person:pierre lascoumes

  • Quel est le dernier délinquant en col blanc à avoir fait de la prison ? - Libération
    http://www.liberation.fr/checknews/2018/02/21/quel-est-le-dernier-delinquant-en-col-blanc-a-avoir-fait-de-la-prison_163

    Alors que le parquet vient de requérir trois ans ferme contre Jérôme Cahuzac, vous nous avez demandé sur CheckNews à quand remontait la dernière condamnation d’un « col blanc » à de la prison ferme.

    Cette question intervient alors que le parquet vient de requérir trois ans de prison ferme contre Jérôme #Cahuzac. Soit la peine à laquelle il avait déjà été condamné en première instance pour « fraude fiscale » et « blanchiment de fraude fiscale ». L’ancien ministre du Budget cherche dans ce nouveau procès à éviter la prison. Dans son premier jugement, le tribunal correctionnel avait écarté tout aménagement de peine, en raison d’une faute qualifiée « d’une exceptionnelle gravité ». Cela signifie que si la cour d’appel confirme cette décision, il devrait aller en prison.

    Dans ce contexte, un internaute a demandé à CheckNews quelle est la dernière fois qu’un délinquant en col blanc a été condamné à de la prison, et a effectué sa peine (ou au moins d’une partie).

    Qu’est-ce que la délinquance en col blanc ?

    La réponse à la question demande d’abord de définir la « délinquance en col blanc ». L’expression a été inventée par le sociologue américain Edwin Sutherland en 1939, qui la définit ainsi : un ensemble de délits « commis par une personne respectable et de haut rang social dans le cadre de sa fonction ». Le sociologue Alexis Spire, dans un article « pour une approche sociologique de la délinquance en col blanc », explique que Sutherland cherchait ainsi à « mettre en lumière l’importance des délits commis par les élites et dénoncer leur relative impunité ».

    Pierre Lascoumes, auteur de Sociologie des élites délinquantes, précise qu’« il s’agit des actes transgressifs commis par des personnes qui exercent des responsabilités dirigeantes dans les entreprises et les organismes publics, ainsi que les fraudes commises par les commerçants et professions libérales ».

    La délinquance en col blanc désigne donc plutôt les élites (politiciens ou patrons de grandes entreprises) commettant des délits (d’ordre financier) qu’une infraction précise. C’est une définition sociologique, et non juridique.

    Il n’existe aucune donnée sur les condamnations et peines d’emprisonnement des détenus en fonction de leur catégorie sociale professionnelle. Les données disponibles à propos des infractions de délinquance économique et financière (fraude fiscale, manquement à la probité, banqueroute ou abus de biens sociaux) peuvent concerner un Jérôme Cahuzac, un grand patron d’entreprise ou un français lambda.

    Des peines globalement peu dissuasives

    Globalement, les chiffres disponibles permettent de constater que pour l’ensemble de ces délits, les peines sont plutôt légères. La condamnation à la prison ferme est plutôt rare. Ajoutons qu’elle n’implique pas forcément une incarcération, les peines pouvant être aménagées.

