... Pour conclure, il faut d’abord rappeler l’évidence : les visons sont sensibles au Sars-cov2, ils en tombent malades, peuvent en mourir, le communiquent à leurs semblables très facilement, le transmettent aussi aux humains sous forme de variantes mutées qui les propagent ensuite de proche en proche. C’est le seul animal pour lequel la chose est avérée à l’heure dite. De plus, si aucune ferme intensive chinoise de visons n’était contaminée alors que l’Europe de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud, les États-Unis et le Canada sont touchés, ce serait une incroyable anomalie… tous les grands pays producteurs auraient été frappés, mais le principal ferait exception.
Quant aux élevages de chiens viverrins dont la Chine détient le quasi-monopole, c’est Martin Beer, virologue à l’Institut fédéral de recherche sur la santé animale à Riems en Allemagne, qui résume le mieux la situation : « Il est surprenant qu’il n’y ait aucune mention de ces animaux dans le rapport de l’OMS et nous n’avons aucune information en provenance de Chine pour savoir si ces animaux ont été testés. » En fait, mustélidés, canidés, viverridés, les mammifères suspects pour tenir le rôle d’intermédiaire sont les mêmes aujourd’hui que pour l’épidémie de Sars-Cov1 en 2003/2004.
Sauf que les civettes masquées sont désormais 1000 fois moins nombreuses dans le pays que les renards, les raccoon dogs et les visons élevés pour leur fourrure. Il paraît donc inconcevable pour l’établissement de la vérité et pour prévenir une future nouvelle pandémie que l’OMS ne fasse pas procéder à une enquête serrée dans le Shandong et ailleurs. À mots couverts, on comprend à la lecture du rapport préparatoire que l’intention est légèrement présente puisqu’il est indiqué que la commission d’experts envisage notamment de faire séquencer des échantillons sanguins de travailleurs des fermes.
Encore faudrait-il que ceux-ci l’acceptent, car sans leur consentement cela est impossible. De plus les abattages ayant lieu, au plus tard, en décembre, il est certain que la plupart des preuves éventuelles ont déjà disparu. Qui plus est, l’OMS a malheureusement abandonné l’ambition de pratiquer directement le travail de terrain en signant un protocole qui délègue aux chercheurs chinois la partie concrète de l’enquête. La mission ne devrait même pas sortir de Wuhan et on nous annonce d’ores et déjà que « il ne faut pas s’attendre à des résultats concluants ».
Reste un détail très concret que la Chine pourra difficilement contourner : en 2017 comme en 2018, le Shandong a produit 15 millions de peaux de visons. Fin 2019, la province n’en a récolté que 6,5 millions (voir graphique en annexe). Quasiment neuf millions de visons volatilisés d’une année sur l’autre. Une baisse de 55 %, propre à cette seule province, qui semble ne pouvoir s’expliquer que par une catastrophe ou un fléau brutal. D’autant que les productions de peaux de renards (5,7 millions) et de chiens viverrins (3 millions) issues du même territoire sont, elles, restées parfaitement stables.
Dans son rapport statistique annuel 2019, paru courant 2020, la China Leather Industry Association recommande aux éleveurs de fourrures de « continuer calmement leur travail sans croire ni répandre aucune rumeur ». On est bien tenté de se demander quelles rumeurs, car comme l’a courageusement déclaré Marion Koopmans, directrice du centre médical de Rotterdam et experte au sein de la commission de l’OMS, en septembre dernier : « On ne peut pas exclure que le commerce de fourrure joue un rôle dans la propagation du virus aux humains en Chine et l’élevage de vison pourrait être un point plausible sur la route que le virus a suivie lors de son passage des chauves-souris aux humains ».
Seulement voilà, l’Organisation Mondiale de la Santé, si elle parvient comme prévu à atterrir prochainement à Wuhan et à desserrer quelque peu l’étau qui l’enserre, aura-t-elle aussi le cran de prendre la Chine à rebrousse-poil ?