tchorski

Production de médias urbex - photographies vidéos et rédaction web

  • Encore un hôtel trouvé par hasard, par une encore-déviation ! Peuchère, c’est à croire qu’il faudrait quasiment s’obliger à des inhabitudes et des déviations ubuesques, parce que là cet hôtel comme dirait mon frère : il dépote sa mémé (ça ne se dit pas, ah bon, allez…) Bon bref c’était un jour de retour ; je faisais les courses de dernière minute pour ma petite Ava, le lieu inhabituel, vraiment. Retour au plus court, une campagne isolée à tel point que les toponymies me sont même inconnues, et là… il se dresse seul sur son croisement routier : l’hôtel désaffecté sur aucune carte. Ah mais non j’ai un rendez-vous… Tant pis j’y vais !

    L’intérieur révèle un hôtel très-très à l’ancienne, tel qu’on peut l’imaginer dans les terres les plus reculées de l’Aubrac ou du Cézallier. Ce qui m’a le plus choqué, c’est la présence d’un poêle à charbon dans chaque chambre, comme si l’on se projetait dans une curieuse période de l’après-guerre, un monument figé comme ça, une petite magie étoilée de bonheur.

    Le documentaire complet est disponible ici : https://tchorski.fr/23/joseph.htm

    Nous ne possédons aucune documentation solide – comme bien souvent dans les petites structures civiles – mais par contre des suppositions solides. L’hôtel appartenait à Joseph. Il a pris sa retraite en 1968. Un courrier du Maire du village, s’excusant par avance de son absence, en témoigne. Par la suite, tout laisse à penser que Joseph a habité au rez-de-chaussée, l’étage s’est par contre retrouvé pétrifié, plus rien n’a bougé. Donc les chambres… dernier voyageur, il y a 55 ans… D’accord, il se trouve une certaine forme de logique à voir ce que l’on voit.

    Joseph pourrait être décédé en 1996, cela reste à vérifier. Je dois encore me rendre au cimetière du village pour honorer sa tombe de quelques fleurs des champs. Les volets de la maison ont été fermés et puis voilà, plus rien durant très longtemps, quelques souris affairées sous les toitures, jusqu’au jour inévitable où a eu lieu le classique pillage. Ils n’ont pas dû trouver grand-chose ; idiotie habituelle, on ne changera pas le monde d’un coup de baguette magique.

    Dans le grenier, des papiers en pagaille sont éparpillés dans les monceaux de poussière. Je dispose d’une photo de Joseph, mais celle-ci est récente, je ne la poste pas. Par contre, il se trouvait un album comportant quelques collodions humides, vous voyez cette méthode bon marché de 1920 – 1930, qui donne ces photos assez pâles. Les portraits, sans nul doute de Joseph enfant et sa petite sœur. On ressent tout de suite la dureté âpre de ce lieu de campagne reculée (je ne vous raconte pas l’hiver là-haut), le côté un peu rêche, frustre, des visages : pauvreté banale d’une paysannerie de l’arrière-France, des gens de grande valeur.

    C’est de la sorte que je referme la porte de l’hôtel, ah bah non il n’y en a plus, elle est brisée. Je suis en retard à mon rendez-vous, un inévitable grand classique ; est-ce là ce qui me fait tant aimer cette vie débridée ? Dehors nous sommes en 2023, dedans, juste derrière cinquante ans en arrière et ce lieu que je quitte avec beaucoup de respect. Nous sommes au printemps, les bergeronnettes envahissent la route sans se préoccuper de quoi que ce soit. J’arrive, Ava est là toute belle, les chèvres se sont barrées, Taïro a bouffé deux lapereaux. Une autre vie, un saut : dès lors sautons vite, mais avant de partir, merci.