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« … en deçà d’un monde qui ne sait plus nourrir que son propre cancer, retrouver les chances inconnues de la fureur » (André Breton)

  • Guatemala - Dans le département de Chiquimula, les cas de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans ont augmenté de 38,9 % en 2022

    La route caillouteuse monte en pente raide entre des collines pelées du sud-est du Guatemala, dans le département de Chiquimula. Victor Hugo Sosa, qui coordonne le projet humanitaire de l’ONG Oxfam, est concentré sur la conduite d’un pick-up 4 × 4. Il s’arrête pour laisser monter des femmes portant sur leurs épaules des bidons d’eau au bout de cordes. Dans cette région du « couloir sec », où le changement climatique est un terrible accélérateur de la pauvreté, les organisations humanitaires sont les seules à avoir des voitures. Les habitants maya chorti, eux, doivent aller chercher l’eau au premier ruisseau, à une heure de marche.

    Dans le village de Guareruche, les maisons en palme ont un toit de tôle pour récupérer l’eau de pluie dans des bassines. C’est le seul luxe chez Victoriano Suchite. Au centre de la pièce trône un fourneau en pierre et une unique casserole dans laquelle trempe du maïs. Ses cinq enfants et son épouse sont assis sur des briques. Une autre pièce abrite les hamacs et quelques vêtements. La famille est l’une des bénéficiaires du programme géré par Oxfam et financé par l’Union européenne, qui donne de l’argent (632 quetzals, soit 74 euros, tous les deux mois) sans contrepartie à 14 000 personnes au Guatemala.

    « Ces aides couvrent le déficit alimentaire entre mai et septembre. Pendant ces quelques mois, qu’on appelle la faim saisonnière, ces familles n’ont plus rien d’autre à manger que des tortillas [galettes de maïs] avec du sel », explique Victor Hugo Sosa. Dans la région, les cas de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans ont augmenté de 38,9 % en 2022.

    Le Guatemala détient le pire taux de malnutrition infantile du continent américain et le sixième au niveau mondial, selon le dernier rapport sur la dénutrition de l’Unicef, en 2019. Le ministère de la santé estime que 62 % des enfants indigènes en souffrent. Le manque de terres en est la cause principale : leurs ancêtres en ont été scrupuleusement dépossédés et ont été relégués dans les montagnes. « Dans l’histoire, les colons espagnols, puis l’élite, à l’indépendance, se sont emparés des meilleures terres, explique l’anthropologue Ricardo Saenz, directeur d’Oxfam Guatemala. Ensuite, les militaires : la lutte pour la terre a été une des causes de la guerre civile [1960-1996]. Aujourd’hui, 2 % de la population possède 62 % des terres cultivables, qu’ils louent bien souvent pour des plantations de palme, banane ou canne à sucre. Dans le “couloir sec”, les indigènes ont des lopins minuscules sur des sols pauvres et souvent sans eau. » […]

    (Le Monde)