    Le 16 janvier 2018, le directeur des affaires criminelles et des grâces Rémy Heitz a communiqué des données concernant la fraude fiscale, lors de son audition à l’Assemblée nationale par la mission sur le verrou de Bercy. En 2016, 524 condamnations pour fraude fiscale ont été prononcées, dont 21% comportaient des peines de prison ferme, contre 32% pour l’ensemble des contentieux. Mais selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice, le quantum des peines d’emprisonnement ferme ne dépasse pas un an en moyenne. Ce qui signifie que dans les faits, les peines sont pour la plupart aménageables.
    [voir tableau dans l’article]
    Si l’on regarde les condamnations pour d’autres infractions, le taux d’emprisonnement ferme se situe à peu près dans la même fourchette. Par exemple, sur les manquements à la probité, qui comprennent les délits de favoritisme, concussion, corruption, détournement de biens publics par une personne dépositaire de l’autorité publique, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et recel de ces délits. « En 2016, sur les 252 condamnations prononcées pour manquement à la probité, 169 ont été assorties d’une peine d’emprisonnement (67%), dont 38 avec de l’emprisonnement ferme (22%) pour tout ou partie avec un quantum moyen d’emprisonnement ferme s’élevant à 12,1 mois », précise le ministère de la Justice.
    [voir tableau dans l’article]
    Pour les abus de biens sociaux, le quantum des peines se situe en deçà d’un an, tandis que celui des peines de prison pour banqueroute est encore plus minime, ne dépassant pas six mois en 2014 et 2015 et baissant à 3,4 mois selon les données provisoires pour 2016.
    [voir tableaux dans l’article]
    Non seulement les peines d’emprisonnement fermes sont assez peu courantes quand l’on étudie les délits qui peuvent s’apparenter à de la délinquance en col blanc, mais les peines sont souvent si faibles que les prévenus ont de grandes chances de bénéficier d’un aménagement de peine.

    Un bilan de l’activité du Parquet national financier en témoigne. Créée en 2013 après l’affaire Cahuzac, cette juridiction a pour objet de traquer la grande délinquance économique et financière, même si elle n’est pas le seul parquet à traiter des affaires financières. Dans un rapport parlementaire sur le PNF, les députés Sandrine Mazetier et Jean-Luc Warsmann pointaient des « peines prononcées trop peu dissuasives ». Et s’ils notaient, à propos des condamnations pour fraudes fiscales dans les affaires suivies par le PNF que « les peines sont de plus en plus lourdes, faisant du délit de fraude fiscale l’infraction délictuelle la plus sévèrement réprimée du droit pénal français », ils ajoutaient que « les peines d’emprisonnement ferme sont le plus souvent réservées aux dossiers qui relèvent de la récidive ou qui sont connexes à d’autres infractions. La majorité des condamnations définitives sanctionnant la fraude fiscale comportent des peines d’emprisonnement avec sursis, généralement inférieures ou égales à 18 mois ».

    A la recherche d’un col blanc en prison

    Cette « clémence » semble se confirmer au regard des très rares incarcérations que nous avons pu recenser, parmi les affaires les plus médiatisées ces dernières années.

    Parmi les cas les plus célèbres : Jérôme Kerviel, condamné à trois ans de prison ferme pour avoir causé une perte de 4,9 milliards d’euros à la Société générale. Le trader a passé 150 jours incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis en 2014, avant de bénéficier d’un aménagement de peine et d’être libéré sous bracelet électronique.

    Plus loin dans le temps, Pierre Botton et Bernard Tapie. Condamné en 1996 à cinq ans de prison dont dix-huit mois avec sursis avec mandat de dépôt, Pierre Botton a passé 602 jours derrière les barreaux. Bernard Tapie, condamné en 1995 à deux ans de prison dont huit mois ferme pour le match truqué OM-Valenciennes, a passé 165 jours en prison en 1996 avant de bénéficier d’une liberté conditionnelle.

    Plus récemment, le cas de la sous-préfète Testart-Mallemanche avait donné lieu à sa condamnation à trois ans de prison ferme pour corruption. Une peine confirmée en appel en novembre 2017. Son pourvoi en cassation étant suspensif, l’intéressée n’est toutefois pas passée par la case prison.

    Si notre recherche ne prétend pas à l’exhaustivité, nous n’avons pas retrouvé de col blanc ayant effectué une peine de prison ferme ces deux dernières années.

    L’homme d’affaires Nadav Bensoussan, dirigeant de la société France Offshore, a bien été condamné en juillet dernier à cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis, mais le tribunal n’a pas prononcé de mandat de dépôt. Et sa peine ferme, ramenée à deux ans, est donc aménageable. Il pourrait échapper à l’incarcération, même si son conseil, Me Jean-Marc Fédida, assure qu’« il n’y a plus aucune espèce de tolérance à l’égard de ce qu’on appelle la délinquance financière ». Sur les aménagements de peine, « les juges d’application des peines n’accordent plus aucune faveur », souligne-t-il.

