Omerta dans la polis - Les mots sont importants (lmsi.net)
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Que veut dire Omerta ?
Le mot omerta a d’abord cet avantage : il permet de penser des actes, des agissements qui peuvent être minoritaires si l’on s’en tient à un point de vue strictement numérique (Sihem Souid parle de 30% de policiers racistes et/ou violents, ce qui fait d’ailleurs une grosse minorité) mais dominants au sens où ils sont très peu dénoncés, combattus, et donc empêchés, et où par conséquent ils « donnent le la » – ou en tout cas ils font partie de « l’ordinaire » de l’univers policier. J’ai envie de dire : si une minorité de 30%, ou même de 10% des agents de police passe à l’acte, profère des propos racistes ou commet des abus de pouvoir, des violences illégitimes, mais si les autres ne s’y opposent pas, cela signifie que dès qu’il y a trois flics, ou cinq, ou dix, on est à peu près sûr de tomber sur un raciste ou un violent qui passe à l’acte, avec les trois autres qui se taisent…
Cela signifie en gros que, même si c’est minoritaire d’un point de vue numérique, ces abus arrivent régulièrement dans tous les commissariats. De la même manière qu’il y a une omerta dans l’éducation nationale, où je travaille, qui fait que, même si on laisse de côté la violence systémique de l’institution, du déterminisme social (ce que Pierre Bourdieu a appelé la « reproduction » et la « violence symbolique » [1]), et si on pose qu’il y a une minorité d’un prof sur dix qui est vraiment méchant, violent, qui abuse de son statut et « casse » des élèves, chaque élève ayant chaque année une dizaine de professeurs, on arrive à la conclusion que tout élève est exposé à ces abus et humiliations [2].
C’est la même structure dans les deux cas : une violence systémique, dominante, inquestionnée, qui peut très bien être en même temps minoritaire et dominante, justement parce qu’elle est inquestionnée. La différence entre l’École et la Police, c’est que le professeur peut casser, blesser moralement, éventuellement « tuer » scolairement des élèves (en les excluant, pour un foulard ou pour autre chose), mais qu’il n’a pas d’arme à feu, de flashball, de taser… Ni de technique d’étranglement. Le professeur peut condamner un jeune à une mort scolaire et sociale, ou le blesser mortellement sur un plan psychologique, avec des mots, des notes, des sanctions ; pour le policier c’est plus radical, il a le pouvoir de tuer tout court, physiquement, irréparablement.