• http://alanmoore-jerusalem.fr/index.php/2017/09/14/le-chant-double-de-lucia-joyce

    Mais traduire c’est aussi parier, parier sur la langue qu’on recrée, parier sur la nouvelle forme d’audition à laquelle accède le lecteur avec un peu de bonne volonté.

    Sur le blog de la traduction de Jerusalem d’Alan Moore par Claro (http://alanmoore-jerusalem.fr )

    Et sinon le fameux Jerusalem d’Alan Moore, c’est quand un sacré morceau

  • La vérité n’est qu’une option parmi d’autres | La République Des Livres par Pierre AssoulineLa République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/loue-soit-donald-trump

    En vertu d’un réflexe éprouvé, lorsqu’il apparait vain de se retourner vers l’#histoire récente et les expériences passées, on cherche des solutions dans des #livres. Le public a faim de références, alors il se jette sur la #littérature passée, dystopique (récit fictionnel dans lequel l’utopie vire au cauchemar) ou uchronique (roman dans lequel l’Histoire officielle est réécrite après modification d’un événement notoire du passé). Sinclair Lewis, Georges Orwell, Philip Roth ont annoncé l’avènement de Donald Trump. A défaut de les avoir entendus, il semble que désormais on les écoute. Ce qui est arrivé aux Américains est tellement inédit qu’ils cherchent dans la littérature passée un reflet de ce qui va leur tomber dessus demain. On ne saurait mieux illustrer la notion de concordance des temps. Mais même si Les Origines du totalitarisme, publié en 1951 par la philosophe Hannah Arendt fait également depuis peu un retour remarqué dans liste des meilleures ventes d’Amazon, comment ne pas voir en creux dans ce triomphe de la fiction la faillite du #journalisme et l’échec des essayistes ?

    #dystopie #uchronie

  • L’immense chantier de traduction de Jerusalem d’Alan Moore par Claro, comme si vous y étiez ou presque. Intéressantes réflexions à propos de la traduction en général et au cas particulier que constitue ce livre de 1200 et quelques pages tout de même.

    Ils vont se marrer aux éditions Inculte pour corriger, composer et aussi présenter ce livre à leur distributeur.

  • J-219 : J’y vais, je n’y vais pas ? Mettre Qui ça ? en ligne, maintenant, ou, seulement quand ce sera fini ?

    A vrai dire je m’étais déjà posé la question, il y a plus de deux ans, quand j’avais commencé à construire Ursula . Et puis, après des années et des années de Bloc-notes du Désordre , je me suis dit qu’au contraire, je ferais bien de garder Ursula bien au chaud, de l’abriter des regards, de construire patiemment, d’autant que je n’étais sûr de rien. De rien. Je ne suis jamais sûr de rien. Là, je n’étais pas sûr que cela allait donner quelque chose ― et d’ailleurs je ne suis toujours pas très sûr que cela ait donné quelque chose. Et en fait, ici, avec Qui ça ? , non plus.

    Je pense qu’il y a quelques années, je me moquais bien de telles questions. Je faisais les choses et puis je les mettais en ligne, la distance entre le moment où je pensais à ce que je voulais faire et le moment où je mettais le résultat en ligne était aussi réduite que possible, en gros, le temps de faire les choses. Et puis cela n’a plus été, j’ai senti, il y a un lustre, que cela n’allait pas, que cela ne me laissait pas le loisir d’essayer, de rater, de recommencer et de rater mieux ( Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better . Samuel Beckett). C’est curieux, cette phrase de Beckett, je la trouvais déjà très belle et puis, l’année dernière, j’ai eu l’occasion de remercier, ponctuellement, un simple geste, la psychologue d’Adèle, qui est irlandaise, je voulais un petit cadeau symbolique, je lui ai offert Molloy en français ― parce que Beckett avait écrit ce livre en français et que je me doutais que si elle l’avait déjà lu, elle avait dû le lire en anglais ―, elle avait souri, en me disant que c’était befitting ― entendre par là que je ne m’étais pas trompé en soupçonnant, au-delà de ses origines irlandaises, qu’elle puisse être une lectrice de Beckett ― et avait alors tenté de traduire, à la volée, cette merveilleuse formule de Beckett à Adèle en français, ce qu’elle avait très bien fait, en utilisant le verbe échouer , Essaie, échoue, essaie encore, échoue encore, qu’importe, échoue mieux. Je lui avais alors dit que dans la traduction française, aux éditions de Minuit , c’était le verbe rater qui avait été finalement choisi, mais que c’était très beau avec le verbe échouer, surtout quand on l’entend, aussi, dans son acceptation maritime.

    Il n’empêche, il s’agit bien de rater. De rater mieux. Mais de rater quand même. Et il s’agit de rater bien. De rater comme il faut. De rater en secret. De rater sans craindre le regard, et le jugement, d’autrui. Or, pendant des années, je ne me suis pas du tout préoccupé de rater en face de tous, cela ne me faisait ni chaud ni froid, en somme. J’aimais mieux réussir, mais cela arrivait quand même drôlement souvent que je rate.

    Alors qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui a changé en moi ?

    C’est Ursula qui m’a changé.