    Parmi les autres affaires emblématiques poursuivies par le parquet financier, l’héritière de Nina Ricci, Arlette Ricci, avait elle aussi été condamnée en première instance à un an de prison ferme pour fraude fiscale. Sauf qu’elle n’a même pas eu à bénéficier d’un aménagement de peine, celle-ci ayant été ramenée en appel à trois ans de prison avec sursis.

    Serge Dassault, autre délinquant financier célèbre, a quant à lui écopé d’une peine « minimaliste » : une amende de 2 millions d’euros, quoique les faits « auraient mérité une peine de prison ferme », mais qui n’aurait eu « aucun sens » vu l’âge du prévenu, avait précisé le président du tribunal.

    D’autres affaires, pas forcément poursuivies par le PNF, pourraient s’apparenter à de la délinquance en col blanc. Sans que les prévenus se retrouvent en cellule. Willy Bernard, président du club de football d’Angers, a été condamné à deux ans ferme pour fraude fiscale en mars 2017, mais sans mandat de dépôt. Alors que la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en début de mois, son avocat confirme à CheckNews avoir « bon espoir » que son client puisse bénéficier d’un aménagement de peine.

    Toujours dans le milieu du football, l’ex-entraîneur de Caen Franck Dumas a été condamné pour fraude fiscale en janvier 2017 à 26 mois de prison ferme. Mais l’entraîneur a fait appel, et celui-ci étant suspensif, il reste libre.

    L’ancien joueur de Valenciennes Jeovânio Rocha Do Nascimento, qui n’avait pas déclaré ses revenus lorsqu’il jouait en France, a été condamné en son absence à dix mois ferme en mars 2016. Il était rentré au Brésil après son passage à Valenciennes, et n’est donc pas dans une prison française.

    Plus récemment Joël Druart, un chef d’entreprise ardennais, a été condamné à six mois de prison ferme pour « banqueroute ». Sauf qu’il a été relaxé dans un autre volet de l’affaire, et que le parquet a fait appel de cette relaxe. L’appel étant suspensif, le chef d’entreprise n’est pas sous les verrous. De toute façon, selon son avocat, « il remplit les conditions pour bénéficier d’un aménagement de peine ».

    En janvier 2017, un couple d’entrepreneurs du sud-ouest, Valérie Pateau et Stéphane Sagric, ont été condamnés à un an de prison ferme pour abus de biens à des fins personnelles, banqueroute et blanchiment aggravé dans une affaire qualifiée par la présidente du tribunal de « délinquance en col blanc ». « Une peine d’emprisonnement ferme aménageable devant le juge d’application des peines », précisait Sud Ouest.

    Un homme d’affaires en détention provisoire

    On a bien trouvé deux cas de personnes incarcérées pour des faits de délinquance économique et financière, mais on ne peut pas affirmer que ce sont des cols blancs condamnés à de la prison ferme.

    Le premier est incarcéré sans avoir encore été condamné. Il s’agit de l’homme d’affaires suisse Alexander Studhalter qui a été placé en détention provisoire le 12 janvier dernier. Il est soupçonné par le parquet de Nice d’avoir été l’homme de paille dans une affaire de blanchiment de fraude fiscale impliquant l’oligarque russe Suleyman Kerimov (qui est, lui, soumis à un contrôle judiciaire).

    Enfin, la vaste escroquerie à la taxe carbone, avait bien mené ses protagonistes à la case prison, mais elle n’est pas assimilable à de la délinquance en col blanc. Il s’agit en effet d’une escroquerie impliquant des dizaines de personnes avec des ramifications dans plusieurs pays. Plusieurs acteurs de différents dossiers sur la taxe carbone ont été condamnés à de lourdes peines. Jusqu’à neuf ans de prison en septembre dernier pour l’ordonnateur de l’une des arnaques, Cyril Astruc, et de six à huit ans pour ses coprévenus ayant joué un « rôle majeur » dans l’escroquerie. Dans un autre dossier d’arnaque à la taxe carbone, Arnaud Mimran et Marco Mouly ont été condamnés en appel à huit ans d’emprisonnement et sont aujourd’hui incarcérés.

