• Chasse aux #arrêts_de_travail : des médecins dénoncent « une campagne d’#intimidation générale »

    L’#Assurance_maladie contrôle des centaines de #médecins_généralistes qui prescriraient, selon elle, trop d’arrêts de travail, et leur impose des #quotas au mépris de la situation des patients. Des médecins, « écœurés », contestent la démarche.

    « Ça m’a fait perdre confiance en ma pratique. Je me suis dit : où est le problème, qu’est-ce que je ne fais pas bien ? » Comme d’autres confrères et consœurs, Valérie* [1] fait partie des 1000 médecins généralistes ciblés par l’Assurance maladie, parmi 6000 préalablement identifiés. En cause : leur trop grande prescription d’arrêts de travail. En juin 2023, le ministre de l’Économie, #Bruno_Le_Maire, dénonçait l’« explosion » des arrêts de travail et disait vouloir lutter contre les « #dérives » et « #abus ».

    Selon le gouvernement, les arrêts maladie auraient augmenté de 7,9 % en un an, et de 30 % entre 2012 et 2022, passant de 6,4 millions arrêts prescrits en 2012 à 8,8 millions désormais. Les #indemnités_journalières, versées par l’Assurance maladie pour compenser le salaire lors d’un arrête maladie, coûteraient 16 milliards d’euros par an.

    D’où la #chasse_aux_arrêts_de_travail, initiée par le gouvernement, qui se poursuit avec le projet de loi de financement de la #Sécurité_sociale pour 2024, adopté le 4 décembre dernier. Parmi les mesures que la #loi prévoit : la limitation à trois jours des arrêts de travail prescrits lors d’une téléconsultation, sauf prescription par le médecin traitant ou incapacité de se rendre chez le médecin. « Il y a véritablement eu un changement de politique en 2023 », constate Théo Combes, vice-président du syndicat des médecins généralistes MG France. L’homme voit dans cette offensive « une campagne d’intimidation générale contre la profession ».

    La particularité des patients oubliée

    « Qu’on discute de nos pratiques oui, mais on est dans le #soin, pas dans l’abus », réagit Valérie. Installée en Vendée, elle a eu la surprise de recevoir en juin dernier un courrier recommandé de l’Assurance maladie l’informant de sa trop grande prescription d’indemnités journalières. « En six ans, il y a une personne de 36 ans qui m’a demandé de lui faire un arrêt pour un rhume, que j’ai refusé. Là je suis d’accord qu’il ne faut pas abuser, mais ça m’est arrivé une fois ! » met-elle en avant. Surtout, les critères de contrôles ne tiennent selon elle pas du tout compte des particularités des patientèles.

    Partagée entre son cabinet en libéral et l’hôpital, Valérie est spécialisée en addictologie. « Pour les patients avec des problématiques d’addiction, on sait que les arrêts de travail, pour virus ou autre, sont source de rechute. Donc après, la pente est plus longue à remonter, et les arrêts aussi par conséquent. Pareil pour des patients qui ont des troubles psychiatriques, pour qui c’est vraiment source de décompensation », explique-t-elle. La professionnelle de santé a en effet constaté que ses prescriptions d’indemnités journalières ne font qu’augmenter : « Mais parce que ma patientèle ciblée augmente », précise-t-elle.

    Médecin depuis 30 ans dans le troisième arrondissement de Lyon et membre du Syndicat des médecins libéraux (SML), Laurent Negrello fait le même constat : « Je suis dans un quartier un peu défavorisé, avec 50 % de logements sociaux et plus de difficultés, ce qui impacte probablement mes quotas d’arrêts de travail », appuie-t-il. Contrôlé pour la deuxième fois en cinq ans, il insiste aussi sur le contexte sanitaire global, qu’il a vu nettement évoluer ces dernières années. « L’inflation des arrêts est à mon avis aussi due à des #conditions_de_travail qui sont devenues très difficiles. Les gens sont en #burn-out, ont des #accidents, une pression de rentabilité… ». Les conditions de travail (contraintes posturales, exposition à des produits toxiques, risque d’accidents, etc.) ne se sont globalement pas améliorées depuis 30 ans selon le ministère du Travail.

    Crainte de dépasser le quota

    Et il devient de plus en plus compliqué d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. « À Lyon, il faut trois mois pour voir un orthopédiste ou un rhumatologue, et je ne parle même pas des psys, avec qui c’est impossible… », explique le généraliste. Plus les délais de prise en charge s’allongent, plus l’état d’un patient peut se dégrader et nécessiter un arrêt de travail. La #Caisse_nationale_d’Assurance_maladie (#Cnam) assure de son côté à Basta ! que ses données sont « standardisées » : « On essaie d’avoir des patientèles comparables. » La limite d’arrêts à ne pas dépasser, c’est plus de deux fois la moyenne du département. « Une approche purement statistique », déplore Théo Combes de MG France, qui pointe une « méthodologie contestable à plusieurs niveaux ».

    Alors que Michel Chevalier, médecin depuis 36 ans à Ousse, près de Pau, se remémore d’anciens contrôles par « entretiens confraternels », il déplore aujourd’hui « une absence de dialogue ». Après la réception d’un courrier recommandé en juin, il a été convoqué avec deux jeunes consœurs : « L’une exerce dans un quartier très pauvre de Pau et une autre dans un désert médical. Elle a 34 ans et n’en dort plus depuis le mois de juin », rapporte ce membre du Syndicat de la médecine générale (SMG). Valérie confie elle aussi s’être sentie « stressée d’être pointée du doigt » à la réception de ce courrier : « Je trouve la procédure violente en elle-même. Sachant qu’on a des délégués médicaux qui viennent régulièrement nous voir, avec qui ça se passe très bien. Je pense que ça aurait pu être fait autrement », met-elle en avant.

    À la réception du courrier, chaque médecin dispose d’un mois pour répondre et faire ses observations à l’Assurance maladie, qui décidera si les éléments apportés sont « suffisamment probants », nous détaille le service communication de la Cnam. Si ce n’est pas le cas, la procédure prévoit qu’il soit proposé au médecin ciblé une #mise_sous_objectif (#MSO) : pendant six mois, ce dernier doit réduire ses prescriptions d’arrêts de travail de 15 à 20 %. Ce que Valérie a refusé, comme de nombreux autres : « Heureusement, car au sein du cabinet médical où j’exerce, plus personne ne prend de nouveaux patients sauf moi quand ça touche des problématiques d’addiction. »

    Déjà contrôlé il y a cinq alors, Laurent Negrello avait alors accepté « la mise sous objectif » : « Pendant six mois, j’ai réduit mon temps de travail, donc les patients allaient voir ailleurs et j’ai atteint mes objectifs », relate-t-il avec ironie. Cette année, il a refusé ce procédé qu’il juge « très pesant et stressant » : « On travaille toujours dans la #crainte de dépasser le quota qui nous est imparti. Mais on est un peu dans le #flou parce qu’on ne sait pas vraiment quels sont les quotas exacts. On nous dit qu’il faut baisser de 20 %, mais c’est une zone grise, on ne sait pas comment baisser nos arrêts. Quels sont les critères ? On a face à nous des situations concrètes, donc baisser de 20 % c’est absurde », critique-t-il.

    En cas de refus de mise sous objectif, les médecins peuvent être « mis sous accord préalable », procédure pendant laquelle un médecin conseil de l’Assurance maladie doit valider tous les arrêts de travail prescrits par le médecin sous 48 heures. Valérie raconte avoir été convoquée à une commission ayant pour but de statuer sur sa soumission à ce dispositif en novembre.

    Convoqués à des « #commissions_des_pénalités »

    « Ça m’a occasionné beaucoup de stress et pris beaucoup de temps. J’ai préparé un argumentaire, fait des recherches. Sans compter les deux heures de route pour 30 minutes d’entretien prises sur ma journée de repos », relate-t-elle. La commission a voté à l’unanimité le refus de sa « #mise_sous_accord_préalable ». Mais la professionnelle de santé a dû attendre la réception d’un courrier de la CPAM, mi-décembre, pour avoir la confirmation de « l’abandon de la procédure ».

    Le 7 novembre dernier, Théo Combes a participé à l’une de ces « commissions des pénalités », notamment composées de représentants syndicaux et médecins d’un côté, et de représentants des employeurs et salariés de l’autre. « Des médecins sont venus s’expliquer. Ils étaient proches de la rupture d’un point de vue moral et psychologique, avec des risques suicidaires qui transparaissaient. J’aurais pensé que leurs récits auraient ému un mort, même si c’est peut-être un peu fort. Mais après quatre heures d’audition on s’est dit que c’était vraiment une #mascarade. C’est un système pour broyer les gens, les humilier », décrit le vice-président de MG France, écœuré.

    À l’issue des contrôles, des #pénalités_financières de plusieurs milliers d’euros peuvent s’appliquer s’il n’y a pas d’évolution du nombre de prescriptions d’arrêts de travail. « C’est très, très infantilisant. On a l’impression d’être dans la #punition plutôt que dans le dialogue, et de faire ça intelligemment », déplore Valérie, qui craint pour ses patients tout autant que pour sa profession. « On peut très bien imaginer maintenant que les médecins vont sélectionner les patients et ne plus s’occuper de ceux qui leur font faire trop d’arrêts », ajoute Michel Chevalier.

    L’Assurance maladie espère de son côté avoir un bilan chiffré de ces mesures « autour du deuxième trimestre 2024 ». Michel Chevalier, lui, ne sera plus là : « Le côté dramatique, c’est que j’ai décidé de prendre ma retraite à la suite de ces contrôles, ça a été la goutte d’eau. » Comme il n’a pas trouvé de successeur, ses patients n’ont plus de médecin depuis le 1er janvier.

    https://basta.media/chasse-aux-arrets-de-travail-medecins-denoncent-campagne-intimidation

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/1041346
    #santé #France #humiliation #infantilisation #macronisme

    • Pourquoi ce médecin prescrit trois fois plus d’arrêts de travail que la moyenne à #Dieppe

      Le docteur Tribillac exerce au #Val-Druel, à Dieppe. Sanctionné pour avoir délivré trop d’arrêts de travail, il tente en vain d’expliquer la situation à l’Assurance maladie.

      « Je suis un lanceur d’alerte ! », commence #Dominique_Tribillac. Depuis 35 ans, ce médecin de famille exerce dans le quartier du Val-Druel, à Dieppe (Seine-Maritime). Âgé de 70 ans, il est ce que l’on appelle « un retraité actif ».

      Il devrait prendre bientôt sa retraite, avant l’été, mais un problème administratif l’occupe fortement depuis plusieurs mois : l’Assurance maladie l’a sanctionné car il donne trop d’arrêts de travail.

      La Sécurité sociale a fait les calculs, entre le 1er septembre 2022 et le 28 février 2023 : 4 911 journées indemnisées ont été prescrites.
      Trois fois plus d’arrêts de travail

      « Le nombre d’indemnités journalières versées, rapporté au nombre de patients a été de 16,7 », indique l’Assurance maladie. « En Normandie et au sein du groupe de communes semblables au sens de l’indice de défavorisation de l’Insee, l’institut national de la statistique et des études économiques, pour les praticiens exerçant une activité comparable, le nombre d’indemnités journalières versées par nombre de patients est de 5,90. »

      Le médecin du Val-Druel prescrit donc trois fois plus d’arrêts de travail.

      Une lettre aux médecins de France

      Mais le docteur Tribillac ne se laisse pas faire. Il conteste notamment l’indice de défavorisation mis en place par la Sécurité sociale. Selon lui, il ne reflète pas la réalité. « Il est très mal conçu, souligne-t-il. Il fait le contraire de ce qu’il est censé faire ». C’est-à-dire protéger et prendre en compte les populations les plus fragiles.

      « J’ai débusqué une véritable saloperie, ajoute Dominique Tribillac qui a le sentiment qu’on l’empêche d’aller au bout de sa démarche : « L’Assurance maladie essaie d’étouffer l’affaire. »

      Il va même envoyer une lettre ouverte à tous les médecins de France pour raconter son histoire et sa trouvaille concernant le référentiel sécu.
      Une population défavorisée

      Ce docteur, très apprécié de ses patients, ne cesse d’invoquer l’usure de ces derniers, dans un quartier prioritaire de la cité dieppoise. « Un quartier fermé avec une patientèle qui ne bouge pas, précise le professionnel. En tant que médecin de famille, j’ai vu les grands-parents, les parents, les enfants… Les gens qui vivent là y restent. »

      Au Val-Druel, « plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, indique-t-il. Les #polypathologies sont donc plus fréquentes, en moyenne deux fois plus élevées ». Le secteur dans lequel le médecin évolue est principalement touché par des problématiques psychologiques, de l’obésité, de chômage, de tabac, de cancers…

      Manque de spécialistes

      Selon lui, la moitié des habitants de ce quartier populaire arrive à la retraite invalide. « Ce sont des travailleurs qui ont des conditions de travail difficiles, explique Dominique Tribillac. Jusqu’à 45 ans, ils n’ont pas d’arrêt, et après ça commence.

      L’usure se déclare à cause de mouvements répétitifs qui sollicitent les mêmes membres ou muscles. « On arrive donc à une situation bancale en fin de carrière. Le patient peut-il encore travailler ou non, faire le même job… »

      Le médecin pointe aussi le manque de spécialistes dont les délais d’attente pour un rendez-vous sont de plus en plus élevés : « Les gens ne peuvent donc pas reprendre leur travail sans les avoir vus. »

      Un médecin dans l’#illégalité

      Mais tous ces arguments n’ont pas convaincu l’Assurance maladie. Ainsi, le docteur Tribillac a été sanctionné malgré un avis favorable d’une commission consultative pour le laisser exercer sereinement. C’était sans compter sur la direction de la CPAM de Seine-Maritime qui en a décidé autrement. Cette dernière n’a d’ailleurs pas souhaité répondre à nos questions au sujet du médecin du Val-Druel.

