• Sommes-nous encore une communauté ?

    « Il y a des étudiants fragiles qui se suicident », disait la ministre #Frédérique_Vidal le 2 janvier, une ministre et un gouvernement qui ne soutiennent ni les étudiants, ni l’université, ni la recherche. Et qui mettent des milliers de vies en danger. Publication d’un message aux collègues et étudiant.e.s de l’Université de Strasbourg, qui devient ici une lettre ouverte.

    Chères toutes, chers tous,

    Je tente de rompre un silence numérique intersidéral, tout en sachant que les regards se portent outre-atlantique …

    Cette journée du mercredi 6 janvier a été calamiteuse pour l’Université de Strasbourg. Elle a montré une fois de plus les graves conséquences des carences en moyens financiers, techniques et en personnels dans l’#enseignement_supérieur et la recherche, y compris dans les grandes universités dites de recherche intensive, qui communiquent sur leur excellent équipement et qui sont dans les faits sous-financées – tout comme les plus grands hôpitaux - et sont devenues des usines à fabriquer de la #souffrance et de la #précarité. Il faudra bien sûr identifier les causes précises de la panne informatique géante subie par toute la communauté universitaire de Strasbourg, alors que se tenaient de très nombreux examens à distance : voir ici 8https://www.dna.fr/education/2021/01/06/incident-reseau-durant-un-examen-partiel-etudiants-stresses-et-en-colere) ou là (https://www.francebleu.fr/infos/insolite/universite-de-strasbourg-une-panne-informatique-perturbe-les-examens-de-m).

    Nous avons été informés uniquement par facebook et twitter - je n’ai volontairement pas de comptes de cette nature et n’en aurai jamais, il me semble : je pratique très mal la pensée courte - et par sms. 50 000 sms, promet-on. Mais je n’ai rien reçu sur mon 06, bien que je sois secrétaire adjoint du CHSCT de cette université et que la bonne information des représentants des personnels du CHSCT dans une telle situation soit une obligation, la sécurité des personnels et des étudiants n’étant plus assurée : plus de téléphonie IP, plus de mail, plus aucun site internet actif pendant des heures et des heures. Et ce n’est peut-être pas totalement terminé à l’heure où je publie ce billet (15h).

    Il ne s’agit pas ici d’incriminer les agents de tel ou tel service, mais de faire le constat qu’une université ne peut pas fonctionner en étant sous-dotée et sous-administrée. Une fois de plus, la question qu’il convient de se poser n’est pas tant de savoir si l’université est calibrée pour le virage numérique qu’on veut lui faire prendre à tous les niveaux et à la vitesse grand V en profitant de la crise sanitaire (au profit des #GAFAM et de la #Fondation SFR_que soutient Frédérique Vidal pour booster l’accès aux data des étudiants), que de déterminer si des #examens à distance, des cours hybrides, l’indigestion de data ou de capsules vidéo ne dénaturent pas fondamentalement l’#enseignement et la relation pédagogique et ne sont pas vecteurs de multiples #inégalités, #difficultés et #souffrances, aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants et les personnels.

    Ce sont donc des milliers d’étudiants (entre 2000 et 4000, davantage ?), déjà très inquiets, qui ont vu hier et encore aujourd’hui leur #stress exploser par l’impossibilité de passer des examens préparés, programmés de longue date et pour lesquels ils ont tenté de travailler depuis de longs mois, seuls ou accompagnés au gré des protocoles sanitaires variables, fluctuants et improvisés qu’un ministère incompétent ou sadique prend soin d’envoyer systématiquement à un moment qui en rendra l’application difficile, sinon impossible. Le stress des étudiant.e.s sera en conséquence encore plus élevé dans les jours et semaines qui viennent, pour la poursuite de leurs examens et pour la reprise des cours ce 18 janvier. De mon côté et par simple chance j’ai pu garantir hier après-midi la bonne tenue d’un examen de master à distance : je disposais de toutes les adresses mail personnelles des étudiants et j’ai pu envoyer le sujet et réceptionner les travaux dans les délais et dans les conditions qui avaient été fixées. Tout s’est bien passé. Mais qu’en sera-t-il pour les milliers d’autres étudiants auxquels on promet que l’incident « ne leur sera pas préjudiciable » ? Le #préjudice est là, et il est lourd.

    Mes questions sont aujourd’hui les suivantes : que fait-on en tant que personnels, enseignants, doctorants et étudiant.e.s (encore un peu) mobilisé.e.s contre la LPR, la loi sécurité globale, les réformes en cours, le fichage de nos opinions politiques, appartenances syndicales ou données de santé ? Que fait-on contre la folie du tout #numérique et contre les conséquences de la gestion calamiteuse de la pandémie ? Que fait-on en priorité pour les étudiants, les précaires et les collègues en grande difficulté et en souffrance ? Que fait-on pour éviter des tentatives de suicide d’étudiants qui se produisent en ce moment même dans plusieurs villes universitaires ? Et les tentatives de suicide de collègues ?

    Je n’ai pas de réponse. Je lance une bouteille à la mer, comme on dit. Et je ne suis pas même certain d’être encore en mesure d’agir collectivement avec vous dans les jours qui viennent tant j’ai la tête sous l’eau, comme beaucoup d’entre vous … Peut-être qu’il faudrait décider de s’arrêter complément. Arrêter la machine folle. Dire STOP : on s’arrête, on prend le temps de penser collectivement et de trouver des solutions. On commence à refonder. On se revoit physiquement et on revoit les étudiants à l’air libre, le plus vite possible, avant l’enfer du 3ème confinement.

    Nous sommes une #intelligence_collective. « Nous sommes l’Université », avons-nous écrit et dit, très souvent, pendant nos luttes, pour sauver ce qui reste de l’Université. Je me borne aujourd’hui à ces questions : Sommes-nous encore l’Université ? Sommes-nous encore une intelligence collective ? Que reste-t-il de notre #humanité dans un système qui broie l’humanité ? Sommes-nous encore une #communauté ?

    En 2012, j’ai écrit un texte dont je me souviens. Il avait pour titre « La communauté fragmentée ». Je crois que je pensais à Jean-Luc Nancy en écrivant ce texte, à la fois de circonstance et de réflexion. A 8 années de distance on voit la permanence des problèmes et leur vertigineuse accélération. Nous sommes aujourd’hui une communauté fragmentée dans une humanité fragmentée. Comment faire tenir ensemble ces fragments ? Comment rassembler les morceaux épars ? Comment réparer le vase ? Comment réinventer du commun ? Comment faire ou refaire communauté ?

    Je pose des questions. Je n’ai pas de réponse. Alors je transmets quelques informations. Je n’imaginais pas le faire avant une diffusion officielle aux composantes, mais vu les problèmes informatiques en cours, je prends sur moi de vous informer des avis adoptés à l’unanimité par le CHSCT qui s’est tenu ce 5 janvier. Ce n’est pas grand-chose, mais un avis de CHSCT a quand même une certaine force de contrainte pour la présidence. Il va falloir qu’ils suivent, en particulier sur le doublement des postes de médecins et de psychologues. Sinon on ne va pas les lâcher et on ira jusqu’au CHSCT ministériel.

    Je termine par l’ajout de notes et commentaires sur les propos de #Vidal sur France Culture le 2 janvier (https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

    ). Je voulais en faire un billet Mediapart mais j’ai été tellement écœuré que je n’ai pas eu la force. Il y est question des suicides d’étudiants. Il y a des phrases de Vidal qui sont indécentes. Elle a dit ceci : « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels … On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

    Sur le réseau CHSCT national que j’évoquais à l’instant, il y a des alertes très sérieuses. Des CHSCT d’université sont saisis pour des TS d’étudiants. L’administrateur provisoire de l’Université de Strasbourg a bien confirmé ce 5 janvier que la promesse de Vidal de doubler les postes de psychologues dans les universités n’était actuellement suivi d’aucun moyen, d’aucun financement, d’aucun effet. Annonces mensongères et par conséquent criminelles ! Si c’est effectivement le cas et comme il y a des tentatives de suicides, il nous faudra tenir la ministre pour directement responsable. Et il faut le lui faire savoir tout de suite, à notre ministre "multi-factorielle" et grande pourvoyeuse de data, à défaut de postes et de moyens effectifs.

    Je vais transformer ce message en billet Mediapart. Car il faut bien comprendre ceci : nous n’avons plus le choix si on veut sauver des vies, il faut communiquer à l’extérieur, à toute la société. Ils n’ont peur que d’une seule chose : la communication. Ce dont ils vivent, qui est la moitié de leur infâme politique et dont ils croient tenir leur pouvoir : la #communication comme technique du #mensonge permanent. Pour commencer à ébranler leur système, il nous faut systématiquement retourner leur petite communication mensongère vulgairement encapsulée dans les media « mainstream" par un travail collectif et rigoureux d’établissement des faits, par une éthique de la #résistance et par une politique des sciences qui repose sur des savoirs et des enseignements critiques. Et j’y inclus bien sûr les savoirs citoyens.

    Notre liberté est dans nos démonstrations, dans nos mots et dans les rues, dans nos cris et sur les places s’il le faut, dans nos cours et nos recherches qui sont inséparables, dans nos créations individuelles et collectives, dans l’art et dans les sciences, dans nos corps et nos voix. Ils nous font la guerre avec des mensonges, des lois iniques, l’imposture du « en même temps » qui n’est que le masque d’un nouveau fascisme. Nous devons leur répondre par une guerre sans fin pour la #vérité et l’#intégrité, par la résistance de celles et ceux qui réinventent du commun. Au « en même temps », nous devons opposer ceci : "Nous n’avons plus le temps !". Ce sont des vies qu’il faut sauver. Le temps est sorti de ses gonds.

    Bon courage pour tout !

    Pascal

    PS : Avec son accord je publie ci-dessous la belle réponse que ma collègue Elsa Rambaud a faite à mon message sur la liste de mobilisation de l’Université de Strasbourg. Je l’en remercie. Je précise que la présente lettre ouverte a été légèrement amendée et complétée par rapport au message original. Conformément à celui-ci, j’y adjoins trois documents : la transcription commentée de l’entretien de Frédérique Vidal sur France Culture, les avis du CHSCT de l’Université de Strasbourg du 5 janvier 2021 et le courriel à tous les personnels de l’université de Valérie Robert, Directrice générale des services, et François Gauer, vice-président numérique. Nous y apprenons que c’est "le coeur" du système Osiris qui a été « affecté ». Il y a d’autres cœurs dont il faudra prendre soin … Nous avons besoin d’Isis... Soyons Isis, devenons Isis !

    –—

    Cher Pascal, cher-e-s toutes et tous,

    Merci de ce message.

    Pour ne pas s’habituer à l’inacceptable.

    Oui, tout ça est une horreur et, oui, le #distanciel dénature la #relation_pédagogique, en profondeur, et appauvrit le contenu même de ce qui est transmis. Nos fragilités institutionnelles soutiennent ce mouvement destructeur.

    Et pour avoir suivi les formations pédagogiques "innovantes" de l’IDIP l’an passé, je doute que la solution soit à rechercher de ce côté, sinon comme contre-modèle.

    Je n’ai pas plus de remèdes, seulement la conviction qu’il faut inventer vraiment autre chose : des cours dehors si on ne peut plus les faire dedans, de l’artisanat si la technique est contre nous, du voyage postal si nos yeux sont fatigués, du rigoureux qui déborde de la capsule, du ludique parce que l’ennui n’est pas un gage de sérieux et qu’on s’emmerde. Et que, non, tout ça n’est pas plus délirant que le réel actuel.

    Voilà, ça ne sert pas à grand-chose - mon mail- sinon quand même à ne pas laisser se perdre le tien dans ce silence numérique et peut-être à ne pas s’acomoder trop vite de ce qui nous arrive, beaucoup trop vite.

    Belle année à tous, résistante.

    Elsa

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/070121/sommes-nous-encore-une-communaute
    #étudiants #université #France #confinement #covid-19 #crise_sanitaire #santé_mentale #suicide #fragmentation

    • Vidal sur France Culture le 2 janvier :

      https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

      En podcast :

      http://rf.proxycast.org/d7f6a967-f502-4daf-adc4-2913774d1cf3/13955-02.01.2021-ITEMA_22529709-2021C29637S0002.mp3

      Titre d’un billet ironique à faire : « La ministre multi-factorielle et téléchargeable »

      Transcription et premiers commentaires.

      Reprise des enseignements en présence « de manière très progressive ».

      Dès le 4 janvier « Recenser les étudiants et les faire revenir par groupe de 10 et par convocation. » Comment, quand ?

      « Les enseignants sont à même d’identifier ceux qui sont en difficulté. » Comment ?

      « Le fait qu’on ait recruté 20 000 tuteurs supplémentaires en cette rentrée permet d’avoir des contacts avec les étudiants de première année, voir quels sont leur besoin pour décider ensuite comment on les fait revenir … simplement pour renouer un contact avec les équipes pédagogiques. » Mensonge. Ils ne sont pas encore recrutés. En 16:30 Vidal ose prétendre que ces emplois ont été créé dans les établissement au mois de décembre. Non, c’est faux.

      « 10 % des étudiants auraient pu bénéficier de TP. » Et 0,5% en SHS, Lettres, Art, Langues ?

      La seconde étape concernera tous les étudiants qu’on « essaiera de faire revenir une semaine sur deux pour les TD » à partir du 20 janvier.

      Concernant les étudiants : « souffrance psychologique très forte, … avec parfois une augmentation de 30 % des consultations »

      « Nous avons doublé les capacités de psychologues employés par les établissements ». Ah bon ?

      « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels ». « On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

      « on recrute 1600 étudiants référents dans les présidences universitaires » (à 10 :30) « pour palier au problème de petits jobs ».

      « On a doublé le fond d’aide d’urgence. »

      « Nous avons-nous-même au niveau national passé des conventions avec la Fondation SFR … pour pouvoir donner aux étudiants la capacité de télécharger des data … », dit la ministre virtuelle. SFR permet certainement de télécharger une bouteille de lait numérique directement dans le frigo des étudiants. « Donner la capacité à télécharger des data » : Vidal le redira.

      L’angoisse de la ministre : « La priorité est de garantir la qualité des diplômes. Il ne faut pas qu’il y ait un doute qui s’installe sur la qualité des diplômés. »

      La solution est le contrôle continu, « le suivi semaine après semaine des étudiants » : « Ces contrôles continus qui donnent évidemment beaucoup de travail aux étudiants et les forcent à rester concentrés si je puis dire, l’objectif est là aussi. » Cette contrainte de rester concentré en permanence seul devant la lumière bleue de son écran, ne serait-elle pas en relation avec la souffrance psychologique reconnue par la ministre et avec le fait que « des étudiants fragiles se suicident » ?

    • Question posée par nombre d’étudiants non dépourvus d’expériences de lutte : puisque les tribunes et autres prises de position, les manifs rituelles et les « contre cours » ne suffisent pas, les profs et les chercheurs finiront-ils par faire grève ?

      Dit autrement, la « résistance » doit-elle et peut-elle être platonique ?

      Et si le suicide le plus massif et le plus terrible était dans l’évitement de ces questions ?

    • @colporteur : tes questions, évidemment, interrogent, m’interrogent, et interrogent tout le corps enseignant de la fac...
      « Les profs finiront-ils (et elles) pour faire grève ? »

      Réponse : Je ne pense pas.
      Les enseignant·es ont été massivement mobilisé·es l’année passée (il y a exactement un an). De ce que m’ont dit mes collègues ici à Grenoble : jamais ielles ont vu une telle mobilisation par le passé. Grèves, rétention des notes, et plein d’autres actions symboliques, médiatiques et concrètes. Les luttes portaient contre la #LPPR (aujourd’hui #LPR —> entérinée le matin du 26 décembre au Journal officiel !!!), contre les retraites, contres les violences policières, etc. etc.
      Cela n’a servi strictement à rien au niveau des « résultats » (rien, même pas les miettes).
      Les profs sont aussi très fatigué·es. J’ai plein de collègues qui vont mal, très mal.
      Les luttes de l’année passée ont été très dures, et il y a eu de très fortes tensions.
      On n’a pas la possibilité de se voir, de se croiser dans les couloirs, de manger ensemble. On est tou·tes chez nous en train de comprendre comment éviter que les étudiant·es lâchent.

      Je me pose tous les jours la question : quoi faire ? Comment faire ?

      L’université semble effriter sous nos pieds. En mille morceaux. Avec elle, les étudiant·es et les enseignant·es.

      Venant de Suisse, les grèves étudiantes, je ne connais pas. J’ai suivi le mouvement l’année passée, j’ai été même identifiée comme une des « meneuses du bal ». Je l’ai payé cher. Arrêt de travail en septembre. Mes collègues m’ont obligée à aller voir un médecin et m’ont personnellement accompagnée pour que je m’arrête pour de bon. Beaucoup de raisons à cela, mais c’était notamment dû à de fortes tensions avec, on va dire comme cela, « l’administration universitaire »... et les choses ont décidément empiré depuis les grèves.

      Personnellement, je continue à être mobilisée. Mais je ne crois pas à la confrontation directe et aux grèves.

      Le problème est de savoir : et alors, quelle stratégie ?

      Je ne sais pas. J’y pense. Mes collègues y pensent. Mais il y a un rouleau compresseur sur nos épaules. Difficile de trouver l’énergie, le temps et la sérénité pour penser à des alternatives.

      J’ai peut-être tort. Mais j’en suis là, aujourd’hui : détourner, passer dessous, passer derrière, éviter quand même de se faire écraser par le rouleau compresseur.
      Stratégie d’autodéfense féministe, j’ai un peu l’impression.

      Les discussions avec mes collègues et amiEs de Turquie et du Brésil me poussent à croire qu’il faut changer de stratégie. Et un mot d’ordre : « si on n’arrivera pas à changer le monde, au moins prenons soins de nous » (c’était le mot de la fin de la rencontre que j’avais organisée à Grenoble avec des chercheur·es de Turquie et du Brésil :
      https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/universitaires-en-danger-journee-de-reflexion-et-de-solidarites-avec-

    • #Lettre d’un #étudiant : #exaspération, #résignation et #colère

      Bonjour,
      Je viens vers vous concernant un sujet et un contexte qui semblent progressivement se dessiner…
      Il s’agit du second semestre, et le passage en force (par « force » je veux dire : avec abstraction de tout débat avec les principaux acteur·ices concerné·es, post-contestations en 2019) de la loi LPR qui, il me semble, soulève une opposition d’ensemble de la part des syndicats enseignants universitaires (étant salarié, je suis sur la liste de diffusion de l’université).
      Aussi je viens vers vous concernant le deuxième semestre, qui risque de faire comme le premier : on commence en présentiel, puis on est reconfiné un mois et demi après. Bien entendu, je ne suis pas devin, mais la politique de ce gouvernement est assez facile à lire, je crois.
      Quelle opposition est possible, concrètement ? Car, loin d’aller dans des débats philosophiques, la solution d’urgence du numérique est certainement excusable, sauf lorsque cela tend à s’inscrire dans les mœurs et qu’elle ne questionne pas « l’après », mais qu’elle le conditionne. Or, je ne suis pas sûr qu’il soit sain d’envisager la transmission de savoirs d’une manière aussi arbitraire et insensée dans la durée, et qu’en l’absence de projet politique, cela semble devenir une réponse normée aux différentes crises prévues.
      J’ai la chance d’avoir un jardin, une maison, de l’espace, de pouvoir m’indigner de ceci car j’ai moins de contraintes, et de l’énergie mentale préservée de par un « capital culturel ». Ce n’est pas le cas d’autres, qui sont bloqué·es dans un 9 m2 depuis deux mois.
      Je ne veux pas me prononcer en le nom des autres étudiant·es, mais je peux affirmer que l’exaspération du distanciel et la validation de cette loi (ainsi que les autres, soyons francs) sont en train de soulever un dégoût assez fort. C’est très usant, d’être le dernier maillon d’une chaîne qui se dégrade, sous prétexte que « le distanciel fait l’affaire en attendant » alors même que rien n’est fait en profondeur pour améliorer le système de santé public, ni aucun, sinon l’inverse (l’on parle encore de réduction de lits en 2021 dans l’hôpital public). Je suis pour la solidarité nationale, mais celle-ci n’envisage aucune réciprocité. Et nous les « jeunes » sommes les bizus assumés du monde qui est en train de s’organiser.
      Et cela commence à peser sérieusement sur les promotions.

      (…)
      Je suis convaincu que personne n’apprécie la présente situation, comme j’ai l’impression qu’il n’y aura pas 36 000 occasions d’empêcher les dégradations générales du service public. Et je crains que, par l’acceptation de ce qui se passe, l’on avorte les seules options qu’il reste.
      Je suis désolé de ce message, d’exaspération, de résignation, de colère.

      J’ai choisi l’université française pour les valeurs qu’elle portait, pour la qualité de son enseignement, la force des valeurs qu’elle diffusait, la symbolique qu’elle portait sur la scène internationale et sa distance avec les branches professionnelles. Et j’ai l’impression que tout ce qui se passe nous condamne un peu plus, alors que la loi sécurité globale élève un peu plus la contestation, et que le gouvernement multiplie ses erreurs, en s’attaquant à trop de dossiers épineux en même temps. N’y a t’il pas un enjeu de convergence pour rendre efficace l’opposition et la proposition ?
      L’université n’est pas un bastion politique mais elle a de tout temps constitué un contre-pouvoir intellectuel se légitimant lors de dérives non-démocratiques, ou anti-sociales. Lorsqu’une autorité n’a que des positions dogmatiques, se soustrait de tout débat essentiel, d’acceptation de la différence (ce qui fait société !), n’est-il pas légitime de s’y opposer ?
      Nous, on se prend le climat, l’austérité qui arrive, la fragilisation de la sécu, des tafta, des lois sur le séparatisme, des policier·es décomplexé·es (minorité) qui tirent sur des innocents et sont couverts par des institutions qui ne jouent pas leur rôle arbitraire, on se fait insulter d’islamo-gauchistes sur les chaînes publiques parce qu’on porte certaines valeurs humanistes. J’avais à cœur de faire de la recherche car la science est ce qui nourrit l’évolution et garantit la transmission de la société, la rendant durable, je ne le souhaite plus. À quoi ça sert d’apprendre des notions de durabilité alors qu’on s’efforce de rendre la société la moins durable possible en pratique ?
      Que peut-on faire concrètement ? Ne nous laissez pas tomber, s’il vous plaît. Nous sommes et serons avec vous.
      Vous, enseignant·es, que vous le vouliez ou non êtes nos « modèles ». Les gens se calquent toujours sur leurs élites, sur leurs pairs.
      Vous êtes concerné·es aussi : les institutions vont commencer à faire la chasse aux sorcières dans les corpus universitaires si les dérives autoritaires se banalisent.

      L’orientation du débat public et la « fachisation » d’idéaux de société va inéluctablement faire en sorte que les enseignant·es soient en ligne de mire pour les valeurs qu’iels diffusent. C’est déjà en cours à la télé, des député·es banalisent ce discours.
      N’est-il pas du devoir des intellectuel·les d’élever le niveau du débat en portant des propositions ?
      Je ne suis pas syndiqué, pas engagé dans un parti, et je me sens libre de vous écrire ceci ; et je l’assumerai.
      Ce que je souhaite, c’est que l’on trouve un discours commun, motivant, pour que l’action puisse naître, collectivement et intelligemment : étudiant·es, et enseignant·es.
      Avec tout mon respect, fraternellement, et en considérant la difficile situation que vous-même vivez.

      Un étudiant en M1
      2 décembre 2020

      https://academia.hypotheses.org/29240

    • Des #vacataires au bord de la rupture se mettent en #grève

      Depuis le 23 novembre 2020, les vacataires en sociologie de l’#université_de_Bourgogne sont en #grève_illimitée. Ils et elles dénoncent les conditions de précarité dans lesquelles ils et elles travaillent, et demandent qu’un dialogue autour de ces problématiques soit enfin instaurer.

      Suite à leur communiqué, les enseignant·e·s–chercheur·e·s du département de sociologie ont décidé de leur apporter tout leur soutien.

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      Communiqué des vacataires en sociologie à l’université de Bourgogne au bord de la rupture

      Nous, docteur·es et doctorant·es, vacataires et contractuel.le.s au département de sociologie, prenons aujourd’hui la parole pour dire notre colère face aux dysfonctionnements structurels au sein de l’université de Bourgogne, qui nous mettent, nous et nos collègues titulaires, dans des situations ubuesques. Nous tirons la sonnette d’alarme !

      L’université de Bourgogne, comme tant d’autres universités en France, recourt aux vacataires et aux contractuel·les pour réaliser des missions pourtant pérennes. Ainsi, en termes d’enseignement, nous vacataires, assurons en moyenne 20 % des enseignements des formations de l’université de Bourgogne. Et au département de sociologie cette proportion grimpe à près de 30%.

      Le statut de vacataire est, à l’origine, pensé pour que des spécialistes, qui ne seraient pas enseignant·es-chercheur·ses à l’université, puissent venir effectuer quelques heures de cours dans leur domaine de spécialité. Cependant aujourd’hui ce statut est utilisé pour pallier le manque de postes, puisque sans nous, la continuité des formations ne peut être assurée : en comptant les vacations ainsi que les heures complémentaires imposées aux enseignants titularisés, ce sont en effet 46% des cours qui dépassent le cadre normal des services des enseignant-chercheurs. Nous sommes donc des rouages essentiel du fonctionnement de l’université.

      Doctorant·es (bien souvent non financé·es, notamment en Sciences Humaines et Sociales) et docteur·es sans postes, nous sommes payé·es deux fois dans l’année, nous commençons nos cours bien souvent plusieurs semaines (à plusieurs mois !) avant que nos contrats de travail soient effectivement signés. Nous sommes par ailleurs rémunéré·es à l’heure de cours effectuée, ce qui, lorsqu’on prend en compte le temps de préparation des enseignements et le temps de corrections des copies, donne une rémunération en dessous du SMIC horaire1.

      Au delà de nos situations personnelles, bien souvent complexes, nous constatons tous les jours les difficultés de nos collègues titulaires, qui tentent de « faire tourner » l’université avec des ressources toujours plus limitées, et en faisant face aux injonctions contradictoires de l’administration, la surcharge de travail qu’induit le nombre croissant d’étudiant·es et les tâches ingrates à laquelle oblige l’indigne sélection mise en place par Parcoursup ! Sans compter, aujourd’hui, les charges administratives qui s’alourdissent tout particulièrement avec la situation sanitaire actuelle. Nous sommes contraint·es d’adapter les modalités d’enseignement, sans matériel et sans moyens supplémentaires, et dans des situations d’incertitudes absolues sur l’évolution de la situation. Nous sommes toutes et tous au maximum de nos services et heures complémentaires et supplémentaires, à tel point que, quand l’un·e ou l’autre doit s’absenter pour quelques raisons que ce soit, nos équipes sont au bord de l’effondrement ! Et nous ne disons rien ici du sens perdu de notre travail : ce sentiment de participer à un vrai service public de l’enseignement supérieur gratuit et ouvert à toutes et tous, systématiquement saboté par les réformes en cours du lycée et de l’ESR !

      C’est pour ces raisons, et face au manque de réponse de la part de l’administration, que nous avons pris la difficile décision d’entamer un mouvement de grève illimité à partir du lundi 23 novembre 2020 à 8 h. Ce mouvement prendra fin lorsqu’un dialogue nous sera proposé.

      Nos revendications sont les suivantes :

      Mensualisation des rémunérations des vacataires ;
      Souplesse vis-à-vis des « revenus extérieurs » insuffisants des vacataires, particulièrement en cette période de crise sanitaire ;
      Exonération des frais d’inscription pour les doctorant.e.s vacataires ;
      Titularisation des contractuelles et contractuels exerçant des fonctions pérennes à l’université ;
      Plus de moyens humains dans les composantes de l’université de Bourgogne.

      Nous avons bien conscience des conséquences difficiles que cette décision va provoquer, autant pour nos étudiant.e.s, que pour le fonctionnement du département de sociologie. Nous ne l’avons pas pris à la légère : elle ne s’est imposée qu’à la suite d’abondantes discussions et de mûres réflexions. Nous en sommes arrivé.es à la conclusion suivante : la défense de nos conditions de travail, c’est aussi la défense de la qualité des formations de l’université de Bourgogne.

      Pour ceux qui se sentiraient désireux de nous soutenir, et qui le peuvent, nous avons mis en place une caisse de grève afin d’éponger en partie la perte financière que recouvre notre engagement pour la fin d’année 2020.

      https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/caisse-de-greve-pour-les-vacataires-sociologie-dijon

      Nous ne lâcherons rien et poursuivrons, si besoin est, cette grève en 2021.
      Lettre de soutien des enseignant·es–chercheur·ses du département de sociologie à l’université de Bourgogne

      https://academia.hypotheses.org/29225
      #précarité #précaires

    • Un étudiant de Master, un doyen de droit : à quand les retrouvailles ?

