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  • En Tunisie, l’exil sans fin d’une jeunesse naufragée - Libération
    http://www.liberation.fr/planete/2018/06/04/en-tunisie-l-exil-sans-fin-d-une-jeunesse-naufragee_1656619

    De la région minière de Metlaoui aux îles Kerkennah, d’où ils partent pour Lampedusa, « Libération » a suivi la route qu’empruntent les jeunes Tunisiens sans avenir, celle qu’avaient prise les passagers du bateau qui a sombré samedi en Méditerranée. Sept ans après la révolution, si la dictature a disparu, les espoirs de vie meilleure se sont fracassés, grossissant les rangs des candidats au départ.

    Des dizaines de cadavres ont été engloutis par la #Méditerranée après le naufrage, samedi soir, d’une embarcation au large de l’archipel des Kerkennah. A son bord, entre 180 et 200 personnes, selon les estimations des survivants. Soixante-huit émigrants ont été secourus par la marine tunisienne, et 48 corps sans vie ont été repêchés. Les recherches ont repris lundi avec l’aide de neuf unités navales, un hélicoptère et des plongeurs.Les passagers étaient presque tous tunisiens.

    Sept ans après la révolution, les jeunes fuient leur pays. Depuis le début de l’année, 2 780 Tunisiens ont choisi l’exil clandestin en Italie, selon l’Office international des migrations. Libération a suivi leur parcours entre le bassin minier de #Gafsa et les îles des pêcheurs de #Kerkennah. La route s’étire sur 300 kilomètres, en comptant le crochet par Sidi Bouzid. L’itinéraire barre horizontalement la Tunisie, passant des terres contestataires des « zones intérieures » à la riche cité côtière de Sfax. C’est celui qu’empruntent les chômeurs pour monter dans des bateaux qui rejoignent l’île italienne de #Lampedusa, porte d’entrée de l’Europe.

    A Metlaoui : « Ici, c’est le phosphate ou Lampedusa »

    La terre ne donne rien de végétal, à #Metlaoui. Même les oliviers ont renoncé à s’y accrocher : le sol semble mort, brûlé par un soleil trop grand et un ciel trop bleu. Les hommes, comme les plantes, n’ont pas grand-chose à faire ici. Ils sont pourtant venus fouiller le sol, et ils ont trouvé dans les replis des montagnes nues qui découpent l’horizon de la ville la plus grande richesse du pays, le phosphate. Autour de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), a poussé la ville minière, à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui encore, la société étatique gratte chaque année 5 millions de tonnes de cette roche utilisée dans la composition des engrais.

    A la sortie ouest de Metlaoui, en direction de la frontière algérienne, un café sans nom jouxte un garage. Un auvent fournit de l’ombre. Mais en milieu d’après-midi, c’est à l’intérieur de la vaste pièce blanche aux murs nus qu’il fait le plus frais. Au fond de la salle sans fenêtre, cinq hommes attendent sur des chaises en plastique. Ce sont les seuls clients. Les aînés ont des moustaches, les jeunes du gel dans les cheveux. Le plus âgé, Mohamed Atrache, est un employé de la CPG à la retraite. Comme son père, et son grand-père avant lui, embauché en 1917. Quand son fils a été pris à son tour, en janvier, il a pleuré de joie. « Il avait tenté de passer en Europe, explique-t-il. A trois reprises. La première fois, le bateau est tombé en panne. La seconde, il a été arrêté par la police. La troisième, le temps était trop mauvais. »

    « A Metlaoui, le phosphate est le rêve de tous les jeunes. C’est ça ou Lampedusa », résume Ahmed Jedidi, 26 ans, titulaire d’un master de civilisation française. Il y a beaucoup de diplômés comme lui, à Metlaoui. Ahmed a été brièvement arrêté, en 2016, pour avoir pris la tête du mouvement des jeunes chômeurs qui avaient bloqué l’activité de la CPG pour exiger des embauches. La crise a duré deux mois et demi. Pourtant, la CPG recrute. Vorace, elle saute d’un gisement à l’autre, fourrageant dans les montagnes pour expédier ses wagons de cailloux noirs vers la côte. Elle a besoin de bras et de cervelles quand elle découvre un nouveau filon. La société organise alors des concours. En 2016, elle a recruté 1 700 techniciens. L’an dernier, 1 700 ouvriers non-qualifiés. C’est un pacte tacite : la compagnie doit nourrir la ville, sans quoi la ville mord la compagnie. Au total, depuis la révolution de décembre 2010, le nombre d’employés a été multiplié par trois, alors que sa production s’est effondrée. La CPG est devenue une soupape sociale pour éviter l’explosion de cette région contestataire.

    Khams Fajraoui, 21 ans, a échoué au concours de janvier. Il est le seul à rester muet autour de la table du café, il ne parle pas le français. Il a une crête sur la tête, des chaussettes dans des claquettes, et un regard fixe. Il est le benjamin d’une famille de cinq frères et sœurs, tous au chômage. Son père est décédé il y a cinq ans. Il fait les moissons, là où le blé pousse, plus au nord. Hors saison, il gagne 10 à 15 dinars (3 à 5 euros) trois fois par semaine en chargeant et déchargeant les camions du souk de Metlaoui. Il ne partira pas en Europe car « ses oncles et ses tantes lui ont demandé de rester ». Il veut un travail, « n’importe lequel ».

    « Ma femme ne m’a rien dit quand il est parti »

    Saïd Bkhairya avait aussi défendu à son fils d’émigrer. Un jour, en son absence, Koubaib, 17 ans, est parti quand même. Il faut passer sous l’ancien tapis roulant qui acheminait le phosphate vers la ville pour arriver chez Saïd. Ce cordon ombilical qui relie la mine à Metlaoui est comme une guirlande de tôle suspendue au-dessus de son quartier. Dans la cour de sa maison fatiguée, il a planté un citronnier. Black, le chien de Koubaib, est attaché derrière le poulailler. « Ma femme ne m’a rien dit quand il est parti. Elle avait peur de ma réaction », dit Saïd. Elle est assise à côté de lui sur le canapé. La mère a dans la main le smartphone qu’elle a acheté pour communiquer avec Koubaib sur Skype. Sa vue est mauvaise, elle doit approcher le visage tout près de l’écran pour appeler son fils. La conversation dure quelques secondes, deux ou trois phrases. « Il est fatigué, il couche dehors, explique-t-elle. Il ne fait rien, il demande de l’argent. »

    Saïd a déjà deux crédits à rembourser. Il envoie irrégulièrement des petites sommes à Koubaib, qui vivrait à Mestre, près de Venise. « Je m’en fous. Dès que j’aurai amassé assez, moi aussi, un jour, je partirai », assure Wael Osaifi, un cousin de Koubaib, après que son oncle a quitté la pièce. Il a été blessé il y a cinq ans dans un accident de voiture au terme d’une course-poursuite avec la police. Wael passait de l’essence de contrebande depuis l’Algérie. « Il y a un type qui organise les départs, il est très discret. C’est une mafia. Les prix ont augmenté. C’était 3 000 dinars, maintenant c’est 5 000 [environ 1 630 euros]. J’ai des amis en Italie, certains travaillent, certains trafiquent. » A Metlaoui, il boit parfois des bières avec des amis dans une maison abandonnée. « On n’a rien d’autre à faire. Les prix sont devenus invivables. Avec Ben Ali [le dictateur renversé par la révolution, ndlr], on avait une meilleure vie, lâche-t-il. Le paquet de cigarettes Royale valait 3,5 dinars, aujourd’hui c’est 5,5 dinars… » Koubaib a quitté Metaloui il y a dix mois, en même temps qu’un groupe de 18 jeunes de la ville. « Pour certaines familles, c’est un investissement », regrette Saïd. Sur les photos que le fils envoie depuis l’Italie, il a l’air très jeune. Il ressemble beaucoup à son petit frère, qui sert le jus de mangue aux invités. Sur les images plus anciennes, Koubaib pose souvent avec son chien. Dehors, Black aboie de temps en temps depuis qu’il est parti.

