Une large opération
En sortant du port de La Ciotat, quelques heures plus tôt, la patrouille de Thierry Houard a pris le temps d’inspecter les bateaux qui mouillent en lisière du périmètre marin protégé. Photos, vérification des immatriculations… « Ceux-là, on les connaît, signale Mathieu Imbert, en montrant deux semi-rigides qui se dandinent sur les eaux. Ils appartiennent à deux gars du coin qui les louent. En tout, ils en ont seize. » Sur Internet, les petites annonces du duo ont été repérées et décortiquées. Et les inspecteurs, qui y voient une activité commerciale déguisée, ont lancé une procédure. Une des cinq actions juridiques ouvertes depuis le début de l’été auprès du parquet de Marseille et de son « groupe opérationnel calanques » spécialement créé en 2012.
Mardi 3 août, une large opération coordonnée par la préfecture maritime a quadrillé le littoral phocéen. Si elle visait plutôt les Jet-Ski, dont les locations sauvages électrisent élus locaux, forces de l’ordre et usagers de la mer, elle a permis de repérer une embarcation plus imposante dans les eaux du parc national. « Un bateau pourtant loué par une entreprise agréée mais qui ne possédait pas de vignette », explique Mathieu Imbert. Le navire a été reconduit aux frontières de la zone protégée, privant ses locataires de leur journée tarifée au paradis.
Sur leur semi-rigide, les inspecteurs de l’environnement ont appris à guetter certains indices. « Un capitaine cramé par le soleil qui convoie une famille pas bronzée du tout, un vieux qui pilote un groupe de jeunes qui font la fête… », énumèrent-ils. Autant d’assemblages qui peuvent trahir un propriétaire qui met ses services et son bateau en location. Souvent, lors des contrôles, les inspecteurs se voient offrir une première réponse bien rodée. Un ami ou un membre de la famille a mis à disposition le navire. « C’est dingue le nombre de gens qui ont la chance d’avoir des amis qui leur prêtent un bateau », s’amuse Thierry Houard.
« Pas les outils législatifs adéquats »
Pour le commissaire général Thierry Duchesne, adjoint du préfet maritime de Méditerranée, la montée des locations sauvages est « un phénomène de société qui prend de l’importance, avec des loueurs peu scrupuleux sur les comportements de leurs locataires ». « Certains ne savent même pas ce qu’est un chenal d’accès », s’inquiète l’officier. Cet été, la préfecture maritime assure avoir programmé des contrôles « très renforcés » autour de la zone de Marseille. « Mais, contrairement à ce qui se passe sur terre avec le code de la route, nous n’avons pas les outils législatifs adéquats qui nous permettraient de saisir les bateaux », regrette l’officier. Un dossier sur lequel planche la députée LRM des Bouches-du-Rhône Claire Pitollat, qui prône activement « une modification du code maritime et la création d’une fourrière nautique ».
Dans ses bureaux sur le Vieux-Port, Mathieu Morin, président de la chambre syndicale du nautisme à la métropole de Marseille et fondateur de Zeboat, le plus important loueur agréé de la ville, se félicite de la démocratisation des activités nautiques mais estime que « l’économie collaborative a généré un flux non maîtrisé et non maîtrisable ». « On voit des conflits aux pompes à essence, sur les quais, dans les zones de mouillage et les cales où le plaisancier doit affronter celui qui met ses cinq bateaux à la mer », raconte-t-il.
Directeur général de Click and Boat , le leader de la mise en relation pour la location de bateaux, Jérémy Bismuth sait bien que les critiques le visent en premier chef. Marseille est, depuis la création de sa plate-forme, il y a huit ans, la destination vedette en nombre de bateaux et de réservations, et l’été 2021 s’y annonce encore florissant. « Nous avons 580 bateaux en location, dont la moitié appartient à des professionnels », explique ce Marseillais d’origine qui connaît parfaitement le littoral. « Qu’il y ait du monde en août dans les calanques, cela n’a rien de choquant », assume-t-il. L’entrepreneur voit plutôt dans les règles du parc « une façon de protéger un petit village, qui ne profitera à personne ». Lui préfère mettre en avant les cinquante emplois créés sur place et les propriétaires, qui, « s’ils n’avaient pas l’occasion de louer leur bateau, n’auraient pas les moyens de le garder ».
Quant aux revenus générés par les locations, il rappelle que, depuis 2020, la loi oblige toutes les plates-formes numériques à les déclarer directement aux autorités. Sur les eaux de Morgiou, Thierry Houard aborde l’avenir de façon moins optimiste. « Je n’ai pas du tout l’impression qu’on progresse. Il y a peut-être une sensibilisation plus forte à la nécessité de protéger le parc, mais elle est annihilée par l’explosion de la fréquentation », souffle l’inspecteur.