Féministe, oratrice de talent, traductrice, écrivain... l’autre grande dame de l’anarchisme américain est pourtant bien différente d’Emma Goldman. Les origines et la formation intellectuelle, le tempérament et la personnalité les opposent.
[Emma Goldman :] « La première fois que je la vis — cette femme anarchiste la plus douée et la plus brillante que l’Amérique ait jamais produite — c’était à Philadelphie, en août 1893. J’étais venue dans cette ville pour parler aux chômeurs durant la grande crise de cette année, et j’étais impatiente de rencontrer Voltairine : à New York, on m’avait parlé de sa capacité exceptionnelle d’oratrice. Je la trouvais au lit, malade, la tête emballée de glace, le visage défiguré par la douleur. J’appris que cette situation se répétait après chaque apparition publique de Voltairine : elle resterait alitée pendant quelques jours (...) A partir de ce moment et jusqu’à sa mort, nos vies et nos efforts pour la cause étaient souvent unis, parfois en harmonie et quelquefois en opposition... »
C’est une description un peu idéalisée d’une relation en réalité pas très harmonieuse : trop différentes étaient, de caractère comme de tempérament, ces deux femmes. Voltairine de Cleyre était anarchiste et féministe comme Goldman, et comme celle-ci une agitatrice ardente ; mais contrairement à Emma, elle n’a jamais aimé le grand public et gardait toujours ses distances. Elle était athée et libre-penseur mais, en même temps, « possédait une nature profondément religieuse. En dépit de sa conception pragmatique de la théorie et de la pratique anarchistes, elle reste au fond d’elle-même une zélote au tempérament sectaire, ascétique, se sacrifiant et même puritaine, comparable aux hérétiques religieux du passé. » Toute sa vie de militante anarchiste, elle vécut dans une pauvreté extrême, les maladies et les malheurs physiques et émotionnels se poursuivant.