• #Lithium : à #Echassières, entre terres de mineurs et interrogations majeures

    Soixante ans après la fermeture de la mine des #Montmins, la commune de l’#Allier a appris lundi que le précieux #minerai blanc, indispensable aux #batteries des #voitures_électriques, pourrait être extrait d’ici 2028. Suscitant un débat environnemental et industriel.

    L’effervescence est retombée à Echassières ce mardi-là, vingt-quatre heures après l’annonce qui a placé cette commune de l’Allier, moins de 400 habitants au compteur, au centre de l’actualité. Deux journalistes traînent encore dans le coquet centre-ville, interceptent le maire, passé à l’hôtel de ville pour signer des papiers entre deux rendez-vous professionnels – il exerce comme commercial vétérinaire. Le secrétariat croule sous les appels d’administrés qui, à la télé, ont entendu parler d’une carrière devant laquelle ils passent tous les jours, mais qui pourrait devenir l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe d’ici à 2028. On s’enquiert auprès de Frédéric Dalaigre, le maire (sans étiquette), de son état d’esprit : « On fait au mieux, on gère. » Le coup de semonce a retenti lundi matin, un an et demi après un arrêté municipal autorisant les opérations de recherche minière par le poids lourd français Imerys.

    Cinq kilomètres après le bourg, deux wagons miniers dorment sur des rails devant des maisons et une ferme. On demande à un homme qui charge sa camionnette si les voies mènent à l’ancienne #mine_des_Montmins, qui extrayait du tungstène. Laurent Malterre sourit : « C’est moi qui ai construit ces 2,5 kilomètres de voies. J’aime les trains mais c’est aussi pour rappeler la mémoire des mines qu’il y avait là. » Le quinquagénaire, exploitant agricole, est le président de #Wolframines, un musée consacré à la minéralogie retraçant l’histoire géologique et minière du coin.

    Un riche passé dont les origines remontent au XIXe siècle, avec des gisements d’étain, de tantale, de kaolin. Après la fermeture de la mine des Montmins en 1962, ainsi que de plusieurs carrières, seul un site d’extraction de kaolin (une argile entre autres utilisée dans la porcelaine) a résisté. C’est de lui, sur le site de Beauvoir, dont on parle depuis lundi. Toujours exploité par Imerys, c’est encore plus en profondeur que le lithium devra être cherché. L’entreprise l’assure : aucun ballet de camions n’est à craindre, puisque tout se passera sous terre, avec notamment un énorme tuyau transférant les minerais vers une gare dont on ne connaît pas encore le lieu exact.
    « L’une des grandes chances minières de la France » en 1985

    On suit Laurent Malterre dans l’un des champs de son exploitation agricole. Il ramasse une pierre qui brille lorsque les rayons du soleil percent les nuages. C’est du lépidolite : une fois travaillé, il permettra d’obtenir du lithium. « Il y a des milliers d’hectares ici qui pourraient en contenir », précise-t-il. Une richesse dont les habitants étaient jusqu’alors très peu conscients.

    La mémoire minière est pourtant partout. Un couple nous accueille. Dans le salon, une vitrine présente différents objets et des minéraux, comme des sportifs exhiberaient avec fierté leurs trophées. La femme, énergique, sort un sachet contenant de la poudre blanche. Elle demande à son mari – qui a bossé dans la mine des Montmins jusqu’à son licenciement brutal en 1962 – si ce n’est pas du lithium. L’étiquette indique qu’il s’agit de poudre de lépidolite. « C’est le BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières, ndlr] qui m’a donné ça en 1985 », se rappelle-t-il.

    Son épouse sort une archive de Libération datant de la même année, une pleine page qui se demande si « la ruée sur le lithium aura lieu » et décrit ce gisement du Massif central comme l’« une des grandes chances minières de la France ». Haroun Tazieff, alors secrétaire d’Etat chargé de la Prévention des risques naturels et technologiques majeurs, était même venu à Echassières constater le potentiel « miracle blanc », à une époque où les élus communistes du département exigeaient la création d’une filière du lithium, bien avant la création des smartphones ou des véhicules électriques et de leurs batteries.

