Photo de guerre : l’illusion de la transparence
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Journalisme ou censure ?
Dans une tribune, le photographe Ammar Abd Rabbo, membre du jury du prix des correspondants de guerre, explique en détail les réticences qui ont accueilli ces images au sein de la profession. Au-delà de la question de la sensibilité du public, la difficulté majeure de cette iconographie réside dans le fait que l’événement participe d’une opération de propagande, à l’instar des vidéos de décapitation des otages américains ou anglais récemment diffusées. Montrer ces images rend donc inévitablement complice des visées de la faction armée, et contredit la mission du journalisme, qui consiste à mettre en perspective les faits.
De son côté, Emin Ozmen affirme qu’il comprend le débat soulevé par son reportage. Il estime cependant que « cette réalité sanglante que nous vivons au Moyen-Orient, il faut que tout le monde la constate et que l’on agisse pour empêcher cela ».
Le piège des images
Mais cette censure ne repose pas que sur des critères moraux. Dans une tribune intitulée “Il faut refuser de regarder les images des mises à mort”, le psychanalyste Vincent Magos souligne que « ce sont les bourreaux qui réalisent et diffusent ces mises en scène macabres ». Dès lors, « ce n’est pas seulement une question de dignité des victimes ou de “jouer le jeu des djihadistes” : c’est qu’elles ne nous laissent psychiquement le choix qu’entre deux positions possibles, victime ou bourreau. »
Pas de transparence de l’image
La deuxième leçon consiste à ne pas considérer l’image comme un vecteur d’information isolé, qui porterait en lui-même les conditions de sa lecture. En réalité, l’interprétation d’une photographie dépend très largement de la manière dont elle est présentée : une image fait corps avec sa légende ou son commentaire, qui lui donne sens. Le floutage du visage des victimes constitue par exemple une forme d’édition du matériau propagandiste, qui permet au journalisme de retrouver ses droits.
Time, couverture du 09/08/2010 (photo Jodi Bieber).
Le Point, couverture du 01/11/2012.
La troisième leçon consiste à admettre que le refus de publication ou la censure n’est pas une exception dans un univers de transparence absolue, mais au contraire la forme la plus banale de l’exercice journalistique, qui consiste à sélectionner, à hiérarchiser et à qualifier l’information, autrement dit à choisir ce qui peut être publié, et dans quelles conditions.
Ce constat a du mal à s’imposer en matière visuelle, car il contredit l’idée que le spectacle du monde nous est transmis de manière universelle et immédiate par la presse ou la télévision. Cette perception est largement renforcée par les prix ou les festivals spécialisés, qui décontextualisent les productions photographiques en les isolant de leur édition, et mettent en scène le face-à-face idéalisé du photographe avec le public, comme si l’image pouvait passer directement du producteur au lecteur, sans le filtre de la machine éditoriale."