    Cette affaire de la taxe carbone est une des rares, suivies par le PNF, qui a débouché sur de la prison ferme. Pour le reste, sur les centaines d’autres affaires suivies par le Parquet spécialisé depuis sa création, aucune n’a amené un « délinquant en col blanc » derrière les barreaux, selon un magistrat spécialisé.

    En bref, si les juges suivent le réquisitoire du parquet pour Jérôme Cahuzac, on pourra considérer qu’il s’agit du premier col blanc à franchir les portes d’une prison ces deux dernières années.
    Pauline Moullot

    #fraude_fiscale #impunité #délinquance #justice #procès

  • Quand des cadres de grandes banques jouent avec les règles, cela peut produit une véritable #criminalité_en_col_blanc dont le rôle dans l’éclatement des grandes crises financières contemporaines est majeur. Comment ces mécanismes de fraude se mettent-ils en place, et quels moyens pour les empêcher ?

    « On sait que la criminalité en col blanc a un impact majeur sur les crises financières. Elle vient alimenter des bulles déjà hypertrophiées. Et au moment où la bulle éclate, c’est là qu’on découvre, la plupart du temps, la fraude. » (Aurore Lalucq)

    https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/la-criminalite-en-col-blanc-34-la-dimension-criminelle-des-crises#xtor

    « Cette culture de la dérégulation dans le milieu politique est le produit du lobbying mené par les plus grands acteurs économiques, qui n’ont de cesse, à certains moments, d’avoir besoin de règles pour se protéger de la concurrence [...], et à d’autres, au contraire, de souhaiter que les normes étatiques soient les plus faibles possible pour pouvoir fonctionner selon leur propre logique. » (Pierre Lascoumes)

    #bulles_financières

  • La probité à petits pas
    http://www.laviedesidees.fr/La-probite-a-petits-pas.html

    Passées en urgence en septembre, les lois de moralisation de la vie politique parviendront-elles à restaurer la confiance des Français dans leurs élus ? Pour Pierre Lascoumes, elles sont surtout l’occasion manquée d’un assainissement en profondeur des pratiques politiques.

    Essais & débats

    / #corruption, #conflit_d'intérêts, #parlement, #pouvoir_exécutif

    #Essais_&_débats

  • Volkswagen, c’est aussi une banque à risque

    Les constructeurs automobiles ont compris depuis longtemps qu’ils pouvaient gagner de l’argent en prenant la place des banques. Plutôt que laisser ces dernières offrir des crédits à la consommation pour acheter leurs voitures, ils se sont dit qu’ils pouvaient offrir eux-mêmes ces crédits à forte marge. Ainsi, à côté de Volkswagen Financial Services, on trouve en France PSA Finance pour Peugeot Citroën, RCI Banque pour Renault, etc. On dit de ces banques qu’elles sont « captives » des constructeurs dans la mesure où elles dépendent de leurs clients.
    Le total de leur bilan équivaut en gros à la fin 2014 à 40 % de l’activité de construction de voitures

    #abonnement #économie #bankster #voitures #corruption #finance

    http://www.alterecoplus.fr/lhebdo/volkswagen-les-lecons-dun-scandale-201510020942-00002211.html

    • Le rapprochement du nom d’une entreprise prestigieuse et d’un qualificatif infamant choque. Les commentateurs parlent de « problème éthique », alors qu’il s’agit de la transgression d’une norme légale pénalement sanctionnée et faisant l’objet de poursuites aux Etats-Unis. Cependant, le patron du groupe, Martin Winterkorn, s’est empressé de présenter ses excuses et a hésité à démissionner, avant de s’y résoudre. Quant au ministre allemand de l’Economie, Sigmar Gabriel, il estime l’affaire « grave », sans plus.