    A Gafsa : « Un travail légal, c’est une question de dignité »

    Leur énergie a quelque chose de déconcertant dans une ville comme Gafsa. On ne devine pas, en passant devant cette rue morne de la « capitale » régionale, qui affiche un taux de chômage à 26 % (plus de 40 % pour les jeunes diplômés), qu’un tel tourbillon d’activité agite le second étage de cet immeuble de la cité Ennour. Sirine, Nejma, Abir et Khora, une Française en stage, font visiter le local de leur association, Mashhed. Elles ont entre 19 ans et 23 ans. « Les séminaires ou les concours de jeunes talents, ce n’est pas notre truc, annonce Sirine, longs cheveux noirs et chemise rayée. Notre finalité, c’est la transformation sociale. On ne fait pas de l’art pour l’art. On ne veut pas non plus "sensibiliser". On fait, c’est tout ! Des poubelles dans la rue, des projections de cinéma, des lectures, des journaux, des festivals, du montage, des jeux, des manifestations… »

    Chacune a une clé du local. Elles passent à Mashhed le plus clair de leur temps. S’y engueulent, s’y échappent, s’y construisent. L’association compte 70 membres actifs et 300 adhérents. Les garçons sont les bienvenus, mais ce sont de toute évidence les filles qui mènent la danse. Les filles, elles, n’embarquent pas pour l’Europe.

    Sirine : « Mon petit frère a voulu partir, ça a choqué mes parents, on a essayé de lui faire entendre raison. »

    Abir : « C’est la faute d’un manque de communication dans les familles. Les gars ne trouvent personne avec qui partager leurs soucis. »

    Najla : « La France, ce n’est pourtant pas le paradis ! La fuite, c’est débile. Moi, je pense qu’on peut faire en sorte d’être heureux là où on est. C’est dans la tête, le bonheur. »

    Abir : « Ce n’est pas que dans la tête ! Il n’y a pas de travail. Tu sais combien c’est, un salaire de serveur, aujourd’hui ? »

    Khora : « Justement, je ne pige pas comment vous faites pour sortir et faire des festins tout le temps, alors que vous êtes au chômage ! Moi, quand je suis chômeuse, je reste chez moi à manger des pâtes. »

    Najla (en riant) : « C’est la solidarité arabe. Toi, tu ne connais pas ça ! »

    La nuit tombe vite sur Gafsa. A 22 heures, la ville s’éteint presque complètement. A la terrasse du café Ali Baba, désert, deux hommes fument dans le noir. Le gérant de l’établissement et son ami. Ils parlent de la révolution. Quand on leur demande leur avis sur la chose, Abdeslam, 28 ans, demande s’il peut répondre en anglais. « Notre déception est immense, parce que l’espoir qu’avait suscité la chute de Ben Ali était immense, explique-t-il. On ne sait pas qu’un café est amer tant qu’on n’a pas goûté un café sucré. Maintenant, on sait. »

    Il a voulu étudier le droit, s’est inscrit à l’université de #Sousse, sur la côte. Mais n’a jamais achevé sa formation, bouffé par les petits boulots qu’il effectuait pour payer ses études. Aujourd’hui, il travaille de temps en temps sur un chantier de bâtiment. « Des docteurs qui construisent des immeubles, c’est ça, la Tunisie », poursuit-il. Au fil de la discussion, le débit d’Abdeslam s’accélère. Son ami s’est levé pour ranger les tables. « Je ne veux pas partir sur la mer, je m’y refuse et puis j’ai peur. Je veux une vie adaptée, c’est tout. Je me fiche d’avoir une belle maison et une grosse voiture. Un travail légal, c’est tout ce que je demande, c’est une question de dignité. » Sa voix tremble dans le noir. Les cigarettes s’enchaînent.

    On ne pose plus de questions depuis longtemps, mais la détresse pousse Abdeslam à parler encore, de plus en plus vite. « A l’école, j’étais bon en philosophie. Je lis encore Kant, Spinoza, Heidegger, Sartre… Pourtant, cette société me méprise. Gafsa enrichit l’Etat, mais l’Etat nous crache dessus », conclut-il. Sa vieille mobylette est garée toute seule dans la rue vide. Il l’enfourche, plié en deux, pour aller dormir chez ses parents. Le gérant a fini de balayer, il tire le rideau de fer.

    A Bir el Haffey : « Aujourd’hui, le tourisme s’est effondré »

    Sur la route qui relie Gafsa à Sidi Bouzid, les voyageurs imaginent souvent être témoins d’un mirage. Au bord de la chaussée, des fourrures brillent au soleil, exposées dans toute leur splendeur. Du castor, du poulain, de l’ours, du lapin, du léopard… Cette panoplie appartient à un commerçant, d’un naturel méfiant. « Depuis la révolution, il y a des espions de la CIA et du Mossad partout, croit-il savoir. Il y a quinze ans, je cherchais des tours de cou, on m’a refilé un grand sac avec des manteaux à poils. J’ai commencé comme ça », dit-il pour justifier son activité insolite. Qui peut bien acheter ces fourrures à l’orée du Sahara ? « Détrompez-vous, les gens s’arrêtent. Avant, j’avais des Canadiens, des Allemands, les guides me les ramenaient. Aujourd’hui, le tourisme s’est effondré. J’ai tout de même de temps en temps des Algériens ou des Libyens. »

    A Sidi Bouzid : « Ils font ça juste pour avoir l’air beau »

    Dans son bureau, flotte un mélange de sueur et de parfum. Zeinobi Khouloud, 28 ans, gère une salle de sport, l’une des rares activités offertes aux jeunes de Sidi Bouzid. Derrière elle, des gants de boxe et des boîtes de protéines sont exposés sur l’étagère. Son père a ouvert le club, Abidal’s Gym, il y a deux ans, au rez-de-chaussée d’un immeuble dont les étages supérieurs ne sont pas terminés. La famille est rentrée d’Arabie Saoudite après la révolution, mais s’est à nouveau éparpillée pour faire des affaires. Zeinobi, elle, est restée dans la petite ville du centre de la Tunisie, connue dans le monde entier depuis qu’un vendeur de légumes du nom de Mohamed Bouazizi s’y est immolé, le 17 décembre 2010, pour protester contre la confiscation de sa charrette par la police. Son geste désespéré a été le point de départ d’une révolution qui a emporté le dictateur Ben Ali, avant de déborder dans tout le monde arabe.

