Extrême-droite et misère de position
(proposition d’interprétation)
Dans le dernier lundimatin on trouve un résumé des observations intéressantes de Pablo Stefanoni à partir de son livre La Rébellion est-elle passée à droite ?
On en sort un peu avec le tournis, les anciennes catégories politiques n’étant plus tellement opérantes pour définir l’extrême droite, qui part (en apparence du moins) un peu dans tous les sens. L’insurrection en elle-même peut très bien être d’extrême-droite, de même que la critique de l’Etat, puisque l’extrême-droite peut tout à fait critiquer cette autorité-là, pour mieux lui opposer d’autres formes d’autorités (notamment celle de l’efficacité du capitalisme, celle d’une identité culturelle), avec finalement différents courants fascistes qui peuvent être opposés entre eux. Dès lors, qu’est-ce qui définit l’extrême-droite, on ne sait plus très bien.
Il faut dire que ces observations ne sont pas assorties d’une grille d’interprétation.
La misère de position
La misère sociale que P. Bourdieu veut décrire n’est pas forcément (ou pas seulement) une « misère de condition », liée à l’insuffisance de ressources et à la pauvreté matérielle. Il s’agit ici plutôt de dévoiler une forme plus moderne de misère, une « misère de position », dans laquelle les aspirations légitimes de tout individu au bonheur et à l’épanouissement personnel, se heurtent sans cesse à des contraintes et des lois qui lui échappent (...)
Le concept de misère de position de Bourdieu, en le détournant sans doute quelque peu, pourrait être éclairant pour relier toutes les formes politiques éparses, qu’on peut appeler néo-fascistes, en ce qu’elles naissent d’un sentiment d’être dominé dans des univers sociaux trop vastes pour qu’il y ait une quelconque chance de "réussir" socialement.
En même temps, cette misère de position n’est pas assortie d’une véritable critique des règles sociales (fondamentalement de compétition). C’est donc moins le jeu qui est critiqué que les chances de gagner.
Il est logique d’essentialiser les identités (culturelles ou autres) pour stabiliser et restreindre les univers sociaux, pour qu’il restent à l’intérieur de limites fixes dans le temps.
Cela peut expliquer que les formes nouvelles de fascismes paraissent à la fois conservatrices tout en faisant l’apologie de différents dispositifs porteurs de changement sociaux brutaux (le capitalisme, la technologie, etc), ou tout du moins en les préservant de toute critique, le plus important étant toujours d’affirmer, d’essentialiser, de conserver, explicitement ou non, des identités permettant de clôturer des univers sociaux homogènes.
A mon avis, l’essentialisation des identités n’apporte qu’une défense existentielle illusoire, dans la mesure où elle contribue à homogénéiser les sociétés, et c’est ce dont le capitalisme se sert pour se déployer (songeons à la construction culturelle des Etats-nation comme ayant permis la construction des économies nationales).
Il me semble que la revue Stoff dans son article Populisme parlait plutôt de populisme, justement, pour désigner ce que l’on appelle ici néo-fascisme. A relire ou lire...
"Des insurrections sans lumières"
►https://lundi.am/Des-insurrections-sans-lumieres
« La Misère du monde »
▻https://www.cairn.info/pierre-bourdieu--9782912601780-page-66.htm
Populisme. Une trajectoire politique de l’humanité superflue
▻https://www.stoff.fr/article/populisme