« J’ai commencé à travailler à plein temps sur l’exploitation familiale en 1986, alors que j’avais à peine 18 ans ; je sortais tout juste de trois ans de formation au lycée viticole de Beaune. Ces cours, je les avais pris très au sérieux, parce que j’estimais ne pas avoir droit à l’erreur – surtout par rapport à mes parents, peu fortunés, qui finançaient mes études et la construction de la cave qu’ils destinaient à mon frère et à moi.
Une fois le diplôme en poche, j’ai travaillé d’arrache-pied, sept jours sur sept. Nous avions en permanence le nez dans le guidon, d’autant que le domaine est vite passé de huit à seize hectares. Quand tu travailles autant, tu n’as pas vraiment le temps de réfléchir, de t’interroger sur ton métier. Tu fais comme les autres : tu écoutes les soi-disant spécialistes. En fait, tu cherches surtout à te faciliter la vie. »
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« Un petit viticulteur reçoit régulièrement la visite de commerciaux de grandes boîtes chimiques, comme Sandoz, Bayer ou BASF. Ces gars te guident, te garantissent que tel produit sera « parfait pour toi ». Alors, tu l’achètes et tu penses avoir résolu tes problèmes.
Tu n’as pas d’armes pour réfléchir autrement, parce que personne ne remet en cause ce modèle. Et puis, j’avais déjà été abreuvé du même discours à l’école. Mot pour mot ! Cette formation que j’ai suivie à Beaune avait pourtant très bonne réputation. Mais en fait d’études, j’avais surtout été matraqué de documents publicitaires édités par ces multinationales et d’incitations à recourir aux produits phytosanitaires chimiques.
Je ne l’ai compris que bien plus tard, mais nos professeurs étaient probablement aussi victimes d’un état d’esprit disséminé au quotidien et dans les colloques. J’en arrive à penser qu’ils étaient embrigadés. À tel point qu’à l’époque ils nous décrivaient les vignerons qui tentaient de faire du bio comme des hippies attardés produisant une piquette écolo. Selon eux, leur démarche n’avait aucun intérêt. En trois ans de formation, je crois n’avoir bénéficié que d’une heure de cours sur les vins bio ou biodynamiques3.
Pendant ma formation, on ne m’a jamais expliqué qu’il était possible de travailler autrement. Pire : les profs nous distribuaient des documents avec de belles photos couleur, estampillés au nom des grands labos : BASF, Bayer, Sandoz, etc. La première grappe de grenache que j’ai vue figurait sur une fiche ornée du logo de Bayer, avec au dos les indications pour combattre l’oïdium4 ou le mildiou sur ce cépage et la liste des produits à utiliser. Au cours de ma formation, j’ai dû apprendre ces éléments par cœur : ils faisaient partie intégrante des cours. »