person:nicole lapierre

  • « Ramener le gouvernement israélien au respect du droit n’est en rien une manifestation d’antisémitisme »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/15/ramener-le-gouvernement-israelien-au-respect-du-droit-et-a-la-raison-n-est-e

    L’Europe doit cesser de regarder ce conflit comme une séquelle de ses responsabilités dans le génocide des juifs et de la manière dont y ont été traités les survivants. Ramener le gouvernement israélien au respect du droit et à la raison, dénoncer sa politique, n’est en rien une manifestation d’antisémitisme. Antisémitisme, dont nous combattons les manifestations insupportables qui se produisent partout en Europe.

    Nous appelons l’Union européenne à promouvoir une conférence internationale en charge du règlement du conflit sur la base des résolutions des Nations unies, à peser par tous moyens, y compris par des sanctions, sur les autorités israéliennes et à reconnaître l’Etat de Palestine. La France doit agir en ce sens, en procédant elle-même à cette reconnaissance sans délai.

    #justice #Israël #palestine

    • voilà

      Israël fête ses 70 ans d’existence. Sa proclamation en 1948 au lendemain de la seconde guerre mondiale marquée par le génocide des juifs d’Europe, a été accueillie dans le monde comme un refuge pour les survivants et comme un espoir. En même temps, elle a dépossédé les Palestiniens d’une partie importante de leur pays et représenté pour eux une catastrophe, la Naqba. Soixante-dix ans plus tard, l’Etat d’Israël est une réalité, comme l’est aussi le fait que des millions de Palestiniens vivent dans une situation insupportable d’occupation, d’enfermement à Gaza, de discriminations en Israël ou d’exil.

      Depuis 1948, ces deux réalités s’entrechoquent entraînant du sang et des larmes, entravant l’avenir des peuples de la région et produisant ses effets jusqu’en Europe et dans le reste du monde. L’occupation et la colonisation poursuivies par Israël depuis 1967 de territoires ne faisant pas partie de ses frontières internationalement reconnues aggravent une situation régionale, par ailleurs, bouleversée par de nombreux conflits et fait peser de lourdes menaces sur la paix mondiale.

      Ce qui n’est pas supportable, c’est la négation assumée des droits du peuple palestinien par la force brute de la répression et des armes. S’appropriant les terres, cantonnant les Palestiniens à des territoires de plus en plus réduits, les différents gouvernements israéliens détruisent de plus en plus sûrement tout espoir que deux Etats puissent vivre en paix, côte à côte, avec Jérusalem comme capitale commune. Le résultat de leur politique interroge, certes, sur la possibilité de cette solution.

      Peser sur les deux parties
      La poursuite continue de la colonisation, conduisant à l’installation de quelque 700 000 colons en Cisjordanie, a sapé les espoirs suscités par le processus d’Oslo. Mais il est clair que l’hypothèse louable d’un seul Etat ouvert à tous avec les mêmes droits se heurte aux aspirations nationales des deux peuples. L’établissement de deux Etats dans les frontières de 1967, garantissant une solution aux réfugiés et établissant Jérusalem comme capitale des deux pays, reste, au moins à court et moyen terme, la seule solution viable.

      Il est illusoire de penser que laisser le gouvernement israélien et l’autorité palestinienne face à face permettrait d’avancer dans cette voie. Seule l’intervention de la communauté internationale permettra de peser sur les deux parties, en particulier sur les autorités israéliennes qui se sentent revêtues de l’impunité que leur confère le soutien indéfectible des Etats-Unis.

      C’est donc à l’Union européenne d’agir. L’Europe doit cesser de regarder ce conflit comme une séquelle de ses responsabilités dans le génocide des juifs et de la manière dont y ont été traités les survivants. Ramener le gouvernement israélien au respect du droit et à la raison, dénoncer sa politique, n’est en rien une manifestation d’antisémitisme. Antisémitisme, dont nous combattons les manifestations insupportables qui se produisent partout en Europe.

