentants (MBM) en résumant en trois lignes la position de chaque courant rappellerait assez stupidement la vieille plaisanterie sur les trotskystes qui scissionnent dès qu’ils atteignent ou dépassent le nombre de trois.

      Or pour quiconque a une autre vision de l’histoire complexe de l’Union soviétique que la vision linéaire des historiens bourgeois qui dessinent une ligne droite imaginaire du prétendu coup de force( ou d’état) d’octobre 1917 au totalitarisme stalinien, les problèmes posés par la première révolution ouvrière victorieuse au sein d’une défaite de la révolution mondiale, surtout européenne, étaient d’une extrême complexité. Et les discussions et les débats qu’évoque Avshalom Bellaïche avec une grande clarté, une grande minutie et – je me répète – avec une tout aussi grande précision frappent par la volonté acharnée de comprendre qui anime leurs participants. Volonté d’autant plus étonnante que les possibilités d’agir ne peuvent que leur apparaitre lointaines. L’appareil policier du stalinisme, lui en revanche n’en est pas persuadé, les juge bien dangereux et les massacrera tous en 1937 et 1938 à Vorkouta et à Magadan . Ce massacre, raconté par plusieurs témoins qui ont survécu, conclut ou presque le récit d’Avshalom Bellaïche.

      Ces militants pensent avec leur tête. Ainsi Bellaïche signale les désaccords de certains d’entre eux avec plusieurs points du texte de Trotsky intitulé Les problèmes du développement de l’URSS (projet de plateforme de l’Opposition de gauche internationale sur la question russe paru dans le n° 20 du Bulletin de l’Opposition d’avril 1931) dans lequel il affirme : « La réalisation du plan quinquennal représente un pas en avant gigantesque en comparaison de l’héritage misérable que le prolétariat avait arraché des mains des exploiteurs » (Bulletin de l’Opposition n° 20, page 3).

      En 1932 Trotsky et les bolcheviks-léninistes de Verkhne-Ouralsk – et d’ailleurs – ont toujours la perspective de réformer le parti dirigeant et l’Internationale communiste même si les premières interrogations apparaissent ici et là. Ainsi Axel Bellaïche cite-t-il un article de décembre 1932 du Collectif majoritaire dont les auteurs affirment : « Il n’y a pas de doute qu’en comparaison avec le volume colossal des tâches à réaliser par l’Opposition léniniste ses forces sont pour le moment insignifiantes. » Avshalom Bellaïche ajoute : « Les tâches et les perspectives qu’ils [les bolcheviks-léni,nistes] donnent sont proportionnées aux nécessités de la politique générale et non à leur capacité réelle d’influencer ou de modifier cette même situation. »

      Le moment décisif dans ces discussions passionnées est celui qu’Axel Bellaïche appelle « le rubicon » c’est-à-dire le passage d’une vision du clan de Staline comme direction bureaucratique « centriste » du parti communiste à la conception d’une bureaucratie parasitaire qui doit être renversée par la mobilisation des masses, seul moyen de défendre durablement la propriété d’Etat, passage transitoire obligé vers la « propriété sociale » qui pour se réaliser, en suppose … en même temps la négation ! C’est la « révolution politique », que les détenus bolcheviks-léninistes esquissent dès décembre 1932 lorsqu’ils évoquent la grève générale et l’armement du prolétariat comme des slogans pour l’action de masse. « Certes, commente Avshalom Bellaïche, l’emploi de la violence reste conditionné, mais on est très loin du mécontentement limité au cadre soviétique de 1930. »

      Quelques mois plus tard chacun de son côté, Trotsky et les bolcheviks-léninistes de Verkhne-Ouralsk, tirent sans pouvoir se consulter, les mêmes conclusions de la politique stalinienne en Allemagne qui a ouvert la voie du pouvoir aux nazis et que Trotsky qualifie de « 4 août du #stalinisme », bref une trahison de la révolution similaire à celle de la social-démocratie en 1914. C’est le développement commun d’une analyse marxiste de fond commune. « Que ce soit à Prinkipo ou à Verkhne-Ouralsk, souligne Avshalom Bellaïche, les conclusions politiques de cette analyse sont formulées quelques mois plus tard à l’automne 1933 : le Parti communiste est mort, l’Internationale communiste est morte, la fondation d’une nouvelle Internationale révolutionnaire et la révolution politique qui renverserait le parti stalinien soviétique par l’insurrection armée des masses ouvrières sont désormais nécessaires. Sur la base de cette perspective nouvelle (…) les bolcheviks-léninistes de Verkhnéouralsk se réunifient à la veille de la seconde grève de décembre 1933 qui arrachera dans la douleur la libération de la majorité des militants révolutionnaires de l’#isolateur politique de Verkheouralsk. »

