Le « pacte migratoire » européen, sitôt voté, sitôt contesté

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  • Le « pacte migratoire » européen, sitôt voté, sitôt contesté
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    Le « pacte migratoire » européen, sitôt voté, sitôt contesté
    Philippe Jacqué, Bruxelles, bureau européen
    Mardi 14 mai, le conseil des ministres de l’économie de l’Union européenne (UE) doit ratifier le pacte sur la migration et l’asile. Un mois après le vote du Parlement européen, les Etats valideront cette dizaine de textes qui doivent permettre d’harmoniser la gestion de l’arrivée des migrants aux frontières du continent. Après huit ans de négociations, l’UE disposera enfin de règles communes en matière d’enregistrement et de filtrage des demandeurs d’asile, le plus souvent à la frontière dans des centres fermés, et de leur retour dans leur pays d’origine s’ils n’obtiennent pas le statut de réfugié.
    Un système de solidarité entre les Vingt-Sept sera également organisé pour alléger la tâche des pays en première ligne comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, Malte et Chypre. En parallèle, la Commission européenne a multiplié les accords avec les pays du pourtour méditerranéen, comme la Tunisie, l’Egypte et dernièrement le Liban, pour qu’ils contrôlent mieux les départs de migrants, en échange de soutiens financiers.
    Le « pacte migratoire » et ces accords doivent permettre de réduire le nombre d’arrivées irrégulières en Europe. En 2023, quelque 380 000 personnes sont arrivées sur les côtes européennes, le nombre le plus élevé depuis la crise des réfugiés syriens, en 2015. Plus d’un million de personnes étaient alors arrivées sur le continent.Des chercheurs, organisations non gouvernementales et groupes politiques de gauche critiquent cette politique qui renforce l’« Europe forteresse », sans offrir pour autant assez de voies d’accès légales et sûres, qu’il s’agisse de visas d’étude, de travail, voire de visas humanitaires. Ils critiquent une approche de la question migratoire centrée sur le thème des entrées irrégulières, présentées comme une « menace » pour le continent.
    Alors que l’Europe a su accueillir près de 6 millions d’Ukrainiens, une partie du personnel politique se crispe à propos de 380 000 migrants irréguliers. Un nombre qui, rapporté aux 450 millions de citoyens européens, est nettement moins élevé qu’aux Etats-Unis (335 millions d’habitants), où 3,2 millions d’irréguliers sont arrivés en 2023. Tout débat rationnel, prenant en compte le savoir-faire européen en matière d’intégration ou l’importance démographique et économique de l’immigration, semble balayé pendant la campagne des élections européennes, qui se tiendront du 6 au 9 juin.
    Dans ce contexte électoral, le « pacte migratoire », sitôt adopté, est à la fois contesté comme trop répressif par la gauche et comme trop restrictif par la droite qui prône un nouveau durcissement. L’extrême droite n’hésite pas à demander un refoulement systématique des migrants qui tentent d’atteindre les côtes européennes, une pratique non seulement inhumaine, mais illégale. En Allemagne, le parti AfD est allé jusqu’à évoquer l’idée de « remigration », qui prévoit même d’expulser des citoyens allemands issus de l’immigration. Un concept qu’ils affirment ne plus soutenir.
    A droite, d’autres partis veulent chasser sur les terres de l’extrême droite. C’est le cas du premier parti du Parlement européen et qui devrait le rester, le Parti populaire européen (PPE, dont est membre Les Républicains), et sa tête de liste, Ursula von der Leyen, l’actuelle présidente de la Commission. Dans son manifeste électoral, le PPE propose d’externaliser vers des pays tiers dits « sûrs » le traitement des dossiers des demandeurs d’asile arrivés irrégulièrement.
    Débat intense
    L’un des modèles ultimes est la « loi sur la sûreté du Rwanda » qu’a adoptée en avril le Royaume-Uni. Londres a passé un accord avec Kigali pour lui envoyer, contre financements, des demandeurs d’asile arrivés sur ses côtes. Si le système d’asile rwandais leur accorde le statut de réfugiés, ils pourront y rester. Sinon, ils pourraient être renvoyés vers leur pays d’origine selon les règles rwandaises.
    Une telle politique est illégale au regard de la réglementation européenne actuelle. Pour renvoyer une personne dans un pays tiers, il faut que ce pays soit jugé « sûr » – c’est-à-dire qu’il respecte certaines normes en matière de droits humains – et justifier un lien, par exemple familial, entre cette personne et ce pays tiers. Un verrou juridique qui empêche la mise en place de tout système d’externalisation généralisé au niveau européen. Les groupes libéraux, sociaux-démocrates, écologistes rejettent cette idée poussée par le PPE.
    Néanmoins, au niveau des Etats, le débat est intense. Plusieurs pays, dont le Danemark, dirigé par la sociale-démocrate Mette Frederiksen, déploient d’importants efforts diplomatiques pour promouvoir des « projets innovants » de gestion de la migration. Deux tiers des Etats membres, dont le Danemark, la République tchèque, l’Autriche ou l’Italie, préparent une lettre à destination de la prochaine Commission afin d’explorer toutes les options de partenariats, voire d’externalisation, respectant les droits et les conventions actuels.
    Le modèle imaginé par l’Italie avec l’Albanie est particulièrement mis en avant. En 2023, Rome a passé un accord avec Tirana pour y rediriger les migrants sauvés par la marine italienne en Méditerranée. Alors que les ONG de défense des droits humains ont appelé la Commission à dénoncer ce projet, cette dernière n’en a rien fait, car Rome affirme que le droit applicable dans le camp d’accueil des migrants installé en Albanie sera italien, et que toute la procédure sera menée par l’Italie. Rome serait donc dans les clous du droit international. La controverse ne fait que commencer. En 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a marqué son opposition à toute externalisation en matière d’asile : « Celles-ci peuvent déclencher un effet domino et conduire à une érosion progressive de la protection internationale des réfugiés. »

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