      Academia republie ici, avec l’accord de leurs auteurs, deux courriels adressés l’un sur une liste de diffusion de l’Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et l’autre par le doyen de la faculté de droit. Les deux disent la même chose : le souhait de se retrouver, de le faire dans des bonnes conditions sanitaires, mais de se retrouver. Aujourd’hui, seul le gouvernement — et peut-être bientôt le Conseil d’État qui devrait rendre la décision concernant le référé-liberté déposé par Paul Cassia — et audiencé le 3 décembre 2020 ((Le message que Paul Cassia a adressé à la communauté de Paris-1 à la sortie de l’audience avec un seul juge du Conseil d’État vendredi, n’était pas encourageant.)) — les en empêchent.

      –—

      Courriel de Dominik, étudiant en Master de Science Politique à l’Université de Paris-1

       » (…) Je me permets de vous transmettre le point de vue qui est le mien, celui d’un étudiant lambda, mais qui passe beaucoup de temps à échanger avec les autres. Je vous conjure d’y prêter attention, parce que ces quelques lignes ne sont pas souvent écrites, mais elles passent leur temps à être prononcées entre étudiantes et étudiants.

      Je crois qu’il est temps, en effet, de se préoccuper de la situation, et de s’en occuper à l’échelle de l’université plutôt que chacun dans son coin. Cette situation, désolé de répéter ce qui a été dit précédemment, est alarmante au plus haut point. J’entends parler autour de moi de lassitude, de colère, de fatigue, voire de problèmes de santé graves, de dépressions et de décrochages. Ce ne sont pas des cas isolés, comme cela peut arriver en novembre, mais bien une tendance de fond qui s’accroît de jour en jour. J’ai reçu des appels d’étudiantes et d’étudiants qui pleuraient de fatigue, d’autres d’incompréhensions. L’un m’écrivait la semaine dernière qu’il s’était fait remettre sous antidépresseurs, tandis que plusieurs témoignent, en privé comme sur les groupes de discussion, de leur situation de “décrochage permanent”.

      Ce décrochage permanent, je suis en train de l’expérimenter, consiste à avoir en permanence un train de retard que l’on ne peut rattraper qu’en prenant un autre train de retard. Le travail est en flux tendu, de 9 heures à 21 heures pour les plus efficaces, de 9h à minuit, voire au-delà pour les plus occupés, ceux qui font au système l’affront de vouloir continuer à suivre un second cursus (linguistique, dans mon cas), voire pire, de continuer à s’engager dans la vie associative qui rend notre Alma Mater si singulière. Parce que nous l’oublions, mais la vitalité associative est elle aussi en grand danger.

      Pour revenir au décrochage permanent, qui est à la louche le lot de la moitié des étudiantes et étudiants de ma licence, et sûrement celui de milliers d’autres à travers l’Université, c’est une situation qui n’est tenable ni sur le plan physique, ni sur le plan psychique, ni sur le plan moral, c’est à dire de la mission que l’Université se donne.

      Sur le plan physique, nous sommes victimes de migraines, de fatigue oculaire (une étudiante me confiait il y a trois jours avoir les yeux qui brûlent sous ses lentilles), de maux de dos et de poignet. Certains sont à la limite de l’atrophie musculaire, assis toute la journée, avec pour seul trajet quotidien l’aller-retour entre leur lit et leur bureau, et éventuellement une randonnée dans leur cuisine. Je n’arrive pas non plus à estimer la part des étudiantes et étudiants qui ne s’alimente plus correctement, mangeant devant son écran ou sautant des repas.

      Sur le plan psychique, la solitude et la routine s’installent. Solitude de ne plus voir ni ses amis ni même quiconque à ce qui est censé être l’âge de toutes les expériences sociales, lassitude des décors (le même bureau, la même chambre, le même magasin), routine du travail (dissertation le lundi, commentaire le mardi, fiche de lecture le mercredi, etc. en boucle) et des cours (“prenez vos fascicules à la page 63, on va faire la fiche d’arrêt de la décision n°xxx”).

      Sur le plan moral, parce que notre Université est en train d’échouer. La Sorbonne plus que toute autre devrait savoir en quoi elle est un lieu de débat d’idées, d’élévation intellectuelle, d’émancipation et d’épanouissement. Sans vie associative, sans conférences, sans rencontres, sans soirées endiablées à danser jusqu’à 6 heures avant l’amphi de Finances publiques (désolé), sans les interventions interminables des trotskystes dans nos amphis, les expos dans la galerie Soufflot, les appariteurs tatillons en Sorbonne et les cafés en terrasse où on se tape dessus, entre deux potins, pour savoir s’il vaut mieux se rattacher à Bourdieu ou à Putnam, à Duguit ou à Hauriou, sans tout ce qui fait d’une Université une Université et de la Sorbonne la Sorbonne, nous sommes en train d’échouer collectivement.

      Sous prétexte de vouloir s’adapter à la situation sanitaire, nous avons créé un problème sanitaire interne à notre établissement, et nous l’avons recouvert d’une crise du sens de ce que nous sommes en tant qu’étudiantes et étudiants, et de ce que Paris I est en tant qu’Université.

      Ce problème majeur ne pourra être traité qu’à l’échelle de toute l’Université. Parce que nombre de nos étudiants dépendent de plusieurs composantes, et qu’il serait dérisoire de croire qu’alléger les cours d’une composante suffira à sauver de la noyade celles et ceux qui seront toujours submergés par les cours de la composante voisine. Parce qu’il semble que nous ayons décidé de tenir des examens normaux en présentiel en janvier, alors même que nombre d’entre nous sont confinés loin de Paris, alors même que la situation sanitaire demeure préoccupante, alors même qu’il serait risible de considérer qu’un seul étudiant de cette Université ait pu acquérir correctement les savoirs et savoir-faires qu’on peut exiger de lui en temps normal.

      Je ne dis pas qu’il faut tenir des examens en distanciel, ni qu’il faut les tenir en présentiel, pour être honnête je n’en ai pas la moindre idée. Je sais en revanche que faire comme si tout était normal alors que rien ne l’est serait un affront fait aux étudiants.

      J’ajoute, enfin, pour conclure ce trop long mot, que je ne parle pas ici des mauvais élèves. Lorsque je parle de la souffrance et de la pénibilité, c’est autant celle des meilleurs que des médiocres. Quand quelqu’un qui a eu 18,5 au bac s’effondre en larmes au bout du fil, ce n’est plus un problème personnel. Quand des étudiantes et étudiants qui ont été sélectionnés sur ParcourSup à raison d’une place pour cent, qui ont été pour beaucoup toute leur vie les modèles les plus parfaits de notre système scolaire, qui sont pour nombre d’entre eux d’anciens préparationnaires à la rue d’Ulm, quand ceux-là vous disent qu’ils souffrent et qu’ils n’en peuvent plus, c’est que le système est profondément cassé.

      Désolé, je n’ai pas de solutions. On en a trouvé quelques-unes dans notre UFR, elles sont listées dans le mail de M. Valluy, mais je persiste à croire que ce n’est pas assez. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut arrêter de faire comme si tout allait bien, parce que la situation est dramatique.

      Je sais, par ailleurs, que ce constat et cette souffrance sont partagés par nombre d’enseignants, je ne peux que leur témoigner mon indéfectible soutien. Je remercie également Messieurs Boncourt et Le Pape d’alerter sur cette situation, et ne peux que souscrire à leur propos.

      Prenez soin de notre société, Prenez soin de vous (…) »

      Dominik

      –—

      Mesdames, Messieurs, chers étudiants,
      Comment vous dire ? Pas d’information ici, pas de renseignement. Je voulais vous parler, au nom de tous.
      La Faculté est froide, déserte. Pas de mouvement, pas de bruit, pas vos voix, pas vos rires, pas l’animation aux pauses. Il n’y a même plus un rayon de soleil dans la cour.
      Nous continuons à enseigner devant des écrans, avec des petites mains qui se lèvent sur teams et une parole à distance. Quelque fois nous vous voyons dans une petite vignette, un par un.
      Quelle tristesse qu’une heure de cours devant un amphithéâtre vide, dont on ne sent plus les réactions, à parler devant une caméra qui finit par vous donner le sentiment d’être, vous aussi, une machine.
      Quel manque d’âme dans ce monde internet, ce merveilleux monde du numérique dont même les plus fervents défenseurs perçoivent aujourd’hui qu’il ne remplacera jamais la chaleur d’une salle remplie de votre vie.

      Vous nous manquez, plus que vous ne l’imaginez. Vous nous manquez à tous, même si nous ne savons pas toujours ni vous le dire, ni vous le montrer.
      Et au manque s’ajoute aujourd’hui une forme de colère, contre le traitement qui vous est fait. Votre retour en février seulement ? Inadmissible. La rentrée en janvier est devenue notre combat collectif.
      Partout les Présidents d’Université expriment leur désaccord et seront reçus par le Premier Ministre. Les doyens de Faculté sont montés au créneau devant le Ministre de l’enseignement supérieur. On ne garantit pas d’être entendus mais on a expliqué que l’avenir ne s’emprisonne pas et que vous êtes l’avenir. Il semble que cela fasse sérieusement réfléchir.
      Si d’aventure nous obtenions gains de cause, et pouvions rentrer en janvier, je proposerai de décaler la rentrée en cas de besoin pour qu’on puisse reprendre avec vous.
      Et vous ?
      Ne croyez pas que nous ignorions que beaucoup d’entre vous se sentent isolés, délaissés, abandonnés même, et que, parfois, même les plus forts doutent. Nous percevons, malgré votre dignité en cours, que la situation est déplaisante, anxiogène, désespérante. Et nous pensons à celles et ceux qui ont été ou sont malades, ou qui voient leurs proches souffrir.
      Nous le sentons bien et souffrons de nous sentir impuissants à vous aider davantage.
      Je veux simplement vous dire que vous devez encore tenir le coup. C’est l’affaire de quelques semaines. C’est difficile mais vous allez y arriver. Vous y arriverez pour vous, pour vos proches, pour nous.

      Pour vous parce que, quelle que soit l’issue de ce semestre, vous aurez la fierté d’avoir résisté à cet orage. Vous aurez été capables de surmonter des conditions difficiles, et serez marqués, par ceux qui vous emploieront demain, du sceau de l’abnégation et courage. Ce sera, de toute façon, votre victoire.
      Pour vos proches parce qu’ils ont besoin, eux aussi, de savoir que vous ne cédez pas, que vous continuez à tout donner, que si vous avez parfois envie d’en pleurer, vous aurez la force d’en sourire.
      Pour nous enfin car il n’y aurait rien de pire pour nous que de ne pas vous avoir donné assez envie pour aller de l’avant. Nous ne sommes pas parfaits, loin de là, mais faisons honnêtement ce que nous pouvons et espérons, de toutes nos forces, vous avoir transmis un peu de notre goût pour nos disciplines, et vous avoir convaincus que vous progresserez aussi bien par l’adversité que par votre réussite de demain.
      Comment vous dire ? j’avais juste envie de vous dire que nous croyons en vous et que nous vous attendons. Bon courage !

      Amicalement
      Fabrice GARTNER
      Doyen de la Faculté de droit, sciences économiques et gestion de Nancy
      Professeur de droit public à l’Université de Lorraine
      Directeur du Master 2 droit des contrats publics
      Avocat spécialiste en droit public au barreau d’Epinal

      https://academia.hypotheses.org/29334

    • « Un #dégoût profond pour cette République moribonde » , écrit un étudiant de sciences sociales

      Le message a circulé. Beaucoup.
      Sur les listes de diffusion, sur les plateformes de messagerie. Le voici publié sur un site : Bas les masques. Il n’est pas inutile de le relire. Et de continuer à se demander que faire. De son côté, Academia continue : proposer des analyses, proposer des actions.

      –---

      Bonjour,

      Je suis enseignant de sciences sociales en lycée en Bretagne et j’ai reçu le cri d’alarme d’un de mes ancien-ne-s élèves de première qui a participé à la manifestation parisienne contre la loi dite de sécurité globale le samedi 5 décembre dernier. Il a aujourd’hui 21 ans et il est étudiant.

      Je me sens démuni pour répondre seul à ce cri d’alarme alors je le relaie en espérant qu’il sera diffusé et qu’il suscitera quelque chose. Une réaction collective à imaginer. Mais laquelle ?

      Merci d’avance pour la diffusion et pour vos éventuelles réponses.

      « Bonjour Monsieur,

      Ce mail n’appelle pas nécessairement de réponse de votre part, je cherchais simplement à écrire mon désarroi. Ne sachant plus à qui faire part du profond mal-être qui m’habite c’est vous qui m’êtes venu à l’esprit. Même si cela remonte à longtemps, l’année que j’ai passée en cours avec vous a eu une influence déterminante sur les valeurs et les idéaux qui sont aujourd’hui miens et que je tente de défendre à tout prix, c’est pour cela que j’ai l’intime conviction que vous serez parmi les plus à même de comprendre ce que j’essaye d’exprimer.

      Ces dernières semaines ont eu raison du peu d’espoir qu’il me restait. Comment pourrait-il en être autrement ? Cette année était celle de mes 21 ans, c’est également celle qui a vu disparaître mon envie de me battre pour un monde meilleur. Chaque semaine je manifeste inlassablement avec mes amis et mes proches sans observer le moindre changement, je ne sais plus pourquoi je descends dans la rue, il est désormais devenu clair que rien ne changera. Je ne peux parler de mon mal-être à mes amis, je sais qu’il habite nombre d’entre eux également. Nos études n’ont désormais plus aucun sens, nous avons perdu de vue le sens de ce que nous apprenons et la raison pour laquelle nous l’apprenons car il nous est désormais impossible de nous projeter sans voir le triste futur qui nous attend. Chaque semaine une nouvelle décision du gouvernement vient assombrir le tableau de cette année. Les étudiants sont réduits au silence, privés de leurs traditionnels moyens d’expression. Bientôt un blocage d’université nous conduira à une amende de plusieurs milliers d’euros et à une peine de prison ferme. Bientôt les travaux universitaires seront soumis à des commissions d’enquêtes par un gouvernement qui se targue d’être le grand défenseur de la liberté d’expression. Qu’en est-il de ceux qui refuseront de rentrer dans le rang ?

      Je crois avoir ma réponse.

      Samedi soir, le 5 décembre, j’étais présent Place de la République à Paris. J’ai vu les forces de l’ordre lancer à l’aveugle par-dessus leurs barricades anti-émeutes des salves de grenades GM2L sur une foule de manifestants en colère, habités par une rage d’en découdre avec ce gouvernement et ses représentants. J’ai vu le jeune homme devant moi se pencher pour ramasser ce qui ressemblait à s’y méprendre aux restes d’une grenade lacrymogène mais qui était en réalité une grenade GM2L tombée quelques secondes plus tôt et n’ayant pas encore explosée. Je me suis vu lui crier de la lâcher lorsque celle-ci explosa dans sa main. Tout s’est passé très vite, je l’ai empoigné par le dos ou par le sac et je l’ai guidé à l’extérieur de la zone d’affrontements. Je l’ai assis au pied de la statue au centre de la place et j’ai alors vu ce à quoi ressemblait une main en charpie, privée de ses cinq doigts, sorte de bouillie sanguinolente. Je le rappelle, j’ai 21 ans et je suis étudiant en sciences sociales, personne ne m’a appris à traiter des blessures de guerre. J’ai crié, crié et appelé les street medics à l’aide. Un homme qui avait suivi la scène a rapidement accouru, il m’a crié de faire un garrot sur le bras droit de la victime. Un garrot… Comment pourrais-je avoir la moindre idée de comment placer un garrot sur une victime qui a perdu sa main moins d’une minute plus tôt ? Après quelques instants qui m’ont paru interminables, les street medics sont arrivés et ont pris les choses en main. Jamais je n’avais fait face à un tel sentiment d’impuissance. J’étais venu manifester, exprimer mon mécontentement contre les réformes de ce gouvernement qui refuse de baisser les yeux sur ses sujets qui souffrent, sur sa jeunesse qui se noie et sur toute cette frange de la population qui suffoque dans la précarité. Je sais pertinemment que mes protestations n’y changeront rien, mais manifester le samedi me permet de garder à l’esprit que je ne suis pas seul, que le mal-être qui m’habite est général. Pourtant, ce samedi plutôt que de rentrer chez moi heureux d’avoir revu des amis et d’avoir rencontré des gens qui gardent espoir,je suis rentré chez moi dépité, impuissant et révolté. Dites-moi Monsieur, comment un étudiant de 21 ans qui vient simplement exprimer sa colère la plus légitime peut-il se retrouver à tenter d’installer un garrot sur le bras d’un inconnu qui vient littéralement de se faire arracher la main sous ses propres yeux, à seulement deux ou trois mètres de lui. Comment en suis-je arrivé là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

      Je n’ai plus peur de le dire. Aujourd’hui j’ai un dégoût profond pour cette République moribonde. Les individus au pouvoir ont perverti ses valeurs et l’ont transformée en appareil répressif à la solde du libéralisme. J’ai développé malgré moi une haine profonde pour son bras armé qui défend pour envers et contre tous ces hommes et ces femmes politiques qui n’ont que faire de ce qu’il se passe en bas de leurs châteaux. J’ai toujours défendu des valeurs humanistes et pacifistes, qui m’ont été inculquées par mes parents et desquelles j’ai jusqu’ici toujours été très fier. C’est donc les larmes aux yeux que j’écris ceci mais dites-moi Monsieur, comment aujourd’hui après ce que j’ai vu pourrais-je rester pacifique ? Comment ces individus masqués, sans matricules pourtant obligatoires peuvent-ils nous mutiler en toute impunité et rentrer chez eux auprès de leur famille comme si tout était normal ? Dans quel monde vivons-nous ? Dans un monde où une association de policiers peut ouvertement appeler au meurtre des manifestants sur les réseaux sociaux, dans un monde où les parlementaires et le gouvernement souhaitent renforcer les pouvoirs de cette police administrative qui frappe mutile et tue.Croyez-moi Monsieur, lorsque je vous dis qu’il est bien difficile de rester pacifique dans un tel monde…

      Aujourd’hui être français est devenu un fardeau, je suis l’un de ces individus que l’Etat qualifie de « séparatiste », pourtant je ne suis pas musulman, ni même chrétien d’ailleurs. Je suis blanc, issu de la classe moyenne, un privilégié en somme… Mais quelle est donc alors cette religion qui a fait naître en moi une telle défiance vis-à-vis de l’Etat et de la République ? Que ces gens là-haut se posent les bonnes questions, ma haine pour eux n’est pas due à un quelconque endoctrinement, je n’appartiens à l’heure actuelle à aucune organisation, à aucun culte « sécessioniste ». Pourtant je suis las d’être français, las de me battre pour un pays qui ne veut pas changer. Le gouvernement et les individus au pouvoir sont ceux qui me poussent vers le séparatisme. Plutôt que de mettre sur pied des lois visant à réprimer le séparatisme chez les enfants et les étudiants qu’ils s’interrogent sur les raisons qui se cachent derrière cette défiance. La France n’est plus ce qu’elle était, et je refuse d’être associé à ce qu’elle représente aujourd’hui. Aujourd’hui et malgré moi je suis breton avant d’être français. Je ne demanderais à personne de comprendre mon raisonnement, seulement aujourd’hui j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose, une lueur, qui aussi infime soit-elle me permette de croire que tout n’est pas perdu. Ainsi c’est à regret que je dis cela mais cette lueur je ne la retrouve plus en France, nous allons au-devant de troubles encore plus grands, le pays est divisé et l’antagonisme grandit de jour en jour. Si rien n’est fait les jeunes qui comme moi chercheront une sortie, un espoir alternatif en lequel croire, quand bien même celui-ci serait utopique, seront bien plus nombreux que ne l’imaginent nos dirigeants. Et ce ne sont pas leurs lois contre le séparatisme qui pourront y changer quelque chose. Pour certains cela sera la religion, pour d’autre comme moi, le régionalisme. Comment pourrait-il en être autrement quand 90% des médias ne s’intéressent qu’aux policiers armés jusqu’aux dents qui ont été malmenés par les manifestants ? Nous sommes plus de 40 heures après les événements de samedi soir et pourtant je n’ai vu nulle part mentionné le fait qu’un manifestant avait perdu sa main, qu’un journaliste avait été blessé à la jambe par des éclats de grenades supposées sans-danger. Seul ce qui reste de la presse indépendante tente encore aujourd’hui de faire la lumière sur les événements terribles qui continuent de se produire chaque semaine. Soyons reconnaissants qu’ils continuent de le faire malgré les tentatives d’intimidation qu’ils subissent en marge de chaque manifestation.

      Je tenais à vous le dire Monsieur, la jeunesse perd pied. Dans mon entourage sur Paris, les seuls de mes amis qui ne partagent pas mon mal-être sont ceux qui ont décidé de fermer les yeux et de demeurer apolitiques. Comment les blâmer ? Tout semble plus simple de leur point de vue. Nous sommes cloitrés chez nous pendant que la planète se meurt dans l’indifférence généralisée, nous sommes rendus responsables de la propagation du virus alors même que nous sacrifions nos jeunes années pour le bien de ceux qui ont conduit la France dans cette impasse. Les jeunes n’ont plus l’envie d’apprendre et les enseignants plus l’envie d’enseigner à des écrans noirs. Nous sacrifions nos samedis pour aller protester contre ce que nous considérons comme étant une profonde injustice, ce à quoi l’on nous répond par des tirs de grenades, de gaz lacrymogènes ou de LBD suivant les humeurs des forces de l’ordre. Nous sommes l’avenir de ce pays pourtant l’on refuse de nous écouter, pire, nous sommes muselés. Beaucoup de chose ont été promises, nous ne sommes pas dupes.

      Ne gaspillez pas votre temps à me répondre. Il s’agissait surtout pour moi d’écrire mes peines. Je ne vous en fait part que parce que je sais que cette lettre ne constituera pas une surprise pour vous. Vous êtes au premier rang, vous savez à quel point l’abime dans laquelle sombre la jeunesse est profonde. Je vous demanderai également de ne pas vous inquiéter. Aussi sombre cette lettre soit-elle j’ai toujours la tête bien fixée sur les épaules et j’attache trop d’importance à l’éducation que m’ont offert mes parents pour aller faire quelque chose de regrettable, cette lettre n’est donc en aucun cas un appel au secours. J’éprouvais seulement le besoin d’être entendu par quelqu’un qui je le sais, me comprendra.

      Matéo »

      https://academia.hypotheses.org/29546

    • Les étudiants oubliés : de la #méconnaissance aux #risques

      Ce qui suit n’est qu’un billet d’humeur qui n’engage évidemment ni la Faculté, ni ses étudiants dont je n’entends pas ici être le représentant. Et je ne parle que de ceux que je crois connaître, dans les disciplines de la Faculté qui est la mienne. On ne me lira pas jusqu’au bout mais cela soulage un peu.

      Le président de la République a vécu à « l’isolement » au pavillon de la Lanterne à Versailles. Ce n’était pas le #confinement d’un étudiant dans sa chambre universitaire, mais il aura peut-être touché du doigt la vie « sans contact ». On espère qu’elle cessera bientôt pour nos étudiants, les oubliés de la République…

      #Oubliés des élus (j’excepte mon député qui se reconnaîtra), y compris locaux, qui, après avoir milité pour la réouverture des petits commerces, n’ont plus que le 3e confinement comme solution, sans y mettre, et c’est le reproche que je leur fais, les nuances qu’appelle une situation estudiantine qui devient dramatique.

      Oubliés depuis le premier confinement. Alors qu’écoliers, collégiens et lycéens rentraient, ils n’ont jamais eu le droit de revenir dans leur Faculté. Le « #distanciel » était prôné par notre Ministère. On neutralisera finalement les dernières épreuves du baccalauréat, acquis sur tapis vert. Pourtant, aux étudiants, et à nous, on refusera la #neutralisation des #examens d’un semestre terminé dans le chaos. Ils devront composer et nous tenterons d’évaluer, mal.

      Tout le monde rentre en septembre… Pour les étudiants, le ministère entonne désormais l’hymne à « l’#enseignement_hybride »… On coupe les promotions en deux. On diffuse les cours en direct à ceux qui ne peuvent s’asseoir sur les strapontins désormais scotchés… Les étudiants prennent l’habitude du jour sur deux. Les débuts technologiques sont âpres, nos jeunes ont une patience d’ange, mais on sera prêts à la Toussaint.

      Oubliés au second confinement. Le Ministre de l’éducation a obtenu qu’on ne reconfine plus ses élèves, à raison du risque de #décrochage. Lui a compris. L’enseignement supérieur n’obtient rien et reprend sa comptine du « distanciel ». Les bambins de maternelle pourront contaminer la famille le soir après une journée à s’esbaudir sans masque, mais les étudiants n’ont plus le droit de venir, même masqués, même un sur deux, alors que c’est la norme dans les lycées.

      Oubliés à l’annonce de l’allègement, quand ils, apprennent qu’ils ne rentreront qu’en février, quinze jours après les restaurants… Pas d’explication, pas de compassion. Rien. Le Premier ministre, décontenancé lors d’une conférence de presse où un journaliste, un original pour le coup, demandera … « et les étudiants ? », répondra : « Oui, nous avons conscience de la situation des étudiants ».

      Des collègues croyant encore aux vertus d’un #référé_liberté agiront devant le Conseil d’Etat, en vain. Merci à eux d’avoir fait la démarche, sous la conduite de Paul Cassia. Elle traduit une demande forte, mais sonne comme un prêche dans le désert.

      Oubliés alors que le ministère a connaissance depuis décembre des chiffres qui montrent une situation psychologique dégradée, des premières tentatives de suicide. Il a répondu… ! Nos dernières circulaires nous autorisent à faire revenir les étudiants dès janvier pour… des groupes de soutien ne dépassant pas 10 étudiants… Ce n’est pas de nounous dont les étudiants ont besoin, c’est de leurs enseignants. Et les profs n’ont pas besoin d’assistants sociaux, ils veulent voir leurs étudiants.

      On pourrait refaire des travaux dirigés en demi salles… à une date à fixer plus tard. Le vase déborde ! Quand va-t-on sérieusement résoudre cet #oubli qui ne peut résulter que de la méconnaissance et annonce des conséquences graves.

      La méconnaissance

      Fort d’une naïveté qu’on veut préserver pour survivre, on va croire que l’oubli est le fruit non du mépris, mais d’une méprise.

      Les étudiants sont d’abord victimes de leur nombre. Le Premier Ministre parlera d’eux comme d’un « #flux », constitué sans doute d’écervelés convaincus d’être immortels et incapables de discipline. Les éloigner, c’est évidemment écarter la masse, mais l’argument cède devant les étudiants (les nôtres par exemple), qui ont prouvé leur capacité à passer leurs examens « en présentiel » dans un respect impressionnant des consignes. Il cède aussi devant la foule de voyageurs du métro ou les files d’attente des grands magasins. Brassage de population ? Il y en a des pires.

      Ils sont ensuite victime d’un cliché tenace. Dans un amphi, il ne se passe rien. L’enseignant débite son cours et s’en va. Le cours ayant tout d’un journal télévisé, on peut le… téléviser. Tous les enseignants, mais se souvient-on qu’ils existent, savaient et on redécouvert que tout dans un amphi est fait d’échanges avec la salle : des #regards, des #sourires, des sourcils qui froncent, un brouhaha de doute, un rire complice. Le prof sent son public, redit quand il égare, accélère quand il ennuie, ralentit quand il épuise.

      Le ministère croit le contraire, et le Conseil d’Etat, dont l’audace majeure aura été de critiquer la jauge dans les églises, a cédé au cliché pour les amphis en jugeant que le distanciel « permet l’accès à l’enseignement supérieur dans les conditions sanitaires » actuelles (ord. n°447015 du 10 décembre). Nous voilà sauvés. Le prêtre serait-il plus présent que le professeur ? La haute juridiction, pour les théâtres, admettant que leurs #mesures_sanitaires sont suffisantes, nous avons d’ailleurs les mêmes, concèdera que leur fermeture compromet les libertés mais doit être maintenue dans un « contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population », autant dire tant que le gouvernement jugera que ça circule beaucoup (ord. n°447698 du 23 décembre). Si on résume, « 30 à la messe c’est trop peu », « pour les études la télé c’est suffisant » et « on rouvrira les théâtres quand ca ira mieux ».

      Au ministère, on imagine peut-être que les étudiants se plaisent au distanciel. Après tout, autre #cliché d’anciennes époques, ne sont-ils pas ces comateux en permanente grasse matinée préférant se vautrer devant un écran en jogging plutôt que subir la corvée d’un cours ? Cette armée de geeks gavés à la tablette depuis la poussette ne goûtent-ils pas la parenté entre un prof en visio et un jeu vidéo ? Ils n’en peuvent plus de la distance, de ces journées d’écran… seuls, au téléphone ou via des réseaux sociaux souvent pollués par des prophètes de malheur ayant toujours un complot à dénoncer et une rancoeur à vomir.