      Les détenus de Verkhne-Ouralsk ne pourront jamais lire une ligne de #la_Révolution_trahie achevée par Trosky en juin 1936. Mais si l’on juge par leurs écrits abondamment cités dans l’ouvrage d’Avshalom Bellaïche, ils en auraient sans aucun doute repris à leur compte les conclusions fondamentales.

      Avshalom Bellaïche signale aussi les positions des autres groupes d’opposants internés à Verkhne Ouralsk (les décistes – ou centralistes-démocratiques – de #Vladimir_Smirnov, eux aussi divisés entre ceux qui voient en URSS le triomphe du capitalisme dEtat et ceux qui y perçoivent la victoire politique de la petite-bourgeoisie, les miasnikoviens, les menchéviks).

      Il évoque en détail de nombreux militants bolcheviks-léninistes dont les plus importants, #Iakovine, #Solntsev, #Dilgenstedt, #Nevelson, #Boris_Eltsine et ses deux frères, #Poznansky, ancien secrétaire de Trotsky, #Guevorkian, tous liquidés plus tard, et #Starosselsky, le spécialiste de la Révolution française, mort en 1934. Ils sont tous massacrés parce que, pour Staline, si isolés soient-ils apparemment, ils ne sont pas des rêveurs utopiques mais un danger mortel .

      La preuve en est donnée par des manifestations de révolte contre la clique stalinienne collectées par le #NKVD au moment même où ces militants sont massacrés. Ainsi le fils du premier secrétaire du PC d’Ouzbeskitan Ikramov, condamné à mort lors du 3 ème procès de Moscou de mars 1938, envoyé lui à la #Loubianka, y rencontre brièvement un garçon de 14 ans interné pour avoir participé à la constitution à Oulianovsk d’un Parti panrusse contre Staline, sans aucun doute minuscule mais significatif d’un état d’esprit reflété à la veille de la manifestation du 1er mai 1938 à Moscou par des fondateurs d’un #Parti_ouvrier antifasciste qui avaient rédigé un tract antistalinien virulent qu’ils se préparaient à y distribuer, mais qui furent arrêtés la veille.[1]

      Pour interdire toute liaison entre cette protestation aux formes diffuses et les bolcheviks-léninistes, Staline a d’abord isolé ces derniers, les a calomniés, puis les a envoyés au Goulag pour les soumettre à la terreur exercée par les criminels de droit commun véritable lie sociale décomposée, image inversée de la bureaucratie parasitaire et les a finalement assassinés. On voit à quel point l’historien pro-stalinien Isaac Deutscher [2] se fourvoyait lorsque dans le troisième volume de son Trotsky il affirmait que ce dernier après son exil en 1929 aurait dû se contenter d’écrire des livres plutôt que d’animer une opposition de gauche que Deutscher traite avec mépris, et que l’ouvrage d’Avshalom Bellaïche, en lui rendant un bel hommage intelligent et argumenté, rappelle à la vie.

      Quelle conclusion ou quelle leçon peut-on tirer de la lecture du travail très riche d’Avshalom Bellaïche ? La première tentation peut être de souligner l’extraordinaire trempe morale de ces milliers d’hommes et de femmes qui se battent sans faiblir – sauf quelques inéluctables exceptions – dans des conditions où leur chances d’un quelconque succès sont microscopiques. Cette trempe morale est incontestable, mais on peut en trouver des exemples similaires chez les fanatiques religieux les plus bornés, dont ces #bolcheviks-léninistes se différencient radicalement par leur volonté farouche, amplement soulignée par Avshalom Bellaïche, d’analyser, de comprendre pour avoir éventuellement le moyen, si la possibilité – même infime – se présente, de transformer économiquement, socialement et politiquement, un monde dont le maintien en l’état est une menace pour l’humanité. A lire donc ! !

