Pour ce qui est des « deux cents familles » : au départ, le nombre précis désignait les 200 actionnaires principaux de la Banque de France, ceux qui siégeaient à l’Assemblée générale, donc ça ne vient pas de nulle part. Ensuite c’est devenu un slogan, un « mythe » politique à usage rhétorique servant à dénoncer l’emprise de quelques uns sur les rouages politico-économiques de l’État (notion peut-être plus aisée à manier, en termes de communication politique, que celle de lutte des classes… ?) - utilisé notamment dans les années trente. À utiliser avec précaution donc, mais pas dénué d’intérêt. Sur le sujet, voir les travaux controversés mais très étayés d’Annie Lacroix-Riz (historienne prof à Paris-VII, ailleurs blacklistée comme staliniste), notamment Le choix de la défaite (les élites françaises dans les années 30) et Industriels et banquiers sous l’Occupation, qui reposent tout de même sur un rigoureux travail en archives. Sa thèse controversée, c’est celle du « complot synarchiste » (l’expression peut sembler grotesque), qui soutient que les élites (politiques et économiques) françaises ont initié la collaboration avant même d’y être contraints… Tout ça a évidemment provoqué de petites polémiques à nette coloration idéologique… (voir interview ici : ▻https://blogs.mediapart.fr/jcg/blog/060910/entretien-avec-madame-annie-lacroix-riz-reedition-de-le-choix-de-la-)
Lacroix-Riz cite à ce propos le plus unanimement estimé Marc Bloch, qui écrivait en avril 1944 (2 mois avant d’être fusillé par les Allemands) : « Le jour viendra en effet et peut-être bientôt où il sera possible de faire la lumière sur les intrigues menées chez nous entre 1933 et 1939 en faveur de l’Axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés. Les responsabilités des militaires français ne peuvent se séparer sur ce point de celles des politiciens comme Laval, des journalistes comme Brinon, des hommes d’affaires comme ceux du Creusot, des hommes de main comme les agitateurs du 6 février [1934], mais si elles ne sont pas les seules elles n’en apparaissent que comme plus dangereuses et plus coupables pour s’être laissé entraîner dans ce vaste ensemble. » (en annexe de L’Étrange Défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 253)