On puce bien les moutons - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales
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Enseignante, Josiane boude cependant le progrès : « Que veux-tu que les enfants te racontent le soir ? Tu sais tout. Les notes en direct, les punitions, le repas de la cantine, les sorties, les évènements du bahut. Ce n’est plus la peine de leur demander ce qui se passe au collège. Au final, le collégien en tant qu’être autonome est supprimé, il n’existe plus dans la chaîne de communication et d’information. » Sentiment partagé par Sam, collégien en 5e : « Quand tu rentres en cours, le prof fait l’appel sur son ordi et un projecteur montre un tableau avec le nom des élèves et les colonnes des observations, retards, exclusions… Du coup on voit tous ce qui est noté pour tout le monde. On a l’impression d’être fliqué par le collège, c’est comme s’il savait tout à l’avance. Comme si on voulait nous foutre tous dans le même moule ! » Dans Pronote, le collégien ou lycéen est découpé, scanné et tracé comme une cuisse de poulet sous Cellophane. Un gros mot lâché en classe ? L’affaire fait l’objet d’une observation. Un retard de deux minutes ? Un texto avertit fissa les parents. Fut une époque où ces micro-évènements étaient rapidement dissous par les mécanismes normatifs d’une vie scolaire déjà suffisamment codée et hiérarchisée. Avec Pronote, l’incident mineur se grave désormais dans le marbre des atypies comportementales. Sam : « Pronote se rappelle des vieilles choses. Par exemple, t’es à la fin de l’année et les heures de colle et observations du premier trimestre sont encore inscrites. » « Au niveau de la réception par les parents, toutes ces observations produisent un effet d’accumulation, constate Raymond, enseignant. Ça coupe le vrai lien avec eux. »
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Malgré ce tableau à charge, il est étonnant de constater le peu de réactions critiques du corps enseignant ou des parents d’élèves. Si des dispositifs outrageusement liberticides du style Base élèves [3] ont pu provoquer une saine bronca chez certains profs, les dernières innovations technologiques entrant dans le champ des Espaces numériques de travail se diffusent comme un lent poison indolore [4]. Rien n’est plus aisé que d’offrir des gages de sécurité à une population abasourdie par une multiplicité de discours anxiogènes.