      Enfin, les étudiants, adeptes chaque soir de chouilles contaminantes, doivent rester éloignés autant que resteront fermés les bars dont ils sont les piliers. Ignore-t-on que la moitié de nos étudiants sont boursiers, qu’ils dépenseront leurs derniers euros à acheter un livre ou simplement des pâtes plutôt qu’à s’enfiler whisky sur vodka… ? Ignore-t-on les fêtes thématiques, les soirées littéraires, les conférences qu’ils organisent ? Quand on les côtoie, ne serait-ce qu’un peu, on mesure que leur #convivialité n’est pas celles de soudards.

      Ils survivraient sans les bars et peuvent rentrer avant qu’on les rouvre.

      Ceux qui les oublient par facilité ne les connaissent donc pas. Et c’est risqué.

      Le risque

      Le risque est pédagogique. On sait que ça décroche, partout. Les titulaires du bac sans l’avoir passé n’ont plus de repères. Leur échec est une catastrophe annoncée. Les étudiants plus aguerris ne sont pas en meilleur forme. L’#apprentissage est plus difficile, la compréhension est ralentie par l’absence d’échange. Et, alors que deux semestres consécutifs ont déjà été compromis, le premier dans l’urgence, le second par facilité, faut-il en ajouter un troisième par #lâcheté ? La moitié d’une licence gachée parce qu’on ne veut pas prendre le risque de faire confiance aux jeunes ? Les pédagogues voient venir le mur et proposent qu’on l’évite au lieu d’y foncer en klaxonnant.

      Le risque est économique. On ne confine pas les élèves en maternelle car il faut que les parents travaillent. Les étudiants ne produisent rien et peuvent se garder seuls. C’est pratique ! Mais le pari est à court terme car la génération qui paiera la dette, c’est eux. Faut-il décourager des vocations et compromettre l’insertion professionnelle de ceux qui devront avoir la force herculéenne de relever l’économie qu’on est en train de leur plomber ? Plus que jamais la #formation doit être une priorité et le soutien aux jeunes un impératif.

      Il est sanitaire. A-t-on eu des #clusters dans notre fac ? Non. Et pourtant on a fonctionné 7 semaines, avec bien moins de contaminations que dans les écoles, restées pourtant ouvertes. On sait les efforts et le sacrifice des soignants. Nul ne met en doute ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient. Les étudiants ont eu, eux aussi, des malades et des morts. Ils savent ce qu’est la douleur. Les enseignants aussi. Mais la vie est là, encore, et il faut la préserver aussi.

      Et attention qu’à force de leur interdire les lieux dont les universités ont fait de véritables sanctuaires, on les incite aux réunions privées, à dix dans un studio juste pour retrouver un peu de partage. On sait pourtant que c’est dans la sphère privée que réside le problème. Le retour dans les #amphis, c’est la réduction du #risque_privé, et non l’amplification du #risque_public.

      Il est humain. Un étudiant n’est pas un être solitaire. Il étudie pour être utile aux autres. Il appartient toujours à une #promo, qu’en aucun cas les réseaux sociaux ne peuvent remplacer. Il voulait une #vie_étudiante faite des découvertes et des angoisses d’un début de vie d’adulte avec d’autres jeunes adultes. Ce n’est pas ce qu’on lui fait vivre, pas du tout. L’isolement le pousse au doute, sur la fac, sur les profs, sur les institutions en général, et, pire que tout, sur lui-même. La #sécurité_sanitaire conduit, chez certains, à la victoire du « à quoi bon ». Si quelques uns s’accommodent de la situation, la vérité est que beaucoup souffrent, ce qu’ils n’iront pas avouer en réunion publique quand on leur demande s’ils vont bien. Beaucoup se sentent globalement délaissés, oubliés, voire méprisés. Va-t-on continuer à leur répondre « plus tard », « un peu de patience », sans savoir jusque quand du reste, et attendre qu’on en retrouve morts ?

      Il est aussi politique. Certains étudiants ont la sensation de payer pour d’autres ; ceux qui ont affaibli l’hôpital, ceux qui n’ont pas renouvelé les masques, ceux qui ont cru à une grippette, et on en passe. Il est temps d’éviter de les culpabiliser, même indirectement.

      Pour retrouver une #confiance passablement écornée, les gouvernants doivent apprendre à faire confiance à leur peuple, au lieu de s’en défier. Les étudiants sont jeunes mais, à condition de croire que c’est une qualité, on peut parier qu’ils ne décevront personne s’ils peuvent faire leurs propres choix. N’est-ce pas à cela qu’on est censé les préparer ?

      Si la préservation des populations fragiles est un devoir que nul ne conteste, au jeu de la #fragilité, les étudiants ont la leur ; leur inexpérience et le besoin d’être guidés.

      Dans l’histoire de l’Homme, les aînés ont toujours veillé à protéger la jeune génération. Les parents d’étudiants le font dans chaque famille mais à l’échelle du pays c’est la tendance inverse. Une génération de gouvernants ignore les #jeunes pour sauver les ainés. Doit-on, pour éviter que des vies finissent trop tôt, accepter que d’autres commencent si mal ? C’est un choc de civilisation que de mettre en balance à ce point l’avenir sanitaire des uns et l’avenir professionnel des autres.

      Alors ?

      Peut-on alors revenir à l’équilibre et au bon sens ? Que ceux qui ont besoin d’être là puissent venir, et que ceux qui préfèrent la distance puissent la garder ! Que les enseignants qui veulent des gens devant eux les retrouvent et que ceux qui craindraient pour eux ou leurs proches parlent de chez eux. Peut-on enfin laisser les gens gérer la crise, en fonction des #impératifs_pédagogiques de chaque discipline, des moyens de chaque établissement, dans le respect des normes ? Les gens de terrain, étudiants, enseignants, administratifs, techniciens, ont prouvé qu’ils savent faire.

      Quand le silence vaudra l’implicite réponse « tout dépendra de la situation sanitaire », on aura compris qu’on fait passer le commerce avant le savoir, comme il passe avant la culture, et qu’on a préféré tout de suite des tiroirs caisses bien pleins plutôt que des têtes bien faites demain.

      https://academia.hypotheses.org/29817

    • Covid-19 : des universités en souffrance

      En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants comme les étudiants. Ces difficultés sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités.

      Les années passées sur les bancs de l’université laissent en général des souvenirs émus, ceux de la découverte de l’indépendance et d’une immense liberté. La connaissance ouvre des horizons, tandis que se construisent de nouvelles relations sociales et amicales, dont certaines se prolongeront tout au long de la vie.

      Mais que va retenir la génération d’étudiants qui tente de poursuivre ses études malgré la pandémie de Covid-19 ? Isolés dans des logements exigus ou obligés de retourner chez leurs parents, livrés à eux-mêmes en raison des contraintes sanitaires, les jeunes traversent une épreuve dont ils ne voient pas l’issue. Faute de perspectives, l’épuisement prend le dessus, l’angoisse de l’échec est omniprésente, la déprime menace.

      Des solutions mêlant enseignement présentiel et à distance ont certes permis d’éviter les décrochages en masse, mais elles n’ont pas empêché l’altération de la relation pédagogique. Vissés derrière leur écran pendant parfois plusieurs heures, les étudiants pâtissent de l’absence d’échanges directs avec les professeurs, dont certains ont du mal à adapter leurs cours aux nouvelles contraintes. Faute de pouvoir transmettre leur savoir dans de bonnes conditions, certains enseignants passent du temps à faire du soutien psychologique.

      Ces difficultés sont communes à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, partout dans le monde. Mais en France, elles sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités et une ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui brille par sa discrétion.
      Deux vitesses dans l’enseignement supérieur

      Les universités anglo-saxonnes ont adopté des politiques plus radicales, mais qui ont le mérite de la clarté. Bon nombre d’entre elles ont décidé dès l’été que le semestre d’automne, voire toute l’année, serait entièrement en ligne. En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants, les empêchent de se projeter, tandis que les étudiants peinent à s’adapter sur le plan matériel, certains se retrouvant contraints de payer le loyer d’un appartement devenu inutile, alors que tous les cours sont à distance.

      La situation est d’autant plus difficile à vivre que l’enseignement supérieur avance à deux vitesses. Hormis pendant le premier confinement, les élèves des classes préparatoires et des BTS, formations assurées dans des lycées, ont toujours suivi leurs cours en présentiel. En revanche, pour l’université, c’est la double peine. Non seulement les étudiants, généralement moins favorisés sur le plan social que ceux des classes préparatoires aux grandes écoles, sont moins encadrés, mais ils sont contraints de suivre les cours en ligne. Cette rupture d’égalité ne semble émouvoir ni la ministre ni le premier ministre, qui n’a pas eu un mot pour l’enseignement supérieur lors de sa conférence de presse, jeudi 7 janvier.

      Là encore, la pandémie agit comme un révélateur de faiblesses préexistantes. Les difficultés structurelles des universités ne sont que plus visibles. Ainsi, les établissements ne parviennent pas à assumer l’autonomie qui leur a été octroyée. Obligés d’accueillir chaque année davantage d’étudiants, soumis à des décisions centralisées, ils manquent de moyens, humains et financiers, pour s’adapter. Les dysfonctionnements techniques lors des partiels, reflet d’une organisation indigente ou sous-dimensionnée, en ont encore témoigné cette semaine.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/09/covid-19-des-universites-en-souffrance_6065728_3232.html

    • Hebdo #96 : « Frédérique Vidal devrait remettre sa démission » – Entretien avec #Pascal_Maillard

      Face au danger grave et imminent qui menace les étudiants, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg et blogueur de longue date du Club Mediapart, considère que « l’impréparation du ministère de l’enseignement et de la recherche est criminelle ». Il appelle tous ses collègues à donner leurs cours de travaux dirigés (TD) en présentiel, même si pour cela il faut « boycotter les rectorats » !

      C’est comme si l’on sortait d’une longue sidération avec un masque grimaçant au visage. D’un cauchemar qui nous avait enfoncé dans une nuit de plus en plus noire, de plus en plus froide, sans issue. Et puis d’un coup, les étudiants craquent et on se dit : mais bon sang, c’est vrai, c’est inhumain ce qu’on leur fait vivre ! Nous abandonnons notre jeunesse, notre avenir, en leur apprenant à vivre comme des zombies.

      Depuis le début de la crise sanitaire, ils sont désocialisés, sans perspective autre que d’être collés à des écrans. Une vie numérique, les yeux éclatés, le corps en vrac et le cœur en suspens. Le mois de décembre avait pourtant redonné un peu d’espoir, Emmanuel Macron parlait de rouvrir les universités, de ne plus les sacrifier. Et puis, pschitt ! plus rien. Les fêtes sont passées et le discours du 7 janvier du premier ministre n’a même pas évoqué la question de l’enseignement supérieur. Un mépris intégral !

      Dans le Club, mais aussi fort heureusement dans de nombreux médias, la réalité catastrophique des étudiants a pris la une : ils vont mal, se suicident, pètent les plombs et décrochent en masse. De notre côté, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté de lettres de l’université de Strasbourg, et blogueur infatigable depuis plus de 10 ans chez nous, a sonné la sirène d’alarme avec un premier billet, Sommes-nous encore une communauté ?, suivi quelques jours plus tard de Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », qui reprend une série de propositions formulées par le collectif RogueESR.

      Pour toucher de plus près ce qui se passe dans les universités, aux rouages souvent incompréhensibles vu de l’extérieur, mais aussi pour imaginer comment reprendre la main sur cette situation (car des solutions, il y en a !), nous lui avons passé hier soir un long coup de fil. Stimulant !

      Club Mediapart : Dans votre dernier billet, Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », vous publiez une série de propositions formulées par le collectif RogueESR pour améliorer la sécurité en vue d’une reprise des cours. Certaines exigeraient surtout du courage (réaménagement des locaux, organisation intelligente des travaux dirigés en présentiel, etc.), mais d’autres demandent des investissements matériels et financiers substantiels. Quels sont, d’après vous, les leviers possibles pour que ces propositions soient prises en compte par les instances dirigeantes ?

      Pascal Maillard : Les leviers sont multiples. Ces dernières semaines, il s’est passé quelque chose de très important : il y a eu une prise de conscience générale que l’État a abandonné l’université, les étudiants, ses personnels, alors que, dans le même temps, il subventionne l’économie à coups de milliards. Aujourd’hui, même les présidents d’université se manifestent pour dire qu’il faut en urgence faire revenir les étudiants parce que la situation est dramatique ! Je crois qu’il faut un mouvement collectif, un mouvement de masse de l’ensemble des étudiants et de la communauté universitaire pour dire : « Maintenant, ça suffit ! » L’État a aussi abandonné la culture, et c’est scandaleux car on ne peut pas vivre sans culture, mais au moins il l’a subventionnée. En revanche, pour l’université, aucune aide. On n’a rien vu, sinon !

      Club Mediapart : Avez-vous avez fait une évaluation de ces investissements et renforts humains ?

      PM : C’est vraiment très peu de moyens. Quelques dizaines de millions permettraient de financer des capteurs de CO2 (un capteur coûte 50 euros) et des filtres Hepa pour avoir une filtration sécurisée (une centaine d’euros). On peut installer également, c’est ce que préconise le collectif RogueESR (collectif informel composé d’une cinquantaine de collègues enseignants-chercheurs très actifs), des hottes aspirantes au-dessus des tables dans les lieux de restauration. Ces investissements seraient plus importants, mais ne dépasseraient pas 200/300 euros par unité. Le problème, c’est que l’État ne prend pas la décision de financer ces investissements qui permettraient de rouvrir les universités de façon plus sécurisée. Par ailleurs, il faut rappeler que certains amphithéâtres peuvent accueillir au-delà de la jauge de 50 % car ils sont très bien ventilés. Il est urgent aujourd’hui de calculer le taux de CO2, on sait le faire, on a les moyens de le faire. Ce que le collectif RoqueESR dit dans son texte et avec lequel je suis complètement d’accord, c’est que comme l’État ne veut rien faire, il faut que l’on prenne en charge ces décisions nous-mêmes.

      Club Mediapart : Dans ce billet, vous mettez le gouvernement et la bureaucratie universitaire sur le même plan. N’y a-t-il pas quand même des différences et des marges de manœuvre du côté des présidents d’université ?

      PM : Non, je crois que la grande majorité des présidents ont fait preuve de suivisme par rapport à la ligne définie par le gouvernement et Frédérique Vidal, à savoir le développement et l’exploitation maximum des ressources numériques. On n’a pas eu de filtre Hepa, mais on a eu des moyens importants pour l’informatique, les cours à distance, le développement de Moodle et des outils de visioconférence. Là, il y a eu des investissements lourds, y compris de la part du ministère, qui a lancé des appels à projets sur l’enseignement et les formations numériques. Frédérique Vidal pousse depuis de nombreuses années au tout numérique, ce n’est pas nouveau.

      Club Mediapart : Peut-on quand même attendre quelque chose de la réunion prévue ce vendredi entre les présidents d’université et Frédérique Vidal ?

      PM : Je crois que ce sont les impératifs sanitaires qui vont l’emporter. Frédérique Vidal, qui a fait preuve non seulement d’indifférence à l’égard des étudiants mais aussi d’une grande incompétence et d’un manque de fermeté pour défendre l’université, n’est plus crédible.

      Club Mediapart : Dans le fil de commentaires du dernier billet de Paul Cassia, qui montre bien comment les articles et les circulaires ministérielles ont « coincé » les directions d’université, vous proposez la réécriture de l’article 34 du décret du 10 janvier pour assouplir l’autorisation de retour en présentiel dans les universités. Cette modification ne risque-t-elle pas de reporter la responsabilité vers les présidents d’université au profit du gouvernement, qui pourrait se dédouaner encore plus de tout ce qui va se passer ?

      PM : Depuis le début, la stratégie du gouvernement est la même que celle des présidents d’université : la délégation au niveau inférieur. La ministre fait rédiger par sa bureaucratie des circulaires qui sont vagues, très pauvres, qui n’ont même pas de valeur réglementaire et qui disent en gros : c’est aux présidents de prendre leurs responsabilités. Mais que font les présidents, pour un grand nombre d’entre eux ? Afin de ne pas trop engager leur responsabilité juridique, que ce soit pour les personnels ou les étudiants, ils laissent les composantes se débrouiller. Mais les composantes ne reçoivent pas de moyens pour sécuriser les salles et pour proposer des heures complémentaires, des créations de postes, etc. Les seuls moyens qui sont arrivés dans les établissements sont destinés à des étudiants pour qu’ils aident d’autres étudiants en faisant du tutorat par groupe de 10. À l’université de Strasbourg, ça s’appelle REPARE, je crois (raccrochement des étudiants par des étudiants). Ce sont des étudiants de L3 et de masters qui sont invités à faire du tutorat pour soutenir des étudiants de L1/L2. Cela permet à des étudiants qui sont désormais malheureusement sans emploi, sans revenu, d’avoir un emploi pendant un certain temps. Ça, c’est l’aspect positif. Mais ces étudiants, il faut 1/ les recruter, 2/ il est très important de les former et de les accompagner.

      Club Mediapart : la démission de Frédérique Vidal fait-elle débat parmi les enseignants et les chercheurs ?

      PM : Frédérique Vidal nous a abandonnés, elle a aussi laissé Blanquer, qui a l’oreille de Macron, lancer sa guerre contre les « islamo-gauchistes », et puis elle a profité de la crise sanitaire pour détruire un peu plus l’université. C’est elle qui a fait passer la LPR en situation d’urgence sanitaire, alors même qu’elle avait dit pendant le premier confinement qu’il était hors de question en période d’urgence sanitaire de faire passer des réformes. La version la plus radicale en plus ! La perspective est vraiment de détruire le Conseil national des universités.

      J’ai appris hier avec une grande tristesse que Michèle Casanova, une grande archéologue, spécialiste de l’Iran, est décédée le 22 décembre. Elle s’est battue pendant un mois et demi contre le Covid. Elle était professeure des universités à Lyon, elle venait d’être nommée à Paris-Sorbonne Université. Des collègues sont morts, pas que des retraités, mais aussi des actifs.

      La ministre n’a rien dit pour les morts dans l’université et la recherche. Pas un mot. Ils sont en dessous de tout. Ils n’ont plus le minimum d’humanité que l’on attend de responsables politiques. Ils ont perdu l’intelligence et la décence, ils ont perdu la compétence et ils ne sont plus que des technocrates, des stratèges qui ne pensent qu’à leur survie politique. Ce sont des communicants, sans éthique. La politique sans l’éthique, c’est ça le macronisme.

      Aujourd’hui, les universitaires ont à l’esprit deux choses. D’une part la mise en pièces du statut des enseignants-chercheurs avec la LPR qui conduit à la destruction du Conseil national des universités : nous avons appris cette semaine que la fin de la qualification pour devenir professeur des universités étaient effective pour les maîtres de conférences titulaires, là immédiatement, sans décret d’application. Des centaines de collègues ont envoyé leur demande de qualification au CNU. Ce pouvoir bafoue tous nos droits, il bafoue le droit en permanence. D’autre part, bien sûr, les conditions calamiteuses et l’impréparation de cette rentrée. Aujourd’hui, on ne sait pas si l’on va pouvoir rentrer la semaine prochaine. On ne sait rien ! Rien n’a été préparé et je pense que c’est volontaire. Cette impréparation est politique, elle est volontaire et criminelle. Je pèse mes mots et j’assume. C’est criminel aujourd’hui de ne pas préparer une rentrée quand des milliers d’étudiants et d’enseignants sont dans la plus grande souffrance qui soit !

      Club Mediapart : Avec en plus des inégalités entre étudiants absolument incompréhensibles…

      PM : Absolument ! Les BTS et les classes préparatoires sont restés ouverts et fonctionnent à plein. Aujourd’hui, les enseignants qui préparent aux grandes écoles, que ce soit dans les domaines scientifiques ou littéraires ou les préparations aux écoles de commerce, ont la possibilité de faire toutes leurs colles jusqu’à 20 heures, avec des dérogations… devant 40/50 étudiants. Ce que l’on ne dit pas aujourd’hui, c’est que les étudiants de classe préparatoire eux aussi vont mal. Ils sont épuisés, ils n’en peuvent plus. 40 heures de cours masqués par semaine. Comment ça se vit ? Mal. Il y a pour l’instant assez peu de clusters de contamination dans les classes prépas. Les conditions sanitaires dans ces salles, souvent exiguës et anciennes, sont pourtant bien plus mauvaises que dans les grandes salles et les amphis des universités. Ces classes, qui bénéficient de moyens plus importants – un étudiant de classe prépa coûte à l’État entre 15 000 et 17 000 euros, tandis qu’un étudiant coûte entre 5 000 et 7 000 euros –, ont le droit à l’intégralité de leurs cours, tandis que les étudiants, eux, sont assignés à résidence. Il est clair que ce traitement vient élever au carré l’inégalité fondatrice du système de l’enseignement supérieur français entre classes prépas (dont les élèves appartiennent, le plus souvent, à des classes sociales plus favorisées) et universités.

      Club Mediapart : Est-ce que l’on peut s’attendre à une mobilisation importante le 26 janvier ?

      PM : Le 26 janvier sera une date importante. L’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche appelle à une journée nationale de grève et de mobilisation le 26, avec un mot d’ordre clair : un retour des étudiants à l’université dans des conditions sanitaires renforcées. Mais, à mon sens, il faut accompagner cette demande de retour aux cours en présence de moyens financiers, techniques et humains conséquents. L’intersyndicale demande 8 000 postes pour 2021. On en a besoin en urgence. Il y a donc une urgence à accueillir en vis-à-vis les étudiants de L1 et L2, mais ensuite progressivement, une fois que l’on aura vérifié les systèmes de ventilation, installé des filtres Hepa, etc., il faudra accueillir le plus rapidement possible les étudiants de tous les niveaux. J’insiste sur le fait que les étudiants de Licence 3, de master et même les doctorants ne vont pas bien. Il n’y a pas que les primo-entrants qui vont mal, même si ce sont les plus fragiles. Je suis en train de corriger des copies de master et je m’en rends bien compte. Je fais le même constat pour les productions littéraires des étudiants que j’ai pu lire depuis huit mois dans le cadre d’ateliers de création littéraire. En lisant les textes de ces étudiants de L1, souvent bouleversants et très engagés, je mesure à quel point le confinement va laisser des traces durables sur elles et sur eux.

      Club Mediapart : Ce sont les thèmes traités qui vous préoccupent…

      PM : Il y a beaucoup, beaucoup de solitude, de souffrance, d’appels à l’aide et aussi l’expression forte d’une révolte contre ce que le monde des adultes est en train de faire à la jeunesse aujourd’hui. Il y a une immense incompréhension et une très grande souffrance. La question aujourd’hui, c’est comment redonner du sens, comment sortir de la peur, enrayer la psychose. Il faut que l’on se batte pour retrouver les étudiants. Les incompétents qui nous dirigent aujourd’hui sont des criminels. Et je dis aujourd’hui avec force qu’il faut démettre ces incompétents ! Frédérique Vidal devrait remettre sa démission. Elle n’est plus crédible, elle n’a aucun poids. Et si le gouvernement ne donne pas à l’université les moyens de s’équiper comme il convient pour protéger ses personnels et ses étudiants, ils porteront une responsabilité morale et politique très très lourde. Ils ont déjà une responsabilité considérable dans la gestion d’ensemble de la crise sanitaire ; ils vont avoir une responsabilité historique à l’endroit de toute une génération. Et cette génération-là ne l’oubliera pas !

      Club Mediapart : En attendant, que faire ?

      PM : Comment devenir un sujet libre, émancipé quand on est un étudiant ou un enseignant assigné à résidence et soumis à l’enfer numérique ? C’est ça la question centrale, de mon point de vue. Je ne pense pas que l’on puisse être un sujet libre et émancipé sans relation sociale, sans se voir, se rencontrer, sans faire des cours avec des corps et des voix vivantes. Un cours, c’est une incarnation, une voix, un corps donc, ce n’est pas le renvoi spéculaire de son image face à une caméra et devant des noms. Je refuse de faire cours à des étudiants anonymes. Aujourd’hui, j’ai donné rendez-vous à quelques étudiants de l’atelier de création poétique de l’université de Strasbourg. On se verra physiquement dans une grande salle, en respectant toutes les règles sanitaires. J’apporterai des masques FFP2 pour chacune et chacun des étudiants.

      Club Mediapart : Vous avez le droit ?

      PM : Je prends sur moi, j’assume. Je considère que la séance de demain est une séance de soutien. Puisque l’on a droit à faire du soutien pédagogique…

      Club Mediapart : Pourquoi n’y a-t-il pas plus de profs qui se l’autorisent ? Le texte est flou, mais il peut être intéressant justement parce qu’il est flou…

      PM : Ce qu’il est possible de faire aujourd’hui légalement, ce sont des cours de tutorat, du soutien, par des étudiants pour des étudiants. Il est aussi possible de faire des travaux pratiques, mais ces TP, il y a en surtout en sciences de la nature et beaucoup moins en sciences humaines. On a des difficultés graves en sciences sociales et sciences humaines, lettres, langue, philo, parce que l’on a zéro TP. Pour ma part, je compte demander que mes cours de L1 et mes travaux dirigés soient considérés comme des TP ! Mais, pour cela, il faut réussir à obtenir des autorisations.

      Des autorisations d’ouverture de TP, il faut le savoir, qui sont soumises aux rectorats. Les universités sont obligées de faire remonter aux rectorats des demandes d’ouverture de cours ! L’université est autonome et aujourd’hui cette autonomie est bafouée en permanence par l’État. Donc, non seulement l’État nous abandonne, l’État nous tue, mais en plus l’État nous flique, c’est-à-dire restreint nos libertés d’enseignement, de recherche, et restreint aussi nos libertés pédagogiques. Or, notre liberté pédagogique est garantie par notre indépendance, et cette indépendance a encore une valeur constitutionnelle. Tout comme notre liberté d’expression.

      Un collègue qui enseigne en IUT la communication appelle à la désobéissance civile. Le texte de RogueESR n’appelle pas explicitement à la désobéissance civile mais il dit très clairement : c’est à nous de faire, c’est à nous d’agir, avec les étudiantes et les étudiants ! Nous allons agir, on ne peut pas, si on est responsables, écrire : « Agissons » et ne pas agir ! Je dis à tous les collègues : mettons-nous ensemble pour transformer les TD en TP, qui sont autorisés, ou bien boycottons les rectorats et faisons nos TD ! Et proposons aux étudiants qui le souhaitent de venir suivre les cours en présence et aux autres qui ne le peuvent, de les suivre à distance. Avec d’autres, je vais essayer de convaincre les collègues de Strasbourg de faire du présentiel. On aura du mal, mais je pense qu’il est aujourd’hui légitime et parfaitement justifié de refuser les interdictions ministérielles parce qu’il y a des centaines et des milliers d’étudiants en danger. On a un devoir de désobéissance civile quand l’État prend des décisions qui conduisent à ce que l’on appelle, dans les CHSCT, un danger grave et imminent.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/lhebdo-du-club/article/140121/hebdo-96-frederique-vidal-devrait-remettre-sa-demission-entretien-av

    • À propos du #brassage. #Lettre à la ministre de l’enseignement supérieur

      On pouvait s’y attendre mais c’est enfin annoncé, les universités ne réouvriront pas pour le début du second semestre. Des centaines de milliers d’étudiants vont devoir continuer à s’instruire cloitrés dans leurs 9m2, les yeux vissés à quelques petites fenêtres Zoom. Alors que des centaines de témoignages d’élèves désespérés inondent les réseaux sociaux, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, a justifié ces mesures d’isolement par le « brassage » qu’impliquerait la vie étudiante avec ses pauses cafés et les « #bonbons partagés avec les copains ». Un étudiant lyonnais nous a confié cette lettre de réponse à la ministre dans laquelle il insiste sur le #stress, le #vide et l’#errance qui règnent dans les campus et auxquels le gouvernement semble ne rien vouloir comprendre.

      Madame la ministre,

      Aujourd’hui, je ne m’adresse pas à vous pour vous plaindre et vous dire que je comprends votre situation. Je ne m’adresse pas à vous pour vous excuser de votre manifeste #incompétence, pire, de votre monstrueuse #indifférence à l’égard de vos administré·e·s, nous, étudiant·e·s. Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe, et vous auto congratuler à l’assemblée n’y changera rien.