      La rhétorique du « c’est pas grave »

      Nous voilà rassurés : ce n’est qu’une petite décision inadéquate, une erreur ponctuelle, certainement pas une fraude intentionnelle et dommageable. Ces responsables reprennent là la rhétorique dédramatisante qui est toujours utilisée dès que des acteurs économiques puissants sont mis en cause. Non seulement les élites dirigeantes ne s’estiment jamais coupables d’actes transgressifs, même des plus caractérisés, mais surtout, l’emprise qu’elles exercent sur la société est telle qu’elles parviennent le plus souvent à imposer leur autojustification à une grande partie de la population et des autorités de contrôle.

      Une rhétorique dédramatisante est toujours utilisée dès que des acteurs économiques puissants sont mis en cause

      Il ne faudra pas longtemps pour que l’on entende à la buvette des salons de l’auto : Volkswagen une organisation délinquante ? Vous plaisantez ! Tout au plus, la victime d’informaticiens maladroits, d’ingénieurs myopes et de chefs de service chasseurs de prime. Croyez-moi, c’est la faute aux ordinateurs. Et plus encore, aux manœuvres protectionnistes des Etats-Unis qui préservent la place de General Motors sur leur marché. Parler de « décisions intentionnellement frauduleuses » est une pure provocation.

      3 arguments de déculpabilisation

      Les premiers commentaires techniques contribuent déjà à cette déculpabilisation. Trois arguments dominent.

      C’est, tout d’abord, l’impact financier de l’affaire avec la chute spectaculaire du cours de Bourse qui est mis en avant.
      Ensuite, on insiste sur l’atteinte à l’image, à la réputation de qualité de ce leader mondial, aux conséquences sur la crédibilité du secteur automobile dans son entier et sur l’emploi.
      Enfin, on s’inquiète de l’instrumentalisation possible de l’informatique qui est au centre de toutes les innovations.

      Ces raisonnements font l’économie de la réflexion sur les facteurs qui ont rendu possible une telle situation. C’est de là qu’il faut partir. Le cas « Volkswagen » est en effet l’occasion de réviser quelques mythes sur les principes pratiques qui gouvernent les entreprises et leur rapport au droit et à l’honnêteté.

      Le mythe de l’organisation rationnelle

      L’entreprise est le modèle de l’organisation rationnelle. Les rationalités techniques, commerciales et financières s’y conjugueraient pour assurer la meilleure production et maximiser son développement.

      Tous les débordements, les irrégularités, sont minimisés

      Les écoles d’ingénieurs et commerciales transmettent efficacement ce mythe aux futurs cadres et dirigeants. La force de cette croyance est telle que tous les débordements, les irrégularités, les incidents sont minimisés et évacués comme des données sans importance. Toutes les contraintes externes ne sont qu’obstacles à contourner.

      Le mythe de l’entreprise morale

      L’entreprise est un être moral. Les dirigeants ne peuvent agir que pour le bien de l’organisation. C’est la base du contrat de confiance passé avec les actionnaires, le personnel et les clients. Seul « le crime organisé » crée des organisations cyniques et violentes.

      Ce mythe a été mis en cause dès 1940 par le sociologue Edwin Sutherland1. Sur la base d’une série d’affaires concernant les principales entreprises étasuniennes il montre que certaines d’entre elles ont une carrière marquée par des rapports très laxistes avec la loi et que certaines sont des récidivistes de la transgression. La saga des entreprises pétrolières, et la constante des pratiques anti-concurrentielles dans de nombreux secteurs actualisent en permanence la démonstration de Sutherland.

      Le mythe de la responsabilisation individuelle

      Le troisième mythe concerne la force du management qui a dynamisé les entreprises en rompant avec les vielles hiérarchies. L’autonomie, la responsabilisation, l’intéressement aux résultats et le reporting permanent sont censés faciliter l’innovation et minimiser les coûts de fonctionnement. Jusqu’au moment où l’on découvre, comme chez Volkswagen, que ces pratiques sont à double face, que chaque entité peut imposer ses propres raisons d’agir, que le contrôle y est un leurre et que l’intérêt collectif de l’organisation a été perdu en route.