    Ursula . En travaillant à Ursula , je n’ai pas eu peur d’échouer, à aucun moment, et même, je m’en rendais compte, si cela devait me coûter beaucoup de tra-vail, et cela m’en a coûté beaucoup, énormément, en fait, mais c’était comme de travailler à un jardin connu de moi seul, si ce que je plantais ne poussait pas, j’étais le seul à le savoir. Et de cette façon d’ailleurs, ce n’est pas le seul projet auquel j’ai travaillé de la sorte, j’ai bricolé un petit film d’animation de trois minutes, Philippe , ce que je n’avais jamais fait jusque-là, et il y avait toutes les raisons de penser que sans doute cela échouerait, par bonheur L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net), nettement plus aguerri que moi avec ces choses animées, m’a mis le pied à l’étrier et a pris en charge le montage, voyant bien à quel point il était difficile pour moi de jeter des séquences sur lesquelles j’avais particulièrement transpiré, et cela a fini par donner ce petit film dont je suis finalement plutôt fier, je me suis lancé dans un petit film de time lapse ― un film d’intervalles ― et j’ai connu un plaisir extraordinaire à son montage en me fiant à la musique de Jean-Luc Guionnet, j’ai essayé des trucs qui ont plus ou moins bien fonctionné, comme de monter Film de Samuel Beckett sur une musique de Hubbub , et je continue de trouver le résultat de cette expérience étonnant, mais je peux difficilement m’en prévaloir (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/bouquets/017.htm), je me suis de nouveau essayé à écrire des romans ― j’imagine que l’on peut tapisser ses toilettes de lettres de refus des éditeurs en prétendant être fort détaché de ces correspondances, plein de morgue même, mais, ne plus rien écrire pendant presque dix ans n’est-ce pas le signe qu’un certain message, décourageant, est peut-être passé ―, et puis finalement, dans le giron d’ Ursula , je me suis rendu compte que je prenais beaucoup de plaisir à raconter de ces histoires, leur donner corps, j’ai d’abord écrit Raffut , puis Arthrose ― dont un jour il faudrait que je me prenne par la main pour en réaliser la version électronique, sa bande-son, ses extraits de film, notamment du Fils de Saul de Laslo Nemes, tant ce livre est une entreprise de sa destruction finalement, et cela je ne le fais toujours pas parce que je me demande si j’en ai le droit, puisque c’est l’histoire de ma chance, de ma très grande chance de ne pas être allé dîner au Petit Cambodge un 13 novembre, le 13 novembre 2015, et la dernière chose que je voudrais faire c’est quelque chose d’obscène ―, et puis J. , un livre de fantasmes, Je ne me souviens plus et, cet été, Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) ― ah mon, absence de talent pour les titres, en tout cas les titres courts, je crois que j’ai tout donné avec Désordre ― et puis les ébauches de Punaise ! ou encore des Salauds ― j’aimerais tellement avoir la force d’écrire ce livre jusqu’au bout, après je peux crever, je serais définitivement vengé ―, et, depuis peu, de X. et de Qui ça ? , et puis ces derniers temps ce projet de film documentaire, la Petite Fille qui sautait sur les genoux de Céline , oui, tout cela j’ai finalement eu le courage de le faire parce que je l’avais abrité des regards, au moins le temps de la construction et je crois bien que ce sera désormais ma conduite.

    Donnez-moi le temps et l’espace pour rater encore, pour rater mieux.

    Donc Qui ça ? , pour le moment va rester dans le seul cadre de seenthis, à l’état de brouillon. Je suis content d’y avoir réfléchi par écrit, une mauvaise fois pour toutes, pour emprunter la formule, à nouveau, à Samuel Beckett.

    https://vimeo.com/48765699

    #qui_ca

    • Exercice #2 de Henry Carroll : Prenez des photographies non touristiques d’un lieu touristique.

      C’est étonnamment de cette façon que je suis devenu photographe. J’ai fait mon service militaire au Service d’Information et de Relations Publiques des Armées dans l’Armée de l’air, en tant que photographe, dans un petit service qui comptait trois sous-officiers, tous les trois parfaitement photographes, avec de sérieux bagages techniques ― je leur dois beaucoup de mes connaissances tech-niques ― et pour l’un d’eux, un véritable regard de photographe ― je lui dois beaucoup dans ma façon d’appréhender un sujet et de chercher à en faire une image, il faisait notamment de la perruque en tant que photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes, il était remarquable de voir que de semaine en semaine, avec le même décor, le même arrière-plan et le même éclairage, il trouvait le moyen d’un renouvellement ―, et qui se sont d’abord montrés fort méfiants vis-à-vis du deuxième classe que j’étais. Et pour me tester, d’emblée, le chef de cette petite unité, et donc photographe de plateau sur Apostrophe , m’avait confié deux boîtiers Nikon, deux FM2 si mes souvenirs sont bons, deux ou trois optiques que j’avais eu le droit de choisir parmi pléthore d’objectifs, deux films de couleurs et trois de noir et blanc et la consigne, à la fois simple et piégeuse, d’aller photographier la tour Eiffel, qui avait l’avantage de se trouver à quelques stations de métro seulement du Ministère de l’Air. Il s’attendait à ce que je revienne de ce reportage, un bien grand mot, avec une très belle collection de cartes postales, il en fut pour ses frais, et en fus assez surpris, tant ce que je lui rapportais correspondait en rien à ses attentes, j’avais d’abord pris le parti de photographier la Tour Eiffel de plus loin possible, y compris depuis le balcon de chez mes parents à Garches, ce qui était encore possible à l’époque, puis j’avais également produit toute une série de photographies des boulons rouillés de la vieille dame d’acier et aussi quelques photographies à la dérobée des touristes serrés dans les ascenseurs ― avec le recul il est assez amusant pour moi de me dire que, si cela se trouve, ces photographies font partie des archives photographiques de l’Armée de l’Air, dûment répertoriées avec des numéros de film du genre 1985-0178 0179 et 0180, je n’avais utilisé qu’un film de couleur et deux de noir et blanc et c’était, de fait, au tout début de l’année 1985. C’est au prix de cette originalité, dont je me demande bien ce qui avait pu la provoquer à l’époque, j’avais tout juste vingt ans et une culture visuelle fort pauvre, à l’exception d’un stock d’anciens numéros du magazine Zoom que j’avais achetés aux Puces ― et comme je serais content par la suite de trouver dans la bibliothèque du labo photo du SIRPA de nombreux autres numéros de cette revue que l’adjudant tenait en grande estime, parmi lesquels un numéro spécial à propos des photographes brésiliens, dans lequel j’avais fini par isoler une image de piétons sur une rue de Sao Paolo, une vue au huitième de seconde, seuls les pieds des passants sont nets, le haut de leur corps fantomatique, et par je ne sais quel tour de magie que la vie a en stock, j’ai eu à rencontrer le photographe de cette image, qui a longtemps été punaisée dans ma chambre, étudiant lui-même de Barbara Crane à Chicago, c’est désormais le tirage qu’il m’a offert, après que je lui ai raconté l’histoire de cette image, qui orne un des murs de ma chambre ― c’est au prix donc de cette originalité que j’ai été accepté au purga-toire de ce petit labo, dans lequel j’ai appris, en tirant des centaines et des centaines de photographies d’avions, mais aussi de reportages à propos de troupes au sol, ou encore de défilés militaires et de portraits de généraux, le métier de photographe.