      Je suis en Master 2 de philosophie, à Lyon 3. Deux étudiant·e·s de ma ville ont tenté de mettre fin à leurs jours, dans la même semaine, et tout ce que vous avez trouvé à dire, c’est : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria »

      Je pourrais argumenter contre vous que ce que nous voulons, c’est un espace pour travailler qui ne soit pas le même que notre espace de sommeil, de cuisine ou de repos ; ce que nous voulons, c’est pouvoir entendre et voir nos professeurs en vrai, nous débarrasser de l’écran comme interface qui nous fatigue, nous brûle les yeux et le cerveau ; ce que nous voulons, c’est avoir la certitude que ça ira mieux et qu’on va pouvoir se sortir de cette situation. Et tant d’autres choses. Mais je ne vais pas argumenter là-dessus, beaucoup l’ont déjà fait et bien mieux que je ne pourrais le faire.

      Je vais vous expliquer pourquoi aujourd’hui, il vaut mieux prendre le risque du brassage, comme vous dites, que celui, bien d’avantage réel, de la mort d’un·e étudiant·e. Nous sommes tous et toutes dans des états d’#anxiété et de stress qui dépassent largement ce qu’un être humain est capable d’endurer sur le long terme : cela fait bientôt un an que ça dure, et je vous assure que pas un·e seul·e de mes camarades n’aura la force de finir l’année si ça continue comme ça.

      Parce qu’on est seul·e·s. Dans nos appartements, dans nos chambres, nos petits 10m2, on est absolument seul·e·s. Pas d’échappatoire, pas d’air, pas de distractions, ou trop de distractions, pas d’aide à part un numéro de téléphone, pas de contacts. Des fantômes. Isolé·e·s. Oublié·e·s. Abandonné·e·s. Désespéré·e·s.

      Pour vous c’est un problème, un danger, l’étudiant·e qui prend un café à la pause ? Pour beaucoup d’entre nous c’était ce qui nous faisait tenir le coup. C’était tous ces petits moments entre, les trajets d’une salle à l’autre, les pauses café, les pauses clopes. Ces moments de discussion autour des cours auxquels on vient d’assister, ces explications sur ce que l’on n’a pas compris, les conseils et le soutien des camarades et des professeurs quand on n’y arrive pas. Toutes ces petites respirations, ces petites bulles d’air, c’était tout ça qui nous permettait de tenir le reste de la journée.

      C’était aussi le sandwich entre amis, le repas à la cafétéria ou au CROUS, pas cher, qu’on était assuré·e·s d’avoir, tandis que là, seul·e·s, manger devient trop cher, ou bien ça parait moins important. Ces moments où l’on discute, on se reprend, on s’aide, on se passe les cours, on se rassure, on se motive quand on est fatigué·e·s, on se prévoit des sessions de révision. On se parle, on dédramatise, et on peut repartir l’esprit un peu plus tranquille. Nous avons toujours eu besoin de ces moments de complicité, d’amitié et de partage, nous qui ne sommes aujourd’hui réduit·e·s qu’à des existences virtuelles depuis le mois de mars dernier. Ça fait partie des études, de ne pas étudier. D’avoir une #vie_sociale, de se croiser, de se rencontrer, de boire des cafés et manger ensemble. Supprimer cette dimension, c’est nous condamner à une existence d’#errance_solitaire entre notre bureau et notre lit, étudiant·e·s mort·e·s-vivant·e·s, sans but et sans avenir.

      Le brassage c’est tous ces moments entre, ces moments de #vie, ces #rencontres et ces #croisements, ces regards, ces dialogues, ces rires ou ces soupirs, qui donnaient du relief à nos quotidiens. Les moments entre, c’est ce qui nous permettait aussi de compartimenter, de mettre nos études dans une case et un espace désigné pour, de faire en sorte qu’elles ne débordent pas trop dans nos vies. Ce sont ces délimitations spatiales et temporelles qui maintenaient notre bonne santé mentale, notre #intérêt et notre #motivation : aujourd’hui on a le sentiment de se noyer dans nos propres vies, nos têtes balayées par des vagues de stress incessantes. Tout est pareil, tout se ressemble, tout stagne, et on a l’impression d’être bloqué·e·s dans un trou noir.

      Tout se mélange et on se noie. C’est ce qu’on ressent, tous les jours. Une sensation de noyade. Et on sait qu’autour de nous, plus personne n’a la tête hors de l’eau. Élèves comme professeurs. On crie dans un bocal depuis des mois, et personne n’écoute, personne n’entend. Au fur et à mesure, les mesures tombent, l’administration ne suit pas, nous non plus, on n’est jamais tenu·e·s au courant, on continue quand même, parce qu’on ne veut pas louper notre année. Dans un sombre couloir sans fin, on essaye tant bien que mal d’avancer mais il n’y a ni lumière, ni sortie à l’horizon. Et à la fin, on est incapables de travailler parce que trop épuisé·e·s, mais incapables aussi d’arrêter, parce que l’on se sent trop coupables de ne rien faire.

      Aujourd’hui, je m’adresse à vous au lieu de composer le dernier devoir qu’on m’a demandé pour ce semestre. Je préfère écrire ce texte plutôt que de faire comme si de rien n’était. Je ne peux plus faire semblant. J’ai envie de vomir, de brûler votre ministère, de brûler ma fac moi aussi, de hurler. Pourquoi je rendrais ce devoir ? Dans quel but ? Pour aller où ? En face de moi il y a un #brouillard qui ne fait que s’épaissir. Je dois aussi trouver un stage. Qui me prendra ? Qu’est-ce que je vais faire ? Encore du télétravail ? Encore rester tous les jours chez moi, dans le même espace, à travailler pour valider un diplôme ? Et quel diplôme ? Puis-je encore vraiment dire que je fais des études ? Tout ça ne fait plus aucun sens. C’est tout simplement absurde. On se noie dans cet océan d’#absurdité dont vous repoussez les limites jour après jour.

      Nous interdire d’étudier à la fac en demi-groupe mais nous obliger à venir tous passer un examen en présentiel en plein confinement ? Absurde. Autoriser l’ouverture des lycées, des centres commerciaux, mais priver les étudiants de leurs espaces de vie sous prétexte que le jeune n’est pas capable de respecter les mesures barrières ? Absurde. Faire l’autruche, se réveiller seulement au moment où l’on menace de se tuer, et nous fournir (encore) des numéros de téléphone en guise d’aide ? Absurde. Vous ne pouvez pas continuer de vous foutre de notre gueule comme ça. C’est tout bonnement scandaleux, et vous devriez avoir honte.

      Vous nous avez accusés, nous les #jeunes, d’être irresponsables : cela fait des mois qu’on est enfermé·e·s seul·e·s chez nous, et la situation ne s’est pas améliorée. Et nous n’en pouvons plus. Nous n’avons plus rien à quoi nous raccrocher. Je vois bien que vous, ça a l’air de vous enchanter que la population soit aujourd’hui réduite à sa seule dimension de force productive : travail, étude, rien d’autre. Pas de cinéma, pas de musées, pas de voyage, pas de temps libre, pas de manifs, pas de balades, pas de sport, pas de fêtes. Boulot, dodo. Le brassage ça vous fait moins peur dans des bureaux et sur les quais du métro hein ? Et je ne vous parle même pas de mes ami·e·s qui doivent, en prime, travailler pour se nourrir, qui vivent dans des appartements vétustes, qui n’ont pas d’ordinateur, qui n’ont pas de connexion internet, qui sont précaires, qui sont malades, qui sont à risque. Je ne vous parle même pas de Parcoursup, de la loi sur la recherche, de la tentative d’immolation d’un camarade étudiant l’année dernière. Je ne vous parle pas de cette mascarade que vous appelez « gestion de la crise sanitaire », de ces hôpitaux qui crèvent à petit feu, de ces gens qui dorment dehors, de ces gens qui meurent tous les jours parce que vous avez prêté allégeance à l’économie, à la rentabilité et à la croissance. Je ne vous parle pas non plus du monde dans lequel vous nous avez condamné·e·s à vivre, auquel vous nous reprochez de ne pas être adapté·e·s, ce monde qui se meure sous vos yeux, ce monde que vous exploitez, ce monde que vous épuisez pour vos profits.

      Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe. Je m’adresse à vous pleine de colère, de haine, de tristesse, de fatigue. Le pire, c’est que je m’adresse à vous tout en sachant que vous n’écouterez pas. Mais c’est pas grave. Les étudiant·e·s ont l’habitude.

      Rouvrez les facs. Trouvez des solutions plus concrètes que des numéros verts. Démerdez-vous, c’est votre boulot.

      PS : Et le « bonbon qui traine sur une table » ? Le seul commentaire que j’aurais sur cette phrase, c’est le constat amer de votre totale #ignorance de nos vies et du gouffre qui nous sépare. Votre #mépris est indécent.

      https://lundi.am/A-propos-du-brassage

    • Le distanciel tue

      « Le distanciel tue ! », avait écrit hier une étudiante sur sa pancarte, place de la République à Strasbourg. Macron et Vidal ont répondu ce jour aux étudiant.es, par une entreprise de communication à Saclay qui nous dit ceci : Macron est définitivement le président des 20% et Vidal la ministre du temps perdu.

      Gros malaise à l’Université Paris-Saclay, où le président Macron et la ministre Frédérique Vidal participent à une table ronde avec des étudiant.es, bien sûr un peu trié.es sur le volet. Pendant ce temps bâtiments universitaires et routes sont bouclés, les manifestants éloignés et encerclés. Voir ci-dessous le communiqué CGT, FSU, SUD éducation, SUD Recherche de l’Université Paris-Saclay. Les libertés sont une fois de plus confisquées et dans le cas présent les otages d’une entreprise de com’ qui vire au fiasco, pour ne pas dire à la farce. Attention : vous allez rire et pleurer. Peut-être un rire nerveux et des pleurs de colère. La politique de Macron appartient à un très mauvais théâtre de l’absurde, qui vire à la tragédie. Ou une tragédie qui vire à l’absurde. Nous ne savons plus, mais nous y sommes.

      Il est 13h15. Je tente de déjeuner entre deux visioconférences et quelques coups de fil urgents au sujet de collègues universitaires qui ne vont pas bien. On m’alerte par sms : Macron et Vidal à la télé ! J’alume le téléviseur, l’ordinateur sur les genoux, le portable à la main. La condition ordinaire du citoyen télétravailleur. La ministre parle aux étudiant.es. On l’attendait à l’Université de Strasbourg ce matin avec son ami Blanquer, pour les Cordées de la réussite, mais le déplacement en province du ministre de l’Education nationale a été annulé. Une lettre ouverte sur la question a circulé. La ministre est donc à Saclay. Que dit-elle ? Je prends des notes entre deux fourchettes de carottes râpées :

      « Le moment où le décret sort, il faut que ce soit au moins la veille du jour où les choses sont mises en place. » Là, je manque de m’étouffer, mais dans un réflexe salutaire je parviens à appuyer sur la touche « Enregistrement ». L’aveu est terrible, magnifique. Du Vidal dans le texte. Je pense à Jarry. Je pense à Ionesco. Je pense surtout aux dizaines de milliers de personnels des universités qui, à dix reprises depuis le début de cette gestion calamiteuse et criminelle de cette crise, se sont retrouvés vraiment dans cette situation : devoir appliquer du jour au lendemain le décret ou la circulaire de la ministre. Samedi et dimanche derniers, des centaines de collègues à l’université de Strasbourg et des milliers partout en France ont travaillé comme des brutes pour « préparer » la rentrée du 18. Le décret date du 15 et a été publié le 16 ! Des centaines de milliers d’étudiants paniquaient sans information. Criminel !

      Mais la ministre continue :

      « Tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après ». Nous aussi, mais on ne sait pas comment faire.

      « Sur le calendrier, c’est difficile .. » Effectivement.

      « Moi, j’ai des débuts d’année - des débuts de second semestre, pardon - qui s’échelonnent quelque part … ». Quelque part … La ministre fait-elle encore ses cours à l’Université de Nice ?

      Là, Macron sent que ça dérape vraiment et coupe Frédérique Vidal. Il a raison. Tant qu’il y est, il ferait bien de lui demander sa démission. Il rendra service à l’université, à la recherche, à la jeunesse, au pays. Et il sauvera peut-être des vies. Après avoir accompli cette action salutaire, il nous rendra aussi service en tentant d’être président à plus de 20%. « 20% en présentiel, dit-il, mais jamais plus de 20%, l’équivalent d’un jour par semaine ». Le président est un peu déconnecté des réalités de la gestion d’une faculté au pays du distanciel, de l’Absurdistan et du démerdentiel. Pour bien comprendre les choses en étant "pratico-pratique" comme dit Macron, voilà de quoi il retourne : les enseignants et les scolarités (personnels administratifs dévoués et épuisés qui n’en peuvent plus et qu’on prend pour des chèvres) doivent organiser et gérer les TD de 1ère année à la fois en présence et à distance pour un même groupe, les CM à distance, et articuler le tout dans un emploi du temps hebdomadaire qui n’oblige pas les étudiants à entrer chez eux pour suivre un TD ou un CM à distance après avoir suivi un TP ou un TD en présence. Et désormais il faudrait entrer dans la moulinette les 20% en présence pour tous les niveaux : L1, L2, L3, M1, M2. Une pure folie. Mais pas de problème, Macron a la solution : « C’est à vos profs de gérer », dit-il aux étudiants. Le président en disant ceci pourrait bien devoir gérer quelques tentatives de suicide supplémentaires. Pour les étudiant.es cette folie se traduit par une résignation au "distanciel" et toutes ses conséquences pathologiques, ou un quotidien complètement ingérable dans l’éclatement entre la distance et l’absence. Dites à un individu qu’il doit être présent dans la distance et distant dans la présence, faites-lui vivre cela pendant des mois, et vous êtes assuré qu’il deviendra fou. L’Etat fabrique non seulement de la souffrance individuelle et collective, mais aussi de la folie, une folie de masse.

      La suite confirmera que Macron et Vidal ont le même problème avec le temps, un gros problème avec le temps. L’avenir est au passé. Le président dira ceci : « Evidemment il y aura des protocoles sanitaires très stricts » pour le second semestre. Le second semestre a débuté dans la majorité des universités. Mais, pas de problème : « Evidemment ce que je dis, c’est pour dans 15 jours à trois semaines ». Les 20 % et tout le tralala. Dans 15 jours on recommence tout et on se met au travail tout de suite pour préparer la 11ème révolution vidalienne ? Le président n’a pas compris que Vidal a fait de l’Université une planète désorbitée ...

      Nous sommes de plus en plus nombreux à penser et dire ceci : « Ils sont fous, on arrête tout, tout de suite ! On sauve des vies, on désobéit ! ». Dans certaines universités, il y des mots d’ordre ou des demandes de banalisation des cours pour la semaine prochaine. Lors de l’AG d’hier à l’Université de Strasbourg, étudiant.es et personnels ont voté cette demande. Il faut tout banaliser avant que l’insupportable ne devienne banal ! Il nous faut nous rapprocher, limiter le "distanciel". Il n’y a aucun ciel dans les capsules et les pixels. Nous avons besoin de présence et pour cela il faut des moyens pour améliorer la sécurité sanitaire des universités.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/210121/le-distanciel-tue

    • –-> Comment la ministre elle-même découvre l’annonce du président de la République d’un retour à l’Université de tous les étudiants 1 jour /5 (et qui annule la circulaire qui faisait rentrer les L1) lors de sa visite Potemkine à Paris-Saclay...
      Le 21 janvier donc, quand le semestre a déjà commencé...


      https://twitter.com/rogueESR/status/1353014523784015872

      Vidal dit, texto, je transcris les mots qu’elle prononce dans la vidéo :

      « Là j’ai bien entendu la visite du président, donc si l’idée c’est qu’on puisse faire revenir l’ensemble des étudiants sur l’ensemble des niveaux avec des jauges à 20% ou 1/5 de temps, ou... les universités ça, par contre... je vais le leur... dire et nous allons travailler ensemble à faire en sorte que ce soit possible, parce qu’effectivement c’était l’étape d’après, mais je pense que tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après parce que c’était quelque chose que je crois c’était vraiment demandé »

      –---

      Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      Au Journal officiel du 23/1/2021, un #décret modifiant le décret COVID, qui entre en vigueur immédiatement, sans mention des universités, ni modification de l’article 34 34 du décret du 29 oct. 2020 au JO. La circulaire du 22 janvier 2021 de la juriste Anne-Sophie Barthez, DGSIP, ci-dessous est donc illégale.


      https://academia.hypotheses.org/30306

      –---

      On se croirait au cirque... ou dans un avion sans pilote.

    • Kévin Boiveau continue ainsi sur son thread :

      je cite encore @VidalFrederique :
      – « Les étudiants sont porteurs et symptomatiques et font forcément des écarts sur les gestes barrières »
      – « Des étudiants sont assis entre les cours sans masques »
      – « Des étudiants trop nombreux dans certains lieux »
      Mais c’est pas le pire
      – « Les photos et vidéos sur les réseaux sociaux ne sont pas la réalité du terrain » "les étudiants vont bien globalement"

      Mme la Ministre @VidalFrederique, avec votre discours, vous mettez la communauté universitaire à dos ! Écoutez les messages et les actes de détresse !

      https://twitter.com/Kevin_BOIVEAU/status/1354483952363466759

      C’est à partir de la minute 1:07:00 :
      http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10236533_60118ba7066e6.commission-des-affaires-cult

      –-> où Vidal reprend encore cette idée qu’un #campus n’est pas un #lycée, qu’il y a « #brassage » (elle l’a redit !!!) dans les universités, contrairement aux lycées.
      Qu’elle a été sur place et a vu que les étudiant·es font la fête car ielles se retrouvent...
      et autres idioties qu’il vaudrait la peine de transcrire, mais... voilà, ni le temps ni la force en ce moment !

    • Ne pas tirer sur l’ambulance, vraiment ? Débat « #Malaise_étudiant » au Sénat, 10 février 2021

      #Monique_de_Marco, sénatrice de Gironde, groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture, a demandé la tenue d’un #débat dans le cadre des #questions_au_gouvernement. Le thème — « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » — a inspiré les oratrices et orateurs inscrit·es après l’intervention initiale de la sénatrice qui rappelle les données de la fondation Abbé Pierre : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’#aide_alimentaire ; la moitié des étudiant·es déclarent des difficultés à payer leurs #repas et leur #loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de #santé_mentale, comme de l’#anxiété ou de la #dépression. Face à cela, les mesures sont insuffisantes, inégalitaires — puisque les #classes_préparatoires sont restées normalement ouvertes — et les #services_universitaires complètement débordés. À quand une réponse structurelle au problème de la #pauvreté_étudiante, comme une #allocation_autonomie_étudiante ?

      Parmi les interventions, souvent prises, pointant les béances de la politique gouvernementale, citons un extrait du discours de #Pierre_Ouzoulias qui parle de #définancement assumé par le gouvernement des budgets « #Vie_étudiante » depuis le début du quinquennat, en dépit des alertes.

      "Je n’oublie pas qu’en novembre 2019, par la loi de finances rectificative, votre Gouvernement avait supprimé 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, ce sont 100 millions d’euros de crédits votés par le Parlement qui n’ont finalement pas été affectés à la vie étudiante par votre Gouvernement.

      L’an passé, à l’occasion de la discussion des quatre lois de finances rectificatives, j’ai proposé des amendements pour apporter aux universités et au Centre national des œuvres universitaires et scolaires des moyens d’urgence pour leur permettre d’aider rapidement les étudiants. Par la voie de Monsieur #Darmanin, alors ministre du l’Action et des Comptes publics, le Gouvernement m’avait expliqué qu’il n’y avait pas besoin de #crédits_budgétaires supplémentaires. La politique du « Quoi qu’il en coûte » a ignoré les campus et la #détresse_estudiantine.

      Cet automne nous avons discuté d’une loi de programmation de la recherche que le Gouvernement nous a présenté comme le plus grand effort budgétaire depuis la Libération. L’Université n’a bénéficié, dans ce cadre, d’aucune #aide_budgétaire supplémentaire, comme si les étudiants d’aujourd’hui ne seraient pas les chercheurs de demain.

      J’entends aujourd’hui les déclarations compassionnelles du Gouvernement qui s’alarme du mal vivre des étudiants. Mais, la #pandémie n’en est pas l’unique cause. Dans les universités, comme à l’hôpital, la crise sanitaire est la révélatrice d’une situation de #sous-investissement_chronique qui a fragilisé tout le #service_public de l’#enseignement_supérieur."

      La messe est dite. Sans appel pour dénoncer le mépris dans lequel le gouvernement tient « les emmurés de vingt ans » (Max Brisson), les sénateurs et sénatrices n’ont pas évoqué l’embroglio de circulaires-décrets inapplicables : iels ont pourtant souligné la nécessité d’un cadre réglementaire clair et stable et une plus grande #décentralisation des décisions.

      Public Sénat a choisi deux extraits représentatifs du discours, désormais sans queue ni tête, sans perspective, et vide de sens, de la Ministre. En voici un :


      https://twitter.com/publicsenat/status/1359585785159315457

      Que faut-il en comprendre ? La meilleure explication tient dans les mots de l’universitaire Pierre-Yves Modicom : il s’agit ni plus ni moins de « nier l’évidence sanitaire pour ne pas avoir à assumer les investissements matériels et les recrutements que la reconnaissance des faits impliquerait. L’incohérence, c’est la marque du déni obstiné de la réalité ».

      Le doyen Gabriel Galvez-Behar résumait ainsi le point de vue des agents du supérieur :

      "Nous ne pouvons plus minimiser les séquelles de la crise, nous contenter d’un illusoire retour à la normale, ni nous satisfaire d’expédients. Tout cela réclame ce qui a tant manqué jusqu’à présent : de l’anticipation, de la cohérence et des moyens à la hauteur de l’enjeu."

      Madame Vidal — alors que l’ensemble des usagers et des agents de l’ESR s’enfoncent chaque jour davantage, dans une détresse et un découragement graves — pas plus que son équipe n’ont pris la mesure du problème ni esquissé un début de solution, bien au contraire. Les réponses qu’elle a apportée devant la représentation nationale en attestent et attestent également de la toxicité de son ministère pour l’ensemble des agents publics et des usagers de l’ESR.

      Si vous ne souhaitez pas tirer sur une ambulance, allez-vous laisser un cadavre piloter l’université ? C’est la question que nous pouvons légitimement nous poser ce soir.

      https://academia.hypotheses.org/30821

  • #Parcoursup : archéologie des « #algorithmes_locaux » et de leur #dissimulation

    #Pierre_Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-seine, un des meilleurs connaisseurs du dossier Parcoursup, complexe, technique et éminemment politique, nous a confié sa chronique de la discussion des « algorithmes locaux » qui ont précédé leur reconnaissance officielle par le Conseil constitutionnel ce jour. Academia l’en remercie vivement.


    8 mars 2018. La loi ORE

    La loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a introduit dans l’article L. 612-3 du code de l’éducation cette disposition :

    « Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription prévue au même deuxième alinéa, les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ».

    Cette disposition, dérogatoire au principe de la communication des documents administratifs, a été introduite par le biais d’un amendement (n° 204), déposé en séance par le Gouvernement, au Sénat, le 7 février 2018. La ministre le justifiait ainsi :

    « Cet amendement a pour objet de garantir la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques, conformément au principe posé par le Conseil d’État, tout en permettant la communication aux étudiants qui le demanderont des raisons pour lesquelles on leur propose de suivre une formation ne correspondant pas à leur souhait initial, ce qui pourra se produire s’ils n’ont demandé que des filières sélectives ou sous tension ».

    Lors de la discussion, la ministre a précisé ses intentions :

    « La publication des algorithmes est inscrite dans la loi : ce n’est pas le sujet ici. Cet amendement vise simplement à permettre à un candidat d’obtenir communication, dans le cadre d’une démarche individuelle, des raisons de la décision le concernant, tout en préservant le secret des délibérations des équipes pédagogiques, que le Conseil d’État a consacré il y a deux ans ».

    « Parmi ces algorithmes, on trouve aussi ce qu’on appelle des outils d’aide à la décision, qui vont permettre aux établissements d’appliquer des critères plus ou moins spécifiques. Ces outils d’aide à la décision existaient déjà dans APB ; ils étaient notamment utilisés pour les admissions en classes préparatoires, en STS ou en IUT. Je signale au passage que les équipes pédagogiques de ces établissements reçoivent environ 30 000 dossiers en moyenne et savent parfaitement les gérer, en particulier grâce à ces outils d’aide à la décision. Par ailleurs, il pourra effectivement exister d’autres outils d’aide à la décision spécifiques à un établissement ou à une formation, définis à l’échelon local. Les critères utilisés devront être connus, y compris pour les outils de type fichier Excel ».

    22 mars 2018. Décision de la CNIL sur le projet d’arrêté autorisant Parcoursup

    Dans sa délibération n° 2018-119 du 22 mars 2018, la CNIL observe que le dispositif mis en place par la loi ORE est dérogatoire par rapport au principe général de la communication des documents administratifs. Elle explique pourquoi les algorithmes locaux vont être mis en œuvre par les établissements secondaires :

    « La commission constate que le dispositif global, prévu par la loi, conduit les établissements d’enseignement supérieur dont les capacités d’accueil sont inférieures aux demandes à examiner les candidatures au regard de la cohérence entre, d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation. Or, il est vraisemblable que, pour examiner les candidatures qui leur sont soumises, en particulier lorsqu’elles sont très nombreuses, des établissements d’enseignement supérieur recourent à des traitements algorithmiques. À cet égard, la commission relève d’ailleurs qu’un outil d’aide à la décision est mis à la disposition des établissements d’enseignement supérieur.

    Dans la mesure où les commissions d’examen des vœux des établissements d’enseignement supérieur définissent librement les modalités et les critères d’examen des candidatures qu’ils reçoivent ainsi que, le cas échéant, le paramétrage dudit outil en fonction de leurs besoins et des choix pédagogiques qu’elles ont faits, la commission estime que le ministère n’est pas responsable des traitements mis en œuvre dans les établissements d’enseignement supérieur, à des fins de classement des candidatures quand bien même ils choisiraient d’utiliser cet outil d’aide à la décision. Elle rappelle dès lors que les établissements d’enseignement supérieur, en tant que responsables de traitement, devront respecter les principes régissant la protection des données personnelles, ce sur quoi elle sera vigilante ».

    Sur le fond juridique, elle souligne que la disposition de la loi ORE « introduit une limitation au droit de communication précité », c’est-à-dire celui qui résulte des dispositions de l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration ». Néanmoins, elle rappelle que « les établissements d’enseignement supérieur qui recourraient à un traitement algorithmique pour examiner les candidatures qui leur sont soumises devront également fournir l’ensemble des éléments permettant de comprendre la logique qui sous-tend cet algorithme ».
    19 avril 2018. Examen par le Sénat, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale relatif à la protection des données personnelles

    Lors de la première lecture de ce texte, le Sénat avait supprimé la disposition dérogatoire de la loi ORE (dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation). Après son rétablissement par l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture au Sénat, Mme Sophie Joissains, rapporteure pour la commission des lois, présente un long argumentaire juridique sur la nécessité de préserver les libertés individuelles et de ne pas autoriser des procédures réduisant la portée du principe général de la communicabilité des documents administratifs.

    Voici quelques extraits des débats de la séance du 21 mars 2018 :

    Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. – […] À partir d’octobre 2018, l’administration sera obligée de publier en ligne les données concernant les algorithmes dont elle fait l’usage pour les décisions individuelles ; une information systématique est également prévue pour chaque personne concernée par une décision par une mention bien visible dans la décision.
    Pierre Ouzoulias. – J’aimerais être sûr d’avoir compris toute votre analyse. (Sourires) En partie, elle nous rassure.
    Revenons à Parcoursup, qui permet un pré-tri des demandes arrivant aux universités, avant leur examen par un jury : les algorithmes locaux mis au point par les universités à cette fin seront-ils soumis aux mêmes règles ? Me le confirmez-vous ?
    Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. – C’est oui ! Et je le défendrai au prochain amendement.
    Pierre Ouzoulias. – Cela vous engage, Monsieur le Ministre.