      Chaque entité peut imposer ses propres raisons d’agir, le contrôle y est un leurre

      Qui peut croire que le responsable du secteur R&D (futur dirigeant) ignorait l’introduction d’un dispositif de fraude dans le calculateur moteur ? Des dizaines d’ingénieurs ont sans doute participé à sa mise au point et à sa fabrication. Apparemment personne n’y a vu de problème. Et c’est finalement une ONG qui l’a mis au jour.

      Il n’y a ici, ni complot, ni fatalité mais l’exemple flagrant d’une organisation aveugle et cynique.

      Pierre Lascoumes est directeur de recherche honoraire CNRS au Centre d’études européennes de SciencesPo, et co-auteur avec Carla Nagel de Sociologie des élites délinquantes, Armand Colin, 2014.

      1. Edwin Sutherland, White collar crime, the uncut version, New Haven, Yale University Press, 1983.

    • La France doit-elle devenir une nation d’entrepreneurs ?

      La création d’entreprise est un parcours à risque : cinq ans après leur création, une entreprise nouvelle sur deux a disparu. Ses chances de survie sont étroitement liées à l’importance du capital dont elle dispose, ainsi qu’au niveau de diplôme et à l’expérience de son créateur. En particulier, même si les levées de fonds record réalisées récemment par les deux étoiles montantes BlaBlaCar et Sigfox augurent peut-être d’un changement d’époque, l’accès au financement reste une question cruciale pour nombre de PME françaises, dont la croissance se trouve ainsi bridée.

      Dans ces conditions, exhorter les Français à se faire entrepreneurs, c’est bien souvent les envoyer au casse-pipe ou les vouer à la précarité, comme en témoignent les maigres revenus encaissés par les autoentrepreneurs. Ces exhortations n’étant jamais aussi vibrantes que lors des pics de chômage, toute arrière-pensée cynique de la part des responsables politiques est-elle à écarter ? Plus de créateurs d’entreprises, c’est en effet autant de chômeurs en moins inscrits à Pole emploi. Pour quelques années en tout cas.

    • Pollution de l’air : les pauvres en première ligne

      Malgré tout, les classes aisées ont moins de risque de mourir prématurément, même si leur quartier est pollué. En effet, les plus riches vivent en général en meilleure santé, ont des logements mieux isolés et travaillent dans des espaces peu pollués. Ils ont aussi la possibilité d’échapper temporairement à la pollution, puisqu’ils peuvent se permettre de partir régulièrement en week-end ou en vacances.

      Les riches ont moins de risque de mourir prématurément de la pollution de l’air, même si leur quartier est pollué

      A l’inverse, les plus pauvres, même s’ils vivent dans des quartiers peu pollués, vivent généralement dans des « micro-environnements » plus pollués, et ont une santé globalement moins bonne.

    • Le coût de l’enfant

      les moins de 20 ans représentent un « fardeau » légèrement plus important que celui des plus de 60 ans (22,5 % du PIB pour les premiers, 20,8 % pour les seconds), qui est pourtant source de toutes les angoisses.

      Cela s’explique, selon le chercheur, par la différence de structures de ces dépenses : celles des seniors (les retraites en premier lieu) sont nettement plus socialisées. A l’inverse, près de 40 % du coût de l’enfant est représenté par les tâches domestiques et parentales, autrement dit un travail non-rémunéré et, de ce fait, largement invisibilisé – et d’autant qu’il est aux trois-quarts assuré par les #femmes qui, sans surprise, sont les grandes perdantes de l’histoire.

