#Montagne : Comment la station de #La_Clusaz pompe l’#eau de source illégalement
Pendant plus de 20 ans, La Clusaz a pompé l’eau d’une source pour fabriquer de la #neige_artificielle... sans autorisation. Une #enquête judiciaire de l’Office français de la biodiversité dévoile comment la célèbre station des Alpes a installé ce système coûteux. Des #captages irréguliers ont par ailleurs été découverts sur les trois autres retenues exploitées par la commune haute-savoyarde pour alimenter ses pistes. Révélations.
Fallait pas arroser les pétunias... En juillet 2022, la commune de La Clusaz a été prise en flagrant délit par l’Office français de la biodiversité (OFB) alors que les restrictions interdisaient l’arrosage. Cet été-là, la Haute-Savoie vit un épisode de chaleur intense.
L’alerte sécheresse a été déclenchée et les restrictions d’eau ordonnées dans tout le département, conformément aux mesures prises dans ce type de situation : interdiction d’abreuver les plantes municipales mais surtout de remplir les retenues collinaires, ces ouvrages qui stockent l’eau des montagnes pour fabriquer de la neige de culture. Mais, surprise, les agents de l’OFB constatent que la station a arrosé ses bosquets en puisant dans la retenue du Lachat, et que celle-ci est toujours alimentée en eau.
Un circuit secret
En inspectant les installations, la police de l’environnement découvre un dispositif secret : la commune a mis en place un système souterrain illégal pour capter l’eau de la source du Lachat, la diriger vers un local étiqueté « neige de culture », puis la pomper vers la retenue... Or ce dispositif n’a jamais été autorisé et n’est nulle part mentionné sur les plans d’aménagement.
Une réflexion poussée
« Il s’agit d’une installation complexe caractérisant le fait qu’une réflexion poussée et des investissements importants ont été mis en œuvre par la commune », constate le procès-verbal de l’OFB.
Pour La Clusaz, cette enquête judiciaire, et ce qu’elle dévoile, tombe au plus mal. Ces dernières années, la station - en première ligne dans la candidature française pour l’accueil des JO d’hiver de 2030 - est devenue à son corps défendant un symbole : celui de l’accaparement de l’eau au profit de l’industrie du ski et des sports d’hiver.
La collectivité s’est battue pour faire creuser sa cinquième retenue collinaire, sur le plateau de Beauregard. Mais les travaux ont été entravés par l’implantation d’une ZAD, puis la suspension par le tribunal administratif de Grenoble de l’arrêté préfectoral d’autorisation. Résultat, en septembre 2023, le maire de La Clusaz Didier Thévenet a été contraint d’annoncer le gel du projet en attendant que les juges se prononcent définitivement sur le dossier. Malgré ce contretemps fâcheux, l’édile ne s’était pas démonté. « Nous ne lâchons rien, a prévenu Didier Thévenet. Nous allons muscler notre projet, dans le respect de la justice et de la loi ».
L’eau, un vrai sujet
Ce beau principe (le respect de la loi) n’a pas été appliqué à ses précédentes retenues d’eau. Blast a eu accès à l’enquête judiciaire menée par l’OFB. Ces investigations démontrent que La Clusaz a pompé illégalement l’eau de la source de Lachat de 2000 à 2023 pour alimenter la retenue du même nom, qu’elle aurait pu déclarer ce prélèvement illégal, à plusieurs occasions, et encore que l’adjoint responsable des retenues d’eau n’a jamais cherché à comprendre leur fonctionnement.
Sollicitée par Blast, la municipalité minimise : « Il n’y a plus de sujet. Nous sommes en médiation avec l’OFB et des mesures correctives ont été prises. »
Il faut savoir que, à La Clusaz, l’industrie du ski nourrit la vallée. Les remontées mécaniques ont rapporté 25,3 millions d’euros de chiffre d’affaires à la commune en 2023. Et la station doit accueillir l’épreuve de ski de fond des Jeux olympiques d’hiver 2030 et ses nombreux visiteurs. Un tel pactole, ça se protège.
Construite en 2000, la retenue du Lachat est destinée exclusivement à produire de la neige artificielle. Si les prélèvements illégaux ont pu commencer dès sa construction, ils n’ont été enregistrés qu’à partir de 2014 avec l’installation d’un compteur. De 2014 jusqu’en juillet 2023, date de la fermeture définitive du dispositif de prélèvement, 135 108 m³ d’eau ont été siphonnés illégalement. Malgré l’engagement de la commune à ne plus prélever d’eau après l’intervention de l’OFB à l’été 2022, La Clusaz a encore capté 5 020 m³ supplémentaires en 2023.
L’enquête de l’OFB conclut que La Clusaz « a délibérément capté la source du Lachat » sans jamais déclarer cet ouvrage à la direction départementale des territoires (DDT) de la Haute-Savoie, chargée d’instruire l’arrêté qui encadre la retenue.