    [après une interruption de séance]

    Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. – Cet amendement très important rétablit une disposition, supprimée par la commission des lois, adoptée par le Sénat en février, de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, tout juste entrée en vigueur il y a deux semaines.
    Notre débat suscite de très vives inquiétudes dans les établissements d’enseignement supérieur qui vont commencer à examiner les vœux de plusieurs millions de lycéens dans une dizaine de jours.
    Cette disposition protège le secret des délibérations des équipes pédagogiques. La commission des lois a considéré, au contraire, que cette disposition, à la lumière des autres dispositions du présent projet de loi, ouvre la voie à une prise de décision par des algorithmes locaux sans aucune intervention humaine.
    Le Gouvernement ne partage pas cette position.
    Pour mettre un terme au désastre d’APB, dès notre arrivée au pouvoir, le Gouvernement a construit une solution sur deux piliers : remettre de l’humain en écartant toute prise de décision automatique et garantir la transparence sur la procédure d’affectation, les critères de choix et de traitement. […]
    Les équipes pédagogiques suivront une procédure manuelle. L’outil d’aide à la décision n’est qu’un appui : la commission d’examen des demandes peut décider de ne pas l’utiliser – certaines le font. Il permet une pondération des critères. […]
    Seule la commission d’examen des vœux est souveraine. L’outil ne se substitue pas à la délibération. Chaque dossier doit être examiné par la commission. Tel est l’esprit de la loi. […]
    Mme Sophie Joissains, rapporteur. – Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, le 7 février dernier, le Gouvernement a fait adopter un amendement de dernière minute, déposé en séance publique sans que notre commission de la culture ait pu l’examiner, qui exonère ces algorithmes de classement des obligations de transparence prévues par le code des relations entre le public et l’administration, alors que notre commission de la culture avait déposé un amendement imposant la publication des règles de l’algorithme et de ses principales caractéristiques.
    La commission des lois a souhaité revenir sur cette première entorse aux règles de transparence définies par la loi pour une République numérique.
    Cet article 14, avec la suppression de la procédure dérogatoire, a été adopté à l’unanimité.

    28 juin 2018, Sénat. Commission de la culture, audition de Frédérique Vidal

    La Ministre Frédérique Vidal a été auditionnée par la Commission de la culture du Sénat le 28 juin 2018. En voici quelques extraits :

    Mme Frédérique Vidal, ministre. – Parcoursup est fondé sur le principe du dernier mot à l’étudiant, gravé dans la loi : l’objectif n’est pas seulement de faire une proposition à chaque candidat, c’est de lui faire une proposition qui lui convienne. Cette idée simple permet d’accomplir l’objectif cardinal de cette réforme : démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et accompagner la réussite des étudiants. Pour cela, il faut donner à chaque futur étudiant le plus grand choix possible, multiplier les réponses et lui permettre de choisir non pas de manière abstraite, en classant des vœux sur une liste, mais concrètement, en répondant aux différentes propositions.

    Les « algorithmes locaux » ont fait couler beaucoup d’encre. Le décret d’application confie l’examen des vœux à des commissions pédagogiques sous le contrôle du chef d’établissement. On peut toujours jouer sur les mots avec les fichiers Excel… Il n’y a pas d’algorithmes locaux mais un outil d’aide à la décision, mis à disposition des établissements, qui est totalement facultatif et qui doit être retravaillé. Il est commun à toutes les filières, qu’elles soient ou non sélectives. Certains points restent à améliorer, mais le dispositif n’est qu’un filtre à poser sur l’algorithme Parcoursup, et est transparent : certains établissements ont choisi de l’utiliser, d’autres non.

    […]

    Pierre Ouzoulias. – Nous sommes tous des sénatrices et des sénateurs de la République française, décidés à faire avancer les choses. Ne doutez pas de ma loyauté républicaine, madame la ministre.
    Mahjoubi a tenu à nous rassurer sur les algorithmes locaux, mais l’université de Pau et des pays de l’Adour m’a communiqué le sien, avec le nombre de points associés aux différents éléments contenus dans les dossiers des lycéens : le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), par exemple, contrairement aux assurances que vous me donniez en séance en janvier dernier, en rapporte quinze ! Si l’université de Pau publie son algorithme, pourquoi les autres ne le feraient-elles pas ? Il est en effet essentiel, pour les candidats et leurs familles, de savoir comment les universités cotent les différentes composantes de leur dossier : je demande donc de nouveau la publication de ces algorithmes locaux.
    Ces outils auront un rôle majeur dans la reconfiguration du paysage universitaire et le choix que feront les lycéens et leurs familles. Nous avons donc besoin de transparence. En l’état, les universités peuvent se passer de tout contrôle national et sélectionner les étudiants selon des critères qui leur sont propres. Or je tiens à un enseignement supérieur national, dans lequel l’État est garant de l’orientation et du respect de la loi. Dans un système de concurrence généralisée des universités entre elles, tout le monde sait qui seront les gagnants, et qui seront les perdants.

    Mme Frédérique Vidal, ministre. – S’agissant des algorithmes locaux, si une recette de cuisine est un algorithme, alors, en effet, nous ne parlons pas de la même chose, monsieur Ouzoulias, et c’est moi qui suis probablement ignorante.

    La pondération des données sera évidemment essentielle. La très grande majorité des universités a dû accomplir une tâche à laquelle elles n’avaient jamais été confrontées ; elles ont beaucoup tâtonné. Elles se sont appuyées sur l’expérience des IUT, qui font ce travail de classement des dossiers depuis très longtemps. Certaines conférences de doyens avaient anticipé, en STAPS notamment, de façon à ce que les choses se déroulent de manière uniforme dans toutes les universités.

    Monsieur Ouzoulias, j’imagine que vous demandez leurs algorithmes locaux à tous les établissements d’enseignement supérieur, et pas seulement aux universités ; ces dernières ne sont que 73, alors qu’il existe plus de 350 établissements d’enseignement supérieur non universitaires.

    Pierre Ouzoulias. – Mais 73, dans un premier temps, cela nous suffirait !

    Mme Frédérique Vidal, ministre. – Les formations sélectives classent depuis des années en utilisant des algorithmes, sans que personne ne s’intéresse à la façon dont ces algorithmes sont conçus.

    Mme Frédérique Vidal, ministre. – Comment la pondération des données paramétrable est-elle effectuée ? Cette question est évidemment très importante. Reste que les commissions sont totalement libres de décider si elles souhaitent rendre publiques ces données ou, au contraire, ne pas briser ce qu’elles appellent le secret des délibérations. Les positions, de ce point de vue, sont très variables d’un établissement à un autre. La grille que vous mentionnez concernant l’université de Pau m’est inconnue, parce qu’aucune université ne se sent dans l’obligation de me faire remonter ce genre d’informations. Les universités sont autonomes.

    Pierre Ouzoulias. – C’est le problème.
    23 octobre 2018, Sénat, Commission de la culture, audition de Frédérique Vidal

    Nouvelle audition à l’automne. Extraits

    « Je suis prête à étudier la question de l’anonymisation des dossiers analysés dans le cadre de la procédure nationale de préinscription, pour préserver le lien de confiance entre les jeunes et l’enseignement supérieur, même si les chiffres montrent que la discrimination dans l’accès à l’enseignement supérieur a diminué ».

    « En ce qui concerne les algorithmes locaux, les attendus sont précisés sur la plateforme et les formations peuvent ajouter des spécificités. Là aussi nous sommes parvenus à un équilibre qui concilie la délibération du jury et sa souveraineté, tout en permettant à chaque étudiant de demander à savoir comment son dossier a été traité. Cet équilibre a fait ses preuves car les demandes de justification ont été peu nombreuses ».
    10 janvier 2019. Avis n° 20184400 de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA)

    « La commission prend acte, tout en le déplorant, de ce que, par ces dispositions, le législateur a d’une part instauré un régime spécial d’accès, pour les candidats qui le demandent, aux procédés algorithmiques lorsque ceux-ci sont élaborés par les équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures, et d’autre part a fait obstacle, pour ce type de documents administratifs, à l’obligation de publication en ligne prévue par l’article L312-1-3, ce qui exclut nécessairement le droit d’accès des tiers ».

    18 janvier 2019. Décision n° 2019-021, du Défenseur des droits

    « Le secret des délibérations du jury ne doit pas s’opposer à l’information des candidats sur le contenu exact et la manière précise d’évaluation de leurs candidatures. Le Défenseur des droits estime que la publication de ces informations ne porte pas atteinte aux principes de souveraineté du jury et du secret de ses délibérations, étant donné qu’il ne vise pas à dévoiler le contenu de l’appréciation portée sur chaque candidature mais uniquement les critères pris en compte dans cette appréciation ainsi que leur méthode d’application. Il est donc recommandé de rendre publiques ces informations ».

    « Le Défenseur des droits recommande à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation de prendre les mesures nécessaires, d’ordre législatif et d’ordre réglementaire, afin de rendre publiques toutes les informations relatives au traitement, y compris algorithmique, et à l’évaluation des dossiers des candidats par les commissions locales des établissements d’enseignement supérieur en amont du processus de leur affectation dans les formations de premier cycle de l’enseignement supérieur, afin d’assurer la transparence de la procédure et de permettre aux candidats d’effectuer leurs choix en toute connaissance de cause ».
    27 mars 2019, Sénat, Commission de la culture, audition de Frédérique Vidal

    « Je veux aussi redire que les algorithmes locaux n’existent pas : il n’existe pas de système de traitement entièrement automatisé pour affecter les étudiants dans les formations. Il y a des commissions pédagogiques d’examen des vœux, des outils d’aide à la décision utilisés par environ 25 % des formations. Les critères généraux d’examen des vœux sont affichés sur la plateforme et varient selon des pondérations qui sont à la discrétion des commissions pédagogiques d’examen des vœux ».
    17 juillet 2019. Commission de la Culture, communication de Jacques Grosperrin, rapporteur

    « Parcoursup, c’est d’abord un algorithme central qui transforme les listes ordonnées de candidats transmises par les formations en réponses auxdits candidats et qui ensuite les réponses des candidats. Le code source et le cahier des charges de cet algorithme ont bien été publiés, conformément à l’objet d’un amendement de notre collègue député Cédric Villani, adopté lors de l’examen de la loi ORE.

    Toutefois, contrairement à admission post-bac (APB), son prédécesseur, ce n’est pas au niveau central que tout se joue dans Parcoursup. C’est le rang du candidat sur la liste établie par la commission d’examen des vœux de la formation concernée qui va déterminer ses chances d’inscription.

    Les dossiers sont regardés un à un et classés manuellement dans les formations ne comportant qu’un petit nombre de candidats, conformément aux engagements de la ministre d’assurer un traitement humain des dossiers.

    Toutefois, dans la plupart des formations, chaque candidat pouvant faire jusqu’à dix vœux et vingt sous-vœux non hiérarchisés, les équipes pédagogiques ont eu recours soit à des tableurs Excel de leur facture, soit à l’outil d’aide à la décision du ministère. En 2018, un petit quart des 14 500 formations avait eu recours à cet outil, dont 56 % des licences et 47 % des instituts universitaires de technologie (IUT).

    À partir de tels tableurs, les commissions d’examen des vœux ont pu sélectionner les notes des matières et les éléments de la fiche Avenir qu’elles souhaitaient retenir, ainsi que les pondérations souhaitées. Le tableur leur a ainsi permis d’établir une liste classée de candidats, au sein de laquelle les commissions n’avaient plus qu’à départager les éventuels ex æquo et à réintégrer les dossiers atypiques. Comme le souligne depuis déjà longtemps notre collègue Pierre Ouzoulias, le travail de la commission d’examen des vœux s’opère clairement en deux phases. De même, l’existence des algorithmes locaux est indéniable, contrairement à ce que soutient la ministre qui s’obstine à nier cette évidence ».
    9 janvier 2020. Deuxième rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup

    « Les débats sur la transparence de Parcoursup se sont focalisés en 2018 sur les procédures d’examen des vœux par les commissions pédagogiques des formations non sélectives, typiquement les licences, pour lesquelles la loi ORE introduit l’obligation d’examen de dossiers des candidats. Ces débats ont plus précisément porté sur les mal nommés « algorithmes locaux ». C’est un fait que les jurys et les commissions utilisent des tableurs pour classer les candidats lors de leurs délibérations, et ce depuis que les tableurs existent, mais rien de plus, et il est inapproprié de parler d’algorithmes locaux. Sur les feuilles, au format « Excel » ou « Open Office », figurent en lignes les candidats et en colonnes les critères de classement. Les données sont extraites des dossiers des candidats dans la plate-forme et les critères sont déterminés par les commissions locales d’examen des vœux. Si tout ou partie de ces critères sont quantifiés, un pré-classement est établi, qui définit l’ordre d’examen des dossiers et sert d’aide aux délibérations. Pour les commissions de Parcoursup, la loi oblige à l’examen individuel des dossiers des candidats, autrement dit elle interdit l’automaticité. […]

    Parcoursup met en évidence la nécessité de trouver un équilibre entre l’appréciation qualitative des commissions, relevant du secret des délibérations, et la quantification précise des dossiers de candidature, facteur de transparence. Où que soit placé le curseur à cet égard, la transparence vise à informer au mieux les candidats sur la façon, qualitative ou quantitative, dont seront examinés leurs dossiers. Cette question complexe, qui ne doit pas s’enliser dans la docimologie, dépasse certes les seules considérations sur la plate-forme ; cependant, celle-ci sera au centre de la mise en œuvre de toute orientation ou inflexion à ce sujet. Le CESP sera très attentif aux résultats de l’analyse lancée par le ministère. […]

    On peut ajouter à cette liste la question délicate de l’opportunité d’une rectification automatique des notes. On sait par exemple que les échelles de notation diffèrent sensiblement d’un lycée à l’autre, et que la prise en compte de ces pratiques est un argument pour ne pas anonymiser l’établissement d’origine dans les dossiers, quitte à nourrir des suspicions de discriminations territoriales ».
    26 février 2020. Rapport de la Cour des comptes

    « Les attendus publiés, dont les énoncés mériteraient une nouvelle revue, ne correspondent pas toujours aux paramétrages retenus in fine par les commissions d’examen des vœux. Ces dernières fonctionnent de manière de plus en plus automatisée, utilisant de façon croissante un outil d’aide à la décision informatique pour effectuer un pré-classement des candidats. Cette situation plaide pour la publication des algorithmes ayant servi à effectuer ces premiers tris. Au-delà, le ministère pourrait utilement publier une analyse des variables clés des classements afin de permettre aux lycéens de mieux préparer leur orientation et leur affectation. Il pourrait saisir cette occasion pour examiner la pertinence de certains critères de classement. En effet, la forte disparité de notations entre les lycées a conduit certaines formations à prendre en compte le lycée d’origine des candidats pour effectuer leur classement, sans que l’objectivité de la méthode retenue ne soit garantie. La réforme du baccalauréat et le renforcement de la part du contrôle continu doit mener le ministère de l’enseignement supérieur à réfléchir aux améliorations à apporter pour rendre la procédure de classement plus efficace et équitable ». […]

    « La diversité des pratiques des CEV ne permet pas de discerner une approche d’ensemble ou des règles de fonctionnement communes. Considérant que ces commissions procédaient toutes à un travail qui s’assimilait à celui d’un jury, le législateur a décidé que les éléments qui participaient à l’analyse de chaque dossier de candidature, fussent-ils algorithmiques, ne pouvaient pas être communiqués a priori. Le candidat peut seulement obtenir a posteriori, c’est-à-dire après la notification de la réponse à sa candidature, et à titre individuel, les éléments motivant la décision prise à son propos. La dérogation consentie par la loi à l’article L.311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration dispense ainsi l’établissement de toute publication des éventuels algorithmes utilisés pour classer les candidatures. Il n’a pas à indiquer non plus au candidat qu’il a utilisé ce moyen de classement ». […]

    « La publication des « algorithmes locaux » répond ensuite à un impératif de transparence, dont le Conseil constitutionnel a pu rappeler qu’il constitue, en toutes circonstances, un objectif d’intérêt général. L’utilisation « d’algorithmes locaux » pour opérer des classements ne saurait être remise en cause, au regard du volume des candidatures, mais le fait de ne pas les publier et d’en refuser la communication crée un risque de défiance ». […]

    « Cette hypothèse, régulièrement évoquée auprès des différents représentants des CEV rencontrés dans le cadre de la présente enquête, n’a pas soulevé d’objections particulières. Les enseignants sont, dans la grande majorité des cas, favorables à la plus grande transparence, et conscients que cette publication serait le meilleur moyen d’éteindre toute suspicion liée au fonctionnement des commissions d’examen des vœux ».

    Recommandations de la Cour des comptes

    « Rendre publics les « algorithmes locaux » utilisés par les commissions d’examen des vœux pour l’ensemble des formations proposées ».

    https://academia.hypotheses.org/22032
    #algorithme #université #lycées #France #facs #universités #chronologie #parcours-sup

    • 9 janvier 2020. Deuxième rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup :
      [...]On peut ajouter à cette liste la question délicate de l’opportunité d’une rectification automatique des notes. On sait par exemple que les échelles de notation diffèrent sensiblement d’un lycée à l’autre, et que la prise en compte de ces pratiques est un argument pour ne pas anonymiser l’établissement d’origine dans les dossiers, quitte à nourrir des suspicions de discriminations territoriales

      le ver est dans le fruit...

      #discrimination #lycée

    • Drôle de collision dans l’actualité : les chercheurs mobilisés contre le projet de loi de programmation pour la recherche devaient inaugurer ce lundi une « semaine noire », durant laquelle ils entendaient mettre « l’université et la recherche à l’arrêt ». Ces dernières seront effectivement à l’arrêt, mais pour cause de coronavirus tout comme le reste de l’économie et de la société. Ironie supplémentaire, certains de ces chercheurs se battent parfois depuis plus d’une décennie pour obtenir des moyens dans la durée pour la recherche sur… les coronavirus, comme le raconte Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille, dans un coup de gueule désabusé.

      Une coïncidence révélatrice des défaillances du système de financement et de gouvernance du monde de la recherche, dont les bases ont été refondées il y a quinze ans. L’exécutif entendait cependant en renforcer encore la logique à travers la future loi de programmation, qui devait être présentée en conseil des ministres en avril. Antoine Petit, le PDG du CNRS, n’a pas hésité à appeler de ses vœux « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale ».

      Les chercheurs rejettent l’esprit inégalitaire et darwinien du projet du gouvernement

      Cet « esprit inégalitaire » et « darwinien », c’est précisément ce dont ne veulent plus les chercheurs mobilisés contre le projet du gouvernement. Ils craignent un renforcement de « la mise en concurrence généralisée des établissements, des unités de recherche, des disciplines et des personnels, alors même que nous savons à quel point celle-ci est contre-productive, réduisant le partage et la coopération et accroissant considérablement les risques de fraude ou de dérive éthique », comme l’écrivaient les 800 chercheurs et universitaires signataires de la tribune publiée dans les colonnes du journal Le Monde, qui menacent de démissionner de leurs fonctions administratives si le gouvernement ne retire pas son projet.

      L’instrument de cette compétition exacerbée entre équipes de recherche, c’est l’Agence nationale de la recherche (ANR), créée en 2005 dans le cadre de la précédente grande loi sur la recherche. Sa mission : mettre en œuvre un financement de la recherche par projets, là où prédominait uniquement jusqu’ici une logique de financement par structures. L’objectif du gouvernement était alors de redynamiser le paysage hexagonal de la recherche dominé par des grands organismes comme le CNRS ou l’Inserm, qu’il jugeait inertes et irréformables.

      Logique « top-down »

      L’ANR a cependant très vite buté sur deux écueils. D’abord un défaut de conception. Comme l’expliquait à l’époque l’économiste Elie Cohen, la structure qui a inspiré sa création, la National Science Foundation (NSF) aux Etats-Unis, consacre l’essentiel de son budget colossal (8 milliards de dollars en 2020) à la recherche fondamentale selon un processus « bottom-up », c’est-à-dire à partir de projets remontant du terrain. A l’inverse, « l’ANR est une agence de moyens pour financer de la recherche finalisée, motivée par des enjeux socio-économiques à partir d’une logique top-down [c’est-à-dire descendante, selon des programmes définis, NDLR] », analysait Elie Cohen. Or, les grandes innovations ou les grandes percées scientifiques – comme la lutte contre les maladies – naissent souvent de la recherche fondamentale. D’où l’épithète de « libérale-bureaucratique » accrochée alors à la réforme de 2005 par ses détracteurs.

      « La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate »

      Une logique incompatible avec la lutte contre les épidémies comme le coronavirus, observe le chercheur Bruno Canard, qui rappelle pourquoi les programmes de recherche fondamentale au long cours sont indispensables : « Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience. C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator-bis. » Et d’observer qu’à chaque fois qu’un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser alors que « la science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate ».

      L’autre écueil sur lequel a buté l’ANR depuis sa fondation a été son manque de moyens. Lors de son lancement en 2005, elle s’était vu promettre par le gouvernement que son budget monterait progressivement en puissance pour atteindre 1,3 milliard d’euros en 2010. Las ! Celui-ci a plafonné à 858 millions d’euros en 2008, comme le rappellent les sénateurs Philippe Adnot et Jean-François Rapin dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2020. Soit un maximum de 650 millions d’euros de crédits alloués aux projets de recherche. Ceux-ci ont ensuite diminué année après année jusqu’en 2015, avant de se redresser légèrement.

      Des taux d’échec démotivants

      Cette pénurie d’argent public, conjuguée à l’essor du nombre de dossiers présentés, a provoqué une chute du taux de succès des appels à projets : en 2018, seuls 16,2 % des projets présentés à l’ANR ont été retenus par elle pour faire l’objet d’un financement. « Avec un taux d’échec de 85 % des projets présentés, le rapport entre les charges administratives incompressibles et les financements espérés demeure très défavorable, entraînant une démotivation bien légitime des équipes scientifiques », concluent les deux sénateurs.

      Avec de tels résultats, la France fait figure de lanterne rouge en Europe. Le taux de succès sur appel à projets affiché par l’ANR « demeure très en deçà du taux de sélection pratiqué chez nos principaux partenaires européens, qui varie de 40 % pour le Fonds national suisse (FNS) à 35 % pour la Fondation allemande pour la recherche (DFG), la moyenne européenne se situant à 24 % », soulignent-ils encore. Avant d’ajouter : « Pour parvenir à un taux de succès comparable, l’ANR devrait bénéficier, a minima, d’un budget global d’un milliard d’euros. » Redonner de véritables moyens dans la durée à la recherche fondamentale dans les laboratoires publics, voilà qui inaugurerait d’une véritable « rupture », telle qu’annoncée par le président de la République dans son allocation jeudi dernier.

      #gâchis

    • Coronavirus : « La majorité des projets qu’on avait sur le virus étaient en stand-by » faute de financement, explique un scientifique

      Le monde de la recherche est appelé à la grève jeudi contre la future loi de programmation pluriannuelle, en cours de finalisation par le gouvernement.

      Ce qui pose problème dans les laboratoires, c’est que nous avons des charges croissantes de travail, qui consistent à écrire des projets très faiblement financés", a dénoncé jeudi 5 mars sur franceinfo le microbiologiste Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS, alors que le monde de la recherche est appelé à la grève ce jeudi contre la future loi de programmation pluriannuelle, en cours de finalisation par le gouvernement.

      Le laboratoire d’Etienne Decroly, « Architecture et fonction des macromolécules biologiques », basé à Marseille, travaille sur le coronavirus depuis l’épidémie du Sras en 2003. « Mais la majorité des projets qu’on avait sur ce virus étaient en stand-by, en partie à cause de problèmes de financement », a-t-il regretté. « Une société moderne doit assumer le fait qu’on cherche dans différentes directions, sans savoir pour autant, au préalable, quelles vont être et d’où vont venir les avancées majeures », a souligné Etienne Decroly.

      franceinfo : Travaillez-vous toujours sur le coronavirus aujourd’hui ?

      Etienne Decroly : On retravaille sur le coronavirus, à la suite de l’émergence [en Chine]. Mais la majorité des projets qu’on avait sur ce virus étaient en stand-by, en partie à cause de problèmes de financement et de difficultés à renouveler les contrats de recherches pour financer ce genre d’activités. Nous avions été obligés de « shifter » une partie des projets de recherches vers des projets qui étaient financés. On n’avait donc pas complètement arrêté nos recherches, mais elles avaient été largement diminuées, et donc forcément, ces projets tournaient au ralenti.

      Que demandez-vous au gouvernement qui est en train de finaliser la nouvelle loi de programmation pour la recherche ?

      Ce qui pose problème dans les laboratoires, c’est que nous avons des charges croissantes de travail, qui consistent à écrire des projets très faiblement financés. Pour nous, ce qui est important pour pouvoir être efficaces, c’est de pouvoir consacrer du temps à la recherche d’une part et d’avoir des financements suffisants, d’autre part, pour qu’on ait du personnel statutaire qui puisse se remobiliser rapidement sur des nouveaux sujets de recherches, afin de pouvoir mieux répondre aux crises comme celle qui apparaît maintenant.

      Les autorités de santé doivent, selon vous, s’inscrire dans des processus plus longs et ne pas réagir uniquement en cas de crise, comme avec le nouveau coronavirus ?

      C’est normal qu’on réagisse quand il y a une épidémie. Mais je crois qu’il ne faut pas oublier que les processus de recherches sont des processus lents, dont on ne peut pas prédire initialement quels sont les sujets qui vont émerger. Et donc, une société moderne doit assumer le fait qu’on cherche dans différentes directions, sans savoir pour autant, au préalable, quelles vont être et d’où vont venir les avancées majeures.

      https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-la-majorite-des-projets-qu-on-avait-sur-le-virus-etaient-en

    • #5_milliards : des effets d’annonce mais toujours pas de moyens pour la recherche !

      Les effets d’annonce d’Emmanuel Macron en pleine crise du coronavirus renforcent notre colère et notre détermination : nous voulons des moyens et des postes pour produire une recherche de qualité maintenant !

      Emmanuel Macron, qui n’a de cesse de scandaliser les soignant∙es et les chercheur∙ses mobilisé∙es depuis le début de la crise du #COVID-19, ajoute l’#ignominie à l’#indécence. Il promet ainsi, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur, une « hausse du budget de la recherche à hauteur de cinq milliards d’euros sur dix ans » – ce qui, ramené au budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), représente 2% d’augmentation par an. Les 400 millions promis par Frédérique Vidal dès 2021, sont en dessous des 700 millions d’augmentation en 2018 et des 850 millions en 2019. Ces 5 milliards sont donc au mieux équivalent à l’investissement des 10 dernières années qui nous ont amenés à cette situation catastrophique.

      « La crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d’investir massivement sur le long terme. J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre #effort_de-recherche, effort inédit depuis la période d’après-guerre », tweete-t-il le jeudi 19 mars (https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1240655308604739584).

      Nous supposons que la France est la seule nation qui ait besoin du COVID-19 pour « connaître le caractère vital de la recherche scientifique » et savoir qu’il fallait donner aux équipes de recherches des emplois permanents et des moyens pour travailler. Cet effort est promis depuis 2000 (stratégie de Lisbonne) et demandé depuis tout aussi longtemps par les Universités et les établissements publics de recherche (EPST). Nous aimerions que le Président ne se prévale pas de l’après-guerre, qui a connu la réorganisation du CNRS créé par Jean Zay en 1939, et encore moins d’un « #effort_inédit », lui qui a contribué depuis qu’il a été Ministre de l’économie et des finances à détruire l’#emploi_scientifique_permanent, en multipliant les #contrats_précaires.

      Aujourd’hui, alors que l’ensemble des instances représentatives de la recherche publique demande la création massive de postes titulaires et l’augmentation des financements récurrents aux laboratoires, Emmanuel Macron répond par des postes précaires et des #investissements_fléchés par #appels_à_projet #ANR. Alors que les Universités et la recherche, mobilisées depuis le 5 décembre et à l’arrêt le 5 mars, réclament des moyens de fonctionner décemment, comme nous l’exprimions dans notre motion (https://universiteouverte.org/2020/03/07/motion-de-la-deuxieme-coordination-nationale-des-facs-et-labos-en) issue de la deuxième coordination nationale des facs et labos en lutte qui a réuni 500 universitaires représentant 10 000 personnes mobilisées de toute la France, Emmanuel Macron nous répond avec encore plus de #mépris et nous distribue des miettes pourtant déjà prévues depuis longtemps.

      Jusqu’à présent, cette politique austéritaire ne semblait toucher que les étudiant·es les moins doté·es et les travailleur·ses de l’enseignement supérieur et de la recherche pressurisé·es et précarisé·es dramatiquement. Ce que met en lumière la crise du COVID-19, c’est que cette politique austéritaire est mortelle pour l’ensemble de la population. Faute de moyens donnés aux chercheur·ses pour faire de la recherche, nous sommes privé·es d’une des « armes » les plus efficaces de la « guerre » revendiquée par Emmanuel Macron : celle des résultats scientifiques de qualité permettant de résoudre les crises majeures.

      Emmanuel Macron et Frédérique Vidal feraient mieux d’écouter #Bruno_Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus au CNRS, qui dénonce très exactement la méthode et les logiques dans lesquelles ce gouvernement s’enferre, en qualifiant de « #hold-up » l’#assèchement des financements pérennes au profit de l’ANR et du #Crédit_Impôt_Recherche. Nous réclamons, pour arriver à l’objectif minimal de 1% du PIB dédié à la recherche publique, 10 milliards, immédiatement et dans les trois années à venir, sous forme de titularisations de chercheur·ses précaires, de créations de postes et d’augmentation des crédits aux laboratoires publics.