      [1] On voudra bien m’excuser (et puis tant pis si on ne m’en excuse pas !) de renvoyer à ce propos à mon livre Des gamins contre Staline où figurent nombre de données et de documents sur ces manifestations

      [2] Pro-stalinien … Deutscher, qualifié souvent d’historien trotskyste par la presse bourgeoise ? La preuve : Deutscher concluait sa biographie de Staline publiée en anglais en 1949 puis en français en 1951 par ces lignes : « Tel Cromwell il incarne la continuité de la révolution, à travers toutes ses phases et métamorphoses (…) comme Napoléon il avait construit son empire , mi-conservateur et mi-révolutionnaire et porté la révolution au-delà des frontières de son pays. La meilleure part de l’oeuvre de Staline durera certainement plus longtemps que lui (…) Afin de sauvegarder cette œuvre pour l’avenir et lui donner toute sa valeur, l’Histoire devra peut-être encore purifier et remodeler l’œuvre de Staline. » Il maintient cette conclusion dans sa nouvelle édition de 1960, quatre ans donc après le rapport de Khrouchtchev sur les « crimes de #Staline » au XX e congrès du PCUS.

      #trotskisme #trotskysme

  • #Victor_Serge
    https://www.partage-noir.fr/victor-serge-1113

    Se forger une pensée n’est pas chose facile. Lorsque l’environnement social s’y oppose, faire coïncider cette pensée avec ses actes exige des sacrifices matériels et une réflexion permanente que peu d’êtres humains peuvent soutenir. Victor Serge appartient à cette catégorie d’hommes. L’histoire le plaça très tôt aux côtés des vaincus qui, dotés d’une force morale exceptionnelle, ne se résignent jamais ; ceux qui ne rendent jamais leurs armes. #Itinéraire_-_Une_vie,_une_pensée n°12 : « Henry Poulaille »

    / Victor Serge, Itinéraire - Une vie, une pensée, [Source : @narlivres]

    #Itinéraire_-_Une_vie,une_pensée_n°12 :« Henry_Poulaille » #[Source :_@narlivres]

  • Le socialisme de Victor Serge, Susan Weissman, BALLAST
    https://www.revue-ballast.fr/victor-serge-socialisme

    « Autant d’en­trailles que de cer­velle ; rétif, mau­vais carac­tère, pas accom­mo­dant pour un sou. En stra­té­gie de car­rière, zéro poin­té. Irrécupérable. […] Alors, entre le chi­chi artiste et l’emmerdance savante, sau­mâtre entre-deux, un cen­taure mi-russe mi-fran­çais, mi-anar mi-bol­cho, mi-esthète mi-acti­viste, tra­vaille en cachette qua­rante ans durant, contre vents et marées, page après page, à rendre l’a­ve­nir des hommes un peu plus sup­por­table », écri­vait Régis Debray en 1985, encore mar­xiste, dans sa pré­face aux Carnets de Victor Serge. Le por­trait est juste. Sa bio­graphe de réfé­rence, la pro­fes­seure et jour­na­liste éta­su­nienne Susan Weissman, appelle aujourd’­hui à nous réap­pro­prier la mémoire de l’é­cri­vain et mili­tant dis­pa­ru en 1947 afin de bâtir le socia­lisme démo­cra­tique du XXIe siècle.

    Victor Serge eut un impact consi­dé­rable sur le déve­lop­pe­ment de la conscience des mar­xistes révo­lu­tion­naires, des liber­taires et des anar­chistes du monde entier. Il fut le trots­kyste le plus connu de son temps, bien que sa rela­tion avec le mou­ve­ment trots­kyste ait été pour le moins contro­ver­sée. Lorsque je raconte aux gens que j’é­cris sur Serge, ils me disent, inva­ria­ble­ment, les­quels de ses livres les ont tou­chés ou influen­cés le plus : dans le monde anglo-saxon, il s’a­git le plus sou­vent de son roman dia­lec­tique ayant trait aux purges, L’Affaire Toulaév, ou de ses Mémoires d’un révo­lu­tion­naire. En France : S’il est minuit dans le siècle. Quant aux mili­tants trots­kystes, ils men­tionnent géné­ra­le­ment L’An I de la Révolution russe ou De Lénine à Staline, qu’il a écrit en seule­ment quinze jours, en 1936. En Amérique latine, son tra­vail le plus lu est sa petite bro­chure Ce que tout révo­lu­tion­naire doit savoir sur la répres­sion.