    Sept ans plus tard, le visage géant de Bouazizi s’affiche en noir et blanc sur la façade d’un bâtiment municipal. Sa charrette emblématique a maladroitement été statufiée sur un terre-plein central. Mais même ici, les jeunes disent être déçus par les fruits du printemps tunisien. « Le chômage est toujours là, les jeunes n’ont rien à faire, c’est pour ça qu’ils viennent ici, décrit Zeinobi. Leurs parents les poussent à venir à la salle pour qu’ils ne traînent pas dans la rue toute la journée. Ils oublient leurs problèmes en faisant du sport. » Dans la salle, on croise des adolescents à lunettes avec des muscles de personnages de jeu vidéo. La plupart ont les cheveux rasés sur les côtés. Abidal’s Gym propose des cours de taekwondo, de muay-thaï, d’aérobic, de kick-boxing, mais ce sont avant tout les appareils de musculation, « importés d’Espagne », qui attirent les jeunes à 30 kilomètres à la ronde. « Ils font ça juste pour avoir l’air beau », se moque Zeinobi. Parmi les 900 clients, quelques femmes, « surtout l’été », précise-t-elle. « Les femmes ont beaucoup de responsabilité dans notre région, elles n’ont pas de temps libre. »

    Sur la route de Regueb : « 3 euros le kilo avant, 8 maintenant »

    La route est encadrée par les figuiers de barbarie de trois mètres de haut, dans lesquels viennent se ficher de loin en loin des sacs en plastique échappés des décharges à ciel ouvert.

    Dans un champ, un âne détale après avoir arraché le piquet qui le retenait prisonnier. Il s’éloigne en direction des collines pelées comme les bosses d’un chameau. Ce sont les derniers reliefs à franchir avant de basculer définitivement dans la plaine de Sfax, à l’est du pays. Sur leurs flancs, des restes de minuscules terrasses en pierre sèche, que plus personne n’est assez fou ou courageux pour cultiver désormais. Il reste uniquement des bergers dans cette vallée. Les plus vieux sont toujours bien habillés, en pantalons de ville et en vestes sobres. Leur mouton, au goût particulier, est réputé dans toute la Tunisie. Mais son prix a augmenté, passant de « 3 euros le kilo avant la révolution à 8 euros maintenant », reconnaît un vendeur de viande grillée installé au bord de la route. La raison en est simple : le prix des aliments pour le bétail a flambé depuis 2011, explique-t-il.

    A Regueb : « Notre seul loisir : aller au café »

    Nabil, 35 ans, mâchouille l’embout en plastique de sa chicha. Il recrache la fumée entre ses dents jaunies en fixant une partie de billard : « C’est tranquille, Regueb. Trop tranquille. Notre seul loisir, c’est d’aller au café. » Son ami Aymen, 25 ans, a ouvert cette salle de jeu il y a deux ans. En plus de la table de billard, il a installé neuf ordinateurs, deux PlayStation, un baby-foot. Investissement total : 2 600 euros. L’affaire ne marche pas : « Les jeunes jouent sur leurs téléphones. » Aymen va revendre, ou fermer. L’an prochain, de toute manière, il doit effectuer son service militaire.

    « Je voulais créer une petite unité de fabrication d’aliments pour le bétail, mais il fallait des papiers, et pour avoir ces papiers, on me demandait de l’argent, ressasse Nabil. L’administration est corrompue, j’ai dû renoncer. » Il vit chez ses parents, avec sa femme. Lui a pu se marier, mais « c’est rare, parce que c’est compliqué, sans travail », avoue-t-il.

    A Sfax : « Ici, les gens respectent le travail »

    Les industries de #Sfax signalent la ville de loin. La deuxième ville du pays est aussi son poumon économique. Les arbres d’ornementation sont étrangement taillés au carré, les rues sont propres, l’activité commerciale incessante dans la journée. La richesse des Sfaxiens est proverbiale, en Tunisie. Pourtant, Mounir Kachlouf, 50 ans, avoue qu’on s’y ennuie aussi. « Où tu vas sortir, ici ? Même moi, le week-end, je vais à Sousse ou à Hammamet ! » Il est le gérant du café-restaurant Mc Doner, installé le long de la petite promenade de Sfax, qui se vide de ses promeneurs au crépuscule. « Depuis 2002, on nous promet un port de plaisance, une zone touristique, mais on ne voit rien venir », dit-il. Le patron a même une théorie sur les raisons de cet échec : « Les Sfaxiens ont de l’argent. La Tunisie a besoin qu’ils le dépensent ailleurs pour faire tourner l’économie. S’ils développaient Sfax, les gens n’auraient plus besoin de sortir ! »

    Un groupe de six jeunes femmes pressées longe la corniche, valises à roulettes sur les talons. Elles rentrent de vacances. Le lendemain, elles reprendront toutes le travail. L’une est « technicienne d’esthétique et coach personnel », les autres sont vendeuses de tissu de haute couture dans une boutique de la médina. « Nous, les Sfaxiens, on est comme les Chinois, on travaille tout le temps, surtout les femmes, s’amuse Yorshelly. C’est bien pour l’économie, mais ça rend la ville fatigante, polluée, embouteillée. Il y a du travail ici, enfin, surtout pour les non-diplômés. » Aucune d’entre elles n’est mariée. « Il y a un gros problème de "racisme" chez les familles sfaxiennes, glisse Marwa. Les parents veulent que l’on épouse un Sfaxien. Nous, honnêtement, on s’en fiche. »

    Un homme a tendu l’oreille, inquiet qu’on dise du mal de sa ville dans un journal français. Il insiste pour témoigner lui aussi. « Je m’appelle Mahdi, j’ai 31 ans, je suis électricien, j’aime mon pays, je vis à Sfax car ici, les gens respectent le travail, dit-il, énervé. Les jeunes veulent de l’argent facile. Je les vois rester au café toute la journée. Je leur dis : "Venez bosser avec moi, il y a de quoi faire." Mais ils préfèrent être assis à boire et fumer ! »

    A Kerkennah : « La traversée est 100 % garantie »

