• « Si un groupe social, par suite de sa position de classe, définie par la profession et le statut de l’ensemble de ses membres, a tissé entre ceux-ci des liens de communauté étroits ; si les relations de travail des membres de ce groupe offrent peu de variété et peu d’occasions de prendre des initiatives ; si leurs revendications doivent pour aboutir être collectives plutôt qu’individuelles ; si leurs tâches professionnelles requièrent des manipulations et un contrôle physique plutôt qu’une organisation et un contrôle symboliques ; si l’homme, subordonné dans son métier, commande à la maison ; si les logements sont surpeuplés et limitent la diversité des situations où peuvent se trouver les occupants ; si les enfants se socialisent mutuellement dans un milieu offrant peu de stimulations intellectuelles, on peut présumer qu’un milieu présentant l’ensemble de ces caractéristiques engendre une forme de communication qui informe
    les dispositions intellectuelles, sociales et affectives des enfants. Si l’on considère les relations de travail, les relations avec la communauté, le système des rôles familiaux qui caractérisent un tel groupe, tout donne à penser que ce qu’on pourrait appeler le patrimoine génétique d’une classe sociale se transmet moins par l’intermédiaire d’un code génétique que par l’intermédiaire d’un code de communication produit par cette classe.

    Ce code de communication privilégie dans le discours le collectif aux dépens de l’individuel, le concret aux dépens de l’abstrait, l’expression de l’essentiel aux dépens de la description détaillée des processus, les faits bruts aux dépens de l’analyse des motifs et des intentions, et des formes de contrôle social fondées sur la position statutaire aux dépens de formes de contrôle fondées sur la personne.

    Cette description n’a rien de péjoratif : ce système de communication présente des possibilités très riches, possède un registre métaphorique considérable, des possibilités esthétiques originales et peut engendrer une série complète de significations variées. Il reste cependant que les domaines du savoir, les ordres de relations pertinentes vers lesquels ce système de communication oriente les enfants ne sont pas en affinité avec ceux que requiert l’école.

    Si l’enfant est réceptif au système de communication scolaire et, du même coup, aux domaines de savoirs et aux ordres de relations que celui-ci transmet, la fréquentation de l’école est pour lui source de développement social et symbolique ; dans le cas contraire, la fréquentation de l’école est une expérience de changement symbolique et social. Dans le premier cas, l’enfant développe son identité sociale, dans le second, il doit transformer cette identité. Entre l’école et le milieu de l’enfant de classe ouvrière, il existe une solution de continuité culturelle qui résulte de la différence radicale entre les systèmes de communication. »

    [ Basil Bernstein, Langage et classes sociales. ]