    Cela pour dire que Serge ren­voie à l’ex­pres­sion concrète et poé­tique d’une époque. Il était aux côtés des révo­lu­tion­naires mar­xistes qui ont refu­sé de se ral­lier à la contre-révo­lu­tion sta­li­nienne et qui ont lut­té afin que leurs idées échappent aux ten­ta­tives exter­mi­na­trices de Staline. C’est ce qui rend son tra­vail si puis­sant. On a appe­lé Serge le poète, le barde, le jour­na­liste et l’his­to­rien de l’Opposition de gauche1. Il était éga­le­ment sa conscience. À l’ins­tar de ses cama­rades de l’Opposition, Serge a été mis en marge de l’Histoire parce qu’il reje­tait, d’un même élan, le capi­ta­lisme et le sta­li­nisme.

    Ce que tout révo­lu­tion­naire doit savoir sur la répres­sion
    https://www.editions-zones.fr/lyber?ce-que-tout-revolutionnaire-doit-savoir-de-la-repression

    #Victor_Serge

  • [02] #Augustin_Souchy - 1920 : Russie soviétique, la Révolution dégénérée
    https://www.partage-noir.fr/02-augustin-souchy-1920-russie-sovietique-la-revolution

    L’organisation du voyage ne fut pas compliquée. Après une conférence devant des marins syndicalistes de Stettin, Otto Rieger, secrétaire de la fédération des marins me procura une place sur un bateau de la Baltique, qui ramenait des prisonniers de guerre russes dans leur patrie et revenait avec des prisonniers ou civils allemands. Augustin Souchy 2 - Attention : anarchiste !

    / Augustin Souchy, Révolution russe (1917-1921), #Victor_Serge

    #Augustin_Souchy_2_-_Attention :_anarchiste ! #Révolution_russe_1917-1921_

  • In memoriam Malcolm Menzies

    Claudio Albertani, Malcolm Menzies

    https://lavoiedujaguar.net/In-memoriam-Malcolm-Menzies

    En 2010, Malcolm Menzies (1934-2019) acceptait de répondre aux questions de Claudio Albertani. En hommage à l’ami disparu en mai 2019 à Paris, nous republions cet entretien.

    Vous êtes l’auteur de quatre romans et d’un livre de contes. Vous écrivez dans votre langue natale, l’anglais, mais vos ouvrages ont été publiés en traduction française et, pour l’un d’eux, espagnole. Dans vos travaux, vous combinez la plus rigoureuse recherche historique avec un travail passionné d’imagination littéraire et un souci constant de perfection esthétique. Le résultat est un univers riche et intense avec des personnages que vous arrachez aux mensonges qui les entourent et que vous nous restituez avec leurs idéaux, leurs passions et aussi leurs contradictions. Quels auteurs classiques ont inspiré votre travail ?

    La littérature est la passion de ma vie, mais il est clair que mes livres trouvent leur inspiration dans l’histoire de ce qui est connu sous le nom d’« anarchisme ». Suis-je anarchiste ? Je ne sais pas. Qu’est-ce qu’un anarchiste ? Je déteste toutes les étiquettes et je ne me sens pas à l’aise dans le monde des doctrines. Disons que mon concept d’individu ressemble à celui de l’anarchisme individualiste. J’admire beaucoup d’écrivains. En Amérique latine, j’aime José Eustasio Rivera, Borges, Rulfo, Sarmiento et les Brésiliens Guimaraes Rosa et Euclides da Cunha, parmi d’autres. (...)