      Il exerce donc sa fonction dans l’illégalité depuis le 1er février 2024, refusant de remplir des papiers supplémentaires permettant à un médecin-conseil de vérifier les prescriptions d’arrêts maladie du docteur Tribillac. On appelle cette procédure une MSAP, une mise sur accord préalable.

      « Pas coupable »

      « Je ne suis pas coupable ! », argue-t-il. « Je ne remplirai pas ces dossiers. Ce médecin-conseil devrait plutôt voir ou appeler lui-même mes patients. »

      Conséquence pour ces derniers : ils ne peuvent plus toucher leurs indemnités journalières versées par la Sécu.

      https://actu.fr/normandie/dieppe_76217/pourquoi-ce-medecin-prescrit-trois-fois-plus-darrets-de-travail-que-la-moyenne-

  • De l’usage des #campements dans les #politiques_migratoires

    La litanie des #expulsions de migrants se poursuit, après Paris place de la République fin novembre, les associations alertent sur l’accélération du phénomène à #Calais au cours du mois écoulé. Alors que l’expérience longue pourrait informer de nouvelles pratiques, pourquoi ce recours systématique à l’expulsion perdure-t-il ? Parce que les campements sont un répertoire des politiques migratoires, et non la conséquence d’un trop plein auquel nos capacités d’accueil ne pourraient plus faire face.

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    Lundi 23 novembre 2020, vers 19h, plusieurs centaines de personnes exilées issues du campement de St-Denis n’ayant pu bénéficier de “la #mise_à_l’abri” organisée par la préfecture de Paris la semaine précédente, accompagnées d’associations de soutien, d’avocats, d’élus et de journalistes, déploient 200 tentes sur la #place_de_la_République. Malgré la résistance des exilés et de leurs soutiens, la place sera évacuée le soir même. La police pourchassera jusque tard dans la nuit et en dehors de #Paris celles et ceux qui n’ont plus où aller. La #violence déployée fera l’objet de nombreuses images sur les réseaux sociaux.

    Cette opération est loin d’être inhabituelle, contrairement à ce que laisse penser la médiatisation inédite à laquelle elle a donné lieu et qui s’explique par une conjonction de facteurs : le lieu de la scène (le centre de Paris), le moment (montée des critiques sur les violences policières et adoption d’une loi interdisant de les filmer), les acteurs (des journalistes et des élus violentés et non plus seulement des exilés et leurs soutiens). Depuis le 2 juin 2015 et l’évacuation d’un campement dans Paris (sous le métro la Chapelle), on dénombre soixante-six opérations de ce type dans la capitale et sa petite couronne (une moyenne d’un par mois). Dans le Calaisis, elles relèvent de la routine.

    Les évacuations de campement sont ainsi devenues courantes, relayées par des articles de presse qui se suivent et se ressemblent, préférant souvent à l’analyse un alignement de faits bruts immédiats, peu éloignés des communiqués de la préfecture de police. Que révèle donc la litanie dans laquelle s’inscrit cet énième épisode ? Que cristallise-t-il comme phénomènes ?

    Pour le comprendre, nous proposons de revenir sur la manière dont sont fabriqués ces campements et mises en scène ces évacuations en faisant l’effort d’inverser le regard, de le diriger vers les coulisses que la lumière des projecteurs laisse dans l’ombre.

    La fabrique des campements

    À première vue, le campement apparaît comme le signe d’un #trop_plein, preuve que les étrangers seraient trop nombreux et que nous aurions atteint les limites de nos #capacités_d’accueil, d’un point de vue économique comme social. Les campements sont en réalité davantage fabriqués par les choix de politiques migratoires de l’État, que par une submersion par le nombre.

    Ceux qui survivent dans les campements du Nord de Paris sont majoritairement en demande d’asile, certains attendent une réponse, d’autres de pouvoir simplement déposer une demande, une minorité a été déboutée. Ils sont majoritairement Afghans et Soudanais, mais aussi Ethiopiens et Erythréens et dans une moindre mesure Guinéens et Ivoiriens. Pas de Chinois, de Sri-Lankais, de Maliens… qui sont accueillis – bien ou mal – par des compatriotes installés de longue date. Pas non plus de Syriens – qui sont peu venus en France.

    Les campements sont le résultat de #politiques_publiques qui ont précarisé les demandeurs d’asile au lieu de les laisser doucement s’intégrer au tissu économique et social de notre pays. Car en vertu d’une loi adoptée en 1991, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. En contrepartie, ils sont censés bénéficier d’un #hébergement, d’une #allocation et de l’#accès_aux_soins. En leur interdisant l’accès au marché de l’emploi, on les assigne à une #dépendance, qui leur est ensuite reprochée. Et qui s’est transformée en #précarité extrême – jusqu’à la rue pour certains – à mesure que les réformes successives ont introduit de nombreuses conditions pour accéder et se maintenir dans le #dispositif_d’aide. Des aides par ailleurs attribuées dans la pratique de manière toujours plus tardive, incomplète et fréquemment suspendues sous divers motifs, ou simplement par erreur.

    Les campements sont également fabriqués par le #choix_politique de sous-dimensionner de manière structurelle le #dispositif_d’hébergement dédié aux demandeurs d’asile. Ce choix, car il s’agit bien d’un choix et non d’une fatalité, est spécifiquement français. On ne trouve en effet aucun campement dans les rues des pays européens comparables à la France. Les seuls pays confrontés à ce phénomène sont ceux qui, situés aux portes de l’Europe, conjuguent arrivées massives et contexte économique dégradé, tels la Grèce, la Bulgarie ou l’Italie.

    Au plus fort des mouvements migratoires vers l’Europe en 2015, la France ne recensait que 79 000 demandeurs d’asile (soit 0,1% de sa population) là où l’Allemagne en comptabilisait un million, mais aucun camp de rue. L’#Allemagne a en effet choisi d’ouvrir des #hébergements, réquisitionner des centaines de gymnases et même un ancien aéroport, plutôt que de laisser les exilés dehors. En France, c’est la théorie de l’#appel_d’air, selon laquelle des conditions favorables risqueraient d’attirer les migrants et des conditions défavorables de les dissuader de venir, qui explique le choix de privilégier une politique basée sur l’#insuffisance_structurelle.

    À la fois issu de dynamiques spontanées (des personnes à la rue qui se regroupent pour passer la nuit) et organisées (des soutiens qui apportent nourritures, tentes et vêtements puis qui exigent des pouvoirs publics l’installation de points d’eau et de WC), les campements apparaissent et s’étendent jusqu’au jour où, jugés trop gros et/ou trop visibles, les autorités décident d’une opération d’évacuation. Ces évacuations laissent cependant toujours dans leur sillage les germes du prochain campement.

    Car si une partie des personnes est effectivement mise à l’abri dans des #hôtels pour entrer dans le #dispositif_national_d’accueil, d’autres sont placées dans des #gymnases avant d’être remises à la rue une ou deux semaines plus tard. Un dernier groupe est systématiquement laissé sur le trottoir sans aucune solution, pas même celle de retourner au campement puisque celui-ci a été détruit pour des raisons sanitaires.

    Un sondage organisé par des associations en 2020 a montré qu’une évacuation laisse en moyenne un quart des personnes sans solution le jour même et que près de la moitié de ceux qui sont mis à l’abri se retrouvent à la rue le mois suivant. Les deux-tiers des personnes évacuées l’auraient ainsi déjà été plusieurs fois.

    Rien d’étonnant donc à ce que les campements succèdent aux opérations de mise à l’abri, et inversement. Cela n’empêche pas la préfecture d’annoncer à chaque évacuation, que cette fois c’est la dernière.

    Une question se pose alors. À la soixante-sixième évacuation, alors que l’expérience longue pourrait informer de nouvelles pratiques, pourquoi rien ne change ?

    Est-ce de l’impuissance ? De l’impréparation ? Et si le campement et l’évacuation constituaient des répertoires de l’#action_publique, plutôt que les manifestations d’un phénomène qui la dépassent ? Ils serviraient alors à cadrer le débat en mettant en scène et en image l’immigration comme un problème, un « trop-plein », justifiant selon la théorie – jamais démontrée – de l’appel d’air, une politique de fermeté.

    Le campement : invisible mais pas trop

    Le campement doit pouvoir servir d’illustration sans cependant prendre trop d’ampleur. D’où une gestion subtile par l’État de la visibilité des campements qui nécessite de naviguer habilement entre la #mise_en_scène du débordement et la maîtrise du #désordre.

    Les campements existent de longue date en France (campements Rroms, campements du Calaisis depuis la fin des années 1990) ainsi que les regroupements informels (à Paris, gare de l’Est au début des années 2000, puis à Austerlitz en 2014) mais ne surgissent dans l’espace médiatique qu’à partir de l’été 2015. Leurs images, relayées par les médias et les réseaux sociaux, entrent en résonance avec les messages, différents selon les publics, que les autorités souhaitent faire passer sur l’immigration.

    Aux citoyens français, on montre l’immigration comme problème en mettant en #spectacle des migrants non seulement trop nombreux mais aussi affamés, sales, malades qui suscitent dès lors un mélange d’#empathie, de #dégoût et de #crainte. La persistance des campements malgré les évacuations fait apparaître l’immigration comme un puits sans fond en donnant l’impression qu’on écume, mais que l’inondation est trop importante.

    Aux migrants, c’est le message du #non-accueil (« il n’y a pas de place pour vous ») qu’on espère faire passer par ces images dans l’objectif de faire fuir ceux qui sont déjà là et décourager ceux qui pourraient vouloir venir.

    Mais les campements ne doivent pas non plus être trop visibles car ils peuvent susciter une #solidarité susceptible de se mettre en travers des politiques migratoires restrictives. Pour peu qu’ils soient au cœur des villes, ils peuvent devenir lieux de rencontre, d’apprentissages, d’engagement et de mobilisation. La quasi-totalité des #collectifs_solidaires est ainsi née dans les campements. Leur recrutement dans les milieux non militants et leur mode de fonctionnement agile et horizontal ont largement renouvelé et même bousculé le champ du soutien aux étrangers.

    Les campements, lieux où personne a priori ne souhaite se retrouver, sont ainsi devenus, dans un renversement, un objectif, un moyen d’obtenir quelque chose pour les exilés et leur soutien. Car, paradoxalement, alors que les évacuations avaient pour objectif affiché de faire disparaître les campements, elles ont abouti à en faire une modalité d’accès à l’hébergement, bien souvent la seule.

    « Faire tenir » un campement est devenu dès lors stratégique pour les personnes exilées et les militants. Il constitue non seulement une solution immédiate bien que précaire mais il permet aussi de rendre visible la situation des exilés et susciter par là une solution plus pérenne. Ce n’est dès lors plus seulement le campement mais aussi sa visibilité qui est devenue une ressource, pour les exilés et leurs soutiens. Et c’est bien en retour la lutte contre cette visibilité qui est devenue un enjeu pour les pouvoirs publics.

    D’où l’ambivalence du traitement étatique à l’égard des campements : les laisser se former tant qu’ils restent de petite taille et peu visibles, les évacuer mais jamais complètement ; les tolérer mais pas n’importe où. Surtout pas au centre, à Paris : depuis 2016, la politique de la préfecture de police de la capitale, appuyée en cela par la Mairie, consiste à repousser les campements à la périphérie puis à l’extérieur de la ville. Les consignes des policiers auprès des personnes exilées sont sans ambiguïté : pour espérer poser sa couverture quelque part, il faut partir en dehors de Paris.

    Le campement revient néanmoins sous les feu des projecteurs au moment de l’évacuation organisée comme un spectacle.

    L’évacuation : le spectacle… et ensuite

    L’évacuation est autant une opération de #maintien_de_l’ordre que de #communication. C’est le moment où l’État met en scène sa #responsabilité et sa #fermeté. Son #humanité aussi. Il doit laisser voir un subtil mélange de deux facettes : non, il n’est pas laxiste en matière d’immigration mais oui, il respecte les valeurs républicaines et humanistes. Il doit aussi faire croire aux habitants du campement, comme aux médias, que tout le monde va être mis à l’abri… tout en ayant prévu un nombre de places insuffisant.

    D’où les deux moments de l’évacuation : celui visible du spectacle sur une scène centrale sous les projecteurs, en présence de nombreux acteurs ; puis quand ces derniers sont partis, la suite en coulisses, où la violence peut se déployer à l’abri des regards.

    Après 66 évacuations parisiennes, il est possible d’identifier un #rituel respecté à la lettre. Les mêmes gestes sont répétés avec précision et minutie, sans presque aucune variation.

    D’abord la date : un vrai-faux mystère est savamment entretenu autour du jour de l’évacuation. Certains acteurs, les structures d’hébergement mais aussi les journalistes, doivent être au courant. D’autres, les associations et les personnes exilées, doivent être tenus dans l’ignorance pour limiter les risques d’installations de dernière minute sur le campement. Les collectifs solidaires seront néanmoins les premiers sur place au petit matin pour distribuer boissons chaudes et informations, tenter de récupérer du matériel et surveiller les comportements des policiers.

    Les opérations proprement dites débutent à 5h du matin par l’encerclement du campement par des policiers lourdement équipés ; le préfet arrive, il ouvre la conférence de presse à laquelle assistent les journalistes, les élus et l’opérateur France Terre d’Asile. Il déclare qu’il convient de lutter contre les « #points_de_fixation » que constituent les campements parce qu’ils sont dangereux « pour les riverains comme pour les migrants », il annonce que suffisamment de places ont été mobilisées pour que tout le monde soit hébergé, que c’est la dernière évacuation et que le campement ne se reformera pas. Les journalistes relaient le nombre de places rendues disponibles et interviewent un exilé et un soutien.