      Nous appelons l’Union européenne à promouvoir une conférence internationale en charge du règlement du conflit sur la base des résolutions des Nations unies, à peser par tous moyens, y compris par des sanctions, sur les autorités israéliennes et à reconnaître l’Etat de Palestine. La France doit agir en ce sens, en procédant elle-même à cette reconnaissance sans délai.

      Les signataires de la tribune : Tewfik Allal, militant associatif ; Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE ; Bertrand Badie, professeur à l’IEP Paris ; Françoise Basch, universitaire ; Sophie Basch, professeur à Sorbonne Université ; Esther Benbassa, sénatrice EELV, universitaire ; Sophie Bessis, historienne, Françoise Blum, ingénieure CNRS ; Barbara Cassin, chercheur CNRS ; Mouhieddine Cherbib, militant associatif CRLDH Tunisie ; Alice Cherki, psychanalyste ; Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne ; Michel Deyfus, directeur de recherche au CNRS ; Dominique Guibert, président de l’AEDH ; Christiane Hessel, présidente d’honneur de Les enfants, le jeu, l’éducation ; Alain Joxe, directeur d’études à l’EHESS ; Robert Kissous, militant associatif ; Abdelatif Laabi, écrivain ; Nicole Lapierre, socio-anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS ; Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH ; Jean-Claude Lefort, député honoraire ; Catherine Lévy, sociologue CNRS ; Gilles Manceron, historien ; Michel Mousel, militant politique ; Fabienne Messica, sociologue ; Bernard Ravenel, historien ; Vincent Rebérioux, LDH ; Malik Salemkour, président de la LDH ; Abraham Ségal, documentariste ; Taoufiq Tahani, universitaire, président d’honneur de l’AFPS ; Athéna Tsingarida, professeure à l’Université libre de Bruxelles ; Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH ; Marie-Christine Vergiat, députée européenne ; Georges Vigarello, EHESS ; Sylviane de Wangen, comité de rédaction de Confluences Méditerranée.

  • Il faut « exiger la fin des pratiques de détentions qui constituent une violation des droits des enfants » en Israël
    Etienne Balibar, professeur émérite de philosophie, université de Paris- Ouest ; Pierre Barbancey, journaliste ; Michel Benassayag, psychanaliste et philosophe ; Rony Brauman, médecin et essayiste ; Alain Brossat, professeur de philosophie ; Marie Buisson, FERC CGT ; Cybèle David, animatrice de la fédération SUD éducation ; Alain Gresh, directeur du journal en ligne Orient XXI. info ; Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU ; Nacira Guénif, sociologue, université Paris-8 ; Kaddour Hadadi, artiste (HK) ; Geneviève Jacques, présidente de la Cimade ; Nicole Lapierre, socio-anthropologue ; Jean Etienne de Linarès,délégué général de l’ACAT ; Gilles Manceron, historien ; Malik Salembour, président de la LDH ; Sylvie Tissot, sociologue ; Dominique Vidal, collaborateur du Monde diplomatique, Le Monde, le 23 janvier 2018
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/23/il-faut-exiger-la-fin-des-pratiques-de-detentions-qui-constituent-une-violat

    Tribune. Nous sollicitons le soutien du président de la République et son intervention pour l’arrêt de la détention d’enfants palestiniens dans les prisons israéliennes. Nous voulons en particulier attirer son attention sur le cas de Ahed Tamimi poursuivie par le gouvernement israélien : le 15 décembre dernier Mohamed Tamimi 15 ans est atteint à la tête par une balle de métal recouverte de caoutchouc tirée à courte de distance par des soldats de l’armée d’occupation israélienne. Le jeune garçon était dans un état critique et sa cousine Ahed Tamimi, âgée de 16 ans, était visiblement bouleversée par l’annonce de son état et la gravité de ses blessures.

    Ces mêmes soldats ont approché une heure plus tard la maison familiale, et Ahed les a frappés en leur criant de partir. Ce moment filmé par sa mère et diffusé sur les réseaux sociaux montre le courage d’une adolescente affrontant à mains nues deux soldats lourdement armés.