      La même histoire de l’origine en somme racontée différemment, dans Arthrose :

      J’ai appris le métier de photographe pendant mon service militaire au Service d’Informations et de Relations Publiques des Armées (SIRPA) au sein d’une petite équipe de photographes, trois sous-officiers et moi-même, l’Aviateur De Jonckheere, deuxième classe donc, homme du rang. Les trois sous-officiers étaient des photographes de reportage tout à fait accomplis, certes cantonnés dans ce travail de représentation, glorieuse si possible, de l’armée de l’air, il n’en est pas moins qu’ils avaient de robustes compétences de photographes de terrain, l’un d’eux, par ailleurs, en dehors de ses heures de travail, était passionné de littérature et était le photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes et j’ai beaucoup appris de lui, notamment sur la nécessité de réfléchir à l’image que je voulais faire avant de braquer mon appareil-photo, d’en réfléchir aux paramètres techniques, son enseignement était que la plupart du temps on disposait tout de même d’une trentaine de secondes de réflexion avant de prendre une photographie de reportage. Ces trois sous-officiers photographes étaient des passionnés et parlaient de photographie du matin jusqu’au soir, ils étaient abonnés à toutes sortes de magazines spécialisés et un de leur jeu préféré, qui devenait rapidement une joute amicale, était de deviner les circonstances d’une image, ses paramètres et ses astuces techniques et ce qui avait sans doute été produit au laboratoire pour parvenir à une telle image. J’ai beaucoup appris de ces discussions auxquelles j’étais parfois invité à participer en fin d’année de service militaire, ayant désormais acquis un vrai bagage technique. Parmi les nombreuses revues de photographie il y en avait une qui avait ma prédilection, il s’agissait de la revue Zoom , depuis défunte, et dans laquelle on trouvait les photographies les plus esthétiques comparées aux autres magazines, notamment les photographies de mode, sans compter quelques photographies à l’érotisme très esthétisant dont je ne pourrais jamais dire que, jeune homme, elles ne m’aient pas questionné et, si je devais les retrouver aujourd’hui, à quel point elles me feraient sourire. Et une bibliothèque occupait le couloir central de cet atelier de photographie dans laquelle se trouvaient de pléthoriques archives de toutes ces revues. Je me souviens d’un numéro spécial de Zoom consacré à la photographie brésilienne. Dans ce numéro une photographie avait particulièrement retenu mon attention, il s’agissait d’une photographie de rue, carrée, au 6X6, en noir et blanc qui représentait des passants flous à l’exception de leurs pieds qui étaient restés à peu près nets, flou de mouvement qui avait été particulièrement heureux pour permettre la création de ces fantômes aux pieds nets posés sur un pavé dont le piqué était remarquable. J’avais demandé à l’adjudant Rullaud. ce qu’il pensait de la vitesse d’obturation de cette image, 1/15ème ?, avais-je hasardé, plutôt 1/8ème avait-il répondu, donc l’appareil est sur un trépied ?, et, comme toujours, l’ironie avait fusé, avec une petite trace d’accent du Sud-Ouest, et bien si vous tenez le 1/8ème de seconde à main levée avec un Hasselblad, vous pouvez revendre votre trépied. Cet après-midi les tâches en cours étaient peu nombreuses et je lui avais demandé la permission de me servir du banc de reproduction pour me faire un tirage de cette image que j’aimais beaucoup. Fait inhabituel, il avait montré de l’enthousiasme pour cette perruque et m’avait même proposé de me servir de l’Hasselblad pour un meilleur rendu, homothétique qui plus est. J’ai longtemps eu ce tirage au-dessus de ma table de dessin quand j’étais étudiant aux Arts Déco, dans mon appartement de l’avenue Daumesnil. Ce qui est étonnant c’est que je n’avais pas pensé à noter le nom du photographe brésilien qui avait pris cette photographie. Trois ans plus tard je partais étudier à Chicago. J’ai fait des pieds et des mains pour suivre les cours de Barbara Crane sur le bon conseil de mon ami Halley. J’avais fini par obtenir d’intégrer le groupe d’étudiants en Master qu’elle prenait en tutorat ce qui était beaucoup plus que je ne pouvais espérer. Au début de l’année scolaire nous avons eu une réunion de ses étudiants de Master au cours de laquelle nous devions apporter quelques images de nos travaux en cours, pour ma part j’avais montré ma série sur Berlin, dont je ne peux pas dire, qu’en dehors de Barbara Crane, elle ait beaucoup enthousiasmé les autres étudiants. Puis ce fut le tour des deux Gregs. Les deux Gregs c’était un peu une autre limonade. Après eux, un autre étudiant étranger présentait un portfolio de photographies en noir et blanc, toutes prises à l’Hasseblad, les tirages étaient somptueux et en grande majorité montraient des paysages urbains de nuit avec cette particularité intéressante que sur aucune de ces images nocturnes on ne pouvait voir la source d’éclairage public qui pourtant éclairait ce paysage urbain de São Paulo. Barbara Crane n’était pas avare de compliments pour cet étudiant un peu plus âgé que nous et qui, comme moi, s’exprimait dans un anglais maladroit. Lorsqu’il est arrivé à la dernière image de son portfolio de photographies nocturnes, il était sur le point de remettre tous ses magnifiques tirages dans leur boîte quand je remarquai au fond de la boîte cette image que je connaissais si bien des fantômes sombres sur le pavé net. J’ai eu du mal, dans mon anglais encore balbutiant à l’époque, à raconter à quel point il était extraordinaire que je me retrouve en présence de cette photographie qu’un mois auparavant je décrochais du mur de ma chambre avenue Daumesnil à Paris, empaquetant mes affaires pour les stocker dans la cave de mes parents à Garches, avant de prendre le départ pour Chicago où je me trouvais désormais en face de son photographe en chair et en os. Carlos Fadon Vicente. Qui le jour de son départ de Chicago, en fin de premier semestre, m’avait cherché dans le labo pour me remettre un tirage de cette image, j’étais très ému de ce cadeau et avait balbutié le seul mot de portugais que je connaisse, Obrigado , nous nous étions embrassés dans l’éclairage inactinique du laboratoire collectif des étudiants en Master ― parfois internet ce n’est pas si pratique que cela, ainsi j’avais oublié du tout au tout le nom de Carlos, d’ailleurs dans un premier temps je me souvenais de Ricardo, et pourtant je voulais absolument que son nom figure en toutes lettres dans ce texte, pas juste son prénom, dont justement je me rends compte que ce n’était même pas le sien, j’ai passé beaucoup de temps à tenter toutes sortes de recherches pour retrouver Carlos-Ricardo, j’ai fouillé dans des listes et des listes de noms dans les