    Les exilés montent dans les bus après avoir été fouillés un par un, pendant que leurs tentes, sacs de couchage et autres affaires sont détruites. Les soutiens profitent de la fenêtre d’attention médiatique pour déployer une banderole destinée à être photographiée et relayée sur les réseaux sociaux.

    Alors que les journalistes et les élus sont partis depuis longtemps, on « s’apercevra » qu’il n’y a pas assez de place. Commence alors la seconde partie de l’évacuation. La mise à l’abri prend un sens différent : il s’agit de mettre à l’abri des regards ceux qui demeurent à la rue. Les policiers laissés seuls face à cette pénurie organisée, ayant ordre de faire disparaître « le campement », piochent alors dans leur répertoire : violence verbale et physique, coups de matraque, coups de pied, gaz lacrymo… pour chasser les personnes vers un ailleurs indéfini. Ce que les exilés et les soutiens encore présents s’efforceront de rendre visible par des photos et films sur les réseaux sociaux.

    *

    Comme les « faux mineurs isolés » et les « étrangers qui abusent » (des allocations, du système de soin et d’asile), les campements et leur évacuation sont une figure centrale du #récit_médiatique sur le phénomène migratoire. Pourtant, ils n’en représentent qu’une toute petite partie et nous en disent moins sur ce dernier que sur nos choix politiques. Ce récit sert tout autant à raconter une histoire qu’à en taire une autre.

    Les campements et les évacuations racontent l’immigration comme #problème et les étrangers comme trop nombreux et trop coûteux pour pouvoir être bien accueillis. L’horizon des politiques migratoires est dès lors restreint à une seule question : comment réduire le nombre des arrivées et éviter les « appels d’airs » ? Ainsi racontée, l’histoire interdit de prendre le recul nécessaire à une compréhension fine du phénomène migratoire. Elle dirige toutes les ressources vers le #non_accueil, le #contrôle et la #répression et les détourne de l’investissement dans l’accueil, la formation, l’insertion et tous les autres outils permettant aux étrangers de construire leur place dans notre société.

    Ce #récit laisse dans l’ombre l’histoire d’un #État qui condamne à la misère les nouveaux arrivants en les privant du droit de travailler, substitué par un système d’accueil structurellement sous-dimensionné et de moins en moins accessible. Il permet enfin de continuer à ignorer les recherches qui depuis maintenant plus de 30 ans démontrent de manière presque unanime que l’immigration est très loin de constituer un problème, économique, social ou démographique.

    Les campements sont un répertoire des politiques migratoires et non la conséquence d’un #trop_plein. Ils perdurent jusqu’à ce jour car ils sont non seulement le résultat mais aussi une justification des politiques migratoires restrictives. À rebours du campement et des impasses qui nous tiennent aujourd’hui lieu de politique, les recherches et les pratiques de terrain, vivifiées par l’émergence en 2015 d’un mouvement solidaire inédit, inventent des #alternatives et dessinent des perspectives où l’immigration n’est ni un problème ni une solution, mais bien ce qu’on en fait.

    https://aoc.media/analyse/2021/01/05/de-lusage-des-campements-dans-les-politiques-migratoires
    #campement #migrations #asile #réfugiés #Karen_Akoka #Aubépine_Dahan #précarisation #visibilité #in/visibilité #vide #plein #droit_au_travail #travail #SDF #sans-abris #sans-abrisme #destruction #ressources_pédagogiques

    ping @isskein @karine4

  • #Conférence_de_presse conjointe sur la réponse européenne à la #menace_terroriste

    Une conférence de presse a eu lieu hier à Paris, avec #Sebastian_Kurz (chancelier autrichien), #Angela_Merkel, #Mark_Rutte (Pays Bas) ainsi qu’avec le président du Conseil européen, #Charles_Michel, et la présidente de la Commission européenne, #Ursula_Von_der_Leyen.

    La conférence de presse complète est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=zL6_Ewwy8dE&feature=youtu.be

    Message reçu via la mailing-list Migreurop, 11.11.2020 (que j’anonymise et modifie légèrement) :

    Lors de cette conférence ont été tenu des propos potentiellement inquiétants par Emmanuel #Macron. Dans sa prise de parole officielle, il a déclaré : « Il ne faut en rien confondre la lutte contre l’#immigration_clandestine et le terrorisme, mais il nous faut regarder lucidement les #liens qui existent entre ces deux phénomènes. » (à 4mn52sec.)
    Parfaite illustration de l’utilisation rhétorique de la litote !
    En résumé tout ce qui est dit avant le « mais » ne compte pas…

    Plus tard dans la conférence de presse, une journaliste lui pose la question du respect du #droit_d’asile, et il répond ceci : « Tout particulièrement, et c’est un sujet dont nous devons nous emparer collectivement, nous constatons dans tous nos pays à un dévoiement de ce qui est le droit d’asile. Le droit d’asile est fait pour les #combattants_de_la_paix, pour ceux qui prennent un #risque dans leur choix politique dans leur pays. Et nous voyons de plus en plus aujourd’hui de personnes qui viennent demander le droit d’asile en Europe et qui viennent de pays qui ne sont pas en #guerre, auxquels nous donnons des centaines de milliers de #visas chaque année. Donc il y a un dévoiement, qui est utilisé chaque année par des trafiquants, par des réseaux qui sont bien identifiés. » (à 35mn20sec.)

    Ces mots sont inquiétants…
    D’abord parce que Macron, quand il parle du droit d’asile sous cette forme, ne parle pas du droit d’asile au sens de la #convention_de_Genève, mais bien uniquement de l’asile sous sa forme constitutionnelle française.
    #Asile_constitutionnel : "toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la #liberté" (alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946)
    L’OFPRA le détaille comme ceci :
    "existence d’une #persécution_effective (et donc pas seulement d’une #crainte_de_persécution)
    les auteurs des persécutions peuvent être déterminés ou non, organisés ou non
    le demandeur a fait preuve d’un engagement actif en faveur de l’instauration d’un régime démocratique ou des valeurs qui s’y attachent (liberté d’expression, liberté d’association, liberté syndicale...)
    l’engagement du demandeur doit être dicté par des considérations d’#intérêt_général (et non d’ordre personnel)"

    Cette forme est bien plus restrictive que l’asile au sens de la Convention :
    Article 1, A, 2 :
    « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. ».

    Quand Emmanuel Macron déclare que c’est un sujet dont les pays européens doivent s’emparer collectivement, est-ce qu’il ne faut pas craindre que des discussions au sein des Etats-membres s’engagent sur une #restriction des #critères d’attribution de l’asile ? Voire une #remise_en_cause de l’asile conventionnel ?
    Ce vendredi doit se tenir une réunion du Conseil Européen, avec tous les ministres de l’intérieur européens. Il faut rappeler que Gérald Darmanin aurait évoqué une remise en cause du droit d’asile, le 18 octobre. Sujet qui n’aurait « pas été à l’ordre du jour » du conseil de défense, contrairement à son souhait.
    https://blogs.mediapart.fr/david-t/blog/191020/itineraire-dune-info-gatee

    Ce #glissement _émantique de la France, qui je l’espère ne va pas déteindre sur les autres Etats-membres.

    #extrémisme_violent #terrorisme #asile #migrations #réfugiés

    ping @isskein @karine4

    • En 2004, dans Vivre Ensemble, on parlait déjà de ORS...
      Abri PC du #Jaun Pass :

      La logique de la dissuasion

      Le régime d’aide d’urgence imposé aux personnes frappées de non-entrée en matière (NEM) vise à déshumaniser l’individu. Tout est fait pour leur rendre le séjour invivable et les pousser à disparaître dans la clandestinité, comme le montrent les exemples ci-dessous relevés en Suisse allemande, où les personnes frappées de NEM et les requérants déboutés de la procédure d’asile sont placés dans des « centres d’urgence » ou « centres minimaux » (Minimalzentren). Petit tour des lieux dans les cantons de Berne et Soleure.

      Le canton de Berne, pionnier en la matière, avait déjà concrétisé le principe d’assignation à un territoire (art. 13e LSEE) bien avant l’entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2007, en ouvrant deux centres d’urgence, l’un sur le col du Jaun en juin 2004 et l’autre qui lui a succédé en 2005, sur l’alpage du Stafelalp : « Si notre choix s’est porté sur le Col du Jaun », expliquait la Cheffe de l’Office de la population lors d’une conférence de presse le 7 juin 2004, c’est notamment parce que cette solution « (…) n’incite pas à s’attarder en Suisse. » Et que : « D’autres personnes vont l’utiliser également. Il s’agit de personnes qui ont activement empêché leur renvoi ou qui dissimulent leur identité et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une décision de refus d’entrer en matière… ».

      L’abri PC du Jaun

      Un des journalistes présents le décrit ainsi dans le Journal du Jura du 8 juin 2004 :

      « A l’extérieur, des grillages ont été installés afin que le lieu soit un peu isolé, et pour protéger les requérants d’éventuels importuns. (…) Les gens sont répartis dans des chambres de quatre à douze personnes (…) les requérants ne touchent pas d’argent liquide, mais des prestations en nature. Ce sont des bons qu’ils peuvent échanger contre de la marchandise au kiosque tenu par l’ORS (Organisation pour mandats spéciaux et en régie SA) qui gère le centre (…) ».

      Très peu de requérants s’y rendirent ; d’autres s’enfuirent, telle une mère avec une petite fille de deux ans qui vint chercher de l’aide à… Soleure ! Une jeune femme fut hospitalisée, suite à une grève de la faim.

      Sur l’alpage

      A l’abri de protection civile du col du Jaun fermé en novembre 2004, succéda le centre d’urgence du Stafelalp. En 2005, les NEM et d’autres personnes désignées comme des « NIKOS », abréviation de « Nichtkooperativ », ont été logés dans une ancienne colonie de vacances isolée, située sur l’alpage de Stafelalp. Dans ce centre, comme auparavant dans celui du Jaun, les requérants ont été cantonnés dans un périmètre de 2 km autour du centre, avec interdiction formelle de franchir ces « frontières ». Le centre de Stafelalp plus fréquenté que celui du Jaun était considéré comme « trop attractif » pour les autorités, et la durée moyenne de séjour des NEM (52 jours) trop longue. Il fallait trouver autre chose.

      En janvier 2006, le centre fut fermé et les NEM ont été réintégrés dans un centre de transit. Ils ne touchent pas d’argent mais ont droit à trois repas par jour. Ils s’y déplacent plus librement, du moins à pied. Mais le fait qu’ils ne disposent d’aucun pécule pour payer les transports publics restreint leur liberté de mouvement aux alentours et dans la commune de Lyss où est situé le centre.

      Soleure ne fait pas mieux

      Depuis mai 2006 (auparavant ils bénéficiaient d’aide en espèce et aucun hébergement n’avait été mis à leur disposition), les « NEM » soleurois sont logés dans le centre d’accueil pour requérants d’asile situé sur la montagne du Balmberg, mais ils n’y sont pas nourris. Ils y touchent 8 fr. par jour pour leur entretien, versés sur place tous les jeudis par le responsable du centre. Le contrôle de présence est journalier et ceux qui s’absentent perdent leur pécule pour les jours d’absence, voire leur droit à l’hébergement en cas de récidive. Les occupants n’ont pas le droit d’y accueillir des amis pour la nuit. Le visiteur externe doit demander une autorisation au responsable (qui lui est parfois refusée sous divers prétexte) pour y entrer.

      Là-haut sur la montagne !

      Le lieu est isolé. On y trouve trois téléskis et un restaurant, mais aucun magasin, si bien que les requérants frappés de NEM sont obligés d’utiliser l’autobus circulant de Soleure au Balmberg (prix du billet aller et retour : 11 fr.!) pour faire leurs achats et se procurer le nécessaire. Si les requérants d’asile encore en procédure, également logés dans ce centre, bénéficient de tickets de bus gratuits, ce n’est pas le cas des personnes frappées d’une NEM. Ils n’ont le droit de consulter un médecin qu’en cas d’urgence et c’est un des responsables du centre, sans formation médicale, qui prend la décision. Depuis quelques mois, les NEM doivent débourser quelques centimes pour des comprimés : antidouleurs, aspirine etc. (obtenus gratuitement auparavant) distribués sur place par le préposé à la pharmacie.

      Une stratégie efficace

      Le régime drastique, l’isolement et le nombre de descentes de police qui les terrorisent fait qu’au bout de quelques semaines, les NEM soleurois « disparaissent » dans la clandestinité. La méthode, il faut le reconnaître, est efficace et la stratégie de découragement sur laquelle l’Office des réfugiés (actuellement l’Office fédéral des migrations) avait misé dans un rapport de mars 2000 pour se débarrasser des indésirables, a l’air de se réaliser. Les six NEM qui sont encore au Balmberg ne pèsent pas lourd, en regard des centaines de ces « disparus volontaires », soumis dans les centres d’urgence « à une pression psychique insupportable » au point qu’ils ont préféré la clandestinité. Beau résultat pour un pays qui se vante d’être un Etat de droit.

      https://asile.ch/2007/02/05/suisse-allemandecentres-d%e2%80%99urgence-pour-nemla-logique-de-la-dissuasion

    • RTS | Des voix s’élèvent contre la prise en charge des migrants par des entreprises privées

      Amnesty International dénonce la situation dans le centre de migrants de Traiskirchen en #Autriche. L’organisation pointe du doigt la surpopulation et les conditions d’hygiène déplorables qui y règnent. Or ce centre est géré par la filiale autrichienne de l’entreprise privée zurichoise ORS. Une nouvelle qui relance le débat sur l’encadrement des requérants par des privés.

      https://seenthis.net/messages/402089

    • The Corporate Greed of Strangers
      –-> ORS Service AG in Austria and Switzerland

      Other international players like the Swiss company ORS Service AG are also expanding into Germany. ORS in 2015 had five reception centres in Munich.

