marielle 🐱

« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

  • Digression sur le zbeul
    ▻https://www.acontretemps.org/spip.php?article983

    Il dit : « Il s’agit de retrouver la mĂ©moire des anciennes rĂ©voltes, de s’en imprĂ©gner et de sortir des sentiers battus de l’échec programmĂ©. On ne gagnera que si on s’en donne les moyens, et il faudra investir beaucoup de soi. » Le camarade a les idĂ©es claires. Il est originaire de Marseille, syndiquĂ© Ă  la CGT, carrĂ©ment basiste et « robin des bois ». La manif intersyndicale, c’est un passage obligĂ©, mais il sait que ça se jouera ailleurs. Dans une prolifĂ©ration d’actions illĂ©gales, minutieusement programmĂ©es, audacieuses. Il parle de « grĂ©villa », et le mot l’enchante. Il a la quarantaine sportive, le port altier, le regard conquĂ©rant et un bĂ©ret noir genre Black Panther. Sur le large trottoir passe un groupe nourri, jeune et combatif de « RĂ©volution permanente » scandant : « GrĂšve gĂ©nĂ©rale ! GrĂšve gĂ©nĂ©rale ! » Comme s’il suffisait de la dĂ©crĂ©ter. « Les avant-gardes d’aujourd’hui sont les arriĂšre-gardes de demain. Bolchos un jour, bolchos toujours. Mais qu’est-ce que Lordon est allĂ© foutre dans cette galĂšre ? », dit-il. Et de se rĂ©pondre Ă  lui-mĂȘme : « Exister comme intellectuel organique ? Tu parles d’une perspective. » Ce type a tout pour me plaire.

    Son truc Ă  Mathias – on l’appellera comme ça –, c’est le zbeul comme thĂ©orie, expression de la spontanĂ©itĂ© des masses, organisation mĂ©thodique du dĂ©sordre, multiplication des points de rupture. La Grande Java, en somme. Mathias ne se dĂ©finit pas comme activiste, se fout du Grand Soir comme de sa premiĂšre communion – qu’il n’a d’ailleurs pas faite. Il connaĂźt ses classiques. « PlacĂ© au bon endroit dans une bĂ©cane, un corps Ă©tranger, dit-il, peut avoir des effets miraculeux sur les cadences. » Et de mĂȘme attaquer des canalisations Ă  la disqueuse, cramer des antennes 5G, couper des fils d’alimentation, manier en artiste la pince-monseigneur, c’est dĂ©sarmer le systĂšme d’exploitation. Il dit « dĂ©sarmer », Mathias, pas « saboter ». Je lui demande pourquoi. « Parce qu’il faut ĂȘtre malin », prĂ©cise-t-il, que le terme de sabotage a mauvaise presse et qu’il est sans doute plus porteur, comme le font les « SoulĂšvements de la terre », de rĂ©actualiser des pratiques aussi anciennes que le mouvement ouvrier sans favoriser nous-mĂȘmes leur stigmatisation. À vrai dire l’argument ne me convainc pas vraiment, et pas davantage cette volontĂ© stratĂ©gique de dĂ©conflictualiser la pratique en la rendant plus acceptable. Mathias entend ma critique, mais sans en dĂ©mordre. « Si l’on ne pĂ©rit que dans la dĂ©fensive, il n’est pas interdit de penser l’offensive de maniĂšre stratĂ©gique. Et, d’admettre que les voies obliques sont parfois les plus directes. » Mathias a du rĂ©pondant.

    À vrai dire, le zbeul, pour lui, c’est comme un appel du lointain, une rĂ©activation de l’ancienne mĂ©moire des luttes sauvages d’avant leur domestication politique ou syndicale. Le mouvement en cours, il en est convaincu, a d’abord dĂ©montrĂ© que la force du nombre et l’unitĂ© sont dĂ©sormais conditions non suffisantes pour vaincre un pouvoir qui ne veut pas cĂ©der. C’est en cela que l’évĂ©nement, par le glissement d’imaginaire qu’il induit, marque dĂ©jĂ  une date historique, celle qui ouvrira fatalement sur une reconfiguration de l’affrontement puisant Ă  d’archaĂŻques formes de rĂ©sistance et en en inventant de nouvelles. Le zbeul favorise la prolifĂ©ration des expressions. À chacun la sienne, Ă  la mesure de ses moyens. Tout ce qui s’est passĂ© de fort autour de ce mouvement – sur les piquets de grĂšve, dans les blocages, les occupations, certains ronds-points – a fait convergence autour de cette vieille idĂ©e de l’ingouvernabilitĂ© de la rĂ©volte, de sa rĂ©invention permanente, de l’imagination qu’elle nourrit et attise. Sans autre nĂ©cessitĂ© que celle de faire mouvement, lignĂ©e, trace. Au point que, sauf chez certaines vertueuses avant-gardes gauchistes du vieux monde, personne n’a jugĂ© bon de consacrer trop de temps Ă  la critique inutile des vieux corps intermĂ©diaires stupidement mĂ©prisĂ©s par le pouvoir quand ils sont, par dĂ©finition et nature, sa derniĂšre roue de secours. Mathias est de ceux-lĂ . Il raisonne plutĂŽt qu’il n’idĂ©ologise : « Les syndicats ont mobilisĂ©, dit-il, et plutĂŽt massivement. C’est dĂ©jĂ  ça, et pour beaucoup c’est grĂące Ă  eux qu’au cƓur des cortĂšges se sont tissĂ©es diverses connivences, qu’ont Ă©clos des rencontres, que sont nĂ©s des affects. Quand on n’est pas, comme c’est mon cas, en rivalitĂ© sur des questions de boutique ou d’appareil, on fait corps commun avec sa classe. Quitte Ă  s’émanciper de la multitude syndiquĂ©e dĂšs que pointe une envie d’échappĂ©e sauvage. » Et ce ne fut pas rare au vu de la taille, tout Ă  fait considĂ©rable, des cortĂšges de tĂȘte...

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