La critique des communs urbains aux institutions de la propriété : l’insurrection qui vient ?

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  • La critique des communs urbains aux institutions de la propriété : l’insurrection qui vient ?
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    Propriété v.s. usage collectif

    La façon dont nous pensons la propriété et la sphère publique nous permet de mettre en lumière l’entremêlement d’activités capitalistes et non capitalistes au sein de l’économie contemporaine, ces dernières ayant été jusqu’à présent rendues invisibles par le discours dominant. Bien qu’elle soit au cœur de l’agenda néolibéral, la propriété, surtout quand on l’interroge à partir des pratiques urbaines, apparaît alors comme un ensemble de relations plus diversifiées, politiquement et empiriquement, que ce que l’on suppose en général, et peut être revisitée de façon radicale.

    Les expériences italiennes doivent leur intérêt à la capacité qu’elles ont à revendiquer des formes d’appartenance différentes des propositions néolibérales, mais aussi à faire ressortir l’élément de « commun » déjà présent dans les politiques. Si les politiques urbaines néolibérales ont très souvent opté pour l’extension de la propriété comme emblème de l’ordre et de la stabilité, et pour un renforcement du rôle des institutions, elles reconnaissent aujourd’hui de plus en plus les pratiques de prise en charge directe par les citoyens.

    Cependant, les communs urbains ne sont pas seulement une réponse à l’accumulation capitaliste : ils ne reflètent pas un ensemble de pratiques spatiales défensives, le commun est riche de moments productifs qui créent de nouveaux vocabulaires, de nouvelles relations et des rencontres inédites entre des pratiques sociales et spatiales. Les communs urbains prennent corps à partir des pratiques de commoning, et non pas par la simple reconnaissance juridique d’un bien ou d’un lieu en tant que commun, même si celle-ci est nécessaire et souhaitable. Les communs naissent à partir de dynamiques ouvertes, menées au nom de la restitution plutôt que de la simple réappropriation, et d’une réaffirmation de la puissance de production sociale et territoriale de la valeur.

    Les expériences telle que celle de l’Ex-Asilo Filangieri de Naples expriment bien l’utilisation de la rhétorique de la fonction sociale de la propriété pour faire éclater le paradigme de la propriété aussi bien publique que privée. Après trois ans d’expérimentation d’écriture collective, la Déclaration « d’uso civico » (usage civique) et collectif de l’Asilo, immeuble classé et presque abandonné, a été enregistrée par un acte administratif de la Ville de Naples et la communauté de référence désignée est la communauté informelle des « travailleurs de l’immatériel ». L’orientation reste ferme en termes d’accessibilité, d’usage collectif et d’une forme participative de gouvernement de l’Asilo afin que les communs urbains ne se replient pas sur une communauté définie ni ne s’articulent sur une dynamique dichotomique entre ceux qui gouvernent et ceux qui en bénéficient. Dès lors, le commun n’est pas une entité statique : il est plus un verbe qui désigne le mode du gouvernement et d’accès qu’une façon de nommer un lieu ou un bien.

    L’activité de la Commission Rodotà, en Italie, a été centrale dans la définition des communs comme « biens qui expriment une utilité fonctionnelle pour l’exercice des droits fondamentaux et le libre développement de la personne ». Cette Commission ministérielle, à l’œuvre entre 2007 et 2008, était chargée de rédiger un projet de loi pour la réforme des régimes des biens. Elle a introduit pour la première fois la notion juridique de « bien commun ». Parmi ces communs figurent plusieurs ressources naturelles (air, fleuves, lacs, forets, faune sauvage), les zones naturelles protégées mais également les biens culturels. Ces biens communs, selon la Commission Rodotà, doivent être soustraits à l’appropriation du marché et demeurer accessibles. Le point essentiel, rappelle Rodotà, n’est plus celui de la propriété du bien, mais celui de sa gestion, qui doit garantir l’accès au bien et prévoir la participation des sujets concernés aux choix fondamentaux qui les affectent. Indisponibles pour le marché, les biens communs représentent un instrument essentiel des droits de citoyenneté, qui appartiennent à tous. Une distinction importante s’opère de cette façon entre l’appropriation du bien et l’accès à sa jouissance, ce dernier se voyant attribuer la primauté. Nonobstant l’absence de suite législative, ce projet de loi a fortement alimenté les débats et les actions citoyennes en Italie.

    La question des communs ne concerne ainsi pas seulement la nécessaire réarticulation du droit de propriété mais interroge désormais le domaine des contrats et des obligations entre sujets pour la réalisation de certains intérêts communs, il s’agit désormais de pratiques qui réinventent, de façon originale et non nostalgique, des institutions sociales. Dans les communs urbains, ici, se retrouvent en effet des communautés hétérogènes, des communautés situées mais non-prédéterminées, des institutions sociales dynamiques à vocation expansive vers la citoyenneté, plutôt que régressive vers la communauté de terre ou de sang. Les communs urbains sont des patrimoines, des accumulations qui nous sont transmises et des processus auxquels nous participons, en tant qu’habitants, de façon directe et productive. Nous sommes en même temps les acteurs et les garants des commons.

    #Communs #Communs_urbains #Italie