      ORS Service is based in Zurich in Switzerland and was set up as a private company to work with the Swiss federal government from 1991 to house asylum seekers. For twenty years, through to 2011, although the contract should have been retendered every five years the Swiss government did not put the contract out to tender.

      In 2011 ORS Service outbid European Homecare for the federal contract in Austria for reception centres under the responsibility of the ministry of interior. By the end of 2014, they were providing twelve reception centres including tent camps in Salzburg and Linz and being paid around 22 million euros by the federal government. ORS runs Austria’s main initial reception centre in the town of Traiskirchen, near Vienna, which was designed for around 1700 refugees. By the summer of 2015 over 3,000 refugees were living there, Amnesty International called the ORS camp ‘shameful’, with 1,500 people forced to sleep outside on lawns and nearby roads.

      On its home territory ORS Service works in partnership with the Swiss Securitas private security company in delivering a very controversial reception and accommodation policy which has included remote locations and housing asylum seekers underground in wartime military bunkers. Reception and detention policies have been influenced by Swiss politics which over the past few years have been dominated by the anti-immigrant Swiss People’s Party (UDC) which has become the largest party at the federal level. Currently refugees arriving in Switzerland have to turn over to the state any assets worth more than 1,000 Swiss francs (£690) to help pay for their upkeep, a practice that has drawn sharp rebukes for Denmark.

      https://seenthis.net/messages/465487

    • Quand l’accueil des personnes en exil devient un bizness

      A l’origine, il s’agit d’une agence d’intérim lausannoise créée en 1977 nommée ORS Services SA. En 1992, la société devient ORS Service AG et déménage à Zurich. En 2005, le fondateur de l’entreprise la revend à #Argos_Soditic qui la revend à #Invision en 2009, qui finalement la revend à #Equistone en 2013. Equistone Partners Europe est un fond d’investissement international avec des antennes dans 4 pays européens. ORS déclare un chiffre d’affaires de 65 millions de francs suisses pour 2014, essentiellement en provenance de fonds publics. Selon plusieurs médias, celui-ci atteint 85 millions en 2015 mais son bénéfice n’a jamais été divulgué. Alors quand Claude Gumy, directeur opérationnel à Fribourg dit dans le journal Le Temps « Notre but n’est pas de gagner de l’argent pour le compte d’investisseurs. Nous nous occupons avant tout d’êtres humains », de qui se moque-t-il ? Pour faire des économies l’État suisse délègue la gestion de « l’accueil » a des investisseurs qui après avoir spéculé sur les marchandises et dépouillé les pays pauvres spéculent sur les flux migratoires qu’ils ont ainsi engendrés. Leur entreprise est d’ailleurs réputée pour sa collaboration inconditionnelle avec les services étatique et la police dont les pratiques répressives ne font aucun doute.

      https://seenthis.net/messages/573420

    • Gestion de l’asile | ORS Fribourg : Quand l’État fait la sourde oreille. Business is Business ?

      Pour faire la lumière sur les agissements d’ORS, le mouvement solidaritéS et le collectif Droit de rester ont rédigé un rapport d’une trentaine de pages. Il recense les témoignages de quelques dizaines de personnes : usagèr.e.s d’ORS, bénévoles et travailleurs/euse sociaux/ales. Le groupe s’est confronté à la réticence de certain.e.s témoins potentiels. ORS interdit à ses employé.e.s de parler de l’entreprise à des personnes externes, sous peine de sanctions, même après la fin du contrat.

      https://seenthis.net/messages/786789
      #rapport

    • ODAE-romand | L’envers du décor dans les centres fédéraux

      Une demandeuse d’asile a passé près de six mois dans les CFA de #Zurich, #Boudry et de #Giffers. Dans le bulletin d’Augenauf de novembre 2020, elle raconte les #conditions_de_vie, les #brimades, #vexations et #violences quotidiennes qu’elle y a vécues. L’ODAE romand en publie quelques extraits.

      https://seenthis.net/messages/893672

      Texte original publié par Augenauf (en allemand) :
      https://www.augenauf.ch/images/BulletinProv/Bulletin_106_Nov2020.pdf

    • Lettre ouverte au SEM - Droits humains gravement violés au Centre Fédéral d’Asile de #Boudry : peut-on encore parler d’un centre “d’asile” ?

      Chères et chers journalistes et sympathisant·es,

      Vous trouverez ci-dessous une lettre ouverte que nous avons adressée ce jour au Secrétariat d’Etat aux Migrations, à travers Messieurs Mario Gattiker, Secrétaire d’Etat, et Pierre-Alain Ruffieux, responsable asile pour la Suisse romande. Elle a également été envoyée à Monsieur Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat neuchâtelois en charge du Département de l’Economie et de l’Action Sociale.
      Droits humains gravement violés au Centre Fédéral d’Asile de Boudry : peut-on encore parler d’un centre “d’asile” ?

      –---

      Nous dénonçons depuis longtemps des situations inhumaines au Centre Fédéral d’Asile (CFA) de Boudry (NE)[1], mais les cas de réfugié·es subissant de #mauvais_traitements - le mot est faible - s’accroît de façon préoccupante. Ce qui se passe depuis plusieurs mois maintenant est intolérable et ne peut rester sans réaction de notre part.

      Selon nos informations et observations, nous ne sommes pas face à des cas isolés, mais devant un véritable #système_punitif, qui va au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. #Abus_de_pouvoir de certain·es agent·es de sécurité de l’entreprise #Protectas, #mépris et #comportements_racistes qui créent un climat de #peur et poussent à bout certain·es habitant·es du Centre. Visites impromptues du personnel de sécurité dans les chambres, sans frapper, ni dire bonjour, gestion catastrophique des #conflits, sans souci de calmer le jeu, ni d’écouter. "Ils ne savent pas parler, ils répriment”, raconte un habitant du Centre. Des requérant·es jugé·es arbitrairement et hâtivement comme récalcitrant·es sont enfermé·es pendant des heures dans des containers insalubres et sous-chauffés. Plusieurs témoignages attestent d’une salle sans aucun mobilier, avec des taches de sang et des odeurs de vomi et d’urine. Beaucoup en ressortent traumatisés. Une personne s’est récemment retrouvée en état d’#hypothermie [2].

      Les témoignages vont tous dans le même sens : peur de porter #plainte par #crainte des conséquences pour sa procédure d’asile ou par crainte de recroiser les mêmes agent·es de sécurité. Mais les faits sont là : utilisation abusive du #spray_au_poivre, #plaquages_au_sol, #insultes_homophobes, #harcèlement envers des personnes vulnérables et #hospitalisations suite à l’#enfermement dans des cellules. Plusieurs #tentatives_de_suicide sont attestées et il y a eu #mort d’homme : le 23 décembre, un requérant d’asile est décédé aux abords du Centre de Boudry. Il s’agissait d’une personne vulnérable, suivie en psychiatrie et qui avait déjà tenté de se suicider. Alors que cette personne avait besoin d’aide, à plusieurs reprises, le personnel de sécurité de Protectas lui a refusé l’accès au Centre, du fait de son état d’ivresse.

      A Boudry, la #violence est banalisée. Au lieu d’apaiser les conflits, les agent·es de Protectas les attisent. Des membres du personnel de sécurité abusent de leur pouvoir en faisant régner leurs propres lois. Ainsi, alors que les #cellules_d’isolement ne sont prévues que pour protéger les requérant·es d’asile et le personnel du CFA de personnes ayant un comportement violent et pour une durée n’excédant pas deux heures[3], on constate que la réalité est tout autre. Le moindre dérangement est réprimé par un #enfermement_abusif et qui dépasse souvent le temps réglementaire, allant jusqu’à un #isolement d’une nuit entière. Nous avons eu connaissance d’un mineur qui a été enfermé alors que le règlement l’interdit. De telles #privations_de_liberté sont illégales. Pour échapper à ces mauvais traitements, beaucoup quittent la procédure d’asile en cours de route.

      Les droits humains sont violés dans les CFA, en toute impunité, dans un #silence de plomb que nous voulons briser. Ce qui se passe à Boudry se passe aussi ailleurs[4] et c’est la conséquence d’une logique de camps. C’est tout un système que nous dénonçons et non pas des dysfonctionnements ponctuels.

      ***

      Face à cette gestion désastreuse et les drames humains qu’elle entraîne, nous demandons qu’une enquête indépendante soit ouverte établissant les faits en toute objectivité. En accord avec les personnes qui ont pris contact avec Droit de Rester, nous sommes prêt·es à témoigner.

      Nous demandons que des mesures concrètes soient prises pour mettre fin à ce système défaillant, qui transforme les CFA en prisons. Il n’est pas normal que le budget alloué à l’encadrement sécuritaire par le SEM soit plus important que celui consacré à l’encadrement social et sanitaire dans les CFA. Il est nécessaire de renverser la vapeur en engageant des professionnel·les du travail social et de la santé en nombre suffisant et ayant pour mission de soutenir, d’écouter, de soigner et de répondre aux besoins spécifiques des requérant·es d’asile. Ceci dans l’optique de créer un climat de bienveillance, réparateur des traumatismes vécus sur la route de l’exil par les personnes dont ils-elles ont la charge. Actuellement, les agent·es de sécurité ont des prérogatives immenses qui ne devraient absolument pas leur être confiées en raison d’un manque de formation flagrant.

      Nous demandons la suppression immédiate de ces cellules-containers et la refonte complète du régime de sanctions.

      Nous exigeons la fin de la privatisation du domaine de l’asile ; l’arrêt de toute collaboration avec des entreprises de sécurité ou d’encadrement privées de surcroit cotées en bourse (telles que Protectas, Securitas ou ORS) dans le cadre des CFA et autres lieux d’hébergement. L’asile n’est pas un business. L’argent attribué à ces tâches par l’Etat doit revenir à des structures sociales et de soins publiques.

      Nous exigeons transparence et respect du droit suisse et international. Actuellement les CFA sont des boîtes noires : les règlements internes sont inaccessibles, les requérant·es d’asile n’obtiennent pas les rapports des sanctions prononcées à leur encontre, rapports rédigés par Protectas dont le contenu varie à leur guise afin de justifier les sanctions aux yeux du SEM. Toute sanction devrait être prononcée par du personnel cadre du SEM.

      Nous demandons l’introduction d’un organe de médiation indépendant de gestion des plaintes vers qui les requérant·es d’asile lésé·es pourraient se tourner. Finalement, il est nécessaire d’ouvrir les portes des CFA aux organisations et personnes de la société civile – comme c’est notamment le cas en Hollande, pays dont la Suisse s’est inspirée pour mettre en œuvre le système actuel – afin de rompre l’isolement et de cesser avec ces zones de non-droit.

      Nous demandons aussi la fermeture du Centre spécifique des Verrières, restreignant la liberté de mouvement de ses occupants de par son emplacement-même et conçu comme un centre punitif. C’est de soutien psychologique et de soins dont les requérant·es d’asile, y compris celles et ceux qui sont jugés récalcitrant·es, ont besoin à leur arrivée. L’équité des soins par rapport à ceux offerts à la population résidente doit être effective. Ce sont l’isolement, l’exclusion, la promiscuité et l’armada d’interdits qui accentuent les traumatismes, les addictions, le stress et les tensions. Stop à la logique de camp !

      C’est une alerte que nous lançons. Nous espérons qu’elle sera entendue et attendons qu’elle soit suivie d’effets dans les meilleurs délais.

      Contact médias :
      Denise Graf, 076 523 59 36
      Louise Wehrli, 076 616 10 85
      Caterina Cascio, 077 928 81 82

      [1] Voir par exemple ici : https://rester.ch/wp-content/uploads/2020/05/2020.05.28_Communiqu%C3%A9_de_presse_camp_nous_d%C3%A9non%C3%A7ons-1.pdf ou là : https://www.canalalpha.ch/play/minimag/episode/3819/risque-de-suicide-quel-soutien-psy-pour-les-migrants-a-boudry

      [2] Le 17 février, la radio RTN révèle un cas d’hypothermie survenue au centre de Boudry 2 jours plus tôt : https://www.rtn.ch/rtn/Actualite/Region/20210215-Etat-d-hypothermie-au-Centre-de-Perreux.html

      [3] Voir à ce sujet les p. 51-52 du Plan d’exploitation Hébergement : https://www.plattform-ziab.ch/wp-content/uploads/2020/10/SEM_PLEX_2020.pdf

      [4] A ce sujet, sur les violences au Centre de Giffers : https://asile.ch/2020/06/23/le-courrier-violences-a-chevrilles, sur celles au centre de Bâle : https://3rgg.ch/securitas-gewalt-im-lager-basel , témoignages récoltés par Migrant Solidarity Network (1 et 2), ici le rapport de la Commission Nationale de Prévention de la Torture : https://asile.ch/wp-content/uploads/2021/01/CNPT_CFA_DEC_2020-fr-1.pdf et là le communiqué de humanrights.ch : https://www.humanrights.ch/fr/qui-sommes-nous/commentaire-violences-cfa

      Lettre reçu via la mailing-list Droit de rester, le 12.03.2021

    • Les conséquences de l’asile au rabais

      Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) est enfin sorti de son mutisme. Mercredi, sous pression, après d’énième révélations sur des cas de mauvais traitements dans les centres d’asile, il a annoncé qu’il mandatait une enquête indépendante concernant plusieurs cas de recours excessif à la force.