    #Malcolm_Menzies #littérature #anarchie #Makhno #Bonnot #Victor_Serge #Darien #Cayenne #Clément_Duval #Colombie #FARC #Marulanda #Costa_Rica

  • Victor Serge sur le fil des derniers temps

    Victor Keiner

    https://lavoiedujaguar.net/Victor-Serge-sur-le-fil-des-derniers-temps

    C’est une corde de sisal que personne n’avait touchée depuis plus de soixante ans qui attache le trésor : des calepins, cahiers et agendas où étaient consignées les années 1941, 1942, 1943 et 1946 des Carnets de l’apatride Victor Serge, né à Bruxelles en 1890 et mort à Mexico en 1947. Une corde qui se désagrège sitôt dénouée par Ivonne Chávez, archiviste à la Fondation Orfila-Séjourné d’Amecameca (Mexique), et Claudio Albertani, sergien érudit. On aime bien la force symbolique de l’image : une corde lâchant prise et libérant, enfin, le récit des derniers temps de l’auteur d’Il est minuit dans le siècle. Des mots écrits au plus noir des défaites et sur le fil d’une histoire tragique dont l’entêté Victor Serge pensait qu’elle pouvait encore accoucher d’un autre socialisme — disons libertaire ou simplement, mais essentiellement, démocratique.

    La découverte, en 2010, du « fonds Victor Serge » d’Amecameca provenant des archives de Laurette Séjourné, sa dernière compagne, et son exploitation par Claudio Albertani et Claude Rioux ont permis d’établir cette édition — sinon définitive, du moins la plus complète à ce jour au vu de ce qu’il existait — des Carnets de Victor Serge couvrant les onze dernières années de son existence. (...)

    #Victor_Serge #Mexique #socialisme_libertaire #URSS #anarchisme #stalinisme

  • BOUQUINS#1[les en-dehors/le sexe apprivoisé]
    https://coutoentrelesdents.noblogs.org/post/2016/09/06/bouquins1les-en-dehorsle-sexe-apprivoise

    Dans la lignée de la section bouquins du blog qui recensent et “résument” des ouvrages qui peuvent aider à mieux comprendre cet existant que nous habitons ensemble, nous publierons les nouveaux ajouts de cette section dans le fil d’article. On … Continue reading →

    #LIVRES #anarchie #anarchistes #anne_steiner #contraception #controle_des_naissances #en_dehors #francis_ronsin #illégalistes #individualistes #jeanne_humbert #jules_bonnot #le_sexe_apprivoisé #libertad #neo_malthusianisme #planning_familial #roger-henri_guerrand #victor_serge

  • Anarchistes, syndicalistes, brigadistes et communistes aux Buttes Chaumont
    http://plateauhassard.blogspot.fr/2013/01/anarchistes-syndicalistes-brigadistes.html

    Le 24 rue Fessart était le siège du journal l’anarchie. En 1911 on y arrêta Victor Serge.

    « Soixante policiers, armés des pieds à la tête, firent irruption, rue Fessart, dans l’appartement qu’occupait le journal. Le siège de cette citadelle fut aisé. La clef, en effet, était sur la porte, et, dans la première pièce qui servait de salle à manger, la police tomba sur quelques camarades qui, paisiblement, dégustaient leur chocolat. La maison fut bouleversée de fond en comble. On chercha dans tous les coins, on remua tous les meubles. Cela, depuis six heures du matin jusqu’à midi. Beautés des perquisitions Mais nulle trace des bandits. Furieux, les policiers, plutôt que de rentrer bredouilles, emmenèrent tous ceux qui se trouvaient là. Le lendemain, onze des personnes arrêtées étaient relâchées. On ne conserva que Mlle Rirette Maitrejean, une petite femme souriante et espiègle, Claudine anarchiste, et son ami Kibalchiche, dit le Rétif... »

    Victor Serge, de son vrai nom Victor Kibalchiche, était ouvrier typographe puis directeur de l’anarchie. Le siège du journal (et domicile de Victor Serge et de sa compagne Rirette MaitreJean) est fréquenté par Bonnot qui va y rencontrer ceux qui vont devenir membres de sa bande : Garnier et Callemin
    Après le braquage de la société Générale, Garnier et Callemin se réfugient brièvement rue Fessart. Bien que totalement étranger à l’action de la bande, Victor Serge est condamné à 5 ans de prison. Devenu communiste il arrivera à Moscou en 1919 et sera le rédacteur de l’international communiste. Il s’opposera ensuite à Staline, sans être Trotskiste pour autant, condamné à trois ans de déportation il fut libéré grâce à une campagne de presse internationale et mourut au Mexique.

    #paris #histoire_sociale #anarchisme #bonnot #Victor_Serge #Kibalchice #Retif