La station de ski a pourtant eu plusieurs opportunités pour indiquer ce prélèvement. Elle aurait pu le faire en 2011, ou en 2014 quand elle a demandé, puis modifié, une autorisation d’extension de la retenue.
« La commune a parfaitement connaissance de la manière de procéder et aurait pu à cette occasion informer la DDT des modifications d’alimentation en eau de la retenue », pointe l’Office français de la biodiversité. Mais, au contraire, « l’ouvrage de prélèvement de la source du Lachat a été modifié à plusieurs reprises sans aucun accord de la DDT, et à défaut des prescriptions réglementaires. »
La Clusaz se fiche des milieux naturels
La Clusaz a exploité la retenue sans détenir aucune autorisation environnementale. Elle s’est ainsi épargnée d’engager des dépenses pour appliquer la séquence « ERC » (éviter, réduire, compenser), qui vise à atténuer les atteintes à l’environnement. Ces coûts sont estimés à 27 000 euros par l’OFB. Ils ne prennent pas en compte ceux de l’étude d’impact qui aurait dû être menée. Sans cette analyse, les dégâts provoquées pendant 23 ans sont impossibles à mesurer.
En revanche, il est certain que cet accaparement de l’eau a bouleversé les milieux naturels. Durablement : « Lorsqu’ils interviennent en période naturelle de basses eaux tel qu’en période de sécheresse, les prélèvements accélèrent le phénomène de déficit hydrique et en accentuent l’ampleur », souligne le rapport de l’OFB. Avec, pour principales conséquences, « la fragmentation des milieux aquatiques ou la rupture de la continuité écologique, l’élévation de la température de l’eau, la modification physico-chimique de l’eau, la modification de la végétation aquatique et l’assèchement des linéaires ». C’est justement pour ces raisons que les ouvrages qui prélèvent de grandes quantités d’eau sont soumis à des dossiers de déclarations ou d’autorisation. Ils doivent maintenir un débit réservé, autrement dit qui garantit la circulation et la reproduction des espèces aquatiques locales.
Les prélèvements à La Clusaz impactent le cours d’eau dont l’état écologique est classé « moyen » par le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (le SDAGE) du bassin Rhône-Méditerranée (2022-2027), dont l’objectif est de pouvoir le reclasser à la case « bon ». En prélevant 24 734 m³ d’eau en 2022, La Clusaz « concourt à la non-atteinte des engagements pris par la France dans le cadre de l’atteinte du bon état écologique fixé par la DCE et, en même temps, contribue au déséquilibre du fonctionnement des milieux aquatiques », observe la police de l’eau et des espaces naturels.
Pas une priorité pour la commune
Cerise sur la retenue, en tirant l’eau « au point géographique le plus en amont possible », c’est l’ensemble du régime hydrologique et des habitats en aval qui sont affectés. Dont une zone humide créée... par La Clusaz pour compenser l’extension de la retenue du Lachat, réalisée en 2011. « Les installations en place mettent en évidence que le maintien dans un bon état des écosystèmes aquatiques n’est pas une priorité pour la commune », conclut l’enquête judiciaire.
L’adjoint aux retenues n’y connaît rien
À la mairie, l’annonce de la mise à jour de cette installation illégale a été prise avec une légèreté déconcertante. Auditionné à plusieurs reprises par l’OFB, Didier Collomb-Gros, l’adjoint en charge de la gestion des retenues collinaires, a fourni des explications lunaires. Élu en 2007, délégataire des retenues collinaires depuis 2020, cet artisan à la retraite - qui loue des appartements meublés - semble découvrir ses fonctions et n’avoir aucune envie d’en parler.
Venez me chercher avec les menottes
Convoqué par téléphone à une audition libre, Didier Collomb-Gros « semble très contrarié de notre appel », relève le rapport de l’OFB. L’adjoint s’emporte : « Convoquez-moi, je verrais si je viens » ; « si vous avez rien d’autre à foutre » ; « au pire venez me chercher avec les menottes, on verra bien »...
Contacté également par Blast, l’élu nous a indiqué « ne pas être habilité » à nous répondre, avant de nous raccrocher au nez.
L’adjoint bravache s’est finalement rendu au siège de l’OFB le 19 avril 2023. Il y a assuré que l’installation illégale était connue des services techniques de la préfecture depuis l’an 2000. Mais l’élu n’a produit aucun document pour corroborer ces affirmations. Et la mairie est tout simplement incapable de fournir un plan détaillé de la retenue.
« On doit l’avoir, mais il faut qu’on fasse des recherches », botte en touche l’élu. Et l’OFB observe avec circonspection que, « selon les questions posées en audition », la commune « complète au fur et à mesure le schéma synoptique de fonctionnement des installations ».