      C’est une avancée car, jusqu’ici, l’institution n’avait jamais reconnu de dysfonctionnements. Alors que quatre plaintes avaient été déposées contre la société de sécurité #Protectas en juin dernier par des demandeurs d’asile blessés au centre de #Chevrilles, il n’avait pas bronché, déléguant d’éventuelles sanctions à la société privée. Plus d’un an après, justice n’a toujours pas été rendue. Certains plaignants ont été expulsés…

      Le SEM affirme avoir aussi suspendu 14 membres du personnel de sécurité impliqués dans différentes affaires, notamment pour un recours abusif à des « #salles_de_réflexion », que certain·es nomment « salles de torture ». Berne a été sommé de réagir suite à un enregistrement clandestin qui prouve que les agent·es n’hésitent pas à falsifier des rapports dans le but de justifier le recours à la violence. Le SEM a annoncé qu’il allait réexaminer les modalités de recrutement du personnel de sécurité et leur formation.

      C’est un premier pas, mais insuffisant. Quatorze suspensions pour combien d’incidents impunis ? « J’ai vu des gens se faire tabasser sous mes yeux… la plupart ne portent jamais plainte. Si tu te plains, tu peux être sûr que les sévices doubleront », nous confiait hier un homme qui a résidé au centre de #Boudry et de Chevrilles.

      Les associations actives dans le domaine de la migration dénoncent depuis des années le processus de #privatisation de l’asile. La Confédération recoure à des sociétés privées pour assurer la sécurité et l’encadrement dans ses centres. Or, ces entreprises ont pour objectif de faire du profit. Il n’est pas étonnant qu’elles lésinent sur les moyens. Recrutements à la va-vite, formations inexistantes et contrats précaires engendrent des situations explosives où le personnel est démuni face à une population au parcours extrêmement difficile.

      La Suisse doit faire mieux, elle en a les moyens. Alors que des personnes cherchent ici protection, elles rencontrent violence et mépris. Il est inacceptable que nos impôts continuent à financer un système arbitraire perpétuant une terreur que les personnes migrantes ont fuit au péril de leur vie.

      https://lecourrier.ch/2021/05/06/les-consequences-de-lasile-au-rabais

    • Documentation | Violences dans les centres fédéraux d’asile

      Depuis plusieurs mois en Suisse des cas de violences perpétrées dans et autour des centres fédéraux d’asile (CFA) ont été dénoncés. Sans changements significatifs opérés, d’autres sont à craindre. Pour que les personnes réfugiées ne soient pas à nouveau des victimes isolées, il est important d’apporter un regard externe sur ce qui se passe au sein des CFA. Ces questions touchent à la cohésion sociale. Le 5 mai 2021, les résultats d’une enquête de médias associés ont été présentés au public (https://www.rts.ch/info/suisse/12175381-bavures-et-rapports-trafiques-la-securite-derape-dans-les-centres-feder), révélant à nouveau des exactions commises par les employé.es des sociétés de sécurité envers des résident.es. Le Secrétariat d’État à la migration (SEM) a réagit par voie de presse (https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/sem/medien/mm.msg-id-83389.html) en annonçant l’amorce d’une enquête indépendante. Les médias et la société civile jouent un rôle essentiel pour faire la lumière sur des questions de sécurité publique et de respect des droits humains.

      Le 5 mai dernier les résultats d’une enquête de la RTS (https://www.rts.ch/info/suisse/12175381-bavures-et-rapports-trafiques-la-securite-derape-dans-les-centres-feder), SRF et la WOZ a été rendue publique. En s’appuyant sur des enregistrements et témoignages, elle documente plusieurs exactions commises par les personnes en charge de la sécurité dans différents centres fédéraux d’asile. “Des rapports sont parfois truqués par les agents de sécurité pour se couvrir. En réaction à ces révélations, le Secrétariat d’État aux migrations a fait suspendre 14 de ces employés de sociétés privées et lance une enquête externe” (RTS). Le téléjournal de midi, de 19h30 et l’émission Forum en ont parlé. Le matin même, le SEM a publié un communiqué annonçant avoir été informé du recours à des “mesures coercitives disproportionnées” de la part d’agent.es de sécurité. Demandé depuis plusieurs années par la société civile, il annonce avoir chargé l’ancien juge Niklaus Oberholzer d’une enquête indépendante et vouloir réfléchir au recrutement et à la formation de ces personnes . Le quotidien Le Courrier (https://lecourrier.ch/2021/05/05/quatorze-agent%c2%b7es-de-securite-suspendu%c2%b7es) est allé à la rencontre du collectif Droit des rester Neuchâtel qui doute de ces dernières mesures : « Nous demandons que ce soit des entités publiques à but non lucratif qui gèrent l’encadrement. Celles-ci doivent engager des professionnel·les de la médiation, du travail social, de l’interculturalité et de la santé. »

      Avant cela, le 28 avril 2021 le Secrétariat d’État à la migration (SEM) avait publié un communiqué (https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/sem/medien/mm.msg-id-83251.html) déplorant l’augmentation des menaces envers les centres d’asile fédéraux (CFA). Il y est fait état de déprédations faites aux bâtiments, mais également de menaces et de mises en danger d’employé.es du SEM. Dans le viseur, des « groupes de gauche radicale » qui feraient appel via leur site à des actes de vandalisme, ou même appel à la violence envers des employé⸱es. Les associations de défense du droit d’asile ont condamné de tels procédés. La Plateforme Société civile dans les centres fédéraux s’est positionnée (https://mailchi.mp/d2895a50615c/neuigkeiten-baz-nouveauts-cfa) en rejetant toute forme de violence. Le collectif bâlois 3RGG -auteur d’un rapport répertoriant les actes violents envers les personnes requérantes d’asile au sein du centre fédéral d’asile du canton de Bâle (BässlerGut) – se distancie également de ces méthodes (https://asile.ch/2021/04/30/3rgg-communique-violences-dans-les-camps-federaux-dasile) qui ne sont pas les leurs. Ses auteurs regrettent que leurs appels à se mobiliser contre les violences impunies du personnel de sécurité envers des résident⸱es isolé⸱es n’ait connu que peu d’échos dans les médias et dans la vie des centres en conséquent.
      Jusqu’ici ce sont d’autres types de dénonciations de violence en lien avec les CFA qui ont été exprimées. En 2021, au CFA de Boudry (NE) c’est un cas d’hypothermie (https://lecourrier.ch/2021/02/17/hypothermies-au-centre-dasile) pour une personne placée en « cellule de dégrisement » qui a servit de révélateur à ce que Droit de rester Neuchâtel décrit comme un « réel système punitif ». En 2020, dans le centre de renvoi de Giffers, quatre #plaintes (https://asile.ch/2020/09/22/solidarite-tattes-giffers-visite-aux-requerants-qui-ont-denonce-des-violences) ont été déposées contre la société de sécurité Protectas pour des exactions envers des résident.es. A BässlerGut, le travail d’enquête (https://asile.ch/2020/07/30/enquete-violences-au-centre-federal-de-bale-quand-le-systeme-deraille) poussé qu’avait publié le collectif 3 RGG faisait état de violences graves perpétrées par des personnes en charge de la sécurité envers les personnes résidentes, avec des processus de dénonciation inefficient à l’interne. La commission nationale de prévention de la torture (CNPT) après une visite au sein de plusieurs CFA en janvier 2021 suggérait elle aussi des améliorations (https://asile.ch/2021/01/20/cnpt-rapport-dobservation-des-centres-federaux-dasile-la-violence-pointee-du-d) concernant la gestion des conflits, la prévention de la violence et la gestion des plaintes. Une des réponses offerte par le SEM est celle de la réouverture du centre spécifique des Verrières pour accueillir les personnes qui « représentent une menace pour elles-mêmes ou pour autrui ». L’OSAR s’inquiète (https://www.osar.ch/communique-de-presse/centre-des-verrieres-les-requerants-dasile-doivent-beneficier-dune-representati) de cette mise à l’écart pour des personnes généralement fragilisées. Selon l’organisation, il vaudrait bien mieux miser sur la prévention de la violence et renforcer l’encadrement.

      Liées à des conditions structurelles, ces dénonciations de part et d’autres ne s’arrêteront probablement pas là. Dans ce jeu du chat et de la souris, les médias et la société civile jouent un rôle important pour faire la lumière sur des dynamiques en présence. L’éditorial du dernier numéro de la revue Vivre Ensemble le rappelait : ” […] les centres fédéraux réunissent les deux ingrédients de la violence institutionnelle : fermés d’accès au regard public, ils donnent au personnel un pouvoir énorme sur une catégorie de personnes. Or, les véritables garde-fous à l’impunité et à l’arbitraire se situent du côté de la transparence. Et la société civile est bien là, du côté des victimes, et ne manque pas de le lui rappeler. “

      https://asile.ch/2021/05/07/documentation-violences-dans-les-centres-federaux-dasile

    • Centres fédéraux | À l’écoute des victimes

      Le #déni des autorités intenable face à la médiatisation des violences

      Le mois de mai aura vu la question des violences dans les CFA tenir une belle place dans l’actualité. D’abord avec les enquêtes de la RTS, de la SRF et de la Wochenzeitung, puis avec le rapport d’Amnesty International qui relate des cas de maltraitances à l’égard de requérant·es d’asile qui pourraient s’assimiler à de la torture [1]. Des témoignages de victimes, mais également d’ancien·es employé·es des centres ont été recueillis et des enregistrements, effectués à l’insu du personnel de sécurité, ont permis d’établir que leurs rapports de sanction à destination du SEM sont truqués.

      Ces enregistrements proviennent du téléphone d’une femme enfermée dans un container-cellule. Le mobile lui avait été confisqué par le personnel de sécurité et a capté deux heures de leurs conversations. Cela se passe donc dans la loge des agent·es de sécurité de Protectas, il y a quelques mois au CFA de Boudry dans le canton de Neuchâtel. On y entend les agent·es discuter du contenu du rapport qu’ils doivent faire parvenir au SEM pour justifier leur mise en cellule. Une agente qui n’a pas assisté aux événements est chargée de le taper. Les cellules, ce sont donc ces containers sans aucuns meubles, dotés seulement d’une petite fenêtre, à l’odeur de vomi, d’urine et tâchés de sang au sol. Les requérant·es d’asile y sont enfermé·es, parfois pendant deux heures, parfois plus. Une caméra permet de les filmer.

      Ces pratiques, éminemment choquantes ne sont pas étonnantes. Elles sont davantage la conséquence d’un système, plutôt que le fait d’individus. Car les événements qui ont eu lieu dans différents CFA, à différentes dates, se ressemblent de façon troublante. À l’origine de ces actes de violence, il y a le plus souvent des événements que l’on pourrait qualifier d’incidents. Un téléphone volé, un masque sous le nez ou une perte de patience dans la longue file d’attente pour le repas. Et plutôt que d’apaiser les conflits de façon non violente et bienveillante, le personnel de sécurité les amplifie en usant de sa force physique et verbale, de ses gros bras et de son uniforme imposant. À cela s’ajoutent des mesures radicales comme ces mises en cellule appliquées de façon arbitraire et non conforme au règlement du SEM. Comme on l’a entendu, il suffit d’enjoliver le rapport pour le SEM pour maquiller ces imperfections. Le SEM doit d’ailleurs en être conscient, mais en déléguant ces tâches à des prestataires privés, il peut allégrement fermer les yeux. La responsabilité est dissoute dans la chaîne hiérarchique. Alors que légalement le SEM est pleinement responsable.

      Les dénonciations de nombreux collectifs dans différents CFA depuis plus d’une année et à de nombreuses reprises ont longtemps été traitées avec mépris par le SEM, qui a toujours nié ou prétendu avoir pris des mesures. Il aura fallu ces preuves irréfutables et un dégât d’image important pour le faire plier, un tout petit peu.

      Il a annoncé la suspension de 14 agent·es de sécurité, un audit interne, une enquête externe à Boudry par un ancien juge fédéral, la suppression des containers et une réflexion sur la mise en place d’un bureau externe chargé de recueillir les plaintes des requérant·es d’asile. On peut se réjouir de ce dernier point. Mais reste encore à voir quelle sera la mise en œuvre concrète. Pour le reste, ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas là d’une révolution, mais bien d’une communication bien rôdée.

      Car évidemment il ne suffira pas que les containers insalubres soient remplacés par de jolies salles de « réflexion » aux couleurs apaisantes. Parce que sales ou propres, cela restera des cellules. Il n’est pas suffisant non plus que les agent·es de sécurité impliqué·es dans les quelques affaires récemment médiatisées soient remplacé·es par d’autres. Tant que le cadre de travail sera le même, les mêmes violences se reproduiront. Il suffit de lire le rapport d’Amnesty et les témoignages d’anciens agents de sécurité ou d’assistants sociaux pour comprendre combien celles-ci font partie de la culture d’entreprise. On ne peut que redouter qu’un nouveau lieu à haut potentiel de violence systémique sorte de terre à Genève, dans le cadre du projet de construction d’un centre fédéral au Grand-Saconnex (lire ici).

      Tant que les requérant·es d’asile continueront à être considéré·es comme une catégorie de la population à part, rien ne changera. Il faudra continuer de dénoncer ce qui se passe derrière les portes de ces centres. Et d’écouter, sans mettre en doute, la parole des réfugié·es qui se seraient bien passé de subir de nouvelles violences, après avoir fui celles de leur pays et en avoir subi sur la route de leur exil. On peut ici souligner le rôle des médias qui ont, à travers leurs investigations, contribué à amener sur la place publique des pratiques dénoncées depuis de nombreuses années par des organisations de la société civile. Et contraint les autorités d’asile à sortir du bois.

