• L’esclavage, un élément secondaire dans la naissance de la révolution industrielle ? Sure. Not. | Mediapart | 14.02.24

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/140224/aux-sources-du-capitalisme-l-esclavage

    Pour le vieux continent, les historiens de l’économie apologétiques du capitalisme ont longtemps défendu – et défendent encore – l’idée que l’esclavage fut un élément secondaire dans la naissance de la révolution industrielle. Pour beaucoup, le commerce d’esclaves a été une sorte de « détail » de l’histoire économique du capitalisme.

    Un livre publié en 2023 aux éditions Polity et pas encore traduit en français vient donner un autre éclairage aux premières heures de la naissance du capitalisme et défaire cette narration construite largement dans le cours du XIXe siècle, après les abolitions de l’esclavage.

    Dans « Slavery, Capitalism and the Industrial Revolution », deux chercheuses, Maxine Berg et Pat Hudson, replacent l’esclavagisme et le système des plantations qui en est issu, au cœur du développement de l’économie britannique du XVIIIe siècle. Et elles en font un élément déterminant de la révolution industrielle et des formes particulières que prendra le capitalisme britannique jusqu’à nos jours.

    • Ce que montre Maxine Berg et Pat Hudson, c’est l’effet d’entraînement de cette industrie à base esclavagiste sur la dynamique capitaliste et industrielle d’ensemble au Royaume-Uni. Cette dynamique n’est pas toujours immédiatement visible. Mais les autrices soulignent par exemple combien cette révolution dans la consommation a été un élément clé de la « révolution industrieuse », un changement notable de rapport au travail qui a permis la révolution industrielle.

      Ainsi, notent-elles, « le désir pour une nouvelle variété de marchandises a amené des changements graduels dans les comportements des ménages ordinaires d’Europe occidentale ». Progressivement, pour s’offrir le luxe devenu atteignable du sucre, l’économie de subsistance va être abandonnée pour recourir au travail salarié. On va accepter de travailler davantage et plus dur pour acquérir ces biens devenus, selon les témoignages mêmes de la fin du XVIIIe siècle, des besoins essentiels.

      Le sucre.

    • Les autrices ramènent clairement à cette histoire originelle plusieurs traits de la société britannique contemporaine : non seulement le racisme, mais aussi le niveau élevé des inégalités, la formation très étroite des élites ou encore la très forte division géographique de l’Angleterre.

      « L’esclavage a donné au capitalisme moderne quelques-unes de ses structures fondamentales de production et de consommation et a promu les inégalités de race, de classes et de lieux qui ont caractérisé la Grande-Bretagne et le reste du monde au cours des trois derniers siècles », écrivent Maxine Berg et Pat Hudson. Une conclusion qui rejoint de nombreuses analyses récentes, avec des approches parfois différentes comme celle, récente, de Sylvie Laurent (voir ici son entretien).

    • Alors pourquoi le capitalisme industriel a-t-il émergé d’abord au Royaume-Uni ? [plus qu’en France, au Portugal ou aux Pays-Bas]
      [...] élément central : l’État britannique a été un soutien déterminé du système productiviste de plantation et il l’a prouvé non seulement sur le plan institutionnel, mais aussi sur le plan militaire. La défaite de la France et des Pays-Bas en 1763 à la fin de la guerre de Sept Ans est, de ce point de vue, un événement majeur de l’histoire du capitalisme.