Un tas de questions
Lors de sa deuxième audition le 9 octobre 2023, plus d’un an après les premières découvertes, Collomb-Gros se montre incapable de répondre aux interrogations des policiers sur l’installation ou sur le montant de ses investissements. « Vous me posez un tas de questions que je ne peux pas répondre (sic). Ces travaux datent de dix ans », évacue-t-il.
L’audition tourne rapidement au supplice. « À votre prise de fonction en 2020, avez-vous fait des recherches sur la gestion des ouvrages ? », interroge l’OFB. « Aucune », répond l’élu, qui avoue n’avoir pris « aucune décision, ni note » pour s’assurer que la commune respecte l’arrêté d’autorisation de l’installation.
Et ben, on voit que non
La suite est proprement stupéfiante. Question : « Comment expliquez-vous les contradictions / approximations dans vos déclarations alors que ça fait un an que les premières constatations ont eu lieu ? » Réponse : « Encore une fois je vais dire que je ne comprends pas la situation » ; Question : « Vous êtes-vous donné les moyens pour comprendre la situation depuis un an ? » Réponse : « Pas de réponse de ma part » ; Question : « Pensez-vous avoir une connaissance suffisante du fonctionnement des installations de prélèvement de la retenue du Lachat pour assurer cette responsabilité ? » Réponse : « Et ben, on voit que non. »…
Une méconnaissance volontaire
Forcément, après cette prestation, le verdict de l’OFB est plutôt sec. L’audition, notent les fonctionnaires, « met en évidence une méconnaissance volontaire des prescriptions réglementaires de l’arrêté d’autorisation de la retenue du Lachat et la volonté manifeste de n’en prendre aucune ».
Interrogée par Blast sur le manque de connaissances techniques des dossiers dont son adjoint à la charge, la commune de La Clusaz botte en touche : « M. Collomb-Gros a des services techniques sur lesquels s’appuyer pour connaître la réglementation. » Est-ce donc... la faute des services techniques ? « Nous n’avons pas dit ça », répond la station.
Olympisme, menaces pénales et autres retenues
Cette affaire révélée par Blast tombe au pire moment. En avril 2024, le Comité olympique international (CIO) était en visite pendant 5 jours dans les Alpes françaises pour étudier leur candidature à l’organisation des JO d’hiver de 2030. Les membres de la délégation ont fait notamment une halte à La Clusaz, sur le site qui doit accueillir l’épreuve de fond.
Le suspens doit prendre fin en principe la semaine prochaine avec une décision attendue le 24 juillet, à l’occasion de la tenue à Paris de la 142è session du CIO, à la veille de l’ouverture des Jeux de Paris. Officiellement, la question environnementale - et celle qui va avec de l’acceptabilité par l’opinion publique - est prise en compte dans les critères pour décider de l’attribution. Dans d’autres pays, les populations ont été consultées par référendum ou ces consultations envisagées, comme en Suède et en Suisse (1). Rien de tel en France où le lobby du ski s’est mobilisé d’un seul homme pour s’engouffrer dans l’initiative prise par les présidents de région Laurent Wauquiez (AURA) et Renaud Muselier (PACA). Les Alpes françaises sont seules en lice pour décrocher la timbale.
De leur côté, Didier Collomb Gros et La Clusaz risquent des amendes pénales de 5e classe (1 500 euros) pour « non-respect du projet fondement de l’autorisation ou de la déclaration d’une opération nuisible à l’eau ou au milieu aquatique » et pour « exercice d’une activité nuisible à l’eau ou au milieu aquatique sans respect des prescriptions de l’arrêté d’autorisation des arrêtés complémentaires ». Ils encourent ainsi jusqu’à 75 000 euros d’amende pour « exploitation sans autorisation d’une installation ou d’un ouvrage nuisible à l’eau ou au milieu aquatique ».
Le prélèvement illégal sur la source du Lachat enfin stoppé, la station de La Clusaz n’a pourtant pas connu de répit : selon nos informations, des captages irréguliers ont également été découverts en mai, puis juillet 2023 par l’OFB sur les trois autres retenues exploitées par la commune haute-savoyarde. Ceux-là aussi ont été fermés, affirme la collectivité.
« L’eau est un bien précieux, nous faisons aujourd’hui attention à être irréprochables », assure La Clusaz à Blast. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient
(1) Deux pays que le CIO a finalement préféré écarter.
▻https://www.blast-info.fr/articles/2024/info-blast-montagne-comment-la-station-de-la-clusaz-pompe-leau-de-source-
#ski #stations_de_ski #France #Alpes #Lachat #neige_de_culture #illégalité #industrie_du_ski #ZAD #plateau_de_Beauregard #Didier_Thévenet #justice #remontées_mécaniques