#vienocturne

  • Vers une politique municipale de la nuit : le « consensus nocturne » arrive à Tours
    http://larotative.info/vers-une-politique-municipale-de-1028.html

    Depuis 2010 on a vu se développer dans certaines grandes villes un discours jusque là inconnu et qui reste encore assez confidentiel : le monde de la nuit serait en crise, les contradictions et tensions qui y naissent posent problème et les pouvoirs municipaux ont décidé de se saisir vaillamment de la question. Des « conseils de la nuit » apparaissent ça et là, regroupant des acteurs triés sur le volet par les mairies et l’on négocie entre gens de bonne compagnie, dans un consensus souriant, l’avenir de la vie nocturne. Tours est entré depuis quelques mois dans ce processus et un cycle de réunions doit se dérouler sur toute l’année 2015. Il n’est peut-être pas inutile de se pencher avec précision sur le sujet pour comprendre ce qui se joue réellement ici.

    Une nuit optimisée

    La nuit, disons pour faire simple ce moment quotidien d’obscurité ou, pour reprendre le droit du travail français, le laps de temps entre 21h et 7h, a connu des évolutions majeures, d’abord techniques puis économiques, sociales et enfin politiques. D’un moment totalement dévolu à la reproduction des forces de travail (repas, sommeil, sexualité, encadrement des enfants, travaux domestiques), replié sur le noyau familial ou villageois et porteur de la culture du groupe au Moyen Age par l’intermédiaire des veillées, on est passé à un espace plus complexe où se superposent et s’entrecroisent les activités, les fonctions, les classes sociales, les intérêts, d’où naissent des conflits et où l’Etat entend se poser en médiateur, dépassant son rôle traditionnel du maintien de l’ordre nocturne sous l’Ancien Régime.

    Les débuts de la Révolution Industrielle, l’électrification, la production de masse, l’organisation scientifique du travail — qui nécessite de lourds investissements dans les machines et donc d’en maximiser l’utilisation — ont permis de se passer du soleil et de la lumière naturelle dans l’essentiel de l’activité économique. Le temps du travail s’allonge, devient fixe et réglé avec précision avec le développement du salariat moderne qui entend rationaliser l’utilisation de la force de travail des individus (extension du système des trois-huit). La nuit devient un espace contractuel de production et donc un espace de rapport de force et de lutte sociale, encadrée par un État qui légifère de plus en plus sur la question, par exemple avec l’interdiction du travail des femmes la nuit en 1892.

    Conseillisme nocturne

    Pour faire face à cette situation où des intérêts et des revendications s’entrechoquent de manière inextricable, les municipalités tentent de mettre les différents acteurs en présence autour de la table, en s’appuyant sur le cas de Nantes, ville à l’avant garde du consensus nocturne, dirigée par le PS. A l’origine, c’est un collectif de patrons de café-concert de Loire Atlantique, le collectif Bar-Bars, qui lance une triple alerte en 2010 : la délocalisation de la fête en périphérie (Le Hangar à Bananes) tue l’ambiance en centre-ville, les bars ne sont pas bien équipés ni suffisamment informés sur la législation autour du bruit et les bars ont tendance à faire travailler au noir les musiciens à cause de charges trop élevées et de la lourdeur de la procédure administrative. A partir de 2011 des négociations sont organisées sous le patronage du pouvoir local et elles aboutissent à la constitution d’un fonds abondé par de l’argent des brasseurs industriels de bière et de différentes institutions dont le Ministère du Travail qui entend ainsi lutter contre la précarité du statut d’artiste. Le mécanisme compte de nombreux soutiens et la communication qui l’entoure va faire sortir ce projet de ses simples frontières régionales. Après une phase d’expérimentation en de suivi étatique en 2013-2014, le mécanisme a été retenu pour être diffusé à l’échelle nationale, un Groupement d’Intérêt Professionnel a été crée à cet effet par le Ministère de la Culture le 20 avril 2015.

    A Paris, également aux mains du PS, Mme Anne Hidalgo, reprenant l’inquiétude formulée par M. Bertrand Delanoë lors des Etats Généraux de la nuit (novembre 2010) de voir les nuits parisiennes s’éteindre et frapper durement la réputation et le porte monnaie de la capitale, a installé un Conseil Parisien de la Nuit en décembre 2014 mêlant institutionnels, associations, professionnels, transports et experts. Lille a aussi réalisé ses Etats Généraux de la Nuit en 2013, Toulouse s’est dotée d’un maire de nuit en 2014 et Nantes a annoncé également la constitution de son Conseil de la Nuit pour septembre 2015.

    Preuve de cet engouement pour le conseillisme nocturne, une Première Conférence nationale de la Vie Nocturne s’est tenue les 13 et 14 avril derniers, à Nantes, justement. L’analyse du programme et des intervenant en dit long sur les contradictions qui entendent être surmontées dans cet espace de consensus qu’est devenue la nuit : sauvegarder la santé publique, notamment des plus jeunes, développer le tourisme, développer les activités touristiques, développer le vivre ensemble, développer la culture et garantir la tranquillité aux riverains...le tout, dans l’ambiance ouatée d’un séminaire d’université mêlant experts de l’ingénierie sociale, politiques rompus au management territorial, médecins addictologues de renom, géographes et urbanistes bon teint, pontes du monde de la nuit, industriels de la brasserie et hiérarques de l’administration culturelle. La novlangue bureaucratique tenant, bien sûr, une place de choix afin d’euphémiser ce qui se joue ici : « territoire », « synergie », « citoyen » et « médiation » paradent sur le programme comme une starlette sur la Croisette à Cannes.

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