    Le 19 décembre 2017, Ahed Tamimi est enlevée chez elle en pleine nuit par l’armée puis traduite devant un tribunal militaire. Les douze motifs d’inculpation retenus contre elle lui font courir le risque de 12 ans de prison. Les tribunaux militaires israéliens ne traitent que des cas de prisonniers palestiniens avec un taux de condamnation de 99,74 %. Ainsi, l’avenir de Ahed Tamimi paraît sombre sans notre intervention.

    Nous lui demandons d’apporter urgemment son soutien à la libération immédiate de Ahed Tamimi et à la levée de toutes les charges retenues contre elle.

    Le cas de Ahed Tamimi n’est pas isolé. Selon l’association Defense of Children International-Palestine, Israël poursuit chaque année de 500 à 700 enfants devant des tribunaux militaires, certains âgés de 12 ans, et détient en prison une moyenne de 200 enfants en toute période.

    Selon les enquêtes des agences des Nations unies, dont l’Unicef, Human Right Watch, B’tselem, Amnesty International, and Defense for Children International – Palestine, trois enfants arrêtés sur quatre subissent des violences lors de leur arrestation ou des interrogatoires. Ils sont fréquemment arrêtés lors de descentes nocturnes dans leur foyer ; 85 % des enfants palestiniens arrêtés ont les yeux bandés et 95 % sont menottés.

    Ils sont privés d’accès à un avocat, de visite de leurs parents durant les interrogatoires et sont forcés de signer des aveux. Ils sont souvent placés en « détention administrative », pouvant ainsi être détenus plusieurs mois sans inculpation ni procès. Leurs centres de détention souvent situés hors des territoires occupés en Israël, rendent les visites de leurs familles difficiles. L’usage des cellules d’isolement pour les interrogatoires d’enfant est une pratique assimilée à la torture par la loi internationale.

    Le rapport de l’Unicef de 2013 « Enfants en détention militaire israélienne » conclut : « la maltraitance des enfants au contact du système militaire de détention semble être généralisée, systémique et institutionnalisée tout au long du processus, depuis le moment de leur arrestation jusqu’à la poursuite en justice de l’enfant, son éventuelle condamnation et l’application de la peine ».

    Nous demandons au président Emmanuel Macron de prendre contact d’urgence avec les autorités israéliennes pour exiger que cessent enfin des pratiques de détentions qui constituent une violation des droits des enfants, des droits humains et du droit international.

    Nous lui rappelons qu’à ce jour, notre compatriote Salah Hamouri demeure lui aussi dans les geôles israéliennes, victime de la même procédure inique de « détention administrative ».

    La France doit agir pour que Ahed Tamimi et tous les autres enfants palestiniens prisonniers retrouvent leur foyer dans les plus brefs délais. On ne saurait regarder ailleurs alors que des enfants et l’un de nos compatriotes sont détenus illégalement loin de leurs familles.

    #Palestine #Ahed_Tamimi #enfants #prisons #Salah_Hamouri

  • De l’alliance judéo-noire

    "Il existe, sur le rapport entre racisme et antisémitisme, un vaste débat : les uns ont vu dans les génocides coloniaux le paradigme de l’Holocauste, les autres ont souligné la différence entre le pillage d’un continent et l’extermination conçue comme une fin en soi, comme un « massacre ontologique ». Pour Fanon, qui défend une vision sartrienne du juif et du Noir comme images négatives fabriquées par l’antisémite et le raciste, reste néanmoins un clivage lié à la couleur. L’antisémite et le raciste peuvent pareillement biologiser le juif et le Noir, en les renvoyant à des essences, mais le juif peut essayer de pénétrer le monde des gentils par l’assimilation alors que le Noir ne peut pas échapper à sa couleur. C’est pourquoi, selon Fanon, « le nègre représente le danger biologique ; le juif, le danger intellectuel » (Fanon). Et c’est pourquoi la « color-line » a joué un rôle si important dans les relations judéo-noires. Nicole Lapierre a analysé le phénomène de la « mimesis noire », rendue célèbre dans la culture de masse par The Jazz Singer, le premier film parlant réalisé en 1927 par Alan Crosland, produit par les frères Warner et interprété par Al Jolson (AsaJoelsen, d’origine judéo-lituanienne). Ce film s’inscrit dans la tradition du Minstrel, un spectacle extrêmement populaire au tournant du XXe siècle mettant en scène des Blancs qui, déguisés en Noirs, se produisaient dans un répertoire de musique et de danse nègres. Très prisé par les acteurs juifs depuis la fin du XIXe siècle, ce genre comique a été interprété tantôt comme l’expression d’une adhésion aux stéréotypes racistes de l’époque, tantôt comme le révélateur d’une solidarité judéo-noire fondée sur l’identification d’une minorité opprimée à une autre. Le blackface, suggère Nicole Lapierre, a favorisé l’américanisation des migrants juifs qui, « en noircissant, se faisaient plus blancs » (Lapierre). Lorsqu’ils étaient encore victimes de discriminations, les Minstrels les aidaient à se situer du bon côté de la « color-line », parmi les Blancs. Ce procédé mimétique consistant à se mettre dans la peau de l’ Autre est à l’origine des transferts culturels judéo-noirs du XXe siècle (qui poursuivront ensuite d’autres buts et d’autres stratégies).

