Les classes populaires ne sont pas parties au paradis, Antoine Reverchon, Le Monde
Livre. Les trois sociologues du CNRS dressent, en utilisant une nouvelle nomenclature des catégories socioprofessionnelles, une cartographie très précise des différences de mode de vie des trois classes sociales sur notre Vieux Continent.
Livre. Ce n’est que récemment que les travaux d’économistes comme Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais ont remis en question le dogme en vigueur sur la « disparition » des classes populaires au profit d’une vaste « classe moyenne ». Mais cette démonstration d’un creusement des différences ne concernait que les revenus. Le travail des trois sociologues du CNRS présenté ici y ajoute d’autres dimensions, en profitant de la récente (2016) adoption par Eurostat d’une nouvelle nomenclature des catégories socioprofessionnelles (CSP) qui permet désormais de classer toute la population européenne selon 42 CSP définies et harmonisées.
LES AUTEURS CONCLUENT À L’EXISTENCE DE TROIS CATÉGORIES SOCIALES BIEN DIFFÉRENCIÉES
Les auteurs sont ainsi revenus à la base de ce qui a défini au XIXe siècle la notion de « classe » : la profession exercée. En croisant chaque CSP avec les résultats des études européennes décrivant les revenus et leur structure, mais aussi les conditions de travail, le logement, l’équipement du foyer, les loisirs, la consommation culturelle, l’état de santé, le niveau scolaire, les auteurs détectent des similitudes d’existence sociale entre certaines professions qui leur permet de conclure à l’existence de trois catégories sociales bien différenciées, rappelant de « vieux » souvenirs : des classes supérieures (19 % de la population européenne), des classes moyennes (38 %) et des classes populaires (43 %) – ces dernières étant donc loin d’être l’espèce en voie d’extinction que l’on se complaît à décrire.
Différences de mode de vie
Il y a ainsi, dans toute l’Europe, plus de points communs que de différences entre une vendeuse, un ouvrier, une femme de ménage, une infirmière, un agriculteur, un chauffeur et un petit artisan – ici, l’emploi du féminin est volontaire. Un seul exemple : « sept femmes des classes populaires sur dix déclarent que leur travail implique de ne jamais ou presque jamais travailler assis ; ce n’est le cas que d’une femme des classes moyennes ou supérieures sur cinq. » La nature des emplois exercés fait d’ailleurs dire aux auteurs que la numérisation et la robotisation ne menacent pas tant la classe moyenne de « disparition » qu’elles ne renforcent la précarisation et le chômage de certaines professions des classes populaires.
DANS CERTAINS PAYS, TELLE PROFESSION (AGRICULTEUR, INFIRMIER) RAPPROCHE DES CLASSES MOYENNES, DANS D’AUTRES PLUTÔT DES CLASSES POPULAIRES
Le livre décrit avec précision les différences de mode de vie de ces trois classes, sans pour autant dresser un tableau monolithique. Dans certains pays, les classes populaires sont plutôt concentrées dans les grandes villes, dans d’autres dans les villes moyennes et les banlieues, dans d’autres encore dans les territoires ruraux ; dans certains pays, telle profession (agriculteur, infirmier) rapproche des classes moyennes, dans d’autres plutôt des classes populaires.
Un résultat intéressant parmi d’autres : « alors que les “discours” des gouvernants européens s’alarment d’une xénophobie qui viendrait du “bas” de la société, à la différence des classes supérieures pourtant si promptes à mettre en avant la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux », en particulier via une plus forte propension au mariage mixte. On compte 6 % de non-européens dans les classes populaires, contre 2 % dans les classes moyennes et 2 % dans les classes supérieures…
Les classes sociales en Europe, par Cédric Hugrée, Etienne Penissat et Alexis Spire (Ed. Agone, 264 p., 19 euros).