anciens étudiants de the School of the Art Institute of Chicago (parmi lesquels j’ai été très déçu de ne pas trouver le mien), ce qui ne risquait pas beaucoup de réussir si je continuais d’appeler Carlos Ricardo, j’ai tenté de faire des recherches sur les archives du magazine Zoom sur internet, dont force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose, ce que je trouve regrettable, j’ai tenté des recherches sur les projets d’urbanisme de São Paulo parce que je savais que cette photographie faisait partie d’un ensemble de photographies qui avaient été commandées par un des urbanistes d’un grand projet de cette mégapole bré-silienne, j’ai fait des recherches de plus en plus larges à propos de photographes brésiliens contemporains, j’ai découvert une multitude de photographes aux travaux admirables, mais je ne retrouvais toujours pas Carlos-Ricardo, j’ai sorti la photographie du sous-verre posé sur ma table de travail et sous lequel j’ai composé un pêle-mêle parmi lequel se trouve la photographie de Carlos (mais aussi une lithographie de L.L. de Mars, une sérigraphie de Doug Huston, un polaroid agrandi de Jennifer Pilch, dont j’étais fou amoureux, une petite photographie de Natalie Bookchin, une photographie de Karen Savage, un tract de Formes d’une guerre , une lithographie sur papier kraft d’un étudiant portoricain à Chicago dont je me souviens seulement du prénom, mais de façon certaine, Alejandro, l’affichette de la lecture de @mona à la librairie Mille Pages à Vincennes, un tirage numérique de Barbara Crane, un petit collage photographique de Hanno me représentant à la Garde de Dieu en 1989, des billets de un dollar sur lesquels John Pearson, un autre étudiant de Chicago, avait imprimé des cyanotypes, une ancienne publicité pour le pneus Dunlop, pour ses couleurs qui me rappellent des tas de souvenirs d’enfance, un dessin de L.L. de Mars, une photographie de Mouli et moi chez nous, 943N Wolcott avenue à Chicago, une de mes photographies de la Très Petite Bibliothèque et une autre de la série 20040322.txt , un collage de quatre photographies représentant B. et moi nous embrassant à la Garde de Dieu, et enfin la photographie de Carlos) dont je pensais toujours qu’il s’appelait Ricardo, dans l’idée de la scanner de tenter une recherche en utilisant l’option de recherche par image du moteur de recherche, et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte, comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?, surtout quand on connaissait un peu Carlos, le genre de photographe sérieux, que naturellement, non seulement son nom figurait au crayon à papier au dos du tirage, mais aussi toutes sortes d’indications, Da Paulista, 1983, (Sao Paulo) © Carlos Fadon Vicente ƒ8 1/8 93˝ D 288/12 , pas toutes compréhensibles même par un autre photographe, le D majuscule souligné voulait-il signifier que le film avait développé dans du D76 ?, en revanche je remarque, trente ans plus tard, que le pronostic de l’adjudant Rullaud. était juste, c’était bien au huitième de seconde qu’avait eu lieu cette affaire : c’est fi-nalement là qu’internet est le moins pratique, quand on y cherche des choses que l’on a sous le yeux. J’ai toujours peine à me dire que ce jeune homme que j’étais devenu, presque 24 ans d’arrogance et de sûreté de soi, parti conquérir rien moins que l’Amérique, s’imaginant rien moins que le nouveau Robert Frank, n’était distant que de trois années de celui peu assuré qui s’arrangeait surtout pour ne pas trop déplaire aux trois sous-officiers photographes du SIRPA, ce faisant, tirant le meilleur de leurs connaissances techniques fort sûres, mais surtout ne les contredisant pas sur tant et tant de sujets, surtout politiques, mais aussi à propos de certaines des légendes courantes dans le monde de la photographie de reportage et notamment ces histoires abracadabrantes de scoops qui constituaient pour eux une manière de Saint Graal, se trouver sur les lieux d’une catastrophe, d’un événement historique, d’un attentat, d’un accident, sur le chemin d’un homme politique pris la main dans le sac, d’être le témoin photographiant de toutes sortes de malversations, de délits, de petits scandales minables écla-boussant à peine des personnalités du monde du spectacle, que sais-je encore, toutes sortes de situations dans lesquelles je rêvais moi de ne surtout pas me trouver, quand bien même, et c’était cela qui me désolait de la part de ces instructeurs chevronnés, cette attirance, de tels scoops pourraient mériter toutes sortes de rétributions de la part des grands hebdomadaires de la presse. Et à ce sujet les légendes urbaines qui émaillaient leurs conversations étaient à la fois nombreuses et invraisemblables, tel organe de presse, en cas de grande catastrophe aérienne, capable d’acheter en liquide, pour de fortes sommes, des films qui n’étaient pas encore développés et c’était tout un monde qui miroitait dans les yeux de ces photographes pourtant aguerris mais crédules de ces histoires dont au contraire, moi, si jeune, tellement en attente de leur validation, de leur reconnaissance comme un des leurs, alors je lisais Ultramarine de Malcom Lowry, et comme tout cela résonnait fort en moi, moi, leur deuxième classe de corvée des trucs pas toujours très drôles à faire, de ces batchs de films à déve-lopper dans la journée avec des planches-contacts, nettoyer les cuves, faire les mélanges et les tirages en cinquante exemplaires, c’était finalement moi qui était le moins crédule de telles fables. D’ailleurs quand j’entends le mot scoop, dans tout ce qu’il ne contient pas, c’est souvent à ces lointaines discussions en prenant le café que je tenais prêt au moment où les sous-officiers rentraient du mess des sous-offs, que je repense, pour moi le scoop ce serait toujours ces effets de récit d’une vie, ces spaghetti ramassés en désordre dans une assiette, mais que l’on tire sur un seul et cela bouge de l’autre côté de l’assiette, disparaît sous la masse des autres spaghetti, pour réapparaitre, ces moments de vie souterraine à l’intérieur de la vie-même, la photographie du magazine Zoom isolée, reproduite, accrochée sur le mur de ma chambre et dont je rencontre le photographe à l’autre bout du monde, ces photographies d’une jeune ivoirienne ramassée dans un bar et qui reparaît en Alsace, cette chambre en Espagne où je séjourne chez l’Oncle de mon amie Laurence, juge, et dont la fille, qui est en photographie de mariée sur la table de chevet de cette chambre et qui un jour devient mon avocate, ceux-là sont les vrais scoops de l’existence. Passer tout près de l’explosion d’une bombe, d’un accident ou d’un attentat terroriste, quelle que soit la manière dont ensuite on tente de donner du sens à ce frôlement continue d’être, par définition, un non-événement, le contraire même d’un scoop.