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      INÉDIT | Immersion dans la loge des agent·es de sécurité du CFA de Boudry

      L’enregistreur vocal du smartphone était enclenché. Confisqué par des agent·es de sécurité du Centre fédéral de Boudry, le téléphone d’une requérante d’asile a enregistré par inadvertance durant près de deux heures les conversations qui se sont tenues dans leur loge. Nous publions la retranscription complète et inédite de cette capture audio, anonymisée.

      Discussions entre membres du personnel, interactions avec des requérant·es d’asile : les échanges sont révélateurs d’un climat latent d’irrespect et de violence ordinaire induite par le rapport de force et le choix de confier l’encadrement des résident·es des Centres fédéraux d’asile à des agents de sécurité démunis d’outils de médiation. La gestion uniquement sécuritaire des tensions, inévitables dans des lieux de vie collectifs, l’absence de prise en compte par le personnel d’une réalité évidente, celle que les personnes logées là sont dans une angoisse existentielle liée à leur demande de protection, l’impunité renforcée par des mécanismes visant à tout régler « à l’interne », ressortent de leurs propos. Dans la dernière édition de la revue « Vivre Ensemble », nous avons publié un extrait de cet enregistrement : celui-ci montre comment les agent·es trafiquent un rapport justifiant la mise en cellule d’isolement d’une femme, en accusant celle-ci d’acte de violence. La retranscription complète de l’enregistrement montre que celle-ci était venue solliciter l’aide de la sécurité pour que celle-ci aide un enfant (en pleurs) à récupérer un téléphone portable qu’il s’était fait voler par un homme hébergé au centre, et que face au refus de l’agent, elle avait voulu en référer à la direction du centre. La suite permet de s’immerger dans un huis clos quasi fictionnel.

      https://asile.ch/2021/08/23/centres-federaux-a-lecoute-des-victimes
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      Transcription d’un enregistrement audio réalisé au Centre fédéral d’asile de Perreux (Boudry)

      Date: mercredi 20 janvier 2021, en fin de journée

      Légende

      A : femme requérante d’asile, dont le téléphone a capté cet enregistrement
      AS 1 : agent de sécurité impliqué dans la scène de démarrage du conflit
      AS 2 : agent de sécurité qui vient rapidement en renfort du 1er. Il semble qu’il y ait deux personnes derrière AS 2. Les voix sont difficiles à identifier
      AS 3 : agente de sécurité avec une fonction qui semble supérieur à AS 1 et 2
      AS 4 : agente de sécurité avec une fonction dirigeante, ou en tout cas davantage administrative car elle rédige les rapports
      + autres agent·es non-distingués les un·es des autres
      Le téléphone d’un enfant vient d’être volé dans le centre par un requérant d’asile à qui il l’avait confié. « A » interpelle alors un agent de sécurité pour lui demander d’agir et de retrouver le téléphone. L’agent de sécurité pense que l’enfant est son fils, mais ce n’est pas le cas. A enclenche alors le mode enregistrement sur son téléphone.

      A : You’re the security and you should to take a look
      Agent de sécurité 1 : No, no security for look the child, look your phone there
      A : I’ll complain, I’ll complain about that interacting
      AS 1 : No, what what, the time where you put your phone here, no security must look, it’s your mission.
      A : You’ll not try to search, not at all ?
      AS 1 : No, no, no, that your responsability.
      A : But you’re security
      AS 1 : That your responsability. Look, your children, madame, your children, they go up. The time when something happens to up, you come see security ?
      A : But normally you’re accessing the doors without permission ?
      AS 1 : I ask you, you no see your children you (mot incompréhensible)
      A : I’ll complain about that. What is your name or number of the working ? Because you’re just not searching for this telling stuff but discussing about me
      AS 1 : Yes
      A : You don’t do that. So what is your name because I need to complain.
      AS 1 : For me ?
      A : Yes or number of working.
      AS 1 : My number ?
      A : Yes
      AS 1 : For what ?
      A : For working. Because you’re working here and you have the number. I’ll complain, believe me, you don’t do your work
      AS 1 : No. Madame, I’m telling you something, ok ? I know place you’re coming from, ok ?
      A : Poland
      AS 1 : Ok in Switzer… I don’t know.
      A : We’re complainig pretty much and we’ll complain, not to the SEM, but your boss I’ll complain, Protectas, and to the SEM, to the SEM, to the government and to the everyone.
      AS 1 : If you don’t take your responsability… (en s’adressant à un autre requérant d’asile) Brother, brother, come in please. Tell this woman, ok, « if you come here… »
      A : (également à l’autre requérant d’asile) He doesn’t want to check the stealing stuff but they’re accessing the doors and checking the people. But he can’t check the stealing stuff.
      AS 1 : Can you leave me talk with him ?

      Brouhaha car A et AS 1 parlent en même temps avec beaucoup de bruits en arrière-fond et notamment l’enfant qui s’est fait voler son téléphone qui pleure. On entend plusieurs autres requérants d’asile parler de ce qui s’est passé. AS1 finit par proposer à A de se rendre à la loge des agent.es de sécurité pour discuter de l’affaire.

      AS 1 : Can you go to the security office ?
      A : (A l’enfant qui pleure) Yes, we’ll look for you phone. (à AS 1) You still didn’t tell me your number !

      Echanges entre différents requérants d’asile avec l’agent de sécurité. A redemande le numéro de l’agent et insiste.

      AS 1 : Take my picture
      A : No, I don’t want to take your picture
      AS 1 : Take my picture
      A : Ok no problem

      A le prend en photo. On entend ensuite du bruit et on imagine que l’AS1 essaie de lui retirer son téléphone et user de la force. A commence à gémir « ahouaoua, ahouaha » (« aïe » à de multiples reprises).

      https://asile.ch/2021/06/30/inedit-immersion-dans-la-loge-des-agent%c2%b7es-de-securite-du-cfa-de-boudry

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      Violences | un arrière-goût de déjà-vu

      Une enquête est en cours pour déterminer si des mesures coercitives disproportionnées ont été utilisées à l’encontre de requérants d’asile dans certains centres fédéraux. Il s’agirait, selon certains, de dérives individuelles. Selon d’autres, l’autorité a tort de sous-traiter une tâche régalienne à des sociétés privées.

      En fait, le problème se pose depuis belle lurette. En 1993 déjà, l’aumônerie genevoise auprès des requérants d’asile (AGORA) relevait, dans une lettre à l’Office fédéral des réfugiés (ODR), le SEM d’alors, que le personnel mis en place dans le Centre d’enregistrement de La Praille, inauguré l’année précédente, « n’était ni assez nombreux ni suffisamment formé pour remplir sa tâche. » L’aumônerie ajoutait que ce personnel n’assurait pas « un minimum d’écoute permettant de désamorcer les tensions ».

      La gestion de ce centre avait été confiée à l’ORS Service SA et à Securitas. Le CHERANE (Conseil pour l’hébergement des requérants non-enregistrés) qui, avec le soutien d’associations et du canton, assurait depuis deux ans l’accueil des candidats à l’asile, avait été écarté. Le M. Réfugiés de l’époque, Peter Arbenz, avait déclaré « ne pas avoir besoin d’assistants sociaux avec une mentalité tiers-mondiste ». Le Conseil d’État genevois avait boycotté l’inauguration, expliquant le refus de l’offre du CHERANE par « la crainte d’introduire le loup des œuvres d’entraide dans la bergerie fédérale ». « Les locaux de la discorde », avait titré la Tribune de Genève (18.04.1992).

      L’aumônerie, qui pouvait, avec de strictes limitations, pénétrer dans le Centre d’enregistrement, a dénoncé maintes fois, au cours des années suivantes, ce qu’elle considérait comme des abus. Certes, des membres du personnel faisait preuve d’empathie envers les requérants, mais, dans l’ensemble, le système policier établi manifestait bien plus une méfiance, voire un rejet qu’un accueil de personnes en quête de protection.

      À mes yeux, cette attitude reflétait le regard de peur, ou même d’hostilité porté par une partie de la population et des autorités sur des requérants d’asile dont beaucoup venaient de subir moult épreuves et souffrances. J’ai peur qu’il en soit toujours de même.

      https://asile.ch/2021/08/23/violences-un-arriere-gout-de-deja-vu

      #violence #torture #maltraitance #Protectas #SEM #Boudry #responsabilité

  • « La logique de l’honneur. Gestion des entreprises et #traditions_nationales »

    Ce livre date de 1989 et vous devez vous demander pourquoi je lis des ouvrages aussi anciens…Et bien, après coup, je constate que nombre de problématiques « actuelles » sont en fait « anciennes » ! Imaginez ma surprise lorsque je suis tombée sur le chapitre dédié à la « #flexibilité » ou à la « #mobilisation » où il est question de définir une « #politique_de_motivation » à l’attention des ouvriers. A l’époque, les entreprises faisaient déjà face à un environnement turbulent, avec de nouvelles conditions de #concurrence et devaient ajuster fréquemment leur production et donc se montrer flexibles, notamment en introduisant plus de souplesse dans les organisations. Il y a près de 20 ans déjà, il apparaissait urgent de « mobiliser » les ouvriers car on s’était rendu compte que « le #savoir et l’#enthousiasme des exécutants constituent le premier gisement de #productivité des entreprises. » Puisque les problématiques de #GRH et de #management sont les mêmes aujourd’hui, qu’hier, il ne me semble pas incohérent de plonger dans l’histoire de la culture française pour tenter de comprendre les raisons de certaines mobilisations, résistance au changement ou échec des réorganisations.

    Gestion des entreprises et traditions nationales.

    La préface du livre critique la #sociologie_des_organisations qui « ne s’intéresse guère aux #cultures_nationales ni à l’#histoire », et tente de justifier l’approche culturelle de la gestion d’entreprise abordée par l’auteur via l’étude de trois usines (une en #France, une aux #Etats-Unis et la dernière aux #Pays-Bas). A sa sortie, il a en effet « suscité nombre d’interrogations et quelques réactions négatives. »

    Aujourd’hui nul ne remet en cause la spécificité du management français, japonais ou suédois, chacun étant marqué par une #culture particulière, avec ses codes et usages liés à la société dans laquelle il s’est construit. Voilà pourquoi les grandes entreprises forment leurs cadres au #management_interculturel et leurs commerciaux à la culture du pays cible.

    « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. » Marguerite Yourcenar
    Une société d’ordres, basée sur l’honneur.

    Au Moyen-Age, dans un Etat monarchique, la société est divisée en trois « ordres » : le clergé, la noblesse et le tiers-état (le commun, le peuple). Les premiers sont dédiés au service de Dieu, les seconds préservent l’Etat par les armes et les derniers produisent les moyens de subsistance. Cette structuration s’appuie sur l’opposition entre le pur et l’impur. Le clergé se veut le plus pur, par la chasteté et le service de Dieu tandis que le peuple, caractérisé par sa condition servile, est impur. La noblesse est en position médiane car exempte de l’impureté de la condition servile mais loin de la pureté de Dieu car marqué par la souillure des armes et de l’acte sexuel.

    La quête de #pureté crée des sous-groupes au sein des ordres : on peut citer les chevaliers qui se consacraient aux croisades et réalisaient donc un service noble, sous la protection du Pape, et les bourgeois qui se distinguaient de la plèbe par leur richesse acquise par le négoce et non le labeur (travail manuel). Au XIX° siècle, on peut évoquer l’émergence du #compagnonnage qui permet à ces ouvriers de se hisser au-dessus du prolétariat (ouvriers à la chaîne). A travers l’initiation, les épreuves, l’intronisation dans un Devoir, ils ennoblissent le travail manuel.

    La #fierté du rang et la #crainte d’en déchoir.

    Selon l’auteur, ce qui permet d’éviter de faire sombrer le gouvernement monarchique dans le despotisme et limite l’irresponsabilité des sujets, c’est l’#honneur. Ce que chacun considère comme honorable est fixé par la #tradition. C’est intimement lié à la fierté que l’on a de son rang et à la crainte d’en déchoir, en faisant quelque chose d’inférieur à son rang.

    L’auteur nous explique, en relatant diverses situations de travail, que la fierté et le devoir inhérents au rang poussent les ouvriers à se dévouer à leurs tâches, à bien faire au-delà des comptes à rendre (ce serait déchoir que de faire du mauvais boulot).

    Aux Etats-Unis, l’auteur constate que le principe d’#égalité, profondément ancré dans la société, et l’ancienneté sur laquelle se fondent l’avancement et l’attribution des postes, peuvent favoriser la #médiocrité. Ce ne sont que les relations personnelles, entre ouvriers et responsables, et les marques de #reconnaissance de ces derniers, qui motivent les salariés à faire du bon boulot.

    En France, ce sont les mêmes valeurs qui limitent les incursions des contremaîtres dans les ateliers (contrôler c’est offensant, c’est une sorte d’ingérence indue dans le travail des ouvriers) et restreignent les interventions aux problèmes graves (ce serait déchoir que de s’occuper de menus problèmes). Ils avouent avoir du mal à savoir ce qu’il se passe…

    A l’inverse, aux Etats-Unis, l’auteur raconte que l’absence de contrôle du travail réalisé par l’ouvrier serait considérée par celui-ci comme un manque d’intérêt du supérieur, et donc mal perçue ! Dans cette société fondée par des marchands, pas d’ordres ni de rang, mais des citoyens égaux qui souhaitaient un cadre légal pour faire des affaires sur la base des valeurs marchandes d’#honnêteté.

