person:jean-marie pontier

  • La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales apporte d’importantes modifications au système applicable jusqu’alors. Un titre IV de la loi est consacré à « la clarification des #compétences », dans lequel figurent les dispositions essentielles relatives aux compétences. En ce qui concerne le département, la loi ajoute au premier alinéa de l’article L. 3211-1 cité plus haut la formule : « dans les domaines de compétence que la loi lui attribue ». Les choses sont donc, de ce point de vue, claires : le département (la région se trouve soumise au même régime) ne peut plus intervenir sur le fondement de la clause générale de compétence, il ne peut agir que sur le fondement de lois déterminées, de lois attributives de compétence. Le département devient ainsi en apparence (comme la région) une collectivité à compétence spécialisée.

    Les raisons mises en avant pour supprimer la clause générale de compétence pour les #départements (et les régions) - suppression jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel - sont de deux ordres. D’une part, et c’est la raison officielle, il s’est agi, selon les pouvoirs publics, de « clarifier » la répartition des compétences, qui étaient « enchevêtrées », selon le terme utilisé, non pas seulement dans le débat qui a précédé l’adoption de la loi mais au moins depuis cinquante ans (ce qui relativise déjà le changement). En cantonnant les interventions des départements (et des régions), ce à quoi revient la solution adoptée, on parviendrait, dans l’interprétation des pouvoirs publics, à cette clarification, la suppression des financements croisés s’inscrivant dans le même ordre d’idées. D’autre part, et même si cet argument est moins avancé que le précédent, la suppression de la clause générale de compétence aboutirait à une réduction des dépenses, la part des dépenses locales imputables à ladite clause ayant été évaluée à 10 % de l’ensemble. Mais on peut éprouver quelque scepticisme sur l’établissement de ce pourcentage, l’imputation de dépenses à la clause générale de compétence paraissant très délicate.

    Bien que l’entrée en vigueur de ces dispositions soit fixée au 1er janvier 2015, ce qui est lointain, et laisse de grandes possibilités de modifications, voire de suppression - le principe des premières étant, semble-t-il, d’ores et déjà acquis si l’on se réfère à de récents rapports parlementaires - il n’est pas interdit de s’interroger sur la portée de ce changement, en apparence important, et qui l’est peut-être moins en réalité que ce qu’il paraît.

    En effet, la loi elle-même prévoit des exceptions et des atténuations. S’agissant des exceptions, elles sont au nombre de trois à l’heure actuelle, mais la liste pourrait s’allonger par la suite. La première exception est la culture, qui appellerait de nombreuses observations. Deux suffiront à se faire une idée de l’ampleur des questions soulevées. Tout d’abord, il faut relever que depuis quelques années (ou quelques décennies) certains départements se sont largement investis dans ce domaine, et ont fait preuve, quelquefois, d’un dynamisme tout à fait remarquable. Ensuite, la culture est un domaine dont personne ne peut dire exactement où il commence et où il s’arrête, chacun ayant sa conception de la culture, et le champ couvert variant dans des proportions énormes selon l’interprétation retenue, étroite ou large. Cela signifie que les départements disposent d’une marge de manoeuvre considérable, en pouvant « raccrocher » de nombreuses interventions à ce domaine de la culture. Cela signifie également que le juge administratif risque d’être très gêné pour se prononcer dans les contentieux qui ne manqueront pas de lui être soumis.

    Une deuxième exception est celle du tourisme, en partie (mais en partie seulement) lié à la précédente. Les mêmes observations que précédemment peuvent être faites, de manière atténuée, pour le tourisme. Les départements avaient pris ou soutenu, dans le cadre de la clause générale de compétence - que, paradoxalement, la loi de 2010 entérine partiellement - de nombreuses initiatives en faveur du tourisme, notamment du tourisme rural, et le tourisme associé à la culture donne de larges possibilités aux départements.

    La troisième exception est celle du sport, domaine largement transversal (comme les deux précédents domaines) où, directement ou indirectement, les départements peuvent développer des actions très diverses et qui, lui aussi, peut être associé aux deux précédents.

    De plus, une atténuation est apportée par le législateur. La loi ajoute un deuxième alinéa à l’article L. 3211-1, selon lequel le conseil général « peut en outre, par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d’intérêt départemental pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique ». Cette disposition, qui ne brille pas par sa clarté, est également de nature à fonder de nombreuses interventions des départements et ne peut être aussi qu’un « nid à contentieux ».

    Mais, quoi qu’il en soit, ces dispositions suscitent la perplexité à deux titres. D’une part, elles conduisent à s’interroger sur la portée de la réforme introduite. Si, sur le principe, la clause générale de compétence est effectivement supprimée, il paraît difficile d’affirmer que l’on a désormais affaire à une collectivité spécialisée, compte tenu des marges ouvertes par les exceptions. Et il paraît à peu près certain que les départements (ou des départements) n’hésiteront pas à s’engouffrer dans la brèche que représentent les exceptions et atténuations. D’autre part, il paraît encore moins évident que l’objectif de « clarification » puisse être atteint, dans une certaine mesure les dispositions semblent conduire, à l’inverse, à des complications supplémentaires. En 1962 (temps des premiers rapports sur les compétences) il était déjà question de clarification des compétences, il est fort probable que celle-ci sera encore à l’ordre du jour dans un demi-siècle. Il n’en reste pas moins que toutes ces dispositions contribuent à un questionnement sur la collectivité départementale.