      Avec le recul, j’en viens à réaliser qu’en matière de photographie j’aurais eu deux professeurs assez dissemblables, l’adjudant Rullaud et Barbara Crane.

  • Un titre problématique de Giraudoux - Par JACQUES BODY | La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/la-guerre-de-troie-bien-lieu

    Ce titre [La guerre de Troie n’aura pas lieu], à peine trouvé, posa problème. D’abord parce qu’il est trop long, et Giraudoux et Jouvet entre eux disent La Guerre de Troie, et mieux : Troie. Trop long aussi pour les usages du temps, et pour la mise en page : renvoyé à la ligne suivante sur l’affiche du théâtre, « n’aura pas lieu » peut signifier « Relâche » ! Le premier manuscrit soumis à Jouvet propose deux titres en balance : « Prélude des préludes » et « Préface à l’Iliade », qui à l’automne se réduisent à « Prélude ». « J’ai voulu faire une modeste post-préface à l’Iliade », dit-il aussi.

    ...

    On n‘oubliera pas les paroles sobres et fortes qu’échangent Hector et Andromaque, couple exemplaire, ni l’anti-discours aux morts, ni le dialogue biaisé d’Hector et d’Ulysse. Persistent le refus du désespoir, et d’une pirouette de la pensée, cet élixir de sagesse :

    « Tu as vu le destin s’intéresser à des phrases négatives ? »

    Pour que la guerre n’ait pas lieu, peut-être faut-il plus que la volonté toute négative de l’empêcher : une volonté positive, des grands travaux, des projets plus grands qu’elle, et aussi, dans l’humilité, les petits actes quotidiens qui fondent la justice et la paix.

    #Giraudoux #théâtre #littérature

  • Traduire la poésie d’idées de Javed Akhtar | La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/traduire-la-poesie-didees-de-javed-akhtar

    « Il semble que/ tout le bidonville/ est un abcès douloureux/ Il semble que/ tout le bidonville/ est un chaudron brûlant/ Il semble que/ le Bon Dieu assis au coin de la rue/ vend des hommes brisés en morceaux/ pour trois fois rien. »

    Javed Akhtar,
    traduit par Vidya Vencatesan

    #Javed_Akhtar #Vidya_Vencatesan #poésie #littérature

  • Le cauchemar du traducteur de russe - par ANNE-MARIE TATSIS-BOTTON | La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/le-cauchemar-du-traducteur-de-russe

    Nous traiterons ici de deux domaines distincts, propres au russe et à son histoire : celui des slavonismes, et celui de l’ukrainien

    ...

    La fusion du vieux-slave avec le vieux-russe a donné le slavon russe, toujours employé par l’Église orthodoxe russe et par les Vieux-Croyants, qui ont fait schisme au XVIIe siècle et sont encore très nombreux et actifs.

    Au moyen âge, la littérature était essentiellement religieuse et s’exprimait en slavon. La langue parlée était elle aussi notée en caractères cyrilliques pour les besoins de la cité : textes juridiques, administratifs, commerciaux, correspondance diplomatique ou privée. C’est la deuxième langue écrite de l’ancienne Russie, appelée habituellement « langue des Bureaux ». Ce dualisme opposant le slavon littéraire au russe non littéraire a duré jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis, avec l’européanisation de la Russie, ni le slavon, ni la « langue des Bureaux » ne pouvait plus répondre aux besoins de la nouvelle civilisation. Le russe littéraire moderne sera l’amalgame entre les deux, une création qui doit beaucoup à Mikhaïl Lomonossov (1711-1765), et qui a trouvé son équilibre avec Alexandre Pouchkine.

    ...

    Langue de l’Église, le slavon a apporté des mots exprimant des notions abstraites, savantes, nobles, figurées, poétiques, ce qui fait qu’il existe un très grand nombre de « doublets » : beaucoup de mots ont une forme russe, usuelle, et une forme slavonne, poétique, solennelle, parfois un peu archaïsante. L’opposition sémantique entre ces deux « séries » ouvre des perspectives stylistiques extrêmement riches – et extrêmement difficiles à rendre en français, qui le plus souvent ne dispose que d’un seul mot. On peut bien sûr trouver des exceptions : main droite/dextre, tête/chef, jument/cavale, etc. Mais si l’on prend, par exemple, le poème de Pouchkine Le Prophète, on pourra y compter une bonne douzaine de mots slavons, dont la variante russe existe parfaitement dans la langue « courante » : doigt, œil, entendre, ouvrir, lèvres, voix, voir, etc., sans compter quelques formes archaïques de déclinaison. Le français n’a pas ces ressources, et il faudra pallier l’insuffisance lexicale par d’autres moyens : des figures, des contraintes de construction sémantique, une expressivité accrue dans les violations de normes. Bref, reconstituer un « style noble », qui, cela va de soi, n’est ni impossible, ni étranger à la littérature française. Il n’en demeure pas moins que les nombreuses traductions de ce poème (dont celles de Prosper Mérimée et d’Ivan Tourguéniev, en prose), laissent une impression d’insatisfaction, de perte de solennité et de grandeur.

    ...

    Ceux qui sont les plus soumis à l’influence prégnante du slavon sont les « gens d’Église » décrits, entre autres, par N. Leskov – les prêtres de campagne, les diacres, leurs femmes et leurs enfants, les habitants des monastères, les pèlerins. Ils transportaient inconsciemment le vocabulaire, les tournures, les images des textes liturgiques dans leur vie de tous les jours. Bien plus, et contrairement à ce qui s’est passé pour la langue écrite, leur langue parlée a intégré nombre de particularités de prononciation qui correspondent souvent à la phonétique des parlers des provinces du sud

    ...