    C’est l’île des départs. D’ici, près de 2 700 Tunisiens ont pris la mer depuis le début de l’année pour gagner Lampedusa, à 140 kilomètres en direction du Nord-Est. En 2017, ils étaient plus de 6 000. En 2018, ils représentent le plus important contingent de migrants arrivés en Italie, devant les Erythréens et les Nigérians. La traversée dure une nuit. Contrairement à une idée reçue, les émigrants ne montent pas sur des canots pneumatiques ou des barques vermoulues, comme en Libye voisine. A Kerkennah, les #passeurs comme les passés sont tunisiens. Un lien social les attache malgré tout, on ne risque pas des vies de compatriotes à la légère. « La traversée est 100 % garantie, c’est comme un aéroport », décrivait Ahmed Souissi, 30 ans, coordinateur de l’Union des diplômés chômeurs, quelques semaines avant le naufrage d’une embarcation surchargée le week-end dernier, au cours duquel plus de cinquante migrants sont morts noyés. « Les émigrants partent sur des bateaux de pêche qui ont été au préalable dépouillés de tous leurs accessoires. Quand on voit un bateau nu, on sait qu’il va y avoir un départ. »

    Il faut traverser les marais salants du centre de l’île, puis les grandes étendues vides piquées de tristes palmiers sans palmes (elles sont utilisées dans la fabrication des pêcheries fixes au large de Kerkennah) pour trouver la route du chantier, installé dans une ferme derrière le village de Chergui. Une dizaine de squelettes de navires flottent dans le ciel, au-dessus des copeaux de bois. Les charpentes sont en bois d’eucalyptus. Certaines sont déjà coloriées en rouge ou en bleu. Un peintre dont la blouse ressemble à une toile de Pollock désigne du bout de son pinceau la seule embarcation toute noire : « C’est le bateau utilisé par [le futur président] Bourguiba pour fuir en Egypte pendant la période coloniale, explique-t-il. Quelqu’un y a mis le feu il y a trois ans. On travaille à sa restauration. »

    Mohamed et Karim s’affairent sur le bâtiment le plus avancé du chantier. Ils sont tourneur soudeur et chaudronnier, et s’occupent de toute la partie métallique : armatures, bastingage, proue, etc. « Les migrants partent sur des 12-mètres comme celui-là, dit le premier, sans s’arrêter de souder. Il y a tellement de chômage que la police ferme les yeux. » Pollution des eaux, dégradation des fonds marins, réchauffement : « Les pêcheurs ont de moins en moins de poissons depuis deux ou trois ans, ils ont besoin d’un revenu, complète le second. Certains vendent leur bateau, des passeurs les remplissent avec 100, 120 jeunes, et les mènent à Lampedusa. Les bateaux restent là-bas. »

    Le leur est une commande de Boulababa Souissi. Le capitaine est dans sa cabine, la buvette improvisée du chantier, une canette de bière à la main. « Dans cinq jours, à ce rythme-là, c’est fini, savoure-t-il, l’œil guilleret. J’ai fait venir un moteur d’occasion d’Italie. Je vais enfin retourner pêcher. » Il baptisera son chalutier Oujden, le prénom de sa fille. Coût : 50 000 euros. Le précédent va-t-il continuer à naviguer ? « Il ne remontera plus de poisson », lâche le capitaine.

    Les visiteurs débarquent à Kerkennah, 15 500 habitants, par un ferry arrivant de Sfax. Puis, une route remonte l’archipel du Sud au Nord. La simplicité des maisons - des agrégats de cubes blancs - leur donne un air moderne. Des constructions, ou des agrandissements, sont souvent en cours. « C’est l’argent des harragas », ricane une femme, en passant devant un portail refait à neuf. Les « harragas », « ceux qui brûlent » en arabe, est le terme utilisé pour désigner les clandestins. « Ils ne se cachent même plus, comme au début. Dans une petite île où tout le monde se connaît, on les repère tout de suite, indique Ahmed Souissi. Pour la police, c’est difficile de contrôler les ports de Kerkennah. Les bateaux peuvent sortir de n’importe quelle ville ou plage. D’ailleurs, tout le monde les voit. » Ne sont-ils pas arrêtés ? « Les flics arrivent trop tard. Ou n’arrivent jamais. Pourtant, ça ne demande pas beaucoup d’intelligence de savoir qui organise les passages, dit l’activiste. Mais l’État n’est pas pressé de voir la fin des subventions européennes au titre de la lutte anti-immigration. Et puis, je crois que ça arrange tout le monde que les jeunes chômeurs sortent de Tunisie. »

    Tout au bout de la route, il y a le port de Kraten. En direction du Nord, quelques îlots plats, rocailleux, taches claires dans la mer sombre, sans vague. Les derniers mètres carrés solides de Tunisie. En cette fin de matinée, les pêcheurs démêlent et plient les filets, au soleil. Les camionnettes frigorifiques des acheteurs sont déjà reparties, à moitié vides. Sur le ponton, on marche sur des carcasses de crabes bruns qui craquent sous les chaussures. Les Tunisiens ont surnommé cette espèce « Daech ». « Ils sont arrivés d’Egypte il y a quelques années, et ils remontent le long de la côte, commente un marin, l’air dégoûté. Ils mettent les pêcheurs sur la paille : ils coupent les filets, ils bouffent le poisson ! Si ça continue, ils vont débarquer en Europe. La pêche n’est plus rentable. » Lui est là pour aider son père ce dimanche, mais en semaine il occupe un emploi de professeur de sport à Sfax.

    Au petit café de la jetée, le patron moustachu sert l’expresso le plus serré de Tunisie en bougonnant. Il jure qu’aucun bateau ne part de « son » port. « Les jeunes, ils peuvent aller se faire foutre, ils ne pensent qu’à l’argent. » Contre le mur, un pêcheur de 55 ans, « dont trente-quatre en mer », pull rouge et bonnet bleu, philosophe : « Cette révolution était un don. Elle nous a montré qu’on peut régler nous-mêmes nos problèmes, on doit garder ça en tête. Ce crabe Daech, par exemple, on ne doit pas le détester, Dieu nous a envoyé cette satanée bête pour qu’on corrige nos façons de pêcher. On me regarde comme un vieux fou quand je critique les collègues qui pêchent au chalut en ravageant les fonds, mais ce sont eux qui ont fait disparaître les prédateurs des crabes », assène Neiji.

    Son français est chantant. Il fait durer son café. « Les jeunes qui partent, c’est aussi naturel, reprend-il. Sans cela, ils rejoindraient peut-être le vrai Daech, qui sait ? C’est la logique humaine d’aller tenter sa chance. Moi, si je n’avais pas une femme et trois filles, je crois que j’aurais aussi filé. » Neiji tire sur sa cigarette en aspirant la fumée très lentement, avant d’expirer sans bruit. « Ce va-et-vient, c’est la vie. Les pêcheurs sont des gens intelligents, il faut me croire. »
    Célian Macé

    Très bon reportage, avec photos dans l’article source. La fin de l’article avec les propos du pêcheur, est à méditer.