      Avec cette déclaration d’Emmanuel Macron, nous sommes donc très loin des besoins réels de la recherche publique. Le plus insupportable serait de penser que la hausse de budget promise n’aille pas totalement à la recherche, mais bien plutôt à l’#optimisation_fiscale_privée. Depuis plusieurs années, sur le budget du MESRI, figurent 6,5 milliards de Crédit Impôt Recherche (#CIR), utilisés quasi exclusivement pour de l’#optimisation_fiscale, qui représente un quart du budget de l’enseignement supérieur et recherche et deux fois le budget du CNRS. Nous demandons donc sa suppression.

      Cette suppression du CIR permettra de dépenser utilement et immédiatement ce budget pour les acteurs en première ligne sur le front de la lutte contre l’épidémie et qui en ont cruellement besoin : les patient∙es, les soignant∙es et les personnels de la recherche. Maintenant.

      https://universiteouverte.org/2020/03/19/5-milliards-des-effets-dannonce-mais-toujours-pas-de-moyens-pour-
      #ESR

    • #LPPR/ Des annonces en trompe-l’œil bien loin de la réalité de l’enseignement supérieur et de la recherche

      Le Président de la République vient d’annoncer, le 19 mars 2020, une augmentation du budget de la recherche de 5 Md€ sur dix ans représentant à ses yeux « un #effort_inédit » depuis 1945. Cette annonce faite en plein cœur d’une crise sanitaire majeure qui met les établissements face à une situation très tendue, notamment du point de vue de la protection des personnels et usagers et de la continuité du service public de l’ESR, pose de nombreuses questions.

      Pour l’année budgétaire à venir, cela représenterait une augmentation de 400 millions d’euros a quant à elle précisé Frédérique Vidal.

      Contrairement aux apparences, ces annonces ne font que reprendre certains engagements et sont loin de répondre aux besoins urgents que nous exprimons maintenant depuis des mois. Le financement public de l’ESR nécessite un investissement de 3 milliards d’€/an pendant 10 ans pour atteindre l’objectif de 1 % du PIB pour la recherche publique et 2 % du PIB pour l’enseignement supérieur. Nous sommes loin du compte.

      Par ailleurs, ces annonces posent des problèmes de fond :

      1/ la conversion récente du Président de la République et de son gouvernement à la défense du service public ne nous fait pas oublier les attaques multiples concernant la fonction publique contenues dans les rapports préparatoires au projet de LPPR et au-delà dans la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019. Le SNESUP-FSU rappelle son attachement à un service public de l’ESR au service de l’intérêt général et qui permette l’accès et la réussite de tou·tes les étudiant·es ;

      2/ le sursaut annoncé repose essentiellement dans un premier temps sur une augmentation du budget de l’#ANR. Il ne mettra pas fin aux limites intrinsèques de la recherche sur projet dénoncées par la plupart de la communauté scientifique. Que la recherche publique sur les coronavirus ait été délaissée du fait des mécanismes de concurrence induits par la recherche sur projet devrait pourtant nous alerter sur les dysfonctionnements graves de notre système de recherche. Débloquer des fonds en urgence pour la recherche en « santé globale » et seulement à cause de l’urgence témoigne d’une incompréhension totale de la temporalité propre à la recherche scientifique fondamentale. Faudra-t-il attendre d’autres crises (environnementale, énergétique, alimentaire, sociale, démocratique, etc.) pour que d’autres champs de connaissance bénéficient des fonds nécessaires pour mener leurs recherches ?

      Le SNESUP-FSU réaffirme la nécessité d’un financement pluriannuel reposant sur une augmentation significative des crédits de base de tous les laboratoires et non sur la généralisation des appels à projets ;

      3/ l’urgence d’un plan massif d’emploi scientifique reste complètement absente des propositions alors qu’elle est au cœur des revendications de la communauté universitaire. 6000 emplois par an sur 10 ans, toutes catégories confondues, sont nécessaires pour mettre fin d’urgence à la politique de précarisation et le recours massif aux vacataires.

      Face à la crise actuelle, la responsabilité de toutes et de tous est engagée. La nôtre, mais également celle du ministère qui ne peut se contenter d’annonces en trompe-l’œil. Nous attendons bien mieux.

      https://www.snesup.fr/article/lppr-des-annonces-en-trompe-loeil-bien-loin-de-la-realite-de-lenseignement-su

    • Recherche : la rupture selon E. Macron, c’est de ne rien changer

      En pleine crise épidémique, c’est avec un aplomb consternant tant il est déplacé, qu’Emmanuel Macron et le gouvernement ont annoncé des mesures concernant la recherche et l’enseignement supérieur, présentées comme d’une ampleur rare. Pendant la crise, l’enfumage continue. Décryptage d’un virage... à 360 degrés.

      Le 19 mars, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur à Paris, E. Macron a déclaré « J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre effort de recherche, effort inédit depuis la période de l’après-guerre ». Bien sûr, il est absolument pathétique de constater qu’il a fallu ce genre de crise pour qu’enfin nos dirigeants comprennent, ou feignent de comprendre, « le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d’investir massivement pour le long terme » (un autre élément de la déclaration d’E. Macron).

      Diriger, a fortiori diriger un pays, c’est prévoir, pas prendre des mesures quand on est déjà dans le mur. En complément de cette annonce, la ministre de la Recherche Frédérique #Vidal, également présente, a expliqué que le « #réinvestissement massif de 5 milliards d’euros allait s’ajouter aux 15 milliards d’euros déjà prévus, ce qui « fait une augmentation de 25% ». L’Elysée a précisé que cet effort se fera sur dix ans dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche (« #LPPR ») en cours de préparation et qu’il « se traduira notamment par une nouvelle augmentation du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR, un milliard d’euros supplémentaires, NDLR), une revalorisation substantielle des carrières, la création de nouvelles chaires de #professeurs_juniors et une amélioration de l’#efficacité de notre système de recherche ».

      Voilà les annonces. Alors on hésite entre le « Ouah ! » devant l’« ampleur » des sommes annoncées, le « Aïe ! » au rappel de cette fichue LPPR qui est toujours dans les tuyaux, et le « Euh… » ne s’agirait-il pas d’une opération de communication, au timing particulièrement cynique, et ne seraient-ils pas en train de nous enfumer ? Alors essayons d’y voir plus clair.

      Concernant les sommes tout d’abord. Commençons par rappeler, une fois encore, les engagements européens de la France (depuis le Conseil européen de Barcelone en mars 2002) impliquant notamment que le pays devait consacrer 1% de son PIB à la recherche publique. Notons au passage que cet engagement européen a été maintes fois répété par les gouvernements qui se sont succédés depuis et que le budget de la recherche publique française continue cependant de stagner entre 0.75 et 0.80% du PIB. Comme quoi, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, un point sur lequel nous reviendrons.

      Pour que notre pays tienne, enfin !, ses engagement pris à Barcelone, il faudrait par exemple qu’il augmente par paliers ses dépenses publiques de recherche de 2 milliards d’euros par an pendant 3 ans (voir p. 18), donc, par rapport au budget actuel, +2 milliards l’an prochain, + 4 milliards l’année suivante, et + 6 milliards ensuite. Sur la période de 10 ans évoquée par les annonces récentes, cela représente donc 54 milliards d’euros. Aux contribuables qui seraient effrayés par ces sommes, rappelons que, sur 10 ans, ce ne sont pas moins de 60 à 70 milliards d’euros qui sont offerts aux entreprises par le biais du Crédit Impôt Recherche (CIR), dont l’inefficacité a pourtant été dénoncée par tous depuis longtemps (y compris la cours des comptes), et qui ne nous permet même pas aujourd’hui en retour d’avoir en quantité suffisante les médicaments dont nous aurions besoin (fabriquer en Asie, c’est moins cher ; il ne faudrait surtout pas que le CIR serve à maintenir l’emploi scientifique privé en France, ça ferait baisser les dividendes des actionnaires). Conclusion, même si les intentions ostentatoirement arborées pourraient paraitre bonnes, le compte n’y est pas, loin de là (et, à nouveau, nous reviendrons sur cette notion d’intention).

      Comment ensuite interpréter ce chiffre de 5 milliards ?

      La communication est malheureusement bien floue, ou au contraire très maitrisée dans ce flou, et il est difficile de s’y retrouver. 5 milliards, qui s’ajoutent aux 15 initialement prévus, ce qui fait une augmentation de 25%, le tout sur 10 ans. Triturez-vous les neurones dans tous les sens, rien ne colle. Quand on dit qu’on passe de 15 à 20 milliards, cela fait une augmentation de 33.3%, pas de 25%, mais ça, passe encore, F. Vidal nous a habitués à sa perception très personnelle de l’arithmétique. Quand on me dit que l’on va ajouter 5 milliards aux 15 initialement prévus, je comprends que le budget 2021 de l’ESR sera de 20 milliards d’euros. Si cela était +5 milliards dès l’an prochain et pendant 10 ans, ceci serait, pour le coup, environ ce qu’il manque pour tenir nos engagements de Lisbonne.

      Mais en sortant d’une crise comme celle que nous vivons, on peut raisonnablement supposer qu’il ne s’agit pas de cela. On peut aussi comprendre qu’il va y avoir 5 milliards de plus, en tout, et répartis sur 10 ans, soit 500 millions d’euros de plus par an en moyenne. Si c’est cela, c’est dérisoire au regard des besoins, mais aussi au regard de la crise, et au passage, c’est l’augmentation qui a déjà eu lieu cette année (et voir plus bas ce que cela veut vraiment dire). Mais il semblerait, tel que semble le comprendre la majorité des gens, que ce qui nous est dit, c’est que le budget de la recherche finira, dans 10 ans, par être de 5 milliards de plus par an qu’aujourd’hui. Si tel est le cas, nous sommes donc très loin des 54 milliards d’euros qu’il faudrait dépenser d’ici là pour avoir une recherche publique financée à hauteur de 1% du PIB, surtout lorsque l’on aura pris en compte 10 ans d’inflations et de GVT (cf plus bas).

      Passons maintenant à la « stratégie ». Dans la complète logique de ce qui avait déjà été évoqué concernant la LPPR, un renforcement majeur du financement de l’ANR (un milliard !) est annoncé. C’est absolument contraire à ce qu’attend la majorité des chercheurs, comme exprimé par le Comité National de la Recherche Scientifique, les sociétés savantes, ou encore le rapport à l’Assemblée National de la commission présidée par Amélie de Montchalin et Patrick Hetzel (la question 5, presque à la fin) qui montre que 2% (!) seulement des chercheurs interrogés souhaitent accorder une priorité au financement sur projet alors que 75% souhaitent accorder la priorité au financement récurrent.

      Dans son avis du 24 février dernier, à propos de la préparation de la LPPR, le Comité d’Ethique du CNRS (COMETS) rappelle qu’un « équilibre entre ressources récurrentes et contractuelles est nécessaire pour garantir l’indépendance des chercheurs, stimuler la découverte de nouveaux objets d’étude et favoriser la recherche fondamentale sur le long terme » et que « La domination de priorités thématiques dans le financement de la recherche a des conséquences négatives sur la diversité et la créativité de la production scientifique ». Rappelons que cette domination des #priorités_thématiques est un travers inhérent à la logique d’appel à projet, tout comme bien sûr la logique de #compétition . Qu’en pense le COMETS ? : « L’instauration de la compétition comme dynamique de la recherche est propice au développement de méconduites et fraudes telles que le plagiat et la falsification des résultats. Par ailleurs, la pression s’exerçant sur le chercheur peut générer diverses formes de harcèlement ».

      Un autre point cité de la stratégie, là aussi déjà présenté par ailleurs, est la création de nouvelles chaires de professeurs juniors, dont les modalités restent nébuleuses sauf sur un point évident qui est l’iniquité que ces postes créeraient. L’idée de ces postes est d’attirer des « #stars ». Or, voici ce que nous en dit le COMETS : « L’incitation au recrutement et à l’évaluation des personnels principalement selon des critères bibliométriques ne garantit pas le développement d’une recherche de qualité, pas plus que l’embauche de « stars » selon ces mêmes critères ».

      Quant à l’amélioration de l’efficacité de notre système de recherche, comment peut-on imaginer qu’il sera changé autrement que dans la logique à l’œuvre depuis une vingtaine d’années, les mêmes conseillers, la même idéologie, s’exprimant toujours au sein du ministère ? On ira encore un peu plus loin dans une logique qui a en fait détérioré l’efficacité de notre système de recherche par deux principaux facteurs : la complexification au motif de la simplification, et la pénurie extrême de personnel pérenne, comme expliqué ici.

      Pour autant, malgré ce décryptage, n’est-il pas déplacé de minauder ainsi sur des « « « détails » » » alors que l’on nous annonce une augmentation de budget ? Méfions-nous des effets d’annonce. En début d’année, le ministère plastronnait tel Tartarin, en annonçant un budget 2020 de 25,49 milliards d’euros avec une « hausse de + 500 millions d’euros par rapport à l’an passé représentant 10 % de la hausse du budget de l’État entre 2019 et 2020 ». Mais en janvier 2020, il y avait une inflation à 1.5% sur un an. Tenant compte de cette inflation, le budget 2019, reconduit en euros constant en 2020, aurait donc été de 25.36 milliards. L’augmentation réelle en euros constants n’était donc que de 125 millions d’euros environ. Or, il faut aussi tenir compte de ce que l’on appelle le GVT (Glissement Vieillesse Technicité), lié à la progression des rémunérations des personnels au cours de leur carrière. Au CNRS, le GVT est d’environ 25 millions d’euros par an. Comme le budget du CNRS représente environ 10% du budget du MESRI, on peut estimer à 250 millions d’euros le GVT pour l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).

      Ainsi, entre 2019 et 2020, malgré l’annonce d’une augmentation de 500 millions, il y a donc eu 125 millions d’euros en moins pour faire de la recherche. Certes, d’autres ministères n’ont pas eu l’heur d’une telle augmentation ; au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Alors, quand, nouvelle tartarinade, on annonce une « première marche de 400 millions » dès 2021, selon ce que l’on vient de voir, c’est 100 millions de moins qu’en 2020, ce qui veut dire que ce n’est pas 125, mais environ 225 millions en moins qui seront perdus par la recherche en 2021 par rapport à 2019.

      Surtout, souvenons-nous des engagements pris à Lisbonne, et jamais tenus depuis 18 ans. Soyons aussi extrêmement conscients du fait que notre pays sortira de cette crise épidémique très affaibli économiquement, donc que les recettes de l’Etat seront très diminuées. Qui peut avoir la naïveté de croire qu’un gouvernement néolibéral, dans un monde néolibéral, va accroitre massivement ses dépenses publiques dans une phase de sortie de crise où ses comptes seront encore plus dans le rouge qu’il y a deux mois, quand la cours des comptes l’exhortait à réduire ses dépenses publiques ? (Re)lisez, c’est crucial, ce billet antérieur expliquant qu’en matière de budget, aucun engagement ne peut jamais être tenu. Quelles que soient les annonces carillonnantes faites aujourd’hui, nous n’aurons de certitude sur le budget consacré à l’ESR en 2021 que lorsque le budget de l’État pour 2021 sera voté, idem pour 2022 et toutes les années suivantes.

      En pleine crise, nos dirigeants essaient de faire croire aux français qu’ils ont vraiment compris, et qu’ils vont être les sauveurs de la recherche.

      Mais comme nous l’avons vu, tant pour les montants annoncés que pour la stratégie, rien ne correspond à ce qui serait nécessaire pour qu’il y ait une rupture. Il s’agit donc là de pure #communication, mais aussi d’une façon de mettre en place, en force, le contenu néfaste de la LPPR, à défaut de la LPPR elle-même, alors que l’épidémie fait rage et que les personnels de l’ESR ne peuvent plus mener aucune action pour s’y opposer. Quelle abjection que de faire croire au plus grand nombre que l’on va sauver ce que l’on continue à mutiler ! Quel #cynisme absolu faut-il avoir pour refuser tout débat (cf. la non communication des tous les ministres à ce sujet) concernant l’état désastreux de l’hôpital ou de la recherche, au nom d’une « union sacrée » qui serait indispensable en temps de guerre, tout en profitant de cette période pour couper court à tout débat dans le cadre de la mise en place d’une loi âprement combattue.

      Avec ces annonces, E. Macron et son gouvernement ont montré de la plus éclatante manière que contrairement aux envolées lyriques d’il y a une semaine, absolument rien ne change dans leur logique. En effet, qui peut croire un Président, qui, le 12 mars dernier nous disait qu’il « nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties », qui ajoutait « les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de #rupture en ce sens. Je les assumerai », et qui aujourd’hui propose aux chercheurs exactement les mêmes mesures que celles qu’ils combattent depuis des mois.

      Du 12 au 19 mars, il ne lui aura fallu qu’une semaine pour renoncer à tirer les leçons, interroger le modèle, et, en guise de rupture, proposer aux personnels de l’ESR des mesures strictement inchangées, où l’appel à projet, le pilotage de la recherche, la compétition à outrance sont rois, où absolument rien n’est proposé pour résoudre la crise extrême de l’emploi pérenne, pourtant source de tant de souffrance et de tant d’inefficacité.

      Il est probable que dans les jours qui viennent, devant l’ampleur des mouvements de soutien aux personnels de santé qui, chaque soir à 20h, rassemblent les français à leurs fenêtres, des annonces soient faites concernant l’hôpital public, et qui ont malheureusement toutes les chances d’être dans le même esprit, dans le même aveuglement.

      Car il est effarant tout autant qu’effrayant de constater à quel point l’#aveuglement_idéologique est ici à l’œuvre et empêche toute rupture. Ils ne peuvent pas changer, ils ne peuvent pas prendre et assumer des décisions de rupture car ils sont prisonniers de leur #idéologie. Puisque nos actuels gouvernants sont absolument incapables d’opérer les ruptures que E. Macron pense indispensables, si l’on pense comme lui que ces ruptures sont effectivement vitales, il n’y a pas d’autre solution que de changer de responsables, donc déjà, dans un premier temps, de gouvernement, en attendant les prochaines élections.

      Quand le temps du confinement sera passé, puisque nous savons déjà, pour la recherche au moins, quelles sont les intentions, aux antipodes de toute rupture, espérons que cette crise épidémique aura mis en évidence aux yeux de tous les français l’ampleur de l’incurie dans l’hôpital public et la recherche, qu’ils seront attentifs et solidaires aux demandes des personnels de ces deux institutions, et qu’au-delà, ils pèseront de tout leur poids de citoyens, de toutes les façons, pour qu’il y ait, enfin, les ruptures profondes et véritables qui seules nous donneront les moyens de faire face à la crise climatique, bien plus grave et bien plus durable que celle que nous vivons aujourd’hui.

      https://blogs.mediapart.fr/marchalfrancois/blog/200320/recherche-la-rupture-selon-e-macron-c-est-de-ne-rien-changer

      #stratégie_du_choc

    • L’Agence nationale de la recherche en quarantaine, vite ! - communiqué du SNCS, 19 mars 2020

      La crise provoquée par le SARS-CoV-2 étant brutalement entrée dans sa phase aiguë, un appel à la recherche, en vue de trouver des moyens d’endiguer l’épidémie de CoviD-19, a été lancé par le gouvernement. On ne rattrapera pas le temps perdu à ne pas financer comme elles auraient dû l’être les équipes qui travaillaient, depuis le début du siècle, sur les coronavirus. Mais il faudrait au moins, maintenant, ne pas faire exprès de perdre encore du temps.

      Or à l’heure – car c’est pratiquement une question d’heures – où il conviendrait de doper sans retenue toutes les équipes qui travaillent sur le SARS-CoV-2 et les systèmes qui peuvent lui être apparentés, que fait le gouvernement ? Il charge l’ANR de lancer un appel à projets ! Toujours avec les mêmes idées négatives : 1°) ne risquer dans l’affaire sou qui soit mal placé 2°) ne pas s’exposer à financer des équipes qui pourraient ne rien trouver ... 3°) surtout ne pas faire confiance directement aux établissements publics de recherche, en particulier ne tenir aucun compte de la continuité de leur culture scientifique, de leurs capacités de réaction immédiate ni de leurs compétences collectives ...

      Cette mascarade, ridicule en temps normal, est aujourd’hui potentiellement criminelle. Il faut, sans attendre - sans détour par l’ANR - financer sans restriction, « quoiqu’il en coûte », les équipes de recherche qui peuvent travailler sur le SARS-CoV-2. Des crédits doivent être alloués pour cela immédiatement au CNRS, à l’INSERM, à l’IRD et à l’INRAE.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8688

    • Coronavirus et financement de la recherche : poudre de perlimpimpin

      Les #effets_d’annonce d’Emmanuel Macron en pleine crise du coronavirus renforcent notre #colère et notre détermination : nous voulons des moyens et des postes pour produire une recherche de qualité MAINTENANT !

      Emmanuel Macron, qui n’a de cesse de scandaliser les soignant∙es et les chercheur∙ses mobilisé∙es depuis le début de la crise du COVID-19, ajoute l’#ignominie à l’#indécence. Il promet ainsi, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur, une « hausse du budget de la recherche à hauteur de cinq milliards d’euros sur dix ans » — ce qui, ramené au budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), représente 2% d’augmentation par an. Les 400 millions promis par Frédérique Vidal dès 2021, sont en dessous des 700 millions d’augmentation en 2018 et des 850 millions en 2019. Ces 5 milliards sont donc au mieux équivalent à l’investissement des 10 dernières années qui nous ont amenés à cette situation catastrophique.

      Nous supposons que la France est la seule nation qui ait besoin du COVID-19 pour « connaître le #caractère_vital de la #recherche_scientifique » et savoir qu’il fallait donner aux équipes de recherches des emplois permanents et des moyens pour travailler. Cet effort est promis depuis 2000 (#stratégie_de_Lisbonne) et demandé depuis tout aussi longtemps par les Universités et les établissements publics de recherche (EPST). Nous aimerions que le Président ne se prévale pas de l’après-guerre, qui a connu la réorganisation du CNRS créé par Jean Zay en 1939, et encore moins d’un « #effort_inédit », lui qui a contribué depuis son arrivée au Ministre de l’économie et des finances, à détruire l’emploi scientifique permanent, en multipliant les contrats précaires.

      Aujourd’hui, alors que l’ensemble des instances représentatives de la recherche publique demande la création massive de #postes_titulaires et l’augmentation des #financements_récurrents aux laboratoires, Emmanuel Macron répond par des postes précaires et des #investissements_fléchés par appels à projet #ANR. Alors que les Universités et la recherche, mobilisées depuis le 5 décembre et à l’arrêt le 5 mars, réclament des moyens de fonctionner décemment, comme nous l’exprimions dans notre motion issue de la coordination nationale des facs et labos en lutte qui a réuni 500 universitaires représentant 10 000 mobilisés de toute la France, Emmanuel Macron nous répond avec encore plus de #mépris et nous distribue des miettes pourtant déjà prévues depuis longtemps.

      Jusqu’à présent, cette #politique_austéritaire ne semblait toucher que les étudiant·es les moins doté·es et les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche pressurisé.e.s et précarisé·es dramatiquement. Ce que met en lumière la crise du COVID-19, c’est que cette politique d’#austérité est mortelle pour l’ensemble de la population. Faute de moyens donnés aux chercheurs de faire de la recherche, nous sommes privés d’une des « armes » les plus efficaces de la guerre revendiquée par Emmanuel Macron : celle des résultats scientifiques de qualité permettant de résoudre les crises majeures.

      Emmanuel Macron et Frédérique Vidal feraient mieux d’écouter #Bruno_Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus au CNRS, qui dénonce très exactement la méthode et les logiques dans lesquelles ce gouvernement s’enferre, en qualifiant de « #hold-up » l’assèchement des financements pérennes au profit de l’ANR et du #Crédit_Impôt_Recherche. Nous réclamons, pour arriver à l’objectif minimal de 1% du PIB dédié à la recherche publique, 10 milliards, immédiatement et dans les trois années à venir, sous forme de #titularisations de chercheur.e.s précaires, de créations de postes et d’augmentation des crédits aux laboratoires publics.

      Avec cette déclaration d’Emmanuel Macron, nous sommes donc très loin des besoins réels de la #recherche_publique. Le plus insupportable serait de penser que la hausse de budget promise n’aille pas totalement à la recherche, mais bien plutôt à l’#optimisation_fiscale privée. Depuis plusieurs années, sur le budget du MESRI, figurent 6,5 milliards de Crédit Impôt Recherche (#CIR), utilisés quasi exclusivement pour de l’optimisation fiscale, qui représente un quart du budget de l’Enseignement supérieur et recherche et deux fois le budget du CNRS. Nous demandons donc sa suppression1.

      Cette suppression du CIR permettra de dépenser utilement et immédiatement ce budget pour les acteurs en première ligne sur le front de la lutte contre l’épidémie et qui en ont cruellement besoin : les patient∙es, les soignant∙es et les personnels de la recherche. Maintenant.

      https://academia.hypotheses.org/21299

    • Coronavirus : « On aurait pu sans doute avoir un vaccin et / ou des traitements prêts… »

      Bonjour, peux-tu d’abord brièvement te présenter ?
      Je suis immunologiste, chercheur CNRS dans une unité INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) en milieu hospitalier, retraité depuis 2009 mais directeur de recherches émérite, et, à ce titre, en temps normal, je vais tous les jours à mon labo.

      Commençons par le commencement : CoVid ?
      C’est un « nouveau » virus, pour l’homme en tout cas, puisqu’il était présent depuis longtemps chez le pangolin et la chauve-souris (la transmission vient plus probablement d’elle). La séquence du génome l’a démontré. Il n’est nul besoin d’imaginer un complot de l’armée US ou des laboratoires chinois. Des transmissions de ce genre se sont déjà produites : Ebola, le Sida où là encore les théories du complot ont surgi alors que les équipes de Pasteur en France et au Cameroun (entre autres) ont démontré le rôle des chimpanzés et/ou du singe vert. C’est un virus « émergent », comme l’a été en son temps (2002-2003) le SARS-CoV-1, responsable du SRAS, lui aussi un coronavirus. Ils appartiennent à la même famille, qui n’a rien a voir avec les virus de la grippe, mais ce coronavirus là est nettement plus contagieux que le SARS-CoV-1.

      Tu parles de virus émergents. Était-ce « prévisible » ?
      Oui, et je renvoie d’ailleurs à l’excellent article du Monde diplomatique de mars1. La multiplication des épidémies et pandémies à intervalles de plus en plus rapprochés est pour beaucoup d’éco-scientifiques liée à la mondialisation : transports aériens (qui nous mènent en quelques heures là où les caravelles prenaient des semaines) et réseaux routiers « désenclavant » les petits villages auparavant isolés – ce qui limitait la propagation – se surimposant à l’envahissement/destruction d’écosystèmes à des fins mercantiles, provoquant inévitablement la « confrontation » de l’homme à des virus avec lesquels il n’a eu aucun contact récent. Dans notre cas, la survenue d’une nouvelle épidémie à SARS était inévitable. D’où l’existence de réseaux d’alerte.