    Une des « grandes chances minières de la France » ? Les associations écologistes alertent sur les zones d’ombre du projet d’Imerys, qui anticipe l’extraction de « 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an pour une durée d’au moins vingt-cinq ans », ce qui permettrait d’équiper quelque « 700 000 véhicules » électriques. Et de signaler, notamment, que la « mine propre » ou à bilan carbone neutre n’existe pas, malgré les promesses des industriels du secteur. D’autres s’interrogent : vaut-il mieux des mines en Australie (50 % de l’extraction mondiale) dont le minerai sera raffiné en Chine (60 % du raffinage mondial), puis transporté en Europe par porte-conteneurs ? Ou développer une filière française, avec des normes et contrôles hexagonaux ?

    Du côté du groupe écologiste au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, si l’on considère que les objectifs d’accroître l’indépendance énergétique de la France et de l’UE et de « réduire les coûts financiers et écologiques de transports de minerais » sont « louables », on estime que « ce projet ne pourra être accepté socialement que s’il est réellement vertueux écologiquement », comme le formule l’élue Anne Babian-Lhermet. Son groupe pointe une dizaine de « questions en suspens » : les proportions dans lesquelles la mine sera agrandie, l’impact carbone et sur l’eau, la qualité des emplois…

    Dans un communiqué, Imerys promet « un projet responsable et respectueux de l’environnement et des populations locales ». Les camions ? Il n’y en aura pas plus. Les poussières ? En profondeur, aucune crainte à avoir, jure l’entreprise. La question de l’eau reste le point noir. Pour extraire le lithium, il en faut énormément. Combien ? Imerys, qui n’a pas souhaité nous répondre, ne le dit pas pour l’instant. Pas plus qu’on ne connaît l’impact sur les nappes phréatiques, dans une région agricole qui avait été placée en état de « crise » sécheresse sans discontinuer de juillet à mi-septembre.
    « On vivait dans un petit paradis et ça va devenir l’enfer »

    Les arguments environnementaux, économiques et sociaux s’entrechoquent. « La moitié est d’accord, la moitié est contre », résume Laurent Malterre. Une ancienne élue, née ici « bien avant » que la mine de Montmins ne ferme, inscrit ce débat dans le temps et l’espace : « Ce projet nous rappelle la vocation minière du village. C’est un changement qui peut plaire ou déplaire, mais ça peut être une énorme bouffée d’oxygène pour Echassières. » La fermeture de 1962 a traumatisé le bourg, passé de 800 à 400 habitants. Cinq commerces sont encore actifs et pourraient bénéficier de la centaine d’emplois créés dans le village, selon la promesse d’Imerys, 1 millier dans l’Allier.

    « Imerys a présenté un projet solide, avec des arguments. Les seules réserves que nous pouvons avoir, c’est en effet sur l’environnement et l’eau mais nous verrons en temps et en heure », promet le maire Frédéric Dalaigre, qui va prochainement organiser une « réunion publique » afin de répondre aux « questionnements » de ses administrés. Notamment celui d’un habitant qui semble désabusé : « On vivait dans un petit paradis et ça va devenir l’enfer. » L’avenir de la forêt des Colettes – 762 hectares classés Natura 2000 – qui enlace le site de Beauvoir inquiète. Mais Imerys n’a pas encore communiqué sur d’éventuelles coupes aux alentours de la future mine. « Quand la forêt des Colettes, qui était l’une des plus belles hêtraies de France, a été à moitié détruite pour y récolter du bois, cela n’a pourtant choqué personne », soupire Laurent Malterre. Qui s’interroge : « On n’arrête pas de nous dire qu’il faut rouler avec des voitures électriques pour lutter contre le réchauffement climatique. Il faut bien qu’on extraie du lithium quelque part, non ? »

    https://www.liberation.fr/environnement/mine-de-lithium-le-village-dechassieres-entre-sideration-et-resurrection-
    #extractivisme #mines #France #Europe