Gilles Horvilleur

« Le fondement unique de la société civile, c’est la morale. » http://goo.gl/LQHTUV

  • Le motif le plus caché de celui qui collectionne pourrait peut-être se circonscrire ainsi : il accepte d’engager le combat contre la dispersion <Zerstreuung>. Le grand collectionneur, tout à fait à l’origine, est touché par la confusion et l’éparpillement des choses dans le monde. C’est ce même spectacle qui a tant occupé les hommes de l’âge baroque ; on ne peut, en particulier, expliquer l’image du monde de l’allégoricien sans le bouleversement passionnel que provoque ce spectacle. L’allégoricien forme pour ainsi dire le pôle opposé du collectionneur. Il a renoncé à élucider les choses par la voie d’une étude de leurs propriétés et leurs affinités. Il les détache de leur contexte et se fie dès le début à sa pénétration• pour élucider leur signification. Le collectionneur, au contraire, réunit les choses qui vont ensemble ; il parvient ainsi à fournir des renseignements sur les choses grâce à leurs affinités ou leur succession dans le temps. Mais un allégoricien ne se cache pas moins dans chaque collectionneur, et un collectionneur dans chaque allégoricien – et cela est plus important que toutes le différences qu’il peut y avoir entre eux. En ce qui concerne le collectionneur, sa collection n’est jamais complète ; lui manque-t-il une seule pièce <Stück>, et tout ce qu’il a recueilli n’est qu’une œuvre fragmentaire <Stückwerk>, ce que sont depuis le début les choses pour l’allégorie. Pour l’allégoricien, d’autre part, les choses ne représentent que les rubriques d’un dictionnaire secret qui révélera leurs significations à l’initié. Il n’aura donc jamais accumulé assez de choses, car une chose peut d’autant moins suppléer l’autre qu’aucune espèce de réflexion ne permet de prévoir la signification que la pénétration peut revendiquer pour chacune d’elles. [H 4a, 1]

    Walter Benjamin, « Notes et matériaux. H [Le collectionneur] », Paris, capitale du XIXe siècle : le livre des Passages, traduction Jean Lacoste, Cerf, 1989, p. 228-229.
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    • « Pénétration » traduit Tiefsinn [NdT]

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