    #chômage #tunisie #émigration #jeunesse #Afrique

  • Bruno Astarian et R. F. - Ménage à trois : Episode 7 – #Tunisie 2011 : entre révolte fiscale et droit au développement
    http://www.hicsalta-communisation.com/accueil/menage-a-trois-episode-7-tunisie-2011-entre-revolte-fiscale-

    Nous abordons maintenant le cas de la Tunisie, pays où la « révolution de jasmin » éclate en décembre 2010. Elle ouvre la période dite des printemps arabes. Par rapport aux cas que nous avons traités jusqu’à présent, elle présente la caractéristique d’être franchement interclassiste. Rappelons quelques dates : en décembre 2010, la révolte éclate à Sidi Bouzid après le suicide par le feu de Mohamed Bouazizi. Elle se répand rapidement dans les villes avoisinantes, puis dans tout le pays jusqu’à Tunis même. Le 14 janvier, Ben Ali s’enfuit. Son premier ministre, Mohamed Ghannouchi, le remplace provisoirement. Il reste premier ministre de deux gouvernement successifs (14-17 janvier 2011 ; 17 janvier-27 février 2011). Il est contraint de démissionner par des manifestations massives et le deuxième sit-in de la Kasbah (place du centre de Tunis où se trouve le siège du gouvernement). La situation ne s’est jamais stabilisée depuis 2011. Les gouvernements qui se sont succédés, d’abord dominés par les islamistes d’Ennahda, puis contrôlés par les « sécularistes » de Nidaa Tounès (parti qui regroupe beaucoup d’anciens ben-alistes) ne sont jamais parvenus à une formule de gestion unifiant les fractions socio-régionales antagoniques du capitalisme tunisien, Tunis et le Sahel d’un côté, l’intérieur et le Sud de l’autre. Ce blocage a provoqué de multiples émeutes, manifestations, grèves et sit-ins dans tout le pays, et a finalement abouti à l’explosion générale de janvier 2018.

    #théorie #communisme #communisation

  • Colère sound system (54 minutes)
    #Soro_Solo, France Inter, le 1er octobre 2017
    https://www.franceinter.fr/emissions/l-afrique-en-solo/l-afrique-en-solo-01-octobre-2017

    Entre la voix de la rue, de la protestation et des chansons, il n’y a souvent qu’un pas.

    Aujourd’hui, je vous propose d’ouvrir la sono des mouvements porteurs de la colère des peuples sur le continent Africain. Car depuis la nuit des temps, la douleur des opprimés se raconte souvent en musique.

    De l’insurrection des écoliers Sud-Africains en 1976 à la destitution de Blaise Compaoré en 2014 au Burkina Faso en passant par le Printemps Arabe en Tunisie en 2011, depuis des décennies, les peuples se dressent contre les pouvoirs liberticides, coupables d’injustice et de violation des droits de l’homme.

    Les mouvements porteurs de ces frondes sont aujourd’hui identifiés par les sociologues, comme sentinelles de la démocratie. Leur défiance est toujours portée par les hauts parleurs de la musique.

    Bienvenue à la maison, bienvenue dans le studio des Sounds System en colère.

    (1) « Salut aux Combattants » Pierre Claver Akendengue

    « Salut aux Combattants » du Gabonais Pierre Akendengue, est une photo sonore des souffrances des Noirs sous l’Apartheid érigé en système de gouvernement en Afrique du Sud par le pouvoir Blanc en 1948. Les lois de l’Apartheid ne seront abolies qu’en Juin 1991 par le gouvernement Frederik de Klerk après la sortie de prison de Nelson Mandela en février 1990 qui a enduré vingt-sept années d’incarcération. Le 10 mai 1994 Nelson Mandela est élut premier président noir d’Afrique du Sud.

    (2) « Lettre au Président » Valsero

    La lettre du rapper Camerounais Valsero à Paul Biya, président du Cameroun depuis 35 ans, le questionne sur le dénuement des Camerounais qui en bave encore et encore...

    L’une des cerises sur le gâteau du régime du président Paul Biya, c’est d’avoir proposé en 2007 d’amender la Constitution du Cameroun, qui limitait la Présidence de la République à deux termes de sept ans. En réponse, l’artiste Lapiro de Mbanga compose la chanson « Constitution constipée »

    Malgré l’interdiction d’antenne de cette chanson, elle fut reprise lors des manifestations de février 2008. Lapiro de Mbanga est arrêté en avril 2008 et condamné à trois ans de prison par le Tribunal de Grande Instance. L’amendement contre lequel Lapiro a composé « Constitution Constipé » a tout de même été adopté et permit à Paul Biya d’être réélu en octobre 2011.

    (3) « Constitution Constipée » - Lapiro de Mbanga

    Au Cameroun, « Constitution Constipée » a fait incarcérer Lapiro De Mbanga en 2008 à la prison de New Bell à Douala où il contracte la fièvre typhoïde. Après sa Libération en 2011, il s’exile aux États-Unis où il décède en 2014 à New York.

    Partout en Afrique quand la jeunesse se dresse, c’est parce qu’elle n’en peut plus des politiques stériles qui les affament.

    En Tunisie par exemple, c’est le désespoir qui emmena un vendeur ambulant, le jeune Mohammed Bouazizi, à s’immoler par le feu à Sidi Bouzid en Décembre 2010 pour protester contre la saisie de sa marchandise par la police. Son suicide enclenchera une vague de contestation qui emportera le régime du président Ben Ali. Il s’en suivra une avalanche de grogne dans le monde Arabe qui gagnera le Yémen en Janvier 2011 où les manifestants réclament le départ du président yéménite Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978.

    En Février 2011, au Caire la bourrasque de la contestation a fait tomber le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981,

    En Mars 2011 la grogne explose à Damas

    En Avril, de la même année, elle s’étend en Lybie et emportera le colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969.

    Cette insurrection baptisée "Printemps Arabe" est incarnée par la chanson "Kelmti Horra" de la Tunisienne Emel Matlouthi qui a obtenu le Prix Nobel de la paix en 2015, avec le Quartet du dialogue national ayant accompagné le renouveau démocratique en Tunisie.

    (4) « Kelmti Horra » Emel Mathlouthi

    Apparu en 2011 au Sénégal, initié par les rapper Thiat et Kilifeu du groupe Keur Gui, le mouvement « Y’en a Marre » arrangue les populations à se dresser comme un seul homme contre la volonté du président Abdoulaye Wade qui voulait modifier la constitution et briguer un nouveau mandat. En déjouant les visés du vieux président Wade au Sénégal, « Y’en a Marre » catalysera des organisations similaires dans différents pays au Sud du Sahara

    (5) « Coup de Gueule » Keur Gui

    De Dakar à Libreville, Kinshasa, en passant par Ouagadougou le modèle « Y’en a Marre » se reproduira dans diverses capitales Africaine.

    (6) « De La Lutte qui Libère » Joey Le Soldat

    Le Burkina Faso, pays de Joey le Solda a enduré 27 ans de régime de Blaise Compaoré présumé coupable de l’assassinat de président Thomas Sankara en 1987. En 2014, Blaise Compaoré tente de tordre le coup à la Constitution et se maintenir au pouvoir Le 30 Octobre de cette année-là quand les députés du Burkina Faso se retrouvent pour examiner le projet de loi portant sur la révision de la Constitution permettant une nouvelle candidature du président Blaise Compaoré après 2015, Le Mouvement « Balaie Citoyen », portées par l’esprit de Thomas Sankara, appel les populations à descendre dans la rue et battent le pavée pour empêcher la révision de la loi fondamentale.