    C’est par un effort emphatique poussant ses acteurs à franchir la « ligne de couleur » que la Negro-Jewish Alliance a pu voir Je jour. Par le déplacement qu’elle implique, cette empathie rend possible une remise en cause de soi-même tout à fait fructueuse. C’est un détour par lequel des juifs et des Noirs ont élargi leurs horizons, en inscrivant leur réflexion et leur combat dans une perspective plus large, en découvrant des affinités et en nouant des alliances. En 1949, la visite des ruines du ghetto de Varsovie avait aidé l’historien afro-américain W.E.B. Du Bois à comprendre que le racisme ne se réduisait pas à la « color-line » , donc à « sortir d’un certain provincialisme vers une conception plus large des manières dont la lutte contre la ségrégation raciale, contre la discrimination religieuse et l’oppression des pauvres devait évoluer » (Du Bois).

    La « ligne de couleur » renvoie donc à une question historique plus large qui est au cœur du combat de Frantz Fanon, tout en restant absente ou cachée dans ses réflexions sur l’antisémitisme : la question coloniale. Les juifs ont été, pendant des siècles, le paradigme de l’altérité au sein du monde occidental, au cœur de l’Europe et de sa culture, en devenant un marqueur négatif dans le processus de construction des identités nationales ; les colonisés ont été le paradigme d’une altérité située en dehors de la « civilisation, une altérité dont l’Europe avait besoin afin de légitimer sa domination et de dessiner son autoportrait de culture et de race supérieures. Ces deux paradigmes ont été complémentaires mais ils étaient dissociables. Les juifs émancipés pouvaient s’assimiler et franchir la « ligne de couleur ». Ainsi, Cesare Lombroso pouvait apporter sa contribution aux doctrines du racisme fin-de-siècle, dans un ouvrage intitulé L’Homme blanc et l’Homme de couleur (Lombroso, 1892), et Theodor Herzl, quelques années plus tard, mettre en avant les bienfaits du sionisme en Palestine : « Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un avant-poste contre l’Asie, nous serions l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie » (Herzl).

    L’adhésion des juifs au racisme rencontrait l’obstacle puissant de l’antisémitisme qui, en dépit de leur culture et de leurs choix, les renvoyait dans le camp des dominés ou les faisait apparaître comme des intrus dans le camp dominant. Cela avait créé les conditions d’une rencontre entre les juifs et les colonisés, dans une sorte d’osmose d’antifascisme et d’anticolonialisme. Pendant la guerre d’Algérie, en faisant écho à La Question d’Henri Alleg, Jean Améry voyait dans la torture plutôt que dans les chambres à gaz l’essence du nazisme, et le photographe Adolfo Kaminsky expliquait pourquoi il s’était mis à fabriquer des faux papiers pour les militants du FLN : la chasse aux Algériens et les contrôles au faciès dans les rues de Paris étaient intolérables pour un homme qui, seulement quelques années plus tôt, avait connu les mêmes pratiques mises en œuvre par la Gestapo contre les juifs."

    Enzo Traverso

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2014/01/de-lalliance-judeo-noire.html