Pour revenir aux disparitions, Ann Garrison fait état de 50.000 personnes portées disparues au Rwanda cette année. Le Ministre rwandais de l’intérieur, James Musoni, a reconnu ces disparitions mais a déclaré que le gouvernement n’a aucune idée de l’endroit où ces personnes pouvaient se trouver. Peut-être qu’elles ont « franchi la frontière avec le Congo est rejoint les FDLR », a-t-il ajouté. Difficile d’imaginer qu’une masse aussi importante des populations rwandaises ait pu franchir l’ultrasensible frontière entre les deux pays et s’installer sur le territoire congolais sans susciter des réactions dans les rangs des communautés autochtones du Kivu, des innombrables ONG qui travaillent dans l’Est du Congo et surtout de la Mission de l’ONU au Congo (la Monusco). Les casques bleus n’ont pas signalé une arrivée massive des populations rwandaises dans l’Est du Congo. D’où cette question : où sont passés ces 50.000 Rwandais ?
Parallèlement aux disparitions forcées après arrestation par les forces de l’ordre et aux 50.000 portés disparus, l’administration pénitentiaire rwandaise a fait état de la disparition de 30.000 personnes anciennement suspectées de génocide et qui avaient été condamnées à des travaux d’intérêt général[5]. Où sont partis toutes ces dizaines de milliers de personnes ? Sur ce dernier cas, l’auteure américaine insiste sur le fait qu’il est difficile d’imaginer qu’un régime comme celui de Kagame, avec une des armées les mieux formées du Continent et des services de renseignement aussi performants ; qui plus est se trouve être une des dictatures les plus inflexibles du monde, a pu perdre la trace de 30.000 personnes condamnées pour génocide.
L’auteure ne s’arrête pas aux cas de disparitions. Elle aborde également le cas des « prisonniers brûlés vifs ». Plusieurs prisonniers hutus rwandais auraient péri dans l’incendie du 5 juin 2014 qui a ravagé la prison centrale de Muhanga à Gitarama, puis dans un deuxième incendie dans la prison Nyakiriba à Rubavu (Gisenyi) le 7 Juillet. La prison de Muhanga, anciennement appelée « prison centrale de Gitarama », était connue pour être l’une des prisons les plus infernales du monde. En 1995, le quotidien britannique The Independent titrait à son sujet : « Hutus held in ’worst prison in world’ - 7,000 suspects of Rwanda massacre are kept in jail built for 400 »[6]. Le 6 Juin dernier, la Croix-Rouge internationale a rapporté que « les chambres » de 3.500 prisonniers étaient parties en fumée à Gitarama[7]. Mais le gouvernement rwandais a assuré que les prisonniers n’étaient pas dans leurs cellules au moment de l’incendie. Où étaient-ils ?
Devant la gravité des faits, l’auteure américaine recommande carrément une enquête internationale sur ce qui se passe au Rwanda sur l’exemple de l’enquête menée en 2002-2003 en Irak par l’équipe du diplomate suédois Hans Blix au sujet des armes de destruction massive. Elle reconnaît que les grandes puissances qui parrainent le régime de Kigali ont leurs agendas qui sont souvent en totale contradiction avec les aspirations des populations à la démocratie et au respect des droits de l’homme, mais cela n’est pas une raison de ne pas réclamer une enquête internationale. Cette enquête devrait être menée rapidement.
Elle s’interroge, parallèlement, sur le soutien que les Etats-Unis continuent d’apporter au dictateur rwandais, et rejoint, sur ce point le général Faustin Kayumba. « Je comprends, disait l’officier rwandais le 4 janvier dernier, que certains ressentent une culpabilité pour ne pas avoir agi pour arrêter le génocide. Mais vous ne soutenez pas quelqu’un qui est dans le processus de création d’un autre génocide. Et je pense que les gens (ndlr) devraient faire un examen de conscience, regarder ce qui se passe au Rwanda, et voir exactement ce qui est en train de se mettre en place ».