    Pour un Russe cultivé, cette prononciation sent, au mieux, sa province, mais elle évoque plutôt l’inculture, l’arriération, parfois même la grossièreté et la crasse… car l’état du bas-clergé était assez déplorable au XIXe siècle. La littérature est riche en figures et caricatures de prêtres de campagne ignares, ivrognes et débauchés, pères d’une ribambelle de petits va-nu-pieds analphabètes. Même quand ils sont peints avec tendresse chez Leskov, ou dans la Colombe d’Argent d’André Biély, cette dimension d’inculture, ou au moins de refus des Lumières, est patente.

    ...

    Quelles sont les solutions qu’ont adoptées les traducteurs ? La plupart reculent devant les difficultés de la tâche et ils préfèrent choisir, parmi les abondants écrits de Leskov, des textes moins stylistiquement marqués. Henri Mongault a traduit Gens d’Église en 1937 et a choisi d’ignorer le problème. C’était d’ailleurs l’époque ou les plus grands traducteurs, comme Boris de Schloezer ou Pierre Pascal, traduisaient « en bon français », transmettant le contenu de l’œuvre avec une exactitude et une conscience exemplaires, dans un style coulant et lisse qui ne se souciait pas de retrouver « la voix » de l’auteur. Nous ne traduisons plus ainsi, mais nous butons sur nos limites.

    ...

    La question des ukrainismes ne semble pas se poser dans la littérature russe avant Nicolas Gogol (1809-1852).

    ...

    Mikhaïl Cholokhov (1905-1984) emploie aussi beaucoup d’ukrainismes dans le Don paisible. Son traducteur, Antoine Vitez à qui le théâtre doit tant, fut aussi un grand traducteur et un théoricien de la traduction. Lui aussi choisit de ne pas traduire les ukrainismes, en justifiant son choix. Le mot « khata », par exemple, désigne la maison paysanne ukrainienne. Si on le laisse ou si on explicite, on « sur-traduit » : on introduit un élément de folklore, d’ethnographie, qui n’existe pas dans la version originale car le mot ukrainien est connu par les Russes. Si on traduit par « maison », on « sous-traduit » – mais, comme dit Vitez, il faut « choisir ses infidélités ».

    ...

    Dans le catalogue des idées reçues, les Russes ont un stéréotype : l’Ukrainien est un joyeux méridional, plein de faconde, volontiers hâbleur et affligé d’un accent reconnaissable dès qu’il ouvre la bouche. Mais si on fait parler certains personnages de Mikhaïl Boulgakov comme ceux de Pagnol, le lecteur risque de se demander ce que Panisse fait au milieu du roman Le Maître et Marguerite…

    Antoine Vitez suggère d’indiquer la différence au lieu de la qualifier. Il s’agit de mettre en scène un effet d’étrangeté. J’ajouterai qu’avec un peu de chance et de patience, on peut « inventer » au personnage un accent plausible : les Ukrainiens, qui prononcent le /g/ comme une spirante, ont beaucoup de mots communs avec le russe, mais avec des /i/ à la place des /o/, (pourquoi ne pas dire « pisition » pour « position ») ; ils ont aussi des suffixes différents qui pourraient donner l’idée de dire « baignerie » pour baignade ; ils utilisent différemment les prépositions (en traduction littérale, « sur la rue » à la place de « dans la rue »), etc. On peut utiliser ce procédé avec prudence, sans viser à la systématisation, l’essentiel étant de faire de ces écarts de langage autant de « marqueurs », et de faire sourire, non d’accabler le lecteur.

    ...

    La seule conclusion que je peux tirer est que si solution il y a, elle n’est pas à être recherchée uniquement dans le lexique. Personnellement je n’hésite pas à introduire les noms de quelques objets usuels et caractéristiques, et d’en donner le sens à la première occurrence, soit par une note, soit le plus souvent dans le corps du texte. Mais cette solution « désespérée » doit être employée avec prudence, et rarement. Reste à trouver, au cas par cas, les procédés heureusement nombreux (grammaticaux, syntaxiques, stylistiques) qu’offre le français pour « dépayser » le lecteur, l’amener dans un monde différent.

    #traduction #linguistique #littérature #russe #ukrainien #français #Anne-Marie_Tatsis-Botton

  • Shakespeare, toujours aussi déconcertant | La République Des Livres par Pierre AssoulineLa République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/shakespeare-toujours-aussi-deconcertant/#comment-142218

    Déconcertant : c’est le mot. Celui qui revient le plus souvent pour évoquer les comédies de Shakespeare. Leur interprétation y semble ad infinitum. On dit de cet univers qu’on peut s’y perdre comme dans l’ordonnancement labyrinthique d’un jardin anglais. Leur structure est pleine d’énigmes. Dès qu’en surgit la part dissimulée le doute envahit le lecteur/spectateur (la, précision s’impose car on en connaît qui n’apprécient pas Shakespeare au théâtre mais s’en régalent lorsqu’ils en tournent les pages). On aura beau ranger ces comédies sous l’étiquette bien commode de « maniériste », avec tout ce que cela suppose d’énergie dans le scepticisme, il en faudrait davantage pour dissiper la perplexité, d’autant que c’est une auberge espagnole (enfin, anglaise…) de l’humanisme....

    #Littérature-étrangères
    #Théâtre.

  • Feydeau à la folie ! | La République Des Livres par Pierre AssoulineLa République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/feydeau-la-folie/#comment-130388

    Feydeau ? Adultères et portes qui claquent. Soit. Mais une fois qu’on a lancé ce lieu commun, on n’a rien dit. Car si son théâtre n’était réductible qu’à sa caricature, pas sûr qu’il ferait autant d’effet plus d’un siècle après. On le dirait daté, obsolète et on le remiserait au grenier. Or il suffisait l’autre soir de voir la salle bondée du Vieux-Colombier pliée de rire du début à la fin, et le large sourire des spectateurs à la sortie, pour imaginer qu’il n’en est rien et qu’il porte en 2013 comme en 1892, date de la création à Paris du Système Ribadier, pièce en trois actes de Georges Feydeau et Maurice Hennequin.