      Mais était-ce prévisible, donc pouvait-on avoir une action préventive ?
      Il est difficile de dire « oui » dans la mesure où les recherches ad hoc ont été stoppées avant d’aboutir. Un petit parallèle avec d’autres virus est utile. Pour la grippe, par exemple, on « prévoit » les mutations à venir, de sorte que l’on vaccine chaque année contre l’épidémie qui va survenir. Cela n’exclut pas une mutation inattendue. Ça a été le cas du H1N1 (2009-2010), mais l’existence d’équipes en alerte continue sur le sujet a permis de détenir très vite un vaccin, et de vacciner en masse. On sait que la mortalité en Europe et USA a été estimée au préalable de façon excessive, ce qui a nourri en 2010, et ensuite, les soupçons de collusion entre OMS et industrie pharmaceutique pour écouler une surproduction vaccinale.
      Là, pour les corona, c’est un peu l’inverse. La structure des virus corona permettait d’envisager un/des déterminant(s) antigénique(s) commun(s) permettant le projet d’un « pan vaccin » anti-corona. Un des meilleurs spécialistes français à ce sujet, Bruno Canard, mérite d’être cité longuement : « On venait alors de lancer de grands programmes de génomique structurale sur les virus pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus. Un projet européen lancé à cette fin à l’époque a été suivi d’autres programmes. L’irruption du SARS-CoV en 2003 a illustré la pertinence de cette démarche. Cela nous a conduits à décrire une première structure cristallographique dès 2004. […] Je pense qu’énormément de temps a été perdu entre 2003 et aujourd’hui pour trouver des médicaments. En 2006, l’intérêt pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. Nous avons alors eu du mal à financer nos recherches. L’Europe s’est dégagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Or, la science ne marche pas comme cela. Cela prend du temps et de la réflexion. […] J’ai pensé à tous les projets ANR (Agence nationale de la recherche) que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés. J’ai pensé à ce projet ANR franco-allemand, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de le redéposer tel quel un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits. »2

      Tu veux dire que des projets de recherche sur des « pan vaccins » existaient et qu’ils n’ont pas été financés ?
      Oui. D’abord, ça prend du temps de rédiger des projets et de les soumettre pour ne pas survivre qu’avec de maigres projets récurrents. Ensuite, il faut attendre et, en France, les projets retenus par l’Agence nationale de la recherche ne sont qu’une fraction des projets soumis, et c’est la même chose au niveau européen.
      De plus, ces projets sont soumis en réponse le plus souvent à des « appels d’offres » qui correspondent aux sujets « en pointe », « prioritaires », à la mode ou « susceptibles de débouchés importants »… On voit ici, je vais y revenir, le danger de collusion public-privé…

      Tu veux dire que les établissements français de recherche ne sont plus subventionnés comme « avant » ?
      Oui. Quand j’ai démarré la recherche je fonctionnais très bien avec les seuls crédits d’État récurrents (normalement reconduits d’année en année). Puis sont apparus, à la fin des années 1970, les « actions thématiques programmées ». Mais elles représentaient une « cerise sur le gâteau ».
      La situation s’est vite dégradée sous Chirac, puis Sarkozy et Hollande. D’abord, les crédits récurrents – hors grands instruments et programmes spatiaux – ont été rognés systématiquement, en dépit des promesses d’atteindre le niveau, défini par l’Europe, de 2 puis 3 % du PIB… Actuellement, un labo INSERM – favorisé par rapport au CNRS – ne fonctionne qu’à 25-30 % sur crédits récurrents, 15 à 20 % pour le CNRS. Puis sont venus les financements « privés », qui certes (ARC, LNFCC pour le cancer, legs à Pasteur ou à Curie) existaient déjà, mais une nouvelle ampleur a été donnée par Téléthon et Sidaction (« La recherche ne doit pas vivre de quêtes » reste un slogan d’actualité). Puis les fameux projets ANR.

      Tu parais très critique sur la recherche sur projets…
      Soyons clairs : jamais au Wellcome Research Institute ni au NIH (Bethesda, près de Washington, USA) on ne m’a demandé dans les années 1973-1974 puis 1980-1981 mon projet comme « exchange fellow » puis « visiting scientist », ni à mon retour sous Mitterrand et même Chirac au début. J’avais, attention – comme on l’a encore – une évaluation annuelle sur « rapport d’activité », et le labo était évalué tous les quatre ans, avec dépôt d’un nouveau projet pour reconduction ou fermeture. La recherche en réponse sur projets change tout. Hors thématiques que l’on ne peut abandonner (la recherche sur le Sida en est un exemple), ça donne beaucoup de définitions programmatiques par des technocrates… Or, comme disaient les manifestants au temps de « Sauver la Recherche », sous Fillon, « l’ampoule électrique n’a pas été inventée en faisant des programmes sur la prolongation de la vie et l’amélioration de la luminosité de la bougie ». Puis sont venues les fausses déclarations sur les budgets en augmentation, et en parallèle les coupes de postes… et l’arrivée des ­partenariats public-privé.

      Le privé joue un rôle ?
      Eh oui ! Merci Jospin, merci Allègre (et aussi Geismar), et la loi innovation recherche qui permet de créer des start-up à côté de son labo, mais aussi le crédit impôt recherche, don de milliards d’euros au privé sans retour vérifié, Cour des comptes dixit. Dans un certain nombre de cas, start-up et grosses boîtes pharmaceutiques deviennent de fait co-directeurs du labo… public.

      Et les postes ?
      Alors là, cata absolue : chute des postes, développement de la précarisation – très net en biologie mais pas que là –, d’où les premières manifestations sous Fillon, et la manifestation récente des collectifs de laboratoires.
      Macron annonce une augmentation du budget recherche sur 10 ans…
      D’abord, le compte n’y est même pas, comme le souligne le communiqué du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). Ensuite, on a l’habitude de ces annonces. Tant qu’il n y aura pas de vote sur ça au Parlement, je resterais plus que sceptique… Pour moi, ce qui compte, c’est la situation actuelle qui est quasi catastrophique…

      Alors, le virus ?
      Bon, on aurait pu sans doute avoir un vaccin et/ou des traitements prêts… Mais ça, c’est un investissement sur l’avenir. Pas toujours à fonds perdus. Parfois oui. C’est comme les machines à amplification génique (PCR, Polymerase Chain Reaction) pour détecter le virus. En avoir un nombre apparemment surdimensionné aurait en fait permis un dépistage à large échelle et une stratégie à la coréenne. Alors, bon, comme dit Bruno Canard, des chercheurs vont être mobilisés en urgence sur un « crash program »… Trop peu, trop tard. Et là encore, avec œil du privé qui, depuis les années 1990, investit peu en vraie recherche, mais engrange les profits. Alors qu’on a refusé entre 2009 et 2019 d’investir dans des projets fondamentaux (j’ai pris Canard comme exemple, il y en a d’autres).
      La recherche, comme les infra­structures hospitalières, est un investissement sur l’avenir et le public, pas une « short run », à flux tendu, avec personnel précarisé, pour profits immédiats. Une politique, disons-le, et on le voit à chaque crise, criminelle.

      https://npa2009.org/arguments/sante/coronavirus-aurait-pu-sans-doute-avoir-un-vaccin-et-ou-des-traitements-pret

    • Refonder l’Université et la Recherche pour retrouver prise sur le monde et nos vies

      La pandémie met à nu les inconséquences des politiques actuelles vis à vis de la recherche, de l’université ou de l’hôpital, estime un collectif de chercheurs et d’universitaires. Dans cette tribune, ils lancent un appel à la mobilisation pour reconstruire une politique scientifique de long terme et relever les défis environnemental, social et démocratique de notre pays.

      Nous affrontons une crise sanitaire majeure qui vient nous rappeler la fragilité de nos vies et de nos sociétés et la nécessité de systèmes de solidarité organisés, solides et pérennes : école, santé, retraites… Il aura fallu la pandémie du Covid‐19 pour que le pouvoir politique se souvienne brusquement de l’importance vitale d’institutions qu’il a pourtant détruites méthodiquement. En quarante ans, l’Hôpital français est passé de 11 à 6 lits pour mille habitants ; sur les seules six dernières années, 17 500 lits de nuit ont été supprimés. Les personnels hospitaliers sont en effectifs si réduits que des étudiants et des retraités sont aujourd’hui réquisitionnés comme forces supplétives. Alors même que les espoirs de traitement du virus dépendent des chercheurs, cela fait quinze ans que la recherche scientifique à l’Université et dans les grands organismes comme l’Inserm ou le CNRS subit le primat donné à des projets de court terme, pilotés bureaucratiquement, et concentrant sur quelques thèmes définis comme “porteurs” des moyens globalement en déclin. Quinze ans de démolition !

      La pandémie agit comme un révélateur : elle confirme aux yeux de tous que l’Université et la recherche publique auraient dû rester une priorité pour nos sociétés et que la diversité des axes de recherche, le temps long et les financements pérennes sont les conditions de son bon développement. Nous voyons bien que les appels à projets lancés de manière improvisée en réaction à chaque crise tiennent plus de la communication impuissante que de la programmation éclairée. Le mal est profond : les procédures bureaucratiques de mise en concurrence ne favorisent que le conformisme quand la liberté de recherche permet des découvertes fondamentales. Ce qui était choquant en temps ordinaire est devenu obscène en temps de crise. La pandémie du coronavirus met ainsi à nu l’inconséquence des politiques menées ces dernières décennies, dont la responsabilité est partagée par tous les gouvernements qui les ont appliquées.

      Derrière l’urgence sanitaire, notre société doit affronter trois autres crises : environnementale, sociale et démocratique

      En plus de l’urgence sanitaire qui révèle la crise de notre système de santé, notre société doit affronter trois autres crises : environnementale, sociale et démocratique. La crise écologique et climatique, au gré des catastrophes toujours plus nombreuses qu’elle engendre, affecte un peu plus chaque jour nos vies. Pas plus que pour les épidémies, l’alerte des scientifiques et de la jeunesse du monde entier sur la gravité du réchauffement climatique n’a conduit à prendre les mesures radicales qui s’imposaient. Sur le plan social, les dernières décennies ont été marquées par le creusement d’inégalités matérielles, territoriales, fiscales et culturelles. Enfin, une crise démocratique et politique conduit les citoyens à se détourner massivement de dirigeants incapables de répondre à leurs attentes ou agissant contre l’intérêt général. Même si chaque jour de nouveaux secteurs de la société expriment une volonté de redonner du sens à l’existence et d’en finir avec l’individualisme et le repli sur la sphère privée, cette aspiration profonde à décider des règles collectives que la société se donne, cette volonté des citoyens conscients de ce qui les relie se heurtent à l’imprévoyance, à la cécité et à l’autoritarisme de gouvernants qui confisquent la décision.

      Tous les savoirs scientifiquement construits par les recherches théoriques, par l’expérience, l’enquête, l’observation, la confrontation des hypothèses et des résultats, sont indispensables pour surmonter ces crises. Or, les institutions qui créent, transmettent, conservent et critiquent les savoirs, sortent exsangues de la période qui s’achève. Elles doivent être reconstruites sur de nouvelles bases, capables de faire vivre des sciences diverses et créatives, aptes à anticiper les défis auxquels notre société doit faire face. Ce travail de refondation de l’Université et de la recherche doit échapper à l’emprise des « experts » et des bureaucrates : il doit s’articuler à l’exigence démocratique et, en cela, il y a une affinité profonde entre le temps long de la science, son ancrage dans l’expérience et la controverse savantes, et l’exercice de la démocratie, impliquant la délibération et l’attention à l’expérience ordinaire des citoyens.

      L’indépendance du monde savant doit être garantie par des statuts protecteurs, des moyens et du temps long

      Pour nous, le temps est venu d’une refondation de l’Université et de la recherche reposant sur deux principes régulateurs. L’aspiration collective à déchiffrer l’inconnu suppose l’indépendance effective du monde savant vis‐à‐vis de tous les pouvoirs : cette autonomie doit être garantie par des moyens répartis entre les disciplines en fonction de leurs besoins, par des statuts protecteurs des libertés académiques et par le temps long nécessaire au développement de toute recherche. Le corollaire de l’autonomie du monde savant est son engagement sur un principe : sa responsabilité vis‐à‐vis de la société. L’usage politique, technique et industriel des travaux scientifiques doit se décider dans un cadre pluraliste et démocratique, en accord avec l’intérêt commun. Cela suppose de réinstituer l’Université comme lieu de formation des citoyens à une pensée autonome et aux savoirs critiques, et comme lieu de production et de transmission au plus grand nombre de connaissances scientifiques et techniques. À rebours des propensions récentes au conformisme, à la bureaucratie et à la généralisation d’une sélection prétendument darwinienne, cette institution implique aussi que l’Université éclaire le débat démocratique par l’élaboration de synthèses plurielles, établies par la confrontation savante, plutôt que par une évaluation technocratique, toujours en retard d’une crise.

      Face à la gravité de la situation qui affecte nos vies, l’heure n’est pas aux mises en cause individuelles. Mais nous n’oublierons pas ce qui a permis que l’on en arrive là. Les morts de cette crise nous obligent. Et nous ne laisserons pas celles et ceux qui n’ont pas su la prévenir ou en réduire la portée, la résoudre par des mesures liberticides, ou mettre en place un énième plan d’austérité justifié par une dette que des politiques aveugles ont contribué à fabriquer. Le métier de scientifique ne consiste pas à aménager la crise ou climatiser l’enfer, ni à bâillonner la démocratie au nom du savoir expert.

      Conscients des crises qui frappent notre société, nous appelons chacun et chacune à se mobiliser pour engager la refondation de notre monde abîmé. Ce printemps, dès la fin du confinement, nous nous engageons à repenser collectivement l’ensemble de nos institutions sociales, politiques et économiques et à poser les jalons d’une société conforme à nos aspirations et à nos besoins. Après l’été, nous convions l’ensemble des citoyens à des Assises de la Refondation, le 20 septembre 2020, pour définir un programme visant à rompre de manière effective avec les politiques actuelles et à juguler les crises environnementale, sociale et démocratique qui menacent notre monde et nos vies. Nous devons à la jeunesse un horizon élargi, un avenir à nouveau ouvert.

      Nous appelons tous les autres secteurs de la société à se joindre à notre démarche, et à écrire leur propre texte de refondation en adaptant ce paragraphe de conclusion.

      La signature de cet “Appel du 20 mars 2020”, qui appelle à repenser les liens entre science et société, est ouverte à tous les citoyens et citoyennes, au‐delà des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, étudiants, universitaires, chercheurs, techniciens, ingénieurs et administratifs.

      https://www.mediacites.fr/forum/national/2020/03/31/refonder-luniversite-et-la-recherche-pour-retrouver-prise-sur-le-monde-et

    • Budget #MESRI : analyse des annonces

      Budget de la recherche : la montagne accouche d’une souris !
      Lors de leur visite à l’Institut Pasteur, le 19 mars 2020, le Président de la République et la ministre chargée de la recherche ont annoncé que 25 milliards d’euros supplémentaires seraient consacrés à la #recherche. Par le dossier de presse diffusé le 25 mars, on apprend que les cinq milliards supplémentaires constituent un #objectif_budgétaire qui devrait être atteint en une décennie. L’effort serait progressif pour atteindre un montant annuel de 600 millions, à partir de 2028…
      https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid150594/un-effort-de-25-milliards-d-euros-pour-relever-les-de
      L’actuel Gouvernement transfère donc aux Gouvernements des deux prochaines mandatures la mission d’honorer l’essentiel de cet #engagement_budgétaire, pourtant bien modeste. En ce qui le concerne, il consent à une augmentation de 400 millions d’euros du budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) pour l’année 2021, la dernière année budgétaire complète du présent quinquennat.
      Comme le précisait la ministre lors de son audition par la commission du Sénat, le 6 avril, cette enveloppe budgétaire supplémentaire serait destinée à l’abondement de la totalité des missions de son ministère. Cette augmentation comprendrait donc aussi les mesures de revalorisation salariale, dont celles destinées à compenser la baisse des pensions, consécutive à l’adoption de la loi de réforme des retraites dont l’examen est pour l’instant reporté.
      http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html
      Pour le budget de l’année 2020, les programmes budgétaires du MESRI et les montants des autorisations d’engagement sont les suivants :

      Ces données budgétaires sont tirées du rapport de la commission des finances du Sénat sur le projet de budget 2020 :
      https://www.senat.fr/rap/l19-140-323/l19-140-3231.pdf
      L’annonce d’un accroissement de 400 millions d’euros du budget global du MESRI pour l’année 2021 représente donc une augmentation d’environ 1,5 %.
      Pour bien comprendre ce qu’elle représente, en euros constants, il faut la comparer à celle du budget des programmes du MESRI pour l’année 2020 :

      L’effort « inédit depuis la période de l’après-guerre » annoncé par le Président de la République, le 19 mars 2020, commencera donc par une hausse du budget 2021 du MESRI inférieure à celle de 2020 ! Il est en effet historique qu’un Président décrive une baisse du soutien à la recherche comme un engagement massif en sa faveur.
      Pour rappel, le crédit d’impôt « recherche » a représenté une dépense fiscale évaluée à 6,2 Md€ en 2018 et à 6,5 Md€ en 2019. Soit une augmentation de 4,8 %. Elle était de 4,4 Md€ en 2009. La véritable augmentation est là !

      –-> Analyse de #Pierre_Ouzoulias, reçu via la mailing-list Facs et Labos en lutte, le 10.04.2020

    • Mensonge d’État ou incompétence ? Frédérique #Vidal au Sénat

      Parmi les mesures de contrôle de l’action de l’exécutif en période d’état d’urgence sanitaire, il est un outil utile pour mettre en jour les incohérences du gouvernement : les questions écrites. Présentées au ou à la ministre concernée, elles permettent à la représentation nationale de clarifier un point touchant à la politique suivant, en invitant le ou la ministère à prendre langue avec son administration pour y répondre avec précision.

      Le 6 avril 2020, plusieurs sénateurs et sénatrices ont donc interrogé la Ministre de l’Enseignement Supérieur http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=c/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&idtable=/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&rch=gs&_c=ouzoulias&al=true), de la Recherche et de l’Innovation, à la fois sur la clôture compliquée de l’année universitaire en cours, mais aussi sur les dispositions prises pour faciliter la recherche pour lutter contre l’épidémie. Cette audition a eu lieu au terme d’un chemin de croix technique.

      N’ironisons pas trop sur les avatars de cette vidéo conférence, précise Sylvestre Huet dans l’article qu’il consacre à l’audition de Frédérique Vidal (https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/08/covid19-vidal-se-melange-les-microscopes) : les sénateurs ont dû s’y reprendre à trois fois – deux la semaine dernière et finalement ce lundi 6 avril – pour parvenir enfin à tenir cette séance de questions/réponses. Le rendez-vous échoua deux fois en raison de défaillances de l’équipement de vidéoconférence du ministère… pour un lien avec le Sénat. N’ironisons pas, mais soulignons que cette situation lamentable illustre le soin étrange avec lequel l’exécutif traite ses relations avec le Parlement. Et la nécessaire modernisation du ministère en charge… de l’innovation.

      Passons rapidement sur certains échanges. Sylvie Robert s’est enquis de la survie alimentaire des étudiant·es les plus précaires1. Jacques Grosperrin a fustigé le retard pris par le Ministère sur la publicisation des algorithmes locaux de Parcoursup. Passons également sur les questions touchant aux tests sérologiques, aux tests cliniques et aux essais thérapeutiques en cours, qui intéressent Laure Darcos, pour porter notre attention sur deux points : le financement supplémentaire prévu par le président Macron et les cryomicrosocopes, désormais indispensables pour qui veut travailler sur les coronavirus aujourd’hui.

      Comptes d’apothicaires au nom du COVID-19

      Citons la Ministre, sur les efforts budgétaires consentis par l’État en cette période de crise profonde :

      S’agissant du financement de la recherche, le Président de la République a annoncé qu’y seraient consacrés 5 milliards d’euros supplémentaires par an. Aujourd’hui, 15 milliards d’euros par an sont investis dans ce domaine. Pour passer à 20 milliards annuels, des étapes successives sont prévues. Au total, 25 milliards d’euros seront investis sur dix ans.

      Le Premier ministre me l’a confirmé ce matin : dès que le calendrier parlementaire le permettra, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera soumis au Parlement [Nous soulignons]. Il est néanmoins très important – c’est le sens de l’annonce du Président de la République – que nous puissions lancer les premiers investissements dès 2021, que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ait été votée ou pas. Nous prévoyons, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, une première augmentation de 400 millions d’euros pour la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires).

      Quelqu’un de peu familier avec ce gouvernement Philippe pourrait être bluffé par l’aplomb avec lequel la Ministre fait équivaloir 5 milliards par an, à 25 milliards sur dix ans (soit 2,5 milliards par an), puis à « une première augmentation de 400 millions d’euros », alors que l’on sait par ailleurs que 6,5 milliards annuels du Crédit Impôt Recherche sont consentis annuellement depuis le début du quinquennant à des fins d’optimisation fiscale. La suite est tout aussi pimentée, puisque la Ministre rappelle l’existence du Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui sera soumise au Parlement « dès que le calendrier parlementaire le permettra »2. Un peu plus tard au cours de son audition, elle précise que 1,5 milliards d’euros sont affectés à l’ANR, soit deux fois plus que ce qu’il a été récemment attesté par l’Hcérès et la Commission des finances du Sénat. Pour autant, notre quidam sait que c’est la loi de finances qui fait foi. Ce ne sera donc pas 5 milliards qui passeront à la recherche — alors que le Ministère en a les moyens avec les 6,5 milliards de CIR — mais 400 millions d’euros en 2021. Prestidigitatrice, la Ministre Vidal continue à essayer de faire croire à la représentation nationale que la recherche, en temps d’épidémie, est une priorité du gouvernement.

      Pour le budget de l’année 2020, les programmes budgétaires du MESRI et les montants des autorisations d’engagement sont les suivants :

      L’annonce d’un accroissement de 400 millions d’euros du budget global du MESRI pour l’année 2021 représente donc une augmentation d’environ 1,5 %.

      Pour bien comprendre ce qu’elle représente, en euros constants, il faut la comparer à celle du budget des programmes du MESRI pour l’année 2020 :

      Pour rappel, le crédit d’impôt recherche a représenté une dépense fiscale évaluée à 6,2 Md€ en 2018 et à 6,5 Md€ en 2019. Soit une augmentation de 4,8 %. Cette dépense était de 4,4 Md€ en 2009. La véritable augmentation est là !

      L’effort « inédit depuis la période de l’après-guerre » annoncé par le Président de la République, le 19 mars 2020 (https://academia.hypotheses.org/21299), commencera donc par une hausse du budget 2021 du MSRI inférieure à celle de 2020 ! Il est en effet historique qu’un Président décrive une baisse du soutien à la recherche comme un engagement massif en sa faveur.

      À quels comptes d’apothicaires la Ministre s’est-elle livrée pour tenter de faire croire que la recherche pour lutter contre l’épidémie, en identifier les causes et les thérapies était une priorité du gouvernement ? Ils ne convainquent personne, et encore moins, après le vote de la loi de finances rectificatives. Il s’avère qu’aucun effort supplémentaire n’a été fait et que, même pour l’appel Flash Covid-19, le financement de ces nouveaux programmes se fait à budget constant, au point où le CNRS est obligé de faire un appel aux dons (https://academia.hypotheses.org/21662) . On pourrait en rire si l’affaire n’était pas si grave et que cela ne touchait pas l’activité de celles et ceux qui se sont engagés dans une course contre la montre et le virus. Comparant l’effort allemand en matière de recherche, dès 2020, Pierre Ouzoulias souligne que les comptes Covid-19 n’y sont pas. Mais qu’en est-il de l’équipement des laboratoires qui travaillent déjà sur ce virus ?
      Compétences à la loupe… ou plutôt au microscope

      S’enquêrant des conditions de travail des laboratoires spécialisés, Pierre Ouzoulias a posé à la Ministre Frédérique Vidal la question écrite suivante :

      Les laboratoires qui sont actuellement sur le front de la recherche insistent sur la nécessité de mettre aux normes leurs équipements et outils de recherche. Tandis qu’un laboratoire chinois travaillant sur le coronavirus dispose de deux cryomicroscopes électroniques valant chacun 5 millions d’euros, les laboratoires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) en demandent depuis quatre ans un plus petit, valant 2 millions d’euros, sans réponse pour l’instant. Sans budget supplémentaire, il sera très difficile pour ces organismes de mettre leurs matériels à niveau, et donc de trouver des financements.

      Je vous approuve sur la nécessité de faire une pleine confiance aux laboratoires, chercheurs et organismes de recherche, sans passer par les appels à projets, dans la situation actuelle d’urgence. Comment leur donner très rapidement les moyens de résoudre leurs problèmes d’équipements ?

      Tout le monde avait entendu la colère de Bruno Canard le 5 mars 2020, dans un texte qu’Academia a reproduit (https://academia.hypotheses.org/20902). Directeur de recherche, spécialisé sur les virus à ARN dont font partie les coronavirus, il avait été empêché de poursuivre ses recherches, entre autres faute de matériel adapté. Depuis 2016, son équipe demande l’acquisition d’un cryomicroscope, dont la technologie révolutionnaire permet d’observer la structure des virus, notamment leur superficie3. Faute de vaccin, s’attaquer à l’enveloppe pourrait en effet affaiblir considérablement la virulence du Coronavirus et ainsi enrayer l’expansion du Covid-19. Depuis le début de l’épidémie, la demande de l’équipe de Bruno Canard n’a pas davantage reçu de soutien du ministère, ce qui préoccupe Pierre Ouzoulias.

      La réponse de la Ministre est lunaire.

      Sur le matériel microscopique d’abord :

      L’acquisition de matériels est bien sûr nécessaire, mais il faut beaucoup de temps pour fabriquer, tester et calibrer un cryomicroscope. Il faudra le faire, et cela est prévu dans la future LPPR. En l’occurrence, ce n’est pas l’urgence du moment, d’autant qu’il y a un cryomicroscope tout à fait utilisable au sein du Centre commun de microscopie appliquée (CCMA), dans mon ancienne université — je connais donc bien le sujet.

      On voit très bien que la technique de gouvernement, pour les microscopes de haute technologie, c’est comme pour les masques : DIY. Alors qu’il s’agit de matériel vendu par des entreprises spécialisées, Frédérique Vidal en appelle à la future LPPR, pour le « fabriquer, tester et calibrer ». Qui plus est, elle indique qu’on trouve déjà un cryomicroscope à l’Université de Nice-Côte d’Azur. Elle conclut : « Je connais donc bien le sujet ».

      On peut se demander si Frédérique Vidal connaît bien le sujet parce qu’elle est censée être biologiste de carrière ou, comme Ministre, suivre l’actualité scientifique — notamment les attributions de prix Nobel, et donc le prix Nobel de chimie de 2017, qui récompensait l’invention de la technologie qu’utilise le cryomicroscope — ou si elle connaît bien le sujet en tant que présidente de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, position qui l’a conduite à suivre le dossier. Dossier qui ne concerne pas un cryomicroscope. À ces trois titres, l’incompétence est manifeste, à moins qu’il ne s’agisse plus simplement d’enfumage et de mensonge.

      Sur la politique de recherche scientifique, ensuite, Frédérique Vidal prend ensuite de la hauteur :

      Nous agissons dans deux directions différentes : le soutien immédiat et la préparation de l’avenir. Nous soutenons ainsi des programmes de recherche permettant de comprendre le fonctionnement du Covid-19 et d’augmenter la connaissance générale sur les coronavirus. Dans l’immédiat, l’urgence est au repositionnement de médicaments et de thérapies, aux essais cliniques et aux tests. Néanmoins, nous devons également accumuler des connaissances pour le long terme. Nous avons ainsi ouvert à travers l’ANR la possibilité de financer des projets à plus longue échéance.

      La ministre distingue donc la recherche médicale et la « connaissance générale sur les coronavirus », sans avoir l’air de comprendre que cette connaissance générale ou fondamentale peut justement apporter des savoirs tout à fait utiles pour enrayer l’épidémie. Et qu’il convient donc de financer de façon importante les équipes qui ont fait la preuve depuis plusieurs années de leur capacité et de leur volonté de contribuer à la lutte contre le COVID19. On peut légitimement se demander ce que cette femme fait à la tête d’un Ministère de la recherche, qui promeut les thèses en 180 secondes, mais pas les recherches fondamentales sur les enveloppes de virus responsables d’une pandémie majeure.

      On a trop négligé lors des trente dernières années l’accumulation de connaissances.

      Tout·e chercheur ou chercheuse digne de ce nom ne tentera même pas à faire l’herméneutique de l’assertion de la Ministre, puisqu’elle n’a aucun sens. Ce qui suit est d’autant plus intéressant.

      La LPPR aura pour objet d’y remédier dans tous les champs disciplinaires, et pas seulement pour la santé. Nous aurons besoin, par exemple, de programmes de recherche de sociologie et d’anthropologie afin d’analyser les comportements en période de confinement ou lorsque le virus, ayant quitté l’Europe, continuera de sévir sur d’autres continents. Les projets financés relèvent donc pour un tiers des sciences humaines et sociales, dont le rôle est de penser et comprendre ces phénomènes. Il faut à la fois gérer l’urgence et respecter le temps de la recherche.

      À la demande d’un cryomicroscope de 2 à 5 millions d’euros, la Ministre répond donc « quand, dans plusieurs années, le virus aura quitté l’Europe, mais qu’on pourra aller l’étudier ailleurs, il faudra financer des sciences humaines et sociales ». Toutefois, l’essentiel n’est pas le soutien inopiné aux SHS, mais bien dans l’excuse « LPPR » dont se drape la Ministre pour justifier le retard, le défaut de financement ou d’anticipation. La LPPR devient désormais un mantra, une incantation, pour rémédier, de façon magique et lointaine, à toutes les insuffisances actuelles de la politique scientifique du gouvernement.

      Il y a fort à parier que la représentation nationale ne sera pas dupe4.

      L’audition de la Ministre Vidal devant la Commission culture du Sénat est ainsi éclairante. Non seulement la Ministre ne comprend pas les grands équilibres du budget de son ministère — dont on comprend qu’ils sont supervisés par Bercy — à moins qu’elle ne les travestisse ; non seulement elle semble être devenue une femme scientifique incompétente sur les sujets qu’elle dit connaître ; mais elle semble parfaitement inapte à engager, en tant que ministre, une recherche d’urgence sur le coronavirus ou la gestion du COVID-19. Elle semble encore plus incapable de conduire une politique scientifique de long terme, comme elle en dit en avoir l’intention en agitant la LPPR. Reste à savoir comment le Sénat peut sanctionner mensonges, incompétence et politique de gribouille.