    Certaines enquêtes récentes parlent du « #management_implicite » français. Selon d’Iribarne, les #rapports_hiérarchiques en entreprise devraient respecter le principe des rapports traditionnels entre suzerain et vassal et donc tenir compte du fait que la société française refuse l’image dégradante des rapports entre maître et laquais et que c’est déchoir que d’être soumis à l’#autorité de qui n’est pas plus noble que soi (ici rentrent en ligne de compte la compétence technique, l’expérience, le savoir et donc la formation du manager). D’où le mépris pour les #petits_chefs et les difficultés de certains pour se faire respecter…

    Aux Etats-Unis, l’auteur constate que l’ouvrier vend son travail sur la base d’un #contrat qui doit être fair, équitable, respectueux. Chaque usine établit également un contrat avec les syndicats (document à mi-chemin entre l’accord d’entreprise et la convention collective). Dans cette #relation_contractuelle, les règles et les devoirs de chacun sont clairement établis et le rôle de la #justice n’est pas éludé (l’auteur constate que les procédures d’arbitrages peuvent être nombreuses en entreprises).

    Dans son ouvrage « Où en sommes-nous ? » (2017), Emmanuel Todd, explique que le concept d’homme universel avec son égalitarisme qui fonde la société française, engendre un monde d’individus dont aucun n’accepte la #subordination à l’ensemble. D’où la réticence des Français à respecter les règles, les lois… et les procédures d’entreprise !

    C’est également la fierté qui peut créer des #tensions entre la production et la maintenance, si on fait sentir au personnel qu’il est « au service de » l’autre car la dépendance fonctionnelle est facilement vécue comme #servitude. Les témoignages indiquent que de bonnes relations personnelles inter-services permettent de considérer le dépannage comme un « #service », un « coup de main » et non un acte servile.

    Quand des ouvriers pontiers et caristes refusent d’apprendre le métier de l’autre afin de devenir pontier-cariste, c’est la force d’appartenance à un rang (l’#identité_métier) qui s’exprime, ainsi que la perte de repères : on sait plus où l’on est. Alors que dans une autre usine, les salariés ont bien accepté la création d’un nouveau métier, auquel étaient associés un état et une identité clairs.

    Aux Pays-Bas, l’auteur s’étonne de la #bonne_volonté et #souplesse des ouvriers ou contremaîtres qui acceptent les mutations internes de l’usine rendues nécessaires par une réduction de production. Le #pragmatisme sert la #culture_du_dialogue (expliquer, écouter, discuter) qui permet souvent d’aboutir à un #consensus en vue d’une #coopération efficace. Dans ce pays, le consensus est aux origines de la nation et se manifeste dans le fonctionnement des institutions politiques.

    Selon l’auteur, c’est également le #rang, l’opposition entre le plus ou moins noble et le refus de déchoir dans la société française qui permettent de comprendre l’importance du niveau atteint en matière de #formation, ainsi que le rôle si particulier joué par les grandes Ecoles et les concours qui permettent d’y accéder. Il en déduit le passage d’une hiérarchie du sang à une hiérarchie des talents, car les talents sont assimilés aux dons et donc à la naissance.
    Un rang, des #privilèges mais aussi des #devoirs.

    Chaque rang ouvre droit à des privilèges, mais contraint aussi à des devoirs. Renoncer aux premiers, se dérober aux seconds, c’est également attenter à son honneur. La coutume rend donc certaines choses quasi immuables…

    Voilà pourquoi toute remise en cause de quelque ampleur que ce soit est très difficile à réaliser et que les ouvriers français – qualifiés de #râleurs – défendent leur point de vue avec opiniâtreté en ayant recours à la #grève plus souvent que leurs voisins néerlandais ou allemands. L’auteur évoque la difficulté éprouvée par un chef de service qui souhaitait revoir les attributions du personnel de son équipe suite à un départ en retraite, ou encore la résistance des ouvriers face aux pressions indues de la maîtrise.

    La Révolution française a théoriquement mis fin à une société divisée en ordres mais… selon l’auteur, elle demeure divisée en groupes hiérarchisés ayant chacun ses privilèges et son sens de l’honneur. Les entreprises françaises, fortement hiérarchisées, où se pratique un management plutôt autocratique et rigide seraient un héritage de cette société structurée en ordres et révèlerait un idéal de centralisation monarchique.

    Songez à l’arrogance de certains cadres, leur attachement aux #symboles_de_pouvoir, ou encore à la #distance_hiérarchique, qui est relativement élevée en France comparativement aux Pays-Bas où on ne sent pas du tout la #ligne_hiérarchique […] ne serait-ce que dans les façons de s’habiller.

    L’auteur n’oublie pas de parler des limites ou effets pervers de chaque système car aucun n’est idéal. Cet ouvrage permet de créer des ponts entre passé et présent. Il rappelle ainsi que l’#entreprise est une #organisation_sociale constituant un reflet de la société. Cependant, quelle que soit l’époque, un mot d’ordre s’impose en matière de management :

    « Considérez vos hommes, écoutez-les, traitez-les avec justice ; ils travailleront avec cœur. » (citation issue de l’ouvrage)

    https://travailetqualitedevie.wordpress.com/2018/01/17/la-logique-de-honneur-philippe-diribarne
    #livre #Philippe_d’Iribarne #travail

  • #Exilia_Films | #Témoignage : vivre dans un #foyer au temps du Covid-19

    Alex vit dans un foyer pour requérant-e-s d’asile de quelque 125 places dans le canton de #Vaud. Il a #peur pour sa santé car la #vie_en_communauté ne permet pas de respecter les règlement d’#hygiène par rapport au coronavirus. Son témoignage #audio, recueilli par Exilia films, laisse entendre ses #craintes, le sentiment que l’information n’est pas suffisante, son #impuissance.

    https://asile.ch/2020/04/08/exilia-films-temoignages-vivre-dans-un-foyer-au-temps-du-covid-19
    https://www.youtube.com/watch?v=4_F-9osgZmw


    #Suisse #covid-19 #foyer #coronavirus #témoignage #asile #migrations #réfugiés #distanciation_sociale

    ping @thomas_lacroix @karine4 @isskein

  • #De_l'autre_côté

    Hamza est un jeune tunisien résolu à quitter son pays par tous les moyens. De moyen, il n’en a qu’un seul : payer des passeurs pour traverser la méditerranée sur un minuscule bateau de pêche plein à craquer, et rejoindre clandestinement l’Europe et la France.
    Pourtant Hamza a des attaches, une compagne, une famille, des amis avec qui il a lutté durant les révolutions arabes. Mais il aspire a autre chose qu’une vie de misère, il veut aller au-delà de ce qu’il connaît, affronter le réel, croire que la vie a autre chose à lui offrir. Il n’est pas naïf, il sait que les risques sont grands, et minces les espoirs d’une vie meilleure, mais il veut voir par lui-même. Cette traversée est une expérience intime.
    Car Hamza est un rêveur et toujours ses images mentales, ses espoirs, ses peurs viennent se mêler à la réalité extérieure, la contaminer, lui offrir une échappatoire et un but à poursuivre. Si sa situation est particulière, ses aspiration sont universelles. Qui n’a jamais rêvé de partir, de se réinventer ?
    Le danger pour lui n’est pas simplement de mourir noyé, de se voir terrassé par la faim, d’être renvoyé d’où il vient, de ne pas trouver de logement, de travail, mais également de se voir privé de ce qui fonde sa condition d’homme : ses #espoirs, ses #craintes, son #imaginaire.

    http://enfantsrouges.com/les-titres/isturiale/de-lautre-cote
    #BD #livre #migrations #Tunisie #Méditerranée #Lampedusa #migrants_tunisiens #printemps_arabe

  • Le marxisme oublié de Foucault, Stéphane Legrand
    http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2004-2-page-27.htm

    « La société punitive » aborde le même problème que Surveiller et punir : expliquer l’apparition et la généralisation de la prison comme forme punitive au XIXe siècle, et part du même constat : on ne saurait l’expliquer par l’évolution idéologique des théories pénales, non plus que par l’histoire autonome des pratiques judiciaires. Mais il l’appréhende d’une toute autre manière : la forme-prison se rattacherait au développement tendanciel (qui lui est contemporain) de la formesalaire, qui en est historiquement jumelle. C’est parce que la gestion politique du temps et du rythme de vie des individus devient un enjeu majeur pour le pouvoir, que la forme du temps abstrait s’impose en même temps comme principe de mesure à l’appareil pénal et à l’appareil de production. On assiste alors à « l’introduction du #temps dans le système du pouvoir capitaliste et dans le système de la pénalité ». Ce qui permet au premier chef de penser l’homologie possible de deux institutions disciplinaires spécifiques, c’est alors un enjeu politique et économique : le contrôle du temps de la vie :

    « Ainsi ce qui nous permet d’analyser d’un seul tenant le régime punitif des délits et le régime disciplinaire du travail, c’est le rapport du temps de la vie au pouvoir politique : cette répression du temps et par le temps, c’est cette espèce de continuité entre l’horloge de l’atelier, le chronomètre de la chaîne et le calendrier de la prison » (C73, p. 67).

    Mais il faut encore comprendre historiquement, généalogiquement, comment, selon Foucault, le temps de la vie apparaît alors comme un problème politique majeur. Cette apparition est explicable si l’on prend en compte le fait que (dans « La société punitive » comme dans Surveiller et punir) l’institution prison n’est qu’un élément local dans un système de contrainte beaucoup plus large, que Foucault nomme à cette époque le coercitif, défini comme « dimension générale de tous les contrôles sociaux qui caractérisent des sociétés comme les nôtres » (C73, p. 82).
    Foucault aborde le coercitif à partir de l’histoire anglaise, où il est possible de repérer l’évolution d’un certain nombre de groupes sociaux ayant pour objectif la surveillance morale, le contrôle et la punition des populations. Ce qui caractérise ces instances, c’est, en usant d’un terme qu’affectionnait Foucault, qu’elles apparaissent à un niveau « capillaire » : dispersées et non centralisées elles correspondent plutôt à une forme d’autocontrôle des groupes sociaux. D’autre part, elles se donnent moins pour but de détecter et de sanctionner les crimes définis comme tels aux termes d’un code juridique, que d’intervenir sur les irrégularités de comportement, les fautes morales, les propensions psychologiques douteuses, ce que Foucault nomme, dans un vocabulaire criminologique moderne, « les conditions de facilitation de la faute » , dans le but de produire chez les sujets la formation d’habitudes valorisées. Or, Foucault remarque que ces groupements, nés pour réagir à l’incurie du pouvoir central, et souvent pour des motifs extrapolitiques (notamment religieux et économiques), se trouvent tendanciellement repris par l’appareil d’Etat, au cours du XVIIIe siècle. Cette étatisation tendancielle du coercitif répond à une exigence de prise en charge par l’appareil judiciaire des impératifs de moralisation nés en dehors de l’appareil d’Etat, ou encore comme le formule Foucault vise à « mettre en continuité le contrôle et la répression moraux d’une part, et la sanction pénale de l’autre. On assiste à une moralisation du système judiciaire ».

    Cette synthèse moralité-pénalité opérée par l’intégration à l’appareil d’Etat des dispositifs coercitifs, s’explique selon Foucault, assez classiquement, par le développement croissant de l’accumulation capitaliste. A mesure que la richesse s’incarne dans des stocks de plus en plus vastes, dans des moyens de production toujours plus regroupés, c’est en même temps une richesse disponible, facile à dérober ou du moins à détruire, qu’on met sous les mains de groupes de plus en plus nombreux d’ouvriers. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le système judiciaire se caractérisait selon Foucault par une forte tolérance aux illégalismes, y compris populaires, dans la mesure où ces derniers étaient pour partie des vecteurs de l’implantation des rapports de production spécifiquement capitalistes. Mais cette tolérance devient beaucoup moins acceptable lorsque, les conditions sociales et économiques du travail ayant changé, c’est la nature et la signification de l’illégalisme populaire qui changent avec elles : il consiste de moins en moins à se soustraire à des droits, des corvées ou des prélèvements, et tend de plus en plus à se rabattre sur le vol ou la déprédation. L’étatisation du coercitif répondrait alors, selon Foucault, à la nécessité d’introduire entre l’ouvrier et cette richesse qu’on doit lui mettre dans les mains pour lui arracher le profit, quelque chose de plus que le simple interdit légal, quelque chose qui donne effectivité à l’interdit légal : « Il faut un supplément de code qui vienne compléter et faire fonctionner cette loi : il faut que l’ouvrier lui-même soit moralisé ».

    La disciplinarisation se présente alors, selon un ordre d’exposition dont on constate qu’il diffère en profondeur de celui qu’adoptera Surveiller et punir, comme la condition d’effectivité des rapports juridiques formels qui régissent la relation de travail, ou comme le dit Foucault : « Le contrat salarial doit s’accompagner d’une coercition qui est sa clause de validité » (idem, p. 127). En d’autres termes, c’est du point de vue des luttes de classe et de la construction sociale des rapports de production capitalistes, et donc des sujets disposés subjectivement à y figurer, que l’émergence historique de la disciplinarisation est ici pensée. Foucault, d’ailleurs, le dit dans des termes qui ne pourraient pas être plus clairs : le système coercitif est « l’instrument politique du contrôle et du maintien des rapports de production ».