    (7) « Thomas Sankara » Debademba

    Tous ces mouvements citoyens se nourrissent d’exemples révolutionnaires africains et se posent comme héritiers de figures respectées et admirées devenus des mythes sur le continent. Notamment le nigérian Tafawa Balewa, le congolais Patrice Lumumba ou le burkinabé Thomas Sankara.

    Ils revendiquent la défense du panafricanisme et fustigent sans détours l’impérialisme occidental. Leur rêve, opérer et réaliser une vraie Union des peuples Africains qui ne serait pas selon eux - une coquille vide comme l’Union Africaine actuelle, incapable de gérer le mal être du continent.

    Les régions qui n’ont pas encore de force citoyenne organisée, les individualités comme Cheikh MC des Comores usent de la musique pour booster les mentalités.

    (8) « Na Rende » Cheikh MC

    En égrenant le chapelet des mouvements sociaux de cette décennie en Afrique, on constate que les artistes musiciens sont en première ligne des combats. Et s’il est une référence en la matière, c’est bien le nigérian feu Fela Anikulapo Kuti. Pourfendeur de la corruption, du néo-colonialisme, des manœuvres de la classe politique et des détournements d’argents fait par les militaires, toute sa vie durant, il n’a eu de cesse de tarauder tous les régimes qui se sont succédés à la tête du Nigéria. Sa volumineuse œuvre musicale a souvent égratigner nos mentalité de colonisées.

    (9) « Mister Felow Felow » Fela Anikulapo Kuti

    #Musique #Musique_et_politique #radio

  • La révolution surgit comme un voleur dans la nuit

    Richard Pithouse

    http://lavoiedujaguar.net/La-revolution-surgit-comme-un

    La vie, la vie ordinaire, suit certains rythmes. Nous grandissons, les saisons changent et nous occupons de nouvelles places dans le monde. Quand vous n’êtes plus un enfant, vous laissez de côté toutes les choses enfantines et vous passez à l’étape suivante de votre vie. Mais il existe une multitude de gens en ce monde qui n’ont pas la possibilité de faire construire une maison, de se marier, de s’occuper de leurs enfants et de leurs parents vieillissants. Il existe une multitude de gens qui vieillissent sans pouvoir sortir d’une existence misérable et épuisante. Ils réussissent parfois tout juste à rassembler quelques sous en vendant des tomates ou des chargeurs de téléphones portables dans la rue, pour louer un taudis au fond d’une cour.

    Mohamed Bouazizi faisait partie de cette multitude. Il est né en 1984 en Tunisie dans la ville de Sidi Bouzid. (...)

    #Afrique_du_Sud #Tunisie #Égypte #mouvement_social #révolution

  • A Kasserine, le feu couve sous les cendres de la révolution tunisienne
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/01/21/a-kasserine-le-feu-couve-sous-les-cendres-de-la-revolution-de-2011_4851276_3

    Les affrontements se sont poursuivis les jours suivants dans cette ville située à 280 km au sud-ouest de Tunis, malgré un couvre-feu décrété mardi par les autorités et qui n’est visiblement pas respecté. Cinq ans après la révolution contre la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, née de l’immolation par le feu du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid (située à moins de cent kilomètres de Kasserine), l’exclusion sociale et les disparités régionales persistent dans cette région particulièrement déshéritée de Tunisie.
    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/01/21/a-kasserine-le-feu-couve-sous-les-cendres-de-la-revolution-de-2011_4851276_3

  • Torture en Tunisie : encore un mort dans un poste de police | Nawaat
    http://nawaat.org/portail/2015/05/16/torture-en-tunisie-encore-un-mort-dans-un-poste-de-police

    Un jeune homme, Abdelmajid Ben Saad, en détention préventive, dans un poste de police à Sidi Bouzid, est trouvé mort, le 13 mai, dans sa cellule. Avant le verdict de l’autopsie, le ministère de l’Intérieur avance, déjà, qu’il s’agit d’un suicide. Une déclaration contestée par la société civile et l’Organisation Tunisienne de Lutte contre la Torture surtout que la victime a porté plainte, quelques jours avant sa mort, contre ses geôliers en les accusant de torture.

    En février 2015, Abdelmajid Ben Saad s’est fait arrêté par la garde nationale de Bir Lahfay ; à la suite il a été transféré à Sidi Bouzid. Accusé de vol sans preuve, la victime a été innocentée par le tribunal. Au cours de son procès, Abdelmajid a témoigné devant le juge qu’il était victime de torture durant plusieurs jours. Le 14 avril 2015, le défunt dépose une plainte au Ministère Public à Sidi Bouzid pour demander l’ouverture d’une enquête contre les agents de la brigade des investigations de l’inspection à Sidi Bouzid. Un mois après, le 12 mai, la même brigade arrête Abdeljelil dans une affaire de vol. Le lendemain, la brigade appelle la famille Ben Saad pour l’informer du décès de son fils. La police n’a informé la famille du décès qu’après avoir transféré le corps à l’hôpital de Sfax pour l’autopsie. Riadh Jeddi, militant syndicaliste à Sidi Bouzid et frère de la victime raconte :

    J’ai vu des traces de torture sur le corps de mon frère avant l’autopsie. En plus, il n’avait aucune envie de mourir. Il était en pleine préparation de son mariage et venait tout juste de fêter ses fiançailles. L’histoire du suicide ne nous convainc, surtout que les policiers qui l’ont arrêté la deuxième fois sont les mêmes qui l’ont torturé en février. Nous avons porter plainte à travers un comité d’avocats et d’associations de droit de l’homme, témoigne le frère de la victime.

  • Injustices foncières, contestations et mobilisations collectives dans les espaces ruraux de Sidi Bouzid (Tunisie) : aux racines de la « révolution » ? | sjjs.org
    http://www.jssj.org/article/injustices-foncieres-contestations-et-mobilisations-collectives-dans-les-espac
    via @cdb_77

    Le 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi s’immole devant le siège du gouvernorat[1] de Sidi Bouzid, ses proches et d’autres habitants de la région engagent une mobilisation qui gagne d’autres espaces, et conduit quelques semaines plus tard au départ du président tunisien Z. Ben Ali. Avant de se diversifier largement, les slogans et revendications se focalisent sur l’accès à l’emploi, aux revenus, à une vie digne. Quasi aucune référence directe n’est faite à la région de Sidi Bouzid, ou à son activité principale, l’agriculture. Une lecture géographique incite pourtant à interroger l’importance du lieu et de ses spécificités dans les dynamiques sociales mises en place à partir de cette date à Sidi Bouzid et dans l’ensemble du pays.