      Liens :

      - Commission de la culture, audition de Frédérique Vidal, Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 6 avril 2020 : http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=c/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&idtable=/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&rch=gs&_c=ouzoulias&al=true

      - Covid-19 : Vidal se mélange les microscopes, par Sylvestre Huet, Sciences2, 8 avril 2020 : https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/08/covid19-vidal-se-melange-les-microscopes

      – Covid-19 : Vidal se mélange les microscopes (suite), par Sylvestre Huet, Sciences2, 8 avril 2020 : https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/09/le-covid-19-vidal-les-microscopes-et-macron-suite

      https://academia.hypotheses.org/22264

    • C’est certainement pas de l’incompétence car nous parlons ici d’une ministre qui a choisi comme conseillé personnel monsieur Frédéric Dardel : c’est à dire le mec qui gérait le centre des dons des corps dans lequel le personnel jouait au foot avec les têtes humaines avant de les revendre au pied de l’université et dont les corps porteurs de VIH et hépatite B et C étaient fournis aux étudiant·es en médecine sans qu’on les préviennent histoires qu’ils chopent le SIDA en TP de dissection avant de choper le covid au CHU.
      https://seenthis.net/messages/833635

  • La précarité détruit nos vies

    Communiqué du syndicat Solidaires étudiant-e-s à propos du geste d’un étudiant membre du syndicat de Lyon, qui s’est immolé devant le Crous hier, ainsi que le message qu’il a laissé.
    L’université a réagi, pas encore le ministère, ni le Crous.

    Le message que l’étudiant a laissé :

    #France #immolation #bourse #bourses #suicide #précarité_financière #étudiant #Lyon #Université #CROUS

    • Lyon : un étudiant gravement blessé après s’être immolé devant le Crous

      L’étudiant de 22 ans n’avait pas fait part de ses « difficultés personnelles » à l’université Lyon 2 indique sa présidente, tandis que des syndicats dénoncent « la précarité » de « la vie des étudiant-e-s ».

      Vendredi après-midi, un étudiant de 22 ans originaire de Saint-Étienne a été grièvement brûlé à Lyon après s’être immolé en pleine rue devant un restaurant universitaire situé dans le 7e arrondissement. Le jeune homme, brûlé à 90%, se trouve actuellement « entre la vie et la mort » au Centre des brûlés de l’hôpital Edouard Herriot de Lyon, indiquent les syndicats. Prévenue du geste de son compagnon par un SMS, c’est la petite amie de la victime, étudiante à Lyon 2, qui avait alerté les services de secours.

      Une enquête a été ouverte pour déterminer les raisons de son geste, mais dans un long message publié sur Facebook et relayé ce samedi par le quotidien Le Progrès, l’étudiant avait évoqué ses difficultés financières et justifié son geste par des revendications politiques, accusant notamment « Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE ». « Luttons contre la montée du fascisme, qui ne fait que nous diviser, et du libéralisme, qui créé des inégalités. [...] Mon dernier souhait, c’est aussi que mes camarades continuent de lutter pour en finir définitivement avec tout ça », a-t-il souligné dans ce texte.
      Un dispositif de soutien psychologique mis en place

      L’étudiant n’avait pas fait part de ses « difficultés personnelles » à l’université Lyon 2, a appris l’AFP samedi auprès de sa présidente Nathalie Dompnier, qui précise que le jeune homme ne percevait plus sa bourse car il « triplait » sa deuxième année de licence. « L’université lui exprime tout son soutien, ainsi qu’à sa famille, à ses proches et à tou.tes ses camarades », a écrit également la présidente dans un communiqué. Un dispositif de soutien psychologique a été mis en place avec les services d’urgence, tandis qu’une cellule d’écoute sera mise en place dès mardi sur le campus Porte des Alpes pour les étudiants et les équipes, ajoute-t-elle, en précisant qu’un numéro vert spécifique devrait aussi être mis en place la semaine prochaine.
      « La précarité s’étend » pour les syndicats étudiants

      Les fédérations syndicales étudiantes SUD-éducation et Solidaires ont pour leur part dénoncé dans un communiqué commun « la précarité » de « la vie des étudiant-e-s ». « Son acte ne saurait être réduit au seul désespoir, c’est aussi à portée politique. Dans son message, notre camarade décrit la précarité qu’il subit, conséquence des politiques libérales, et le racisme quotidien », pointe le syndicat, qui souligne que « la précarité s’étend » et « broie de plus en plus de vies, y compris la vie des étudiant-e-s ».

      La ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal s’est rendue samedi matin à Lyon pour rencontrer la présidente de l’université et les équipes du CROUS pour leur faire « part de sa profonde émotion face à l’acte dramatique » du jeune homme, « auquel elle a adressé ses premières pensées », selon le ministère.

      https://www.liberation.fr/france/2019/11/10/lyon-un-etudiant-gravement-blesse-apres-s-etre-immole-devant-le-crous_176

    • L’étudiant de 22 ans n’avait pas fait part de ses « difficultés personnelles » à l’université Lyon 2 indique sa présidente

      Il n’avait pas demandé la charité... Marre de ces bureaux où il faut se battre pour ses droits. Ensuite les autorités prétendent en avoir quelque chose à battre, du non-recours, mais répètent à l’envi qu’il y a des primes au fait de faire des recours à l’amiable, des alertes, et que la machine peut arrêter de broyer quand on le demande avec beaucoup d’ardeur. Merde !

    • Mardi 12/11 Rassemblements en solidarité à l’étudiant de Lyon 2 qui s’est immolé vendredi 8/11

      Ci-joints les différents horaires et lieux de rassemblement en solidarité à l’étudiant de Lyon 2 qui s’est immolé vendredi 8/11 devant le CROUS de La madeleine à Lyon 2.

      Le SNESUP-FSU adresse tout son soutien à cet étudiant, et également aux proches et à la famille de cet étudiant.

      Il appelle, avec la FSU, à se rassembler pour lui témoigner notre solidarité et pour dénoncer la précarité étudiante grandissante.

      Toutes et tous les étudiants doivent pouvoir étudier dans des conditions dignes et décentes.

      Aix-en-Provence 13h – CROUS Aix-Marseille / Avignon, 31 avenue Jules Ferry

      Amiens (FSE Amiens) 10h – CROUS Amiens Picardie (25 rue St Leu)

      Angers 12h puis 18h – Restau U Belle Beille (3 Boulevard de Lavoisier)

      Angoulême 12h – Place New York

      Annecy 12h – Au campus d’Annecy, sur le parvis face au resto universitaire (adresse de l’antenne du CROUS) au 3 chemin de Bellevue à Annecy le Vieux

      Avignon 13h – Devant le nouveau batiment du campus Hannah Arendt

      Besançon 18h – devant le CROUS de Bourgogne-Franche-Comté (38 avenue de l’observatoire)

      Bordeaux 18h – CROUS, place du séminaire

      Boulogne-sur-mer 13h – devant l’antenne du Crous rue du Vivier.

      Caen 12h – RU A, Campus 1 de l’Université

      Clermont-Ferrand 18h – Résidence CROUS 25 Rue Etienne Dolet

      Dijon 19h – Place du Bareuzai

      Grenoble 18h – Bâtiment CROUS 351 Allée de Berlioz (St Martin d’Hères)

      Guyane 12h – Université de Guyane bâtiment E

      La Rochelle 13h – Parvis du campus

      Lille 13h – Siège du CROUS de Lille 74 rue de Cambrai

      Limoges 12h – campus Vanteaux devant le CROUS

      Lyon 10h – CROUS de la Madeleine

      Marseille 18h – Faculté des sciences d’Aix-Marseille (3 place Victor Hugo)

      Montpellier 14h – Crous de montpellier : 2 Rue Monteil, 34093 Montpellier

      Metz 13h30 – CROUS de Lorraine au Saulcy

      Nancy 12h – CROUS Resto U 16 cours Léopold

      Nantes 12h – devant le pôle étudiant du campus Tertre

      Niort 17h – CROUS de Niort 7 rue du Galuchet

      Orléans 18h – Devant l’entrée du Forum, coté Bouillon (antenne du CROUS sur la fac)

      Paris, Ile-de-France 18h – Siège du CROUS Port Royal

      Pau 12h30 – CLOUS, 7 rue Saint John Perse

      Perpignan (Jeunes Communistes 66) 13h30 – devant le CROUS de l’Université de Perpignan, 52 avenue Paul Alduy
      https://www.facebook.com/events/439076413424300

      Poitiers 12h30 – RU Rabelais, campus de Poitiers,

      Rennes 18h – Siège du CROUS Rennes-Bretagne, Place Hoche

      Rouen 13h – CROUS de Rouen Normandie

      Saint-Brieuc 18h – CROUS, 1 boulevard Waldeck-Rousseau

      Saint-Denis 16h30 – Départ groupé de Université Paris 8 – Local A079 vers CROUS Port Royal (Paris)

      Saint-Brieuc 18h- Restaurant Universitaire du CROUS

      Saint-Étienne 10h – devant le CROUS du campus Tréfilerie

      Strasbourg 12h – devant le Patio (campus central) puis siège du Crous 1 Quai du Maire Dietrich

      Toulouse 12h30 – Resto U du Mirail (info lutte université Mirail)
      14h – CROUS de Toulouse-Occitanie 58 rue de Taur
      (Sciences Po Toulouse en Lutte, UNLToulouse, Révolution Permanente Toulouse, La repolitique-Sciences Po Toulouse)

      Tours 18h – 5 rue du docteur bretonneau (résidence CROUS)

      https://www.snesup.fr/article/mardi-1211-rassemblements-en-solidarite-letudiant-de-lyon-2-qui-sest-immole-v

    • Anas, 22 ans, s’immole par le feu et nous regardons ailleurs

      C’est un gamin, mon fils, ou votre frère. Il s’appelle #Anas, un étudiant de 22 ans, venu de Saint-Étienne à Lyon, pour apprendre et avancer. C’est un jeune homme, désespéré autant que déterminé, qui, vendredi, a tenté de se tuer sur la place publique. Depuis, la presse détourne les yeux. Des rassemblements sont prévus ce mardi.

      https://blogs.mediapart.fr/david-dufresne/blog/111119/anas-22-ans-simmole-par-le-feu-et-nous-regardons-ailleurs
      Un article de @davduf

    • « J’arrivais en cours en larmes » : #précarité_étudiante, une vie sur le fil

      Des étudiants témoignent de leurs conditions de vie alors que plusieurs rassemblements ont lieu ce mardi en mémoire de ce jeune homme de 22 ans qui a tenté de s’immoler par le feu à Lyon pour dénoncer une précarité grandissante.

      Pendant sa première année d’études supérieures en archéologie et anthropologie, Laura est devenue familière des petits pains au fromage à quelques centimes du supermarché Lidl en face de sa fac. Ils lui servaient de déjeuner les jours où les 3 à 5 euros de la cafétéria, c’était déjà trop. La précarité étudiante, cette Lyonnaise âgée de 24 ans l’a donc bien connue.

      C’est ce qui l’a poussée à arrêter ses études, en début de licence 2. Et qui a conduit un jeune homme de 22 ans à tenter de s’immoler par le feu, le 8 novembre dernier, devant un restaurant universitaire à Lyon. Ce mardi, le syndicat Solidaires étudiant.e.s appelle à se rassembler devant tous les Crous de France, en soutien à cet étudiant aujourd’hui entre la vie et la mort, brûlé à 90 %. En 2017, selon l’Unef, 20 % des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté.

      Quand elle commence sa licence, à Lyon, Laura vit encore chez ses parents. Sa mère, auto-entrepreneuse, essaie de lancer son entreprise de traiteur, elle travaille très peu. Son père gagne « trop bien sa vie » pour que la jeune femme puisse être éligible à une bourse. Mais pas assez pour financer ses études, au-delà des frais d’inscriptions, très peu élevées, à l’université. Laura doit se débrouiller pour les transports et les repas.
      Manger du riz ou des pâtes instantanées

      Elle essaie de faire des petits boulots, « des extras dans des bars ou des restaurants ». Elle aurait pu demander une dispense d’assiduité, pour travailler davantage. « Mais j’étais déjà une élève plutôt moyenne, je ne voulais pas me mettre encore plus en difficulté en ratant des cours pour travailler », explique-t-elle. Elle préfère se priver un peu le midi, quand cela devient trop difficile. Mais surtout ne rien demander à ses parents qui « se sont toujours saignés » pour elle, son frère et sa sœur.

      Selon une étude menée par la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN), 68 % des étudiants sautent des repas de temps à autre, comme Laura, et seulement 60 % disent « manger un peu de tout ». Pour ceux qui ne vivent plus chez leurs parents, cela se traduit souvent par du riz, des pommes de terre ou « des pâtes instantanées à 30 centimes », confie Margot, 26 ans, en 2ème année de thèse d’histoire de l’art contemporain.
      Compter même les dépenses de santé

      Jusqu’à son master 1, la jeune fille bénéficiait pourtant d’une bourse de 550 euros par mois -l’échelon le plus élevé. Mais une fois le loyer, l’électricité de son logement mal isolé, l’abonnement à Internet - indispensable aujourd’hui pour étudier - et les transports payés… il ne reste pas grand-chose pour vivre. Au quotidien, ce sont des petits arrangements permanents : pas de loisirs, ou alors que des activités gratuites, des vêtements d’occasion et de bons amis pas trop maladroits pour se faire couper les cheveux.

      Une vie sur le fil, qui ne permet aucun écart. « Les mois où il faut acheter des livres pour la fac sont compliqués », explique Margot. Ceux où sa vieille voiture tombe en panne encore plus. Mais impossible de s’en séparer : elle en a besoin pour se rendre à l’Ephad où elle fait des remplacements pour compléter son revenu. Même les soins de santé passent à la trappe : selon l’Insee, 13,5 % des étudiants ont déjà renoncé à aller chez le médecin pour des raisons financières. Margot, elle, n’a pas vu de gynécologue depuis quatre ans.
      Friser le burn-out

      Au bout de plusieurs années d’études à tout compter, mal s’alimenter, travailler sur les jours de pause… C’est le stress et l’épuisement qui l’emportent. Margot n’a pris que 6 jours de congé, l’été dernier, depuis le début de ses études il y a 7 ans. En 2ème année de master, elle a commencé à faire des ulcères à l’estomac à répétition.

      Pauline, étudiante boursière en master d’études de cinéma à Lyon a fait « une sorte de burn-out » pendant sa 3e année de licence. A ce moment-là, elle aussi cumulait un job de caissière à Franprix, 15 heures par semaine, et ses études. Une année difficile : « J’arrivais en cours en larmes, se souvient-elle. J’étais épuisée, je m’énervais tout le temps pour rien… Ça a bousillé mon année ». Ses résultats en ont pâti.

      http://www.leparisien.fr/societe/j-arrivais-en-cours-en-larmes-precarite-etudiante-une-vie-sur-le-fil-12-1

    • #Pierre_Ouzoulias interroge Gabriel Attal sur la précarité étiudiante - 13 novembre 2019

      On nous souffle dans l’oreillette que la Ministre serait dans l’Antarticque…

      Ce mercredi 13 novembre, Pierre Ouzoulias, lors de la séance de questions d’actualité au gouvernement, a interrogé Gabriel Attal (en l’absence de Frédérique Vidal) sur la précarité étudiante.

      Voir ci-dessous le texte de sa question ainsi que le lien vers la captation vidéo de la question.

      2019/11/13 - Question d’actualité au Gouvernement - Pierre Ouzoulias - « Précarité étudiante »

      « Plus d’un étudiant sur deux ne mange pas tous les jours à sa faim, près d’un étudiant sur deux a renoncé à se soigner par manque d’argent, il n’y a que 175 000 places en résidences étudiantes pour 700 000 étudiants boursiers et le loyer représente plus de 70 % du budget moyen des étudiants. Plus d’un étudiant sur deux est obligé de travailler pour étudier et subsister. Ils occupent les emplois les plus précaires, les plus harassants et les moins rémunérés. Ainsi, ils composent près de 60 % de la main-d’œuvre des plate-formes de prestations. À tout cela s’ajoutent des conditions d’enseignement indignes et un sous-encadrement pédagogique chronique.
      La grande majorité de la population estudiantine est en souffrance et l’aggravation de sa situation d’existence conduit à la désespérance, à des drames humains et à des gestes désespérés, comme celui d’Anas, qui sont autant de cris de détresse que vous ne pouvez ignorer.
      Les conséquences de ce mal être endémique sont catastrophiques pour notre pays. De moins en moins d’étudiants poursuivent un cursus complet, le nombre de doctorants baisse chaque année et la fuite des cerveaux est maintenant manifeste.
      À cette crise majeure, vous répondez par une baisse des moyens alloués à l’enseignement supérieur. La dépense par étudiant atteint aujourd’hui son plus bas niveau depuis 2008 et votre projet de loi de finances ne porte pas l’ambition politique d’arrêter cette chute.
      À la jeunesse qui souhaite s’investir dans la connaissance, la culture et les œuvres de la pensée, vous renvoyez le message détestable qu’elle ne serait qu’une charge, qu’un fardeau improductif qu’il vaudrait continûment alléger. »

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8543

    • Immolation d’un étudiant. La stratégie du chox, et les sinistres connards qui en sont responsables - affordance.info, 13 novembre 2019

      "Dans un monde normal la CPU, la conférence des présidents d’université, aurait suspendu l’ensemble de ses travaux, pour une semaine au moins, le temps de comprendre, le temps d’analyser, le temps de chercher ce qui fait qu’en France au 21ème siècle un étudiant décide de s’immoler par le feu devant un CROUS pour dénoncer la précarité et la misère de la jeunesse. La CPU aurait également pu déclarer un genre de minute de silence. Après tout, dans cette « communauté » qu’est l’université, si l’on n’est pas capable de fermer sa gueule et de se recueillir un instant pour cet étudiant là, alors quand le serons-nous ? Mais il n’y a pas eu de minute de silence. Un vieux président qui meurt (Chirac), minute de silence dans toutes les universités. Mais un étudiant qui s’immole par le feu au 21è siècle, et puis rien. "

      Un étudiant s’est donc immolé par le feu devant une université, devant un CROUS, dans un acte politique pour dénoncer explicitement la précarisation qui touche la jeunesse. En France. En 2019. Au 21ème siècle. Celui que l’on nous vantait encore au siècle précédent comme étant celui de « l’économie de la connaissance ». Cette jeunesse qui brûle.

      Cette immolation par le feu, cette image que je n’ai pas vue, elle ne me quitte pas depuis vendredi. Parce que cet étudiant aurait pu être l’un des miens. Il n’était ni plus fragile, ni moins bien entouré, ni plus précaire que la plupart des miens, que j’ai quitté ce matin, et que je vais retrouver demain. Pour leur dire quoi ?

      Dans un monde normal on aurait espéré que ce geste aboutisse au moins à une forme de trêve. Que nous cessions d’être collectivement d’immenses connards et connasses et que nous nous regroupions pour réfléchir. Pour prendre le temps. Pour laisser la douleur et la colère jaillir. Pour mettre des mots sur l’indicible. En France au 21ème siècle un étudiant de 22 ans s’est immolé par le feu parce qu’il était pauvre, précaire, et qu’il n’avait plus droit à aucune aide. Dans un monde normal on aurait espéré que ce geste aboutisse au moins à une forme de trêve. Comme à chaque basculement dans l’horreur. Comme à chaque effet de sidération qui saisit une société toute entière. Le mois de Novembre semble hélas propice à ce genre de sidération. Mais là, rien. Juste rien.

      La ministre Frédérique Vidal a fait une rapide visite au CROUS de Lyon, le vendredi du drame, pour « assurer la communauté universitaire de son soutien ». Ella a aussi exprimé son « soutien » à la famille de cet homme de 22 ans qui s’est immolé par le feu. Et elle s’est barrée. Au Groenland je crois. Ou en Antarctique, je ne sais plus. Pour un voyage bien sûr aussi légitime qu’important. Quand on est ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur on ne va pas non plus trop modifier son agenda sous prétexte qu’un étudiant de 22 ans s’est immolé par le feu pour dénoncer la précarité dont tous les étudiants sont aujourd’hui victimes. Vous êtes une sinistre et cynique connasse madame la ministre Vidal.

      Sur Twitter, la ministre Frédérique Vidal a, depuis le Groenland ou l’antarctique, dénoncé « avec la plus grande fermeté » les actes de dégradation commis par les manifestants réunis devant le CROUS de Lyon en hommage à leur camarade toujours actuellement entre la vie et la mort. Car l’important quand un étudiant s’immole par le feu en France au 21ème siècle c’est de bien rappeler à ses camarades étudiants que l’important c’est l’ordre public et qu’il ne faut pas dégrader des biens matériels. Foutez-vous le feu si vous voulez, immolez-vous, mais ayez l’amabilité de bien nettoyer après et pensez à être à l’heure en amphi. Il faut noter que le fil Twitter de la ministre Vidal est parfaitement exempt du moindre Tweet sur un étudiant qui s’est immolé par le feu en France au 21ème siècle. Vous êtes une sinistre et cynique connasse madame la ministre Vidal.

      Dans un monde normal la CPU, la conférence des présidents d’université, aurait suspendu l’ensemble de ses travaux, pour une semaine au moins, le temps de comprendre, le temps d’analyser, le temps de chercher ce qui fait qu’en France au 21ème siècle un étudiant décide de s’immoler par le feu devant un CROUS pour dénoncer la précarité et la misère de la jeunesse. La CPU aurait également pu déclarer un genre de minute de silence. Après tout, dans cette « communauté » qu’est l’université, si l’on n’est pas capable de fermer sa gueule et de se recueillir un instant pour cet étudiant là, alors quand le serons-nous ? Mais il n’y a pas eu de minute de silence. Un vieux président qui meurt (Chirac), minute de silence dans toutes les universités. Mais un étudiant qui s’immole par le feu au 21è siècle, et puis rien. Il n’est pas mort me direz-vous. Bien sûr. Bien sûr. Dans ce monde qui est le notre et qui est tout sauf normal, la CPU a fait un communiqué qui est à lui seul une épure du laconisme le plus brut. Parlant de « tentative de suicide » pour ne surtout pas dire la vérité. Car oui en France chaque année un grand nombre d’étudiants font des tentatives de suicide. Mais ce mois de Novembre du 21ème siècle, en France, un étudiant s’est immolé par le feu. Les gens qui ont signé le communiqué de la CPU sont de sinistres connards.

      Dans un monde normal la présidence de l’université de Lyon aurait eu la décence de ne pas clore son « communiqué » sur l’immolation par le feu de l’un de ses étudiants par un dernier paragraphe « condamnant les blocages » après 6 autres paragraphes expliquant que ce n’est la faute de personne et surtout pas celle de l’université. Les gens de la présidence de l’université de Lyon qui ont signé ce communiqué sont de sinistres connards.

      Dans un monde normal nous serions tous à l’arrêt. Nous aurions arrêté de faire cours, nous aurions organisé des temps de parole avec nos étudiants. Certains collègues l’ont fait. Probablement. Je n’en sais rien. Moi je ne l’ai pas fait. Pas encore. J’ai eu cours hier et aujourd’hui et je n’ai rien fait. Je suis un sinistre connard. Je le ferai peut-être demain. Probablement même.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8542

    • "J’ai un euro par jour pour manger" : trois étudiants témoignent de leur grande précarité

      Plusieurs centaines d’étudiants ont manifesté en France mardi aux abords d’une quarantaine de Crous et d’universités contre la précarité étudiante. Certains ont raconté à franceinfo leur quotidien fragile.

      « La précarité tue. » Avec ce hashtag, des centaines d’étudiants ont réagi sur Twitter après l’immolation par le feu, vendredi, d’un de leurs camarades, devant le siège du Crous, à Lyon. Brûlé à 90% et entre la vie et la mort, cet étudiant en licence de sciences politiques voulait dénoncer la précarité dans laquelle vivent de nombreux jeunes. « Même quand j’avais 450 euros par mois, était-ce suffisant pour vivre ? », s’interrogeait le jeune homme, dans un message posté sur les réseaux sociaux pour expliquer son geste.

      L’université Lyon 2, où est inscrit le jeune homme, a été de nouveau fermée pour la journée, mercredi 13 novembre, après des blocages, menés dans toute la France pour protester contre la précarité. Trois étudiants racontent leurs difficultés à franceinfo.
      Sophie*, 26 ans, une thèse et deux emplois

      « Pour tenter de vivre dignement, je cumule deux emplois », explique Sophie*, 26 ans, étudiante en histoire de l’art à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Comme la jeune femme ne souhaitait pas qu’on lui impose un sujet de recherche, elle a dû faire l’impasse d’un contrat de doctorante, qui aurait pu lui permettre de financer une partie de ses études. Elle ne bénéficie pas non plus de bourse. En 2016, 22,7% des étudiants interrogés déclaraient auprès de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), avoir été confrontés « à d’importantes difficultés financières durant l’année ».

      Sophie, syndiquée depuis sept ans au sein de l’organisation Solidaires étudiant-e-s, à l’origine de l’appel national à manifester devant les Crous, travaille à la bibliothèque de son université et effectue des remplacements dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « Je peux faire jusqu’à 40 heures par semaine, en plus de mes travaux de recherche, mais c’est variable d’un mois à l’autre ». L’étudiante dit gagner entre 900 et 1 000 euros par mois. Difficile de demander de l’aide. Entre « honte » et « dignité », les étudiants veulent être ces « jeunes adultes responsables que la société attend d’eux », analyse Sophie.

      Avec 680 euros de frais fixe (loyer, électricité et téléphone), il lui reste souvent moins de 300 euros pour la nourriture, les livres et l’épargne, en prévision du second semestre. Sophie économise afin de pouvoir se consacrer pleinement à ses études à partir de janvier. « En général, les étudiants qui s’auto-financent tiennent six années », confie la jeune femme. « Moi, je ne tiendrai pas plus de quatre ans. Si j’arrête avant d’avoir rendu ma thèse, j’aurai perdu toutes ces années et développé des maladies chroniques pour rien. » A cause de son rythme de vie, la jeune femme souffre de fatigue et de troubles dépressifs chroniques. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, environ 60% des étudiants interrogés en 2016 éprouvaient de la fatigue, autant souffraient de stress quand 45% évoquaient des troubles du sommeil et 32% parlaient de déprime.
      Ugo, 19 ans, un euro par jour pour manger

      « Je me suis fixé cette somme de 1 euro par jour pour manger, pour tenir le mois », explique Ugo, 19 ans, étudiant en deuxième année d’histoire et sociologie à Rennes (Ille-et-Vilaine). Boursier « échelon zéro bis », le plus bas de l’échelle des bourses, le jeune homme touche environ 100 euros par mois. Ses parents, qui ont aussi ses deux petites sœurs à charge, financent son appartement, car il n’est pas éligible pour une chambre au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, le Crous. Ugo gère le reste de ses frais fixes en alternant les pâtes, le riz et les pommes de terre. « Je compte toutes mes sorties », ajoute-t-il.

      Après avoir été livreur dans diverses enseignes, le jeune homme a trouvé un emploi fixe comme agent d’escale à la gare de Rennes. Près d’un étudiant sur deux (46%) travaille en dehors de ses études, selon l’OVE. Intérimaire, son nombre d’heures est variable et il gagne entre 600 et 900 euros par mois.

      J’ai peur de perdre mes aides, alors j’essaie de mettre un maximum de côté cette année, pour ensuite faire un master à Paris.Ugo, étudiantà franceinfo

      Pour pouvoir travailler, Ugo bénéficie d’une « dispense d’assiduité » qui lui permet de « rater » certains cours. En contrepartie, il ne bénéficie pas du contrôle continu et joue « son année » uniquement au moment des examens de fin de semestre. Une absence que toutes les facultés ne permettent pas.
      Karine*, 22 ans, endettée, a arrêté ses études

      « J’étais tellement stressée et dépressive que je n’arrivais plus à aller en cours », lâche Karine, 22 ans. Prise dans un engrenage entre petits boulots, soins psychologiques et cours de sociologie à la faculté de Poitiers (Vienne), la jeune femme a tout arrêté en fin de deuxième année, en 2018.

      Elle a grandi avec peu, sa mère touchant le revenu minimum d’insertion (RSA), mais l’étudiante bouclait difficilement les fins de mois avec 350 euros pour vivre. Karine cumule encore les dettes. Ses petits emplois lui faisaient manquer certains enseignements. « Quand vous êtes boursier, vous avez une obligation d’aller en cours, sinon le Crous vous demande de rembourser », explique la jeune femme qui, un an après, est toujours en litige avec l’organisme. Sollicité par franceinfo, le Crous n’a pas souhaité répondre.

      https://www.francetvinfo.fr/societe/education/j-ai-un-euro-par-jour-pour-manger-trois-etudiants-temoignent-de-leur-gr
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