    Donc, le mari, la femme, l’amant. Comment s’y prendre pour en faire autre chose que ce que c’est ? Rester fidèle tant à la lettre qu’à l’esprit de Feydeau, le sel de son théâtre : l’absurde, le paradoxe, la fantaisie, la bizarrerie, le comique, la folie. Surtout la folie. Cette fois, c’est encore plus étrange. Influencé par les expériences de Charcot à la Salpêtrière auxquelles assistait le grand monde, le dramaturge a en effet introduit l’hypnose, et non plus la lettre ou le mot doux comme dans nombre de ses pièces, comme élément-clé sur lequel repose le fameux système mis au point par Ribadier lorsqu’il trompe sa femme : il l’endort le temps d’aller voir ailleurs. Sauf que tout ne marche pas toujours comme prévu, que des courts-circuits font disjoncter les personnages, empêtrés dans leurs stratagèmes mensongers. Confrontés à l’imprévisible, ils s’efforcent de s’en sortir individuellement en puisant dans leurs réserves d’imagination, d’invention, d’adaptation, de souplesse. Vieilles recettes ? Qu’importe si la cuisine est bonne. « Passé les bornes, il n’y a plus de limites ». C’est d’Alphonse mais cela aurait pu tout aussi bien allais ici....

    #Théâtre
    #Feydeau

  • Un pas de côté avec Régis Debray et Patrick Boucheron | La République Des Livres par Pierre AssoulineLa République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/un-pas-de-cote-2/#comment-127046

    Que faire de toutes ces images qui nous tombent dessus et comment survivre à cette avalanche ? On analyse tant les métamorphoses que traverse le regard du lecteur qu’on en oublierait celles que connaît l’oeil du spectateur. Opportunément, Régis Debray nous invite à une méditation sur le temps dans Le stupéfiant image (400 pages, 30 euros, Gallimard), titre qu’il a emprunté au Paysan de Paris où Aragon présentait la chose comme un opium faisant fonction de madeleine. C’est une énigme lorsque le temps s’immobilise sur un plan fixe. Par un mystère face auquel l’historien rend les armes, les chefs d’œuvre de l’art nous apparaissent contemporains quand bien même auraient-ils été tracés il y trente cinq mille ans avant notre ère sous forme de félins sur la paroi d’une grotte.

    Même si nous les connaissons avant même de les avoir observés, le vu ne précédant pas toujours le su, un vertige nous saisit que Debray évoque comme « notre désarroi quasiment panique » face aux figures paléolithiques. Prudent, il se garde bien de parler peinture, ayant retenu de Francis Bacon que l’on peut juste parler autour de la peinture. Très illustré, on s’en doute, et traversant allègrement les siècles, son album, constitué d’articles, de préfaces et d’études ici rassemblés, tient que le roman national est fait d’images d’Epinal avant de l’être de mots d’auteurs. On aura compris qu’à ses yeux, le seul institut qui vaille est l’Institut du temps qui ne passe pas....

    #Régis-Debray
    #Patrick-Boucheron
    #art
    #histoire

  • Faut-il parier sur l’intelligence du lecteur ? - La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/faut-il-parier-sur-lintelligence-du-lecteur/#comment-105208

    Faut-il parier sur l’intelligence du lecteur ?
    LE 30 SEPTEMBRE 2013
    Mais oui, c’est possible : des traducteurs peuvent se réunir trois jours durant sans qu’il soit question de éternel dilemme « Fidélité ou trahison « , ou de « L’intraductibilité de la poésie », et sans que s’affrontent « ciblistes » et « sourcistes ». Ca change ! C’était ce week-end au Moulin de la Tuilerie sis à Gif-sur-Yvette (Essonne), la première édition du Festival VO-VF organisé par des libraires Sylvie Melchiori (La Vagabonde à Versailles), Hélène Pourquié et Pierre Morize (Liragif à Gif-sur-Yvette), avec une équipe de bénévoles constituée de leurs plus fidèles clients. Songez qu’à la table commune, parmi ceux qui avaient mis la main à la pâte, c’est le cas de le dire, un astrophysicien avait roulé la semoule du couscous du dîner samedi, ce qui ne fut certainement pas étranger à sa légèreté aérienne. Trois jours durant, si des traducteurs étaient bien à la tribune, ils étaient minoritaires dans le public constitué pour l’essentiel d’amateurs de littérature étrangère. A glaner des échanges d’un débat à l’autre des préoccupations communes surgissaient autour de quelques thèmes.

    Faut-il parier sur l’intelligence du lecteur ? Si c’est un problème pour l’auteur, ca l’est plus encore pour un traducteur. Alors vous imaginez si les deux se superposent. Un double pari. L’américaniste Claro avait déjà donné le ton la veille sur son blog Le Clavier cannibale par un billet consacré à l’angoisse du traducteur au moment de la note en bas de page : la mettre ou pas ? Il esquissait la remarque à propos d’un roman turc dans lequel sa consoeur se demandait s’il fallait traduire simit par une note indiquant qu’il s’agit d’un petit pain en couronne couvert de graines de sesame, ou s’abstenir et faire confiance à sa compétence ? Dès lors qu’il ne s’agit pas d’un hapax, et que le contexte peut à plusieurs reprises l’expliquer, pourquoi pas ?

    Johan-Frédérik El-Guedj, fut confronté à un problème semblable en traduisant de l’anglais Le seigneur de Bombay écrit en hindi par Vikram Chandra qui truffa sa langue d’argot pendjabi. Perplexe, le traducteur, qui n’hésita pas à trouver des mots que les Indiens souvent ignorent, usa alternativement de deux solutions : soit glisser une rapide périphrase au sein de la phrase, soit ne pas traduire et laisser le mot original en italiques : « Grâce à sa récurrence, le lecteur finit par le comprendre. Il faut parier sur son intelligence ». On peut en tout cas parier sur celle du traducteur qui, pour s’approprier le lexique argotique indien, s’est inspiré du lexique de cooptation mafieuse des films de Martin Scorcese, car les logiques claniques y sont les mêmes. A noter que rien ne vieillit comme l’argot, tous les traducteurs présents en convinrent ; c’est même ce qui date très vite un texte, lequel vieillit mal à cause de cette concession à l’air du temps. Cela dit, bien malin sera le lecteur qui décèlera dans trois chapitres du Seigneur de Bombay des références cryptées au Bruit et la fureur de Faulkner…

    #littérature
    #lecteur
    #intelligence
    #traducteurs
    #titre

  • Pardonnez Moix, sauvez Sureau ! - La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/ni-moix-ni-sureau-ne-sont-trop

    Une chose est sûre : celui-là est bien un écrivain qui ne place rien au-dessus de la littérature. Sans ses outrances, pas de fulgurances. Il est bien la somme des violences de toutes natures qu’il a subies. Naissance, on peut en dire ce qu’on veut, mais consacrer l’essentiel de son jugement critique à son poids dans le sac de plage et son encombrement au lit, comme on a entendu certaines le faire au Masque et à la plume, est un signe de plus de la décadence de ce métier.