    #foncier #terres #cartographie #injustices #Tunisie

    • La mobilisation [...] s’est rapidement reconstituée après l’immolation, en s’appuyant sur les relations de parenté élargies et les réseaux de solidarité existant dans la ville de Sidi Bouzid, entre les habitants des quartiers aux conditions de vie précaires. Le mouvement a été rejoint par des syndicalistes, juristes, avocats et figures locales de l’opposition (que Salah connaissait en partie et sur qui il savait pouvoir compter pour sa défense dès la mobilisation à Regueb), et s’est peu à peu amplifié. Il s’est ensuite déplacé vers les quartiers périphériques de la ville, dont une part importante des habitants provient des espaces ruraux environnants, avant de gagner d’autres localités du gouvernorat puis d’autres régions en Tunisie.

      et pan dans la gueule de la « révolution facebook/twitter »...

      Avec l’intégration des exploitations familiales dans le système de production capitaliste, la terre a remplacé le troupeau comme principal facteur de production (Attia 1977), et a vu son prix augmenter très fortement dans certaines localités. La terre est donc au cœur d’enjeux économiques ; elle est devenue une importante variable d’ajustement financière pour les familles ayant de faibles revenus, et le support privilégié d’investissements pour ceux qui souhaitent faire fructifier leur capital.

      C’est une tentative de rattrapage du niveau de productivité requis pour être concurrentiel au niveau global, de la part d’une économie « en retard »

      Ce rattrapage est cependant illusoire : quand on s’élance bien après le signal du starter, on est de fait disqualifié dans la course. Le problème est que le flingue du starter se retourne vers ceux qui renâclent à participé à la course...

      A Regueb, un montage vidéo réalisé par un jeune retrace le déroulement chronologique de la première émeute suivant l’immolation (« Regueb 24 décembre 2010. Solidarité avec Sidi Bouzid[7] »). La séquence d’ouverture du film, qui coïncide avec les témoignages recueillis par ailleurs, montre que le rassemblement a lieu devant la BNA, où un feu est allumé avant que le groupe ne se dirige vers le poste de police (Vezien Saint-Araille, 2014). Le distributeur automatique sera brûlé le lendemain. Au-delà de la tentation de récupérer l’argent, il apparaît que c’est la banque qui est l’objet des premières contestations, symbole de l’accès à la terre, des saisies controversées et des logiques clientélistes, mais aussi du système inéquitable d’investissement et de subventions agricoles.

      on peut penser que la demande de réalisation d’une zone industrielle vient aussi de résidents des petites villes de la zone, réclamant un emploi hors agriculture dans la mesure où ce secteur, tel qu’il est organisé actuellement, ne répond pas aux besoins de tous. Plus qu’un droit à un espace industrialisé ou urbanisé, il faut sans doute y voir une demande de reconsidérer les droits au sein des espaces ruraux : droit à l’emploi, voire droit d’exercer dans un autre domaine que l’agriculture. Les slogans scandés à Regueb quelques jours après l’immolation de Bouazizi, notamment « les terres sont vendues et les citoyens sont affamés », rappellent que la terre demeure un actif économique. Le droit revendiqué est celui de pouvoir en dégager des revenus suffisants, du moins de ne pas être lésé par rapport à des producteurs dont les revenus sont essentiellement non agricoles.

      L’injustice se joue donc sur le terrain de l’accès à un revenu qui s’est imposé jusqu’à reléguer d’autres revendications sur un second plan (ou de les instrumentaliser pour la seule lutte qui permet de trouver réellement une place)

      Cette tendance à la confrontation entre deux espaces n’exclut pas des interdépendances, notamment à travers la main d’œuvre souvent issue du premier et qui travaille dans le second. Mais elle conduit à une transformation de l’espace rural existant, à travers un processus de prolétarisation et avec, parfois, la disparition de la dimension familiale des douars au fil des rachats de terre et des maisons réinvesties par les ouvriers des nouvelles propriétés. C’est alors le droit d’habiter qui est remis en cause, car la terre n’est pas qu’un support du logement ni un actif économique, c’est aussi une part de l’identité. Pour beaucoup, la terre constitue un patrimoine familial et l’histoire des ancêtres ; elle participe du sentiment d’appartenance, de la dignité et de l’honneur.

      Pour autant, on ne peut pas dire que tous les habitants partagent cette valeur symbolique de la terre. Du moins, celle-ci n’est pas forcément prédominante et s’efface parfois au profit d’une valeur marchande et financiarisée, ce qui explique aussi que les transactions foncières hors héritage aient augmenté fortement en quelques années. Sans être exclusives, ces valeurs et les appartenances multiples (tribales, de classe, d’âge, de secteur d’activité, de lieu de résidence) sont mobilisées en alternance selon le contexte et les intérêts en jeu. C’est ce qui explique qu’un petit agriculteur tenant un discours négatif envers les « étrangers » qui ont acheté des terres à Regueb peut néanmoins travailler comme gérant d’exploitation ou comme ouvrier chez l’un d’entre eux.

  • #Mohamed_Bouazizi, l’ouvrier agricole : relire la « #Révolution » depuis les campagnes tunisiennes

    On pourrait commencer l’histoire au début des années 2000. Mohamed, orphelin de son père, devient responsable de sa fratrie et doit subvenir aux besoins de sa famille. Lorsque son oncle maternel, Salah, achète une #terre_agricole de 18 hectares dans la région de #Regueb (gouvernorat de Sidi Bouzid, Tunisie), Mohamed commence à travailler sur l’exploitation. Lui, Salah et d’autres membres de la famille ainsi que des #ouvriers_saisonniers s’occupent des #oliviers et des #cultures_maraîchères irriguées (tomates, melons). Le projet semble bien lancé, profitant de l’#eau_souterraine de bonne qualité et du #micro-climat qui fait la réputation de cette région et de ses cultures primeurs.
    Après trois années, Salah doit commencer à rembourser les premières échéances du #crédit_agricole qui lui a permis de lancer son exploitation. Mais à partir de 2006, il rencontre des difficultés financières, et ses revenus de préparateur dans une pharmacie de Sidi Bouzid ne lui permettent pas d’éviter son #endettement auprès de la #Banque_nationale_agricole.


    http://irmc.hypotheses.org/1572

    #Tunisie #agriculture #dette

    cc @odilon

  • La Polit-Revue : Les limites de la gauche libérale – libertaire | Nawaat - Tunisia
    http://nawaat.org/portail/2014/06/29/la-polit-revue-les-limites-de-la-gauche-liberale-libertaire

    « L’initiative de la coalition électorale Union Pour la Tunisie n’a pas trouvé l’enthousiasme escompté ». C’est en ces termes plutôt évasifs et nonchalants que Lazhar Akremi a justifié vendredi à Sidi Bouzid le choix de se présenter sous l’étiquette individuelle Nidaa aux prochaines élections, lors d’un rassemblement qui n’a lui-même pas mobilisé grand monde.

    Un stéréotype en matière de dysfonctionnements inhérents aux démocraties modernes veut que l’argent soit le nerf de la guerre en matière d’élections. Ainsi il est utile d’écouter les financiers des grands partis, en l’occurrence Faouzi Elloumi, pour mieux comprendre les décisions souvent verticales prises en coulisses. « En démocratie, les coalitions sont gouvernementales, elles se font en aval, à la lumière des résultats des élections, et non en amont », a argumenté Elloumi lors de la même réunion.

