Ce qui attire Modi vers la Chine
Par MK Bhadrakumar. Publié le 16 septembre 2014 dans Asia Times Online : What draws Modi to China (traduction JFG-QuestionsCritiques).
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(...) Le milieu social non-élitiste de Modi, son intime familiarité avec l’horreur et l’humiliation de la pauvreté et de l’ignorance, sa connaissance intuitive du peuple indien et, par-dessus tout, son sens affûté du destin (« Dieu a choisi certaines personnes pour faire le travail difficile. Je pense que dieu m’a choisi pour accomplir ce travail ») – tout ceci entre en jeu ici, le plaçant à part par rapport à ses prédécesseurs de l’élite dirigeante indienne.
Ce n’est absolument pas un hasard s’il a souligné la dignité humaine comme vecteur de développement dans son fameux discours du 15 août dernier à New Delhi, célébrant l’Indépendance.
Il ne faut pas non plus oublier qu’il insiste sur le fait d’attirer autant d’investissement étranger que possible pour des projets qui peuvent créer des emplois sur une grande échelle, tandis qu’il a ignoré de façon explicite le projet WalMart en tant que projet pilote de l’Inde pour attirer les investissements étrangers.
L’une des premières décisions de politique étrangère prises par Modi – prise, faut-il le noter, peu après son retour du sommet des BRICS, qui s’est tenu en juillet au Brésil – a été de tracer une « ligne rouge » sur la façon dont l’Inde agirait pour contenir la poussée désespérée et fracassante de l’Ouest en vue d’un nouveau régime de l’OMC.
Jusqu’à maintenant, Modi s’est agrippé fermement à la ligne selon laquelle l’Inde ne peut participer à un régime commercial qui ne protège pas de façon appropriée la sécurité alimentaire de l’Inde. Le fait est que la vie de plusieurs centaines de millions d’Indiens est suspendue à ce fil ténu de subventions du gouvernement pour la répartition alimentaire.
Les Américains ont été stupéfiés, car il était censé être la coqueluche des multinationales et de la grande industrie et non un dirigeant « populiste » se préoccupant des masses. Mais Modi est resté inflexible.
La violence s’est faite jour dans les attaques virulentes depuis lors contre Modi dans les médias occidentaux. Le Financial Times a écrit le week-end dernier que la « lune de miel » entre les multinationales et Modi est terminée.
En somme, à ce stade, Modi considère ses partenaires asiatiques comme des interlocuteurs beaucoup plus importants pour satisfaire les besoins de l’Inde. Modi pense ce qu’il a dit récemment à Tokyo, « si le 21ème siècle est un siècle asiatique, alors la future direction que prendra l’Asie façonnera l’avenir du monde »
(...)
A n’en pas douter, la conviction de l’Inde qu’elle a un rôle déterminant à jouer dans cette région ne fera l’objet d’aucun marchandage.
Toutefois, le résultat est que ces modèles de politique étrangère pourraient devenir vraiment pertinents seulement si le pays parvient à se débarrasser du fléau de la pauvreté. L’influence de l’Inde dans cette région et sa réputation en tant qu’acteur mondial dépendrait en fin de compte de sa solidité nationale globale et de l’exemple qu’elle donnerait en tant que puissance émergente attachée à la paix en créant une société juste.
Donc, à travers un couloir de temps couvrant une ou deux décennies au plus, le programme de développement devrait être d’obtenir une prééminence incontestée. C’est là où Modi à une vision à long terme dans la réorientation de la politique étrangère indienne.
Subsiste une grande question : laissera-t-on Modi poursuivre sa feuille de route pour l’Inde ? L’histoire du monde moderne est remplie d’exemples, s’il en fallait, de capitalisme prédateur par l’interférence du monde occidental afin de contraindre les pays en développement qui montrent des signes de déviance à corriger leur cap.
L’Inde, une fois encore, est un très gros poisson et l’on peut difficilement la laisser suivre son propre chemin.