Après tortures, peu avant son exécution, ultime interrogatoire de Wartan Khatissian, né en 1883 dans le village de Yedi Sou, Vilayet de Bakir, accusé d’espionnage et de haute trahison.
- Cette famille turque dans votre village, vous aviez bien dû la dégoûter de rester parmi vous ?
– Non, Murir Bey. Les membres de cette famille sont nos voisins et amis.
– Vos amis ?
– Oui, Mudir Bey. Il n’y a jamais eu de querelle entre nous et ces Turcs. Nous nous sommes toujours entraidés. Une fois – c’était après une mauvaise récolte –, ces Turcs ont offert du blé à mon père. En échange, nous avons donné deux sacs de farine, de blé et des légumes en conserve.
– Rien d’autre ?
– Si, Mudir Bey. Nous leur avons apporté des potées de tan, de patat et d’harissa.
– Qu’est-ce que c’est que ça, Effendi ?
– Le tan est fait avec du madsoun, le yoghourt arménien. C’est à peu près la même chose que l’ayran turc. Mais le tan a meilleur goût, du moins celui que l’on prépare chez nous, peut-être parce que ma mère y ajoute des épices. Mais je ne saurais vous dire lesquels. En tout cas, la préparation est légèrement sucrée, et je suppose que cela vient de ce que ma mère y ajoute une pointe de miel.
– Une sorte de potion magique arménienne ?
– Je ne sais pas, Mudir Bey.
– Et le patat, c’est quoi ?
– La même chose que le sarmat turc, de simples feuilles de chou avec de la viande du riz et du boulgour dedans. On y ajoute parfois des légumes de saison. Mais, croyez-moi, Mudir Bey, c’est la même chose que le sarmat turc.
– Et harissa, c’est quoi ?
– C’est le plat national arménien.
– Il y a du porc dedans ?
– Non, Mudir Bey. Uniquement du mouton et du poulet.
– Et vos voisins Turcs, mangent de cette pâtée ?
– Ce n’est pas de la pâtée, Mudir Bey. C’est de l’harissa.
– Et il n’y a vraiment pas de porc dedans ?
– Non Mudir Bey. Vraiment pas.
Le conte de la dernière pensée, Edgar Hilsentath.