  • Pierre Lascoumes : « L’effacement des preuves est une pratique constante des élites délinquantes » - Libération
    http://www.liberation.fr/societe/2015/02/20/l-effacement-des-preuves-est-une-pratique-constante-des-elites-delinquant

    Bien sûr qu’il y a des victimes, mais elles sont abstraites, inconscientes des dommages subis. Ce sont les contribuables le plus souvent. De plus, il s’agit d’un groupe latent, non organisé, et le dommage est réparti sur l’ensemble de la population, donc peu perceptible.

    Cela étant, si Jacques Chirac a été condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, c’est parce qu’à l’origine il y a eu une plainte d’une association de contribuables parisiens qui s’est constituée partie civile et a contraint le parquet à ouvrir une enquête. Cela montre, a contrario, que les victimes peuvent s’organiser.

  • « Les élites se donnent de bonnes raisons pour frauder ». Entretien avec Pierre Lascoumes
    http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=2021

    Les riches fraudent tout autant que les pauvres. Mais ils se donnent de bonnes raisons de le faire. Entretien avec Pierre Lascoumes, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes (CEE) de Sciences Po. Extrait du magazine Alternatives Economiques. (...) Source : Observatoire des inégalités

    • La société traite-t-elle de la même façon la fraude des élites délinquantes et celle des pauvres ?

      Pas du tout, les attitudes sont radicalement différentes. Les atteintes aux personnes et aux biens sont immédiatement perçues comme négatives, car on se sent facilement proche des victimes auxquelles on s’identifie. A l’inverse, la délinquance des élites est en général abstraite, elle repose sur des montages comptables et autres qui jouent avec les règles. De plus, nous avons tous du mal à nous concevoir comme des victimes de ces pratiques

      Oui, comme si nous avions du mal à détecter les crimes sans cadavre.

      Cela me fait penser à une formule qui doit provenir du dernier bouquin de Fabrice Arfi (à confirmer), en gros :
      « Dans une enquête sur la corruption, la démarche est inversée : tu as les coupables, tu dois trouver le cadavre »
      (je fais ce lien car la fraude des puissants peut se renforcer en usant de la corruption envers les instances de contrôle, les deux sont souvent mêlées)

      ça rejoint des commentaires couchés ici
      http://seenthis.net/messages/203626
      http://seenthis.net/messages/133418

  • Sociologie des élites délinquantes - De la criminalité en col blanc à la corruption politique - #livre - Editions Armand Colin.
    http://www.armand-colin.com/livre/407630/sociologie-des-elites-delinquantes--de-la-criminalite-en-col-blanc-a-l

    La dénonciation régulière des « affaires » et des « scandales » laisse croire que les élites économiques et politiques ne sont pas à l’abri des mises en cause et des procès. Ces événements masquent pourtant une toute autre réalité. Les déviances et délinquances des élites ne sont pas perçues comme ayant la même gravité que celles portant atteinte aux personnes et aux biens. Elles ne suscitent pas non plus la même réaction sociale.
    Une des originalités de ce sujet est de poser des questions qui ne sont jamais soulevées quand il s’agit d’atteintes traditionnelles aux biens et aux personnes. Où placet- on le curseur entre les déviances acceptables et celles qu’il faut réprouver pour assurer la stabilité d’une organisation sociale ? Suffit-il d’une norme pénale pour identifier un acte transgressif ? S’il y a bien eu des abus, leurs auteurs sont-ils vraiment mal intentionnés ? Ne sont-ils pas plutôt victimes d’organisations laxistes et de pratiques tolérées ? Quelle est enfin la sanction adéquate à ces débordements ? Ces enjeux sont autant intellectuels que politiques et éthiques.
    Afin de pouvoir construire des positions réfléchies sur le sujet, la maîtrise des connaissances scientifiques existantes est un préalable indispensable. Tel est l’apport de cet ouvrage.

    Pierre LASCOUMES est directeur de recherche CNRS, Centre d’études européennes de Sciences Po.
    Carla NAGELS est professeur de criminologie, Centre de recherches criminologiques de l’Université libre de Bruxelles.

    #délinquance #politique