  • CONTROLLING AND PUNISHMENT — Cinéma du Réel

    http://www.cinemadureel.org/fr/programme/seances-speciales/controlling-and-punishment

    CONTROLLING AND PUNISHMENT
    Ridha Tlili, Ayten Mutlu Saray
    2013 / Suisse, Tunisie / 90 min
    i Vendredi 28 Mars 21H00 Nouveau Latina

    http://www.cinemadureel.org/fr/programme/seances-speciales/controlling-and-punishment/@@images/4e586af0-f47f-4658-bbf5-9188d5025a76.jpeg

    Trois ans après le déclenchement des printemps arabes, retour à Sidi Bouzid, là où le suicide d’un jeune homme a déclenché la première insurrection, en Tunisie. Depuis, les habitants y inventent une nouvelle culture de résistance.

    With Rhida Tlili
    Soirée proposée par Documentaire sur grand écran / En partenariat avec FIDADOC, Festival international de documentaire à Agadir.

    #documentaires #révoltes_arabes

  • Tunisians rally on third anniversary of uprising
    http://english.al-akhbar.com/content/tunisians-rally-third-anniversary-uprising

    Tunisian men wave the national flag as they gather to mark the third anniversary of the uprising that toppled deposed president Zine El Abidine Ben Ali in #Sidi_Bouzid's #mohammed_bouazizi square on December 17, 2013. (Photo: AFP - Fethi Belaid)

    Tunisians gathered Tuesday at the birthplace of the Arab uprisings to vent their anger at social exclusion three years after a street vendor burned himself to death in what became an iconic protest. The self-immolation of 26-year-old Mohammed Bouazizi in the impoverished central town of Sidi Bouzid on December 17, 2011 unleashed a wave of protest across the North African country. His tragic act, aimed at attracting attention to economic hardship and repression, was the fuse for uprisings across the region that toppled (...)

    #Top_News #Tunisia

  • « Prendre la Place » : ce mot d’ordre circule dans le Monde et en Europe ; que nous dit-il à nous, pour ici et maintenant ?
    http://ouvriersgensdici.free.fr/spip.php?article236

    RENCONTRE LE JEUDI 20 JUIN, 18H
    « Prendre la Place » :

    1) On peut y voir principalement une série d’émeutes ou de soulèvements plus profonds qui vont jusqu’à faire tomber des gouvernements (Tunisie, Egypte...). Soulèvements qui affirment (comme en Tunisie suite au suicide de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid) que le mépris à l’encontre d’une partie de la population doit cesser.

    2) On peut y voir une réponse de la masse des « laissés pour compte », aux exhortations des puissants à se sacrifier en silence pour permettre à la bourgeoisie de se sortir très bien de la crise qu’elle a elle même créée. Prendre la place (comme à Madrid, Puerta del Sol) est alors sûrement un moyen pour beaucoup de sortir de ce silence imposé.

    3) On peut y voir le désir et la nécessité de parler, de se rencontrer, de casser l’anonymat et l’indifférence, afin de briser la paralysie dans laquelle la complexité de la situation actuelle peut nous plonger.

    Il y a sûrement de tout cela Place Taksim, Place Tahir, Puerta del Sol etc...

    Prendre la place interroge aussi SUR LA PLACE qu’ont ou n’ont pas certains dans le pays. Quelques exemples :

    • Le fait que le gouvernement pourchasse quotidiennement les Roms, considérés désormais comme des sous-hommes : les autorités n’ont pas eu un mot pour les familles après que certains soient morts brûlés dans leur campement parce qu’on leur a refusé un accueil décent. Cela ouvre les portes au pire : des gens se permettent de faire fuir les Roms de leur campement, d’autres y mettent le feu. Des élus reprennent ces actions à leur compte.

    • Le fait que des lois spéciales, lois d’exception, permettent de rayer juridiquement des gens de la carte (loi CESEDA contre les habitants qui n’ont pas la nationalité française mais vivent en France et participent du pays) ;

    • La persécution opérée par des polices spéciales (PAF) dont la mission est de traquer tout ce qui « ressemble à un étranger » (dernier exemple avec des arrestations devant l’association d’accueil TO7 à Toulouse) ;

    • L’humiliation et le mépris des autorités (mairie, conseil général, préfecture) qui veulent déloger de force des habitants, malgré leur volonté déclarée de rester dans leur logement et dans leur quartier (comme ce qui se passe actuellement à la Reynerie au Mirail). Ce à quoi les gens concernés répondent en affirmant : « Nous ne sommes pas de la poussière ; partir ou rester, c’est à nous de décider ».

    A l’heure où les Etats (quels que soient les gouvernements) fondent leur politique et leur propagande sur le fait qu’il n’y aurait plus de place pour tous, donc plus de droits et plus de respect pour tous, il est logique que la question de la place, CELLE QUI EST DENIEE A CERTAINS, devienne une question centrale d’aujourd’hui. Question posée à quiconque s’intéresse à ce qui arrive réellement dans le pays, au sort qui est fait à une partie des habitants, et à CE QU’IL EST POSSIBLE D’ENONCER ET DE METTRE EN ACTION.

    Prendre la place, cela peut être une façon d’affirmer sa propre existence, et de signifier que tous, donc chacun, doit être pris en compte, reconnu, respecté. Il s’agit de droits pour tous, de dignité et de refus du mépris.

    Nous vous proposons d’en débattre lors de la rencontre du 20 Juin à 18h.

    Rue du Lieutenant Colonel Pelissier, Métro Capitole, Toulouse Espace DURANTI, salle au 3° étage

    Dans le cadre des « Rencontres pour penser l’Aujourd’hui », proposées par CEUX QUI VEULENT LE PAYS POUR TOUS.

    http://ouvriersgensdici.free.fr/IMG/pdf/rencontre_du_20_juin.pdf

  • Emeutes à Sidi Bouzid en réaction aux élections
    https://www.lereveil.ch/emeutes-a-sidi-bouzid-en-reaction
    « A Sidi Bouzid, où l’insurrection tunisienne avait commencé, la mairie et plusieurs bureaux du parti islamiste Ennahda ont été incendiés. Ces attaques sont une réaction à la victoire électorale de ce dernier et donc à la récupération de l’insurrection par le spectacle électoral. L’armée a essayé de disperser les émeutiers avec des tirs de sommation et du gaz lacrymogène. Des blessés ou des arrestations ne sont pas mentionnés dans la presse bourgeoise. »
    #Tunisie #Sidi_Bouzid

  • L’augmentation des émeutes : un phénomène mondial | Ivan du Roy (Basta !)
    http://www.bastamag.net/article1717.html

    Certaines débouchent sur des revendications, voire des révolutions. La plupart s’éteignent aussi vite qu’elles se sont allumées. Une chose est sûre : de Londres à Sidi Bouzid en Tunisie, de Santiago du Chili à Villiers-le-Bel, les émeutes sont devenues un phénomène global. En 2011, on en recense plus de trois par jour. Décryptage avec Alain Bertho, professeur d’anthropologie à l’université Paris 8. (...)