    Mais elle remplit un second rôle vis-à-vis des rapports de production, qui n’est pas seulement leur reproduction par le contrôle des résistances et des illégalismes populaires, mais aussi l’implantation, chez les producteurs immédiats, des #dispositions_subjectives requises par la production en vue du profit. Le corps de l’ouvrier, en effet, n’inquiète pas seulement en tant qu’il est, par ses besoins, la source de l’illégalisme de prédation et de déprédation : l’ouvrier qui #paresse, qui s’enivre, qui brûle son énergie en faisant la fête, ou encore qui vit à son rythme propre, n’opère pas moins une #soustraction à la richesse produite qu’il ne le ferait en pillant ou saccageant les docks ; il pratique alors ce que Foucault nomme un « #illégalisme_de_dissipation », c’est-à-dire qu’il pratique « l’illégalisme cette fois sur son propre corps, sur sa force de travail » (C73,7 mars, p. 148). Il pille le capital à même sa propre vie qu’il épuise, dérobant par là, non pas la richesse créée mais la condition même du profit. Il faut protéger le capital et les moyens de travail du travailleur, mais il faut aussi protéger la force de travail de son propre porteur, protéger du producteur immédiat la condition de la reproduction élargie.

    #société_punitive #forme_prison #forme_salaire #gestion_politique_du_temps #contrôle_du_temps_de_la_vie #Populations #coercitif #accumulation_capitaliste #illégalismes #travail #supplément_de_code (cf. Anti_0edipe) #disciplinarisation #rapports_de_production #Foucault

    • ... nous nous efforcerons de montrer que les concepts fondamentaux de la théorie foucaldienne des relations de pouvoir dans la « société disciplinaire » restent irrémédiablement aveugles si on ne les articule pas à une théorie de l’exploitation et à une théorie du mode de production capitaliste.

    • Quelqu’un ici aurait lu Marx & Foucault, Lectures, usages, confrontations ? un ouvrage collectif (malheureusement sans contribution de Stéphane Legrand) dont je note ici l’existence.

      La présentation de La Découverte

      Marx et Foucault : deux œuvres, deux pensées sans lesquelles on ne peut saisir le sens de notre présent. Pas de théorie critique qui puisse se passer de leurs concepts et de leurs analyses. Et pas de luttes qui ne renvoient à tel moment ou à tel aspect de leur héritage. Pourtant, de l’un à l’autre le passage ne va pas de soi. Les époques, les intentions, les philosophies même ne sont pas superposables. Hétérogènes donc, ces pensées font, l’une et l’autre, obstacle à tout « foucaldo-marxisme ».
      L’ouvrage vise à montrer des rapports mobiles et complexes, non des identités profondes ou des incompatibilités d’essence. Rapports de Foucault à Marx : il prend appui sur lui pour le déborder, l’envelopper, et parfois l’opposer à lui-même. Rapports de Foucault aux marxismes, sous leurs variantes les plus diverses, humaniste, existentialiste, althussérienne, qui n’ont cessé de composer les actualités changeantes de Foucault. Rapports des marxistes, d’hier et d’aujourd’hui, à Foucault : comment l’ont-ils lu ? Que lui ont-ils reproché, que lui ont-ils emprunté ? Qu’en font-ils aujourd’hui de neuf ?
      C’est donc l’actualité d’une lecture croisée de Marx et Foucault qui est au centre des contributions de cet ouvrage et qui ouvre sur un espace fécond pour l’avenir de la pensée critique.

      #livre

    • Foucault et « la société punitive », Frédéric Gros
      https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-4-page-5.htm

      Le propre du coercitif est finalement d’établir ce qu’on pourrait appeler l’extension du punitif, d’une part et, d’autre part, la continuité du punitif et du pénal. L’extension du punitif, c’est simplement l’idée qu’au fond être surveillé ou être évalué, c’est être puni. Par le jeu de cette synthèse établie, par le coercitif, entre la surveillance, l’examen et la peine, quand un médecin me pose des questions sur mon état de santé, quand un professeur m’interroge, quand un contremaître me demande comment j’ai travaillé ou un supérieur ce que j’ai fait, toutes ces questions dégagent aussitôt une certaine aura punitive. Le coercitif fait disparaître la possibilité d’une vigilance empreinte de sollicitude ou d’une simple neutralité scientifique. « Qui es-tu ? », « Comment vas-tu ? », « Qu’as-tu fait ? », « Que sais-tu ? », ces questions pourraient au fond ne rien manifester d’autre qu’une simple curiosité scientifique ou un souci éthique de l’autre. Par le coercitif, elles éveillent en chacun d’entre nous la #crainte d’être puni, si la réponse trahit un #écart par rapport à une #norme (de santé, d’instruction, de comportement, etc.), et même la certitude angoissée, si l’écart est trop grand, de finir en prison… (...)

      Mais il faut se demander une dernière chose : à quoi sert ce dispositif punitif généralisé ? La réponse du cours de 1973 est d’une netteté aveuglante, d’un grand tranchant : il sert à transformer le #temps_de_la_vie en #force_de_travail. Au fond, dit Foucault, tout le travail de Marx aura été de penser comment le #capitalisme prend en otage la force de travail, comment il l’aliène, l’exploite, comment il la transforme, pour son plus grand profit, en force productive. C’est cette alchimie de transformation dont le secret est donné à lire dans Le Capital. Mais, en amont, il convient de décrire la manière dont le temps de la vie, qui comprend la fête, la paresse, la fantaisie et les caprices du désir, a pu déjà être transformé en force de travail. Au fond les institutions coercitives n’ont d’autre but que cette transformation. Ce qu’elles pourchassent, dit Foucault, ce sont toutes les formes de la dissipation : l’imprévoyance, l’irrégularité, le désordre, tout ce par quoi le temps de la vie est inutilement dépensé ? « inutilement » pour le profit capitaliste. Le coercitif permettrait donc de faire coller le temps vivant des hommes au rythme des machines et aux cycles de la production.

    • il convient de décrire la manière dont le temps de la vie, qui comprend la fête, la paresse, la fantaisie et les caprices du désir, a pu déjà être transformé en force de travail

      Il y a malheureusement là une faille dans l’analyse foucaldienne (mais il n’est pas le seul, d’autres marxismes hétérodoxes s’y abiment, sans parler des marxismes traditionnels qui se contentent de glorifier le travail...)

      Le temps de vie ne peut être transformé en force de travail dans n’importe quelle condition. Il faut d’abord que soit opérée la dissociation entre activité productive (au sens du capital, c’est-à-dire productive de valeur) et activité improductive. Cette dissociation opère à un niveau logique et global (une totalité), mais aussi à l’intérieur de toute activité particulière. La capital ne peut donc pas tout saisir pour en faire une force de travail, il doit d’abord faire le grand partage entre ce qui concoure à sa reproduction (la valorisation de la valeur) et ce qui est indispensable à cette reproduction sans être producteur de valeur en soi (le travail domestique notamment). Cette dissociation est aussi celle des genres, tels qu’ils sont exprimés (y compris dans ces aspects psychologique et subjectif) de façon bien spécifique dans la société capitaliste. Chacun des genres devient le masque de ces deux faces dissociées (mais insécables) : force de travail d’un coté, simple reproduction de la vie au sens large de l’autre.

      Ainsi la part d’ombre du travail productif (de valeur), ce sont toutes les activités qui sont improductives, mais qui sont transformées par le mouvement du capital pour servir indirectement à sa reproduction (et qui sont souvent des conditions nécessaires à cette même reproduction : l’élevage préalable des petits humains pour en faire de futur producteur, par exemple). Le capital constitue ainsi tendanciellement ces activités improductives à son image (d’où le coercitif), mais cela n’en fait pas pour autant la possibilité d’y appliquer une force de travail (et donc une opportunité de reproduire le capital lui-même)

      C’est un point important, car la crise du capital, c’est le tarissement du travail productif (et donc l’impossibilité de reproduire le capital). Si toute activité pouvait être versée sans autre forme de procès dans la catégorie force de travail, le capital ne serait que mouvement perpétuel du même. D’un autre coté, la sortie du capital ne peut pas être simplement la promotion tout azimut des activités non productives lorsque celles-ci ne sont en fait que l’ombre porté du travail productif (et donc de la reproduction autotélique du capital)

    • @ktche, je ne sais trop que te répondre... tes remarques me semblent relever d’un travers théoricien (et paradoxalement économiciste, malgré la volonté de rompre avec l’orthodoxie marxiste) qui ne fait guère de place à la lutte, aux relations de pouvoir, à l’historicité. L’impossibilité de « reproduire le capital » est avant tout une question politique.
      Un des intérêt du travail de Foucault est précisément d’échapper aux automatismes d’une « dialectique » résolutive, de s’attacher à nouveau à la critique depuis une #analyse_concrète.
      La tradition ultra gauche française qui fait son miel des Manuscrits de 1844 (et ne lit les Grundrisse que depuis 1844), de la #théorie de l’aliénation, fidèle à la traduction par Rubel des écrits de Marx, à refuser, à juste titre, la #politique comme activité séparée, finit par refuser la politique tout court, préférant une attitude critique contemplative, dans l’attente de voir une inéluctable crise du capitalisme advenir. L’ objectivisme de la « théorie de la valeur » se résume à une forme plus ou moins sophistiquée de désarmement.

      Avec les marxistes bornés, nous avions une « théorie de la valeur travail » (en lieu et place dune critique de celle-ci). Tout cela est désormais bon pour les néolibéraux de tout poil, du PS à l’OCDE, occupés à restaurer sans cesse les conditions de la concurrence et une moralité qui leur soit adéquate (votre dignité est dans le travail).
      La « théorie de la valeur » prédit pour sa part la fin du capitalisme (consolation de la science) tout en éternisant les des rapports sociaux capitalistes.
      Nous avons besoin de valeurs nouvelles, forgées par des conflits, créées, pas de faire encore et encore, une « théorie de la valeur ».

    • La « théorie de la valeur » prédit pour sa part la fin du capitalisme (consolation de la science) tout en éternisant les des rapports sociaux capitalistes.

      Il n’y a pas de prédiction quant à la fin du capitalisme. Il s’agit d’analyser et de décrire sa décomposition (là où nombreux sont ceux qui le voient triomphant comme jamais). La dynamique propre du capital sape les conditions de sa propre reproduction. Ce constat ne conduit à aucun optimisme a priori. La décomposition n’est malheureusement pas la fin (ou alors une fin interminable...) mais plus probablement (et même visiblement si l’on observe les périphéries) une barbarisation.

      Par ailleurs, je mettrais en avant une théorie de la valeur-dissociation, qui justement ne s’en tient pas aux dimensions économiques de la socialisation capitaliste, mais prend en compte l’ombre portée du capital qui est aussi une part constitutive de cette socialisation. Cette part dissociée ne représente pas un pôle positif en soi et ne peut pas plus constituer un point d’appui indiscutable pour sortir du capital, car c’est bien la dissociation elle-même qui est constitutive du rapport social capitaliste.

      Enfin, je serais très réticent à identifier les oppositions abstrait/concret et théorique/pratique. Il y a malheureusement des pratiques très abstraites (i.e. qui participent de l’évidement de tout contenu) et heureusement des théories très concrètes (i.e. qui permettent d’identifier le caractère fétiche de la reproduction du quotidien et de dénaturaliser des fausses évidences)

  • Pas encore lu, mais ça promet...
    #livre #lecture L’invention de l’#immigré
    de #Hervé_Le_Bras

    Comment naît la #crainte récurrente de l’#immigration perçue
    comme une #invasion ? Comment intègre-t-on, ou plus
    exactement, comment assimile-t-on des étrangers ? Et quels
    étrangers ? Pourquoi l’attitude vis-à-vis du sol et du sang, et
    donc la conception de l’#appartenance_nationale, a-t-elle été
    modifiée ? Cet ouvrage intègre et élargit le propos du Sol et du
    Sang, qu’André Burguière qualifia de « petit essai plein de
    verve » dans le Nouvel Observateur, et qui était, pour Le
    Canard enchaîné, un texte "stimulant qui invite à repenser
    sérieusement la nationalité.

    http://www.amazon.fr/Linvention-limmigr%C3%A9-Herv%C3%A9-Le-Bras/dp/2815904543

    #assimilation #intégration #étrangers

  • Pourquoi les Français n’ont rien à craindre de l’immigration

    Un Américain enseignant la philosophie dans une université parisienne s’étonne de trouver en France un discours politique et intellectuel sur les dangers de l’immigration. Il livre son #témoignage en tant qu’"étranger privilégié".

    http://www.courrierinternational.com/article/2014/01/20/pourquoi-les-francais-n-ont-rien-a-craindre-de-l-immigration

    #migration #stéréotypes #France #craintes #peurs

  • Chers amis de Londres et de Paris, les #réfugiés syriens sont à vous

    Depuis cet été, la #Bulgarie a vu arriver un nombre sans précédent de clandestins, essentiellement fuyant la guerre en #Syrie. Leur présence provoque des #craintes, parfois à la limite de la #psychose, mais aussi un vif débat sur le rôle de l’Europe dans cette crise humanitaire.

    ARRRGGGGHHH ! Mais pourquoi courrier international utilise le mot #clandestin pour désigner des #réfugiés ???? ARRGHHH !
    @reka : il faut s’insurger !! —> il faut trouver un # pour mettre ensemble tous ces exemples d’utilisation erronée des mots tel celui de #clandestin —> propositions ? #vocabulaire

    http://www.courrierinternational.com/article/2013/11/15/chers-amis-de-londres-et-de-paris-les-refugies-syriens-sont-a

    • Totally agree with the above statement ! #bad_terminology or #wrong_word

      Il est question que Libé publie ma carte "mourir aux frontières de l’Europe avec un texte de présentation écrit par un géographe, j’ai beaucoup insisté pour qu’ils n’introduisent pas cette terminologie (clandestins, illégaux, etc...) dans le texte. C’est un travail de longue haleine que nos amis de Migreurop font depuis longtemps.