    #littérature

  • David au Congo, Conrad en embuscade - La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/david-au-congo-conrad-en-embuscade

    Congo, une histoire de David van Reybrouck
    Un très bon livre que je vous conseille si vous souhaitez en avoir plus sur l’histoire de ce pays.

    L’auteur a voulu rendre la complexité de cette histoire dans une forme simple et accessible, en s’intéressant davantage aux ressources humaines qu’à celles du sous-sol, et en conservant à l’esprit un conseil de Gramsci : “Il faut combiner le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.” Naïf, van Reybrouck ? Peut-être a-t-il un côté « David au Congo » dans certaines pages où l’Histoire est revisitée avec des bons sentiments et un prisme humanitaire. L’enquête n’en est pas moins impressionnante, et le récit, captivant. C’est si bien fait que c’est de nature à intéresser même ceux qui ne savent rien de toute l’affaire et n’auraient jamais crû qu’ils liraient un jour quelque sept cents pages sur le passé de cet immense pays dévasté

    Pierre Assouline

    #RDC #colonialisme #Belgique #Afrique #Littérature

  • Pour saluer Maurice Nadeau - La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/pour-saluer-maurice-nadeau

    Son père aussi, si le destin lui avait laissé le temps. Il avait 26 ans dont cinq de service militaire et de guerre : « C’est cela qui m’a fait, ma révolte face à cette injustice : il n’a pas eu le temps de vivre ». A la fin d’une permission en 1916, juste avant de rejoindre Verdun, il s’accouda à la fenêtre et dit à sa femme : « Ne t’en fais pas, je reviendrai ». Les derniers mots que l’enfant entendit de sa bouche, la dernière image qu’il conserva de lui. Il avait 5 ans mais en parlait à la veille de son centenaire comme si c’était hier.

    Pas complétement hors-sujet, car événement fondateur de la vie d’un homme, mais un peu annexe dans un article consacré à la vie d’un éditeur, ce passage me touche profondément.

  • A propos, pourquoi le rouge et pourquoi le noir ? - La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/a-propos-pourquoi-le-rouge-et-pourquoi-le-noir

    On y vient. Dominique Fernandez rappelle que Stendhal raffolait des couleurs et des jeux de mots qu’elles favorisaient. Des vêtements rouges sur fond noir lui ont souvent été inspirés par des tableaux, notamment ceux de Raphaël et du Corrège. Lucien Leuwen a failli s’appeler « Le Rouge et le Blanc ». Et quand il conçu le projet de développer sa nouvelle Mina de Vanghel pour en faire un roman, le titre devait en être « Le Rose et le Vert ». C’est dire ! Mais Le Rouge et le Noir ? La glose en est pleine. On a tout lu. Pour le noir : les milieux ecclésiastiques, le sombre des congrégations. Pour le rouge : le républicanisme, la toge des magistrats, les rideaux cramoisis avec effet de taches de sang, la couleur de la guerre avec en douce un hommage à Napoléon. Sans oublier cette dichotomie quand, dans la rêverie de Julien, le noir de la soutane se transforme en pourpre cardinalice. Et sans compter que le rouge et le noir sont les deux couleurs de la roulette.

    #rouge_et_noir #tm

  • Les auteurs spoliés par l’Etat ? | La République Des Livres
    http://larepubliquedeslivres.com/les-auteurs-spolies-par-letat

    Il y a un an, le Parlement votait une loi adaptant le Code la propriété intellectuelle à l’ère du numérique dans le but de rendre disponibles sur nos écrans des livres du XXème siècle qui n’étaient plus exploités commercialement sans pour autant avoir à signer à chaque fois un nouveau contrat d’édition. Magique, non ? Sur le papier et dans son principe, l’initiative paraissait louable sinon vertueuse. Quel lecteur irait se plaindre qu’on lui permette d’accéder en à des ouvrages qu’il ne trouvait plus en librairie depuis des lustres ? Mais les inventeurs de cette mesure se sont peut-être tellement préoccupés du lecteur qu’ils en oublié, négligé, sinon méprisé, l’auteur. Mais oui, ce bon vieil auteur sans lequel lecteurs et éditeurs n’auraient qu’à aller voir ailleurs. Ce fameux et indispensable auteur qui, selon le Code la propriété intellectuelle et jusqu’à nouvel ordre, jouit du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire, faculté qui, à sa mort, persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant soixante-dix ans (d’aucuns jugeront cette durée exorbitante mais là n’est pas la question).

    Pourtant, promis juré, il n’était pas question de toucher au fondement du droit d’auteur. Sauf que, dans les faits, il en est autrement. L’exercice du droit d’auteur sur ces livres indisponibles publiés entre 1901 et 2000 est en effet transféré à une société de gestion collective agréée (la SOFIA), censée agir au nom des auteurs ou de leurs ayants droit pour leur en redistribuer le profit selon des mécanismes de répartition qui nous sont encore inconnus (les différentes étapes de l’affaire sont exposées officiellement sur ce lien, et de manière nettement plus critique par Hubert Guillaud sur son blog)

    Cette procédure (sa FAQ vaut le détour) est déjà contestable mais le pire est encore à venir. Une première liste de 60 000 titres en littérature et sciences humaines a été dressée par un comité ad hoc (qui le compose ?). Elle devrait atteindre le chiffre de 500 000. Mais eu égard au caractère “orphelin” (exquis s’il n’était pathétique, ce terme) de ces oeuvres, n’allez pas imaginer que la Bnf va demander à chaque fois son autorisation à un écrivain, à un traducteur ou à leurs héritiers, dont chacun sait qu’ils sont assez introuvables : c’est à eux de se manifester… Autrement dit, c’est à eux de consulter régulièrement la liste sur le site de ReLIRE, d’accepter (un simple clic ou à peu près) ou de refuser (un dossier à remplir pour chaque titre concerné).