Keir Starmer promet de réduire « significativement » la migration légale au Royaume-Uni
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Keir Starmer promet de réduire « significativement » la migration légale au Royaume-Uni
Par Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante)
« Reprendre le contrôle des frontières. » Keir Starmer est le dernier dirigeant britannique en date à formuler cette promesse, l’une des principales du Brexit, mais qu’aucun de ses prédécesseurs – Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss ou Rishi Sunak – n’a réussi à tenir. Lundi 12 mai, lors d’une conférence de presse à Downing Street, le premier ministre (travailliste) a, à son tour, assuré vouloir réduire « significativement » la migration légale au Royaume-Uni, tranchant avec la ligne traditionnelle de la gauche britannique.
Un Livre blanc, publié ce même jour par son gouvernement, recommande la limitation drastique des délivrances de visas, un parcours bien plus ardu pour prétendre à la nationalité britannique et la facilitation des expulsions pour toute personne condamnée.
Pour Downing Street, il s’agit d’en finir avec un marché du travail très dépendant des travailleurs étrangers et d’encourager les employeurs à recruter des Britanniques. Dans les secteurs de la santé (le fameux National Health Service, NHS) et de l’assistance aux personnes dépendantes, près de 100 000 visas ont été délivrés à des assistants, à des infirmiers ou à des médecins étrangers en 2023, davantage qu’à tout moment de l’histoire récente du pays. Toujours en 2023, près d’un million d’arrivées nettes de personnes disposant de visas ont été enregistrées, là encore un niveau record.
« Cela n’a rien à voir avec un contrôle [des frontières], c’est le chaos », a jugé Keir Starmer, qui a promis d’en finir avec cette « expérimentation d’ouverture des frontières » des précédents gouvernements conservateurs. Son coup de volant à droite est aussi une réponse à la montée apparemment inexorable du parti d’extrême droite Reform UK, qui a réussi une percée historique aux élections locales du jeudi 1er mai, en prenant le contrôle de dix collectivités locales, et en ravissant deux postes de maire et un poste de député. La formation, dirigée par le très charismatique Nigel Farage, se nourrit d’un discours antimigrants et, dans un dernier sondage, publié jeudi 8 mai par l’institut Find Out Now, elle devance le Labour de 13 points (et les conservateurs de 17 points).
Le gouvernement Starmer veut restreindre la délivrance de visas de travail aux personnes détenant un diplôme universitaire. Des visas pour des emplois moins qualifiés pourront toujours être émis, à condition que les secteurs concernés souffrent de forts déficits de main-d’œuvre et que les employeurs s’engagent en parallèle à augmenter les recrutements de nationaux.
D’ici à 2028, les recrutements de personnels étrangers dans les maisons de retraite ne seront plus permis. Les détenteurs d’un visa devront par ailleurs patienter dix ans (et non plus cinq) pour réclamer un droit de séjour permanent. Les étudiants étrangers ne pourront plus rester que dix-huit mois au Royaume-Uni après avoir décroché leur diplôme. Enfin, le gouvernement veut pouvoir expulser, non seulement, les personnes ayant été condamnées à au moins un an de prison, mais toutes celles qui se sont rendues coupables d’un crime ou même d’une infraction.
L’équation du Labour semble simple : plus de 20 % des 16-64 ans sont inactifs au Royaume-Uni, il s’agit de recruter davantage dans ce réservoir de main-d’œuvre. La réalité est bien plus complexe : des dizaines de milliers de personnes ne travaillent pas à cause de problèmes de santé et ne parviennent pas à se faire soigner car le NHS croule sous les demandes. Bien d’autres sont découragées par des emplois précaires, mal payés et peu considérés (notamment dans l’assistance aux personnes âgées).
Les mesures préconisées par le gouvernement Starmer tranchent avec des années de présupposé travailliste selon lequel l’immigration autorisée est bonne pour la croissance. « La théorie selon laquelle une augmentation de la migration entraîne nécessairement une croissance plus forte a été mise à l’épreuve ces quatre dernières années. Nous avons enregistré des soldes migratoires records quand les précédents gouvernements ont perdu le contrôle, mais la croissance a stagné. Ce lien [entre migration et croissance] ne tient donc pas la route », a objecté Keir Starmer.
Le Royaume-Uni risque de devenir une « île [peuplée] d’étrangers » sans contrôle migratoire, a ajouté le dirigeant, un ex-avocat des droits humains. Des propos que n’auraient pas reniés ses prédécesseurs conservateurs et qui ont fait bondir : Steve Smith, le directeur de l’association d’aide aux migrants Care4Calais, les a jugés « dangereux » sur la BBC, ajoutant : « Le premier ministre a-t-il oublié les émeutes de l’extrême droite, l’été dernier ? »
En août 2024, le pays a été secoué par dix jours de manifestations violentes, alimentées par de fausses rumeurs sur l’identité du coupable de la tuerie de Southport, soupçonné d’être un migrant. La rhétorique du premier ministre « imite les excès de l’extrême droite » a dénoncé la députée Labour Nadia Whittome. Elle risque aussi d’augmenter le malaise chez les travaillistes : de nombreux élus ne se reconnaissent plus dans les choix gouvernementaux et selon les médias britanniques, 80 députés Labour seraient prêts à voter contre des coupes prévues par Downing Street dans l’aide aux handicapés, lors d’un scrutin prévu en juin au Parlement.
« Le jour où Keir Starmer tente de réagir à Reform UK, 250 jeunes hommes ont déjà traversé le channel à 8 heures du matin. Combien parmi eux sont des terroristes iraniens ? », s’est interrogé Nigel Farage, lundi, sur le réseau social X, confondant sans vergogne migration légale et illégale. Il est vrai que sur ce deuxième front, plus de 10 000 personnes ont déjà traversé la Manche en « small boats » depuis début 2025, en hausse de 40 % par rapport à la même période en 2024. Et Reform UK affûte probablement déjà ses flèches en prévision du premier sommet entre le Royaume-Uni et l’Union européenne depuis le Brexit, le 19 mai, à Londres. Londres pourrait y céder à une demande pressante de Bruxelles d’autoriser un programme de mobilité des étudiants européens au Royaume-Uni, en échange d’un partenariat dans la défense et la sécurité.
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