• Chanel : l’incroyable dividende des frères Wertheimer Challenge - Eric Treguier - 23 Aout 2017
    https://www.challenges.fr/luxe/chanel-l-indecent-dividende-des-freres-wertheimer_494435.amp

    La somme est énorme, presque disproportionnée. Elle équivaut au double du dividende versé en 2015 et c’est surtout quatre fois ce que l’entreprise a déclaré en bénéfice net !

    Le document date du 16 août et a été enregistré en toute discrétion auprès des autorités néerlandaises, pays où Chanel a établi l’entité (Chanel International BV) qui contrôle le groupe de luxe et ses filiales.

    Comme à son habitude, Chanel n’a pas publié de communiqué sur le sujet. Le groupe refuse, en effet, de publier le moindre chiffre sur ses résultats. C’est bien dommage, car cette année, particulièrement, ce document de 90 pages nous apprend beaucoup de choses. Il révèle notamment que tous les chiffres du groupe sont en très nette baisse.

    Le chiffre d’affaires, d’abord, qui recule de 9% à 5,67 milliards de dollars, mais aussi le résultat opérationnel, qui baisse de 20%, à 1,278 milliard et le bénéfice net, qui recule, lui, de 35%, à 874 millions de dollars.

    Comment expliquer cette avalanche de mauvais résultats financiers ? Pour la direction, « les attaques terroristes en Europe du Nord ont réduit les flux touristiques et les achats d’articles de luxe, ce qui a entraîné une performance négative sur le première semestre. » Peut-être faut-il y voir aussi une conséquence de l’harmonisation des prix du groupe au niveau international, qui a fait flamber les prix en Europe ? Pour cette année, le groupe prévoit cependant de redresser fortement la barre, grâce à ses « nouvelles collections saisonnières et à ses lancements, dont le nouveau sac et le parfum Gabrielle », du nom de la créatrice de la marque.

    Heureusement, chez Chanel, tout n’est pas en recul. Les frères Wertheimer ne se sont pas oubliés. Alain, qui est installé à New-York et Gérard, qui dirige l’activité montres depuis Genève, en Suisse, possèdent 100% du capital du groupe. Ils se sont voté 3,4 milliards de dollars en dividendes au titre de 2016. Une somme énorme. Presque disproportionnée… C’est deux fois plus que les 1,6 milliard qu’ils s’étaient attribués l’an dernier. C’est presque deux tiers du chiffre d’affaires du groupe et c’est surtout quatre fois ce que l’entreprise a déclaré en bénéfice net ! La ponction a été si forte, nous apprend encore ce document de 92 pages que Challenges et le magazine suisse
    Bilan se sont procurés, que la trésorerie de l’entreprise est tombée, pour la première fois depuis longtemps, sous le milliard de dollars !


    Les deux frères, qui étaient évalués dans notre dernière édition des Fortunes professionnelles françaises, à 21 milliards d’euros, à la sixième place de notre palmarès, vont très certainement gagner quelques rangs à la faveur de ce dividende, en tout point exceptionnel. Cela fera d’eux, en tous cas, les détenteurs d’un étrange record digne du Guinness Book : celui du dividende le plus élevé reçu par un actionnaire d’une société européenne…

    #luxe #dividendes #chanel #Wertheimer #Record

    • Quelques mots d’explication

      Challenges ; en voilà de vrais journalistes, qui évaluent les fortunes professionnelles (donc hors les dividendes qui ont été versés en 2016, qui sortent du professionnel pour aller dans la poche personnelle) à la hausse, de 16,5 Mds d’euros en 2016 à 21 Mds en 2017, et ensuite te racontent que les Wertheimer gagnent beaucoup moins d’argent (baisse pour la 2ème fois du chiffre d’affaires et des résultats), et qui - c’est le comble - se servent de somptueux dividendes, très au-delà de ces résultats. Les mystères du capitalisme sont impénétrables : comme disait Marx, comment expliquer que le capital fait des petits, des petits ... et là des très gros « surplus ».
      Personne, ni le « Monde », ni « Challenges » ne s’est interrogé sur l’origine de ce dividende. Il ne tombe quand même pas du ciel ... capitaliste.

      Et bien non. En fait, il s’agit d’un tour de passe passe, qui se joue entre le holding et l’une de ses filiales, en l’occurence Chanel Ltd au Royaume-Uni. Chanel BV a tout simplement « vendu » cette filiale, à deux autres filiales du groupe, qui ont dû sortir de l’argent ; ceci ne se remarque pas à la consolidation (les écritures intra-groupe s’éliminent entre elles). Sauf sur un point très important. Les sous ; et le capital. C’est ainsi que Chanel NV a augmenté son capital, afin de souscrire à l’augmentation de capital de ses deux nouvelles filiales. Chanel Ltd sort des titres détenus par Chanel NV, et Chanel NV contrôle toujours Chanel Ltd (mais indirectement, via les deux filiales en question). Pour Chanel NV ensuite, l’augmentation de capital permet de payer le super-dividende. C’est le paiement de ce dividende qui explique pourquoi les fonds propres du groupe baissent de 637 M€, malgré le bénéfice de 2016 de 874 M€ qui aurait dû augmenter ces fonds (ces fonds propres consolidés sont fin 2016 de 1 294 M€, contre 1 931 M€ en 2015). Par ailleurs, les disponibilités du groupe ont bel et bien baissé (de 347 M€), et le groupe a dû emprunter de l’argent (d’où la hausse de la dette du groupe, de 176 M€).

      En d’autres termes, la valorisation de la fortune aurait dû logiquement baisser fortement entre 2016 et 2017 ; et Challenges publie exactement le contraire.

      Pour mémoire, l’évaluation que j’ai faite dans Capital sur Wertheimer était cette année de 12,38 Mds d’euros, en baisse de 13,6% par rapport à l’année précédente